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Victoire des Travaillistes à Londres: la fin du populisme?

Tout le monde parle de la grande victoire des Travaillistes de Sir Keir Starmer, un homme supposément modéré qui a réussi à purger et discipliner l’aile extrême-gauche de son parti. Un homme modéré qui, en battant comme plâtre les Conservateurs, serait parvenu à mettre fin à la parenthèse populiste qui a suivi le vote en faveur du Brexit. Mais est-il vraiment si modéré ? Et peut-on dire que le populisme est fini, quand Nigel Farage est élu pour la première fois au Parlement de son pays ?


Après des mois de suspense – non pas quant au résultat des élections britanniques, mais concernant l’étendue du désastre pour le Parti conservateur – on connait enfin le résultat. Les Travaillistes finissent avec quelque 412 sièges et les Conservateurs en sont réduits à 122. Pour ces derniers, c’est un peu moins catastrophique que ce qui était prévu par certains sondages qui leur donnaient une soixantaine de sièges, faisant des Libéraux-démocrates l’opposition officielle à la Chambre des Communes. Pourtant, comme consolation, c’est bien maigre. Les Lib-dem ont quand même 71 sièges, plus que la moitié des Conservateurs, tandis que le parti de Nigel Farage, Reform UK, décroche cinq sièges, dont celui de son leader bouillonnant. Quand ce dernier a décidé au dernier moment, le 3 juin, de se lancer dans la course en se présentant dans la circonscription balnéaire défavorisée de Clacton, le sort des Conservateurs était définitivement scellé. En divisant le vote de la droite, la participation aux élections des candidats de Reform, inspirés par la faconde démagogique de leur chef, a permis aux Travaillistes d’emporter une victoire encore plus écrasante.

Un raz de marée sans enthousiasme

Pour bien marquer la fin des quatorze dernières années de gouvernement conservateur, de nombreux dirigeants du Parti ont perdu leur siège, comme l’ex-Première ministre, Liz Truss, ou le grand partisan du Brexit, Jacob Rees-Mogg. Les sièges des anciens locataires du 10 Downing Street, David Cameron et Boris Johnson, occupés par d’autres élus conservateurs après le départ des deux chefs, sont tombés entre les mains de leurs adversaires. Il est évident que la motivation première de l’électorat était de punir les Conservateurs qui monopolisaient le pouvoir depuis longtemps sans tenir la plupart des promesses téméraires qu’ils avaient faites à chaque élection. Peut-on dire pour autant que le raz de marée travailliste était proportionnel à l’enthousiasme ressenti par les Britanniques à l’égard de Sir Keir Starmer, son programme et ses équipes ? Que nenni ! Le taux de participation a été un des plus bas jamais enregistrés. Quoique finissant avec presque les deux tiers des sièges de la Chambre des Communes, le Parti travailliste n’a engrangé que 35% du vote populaire. C’est un point de moins que Corbyn en 2019 et cinq de moins que le même en 2017. Le système électoral britannique est tel que, selon les années et la répartition géographique des circonscriptions, un certain pourcentage du vote peut se traduire en plus ou moins de sièges. Cette année, les 35% de Starmer lui ont permis de gagner le gros lot. A part le Parti conservateur, il y a un autre grand perdant : le parti des Nationalistes écossais, réduits de 48 sièges à 9 au Parlement de Westminster (ils restent au pouvoir à Édimbourg jusqu’en 2026). Dominés eux aussi par les Travaillistes, leurs espoirs de voir un référendum sur l’indépendance de l’Écosse avant la fin de la présente décennie se sont évaporés comme le brouillard sur les collines des Highlands.

Le populisme botté en touche ?

La défaite des Conservateurs est-elle imputable au Brexit ? C’est ce que veulent croire de nombreux commentateurs français. Car en France on a besoin de mettre tout ce qui va mal au Royaume Uni sur le compte du Brexit qui constitue comme le péché originel du populisme en Europe. Le hic, c’est que cette interprétation, étant le produit d’un fantasme, est fantaisiste. Ce n’est pas le Brexit qui a vidé les caisses de l’État outre-Manche, mais les sommes faramineuses (selon les chiffres officiels, entre 370 et 485 milliards d’euros) dépensées pendant le Covid. L’inflation galopante qui a suivi la guerre en Ukraine a définitivement ruiné les chances qu’avait le gouvernement conservateur, à une époque, de mener à bien son projet de « levelling up » (« nivellement par le haut »). L’objectif en était de redynamiser les régions défavorisées en investissant massivement dans leurs infrastructures et dans la requalification de leurs populations.

Si la sortie de l’UE a joué un rôle dans le crépuscule de la bonne étoile des Conservateurs, ainsi que dans leur défaite finale, c’est dans la mesure où le Brexit représentait une ambition impossible à réaliser. Car la promesse du Brexit cachait une contradiction fondamentale. Les politiques et intellectuels qui ont promu l’idée de quitter l’UE voulaient plus de mondialisation. Ils cherchaient à se libérer de la tutelle de Bruxelles dans le fol espoir de conclure encore plus d’accords commerciaux avec toujours plus de partenaires à travers la planète. En revanche, les électeurs qui ont voté pour le Brexit voulaient plus de mesures protectionnistes. Ils voulaient être à l’abri de la concurrence internationale. Ils appelaient de leurs vœux le retour de l’industrie dans ces régions aujourd’hui désertiques mais qui, autrefois, avaient constitué le cœur battant de la Révolution industrielle. Après le Brexit, le gouvernement de Boris Johnson a certes réussi à conclure des accords commerciaux mais seulement avec les partenaires avec lesquels le Royaume Uni avait déjà eu des accords à travers l’UE. Et puis les fonds qu’il voulait investir dans les régions ont été engloutis par la pandémie et l’inflation.

Arrivant après le départ humiliant de Johnson suivi de celui de Liz Truss, le brave et peu charismatique Rishi Sunak avait juste assez de marge de manœuvre pour ramener l’inflation à un niveau raisonnable. Quant à l’immigration, Johnson avait abandonné toute ambition chiffrée de réduire le nombre des personnes arrivant au Royaume Uni par des voies légales. Il croyait qu’une politique d’immigration choisie permettrait de ne recruter à l’étranger que des travailleurs hautement qualifiés qui ne constitueraient pas une source de compétition pour les ouvriers britanniques non ou peu qualifiés. La politique a échoué tout comme celle que Nicolas Sarkozy avait adoptée entre 2007 et 2012. Sunak a donc choisi de se focaliser sur les migrants illégaux arrivant par la Manche. Il a investi tous ses espoirs dans sa politique d’expulsion vers le Rwanda dont la promulgation a drainé une grande partie de l’effort législatif de son gouvernement et dont la mise en ouvre est arrivée beaucoup trop tard pour le sauver. Aujourd’hui, Starmer, qui a toujours dénoncé ces politiques comme racistes et irréalisables, parle vaguement de réduire l’immigration clandestine – car une partie de son électorat le réclame – mais ne propose pas de nouvelles mesures pour le faire. Il se drape dans le discours vertueux de l’antiraciste surtout pour prendre ses distances par rapport à ces années où le conservatisme régnait en maître.

Mais si Starmer croit avoir dompté les velléités populistes des Conservateurs, il a pu le faire grâce, en partie, au retour en politique de Farage qui, lui, incarne tous les vices idéologiques que les Travaillistes détestent. Certes, le Brexit n’a joué aucun rôle dans la campagne électorale. Il n’a fait l’objet d’aucun débat. Il est désormais relégué au passé par tout le monde. Mais Farage lui-même n’en a plus besoin. Il continue à prôner les valeurs populistes mais sans le Brexit. Ces valeurs sont : la maîtrise des frontières ; des baisses d’impôts ; l’importance de l’ordre public ; et la nécessité d’éradiquer l’influence néfaste du wokisme dans les institutions publiques. C’est ici que, pour qui regarde de près les propositions du parti travailliste, Starmer laisse voir un côté beaucoup moins modéré. Car il est probable que son nouveau gouvernement renforce la législation existante contre la discrimination raciale afin de sanctionner le racisme « systémique ». Ce dernier représente une forme de préjugé qui serait partout présent mais nulle part visible. Une personne qui prétend en être victime n’aura même pas besoin d’apporter des preuves tangibles et spécifiques de l’injustice dont il se plaint. En outre, tout l’ensemble des concepts tels que le « privilège blanc » et la « culpabilité des Blancs » sera intégré aux programmes scolaires. Or, on peut de nos jours définir le populisme comme l’opposition au wokisme. On peut même aller jusqu’à dire que le wokisme, c’est le populisme de l’extrême-gauche. La conclusion qui s’impose, c’est que Starmer, loin d’avoir éliminé le populisme de droite, que Farage continuer à porter haut, assume des aspects importants de ce populisme de gauche.

L’aporie du purisme idéologique

Inévitablement, dans leur défaite, les Conservateurs parlent, non seulement de choisir un nouveau leader, mais aussi de redéfinir le conservatisme, prétendant que, au cours de ces 14 années, ils ont perdu de vue leurs valeurs essentielles. Pour beaucoup, il faut mettre le curseur plus à droite, en adoptant les valeurs prônées par Farage et Reform. Pour d’autres, il faut revenir aux purs principes libéraux du thatchérisme ou de Friedrich von Hayek. D’autres encore n’ont pas oublié le « conservatisme compassionnel » que David Cameron avait prôné, même à une époque où il était contraint d’imposer à son pays un programme d’austérité économique. A part l’impression de confusion donnée par toutes ces voix qui prétendent parler au nom du conservatisme le plus pur, la question fondamentale est simple : les Conservateurs peuvent-ils, doivent-ils fusionner avec le Reform de Farage ? Ce dernier semble avoir donné sa réponse. En faisant campagne contre les Conservateurs, il a lancé une OPA hostile sur un parti qui, après 2016, l’a déçu à répétition. Le Parti conservateur s’est effectivement présenté comme en lui-même une coalition réunissant le centre-droit et la droite de la droite (comme un mélange de LR et RN). Cette coalition n’a jamais vraiment eu le courage de ses convictions.

De toute façon, le vrai problème des Conservateurs n’est pas celui de la définition du conservatisme. Ce dernier, comme toutes les idéologies politiques, est nourri par de multiples courants qui apportent chacun un élément utile et fécond selon les situations. Le vrai problème des Conservateurs est plutôt celui de savoir comment gouverner à notre époque. Les politiques semblent perdus dans le dédale créé par la complexité de la mondialisation, par la volatilité de l’opinion publique s’exprimant sur les réseaux sociaux, ainsi que par la multiplicité des règles et des procédures qui caractérisent le fonctionnement de l’État moderne et qui paralysent trop souvent l’action des élus. Johnson, Truss, Sunak… autant de leaders prétendant conduire leurs concitoyens à travers un labyrinthe dans lequel ils sont eux-mêmes perdus. Et comme on le verra très vite, Starmer en est un autre.

Surveiller et punir

Mais qui est donc ce prisonnier de la cellule 17 ? vous demanderez vous un petit moment au visionnage du nouveau film de Gustav Möller (The Guilty)…


Le film dure déjà depuis une bonne demi-heure lorsque le spectateur, captivé dès la première image, commence à entrevoir ce qui se joue dans la cervelle d’Eva, cette gardienne de prison paradoxalement maternelle et glaçante, secourable et opaque, bizarrement troublée par l’arrivée d’un jeune détenu, menottes aux poignets, dont la pâleur nordique et le visage glabre contraste avec la bigarrure majoritairement exogène de la population carcérale – en cela la réalité danoise n’est pas sans en rappeler une autre, géographiquement plus familière…  

Le garçon – faciès à la dureté inquiétante, anatomie intégralement maculée de tatouages – intègre illico le quartier de haute sécurité, réservé aux criminels « présumés » dangereux, comme on dit. Eva invente bientôt auprès du directeur de l’établissement un prétexte pour y demander son transfert. Le captif de la cellule 17 concentre alors toute son attention, de façon obsessionnelle – on comprendra bientôt pourquoi.

Entre Mikkel, le récidiviste criminel en longue détention et Eva, geôlière elle-même captive en quelque sorte de l’espace carcéral (on ne saura rien de sa vie « hors les murs ») va se nouer un rapport de pouvoir et de sujétion réciproque à la fois subtil, équivoque et tragique, où les pulsions sadiques le disputent aux effluves de l’empathie, où le désir de vengeance se confronte à la tentation de pardonner.

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Le psychodrame met ainsi face à face une mère et l’assassin de son fils – d’où le titre, Sons, (mais pourquoi cette manie des titres en anglais, a fortiori s’agissant d’un film suédois, qui n’aurait pas démérité à se nommer Fils, tout simplement, pour la distribution française. Passons.) Tourment inexpugnable, la culpabilité habite ces deux génitrices vis-à-vis du destin de leur enfant respectif, qu’elles n’ont pas su élever autrement que de façon toxique. Sons confronte également le meurtrier psychopathe à sa propre mère, d’abord au parloir, puis dans le cadre d’une permission de visite sous haute surveillance obtenue par Eva pour son « protégé », épisode qui tourne très mal… et détermine le dénouement du film.  

Coscénarisé par Emil Nygaard Albertsen et le cinéaste suédois implanté au Danemark Gustav Möller, Sons ménage des rebondissements qui, jamais gratuits ou intempestifs, s’appuient sur une profonde véracité psychologique, conjuguée à un sens du rythme et à une maîtrise du récit remarquables. (Rappelons au passage que le premier « long » de Gustav Möller, The Guilty ( 2018), a été gratifié trois ans plus tard d’un remake sous bannière U.S., avec Jake Gyllenhall, pompage qu’on peut visionner sur Netflix – mais pas l’original, hélas, pourtant beaucoup mieux inspiré). 

Sur Sons, n’en disons pas plus, histoire de ne pas déflorer la teneur de ce second film exceptionnel, tenu d’un bout à l’autre par la présence en continu, de part en part magistrale, de la comédienne Sidse Babett Knudsen dans le rôle d’ Eva,  – pour mémoire, son interprétation géniale de la première ministre Brigitte Nybord dans la série Borgen, visible sur Arte.fv –  aux côtés du Danois Sebastian Bull, né en 1995, et qui intériorise la sauvagerie de Mikkel, ce fauve en cage, mais aussi sa secrète humanité, avec un don d’appropriation proprement inouï.

Reflet de la rage intérieure des personnages, la bande-son d’un vrombissement sourd court par moments au long ce presque huis-clos, tourné près de Copenhague dans une vraie prison désaffectée, dont le décor réaliste retentit de la fameuse injonction foucaldienne « surveiller et punir », questionnée ici à nouveaux frais avec une intensité peu coutumière au cinéma.

Sons. Film de Gustav Möller. Avec Sidse Babett Knudsen et Sebastian Bull. Danemark, Suède, couleur, 2024.
Durée: 1h40.

À mains nues

Les lecteurs de Causeur connaissent le don d’Hannah Assouline pour fixer le regard des écrivains. Cette exploratrice inlassable de la République des lettres et de l’engeance humaine a découvert il y a quarante ans un autre miroir de l’âme : les mains. Un beau livre nous ouvre, enfin, les portes de sa galerie.


Sans ma chère Hannah Assouline, je ne saurais peut-être pas que les mains parlent. Les yeux miroir de l’âme, le visage comme première perception de l’autre, on en fait quotidiennement l’expérience. Les mains, on a tendance à les oublier – à les invisibiliser dirait-on dans le jargon contemporain.

Depuis quarante ans, Hannah photographie les écrivains avec autant de désir qu’elle les lit. Oui, aussi étrange que cela puisse sembler, avant de voir un auteur, elle le lit, nombre de critiques devraient en prendre de la graine. Les lecteurs de Causeur connaissent son don pour capter les vérités enfouies, les ombres impalpables, les tensions furtives. Peu d’arrière-plan dans ses images, le fracas du monde n’y parvient que par le truchement d’un être singulier, saisi dans le mouvement de la pensée et du corps. Souvent, on sent à une sorte de relâchement, un frisottis de l’œil, qu’elle a fait rire son client avec ses histoires de Parisienne ou d’Orientale – elle est l’une et l’autre.

Explorer la drôle d’engeance humaine, c’est son truc à elle. À commencer par les écrivains bien sûr, c’est sa famille depuis que cette autodidacte est tombée dans les livres. Les visages par évidence. Puis sont venues les mains qui, sous son regard et sous son objectif, ont acquis une vie propre. Dans sa préface, Jérôme Garcin, vieux complice des pérégrinations de la photographe, évoque le saisissant portrait de Philippe Soupault (fondateur du surréalisme avec Breton), réalisé en 1984. « Le jour de leur rencontre dans une maison de retraite parisienne où il devait finir sa vie, elle a eu l’idée géniale de photographier aussi ses mains. » Plus tard, il y a eu ces ouvriers d’une usine de décolletage dans le Jura, un jour pluvieux de novembre. Des hommes exposés à des nuages toxiques. « Elle photographia leurs visages marmoréens et surtout, leurs mains enroulées dans des chiffons noirs et huileux, qui maniaient les vis, les axes, les écrous sortis des machines. Le journal ignora les visages et ne publia que les mains. »

Depuis, elle n’a cessé d’arpenter, appareil au poing, la République des Lettres, ses boulevards les plus fréquentés comme ses allées obscures, demandant à tous les portraiturés de la laisser shooter leurs mains. Et cette collectionneuse de gueules est devenue, observe Garcin, l’« unique anthologiste » des mains d’écrivains.

Sur chaque double-page de ce magnifique ouvrage, un visage, à gauche, dialogue avec des mains, à droite. Curieusement, seul Georges Dumézil a refusé de livrer les siennes, peut-être parce qu’il craignait qu’elles en disent trop. Ces mains qui travaillent, stylo ou pinceau entre les doigts, qui se nouent, se cachent, éludent ou interrogent, révèlent parfois les secrets que le visage voudrait cacher. Et parfois, c’est le contraire.

Difficile, au fil des pages, de ne pas penser que ces 150 portraits représentent les derniers feux de l’âge littéraire et qu’un jour prochain, il n’y aura plus de grands auteurs ni d’Hannah Assouline pour les faire rire le temps d’une image. Si les mains sont l’une des plus éclatantes projections de l’esprit dans le corps, ne deviennent-elles pas inutiles dans un monde où la commande vocale détrône le traitement de texte (ne parlons pas du stylo) et la drague virtuelle, la caresse. Serons-nous encore des hommes quand l’évolution nous aura privés de nos mains ? Peut-être le livre d’Hannah Assouline témoigne-t-il d’un passé déjà révolu. Raison de plus pour se ruer dessus.

Hannah Assouline, Des visages et des mains (préf. Jérôme Garcin), Herscher, 2024

Des visages et des mains: 150 portraits d'écrivains

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Lire, est-ce vivre?

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Grâce à Patrick Besson, j’ai pu relever dans Le Point deux définitions très intéressantes de la lecture, par Peter Handke. Le première : « lire à en devenir un sauvage pacifique » et la seconde : « lire, inactivité idéale, supérieure à beaucoup d’activités… »

Si elles m’ont frappé à ce point, cela tient d’abord à ma propre passion de la lecture. J’ai la chance, dans mon existence quotidienne, de pouvoir m’abandonner sans remords ni mauvaise conscience, grâce à une épouse formidable, non seulement à la lecture des quotidiens, des hebdomadaires et à la consultation des sites d’information mais à des lectures en quelque sorte gratuites, non utilitaires, d’ouvrages de pure littérature. Je ne concevrais pas, par exemple, de m’endormir, même très tard, sans avoir parcouru plusieurs pages de mon livre en cours qui est parfois différent, la nuit, de celui qui m’occupe le jour. C’est dire à quel point la lecture m’apparaît tel un besoin, un havre de paix et d’intelligence, un plaisir. Quelqu’un d’autre, grâce à son style, à la fiction qu’il a inventée, vous parle, vous enthousiasme, vous enseigne ou non, c’est selon.

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J’aime, dans la première définition de Peter Handke, la description du lecteur comme un « sauvage », comme un être qui se replie sur soi, seul dans son monde fait seulement de sa relation avec le livre qu’il tient, mais « pacifique », puisque sa sauvagerie est exclusivement destinée à à créer le plus de tranquillité possible, d’harmonie et de silence pour lui permettre de jouir de cette innocence absolue qu’est la lecture d’un livre vous enfermant dans son univers et vous laissant avec joie hors du monde.

Sa seconde définition, pour être également fine, en constituant pourtant la lecture comme une superbe inutilité bien supérieure aux mille travaux ordinaires qui sont notre lot, me gêne dans la mesure où elle laisse entendre que lire ne serait pas vivre, ne serait pas agir.

Lire n’est qu’apparemment une activité inutile. Profondément, la lecture est directement reliée à l’existence puisqu’elle irrigue le lecteur d’idées et de sentiments qui l’enrichiront dans la vraie vie, une fois quittée la sphère de l’imaginaire, l’aideront à mieux comprendre autrui, ses forces, ses faiblesses, ses misères ou ses élans.

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Le livre est aussi un formidable gain de temps. Il ne nous dispense évidemment pas d’appréhender le cours de notre destin et d’affronter concrètement, physiquement, les aléas, les hasards auxquels il va nous confronter. La lecture ne nous détourne pas de vivre mais, par exemple quand on plonge dans la géniale Recherche du Temps perdu, elle nous offre un extraordinaire tableau de « la vie réellement vécue » avant que nous appréhendions, ainsi lestés, de manière tangible sa réalité.

La lecture nous prépare à partager l’humanité des autres ou nous fait mieux comprendre la nôtre. Lire, c’est vivre, lire, c’est agir. Quitter un grand livre, c’est comme mourir un peu. En ouvrir un autre, c’est revivre.

Dialogues intérieurs à la périphérie: Notes, 2016-2021 (2024)

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Yohan Pawer: l’influenceur gay droitard qui casse –vraiment– les codes

Ouvertement homosexuel, Yohan Pawer est un influenceur qui combat la vision progressiste imposée au public par la communauté LGBTQI+. Une voix qui trouve un certain écho parmi les « homos patriotes » de droite. À gauche, on pense qu’il est comme une dinde militant pour Thanksgiving, et des militants radicaux antifas s’en prennent à lui. Rencontre.


Yohan Pawer est un influenceur gay qui défie les stéréotypes qui accompagnent régulièrement la communauté LGBT. Suivi par plus de 40 000 followers sur les réseaux sociaux, il est souvent classé à l’extrême droite. Mais contrairement aux idées reçues, le jeune homme de 29 ans affirme ne pas être un « fils de bourgeois déconnecté du réel » comme on le lui reproche régulièrement. « Je viens d’une famille d’ouvriers et j’ai toujours vécu en banlieue parisienne entourée de cités », explique-t-il. Il évoque même comment son cadre de vie l’a sensibilisé à certaines problématiques, comme l’insécurité et ce qu’il perçoit comme l’islamisation des quartiers. Son adolescence difficile, marquée par les violences subies en raison de son homosexualité, l’a poussé à s’engager politiquement. « C’est très difficile de vivre dans certains quartiers quand on est blanc et homosexuel. Car pour une certaine partie de l’immigration que je dénonce, j’étais l’homme à martyriser, violenter. Je l’ai très vite compris et c’est pour cela que je me suis engagé en politique », nous confie-t-il.

Un collectif inspiré de l’agit prop d’Alice Cordier

Le 28 juin, Yohan Pawer a fondé le collectif Éros avec Jérémy Marquie, chroniqueur sur Radio Courtoisie et TV Libertés. Inspiré par le collectif Nemesis d’Alice Cordier, ce projet, né d’une volonté de regrouper des homos « patriotes » sous un même parapluie, vise à contrer ce qu’il décrit comme des dérives idéologiques. « Le collectif Éros est là pour lutter contre les dérives wokes et LGBT, et permettre à cette majorité silencieuse de s’exprimer », précise-t-il. Durant l’interview, il n’hésite pas à pointer du doigt les revendications de certains militants LGBT, « de la folie sur l’identité de genre à la transidentité qui s’introduit aujourd’hui jusque dans nos écoles pour endoctriner nos enfants, en passant par l’exubérance et les revendications dangereuses de certains militants LGBT comme la GPA qui pose un réel souci d’éthique dans notre société, une immense majorité d’homosexuels aujourd’hui dans notre pays ne se sentent absolument plus représentées par ce courant de pensée totalitaire et nocif » précise-t-il.  Un de ses combats qui l’a fait connaître du public, les spectacles de drag-queens pour enfants, qu’il considère comme dangereux et inappropriés. « Les enfants sont des éponges, ils sont en pleine construction et on cherche à les déconstruire avant même d’être construits », critique-t-il.

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Il nie toute homophobie dont il pourrait être faussement accusé. « Il va de soi que je condamne fermement tous les actes homophobes et transphobes. Mais quand les propagandistes LGBTQI+ jouent avec le feu, faisant des prides de rue dans les cités avec des homosexuel(le)s en laisse et haut en latex, ou quand sur Netflix, on doit nous infliger des propagandes wokes à tout va et à outrance en voulant imposer des choses que beaucoup ne veulent pas voir…, cela agace fortement et beaucoup passent à l’acte » affirme Yohan Pawer. « Le problème avec les LGBTQI+ c’est qu’ils n’ont aucune limite et ne se rendent pas compte des répercussions graves que cela peut avoir sur certains membres de cette communauté. Il ne faut pas oublier qu’ils restent extrêmement minoritaires et que 99% des Français n’approuvent pas leurs dérives. À trop jouer avec le feu, on finit par se brûler », avertit Yohan Pawer.

Minoritaire dans la minorité

Plus de 40% des gays, lesbiennes ou bisexuel(le)s, voteraient pour la droite modérée ou extrême, selon un sondage IFOP daté de juin 2022. « Je ne me range dans aucune case. LGBTQI+ ne sont que des lettres et moi, je ne suis pas une lettre », s’irrite Yohan Pawer. Selon lui, de nombreux homosexuel(le)s ne se sentent plus représenté (e)s par cette mouvance. « J’ai conscience que je fais partie d’une minorité, mais à l’inverse d’eux, je ne souhaite rien imposer à la majorité », assène-t-il. Il se réjouit néanmoins du changement des mentalités. Sortis du bois, certains homosexuels n’hésitent plus à revendiquer leur appartenance à la droite nationale ou patriotique, dans la lignée se situe Yohan Pawer. S’il n’entend pas adhérer ou faire campagne pour un parti politique, il analyse ce changement par une prise de conscience des dangers auxquels feraient face les homosexuels, notamment les agressions homophobes qu’il attribue principalement à une partie de l’immigration. « Beaucoup d’homosexuels rejoignent majoritairement le Rassemblement National, le seul parti de France à avoir autant d’homosexuels à l’Assemblée nationale. Voter le RN c’est rester en vie, voter le Nouveau Front Populaire (NFP) c’est signer son arrêt de mort. Beaucoup d’homos l’ont compris ! », assure-t-il.

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« Bien évidemment, je ne mets pas tout le monde dans le même sac, mais nous constatons une forte hausse des agressions homophobes par des personnes principalement maghrébines. J’en ai fait les frais il y a quelques mois quand j’ai été sauvagement agressé par deux maghrébins me disant que « sur le Coran de la Mecque, les p*dés comme toi ne devraient pas exister », explique encore Yohan Pawer. « Avec LFI à l’Assemblée, l’espérance de vie et la liberté individuelle des homosexuels sont réduites », renchérit cet ancien directeur marketing de « Droite au cœur », sorte de Meetic de la droite nationale, créé afin de permettre aux femmes et aux hommes de droite de « rencontrer des patriotes qui leur ressemblent ».

Sa dernière controverse

Yohan Pawer, par ses positions tranchées et ses actions, continue de susciter la controverse. Son parcours atypique et ses engagements lui valent autant de soutiens que de détracteurs. Lors de la dernière Gay Pride, à Paris, il a tenté de faire entendre sa voix dissonante. L’accueil a été à la hauteur de ce qui a été considéré par les participants comme une provocation.

« Des antifas m’ont reconnu et se sont jetés sur nous. Un de mes militants a eu le nez en sang, le Youtubeur et journaliste Vincent Lapierre qui devait faire un reportage sur notre action a été pris à partie, on lui à voler sa caméra d’une valeur de 7000 € et me concernant une personne transgenre, actuellement en garde à vue, m’a frappé au visage » déclare-t-il. « Nous avons subi des jets de projectiles, des insultes, des vols et agressions. Nous voulions une marche pacifique tandis que les militants d’extrême gauche ont choisi la violence. Voilà le vrai visage de la « bien-pensance » et du camp de la « tolérance » » ajoute encore Yohan Pawer. Quoi qu’on pense de lui, il incarne une voix singulière, défiant les étiquettes et prônant une vision conservatrice et sécuritaire pour les homosexuel(le)s. « Personne ne nous intimidera et nous continuerons notre combat » rappelle-t-il, appelant tous ceux qui le souhaitent et se reconnaissent en lui, à le rejoindre au sein de son collectif.

Rassemblement national: vers une majorité absolue?

Pour y parvenir, il faut que le parti de Jordan Bardella gagne un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, et que le ni-ni et l’abstention jouent en sa faveur. Détails.


Ces élections législatives anticipées ont bouleversé la vie politique, en consacrant notamment au premier tour le Rassemblement national qui a terminé en tête du scrutin et se qualifie dans 447 circonscriptions sur 577. Similaire à celle de la gauche en 1981 ou celle de Macron en 2017, cette vague RN a permis au parti de Jordan Bardella d’être présent dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Rennes, etc.).

Seulement, si cette performance est historique, le retour du Front républicain rend incertaine une majorité absolue pour le RN.

Le Rassemblement national est sur un socle élevé

Le bloc du Rassemblement national est en forte progression. Alors que l’on pouvait penser que le parti lepéniste avait atteint un plafond à la présidentielle de 2022, il a réalisé un record ce dimanche 30 juin 2024. En effet, il a enregistré un record de voix avec 10,6 millions de voix, soit 6 millions de voix supplémentaires qu’au premier tour des législatives de 2022 et 2 millions de voix supplémentaires par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. D’autant plus que le score du Rassemblement national a progressé malgré une participation moins forte aux législatives qu’à la présidentielle (66% contre 73,69% en 2022), ce qui traduit un élargissement électoral du Rassemblement national.

Le Rassemblement national n’est plus isolé politiquement. S’il a longtemps été le seul parti du bloc national induisant ainsi de faibles reports de voix lors de seconds tours, il est désormais au cœur d’une galaxie de partis satellites grâce aux alliances avec Eric Ciotti, Marion Maréchal ou encore Eric Dupont-Aignan. Cette situation permet au Rassemblement national d’agréger de nouvelles sensibilités politiques (libérale, souverainiste, conservatrice, etc.) qui lui reconnaissent le leadership politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, selon les territoires et les configurations de second tour, le Rassemblement national peut espérer de meilleurs reports de voix au second tour d’une partie d’électeurs Les Républicains ou encore Reconquête qu’auparavant.

Victime du Front républicain

Le Front républicain est encore tenace face au Rassemblement national qui a été désigné comme l’ennemi à éliminer pour le second tour des élections législatives. En quelques heures, et malgré sept ans d’oppositions frontales, sur les 306 hypothèses de triangulaires, 220 candidats se sont désistés face au parti de Jordan Bardella, soit 72% des cas. Or, si les partis politiques ne sont pas les propriétaires de leurs électeurs, les désistements mettent le Rassemblement national dans une moins bonne situation.

D’une part, les reports de voix ne risquent pas d’être massifs dans la mesure où il s’agit d’un désistement de deux camps opposés (Ensemble et Nouveau Front Populaire) sur de nombreux sujets et qui ont connu des affrontements violents notamment ces deux dernières années. D’autre part, il est tout de même plus difficile pour le Rassemblement national de l’emporter dans un duel que dans une triangulaire, car l’adversaire du RN capte davantage les voix du candidat s’étant désisté. D’autant plus que l’unique argument invoqué pour justifier un désistement est de « battre le Rassemblement national » en faisant appel à l’imaginaire des républicains qui barraient la route des fascistes lors des années 1930…

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De plus, le Rassemblement national est dans une situation moins favorable que prévue. Il est plus simple pour lui de gagner un duel face à la gauche que face à un candidat du camp présidentiel ou des Républicains. En effet, en 2022, les duels face à la gauche avaient tourné à l’avantage du RN, qui en avait remporté 33 sur 59, soit plus de la moitié. Alors que le Nouveau Front Populaire a terminé deuxième derrière le Rassemblement national, il aurait été logique que le nombre de duels entre la gauche et le RN explose. Or, cela n’est pas le cas puisqu’il ne devrait y avoir que près de 149 duels entre le RN et la gauche (celle-ci s’étant beaucoup plus désistée) contre plus de 129 duels entre le RN et le camp présidentiel et une cinquantaine contre LR, deux configurations moins favorables au RN.

Une majorité absolue possible mais incertaine

Le Rassemblement national peut toujours remporter une majorité absolue mais cela devient plus incertain en raison du Front républicain et d’une performance moins bonne que prévue au premier tour. Ainsi, il est arrivé trop peu de fois en tête au premier tour, en terminant en tête dans seulement 297 circonscriptions sur les 447 où il s’est qualifié. Cela rend le parti à la flamme tributaire du niveau de reports de voix dont disposera son adversaire au second tour, et donc de l’efficacité du Front républicain. Or, nous assistons à la constitution d’un Front anti-RN, allant de l’aile droite de la macronie aux Insoumis sur le modèle des élections régionales de 2015. Les appels de la gauche et du camp présidentiel à se désister l’un pour l’autre renforceront les reports de voix entre les deux, puisque la bête noire n’est plus la Nupes de Mélenchon comme en 2022 mais le Rassemblement national de Jordan Bardella. Il s’agit désormais de savoir si ce dernier obtiendra une majorité absolue ou non, et l’ensemble des Français s’exprimeront dessus comme s’il s’agissait d’un référendum.

Seulement, un cumul de facteurs d’indécision peut encore permettre au Rassemblement national d’envisager une majorité absolue ou une majorité relative suffisamment solide (sur le modèle de ce qu’a été la majorité présidentielle jusqu’à présent). Premier facteur, le Rassemblement national doit gagner un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, ce qui nécessite un front républicain moins efficace que prévu. À cause des désistements, des électeurs n’auront plus leur choix préférentiel au second tour, ce qui peut générer de l’abstention. Notamment dans l’hypothèse où de nombreux électeurs se retrouveront à choisir entre deux mauvais choix selon leur appartenance d’origine à savoir sauver Macron lorsqu’on est de gauche ou sauver le Nouveau Front Populaire lorsqu’on est macroniste. Dans ce cadre, le RN doit remporter près de 65% des duels contre la majorité présidentielle, en espérant que le report des voix de gauche notamment de la France Insoumise soit moins fort que lors de la dernière élection présidentielle. Deuxième facteur, le Rassemblement national doit bénéficier d’un report de voix d’une partie des électeurs centristes et de droite, notamment dans le cadre de duels face à LFI qui est jugée tout autant infréquentable voire pire depuis le 7 octobre et les soupçons d’antisémitisme. Ainsi, il faudrait remporter près de 70-75% des duels face au Front Populaire. Dernier facteur, le Rassemblement national doit éviter une remobilisation électorale comme en 2015 avec des électeurs qui voteront uniquement pour lui faire barrage, tout en profitant d’une petite remobilisation du camp national avec l’élan du premier tour.

La majorité absolue s’éloigne pour le Rassemblement national. Toutefois, il est toujours possible pour Jordan Bardella d’obtenir une majorité relative suffisamment solide lui permettant de gouverner. Le seul prérequis à cela serait qu’il y ait environ 300 députés RN et LR. Dans ces circonstances, la droite républicaine pourrait ne pas voter la motion de censure provenant de la gauche et des centristes. En contrepartie tacite, le RN devrait adresser des signaux aux LR. Jordan Bardella serait dans une situation finalement très proche de celle d’Elisabeth Borne qui a tout de même fait voter une cinquantaine de textes en 2023, y compris des textes emblématiques comme la réforme des retraites et la loi Immigration.

L’Élysée, maison d’un fou?

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Emmanuel Macron est-il fou ? Oui, fou. « Fada », comme il dit. Depuis le 9 juin et sa dissolution rageuse de l’Assemblée nationale, annoncée 58 minutes après l’annonce de la défaite de son mouvement aux élections européennes (14,6%), la question se pose.


La question obsède son camp traumatisé qui, dans l’instant du verdict, a vu venir le crash. Mais « l’esprit de défaite » n’habite pas ce président haut perché, enamouré de lui-même. Ce soir-là, l’homme blessé (« cela m’a fait mal », avouera-t-il) se persuade de « prendre son risque ». Il se convainc de susciter un sursaut de confiance autour de sa personne, comme il le fit en agitant la peur du Covid (« Nous sommes en guerre ») et comme il aimerait tant le faire en attisant les braises d’un conflit généralisé contre la Russie. Macron pense, ce 9 juin, jouer le coup fumant qui le replacera en sauveur face au RN. Ne s’est-il pas engagé à en être le rempart ?

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Ce soir-là, Macron laisse donc sa photographe, Soazig de la Moissonnière, fixer et diffuser auprès des médias les mines atterrées de ses ministres et de la présidente de l’Assemblée, réunis pour entendre son bon plaisir, avalisé en coulisses par une bande de drôles. Au Monde, quelques jours plus tard, le chef de l’Etat expliquera fièrement : « Je prépare ça depuis des semaines et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils vont s’en sortir ». Mais la grenade allait évidemment rouler sous son fauteuil. Il aura fallu attendre le 30 juin, premier tour des législatives, pour qu’il en mesure la première déflagration avec un RN à 33,15%, un Nouveau Front Populaire à 27, 99% et une macronie défaite à 20,83 %, donc ne pouvant survivre qu’au prix d’accords avec la coalition « diversitaire » préemptée par Jean-Luc Mélenchon.

Seul un insensé peut ainsi s’amuser à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’Etat si peu perméable aux assauts des réalités et aux attentes de son peuple indigène est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Macron est ce narcisse esseulé. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur sa démesure égotique, sa négation des obstacles, sa fascination pour la foudre, son attirance pour la transgression, sa jouissance dans le caprice, son mépris des contradicteurs, son plaisir à agiter les peurs, sa propension à se défausser sur les autres ? Comment ne pas s’alarmer de son immaturité d’enfant-roi qui, pareil au jeune Abdallah de Tintin, jette ses pétards et trépigne d’être contrarié. Bref, comment ne pas se demander si Macron tourne rond ? C’est le Figaro Magazine qui, le 14 juin, pose directement la question au roi sans divertissement : « – Que répondez-vous à ceux qui disent ça ? Etes-vous fou, comme ils le prétendent ? -Non, pas du tout, je vous le confirme, je ne pense qu’à la France. C’était la bonne décision, dans l’intérêt du pays. Et je dis aux Français : n’ayez pas peur, aller voter ».

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Mais de quoi les Français auraient-il peur, sinon des foucades d’un personnage de roman qui s’ennuie d’attendre son destin ?

À dire vrai, Macron n’est pas le seul à avoir perdu la tête. Certes, il n’a jamais voulu entendre l’exaspération des Oubliés qui ébranlent le vieux monde politique. « Je ne sens pas la colère », déclare-t-il en 2018 à la veille de la fronde anti-parisienne des gilets jaunes, puis en 2023 alors que les agriculteurs ruent dans les brancards. C’est en province que la révolution du réel s’est échauffée. Cependant, ce président déphasé est aussi le produit de la crise de la politique, victime des idéologies bavardes et hors-sol. Les « élites » sont contestées pour avoir montré un même dérèglement intellectuel, incompatible avec le bon sens des Français ordinaires.


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Le désordre ou l’alternance

Institutions. Que l’on ait voté, ou pas, pour les candidats du Rassemblement national, il faut reconnaitre que seule une majorité de « l’union des droites » à l’Assemblée nous éviterait la chienlit. Sans elle, Bardella a dit qu’il n’irait pas à Matignon… Mais, le RN devra aussi prendre un virage « post-populiste » et s’assumer « national conservateur » pour que la situation politique de la France ne reste pas bloquée.


Les résultats du premier tour des élections législatives n’offrent qu’un débouché politique limité. En réalité, deux choix, et deux choix seulement, restent possibles.

Le premier est sans aucun doute le pire. C’est celui que le président de la République et au moins une partie de sa majorité essaient de vendre au pays, depuis l’annonce désastreuse de la dissolution. Emmanuel Macron voulait l’élargissement de sa majorité. Il estimait que celui-ci n’était plus possible à froid, par le jeu régulier du dialogue parlementaire. Il a voulu le réaliser à chaud, à l’occasion d’un scrutin qu’il pensait décisif.

La confiance absolue que le président a en lui l’a empêché de s’assurer que le coup était jouable, et que ses éventuels partenaires, au PS ou à LR, étaient prêts à le suivre. Il a même refusé d’entendre tous les signaux qui lui disaient le contraire, à commencer par le refus poli, exprimé dès avant le résultat des Européennes, par Gérard Larcher. La main était trop faible, le bluff trop voyant : la partie de poker est perdue. Mais, depuis dimanche soir, alors que les jeux sont faits, la macronie s’acharne et tente de convaincre qu’une majorité centrale est encore possible et qu’elle est souhaitable… Elle n’est toutefois ni l’une, ni l’autre, pour au moins trois raisons.

Trois mauvaises raisons de mettre en place une grande coalition au centre

La première est arithmétique : le compte n’y est pas. En calculant le plus largement possible et en incluant les trois partenaires potentiels, c’est-à-dire toute la gauche à l’exclusion de LFI, le courant macroniste, dans ces différentes variations, et les Républicains « canal historique », amputés de l’aile ciottiste, on obtient moins de 250 députés. On est ainsi très loin de la majorité absolue de 289 sièges, et même très en deçà de la majorité relative sortante et difficilement gouvernable, qui s’élevait à 283 députés. En réalité, le résultat n’aurait pu être atteint qu’à une condition : si la majorité sortante s’était renforcée ; or, c’est le contraire qui s’est produit, et la macronie sort laminée du scrutin.

La seconde raison est davantage politique, au sens à la fois tactique et programmatique que ce terme induit. De cette alliance improbable, personne ne veut et surtout pas la gauche social-démocrate qui, malgré le bon score de Raphaël Glucksmann aux Européennes, est allée se jeter dans les bras de la France Insoumise, sans même respecter un délai de décence élémentaire. On peut gloser à l’infini sur les motivations de l’acte, qui se situent probablement quelque part entre le réflexe d’union conditionné par des cultures politiques de longue durée et l’attirance irrépressible pour la mangeoire. Quoi qu’il en soit, on voit mal aujourd’hui le PS, les Verts et le PCF rompre un programme commun signé l’avant-veille et jeter aux orties le Nouveau Front populaire. Quant au fond, il n’y en a pas et les hypothétiques partenaires ne sont d’accord sur aucun des grands dossiers nationaux (ni sur le nucléaire, ni sur les retraites, ni sur l’assurance chômage, ni sur la fiscalité, ni sur l’immigration, ni sur la sécurité…) Seuls l’attachement à l’Union européenne et l’attitude vis-à-vis de la Russie pourraient fournir un terrain de rapprochement (à condition d’exclure le PCF), mais on concédera qu’il est mince.

La troisième raison est sans doute la plus importante. Une telle alliance (si, malgré tous les obstacles, elle venait à se réaliser) aurait des effets délétères pour les institutions démocratiques. Les citoyens y verraient, non sans raison, une preuve de l’insincérité, voire du cynisme, des élites dirigeantes. Ils la considéreraient surtout comme un tour de passe-passe destiné à escamoter la volonté d’un peuple qui continue de penser mal, moins de 20 ans après le désastreux précédent du référendum sur la constitution européenne. La situation serait d’autant plus grave qu’elle se greffe sur un contexte déjà chargé, fait de défiance envers les élus, de fracturation de la société et de moindres performances économiques. Et surtout de violences ! Car, et il s’agit là d’un phénomène nouveau, grave et probablement sous-estimé dans l’histoire longue de France d’après 1945, avec les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et les émeutes urbaines de juin 2023, la violence est redevenue un moyen d’expression politique récurent et presque banalisé. Les incertitudes à venir ne feraient que renforcer cette tendance.

Macron entend organiser le désordre

Tout cela, le président de la République le sait. Pourquoi alors agit-il de la sorte et que recherche-t-il vraiment ? Une majorité étendue et nouvelle ? Sans doute pas, tant elle semble lointaine. Un front du refus visant à isoler le RN ? Mais outre qu’il faudrait alors l’étendre à la France Insoumise (ce qu’Emmanuel Macron a explicitement rejeté le mercredi 3 juillet, mais ce que certains de ses partisans revendiquent et pratiquent par le biais des désistements) il ne s’agirait qu’une formule négative, incapable de prendre la moindre décision. En réalité, il est très probable que le chef de l’État estime pouvoir tirer son épingle du jeu avec une chambre ingouvernable et maintenir l’essentiel de ses prérogatives en organisant le désordre. Il envisage sans doute avec bonheur la constitution d’un gouvernement de techniciens à la recherche constante de majorités changeantes et d’équilibres instables. On pariera davantage sur son hybris que sur sa vista politique. Mais au-delà des interprétations psychologisantes, la situation qui en résulterait marquerait un retour à des jeux partidaires en circuits fermés, empêcherait le peuple de choisir souverainement sa majorité et sa politique et constituerait de ce fait une rupture majeure avec l’un des principaux acquis de la Ve République.

Que reste-il alors comme solution ? Ni plus ni moins qu’un gouvernement Bardella. La formule comporte un risque et génère une opportunité.

Le risque est limité. Le Rassemblement national n’est pas le Front National. Il n’est pas la dernière émanation du nationalisme français, ce courant politique né à la fin du XIXe siècle dans le traumatisme de la défaite de 1870, nourri pas l’aventure boulangiste, structuré sous l’Affaire Dreyfus, rallié à l’Union sacrée, connaissant son apogée durant l’entre-deux-guerres, soutenant, dans ses appareils politiques, notamment l’Action Française, le régime de Vichy et la collaboration (mais il y avait aussi des nationalistes, y compris issus de l’Action française, dans la Résistance), discrédité à la Libération, reprenant un peu d’oxygène pendant la guerre d’Algérie, unifié par Le Pen au début des années 1970 et porté par lui, dans un contexte de crise économique et sociale, jusqu’à moins de 20% de l’électorat. Ce courant, avec ces caractéristiques principales, son antisémitisme, son antiparlementarisme, son usage de la violence, fût-elle verbale, dans le champ politique, est mort, ou plutôt, pour reprendre un mot à la mode, il est « résiduel ». Qu’il reste des nationalistes au RN, c’est probable et on ne peut que le déplorer. Que ce parti comporte son lot d’énergumènes, c’est évident (mais au moins ne met-il pas au premier rang des individus que le 7 octobre fait rire à gorge déployée ou qui manient allègrement la barre de fer). Demeure l’évidence : Marine Le Pen a rompu avec son père, avec son discours, avec ses références. Certains n’y voient qu’une dissimulation tactique. C’est instituer la méfiance en système, récuser toute bonne foi et rendre ainsi impossible le débat démocratique. Et quand bien même une partie de son programme pourrait susciter l’inquiétude, le Premier ministre n’a pas tous les pouvoirs, surtout en période de cohabitation. Des forces de contrôle ou de rappel existent, au niveau national comme européen.

L’interrogation concernant le RN ne porte donc pas sur ce qu’il n’est pas (nationaliste ou d’extrême-droite) mais sur ce qu’il est. Cette élection imposée doit en effet être l’occasion d’une clarification programmatique à chaud. Là se situe l’opportunité et, pour le RN, elle se résume en un mot probablement difficile à entendre pour Marine Le Pen : la « melonisation ». Pour vaincre et surtout pour gouverner, le RN doit s’inspirer de la recette italienne et accommoder à sa façon ses quatre principaux ingrédients : une alliance en bonne et due forme avec la droite modérée ; l’acceptation franche de l’Union européenne, quitte à en infléchir le cours ; un programme économique et social libéral (l’une des premières décisions de Giorgia Meloni a été la suppression de l’équivalent italien du RSA) ; l’engagement dans le camp occidental. En résumé, le RN doit cesser d’être un parti populiste ou attrape-tout, en capitalisant sur les peurs et les colères, pour devenir un parti « post-populiste » (Muzergues, Baverez[1]) ou mieux encore un parti « national-conservateur » (Giovanni Orsina).

Cet aggiornamento, Jordan Bardella a commencé à le mener (c’est peut-être une des raisons de sa popularité). Il a infléchi la ligne du parti sur les retraites, mis de l’eau dans son vin budgétaire, dénoncé la « menace multidimensionnelle » que représente la Russie pour la France et pour l’Europe. Il doit, avec Marine Le Pen, aller plus loin dans ce sens. Tout l’enjeu des mois à venir, au gouvernement ou dans l’opposition, sera d’affirmer cette ligne sans se couper des catégories populaires et notamment les actifs modestes et moyens qui constituent les bases de son électorat. Sans rien éluder de la difficulté de l’exercice, on notera simplement qu’il a toujours existé des ouvriers « de droite » (qui votaient par exemple gaulliste dans les années 1960) et qu’à l’occasion de ces élections européennes et législatives, le RN a réussi (c’est un des grands enseignements du scrutin) a élargir sa base électorale et à gagner même des catégories qui lui était traditionnellement hostiles.

C’est en tout cas à ces conditions que pourra être rétabli un clivage droite-gauche modernisé, que pourra renaître la possibilité de l’alternance, c’est-à-dire le fonctionnement normal de la démocratie et, accessoirement, que pourra enfin être créé dans ce pays un grand parti conservateur et populaire.


[1] Postpopulisme: La nouvelle vague qui va secouer l’Occident, L’Observatoire, 2024

Pas tous si cons ces candidats RN…

Les médias relèvent depuis plusieurs jours le passé sulfureux ou les perles embarrassantes de candidats RN incapables de répondre à des questions basiques sur leur programme. Pour un panorama plus varié (et honnête), nous sommes allés à la rencontre d’auteurs, historiens, ex-magistrats et intellectuels candidats dans leur circonscription.


Ils écrivent, ils pensent et ont aussi les mains sales. Habitués au commentaire de l’actualité, à l’étude des mouvements d’opinion ou à l’histoire parlementaire, certains intellectuels et auteurs ont délaissé le temps d’une campagne la théorie de la politique pour sa pratique. Candidats pour les législatives de 2024, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet sont d’abord connus dans leur domaine de spécialité. Le premier est ex-magistrat et a écrit des livres remarqués sur les fraudes fiscales et sociales. Le second est sondeur et ancien directeur de l’institut CSA. Il a notamment analysé dans Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme la constitution en France d’un vote de classe. Le troisième est historien et universitaire, déjà auteur de plusieurs livres dont une biographie de l’impératrice Eugénie et un essai historique en défense du règne de Napoléon III. Ils ont en commun de posséder une certaine légitimité intellectuelle. Ils n’ont cependant jamais été éloignés du monde politique. Maxime Michelet a travaillé auprès d’Éric Ciotti comme conseiller aux discours, quand Jérôme Sainte-Marie dirige l’institut Héméra, chargé d’assurer la formation des cadres du RN. Charles Prats, a lui longtemps bataillé du côté du RPR et de l’UDI.

Racines familiales plutôt que parachutages

Tous se présentent dans une circonscription ultra-périphérique : M. Michelet est candidat dans la 3e circonscription de la Marne, Charles Prats dans la 6e de Haute-Savoie et Jérôme Sainte-Marie dans la 1e des Hautes-Alpes. Leur candidature effraie déjà la faune politique locale qui dénonce ces « parachutés ». Un argument qu’ils n’ont aucun mal à balayer : « C’est le seul et unique argument de mon adversaire. Démagogie de bas étage ! J’ai quitté la Champagne pour Paris en suivant le système méritocratique républicain et poursuivi mes études en khâgne à Henri IV » se défend Maxime Michelet. Charles Prats est plus ironique : « Je ne suis pas parachutiste, je suis pilote d’avion. Et un pilote, il n’a aucune raison de sauter en parachute d’un avion qu’il aime bien ! » Jérôme Sainte-Marie, lui, ne quitte jamais l’analyse : « Parler de parachutage évite d’assumer les positions peu consensuelles du programme du Front populaire ».

La faiblesse de l’argument traduit aussi une fébrilité. S’ils sont aperçus à Paris dans les médias, les candidats sont bien du cru. Jérôme Sainte-Marie réside à l’année avec sa famille dans sa circonscription. Charles Prats y est né, y possède sa maison, s’y est marié et y a toute sa famille. Loin des caricatures d’énarques parachutés par leur parti sur un territoire qu’ils découvrent à leur arrivée, certains ressembleraient presque à ces ducs de cour que la comtesse de Ségur portraiture dans ses romans et qui se partageaient entre intrigues politiques dans leur hôtel particulier et retraites passées à surveiller la moisson au milieu des anciennes gens et métayers…

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S’ils connaissent le terrain, ils doivent aussi assurer l’intendance d’une campagne. « Je fais moi-même ma colle, colle moi-même mes affiches… L’expérience d’années de militantisme à l’UNI (le syndicat étudiant classé à droite NDLR) et au RPR », assure Charles Prats, qui doit aussi ménager les inévitables cancans politiques provinciaux : « On boit des verres avec les maires et sénateurs sans pouvoir l’afficher sur internet. Ils sont officiellement du camp d’en face ». « Beaucoup reste à faire, le maillage militant n’est pas encore très fort dans la circonscription qui est très vaste », nous confie Jérôme Sainte-Marie qui roule sans freiner dans sa large circonscription rurale. Intellectuel, législateur, militant, auxiliaire de vie, un député se doit d’être couteau suisse. Au fil des ans, l’élu est en effet devenu une assistante sociale qui recueille sur rendez-vous les doléances des électeurs. Tiendront-ils permanence ? « Bien sûr !  J’aime les gens, leurs problèmes, leurs histoires… Sinon je n’aurais pas fait magistrat. J’ai fait plein de rendez-vous avec des électeurs que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam mais j’ai écouté » s’enflamme Charles Prats.

Le savant et le politique

Reste que la conduite d’une campagne change un peu des plateaux TV et des maisons d’édition. Pour attirer le chaland, il faut savoir être concret. Max Weber dissociait dans un ouvrage fondateur le savant du politique : le premier a pour objet la recherche désintéressée et austère de la vérité, quand le second est d’abord un homme d’action. Sur le terrain, nos trois candidats parviennent finalement à bien accorder ces deux dimensions. Maxime Michelet assure sans corporatisme que : « les historiens ont un rôle citoyen vis-à-vis de la mémoire. Ils portent un message mémoriel pour que les Français puissent comprendre d’où ils viennent, quelle est leur identité et où ils veulent aller ». Jérôme Sainte-Marie reprend sur le terrain sa théorie des blocs : « Les campagnes dépendent des territoires où l’on se présente. Aujourd’hui, je dois insister sur la nécessité de renouer avec une économie productive. Ce discours est entendu des chefs d’entreprise, des artisans et des agriculteurs ».

Les scores du premier tour sont encourageants mais ne garantissent pas toujours une élection dimanche. Avec 43.83% contre 31.93% pour son adversaire d’Ensemble, Maxime Michelet aborde le second tour en position très favorable.  A 38.42% contre 30.47 % pour son adversaire socialiste, Jérôme Sainte-Marie bénéficie d’une certaine avance, mais devra compter sur quelques reports d’électeurs de la majorité. Avec 36.41% contre 34.68% pour son adversaire marconiste, Charles Prats jouera son siège à quitte ou double.

On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. À l’Université, dans les médias, dans l’édition… leur situation était pourtant acquise. Pourquoi alors s’engager en politique au Rassemblement national où il n’y a que des coups à prendre ? Pour Jérôme Sainte-Marie, les constats politiques pessimistes ne suffisaient plus : « J’ai toujours eu une grande préoccupation dans mes travaux pour la situation des classes populaires tout en les accordant à la nation. Cette deuxième dimension m’a semblé prioritaire au fil des ans et il y a vraiment urgence à relever la France ». Entreprenant, Charles Prats fait la liste des lois qu’il aimerait porter pour son territoire et pour la France : fermeture d’un incinérateur, promotion d’une zone industrielle. Maxime Michelet fend un peu l’armure et n’hésite pas à convoquer son imaginaire d’historien : « Les moments historiques sont souvent des moments de césure. Quand un homme d’État comprend la nécessité de l’instant et pose un acte de césure. C’est un peu ce qu’a fait Éric Ciotti en permettant l’union des droites et en mettant fin à 30 ans de piège mitterrandien ». Dans la future Assemblée nationale, le RN pourrait compter sur ces hommes de dossiers, redoutables débateurs dont le calibre intellectuel n’aura rien à envier aux élus de la start up nations marconistes ou aux apparatchiks du Nouveau Front populaire.

À la guerre culturelle comme à la guerre : la conquête du pouvoir restera une guerre des idées.

Populiste, la dernière injure à la mode

La dernière tribune de notre bien-aimé chroniqueur lui a valu quelques tombereaux d’injures. « Fasciste », « extrême-droite », « bien digne de Causeur, torchon infâme inféodé à Israël », — et « populiste ». Cette dernière apostrophe l’a amusé, en ce qu’elle témoigne d’un retournement des valeurs bien dignes de notre époque orwellienne, où la gauche auto-proclamée adopte les positions de Big Brother : « L’Ignorance, c’est la Force », et « la Liberté, c’est l’Esclavage ».


« Populiste ! » Le mot est lâché avec une telle vigueur, il est censé me souffleter avec une telle force, que me voici bien obligé de rappeler aux incultes qui votent Mélenchon l’origine et le destin de ce mot.

Il apparaît en 1912 pour désigner des mouvements politiques russes. Il désigne les narodniki, partisans d’une révolution agraire, et il est alors peu ou prou synonyme de « socialiste ». Ce qui d’ores et déjà suggère un grand écart sémantique inouï pour arriver au sens moderne, où depuis les années 1980, il désigne le discours de droite censé séduire le peuple en flattant ses plus bas instincts — la xénophobie et la haine des castes intellectuello-parisiennes qui pensent, elles, paraît-il…
Étant entendu que la phrase précédente est pour lesdites castes, qui aimeraient bien confisquer le discours politique, un exemple frappant de populisme…

Plumes populistes d’autrefois

Je rappellerai pour mémoire à ces mêmes intellectuels, qui, pauvres chéris, ne peuvent tout savoir, qu’un Prix du roman populiste est fondé en 1931 pour récompenser une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité » — « le peuple plus le style ». Ma foi, cela m’agrée. Seront lauréats du Prix populiste Eugène Dabit (vous vous rappelez, Hôtel du Nord…), Jules Romains, Louis Guilloux, René Fallet ou Jean-Paul Sartre (pour La Nausée, et le philosophe-romancier l’accepta, lui qui trente années plus tard refuserait le Nobel). Des gens éminemment fréquentables.

Mais aujourd’hui, le peuple soi-disant parle par la plume d’Edouard Louis et d’Annie Ernaux, ces phares de la nullité littéraire.

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Il faut l’arrivée de la gauche caviar au pouvoir pour que le peuple perde de son aura : Mitterrand avait été élu avec des voix ouvrières, il s’en détacha très vite, avant que ses successeurs, sous l’influence des penseurs de Terra Nova (à qui le peuple devrait demander des comptes) le récuse et lui préfère les « nouveaux prolétaires » — i.e. les immigrés : d’ailleurs, ce sont eux qui ont assuré, dans les arrondissements maghrébins de Marseille et ailleurs, des élections de maréchaux à des Insoumis pas du tout antisémites… Le vrai populisme moderne, il est là, dans les promesses creuses et les éructations d’un vieux lambertiste éculé.

Alors, oui, je suis populiste : fils de personne élevé dans les Quartiers nord de Marseille, je me bats pour le peuple — afin que le peuple reconquière ses anciens pouvoirs. Je ne relaie ni les conversations de bistro (supposées stupides par des bobos qui blablatent dans des dîners en ville et autres pince-fesses parisiens), ni les rumeurs des stades. Juste la colère des petits, des obscurs, des sans-grades, ceux qui ont été privés de parole depuis quarante ans, et qui votent pour protester contre le mépris et la mainmise des hautes castes sur le pays tout entier.

Le peuple demande des comptes

Je ne prête au RN ni des capacités particulières, ni des idées révolutionnaires ; c’est au peuple, au peuple seul d’imposer ses idées. C’est au peuple de former des comités de salut public, qui expliqueront aux juges qu’on ne laisse pas en liberté des multi-récidivistes, et à la police qu’on arrête et qu’on expulse des gens en position d’OQTF, au lieu de les laisser perpétrer des attentats. Qui pèseront sur certains enseignants pour qu’ils apprennent à nouveau à leurs enfants la langue et les mathématiques, l’histoire et la géographie françaises — et qui demanderont des comptes, là aussi, à ceux qui depuis qu’ils se sont infiltrés grâce à Jospin, Meirieu, Lang, Vallaud-Belkacem et les autres, et ont organisé la classe de façon à ce que les gosses nés dans le ghetto y restent. Qui forceront les immigrés récalcitrants à s’intégrer — ou à partir. Et qui décideront des lois, directement — par le peuple et pour le peuple, comme disait Lincoln à Gettysburg.

Soleil noir

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Victoire des Travaillistes à Londres: la fin du populisme?

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Le nouveau Premier ministre britannique, Keir Starmer, arrive au 10 Downing Street accompagné de sa femme Victoria, Londres, 5 juillet 2024 © UPI/Newscom/SIPA

Tout le monde parle de la grande victoire des Travaillistes de Sir Keir Starmer, un homme supposément modéré qui a réussi à purger et discipliner l’aile extrême-gauche de son parti. Un homme modéré qui, en battant comme plâtre les Conservateurs, serait parvenu à mettre fin à la parenthèse populiste qui a suivi le vote en faveur du Brexit. Mais est-il vraiment si modéré ? Et peut-on dire que le populisme est fini, quand Nigel Farage est élu pour la première fois au Parlement de son pays ?


Après des mois de suspense – non pas quant au résultat des élections britanniques, mais concernant l’étendue du désastre pour le Parti conservateur – on connait enfin le résultat. Les Travaillistes finissent avec quelque 412 sièges et les Conservateurs en sont réduits à 122. Pour ces derniers, c’est un peu moins catastrophique que ce qui était prévu par certains sondages qui leur donnaient une soixantaine de sièges, faisant des Libéraux-démocrates l’opposition officielle à la Chambre des Communes. Pourtant, comme consolation, c’est bien maigre. Les Lib-dem ont quand même 71 sièges, plus que la moitié des Conservateurs, tandis que le parti de Nigel Farage, Reform UK, décroche cinq sièges, dont celui de son leader bouillonnant. Quand ce dernier a décidé au dernier moment, le 3 juin, de se lancer dans la course en se présentant dans la circonscription balnéaire défavorisée de Clacton, le sort des Conservateurs était définitivement scellé. En divisant le vote de la droite, la participation aux élections des candidats de Reform, inspirés par la faconde démagogique de leur chef, a permis aux Travaillistes d’emporter une victoire encore plus écrasante.

Un raz de marée sans enthousiasme

Pour bien marquer la fin des quatorze dernières années de gouvernement conservateur, de nombreux dirigeants du Parti ont perdu leur siège, comme l’ex-Première ministre, Liz Truss, ou le grand partisan du Brexit, Jacob Rees-Mogg. Les sièges des anciens locataires du 10 Downing Street, David Cameron et Boris Johnson, occupés par d’autres élus conservateurs après le départ des deux chefs, sont tombés entre les mains de leurs adversaires. Il est évident que la motivation première de l’électorat était de punir les Conservateurs qui monopolisaient le pouvoir depuis longtemps sans tenir la plupart des promesses téméraires qu’ils avaient faites à chaque élection. Peut-on dire pour autant que le raz de marée travailliste était proportionnel à l’enthousiasme ressenti par les Britanniques à l’égard de Sir Keir Starmer, son programme et ses équipes ? Que nenni ! Le taux de participation a été un des plus bas jamais enregistrés. Quoique finissant avec presque les deux tiers des sièges de la Chambre des Communes, le Parti travailliste n’a engrangé que 35% du vote populaire. C’est un point de moins que Corbyn en 2019 et cinq de moins que le même en 2017. Le système électoral britannique est tel que, selon les années et la répartition géographique des circonscriptions, un certain pourcentage du vote peut se traduire en plus ou moins de sièges. Cette année, les 35% de Starmer lui ont permis de gagner le gros lot. A part le Parti conservateur, il y a un autre grand perdant : le parti des Nationalistes écossais, réduits de 48 sièges à 9 au Parlement de Westminster (ils restent au pouvoir à Édimbourg jusqu’en 2026). Dominés eux aussi par les Travaillistes, leurs espoirs de voir un référendum sur l’indépendance de l’Écosse avant la fin de la présente décennie se sont évaporés comme le brouillard sur les collines des Highlands.

Le populisme botté en touche ?

La défaite des Conservateurs est-elle imputable au Brexit ? C’est ce que veulent croire de nombreux commentateurs français. Car en France on a besoin de mettre tout ce qui va mal au Royaume Uni sur le compte du Brexit qui constitue comme le péché originel du populisme en Europe. Le hic, c’est que cette interprétation, étant le produit d’un fantasme, est fantaisiste. Ce n’est pas le Brexit qui a vidé les caisses de l’État outre-Manche, mais les sommes faramineuses (selon les chiffres officiels, entre 370 et 485 milliards d’euros) dépensées pendant le Covid. L’inflation galopante qui a suivi la guerre en Ukraine a définitivement ruiné les chances qu’avait le gouvernement conservateur, à une époque, de mener à bien son projet de « levelling up » (« nivellement par le haut »). L’objectif en était de redynamiser les régions défavorisées en investissant massivement dans leurs infrastructures et dans la requalification de leurs populations.

Si la sortie de l’UE a joué un rôle dans le crépuscule de la bonne étoile des Conservateurs, ainsi que dans leur défaite finale, c’est dans la mesure où le Brexit représentait une ambition impossible à réaliser. Car la promesse du Brexit cachait une contradiction fondamentale. Les politiques et intellectuels qui ont promu l’idée de quitter l’UE voulaient plus de mondialisation. Ils cherchaient à se libérer de la tutelle de Bruxelles dans le fol espoir de conclure encore plus d’accords commerciaux avec toujours plus de partenaires à travers la planète. En revanche, les électeurs qui ont voté pour le Brexit voulaient plus de mesures protectionnistes. Ils voulaient être à l’abri de la concurrence internationale. Ils appelaient de leurs vœux le retour de l’industrie dans ces régions aujourd’hui désertiques mais qui, autrefois, avaient constitué le cœur battant de la Révolution industrielle. Après le Brexit, le gouvernement de Boris Johnson a certes réussi à conclure des accords commerciaux mais seulement avec les partenaires avec lesquels le Royaume Uni avait déjà eu des accords à travers l’UE. Et puis les fonds qu’il voulait investir dans les régions ont été engloutis par la pandémie et l’inflation.

Arrivant après le départ humiliant de Johnson suivi de celui de Liz Truss, le brave et peu charismatique Rishi Sunak avait juste assez de marge de manœuvre pour ramener l’inflation à un niveau raisonnable. Quant à l’immigration, Johnson avait abandonné toute ambition chiffrée de réduire le nombre des personnes arrivant au Royaume Uni par des voies légales. Il croyait qu’une politique d’immigration choisie permettrait de ne recruter à l’étranger que des travailleurs hautement qualifiés qui ne constitueraient pas une source de compétition pour les ouvriers britanniques non ou peu qualifiés. La politique a échoué tout comme celle que Nicolas Sarkozy avait adoptée entre 2007 et 2012. Sunak a donc choisi de se focaliser sur les migrants illégaux arrivant par la Manche. Il a investi tous ses espoirs dans sa politique d’expulsion vers le Rwanda dont la promulgation a drainé une grande partie de l’effort législatif de son gouvernement et dont la mise en ouvre est arrivée beaucoup trop tard pour le sauver. Aujourd’hui, Starmer, qui a toujours dénoncé ces politiques comme racistes et irréalisables, parle vaguement de réduire l’immigration clandestine – car une partie de son électorat le réclame – mais ne propose pas de nouvelles mesures pour le faire. Il se drape dans le discours vertueux de l’antiraciste surtout pour prendre ses distances par rapport à ces années où le conservatisme régnait en maître.

Mais si Starmer croit avoir dompté les velléités populistes des Conservateurs, il a pu le faire grâce, en partie, au retour en politique de Farage qui, lui, incarne tous les vices idéologiques que les Travaillistes détestent. Certes, le Brexit n’a joué aucun rôle dans la campagne électorale. Il n’a fait l’objet d’aucun débat. Il est désormais relégué au passé par tout le monde. Mais Farage lui-même n’en a plus besoin. Il continue à prôner les valeurs populistes mais sans le Brexit. Ces valeurs sont : la maîtrise des frontières ; des baisses d’impôts ; l’importance de l’ordre public ; et la nécessité d’éradiquer l’influence néfaste du wokisme dans les institutions publiques. C’est ici que, pour qui regarde de près les propositions du parti travailliste, Starmer laisse voir un côté beaucoup moins modéré. Car il est probable que son nouveau gouvernement renforce la législation existante contre la discrimination raciale afin de sanctionner le racisme « systémique ». Ce dernier représente une forme de préjugé qui serait partout présent mais nulle part visible. Une personne qui prétend en être victime n’aura même pas besoin d’apporter des preuves tangibles et spécifiques de l’injustice dont il se plaint. En outre, tout l’ensemble des concepts tels que le « privilège blanc » et la « culpabilité des Blancs » sera intégré aux programmes scolaires. Or, on peut de nos jours définir le populisme comme l’opposition au wokisme. On peut même aller jusqu’à dire que le wokisme, c’est le populisme de l’extrême-gauche. La conclusion qui s’impose, c’est que Starmer, loin d’avoir éliminé le populisme de droite, que Farage continuer à porter haut, assume des aspects importants de ce populisme de gauche.

L’aporie du purisme idéologique

Inévitablement, dans leur défaite, les Conservateurs parlent, non seulement de choisir un nouveau leader, mais aussi de redéfinir le conservatisme, prétendant que, au cours de ces 14 années, ils ont perdu de vue leurs valeurs essentielles. Pour beaucoup, il faut mettre le curseur plus à droite, en adoptant les valeurs prônées par Farage et Reform. Pour d’autres, il faut revenir aux purs principes libéraux du thatchérisme ou de Friedrich von Hayek. D’autres encore n’ont pas oublié le « conservatisme compassionnel » que David Cameron avait prôné, même à une époque où il était contraint d’imposer à son pays un programme d’austérité économique. A part l’impression de confusion donnée par toutes ces voix qui prétendent parler au nom du conservatisme le plus pur, la question fondamentale est simple : les Conservateurs peuvent-ils, doivent-ils fusionner avec le Reform de Farage ? Ce dernier semble avoir donné sa réponse. En faisant campagne contre les Conservateurs, il a lancé une OPA hostile sur un parti qui, après 2016, l’a déçu à répétition. Le Parti conservateur s’est effectivement présenté comme en lui-même une coalition réunissant le centre-droit et la droite de la droite (comme un mélange de LR et RN). Cette coalition n’a jamais vraiment eu le courage de ses convictions.

De toute façon, le vrai problème des Conservateurs n’est pas celui de la définition du conservatisme. Ce dernier, comme toutes les idéologies politiques, est nourri par de multiples courants qui apportent chacun un élément utile et fécond selon les situations. Le vrai problème des Conservateurs est plutôt celui de savoir comment gouverner à notre époque. Les politiques semblent perdus dans le dédale créé par la complexité de la mondialisation, par la volatilité de l’opinion publique s’exprimant sur les réseaux sociaux, ainsi que par la multiplicité des règles et des procédures qui caractérisent le fonctionnement de l’État moderne et qui paralysent trop souvent l’action des élus. Johnson, Truss, Sunak… autant de leaders prétendant conduire leurs concitoyens à travers un labyrinthe dans lequel ils sont eux-mêmes perdus. Et comme on le verra très vite, Starmer en est un autre.

Surveiller et punir

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Sidse Babett Knudsen, "Sons" de Gustav Möller (2024) © Nikolaj Moeller /Les films du losange

Mais qui est donc ce prisonnier de la cellule 17 ? vous demanderez vous un petit moment au visionnage du nouveau film de Gustav Möller (The Guilty)…


Le film dure déjà depuis une bonne demi-heure lorsque le spectateur, captivé dès la première image, commence à entrevoir ce qui se joue dans la cervelle d’Eva, cette gardienne de prison paradoxalement maternelle et glaçante, secourable et opaque, bizarrement troublée par l’arrivée d’un jeune détenu, menottes aux poignets, dont la pâleur nordique et le visage glabre contraste avec la bigarrure majoritairement exogène de la population carcérale – en cela la réalité danoise n’est pas sans en rappeler une autre, géographiquement plus familière…  

Le garçon – faciès à la dureté inquiétante, anatomie intégralement maculée de tatouages – intègre illico le quartier de haute sécurité, réservé aux criminels « présumés » dangereux, comme on dit. Eva invente bientôt auprès du directeur de l’établissement un prétexte pour y demander son transfert. Le captif de la cellule 17 concentre alors toute son attention, de façon obsessionnelle – on comprendra bientôt pourquoi.

Entre Mikkel, le récidiviste criminel en longue détention et Eva, geôlière elle-même captive en quelque sorte de l’espace carcéral (on ne saura rien de sa vie « hors les murs ») va se nouer un rapport de pouvoir et de sujétion réciproque à la fois subtil, équivoque et tragique, où les pulsions sadiques le disputent aux effluves de l’empathie, où le désir de vengeance se confronte à la tentation de pardonner.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: «Le Comte de Monte-Cristo»: un malheur de plus pour Alexandre Dumas

Le psychodrame met ainsi face à face une mère et l’assassin de son fils – d’où le titre, Sons, (mais pourquoi cette manie des titres en anglais, a fortiori s’agissant d’un film suédois, qui n’aurait pas démérité à se nommer Fils, tout simplement, pour la distribution française. Passons.) Tourment inexpugnable, la culpabilité habite ces deux génitrices vis-à-vis du destin de leur enfant respectif, qu’elles n’ont pas su élever autrement que de façon toxique. Sons confronte également le meurtrier psychopathe à sa propre mère, d’abord au parloir, puis dans le cadre d’une permission de visite sous haute surveillance obtenue par Eva pour son « protégé », épisode qui tourne très mal… et détermine le dénouement du film.  

Coscénarisé par Emil Nygaard Albertsen et le cinéaste suédois implanté au Danemark Gustav Möller, Sons ménage des rebondissements qui, jamais gratuits ou intempestifs, s’appuient sur une profonde véracité psychologique, conjuguée à un sens du rythme et à une maîtrise du récit remarquables. (Rappelons au passage que le premier « long » de Gustav Möller, The Guilty ( 2018), a été gratifié trois ans plus tard d’un remake sous bannière U.S., avec Jake Gyllenhall, pompage qu’on peut visionner sur Netflix – mais pas l’original, hélas, pourtant beaucoup mieux inspiré). 

Sur Sons, n’en disons pas plus, histoire de ne pas déflorer la teneur de ce second film exceptionnel, tenu d’un bout à l’autre par la présence en continu, de part en part magistrale, de la comédienne Sidse Babett Knudsen dans le rôle d’ Eva,  – pour mémoire, son interprétation géniale de la première ministre Brigitte Nybord dans la série Borgen, visible sur Arte.fv –  aux côtés du Danois Sebastian Bull, né en 1995, et qui intériorise la sauvagerie de Mikkel, ce fauve en cage, mais aussi sa secrète humanité, avec un don d’appropriation proprement inouï.

Reflet de la rage intérieure des personnages, la bande-son d’un vrombissement sourd court par moments au long ce presque huis-clos, tourné près de Copenhague dans une vraie prison désaffectée, dont le décor réaliste retentit de la fameuse injonction foucaldienne « surveiller et punir », questionnée ici à nouveaux frais avec une intensité peu coutumière au cinéma.

Sons. Film de Gustav Möller. Avec Sidse Babett Knudsen et Sebastian Bull. Danemark, Suède, couleur, 2024.
Durée: 1h40.

À mains nues

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Mains de l'historien Georges Vigarello © Hannah Assouline

Les lecteurs de Causeur connaissent le don d’Hannah Assouline pour fixer le regard des écrivains. Cette exploratrice inlassable de la République des lettres et de l’engeance humaine a découvert il y a quarante ans un autre miroir de l’âme : les mains. Un beau livre nous ouvre, enfin, les portes de sa galerie.


Sans ma chère Hannah Assouline, je ne saurais peut-être pas que les mains parlent. Les yeux miroir de l’âme, le visage comme première perception de l’autre, on en fait quotidiennement l’expérience. Les mains, on a tendance à les oublier – à les invisibiliser dirait-on dans le jargon contemporain.

Depuis quarante ans, Hannah photographie les écrivains avec autant de désir qu’elle les lit. Oui, aussi étrange que cela puisse sembler, avant de voir un auteur, elle le lit, nombre de critiques devraient en prendre de la graine. Les lecteurs de Causeur connaissent son don pour capter les vérités enfouies, les ombres impalpables, les tensions furtives. Peu d’arrière-plan dans ses images, le fracas du monde n’y parvient que par le truchement d’un être singulier, saisi dans le mouvement de la pensée et du corps. Souvent, on sent à une sorte de relâchement, un frisottis de l’œil, qu’elle a fait rire son client avec ses histoires de Parisienne ou d’Orientale – elle est l’une et l’autre.

Explorer la drôle d’engeance humaine, c’est son truc à elle. À commencer par les écrivains bien sûr, c’est sa famille depuis que cette autodidacte est tombée dans les livres. Les visages par évidence. Puis sont venues les mains qui, sous son regard et sous son objectif, ont acquis une vie propre. Dans sa préface, Jérôme Garcin, vieux complice des pérégrinations de la photographe, évoque le saisissant portrait de Philippe Soupault (fondateur du surréalisme avec Breton), réalisé en 1984. « Le jour de leur rencontre dans une maison de retraite parisienne où il devait finir sa vie, elle a eu l’idée géniale de photographier aussi ses mains. » Plus tard, il y a eu ces ouvriers d’une usine de décolletage dans le Jura, un jour pluvieux de novembre. Des hommes exposés à des nuages toxiques. « Elle photographia leurs visages marmoréens et surtout, leurs mains enroulées dans des chiffons noirs et huileux, qui maniaient les vis, les axes, les écrous sortis des machines. Le journal ignora les visages et ne publia que les mains. »

Depuis, elle n’a cessé d’arpenter, appareil au poing, la République des Lettres, ses boulevards les plus fréquentés comme ses allées obscures, demandant à tous les portraiturés de la laisser shooter leurs mains. Et cette collectionneuse de gueules est devenue, observe Garcin, l’« unique anthologiste » des mains d’écrivains.

Sur chaque double-page de ce magnifique ouvrage, un visage, à gauche, dialogue avec des mains, à droite. Curieusement, seul Georges Dumézil a refusé de livrer les siennes, peut-être parce qu’il craignait qu’elles en disent trop. Ces mains qui travaillent, stylo ou pinceau entre les doigts, qui se nouent, se cachent, éludent ou interrogent, révèlent parfois les secrets que le visage voudrait cacher. Et parfois, c’est le contraire.

Difficile, au fil des pages, de ne pas penser que ces 150 portraits représentent les derniers feux de l’âge littéraire et qu’un jour prochain, il n’y aura plus de grands auteurs ni d’Hannah Assouline pour les faire rire le temps d’une image. Si les mains sont l’une des plus éclatantes projections de l’esprit dans le corps, ne deviennent-elles pas inutiles dans un monde où la commande vocale détrône le traitement de texte (ne parlons pas du stylo) et la drague virtuelle, la caresse. Serons-nous encore des hommes quand l’évolution nous aura privés de nos mains ? Peut-être le livre d’Hannah Assouline témoigne-t-il d’un passé déjà révolu. Raison de plus pour se ruer dessus.

Hannah Assouline, Des visages et des mains (préf. Jérôme Garcin), Herscher, 2024

Des visages et des mains: 150 portraits d'écrivains

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Lire, est-ce vivre?

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Peter Handke, dans son jardin à Chaville, le 10/10/2019 / PHOTO: Francois Mori/AP/SIPA / AP22387149_000005

Grâce à Patrick Besson, j’ai pu relever dans Le Point deux définitions très intéressantes de la lecture, par Peter Handke. Le première : « lire à en devenir un sauvage pacifique » et la seconde : « lire, inactivité idéale, supérieure à beaucoup d’activités… »

Si elles m’ont frappé à ce point, cela tient d’abord à ma propre passion de la lecture. J’ai la chance, dans mon existence quotidienne, de pouvoir m’abandonner sans remords ni mauvaise conscience, grâce à une épouse formidable, non seulement à la lecture des quotidiens, des hebdomadaires et à la consultation des sites d’information mais à des lectures en quelque sorte gratuites, non utilitaires, d’ouvrages de pure littérature. Je ne concevrais pas, par exemple, de m’endormir, même très tard, sans avoir parcouru plusieurs pages de mon livre en cours qui est parfois différent, la nuit, de celui qui m’occupe le jour. C’est dire à quel point la lecture m’apparaît tel un besoin, un havre de paix et d’intelligence, un plaisir. Quelqu’un d’autre, grâce à son style, à la fiction qu’il a inventée, vous parle, vous enthousiasme, vous enseigne ou non, c’est selon.

À lire aussi, Yannis Ezziadi: Judith Magre, une vie à jouer

J’aime, dans la première définition de Peter Handke, la description du lecteur comme un « sauvage », comme un être qui se replie sur soi, seul dans son monde fait seulement de sa relation avec le livre qu’il tient, mais « pacifique », puisque sa sauvagerie est exclusivement destinée à à créer le plus de tranquillité possible, d’harmonie et de silence pour lui permettre de jouir de cette innocence absolue qu’est la lecture d’un livre vous enfermant dans son univers et vous laissant avec joie hors du monde.

Sa seconde définition, pour être également fine, en constituant pourtant la lecture comme une superbe inutilité bien supérieure aux mille travaux ordinaires qui sont notre lot, me gêne dans la mesure où elle laisse entendre que lire ne serait pas vivre, ne serait pas agir.

Lire n’est qu’apparemment une activité inutile. Profondément, la lecture est directement reliée à l’existence puisqu’elle irrigue le lecteur d’idées et de sentiments qui l’enrichiront dans la vraie vie, une fois quittée la sphère de l’imaginaire, l’aideront à mieux comprendre autrui, ses forces, ses faiblesses, ses misères ou ses élans.

À lire aussi, Thomas Morales: Alors, on lit quoi cet été ?

Le livre est aussi un formidable gain de temps. Il ne nous dispense évidemment pas d’appréhender le cours de notre destin et d’affronter concrètement, physiquement, les aléas, les hasards auxquels il va nous confronter. La lecture ne nous détourne pas de vivre mais, par exemple quand on plonge dans la géniale Recherche du Temps perdu, elle nous offre un extraordinaire tableau de « la vie réellement vécue » avant que nous appréhendions, ainsi lestés, de manière tangible sa réalité.

La lecture nous prépare à partager l’humanité des autres ou nous fait mieux comprendre la nôtre. Lire, c’est vivre, lire, c’est agir. Quitter un grand livre, c’est comme mourir un peu. En ouvrir un autre, c’est revivre.

Dialogues intérieurs à la périphérie: Notes, 2016-2021 (2024)

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Yohan Pawer: l’influenceur gay droitard qui casse –vraiment– les codes

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Se présentant comme "homo de droite" contre les lobbies LGBT, Yohan Pawer est venu perturber la gay pride avec Mila, à Paris, 29 juin 2024. DR.

Ouvertement homosexuel, Yohan Pawer est un influenceur qui combat la vision progressiste imposée au public par la communauté LGBTQI+. Une voix qui trouve un certain écho parmi les « homos patriotes » de droite. À gauche, on pense qu’il est comme une dinde militant pour Thanksgiving, et des militants radicaux antifas s’en prennent à lui. Rencontre.


Yohan Pawer est un influenceur gay qui défie les stéréotypes qui accompagnent régulièrement la communauté LGBT. Suivi par plus de 40 000 followers sur les réseaux sociaux, il est souvent classé à l’extrême droite. Mais contrairement aux idées reçues, le jeune homme de 29 ans affirme ne pas être un « fils de bourgeois déconnecté du réel » comme on le lui reproche régulièrement. « Je viens d’une famille d’ouvriers et j’ai toujours vécu en banlieue parisienne entourée de cités », explique-t-il. Il évoque même comment son cadre de vie l’a sensibilisé à certaines problématiques, comme l’insécurité et ce qu’il perçoit comme l’islamisation des quartiers. Son adolescence difficile, marquée par les violences subies en raison de son homosexualité, l’a poussé à s’engager politiquement. « C’est très difficile de vivre dans certains quartiers quand on est blanc et homosexuel. Car pour une certaine partie de l’immigration que je dénonce, j’étais l’homme à martyriser, violenter. Je l’ai très vite compris et c’est pour cela que je me suis engagé en politique », nous confie-t-il.

Un collectif inspiré de l’agit prop d’Alice Cordier

Le 28 juin, Yohan Pawer a fondé le collectif Éros avec Jérémy Marquie, chroniqueur sur Radio Courtoisie et TV Libertés. Inspiré par le collectif Nemesis d’Alice Cordier, ce projet, né d’une volonté de regrouper des homos « patriotes » sous un même parapluie, vise à contrer ce qu’il décrit comme des dérives idéologiques. « Le collectif Éros est là pour lutter contre les dérives wokes et LGBT, et permettre à cette majorité silencieuse de s’exprimer », précise-t-il. Durant l’interview, il n’hésite pas à pointer du doigt les revendications de certains militants LGBT, « de la folie sur l’identité de genre à la transidentité qui s’introduit aujourd’hui jusque dans nos écoles pour endoctriner nos enfants, en passant par l’exubérance et les revendications dangereuses de certains militants LGBT comme la GPA qui pose un réel souci d’éthique dans notre société, une immense majorité d’homosexuels aujourd’hui dans notre pays ne se sentent absolument plus représentées par ce courant de pensée totalitaire et nocif » précise-t-il.  Un de ses combats qui l’a fait connaître du public, les spectacles de drag-queens pour enfants, qu’il considère comme dangereux et inappropriés. « Les enfants sont des éponges, ils sont en pleine construction et on cherche à les déconstruire avant même d’être construits », critique-t-il.

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Il nie toute homophobie dont il pourrait être faussement accusé. « Il va de soi que je condamne fermement tous les actes homophobes et transphobes. Mais quand les propagandistes LGBTQI+ jouent avec le feu, faisant des prides de rue dans les cités avec des homosexuel(le)s en laisse et haut en latex, ou quand sur Netflix, on doit nous infliger des propagandes wokes à tout va et à outrance en voulant imposer des choses que beaucoup ne veulent pas voir…, cela agace fortement et beaucoup passent à l’acte » affirme Yohan Pawer. « Le problème avec les LGBTQI+ c’est qu’ils n’ont aucune limite et ne se rendent pas compte des répercussions graves que cela peut avoir sur certains membres de cette communauté. Il ne faut pas oublier qu’ils restent extrêmement minoritaires et que 99% des Français n’approuvent pas leurs dérives. À trop jouer avec le feu, on finit par se brûler », avertit Yohan Pawer.

Minoritaire dans la minorité

Plus de 40% des gays, lesbiennes ou bisexuel(le)s, voteraient pour la droite modérée ou extrême, selon un sondage IFOP daté de juin 2022. « Je ne me range dans aucune case. LGBTQI+ ne sont que des lettres et moi, je ne suis pas une lettre », s’irrite Yohan Pawer. Selon lui, de nombreux homosexuel(le)s ne se sentent plus représenté (e)s par cette mouvance. « J’ai conscience que je fais partie d’une minorité, mais à l’inverse d’eux, je ne souhaite rien imposer à la majorité », assène-t-il. Il se réjouit néanmoins du changement des mentalités. Sortis du bois, certains homosexuels n’hésitent plus à revendiquer leur appartenance à la droite nationale ou patriotique, dans la lignée se situe Yohan Pawer. S’il n’entend pas adhérer ou faire campagne pour un parti politique, il analyse ce changement par une prise de conscience des dangers auxquels feraient face les homosexuels, notamment les agressions homophobes qu’il attribue principalement à une partie de l’immigration. « Beaucoup d’homosexuels rejoignent majoritairement le Rassemblement National, le seul parti de France à avoir autant d’homosexuels à l’Assemblée nationale. Voter le RN c’est rester en vie, voter le Nouveau Front Populaire (NFP) c’est signer son arrêt de mort. Beaucoup d’homos l’ont compris ! », assure-t-il.

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« Bien évidemment, je ne mets pas tout le monde dans le même sac, mais nous constatons une forte hausse des agressions homophobes par des personnes principalement maghrébines. J’en ai fait les frais il y a quelques mois quand j’ai été sauvagement agressé par deux maghrébins me disant que « sur le Coran de la Mecque, les p*dés comme toi ne devraient pas exister », explique encore Yohan Pawer. « Avec LFI à l’Assemblée, l’espérance de vie et la liberté individuelle des homosexuels sont réduites », renchérit cet ancien directeur marketing de « Droite au cœur », sorte de Meetic de la droite nationale, créé afin de permettre aux femmes et aux hommes de droite de « rencontrer des patriotes qui leur ressemblent ».

Sa dernière controverse

Yohan Pawer, par ses positions tranchées et ses actions, continue de susciter la controverse. Son parcours atypique et ses engagements lui valent autant de soutiens que de détracteurs. Lors de la dernière Gay Pride, à Paris, il a tenté de faire entendre sa voix dissonante. L’accueil a été à la hauteur de ce qui a été considéré par les participants comme une provocation.

« Des antifas m’ont reconnu et se sont jetés sur nous. Un de mes militants a eu le nez en sang, le Youtubeur et journaliste Vincent Lapierre qui devait faire un reportage sur notre action a été pris à partie, on lui à voler sa caméra d’une valeur de 7000 € et me concernant une personne transgenre, actuellement en garde à vue, m’a frappé au visage » déclare-t-il. « Nous avons subi des jets de projectiles, des insultes, des vols et agressions. Nous voulions une marche pacifique tandis que les militants d’extrême gauche ont choisi la violence. Voilà le vrai visage de la « bien-pensance » et du camp de la « tolérance » » ajoute encore Yohan Pawer. Quoi qu’on pense de lui, il incarne une voix singulière, défiant les étiquettes et prônant une vision conservatrice et sécuritaire pour les homosexuel(le)s. « Personne ne nous intimidera et nous continuerons notre combat » rappelle-t-il, appelant tous ceux qui le souhaitent et se reconnaissent en lui, à le rejoindre au sein de son collectif.

Rassemblement national: vers une majorité absolue?

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Militants de Jordan Bardella, Paris, 9 juin 2024 © Chang Martin/SIPA

Pour y parvenir, il faut que le parti de Jordan Bardella gagne un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, et que le ni-ni et l’abstention jouent en sa faveur. Détails.


Ces élections législatives anticipées ont bouleversé la vie politique, en consacrant notamment au premier tour le Rassemblement national qui a terminé en tête du scrutin et se qualifie dans 447 circonscriptions sur 577. Similaire à celle de la gauche en 1981 ou celle de Macron en 2017, cette vague RN a permis au parti de Jordan Bardella d’être présent dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Rennes, etc.).

Seulement, si cette performance est historique, le retour du Front républicain rend incertaine une majorité absolue pour le RN.

Le Rassemblement national est sur un socle élevé

Le bloc du Rassemblement national est en forte progression. Alors que l’on pouvait penser que le parti lepéniste avait atteint un plafond à la présidentielle de 2022, il a réalisé un record ce dimanche 30 juin 2024. En effet, il a enregistré un record de voix avec 10,6 millions de voix, soit 6 millions de voix supplémentaires qu’au premier tour des législatives de 2022 et 2 millions de voix supplémentaires par rapport au score de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. D’autant plus que le score du Rassemblement national a progressé malgré une participation moins forte aux législatives qu’à la présidentielle (66% contre 73,69% en 2022), ce qui traduit un élargissement électoral du Rassemblement national.

Le Rassemblement national n’est plus isolé politiquement. S’il a longtemps été le seul parti du bloc national induisant ainsi de faibles reports de voix lors de seconds tours, il est désormais au cœur d’une galaxie de partis satellites grâce aux alliances avec Eric Ciotti, Marion Maréchal ou encore Eric Dupont-Aignan. Cette situation permet au Rassemblement national d’agréger de nouvelles sensibilités politiques (libérale, souverainiste, conservatrice, etc.) qui lui reconnaissent le leadership politique malgré les différences idéologiques. Ainsi, selon les territoires et les configurations de second tour, le Rassemblement national peut espérer de meilleurs reports de voix au second tour d’une partie d’électeurs Les Républicains ou encore Reconquête qu’auparavant.

Victime du Front républicain

Le Front républicain est encore tenace face au Rassemblement national qui a été désigné comme l’ennemi à éliminer pour le second tour des élections législatives. En quelques heures, et malgré sept ans d’oppositions frontales, sur les 306 hypothèses de triangulaires, 220 candidats se sont désistés face au parti de Jordan Bardella, soit 72% des cas. Or, si les partis politiques ne sont pas les propriétaires de leurs électeurs, les désistements mettent le Rassemblement national dans une moins bonne situation.

D’une part, les reports de voix ne risquent pas d’être massifs dans la mesure où il s’agit d’un désistement de deux camps opposés (Ensemble et Nouveau Front Populaire) sur de nombreux sujets et qui ont connu des affrontements violents notamment ces deux dernières années. D’autre part, il est tout de même plus difficile pour le Rassemblement national de l’emporter dans un duel que dans une triangulaire, car l’adversaire du RN capte davantage les voix du candidat s’étant désisté. D’autant plus que l’unique argument invoqué pour justifier un désistement est de « battre le Rassemblement national » en faisant appel à l’imaginaire des républicains qui barraient la route des fascistes lors des années 1930…

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De plus, le Rassemblement national est dans une situation moins favorable que prévue. Il est plus simple pour lui de gagner un duel face à la gauche que face à un candidat du camp présidentiel ou des Républicains. En effet, en 2022, les duels face à la gauche avaient tourné à l’avantage du RN, qui en avait remporté 33 sur 59, soit plus de la moitié. Alors que le Nouveau Front Populaire a terminé deuxième derrière le Rassemblement national, il aurait été logique que le nombre de duels entre la gauche et le RN explose. Or, cela n’est pas le cas puisqu’il ne devrait y avoir que près de 149 duels entre le RN et la gauche (celle-ci s’étant beaucoup plus désistée) contre plus de 129 duels entre le RN et le camp présidentiel et une cinquantaine contre LR, deux configurations moins favorables au RN.

Une majorité absolue possible mais incertaine

Le Rassemblement national peut toujours remporter une majorité absolue mais cela devient plus incertain en raison du Front républicain et d’une performance moins bonne que prévue au premier tour. Ainsi, il est arrivé trop peu de fois en tête au premier tour, en terminant en tête dans seulement 297 circonscriptions sur les 447 où il s’est qualifié. Cela rend le parti à la flamme tributaire du niveau de reports de voix dont disposera son adversaire au second tour, et donc de l’efficacité du Front républicain. Or, nous assistons à la constitution d’un Front anti-RN, allant de l’aile droite de la macronie aux Insoumis sur le modèle des élections régionales de 2015. Les appels de la gauche et du camp présidentiel à se désister l’un pour l’autre renforceront les reports de voix entre les deux, puisque la bête noire n’est plus la Nupes de Mélenchon comme en 2022 mais le Rassemblement national de Jordan Bardella. Il s’agit désormais de savoir si ce dernier obtiendra une majorité absolue ou non, et l’ensemble des Français s’exprimeront dessus comme s’il s’agissait d’un référendum.

Seulement, un cumul de facteurs d’indécision peut encore permettre au Rassemblement national d’envisager une majorité absolue ou une majorité relative suffisamment solide (sur le modèle de ce qu’a été la majorité présidentielle jusqu’à présent). Premier facteur, le Rassemblement national doit gagner un maximum de circonscriptions (environ 90%) où il a terminé en tête avec une large avance ainsi que de nombreuses triangulaires, ce qui nécessite un front républicain moins efficace que prévu. À cause des désistements, des électeurs n’auront plus leur choix préférentiel au second tour, ce qui peut générer de l’abstention. Notamment dans l’hypothèse où de nombreux électeurs se retrouveront à choisir entre deux mauvais choix selon leur appartenance d’origine à savoir sauver Macron lorsqu’on est de gauche ou sauver le Nouveau Front Populaire lorsqu’on est macroniste. Dans ce cadre, le RN doit remporter près de 65% des duels contre la majorité présidentielle, en espérant que le report des voix de gauche notamment de la France Insoumise soit moins fort que lors de la dernière élection présidentielle. Deuxième facteur, le Rassemblement national doit bénéficier d’un report de voix d’une partie des électeurs centristes et de droite, notamment dans le cadre de duels face à LFI qui est jugée tout autant infréquentable voire pire depuis le 7 octobre et les soupçons d’antisémitisme. Ainsi, il faudrait remporter près de 70-75% des duels face au Front Populaire. Dernier facteur, le Rassemblement national doit éviter une remobilisation électorale comme en 2015 avec des électeurs qui voteront uniquement pour lui faire barrage, tout en profitant d’une petite remobilisation du camp national avec l’élan du premier tour.

La majorité absolue s’éloigne pour le Rassemblement national. Toutefois, il est toujours possible pour Jordan Bardella d’obtenir une majorité relative suffisamment solide lui permettant de gouverner. Le seul prérequis à cela serait qu’il y ait environ 300 députés RN et LR. Dans ces circonstances, la droite républicaine pourrait ne pas voter la motion de censure provenant de la gauche et des centristes. En contrepartie tacite, le RN devrait adresser des signaux aux LR. Jordan Bardella serait dans une situation finalement très proche de celle d’Elisabeth Borne qui a tout de même fait voter une cinquantaine de textes en 2023, y compris des textes emblématiques comme la réforme des retraites et la loi Immigration.

L’Élysée, maison d’un fou?

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Le journaliste Ivan Rioufol © Hannah Assouline

Emmanuel Macron est-il fou ? Oui, fou. « Fada », comme il dit. Depuis le 9 juin et sa dissolution rageuse de l’Assemblée nationale, annoncée 58 minutes après l’annonce de la défaite de son mouvement aux élections européennes (14,6%), la question se pose.


La question obsède son camp traumatisé qui, dans l’instant du verdict, a vu venir le crash. Mais « l’esprit de défaite » n’habite pas ce président haut perché, enamouré de lui-même. Ce soir-là, l’homme blessé (« cela m’a fait mal », avouera-t-il) se persuade de « prendre son risque ». Il se convainc de susciter un sursaut de confiance autour de sa personne, comme il le fit en agitant la peur du Covid (« Nous sommes en guerre ») et comme il aimerait tant le faire en attisant les braises d’un conflit généralisé contre la Russie. Macron pense, ce 9 juin, jouer le coup fumant qui le replacera en sauveur face au RN. Ne s’est-il pas engagé à en être le rempart ?

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Ce soir-là, Macron laisse donc sa photographe, Soazig de la Moissonnière, fixer et diffuser auprès des médias les mines atterrées de ses ministres et de la présidente de l’Assemblée, réunis pour entendre son bon plaisir, avalisé en coulisses par une bande de drôles. Au Monde, quelques jours plus tard, le chef de l’Etat expliquera fièrement : « Je prépare ça depuis des semaines et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils vont s’en sortir ». Mais la grenade allait évidemment rouler sous son fauteuil. Il aura fallu attendre le 30 juin, premier tour des législatives, pour qu’il en mesure la première déflagration avec un RN à 33,15%, un Nouveau Front Populaire à 27, 99% et une macronie défaite à 20,83 %, donc ne pouvant survivre qu’au prix d’accords avec la coalition « diversitaire » préemptée par Jean-Luc Mélenchon.

Seul un insensé peut ainsi s’amuser à la roulette belge (toutes les balles dans le barillet) en croyant pouvoir gagner. Un chef d’Etat si peu perméable aux assauts des réalités et aux attentes de son peuple indigène est un homme clos qui ne se fie qu’à lui-même et à ses cireurs de bottes. Macron est ce narcisse esseulé. Dès lors, comment ne pas s’interroger sur sa démesure égotique, sa négation des obstacles, sa fascination pour la foudre, son attirance pour la transgression, sa jouissance dans le caprice, son mépris des contradicteurs, son plaisir à agiter les peurs, sa propension à se défausser sur les autres ? Comment ne pas s’alarmer de son immaturité d’enfant-roi qui, pareil au jeune Abdallah de Tintin, jette ses pétards et trépigne d’être contrarié. Bref, comment ne pas se demander si Macron tourne rond ? C’est le Figaro Magazine qui, le 14 juin, pose directement la question au roi sans divertissement : « – Que répondez-vous à ceux qui disent ça ? Etes-vous fou, comme ils le prétendent ? -Non, pas du tout, je vous le confirme, je ne pense qu’à la France. C’était la bonne décision, dans l’intérêt du pays. Et je dis aux Français : n’ayez pas peur, aller voter ».

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Mais de quoi les Français auraient-il peur, sinon des foucades d’un personnage de roman qui s’ennuie d’attendre son destin ?

À dire vrai, Macron n’est pas le seul à avoir perdu la tête. Certes, il n’a jamais voulu entendre l’exaspération des Oubliés qui ébranlent le vieux monde politique. « Je ne sens pas la colère », déclare-t-il en 2018 à la veille de la fronde anti-parisienne des gilets jaunes, puis en 2023 alors que les agriculteurs ruent dans les brancards. C’est en province que la révolution du réel s’est échauffée. Cependant, ce président déphasé est aussi le produit de la crise de la politique, victime des idéologies bavardes et hors-sol. Les « élites » sont contestées pour avoir montré un même dérèglement intellectuel, incompatible avec le bon sens des Français ordinaires.


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Le désordre ou l’alternance

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Marine Le Pen à Paris, hier © Thibault Camus/AP/SIPA

Institutions. Que l’on ait voté, ou pas, pour les candidats du Rassemblement national, il faut reconnaitre que seule une majorité de « l’union des droites » à l’Assemblée nous éviterait la chienlit. Sans elle, Bardella a dit qu’il n’irait pas à Matignon… Mais, le RN devra aussi prendre un virage « post-populiste » et s’assumer « national conservateur » pour que la situation politique de la France ne reste pas bloquée.


Les résultats du premier tour des élections législatives n’offrent qu’un débouché politique limité. En réalité, deux choix, et deux choix seulement, restent possibles.

Le premier est sans aucun doute le pire. C’est celui que le président de la République et au moins une partie de sa majorité essaient de vendre au pays, depuis l’annonce désastreuse de la dissolution. Emmanuel Macron voulait l’élargissement de sa majorité. Il estimait que celui-ci n’était plus possible à froid, par le jeu régulier du dialogue parlementaire. Il a voulu le réaliser à chaud, à l’occasion d’un scrutin qu’il pensait décisif.

La confiance absolue que le président a en lui l’a empêché de s’assurer que le coup était jouable, et que ses éventuels partenaires, au PS ou à LR, étaient prêts à le suivre. Il a même refusé d’entendre tous les signaux qui lui disaient le contraire, à commencer par le refus poli, exprimé dès avant le résultat des Européennes, par Gérard Larcher. La main était trop faible, le bluff trop voyant : la partie de poker est perdue. Mais, depuis dimanche soir, alors que les jeux sont faits, la macronie s’acharne et tente de convaincre qu’une majorité centrale est encore possible et qu’elle est souhaitable… Elle n’est toutefois ni l’une, ni l’autre, pour au moins trois raisons.

Trois mauvaises raisons de mettre en place une grande coalition au centre

La première est arithmétique : le compte n’y est pas. En calculant le plus largement possible et en incluant les trois partenaires potentiels, c’est-à-dire toute la gauche à l’exclusion de LFI, le courant macroniste, dans ces différentes variations, et les Républicains « canal historique », amputés de l’aile ciottiste, on obtient moins de 250 députés. On est ainsi très loin de la majorité absolue de 289 sièges, et même très en deçà de la majorité relative sortante et difficilement gouvernable, qui s’élevait à 283 députés. En réalité, le résultat n’aurait pu être atteint qu’à une condition : si la majorité sortante s’était renforcée ; or, c’est le contraire qui s’est produit, et la macronie sort laminée du scrutin.

La seconde raison est davantage politique, au sens à la fois tactique et programmatique que ce terme induit. De cette alliance improbable, personne ne veut et surtout pas la gauche social-démocrate qui, malgré le bon score de Raphaël Glucksmann aux Européennes, est allée se jeter dans les bras de la France Insoumise, sans même respecter un délai de décence élémentaire. On peut gloser à l’infini sur les motivations de l’acte, qui se situent probablement quelque part entre le réflexe d’union conditionné par des cultures politiques de longue durée et l’attirance irrépressible pour la mangeoire. Quoi qu’il en soit, on voit mal aujourd’hui le PS, les Verts et le PCF rompre un programme commun signé l’avant-veille et jeter aux orties le Nouveau Front populaire. Quant au fond, il n’y en a pas et les hypothétiques partenaires ne sont d’accord sur aucun des grands dossiers nationaux (ni sur le nucléaire, ni sur les retraites, ni sur l’assurance chômage, ni sur la fiscalité, ni sur l’immigration, ni sur la sécurité…) Seuls l’attachement à l’Union européenne et l’attitude vis-à-vis de la Russie pourraient fournir un terrain de rapprochement (à condition d’exclure le PCF), mais on concédera qu’il est mince.

La troisième raison est sans doute la plus importante. Une telle alliance (si, malgré tous les obstacles, elle venait à se réaliser) aurait des effets délétères pour les institutions démocratiques. Les citoyens y verraient, non sans raison, une preuve de l’insincérité, voire du cynisme, des élites dirigeantes. Ils la considéreraient surtout comme un tour de passe-passe destiné à escamoter la volonté d’un peuple qui continue de penser mal, moins de 20 ans après le désastreux précédent du référendum sur la constitution européenne. La situation serait d’autant plus grave qu’elle se greffe sur un contexte déjà chargé, fait de défiance envers les élus, de fracturation de la société et de moindres performances économiques. Et surtout de violences ! Car, et il s’agit là d’un phénomène nouveau, grave et probablement sous-estimé dans l’histoire longue de France d’après 1945, avec les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites et les émeutes urbaines de juin 2023, la violence est redevenue un moyen d’expression politique récurent et presque banalisé. Les incertitudes à venir ne feraient que renforcer cette tendance.

Macron entend organiser le désordre

Tout cela, le président de la République le sait. Pourquoi alors agit-il de la sorte et que recherche-t-il vraiment ? Une majorité étendue et nouvelle ? Sans doute pas, tant elle semble lointaine. Un front du refus visant à isoler le RN ? Mais outre qu’il faudrait alors l’étendre à la France Insoumise (ce qu’Emmanuel Macron a explicitement rejeté le mercredi 3 juillet, mais ce que certains de ses partisans revendiquent et pratiquent par le biais des désistements) il ne s’agirait qu’une formule négative, incapable de prendre la moindre décision. En réalité, il est très probable que le chef de l’État estime pouvoir tirer son épingle du jeu avec une chambre ingouvernable et maintenir l’essentiel de ses prérogatives en organisant le désordre. Il envisage sans doute avec bonheur la constitution d’un gouvernement de techniciens à la recherche constante de majorités changeantes et d’équilibres instables. On pariera davantage sur son hybris que sur sa vista politique. Mais au-delà des interprétations psychologisantes, la situation qui en résulterait marquerait un retour à des jeux partidaires en circuits fermés, empêcherait le peuple de choisir souverainement sa majorité et sa politique et constituerait de ce fait une rupture majeure avec l’un des principaux acquis de la Ve République.

Que reste-il alors comme solution ? Ni plus ni moins qu’un gouvernement Bardella. La formule comporte un risque et génère une opportunité.

Le risque est limité. Le Rassemblement national n’est pas le Front National. Il n’est pas la dernière émanation du nationalisme français, ce courant politique né à la fin du XIXe siècle dans le traumatisme de la défaite de 1870, nourri pas l’aventure boulangiste, structuré sous l’Affaire Dreyfus, rallié à l’Union sacrée, connaissant son apogée durant l’entre-deux-guerres, soutenant, dans ses appareils politiques, notamment l’Action Française, le régime de Vichy et la collaboration (mais il y avait aussi des nationalistes, y compris issus de l’Action française, dans la Résistance), discrédité à la Libération, reprenant un peu d’oxygène pendant la guerre d’Algérie, unifié par Le Pen au début des années 1970 et porté par lui, dans un contexte de crise économique et sociale, jusqu’à moins de 20% de l’électorat. Ce courant, avec ces caractéristiques principales, son antisémitisme, son antiparlementarisme, son usage de la violence, fût-elle verbale, dans le champ politique, est mort, ou plutôt, pour reprendre un mot à la mode, il est « résiduel ». Qu’il reste des nationalistes au RN, c’est probable et on ne peut que le déplorer. Que ce parti comporte son lot d’énergumènes, c’est évident (mais au moins ne met-il pas au premier rang des individus que le 7 octobre fait rire à gorge déployée ou qui manient allègrement la barre de fer). Demeure l’évidence : Marine Le Pen a rompu avec son père, avec son discours, avec ses références. Certains n’y voient qu’une dissimulation tactique. C’est instituer la méfiance en système, récuser toute bonne foi et rendre ainsi impossible le débat démocratique. Et quand bien même une partie de son programme pourrait susciter l’inquiétude, le Premier ministre n’a pas tous les pouvoirs, surtout en période de cohabitation. Des forces de contrôle ou de rappel existent, au niveau national comme européen.

L’interrogation concernant le RN ne porte donc pas sur ce qu’il n’est pas (nationaliste ou d’extrême-droite) mais sur ce qu’il est. Cette élection imposée doit en effet être l’occasion d’une clarification programmatique à chaud. Là se situe l’opportunité et, pour le RN, elle se résume en un mot probablement difficile à entendre pour Marine Le Pen : la « melonisation ». Pour vaincre et surtout pour gouverner, le RN doit s’inspirer de la recette italienne et accommoder à sa façon ses quatre principaux ingrédients : une alliance en bonne et due forme avec la droite modérée ; l’acceptation franche de l’Union européenne, quitte à en infléchir le cours ; un programme économique et social libéral (l’une des premières décisions de Giorgia Meloni a été la suppression de l’équivalent italien du RSA) ; l’engagement dans le camp occidental. En résumé, le RN doit cesser d’être un parti populiste ou attrape-tout, en capitalisant sur les peurs et les colères, pour devenir un parti « post-populiste » (Muzergues, Baverez[1]) ou mieux encore un parti « national-conservateur » (Giovanni Orsina).

Cet aggiornamento, Jordan Bardella a commencé à le mener (c’est peut-être une des raisons de sa popularité). Il a infléchi la ligne du parti sur les retraites, mis de l’eau dans son vin budgétaire, dénoncé la « menace multidimensionnelle » que représente la Russie pour la France et pour l’Europe. Il doit, avec Marine Le Pen, aller plus loin dans ce sens. Tout l’enjeu des mois à venir, au gouvernement ou dans l’opposition, sera d’affirmer cette ligne sans se couper des catégories populaires et notamment les actifs modestes et moyens qui constituent les bases de son électorat. Sans rien éluder de la difficulté de l’exercice, on notera simplement qu’il a toujours existé des ouvriers « de droite » (qui votaient par exemple gaulliste dans les années 1960) et qu’à l’occasion de ces élections européennes et législatives, le RN a réussi (c’est un des grands enseignements du scrutin) a élargir sa base électorale et à gagner même des catégories qui lui était traditionnellement hostiles.

C’est en tout cas à ces conditions que pourra être rétabli un clivage droite-gauche modernisé, que pourra renaître la possibilité de l’alternance, c’est-à-dire le fonctionnement normal de la démocratie et, accessoirement, que pourra enfin être créé dans ce pays un grand parti conservateur et populaire.


[1] Postpopulisme: La nouvelle vague qui va secouer l’Occident, L’Observatoire, 2024

Pas tous si cons ces candidats RN…

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De gauche à droite, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet. Photos DR et Hannah Assouline.

Les médias relèvent depuis plusieurs jours le passé sulfureux ou les perles embarrassantes de candidats RN incapables de répondre à des questions basiques sur leur programme. Pour un panorama plus varié (et honnête), nous sommes allés à la rencontre d’auteurs, historiens, ex-magistrats et intellectuels candidats dans leur circonscription.


Ils écrivent, ils pensent et ont aussi les mains sales. Habitués au commentaire de l’actualité, à l’étude des mouvements d’opinion ou à l’histoire parlementaire, certains intellectuels et auteurs ont délaissé le temps d’une campagne la théorie de la politique pour sa pratique. Candidats pour les législatives de 2024, Charles Prats, Jérôme Sainte-Marie et Maxime Michelet sont d’abord connus dans leur domaine de spécialité. Le premier est ex-magistrat et a écrit des livres remarqués sur les fraudes fiscales et sociales. Le second est sondeur et ancien directeur de l’institut CSA. Il a notamment analysé dans Bloc contre bloc : La dynamique du Macronisme la constitution en France d’un vote de classe. Le troisième est historien et universitaire, déjà auteur de plusieurs livres dont une biographie de l’impératrice Eugénie et un essai historique en défense du règne de Napoléon III. Ils ont en commun de posséder une certaine légitimité intellectuelle. Ils n’ont cependant jamais été éloignés du monde politique. Maxime Michelet a travaillé auprès d’Éric Ciotti comme conseiller aux discours, quand Jérôme Sainte-Marie dirige l’institut Héméra, chargé d’assurer la formation des cadres du RN. Charles Prats, a lui longtemps bataillé du côté du RPR et de l’UDI.

Racines familiales plutôt que parachutages

Tous se présentent dans une circonscription ultra-périphérique : M. Michelet est candidat dans la 3e circonscription de la Marne, Charles Prats dans la 6e de Haute-Savoie et Jérôme Sainte-Marie dans la 1e des Hautes-Alpes. Leur candidature effraie déjà la faune politique locale qui dénonce ces « parachutés ». Un argument qu’ils n’ont aucun mal à balayer : « C’est le seul et unique argument de mon adversaire. Démagogie de bas étage ! J’ai quitté la Champagne pour Paris en suivant le système méritocratique républicain et poursuivi mes études en khâgne à Henri IV » se défend Maxime Michelet. Charles Prats est plus ironique : « Je ne suis pas parachutiste, je suis pilote d’avion. Et un pilote, il n’a aucune raison de sauter en parachute d’un avion qu’il aime bien ! » Jérôme Sainte-Marie, lui, ne quitte jamais l’analyse : « Parler de parachutage évite d’assumer les positions peu consensuelles du programme du Front populaire ».

La faiblesse de l’argument traduit aussi une fébrilité. S’ils sont aperçus à Paris dans les médias, les candidats sont bien du cru. Jérôme Sainte-Marie réside à l’année avec sa famille dans sa circonscription. Charles Prats y est né, y possède sa maison, s’y est marié et y a toute sa famille. Loin des caricatures d’énarques parachutés par leur parti sur un territoire qu’ils découvrent à leur arrivée, certains ressembleraient presque à ces ducs de cour que la comtesse de Ségur portraiture dans ses romans et qui se partageaient entre intrigues politiques dans leur hôtel particulier et retraites passées à surveiller la moisson au milieu des anciennes gens et métayers…

A lire aussi, du même auteur: Nicolas Conquer: l’union nationale «made in Normandy»

S’ils connaissent le terrain, ils doivent aussi assurer l’intendance d’une campagne. « Je fais moi-même ma colle, colle moi-même mes affiches… L’expérience d’années de militantisme à l’UNI (le syndicat étudiant classé à droite NDLR) et au RPR », assure Charles Prats, qui doit aussi ménager les inévitables cancans politiques provinciaux : « On boit des verres avec les maires et sénateurs sans pouvoir l’afficher sur internet. Ils sont officiellement du camp d’en face ». « Beaucoup reste à faire, le maillage militant n’est pas encore très fort dans la circonscription qui est très vaste », nous confie Jérôme Sainte-Marie qui roule sans freiner dans sa large circonscription rurale. Intellectuel, législateur, militant, auxiliaire de vie, un député se doit d’être couteau suisse. Au fil des ans, l’élu est en effet devenu une assistante sociale qui recueille sur rendez-vous les doléances des électeurs. Tiendront-ils permanence ? « Bien sûr !  J’aime les gens, leurs problèmes, leurs histoires… Sinon je n’aurais pas fait magistrat. J’ai fait plein de rendez-vous avec des électeurs que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam mais j’ai écouté » s’enflamme Charles Prats.

Le savant et le politique

Reste que la conduite d’une campagne change un peu des plateaux TV et des maisons d’édition. Pour attirer le chaland, il faut savoir être concret. Max Weber dissociait dans un ouvrage fondateur le savant du politique : le premier a pour objet la recherche désintéressée et austère de la vérité, quand le second est d’abord un homme d’action. Sur le terrain, nos trois candidats parviennent finalement à bien accorder ces deux dimensions. Maxime Michelet assure sans corporatisme que : « les historiens ont un rôle citoyen vis-à-vis de la mémoire. Ils portent un message mémoriel pour que les Français puissent comprendre d’où ils viennent, quelle est leur identité et où ils veulent aller ». Jérôme Sainte-Marie reprend sur le terrain sa théorie des blocs : « Les campagnes dépendent des territoires où l’on se présente. Aujourd’hui, je dois insister sur la nécessité de renouer avec une économie productive. Ce discours est entendu des chefs d’entreprise, des artisans et des agriculteurs ».

Les scores du premier tour sont encourageants mais ne garantissent pas toujours une élection dimanche. Avec 43.83% contre 31.93% pour son adversaire d’Ensemble, Maxime Michelet aborde le second tour en position très favorable.  A 38.42% contre 30.47 % pour son adversaire socialiste, Jérôme Sainte-Marie bénéficie d’une certaine avance, mais devra compter sur quelques reports d’électeurs de la majorité. Avec 36.41% contre 34.68% pour son adversaire marconiste, Charles Prats jouera son siège à quitte ou double.

On n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise. À l’Université, dans les médias, dans l’édition… leur situation était pourtant acquise. Pourquoi alors s’engager en politique au Rassemblement national où il n’y a que des coups à prendre ? Pour Jérôme Sainte-Marie, les constats politiques pessimistes ne suffisaient plus : « J’ai toujours eu une grande préoccupation dans mes travaux pour la situation des classes populaires tout en les accordant à la nation. Cette deuxième dimension m’a semblé prioritaire au fil des ans et il y a vraiment urgence à relever la France ». Entreprenant, Charles Prats fait la liste des lois qu’il aimerait porter pour son territoire et pour la France : fermeture d’un incinérateur, promotion d’une zone industrielle. Maxime Michelet fend un peu l’armure et n’hésite pas à convoquer son imaginaire d’historien : « Les moments historiques sont souvent des moments de césure. Quand un homme d’État comprend la nécessité de l’instant et pose un acte de césure. C’est un peu ce qu’a fait Éric Ciotti en permettant l’union des droites et en mettant fin à 30 ans de piège mitterrandien ». Dans la future Assemblée nationale, le RN pourrait compter sur ces hommes de dossiers, redoutables débateurs dont le calibre intellectuel n’aura rien à envier aux élus de la start up nations marconistes ou aux apparatchiks du Nouveau Front populaire.

À la guerre culturelle comme à la guerre : la conquête du pouvoir restera une guerre des idées.

Populiste, la dernière injure à la mode

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DR.

La dernière tribune de notre bien-aimé chroniqueur lui a valu quelques tombereaux d’injures. « Fasciste », « extrême-droite », « bien digne de Causeur, torchon infâme inféodé à Israël », — et « populiste ». Cette dernière apostrophe l’a amusé, en ce qu’elle témoigne d’un retournement des valeurs bien dignes de notre époque orwellienne, où la gauche auto-proclamée adopte les positions de Big Brother : « L’Ignorance, c’est la Force », et « la Liberté, c’est l’Esclavage ».


« Populiste ! » Le mot est lâché avec une telle vigueur, il est censé me souffleter avec une telle force, que me voici bien obligé de rappeler aux incultes qui votent Mélenchon l’origine et le destin de ce mot.

Il apparaît en 1912 pour désigner des mouvements politiques russes. Il désigne les narodniki, partisans d’une révolution agraire, et il est alors peu ou prou synonyme de « socialiste ». Ce qui d’ores et déjà suggère un grand écart sémantique inouï pour arriver au sens moderne, où depuis les années 1980, il désigne le discours de droite censé séduire le peuple en flattant ses plus bas instincts — la xénophobie et la haine des castes intellectuello-parisiennes qui pensent, elles, paraît-il…
Étant entendu que la phrase précédente est pour lesdites castes, qui aimeraient bien confisquer le discours politique, un exemple frappant de populisme…

Plumes populistes d’autrefois

Je rappellerai pour mémoire à ces mêmes intellectuels, qui, pauvres chéris, ne peuvent tout savoir, qu’un Prix du roman populiste est fondé en 1931 pour récompenser une œuvre romanesque qui « préfère les gens du peuple comme personnages et les milieux populaires comme décors à condition qu’il s’en dégage une authentique humanité » — « le peuple plus le style ». Ma foi, cela m’agrée. Seront lauréats du Prix populiste Eugène Dabit (vous vous rappelez, Hôtel du Nord…), Jules Romains, Louis Guilloux, René Fallet ou Jean-Paul Sartre (pour La Nausée, et le philosophe-romancier l’accepta, lui qui trente années plus tard refuserait le Nobel). Des gens éminemment fréquentables.

Mais aujourd’hui, le peuple soi-disant parle par la plume d’Edouard Louis et d’Annie Ernaux, ces phares de la nullité littéraire.

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Il faut l’arrivée de la gauche caviar au pouvoir pour que le peuple perde de son aura : Mitterrand avait été élu avec des voix ouvrières, il s’en détacha très vite, avant que ses successeurs, sous l’influence des penseurs de Terra Nova (à qui le peuple devrait demander des comptes) le récuse et lui préfère les « nouveaux prolétaires » — i.e. les immigrés : d’ailleurs, ce sont eux qui ont assuré, dans les arrondissements maghrébins de Marseille et ailleurs, des élections de maréchaux à des Insoumis pas du tout antisémites… Le vrai populisme moderne, il est là, dans les promesses creuses et les éructations d’un vieux lambertiste éculé.

Alors, oui, je suis populiste : fils de personne élevé dans les Quartiers nord de Marseille, je me bats pour le peuple — afin que le peuple reconquière ses anciens pouvoirs. Je ne relaie ni les conversations de bistro (supposées stupides par des bobos qui blablatent dans des dîners en ville et autres pince-fesses parisiens), ni les rumeurs des stades. Juste la colère des petits, des obscurs, des sans-grades, ceux qui ont été privés de parole depuis quarante ans, et qui votent pour protester contre le mépris et la mainmise des hautes castes sur le pays tout entier.

Le peuple demande des comptes

Je ne prête au RN ni des capacités particulières, ni des idées révolutionnaires ; c’est au peuple, au peuple seul d’imposer ses idées. C’est au peuple de former des comités de salut public, qui expliqueront aux juges qu’on ne laisse pas en liberté des multi-récidivistes, et à la police qu’on arrête et qu’on expulse des gens en position d’OQTF, au lieu de les laisser perpétrer des attentats. Qui pèseront sur certains enseignants pour qu’ils apprennent à nouveau à leurs enfants la langue et les mathématiques, l’histoire et la géographie françaises — et qui demanderont des comptes, là aussi, à ceux qui depuis qu’ils se sont infiltrés grâce à Jospin, Meirieu, Lang, Vallaud-Belkacem et les autres, et ont organisé la classe de façon à ce que les gosses nés dans le ghetto y restent. Qui forceront les immigrés récalcitrants à s’intégrer — ou à partir. Et qui décideront des lois, directement — par le peuple et pour le peuple, comme disait Lincoln à Gettysburg.

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