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Le nouveau job de Gabriel Attal

Le gouvernement de Gabriel Attal a finalement bien démissionné, mais il reste en place – avec des prérogatives très limitées. Après son dernier conseil des ministres, hier, Gabriel Attal est chargé de gérer les « affaires courantes ».


Avec Emmanuel Macron et ses bons amis, l’imagination – dans sa forme la plus débridée – est bel et bien au pouvoir. Voilà qu’ils viennent de nous sortir de leur chapeau une catégorie toute nouvelle de personnel politique : le démissionnaire non démissionné. Ou si vous préférez le partant maintenu à demeure, la chaise vide occupée, etc. C’est ainsi que M. Gabriel Attal, Premier ministre ayant présenté sa démission, cette fois-ci acceptée par le boss, se trouve néanmoins confirmé dans le rôle auquel il est cependant censé avoir renoncé, cela très officiellement, dans les formes requises par le règlement.

Job d’été

Le voici installé dans un nouveau rôle, investi d’un nouveau job : celui de non-Premier ministre. Cependant comme il faut bien que quelqu’un paraisse quand même s’occuper peu ou prou du quotidien de la boutique, il est précisé qu’il reste en charge des affaires croulantes du pays. Extrêmement croulantes, en effet, les affaires. Comme chacun sait.

Pour cela, il peut compter encore sur son équipe. Une joyeuse bande de collaborateurs mangés à la même sauce que lui, c’est à dire à la fois dehors et dedans, formant donc en quelque sorte un non-gouvernement. La même chose qu’un vrai, chimiquement pur, sauf que celui est constitué exclusivement, vous l’aurez compris, de ministres qui ne le sont plus, ministres. Je sais, on a du mal à suivre. Mais voilà sept ans que la « pensée complexe » du patron d’en haut ne cesse de nous embrouiller les méninges, de nous donner le tournis.

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Donc, on attend le prochain non-conseil de ce non-gouvernement et les non-décisions que ces non-ministres pourraient encore prendre : la couleur des crayons feutres dans les administrations, la température souhaitable du thé de cinq heures, le quota de billets gratuits pour la grande marade d’ouverture des Jeux olympiques, l’attribution d’un droit d’entrée prioritaire de Mme Nakamura à l’Académie Française avec option pour le Panthéon quand le moment sera venu…

Coup tordu

Mais, finalement, pas si couillon que ça, le petit arrangement en question. Car en réfléchissant bien, je veux dire en tentant de nous hisser au niveau de ces sublimes intelligences, de les rejoindre dans leurs exercices conceptuels de haute volée, il devient clair que M. Attal a réussi là une splendide opération.

Nul n’ignore que le Premier ministre est un fusible entre les mains du président. Le Premier ministre qui, le jour même de sa nomination, doit remettre au président une lettre de démission en bonne et due forme mais non datée, et que, de ce fait, le grand chef à plumes est en droit d’utiliser quand il le souhaite. Or, peut-on démissionner quelqu’un qui l’est déjà ? Assurément non. Ainsi, voilà notre non-Premier ministre absolument non démissionnable, indéboulonnable, du moins ce côté-là. Posé là à vie pour tout dire. Matignon à vie, pensez ! M. Mélenchon en rêvait. M. Attal l’a fait (enfin presque).

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Comment Coca-Cola « dope » les Jeux

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Partenaire historique des J.O., Coca-Cola, en injectant des millions de dollars, dope financièrement le CIO (Comité international olympique). Revers de la médaille, la firme américaine impose son goût et ses choix…


Dans « Le Miroir des Sports » du 28 janvier 1930, le lecteur tombait sur un article fort de café : « Des études très poussées par l’institut Pharmacologique de Hambourg ont démontré à l’évidence que les effets de la caféine sur les performances des athlètes sont positifs et forts puissants. »

À l’époque la lutte contre le dopage en est à ses balbutiements. En France il faut attendre les années 60 pour qu’elle s’active et le 10 juin 1966, sur la première liste officielle de produits interdits jamais publiée, on trouve la triméthylxanthine, nom scientifique de la… caféine. 16 ans plus tard, en février 1982, le CIO place également la caféine sur la liste des substances illicites (à partir d’un seuil fixé à 15 microgrammes / ml).

Comment en est-on arrivé là ?

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, l’un des meilleurs experts mondiaux de la lutte contre le dopage1, et historien hors pair du sport, a exhumé un entretien qu’Alexandre de Mérode (président de la Commission médicale du CIO de 1967 à 2002) donnait au journal L’Équipe le 16 mai 1983. Mérode y révèle que ce sont des tests effectués pendant les Jeux de Montréal en 1976 qui ont alerté et poussé le CIO à sévir : « Dès Montréal en 1976, nous avons été alertés par des concentrations anormales de caféine. À Lake Placid, ce fut pire et la situation s’aggrava encore à Moscou en 1980. Cela nous a conduits à interdire la caféine, puisque nos méthodes d’investigation le permettaient. »

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Cela pose toutefois un énorme problème. D’image de marque. Pour Coca-Cola. Depuis les jeux d’Amsterdam en 1928, la firme américaine est le sponsor numéro un du CIO (et depuis 1978, partenaire de la Coupe du Monde de foot…). Or son soda contient de la… caféine. La nouvelle réglementation du CIO jette alors un froid. Certes le Coca-Cola n’est pas un produit dopant mais il contient une substance prohibée, ce qui fait mauvais genre pour un partenaire de l’Olympisme.

Alexandre de Mérode est conscient de ce conflit d’intérêts et dans ses commentaires à L’Équipe, il tient immédiatement à ménager la firme américaine :
« Nous ne voulons pas empêcher les athlètes de boire du café ou du Coca-Cola. Nous voulons simplement éviter un usage abusif de la caféine par injections massives dans le corps humain, comme cela se produit actuellement. (…) Nous affirmons que notre intention n’est pas de porter tort à la firme Coca-Cola, ni d’entraver l’utilisation de cette boisson. Nous avons, en effet, fixé le seuil critique d’utilisation de la caféine à quinze microgrammes par millilitre. Cela équivaut à l’ingestion de vingt litres de Coca-Cola dans une journée et à plus de quinze litres de café normalement concentré. »

Il n’empêche, le Coca-Cola reste une boisson dont l’un des composants est un produit interdit… Mais l’ardoise va être effacée. En janvier 2004, l’AMA (l’agence mondiale antidopage, à qui il revient désormais d’établir la liste des produits interdits) supprime de la liste la… caféine ! Coca-Cola a-t-il fait pression pour obtenir cette suppression ?

Une chose est sûre, si la caféine a disparu de la liste des produits interdits, le dopage à la caféine n’a, lui, pas disparu.

Mercredi 18 mai 2005, le bureau de Sydney de l’agence américaine Associated Press publie un communiqué qui tombe comme un pavé dans la mare : « L’Agence mondiale antidopage envisage de remettre la caféine sur sa liste de produits interdits après les propos du capitaine de l’équipe d’Australie de rugby, George Gregan, qui a affirmé en avoir pris pour améliorer ses performances. Le directeur de l’AMA, David Howman, a déclaré aujourd’hui que les informations selon lesquelles Gregan et d’autres athlètes australiens utilisaient de la caféine pour améliorer leurs performances étaient « perturbantes ». »

L’AMA est perturbée mais ne bouge pas. Dans un rapport du 24 octobre 2006, intitulé « Le Sport et un monde en harmonie », le CIO reconnaît pourtant que la caféine a des « propriétés indéniables en matière d’amélioration des performances ».

11 juillet 2022. Alors que le Tour de France bat son plein, le quotidien Ouest-France publie une enquête au titre révélateur : « Le peloton fait-il n’importe quoi avec la caféine ? » ainsi présentée : « La consommation de caféine, aucunement interdite dans le peloton du Tour de France, n’est pas nouvelle. Ni dans le vélo, ni dans d’autres sports. Mais depuis quelques années, elle décolle. À tel point que cela inquiète certains acteurs du cyclisme… »

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14 avril 2024, le quotidien sportif L’Equipe s’interroge sur les nombreuses et violentes chutes qui depuis le début de la saison surviennent au sein du peloton. Parmi les causes évoquées, l’excès de caféine. Le témoignage du coureur Rudy Molard (Groupama-FDJ, 34 ans) est sans sucre à propos de la sur-consommation de café : « On en parle régulièrement entre coureurs parce qu’il n’y a pas de limite et je pense que ça peut jouer sur le caractère agressif de certains… ça a toujours existé mais je pense que les doses qui étaient prises étaient moindres au début de ma carrière par rapport à maintenant. » Mais toujours aucune réaction des autorités compétentes. C’est pourtant un café et l’addiction.

Si Paris 2024 devait être mis en bouteille, cela serait dans une cannette de Coca-Cola !

Avec les millions de dollars que Coca-Cola injecte dans le CIO, la devise olympique s’enrichit d’un qualificatif : «  plus haut, plus vite, plus fort, plus lucratif…  » Et offre à la firme américaine, sinon les pleins pouvoirs, du moins une influence certaine. En 1996, alors qu’Athènes rêvait d’accueillir en Grèce les Jeux du centenaire, le CIO a imposé Atlanta, la ville américaine d’où Coca-Cola gère son empire, le berceau de la maison mère.

Pour 2008, alors que le régime chinois suscitait l’indignation internationale, le CIO a désigné Pékin, à la grande satisfaction de la firme d’Atlanta, soucieuse de prendre pied sur le marché chinois, où elle s’est fait rapidement un allié de poids, l’entreprise Mengniu Dairy, géant des produits laitiers, dont une filiale s’emploie désormais à l’embouteillage du Coca-Cola. Ainsi en 2019, Coca-Cola, associé à l’industriel chinois, a signé avec le CIO un contrat de partenariat qui court jusqu’en 2032, et leur assure l’exclusivité des droits marketing mondiaux. Montant de la transaction ? Top secret. Selon le quotidien britannique Financial Times, Coca-Cola aurait investi dans l’opération 3 milliards de dollars… À ce tarif, la firme en impose… jusque dans la sélection des sports…

À chaque nouvelle olympiade, outre les 28 sports labellisés olympiques (de l’athlétisme à la natation en passant par toutes les autres disciplines traditionnelles), le programme propose de nouveaux sports, des sports dits additionnels, en démonstration, proposés par le pays organisateur, mais validés par le seul CIO. Pour Paris 2024, il y avait quatre places à prendre. Dans cette optique, la fédération de pétanque avait déposé sa candidature, car la pétanque n’est pas seulement un divertissement de vacanciers, c’est aussi un sport international, fédéré dans 165 pays, avec 200 millions de pratiquants, sur les pourtours de la Méditerranée et dans le Maghreb, mais aussi en Asie, notamment en Thaïlande, où il  est très populaire. Las, la pétanque est restée sur le carreau. Les sports validés par le CIO ont été le surf, l’escalade et le skate-board (tous trois déjà retenus aux Jeux de Tokyo en 2021) plus un petit nouveau : le breakdance !

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Fort lucidement, Joseph Cantarelli, alors président de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal, analysait les raisons de cet échec : «Comme vous toutes et tous j’accuse ce que nous ressentons comme un «coup dur» qui vient de frapper notre intime conviction de voir les Sports de boules et donc notre sport pétanque entrer, sur nos terres, aux JO de Paris. Comme quoi les critères d’entrée aux JO ne sont plus exclusivement liés aux valeurs fondamentales du sport en tant que tel mais plutôt et de préférence au seul succès médiatique d’un sport ou d’une «pratique» auprès de la jeunesse. » Tout est dit. Si le breakdance a été sélectionné c’est qu’il s’adresse à la jeunesse, la cible prioritaire de Coca-Cola. Et le programme officiel annonce la couleur : « Et si on dansait à Paris au cœur de l’été ? À peine cinq ans après avoir été reconnu en tant que sport de haut niveau en France, le « breaking » s’apprête à faire son entrée triomphale aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Et pas n’importe où. Les 32 athlètes qualifiés – 16 B-Girls et 16 B-Boys s’affronteront en duel les 9 et 10 août prochain sur l’iconique Place de la Concorde. » Place qui sera aux couleurs de Coca-Cola.

Dans ces conditions, la désignation de la chanteuse Aya Nakamura pour la cérémonie d’ouverture et du rappeur Jul pour allumer la flamme à Marseille coulent du goulot d’un soda… C’est moins une volonté politique qu’un choix publicitaire pour satisfaire Coca-Cola, qui dans l’optique des JO a organisé le Coca-Cola Music Tour, une tournée de concerts à travers la France, pour mettre les Jeux en musique et Paris en bouteille.

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  1. Voir https://dopagedemondenard.com/ ↩︎

Donald Trump passé du côté cœur…

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À Milwaukee, lundi soir, Donald Trump a été accueilli triomphalement à la convention républicaine, au surlendemain d’un attentat qui aurait pu lui couter la vie. Il a annoncé la nomination du sénateur de l’Ohio J.D. Vance1 comme colistier. Le mobile du tireur Thomas Matthew Crooks reste pour l’instant inconnu.


La cause est entendue. Au mois de novembre, Donald Trump sera élu président des États-Unis. À cause de la sénilité intermittente de Joe Biden et du dernier débat entre eux, qui l’a vu sombrer. Grâce à, si j’ose dire, la tentative d’assassinat dont Donald Trump a été victime et qui à un centimètre près aurait pu être mortelle.

Le comportement de Trump, après la commission de ce crime, a été admirable de courage et supérieurement habile sur le plan politique, en manifestant des vertus de combat et de résistance magnifiées par la tragédie à laquelle il avait échappé par miracle, une sauvegarde exploitée comme un signe du destin.

Les États-Unis, une démocratie violente

Il ne peut plus perdre après un tel concours de circonstances. Joe Biden a admis qu’il avait eu tort de demander qu’on « cible » son adversaire même s’il a précisé ce qu’il entendait par là et qui n’avait rien à voir avec l’agression qui a suivi. Il a confirmé qu’il irait jusqu’au bout tout en comprenant ceux qui s’inquiétaient pour sa santé et souhaitaient son abandon.

Les quelques réactions odieuses de gens regrettant que Donald Trump s’en soit tiré comptent peu face à un climat général qui semble avoir pris la mesure des risques de la violence verbale et de l’outrance développées lors de la campagne présidentielle. Donald Trump, pas exempt de critiques sur ce plan, a pris conscience des devoirs qui devaient être les siens désormais en faisant un appel à l’unité.

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Il faut à ce sujet relever la remarquable influence de ses deux conseillers principaux, une femme très professionnelle et respectée par tous (Susie Wiles) et un homme, ancien militaire, chargé de débusquer les erreurs et les points faibles de ses contradicteurs et opposants (Chris LaCivita). La nouveauté est que Donald Trump les écoute et s’en porte bien.

Mais au-delà de sa victoire programmée, j’ai été frappé par l’extraordinaire élan de sympathie et de solidarité qui a montré à quel point la tentative d’assassinat sur Donald Trump avait fait radicalement changer le regard sur lui, non pas seulement de ses soutiens et des militants républicains – l’ovation interminable à la Convention républicaine ayant ému Trump lui-même – mais des citoyens américains qui n’étaient pas favorables à sa cause et des médias qui lui étaient hostiles.

Trump nous surprendra toujours

Ces derniers n’ont sans doute pas changé d’avis sur l’homme, sa personnalité et son projet mais ils ne pouvaient pas faire autrement que d’être pris dans ce mouvement dominant d’accalmie de la politique partisane au bénéfice d’une concorde magnifiquement conjoncturelle. Le signe le plus éclatant de cette parenthèse de grâce a été le fait que tous les médias ont interrompu leur programme pour montrer en direct Donald Trump dans son triomphe à la Convention républicaine.

Au mois de novembre, son élection acquise, il lui restera à démontrer quels effets ont eu sur lui et sur sa pratique du pouvoir les événements dramatiques de ces derniers jours. Pour ma part, si j’ai désapprouvé évidemment son comportement judiciaire, son mépris pour l’État de droit et sa provocation ayant inspiré l’attaque du Capitole, je n’avais pas été un critique compulsif de son action lors de son premier mandat, au moins jusqu’à l’arrivée du Covid.

Pour le second mandat, j’entends bien que Donald Trump est certainement capable du pire mais son imprévisibilité peut aussi le conduire vers le meilleur. En tout cas, avec lui, il se passe toujours quelque chose et il ne sera pas un président amorphe. L’énorme changement dont Donald Trump sera forcément enrichi est que, depuis le crime dont il a réchappé heureusement et les conséquences qu’il a engendrées, il est passé, aux États-Unis et dans une grande partie du monde, du côté cœur.


  1. À ce sujet, relire J. D. Vance: un Éric Zemmour américain?, Lucien Rabouille, Causeur.fr (2002) ↩︎

Carte d’identités

Face à des zones urbaines hors-sol de plus en plus rouges et de rares bastions bourgeois où l’on vote encore comme il y a vingt ans, le RN est désormais ancré dans 93 % des communes françaises. L’auteur de L’Impasse de la métropolisation analyse notre nouvelle géographie électorale.


La séquence électorale unique vécue par la France entre le 9 juin et le 7 juillet 2024 offre un visage politique inédit de la France. Le vote final du 7 juillet n’a pas eu lieu à l’heure où sont écrites ces lignes. Mais les scrutins des 7 et 30 juin constituent un tournant qui mérite analyse. Celui du 30 juin a vu se déplacer 7,5 millions d’électeurs de plus que le précédent (soit 32,9 millions d’électeurs, deux inscrits sur trois), mais les rapports des forces en présence et la nouvelle géographie électorale ont été dégagés dès les européennes du 9 juin.

France bleu horizon à 93%

Ce jour-là, pour la première fois de son histoire contemporaine, plus de neuf communes sur dix ont placé en tête un même parti, le Rassemblement national (93 % des communes contre 71 % en 2019, et 32 613 communes sur 35 015). La question n’est plus de savoir où se situent les « blancs » ou les « bleus » sur la carte de France, ni même de scruter une France « rouge » ou « rose », mais d’observer la quasi-homogénéité du vote nationaliste vainqueur, surtout si l’on y agrège le vote pour Reconquête ! et quelques autres petites formations souverainistes, soit 40 % des suffrages exprimés.

Cette carte de la France bleu horizon – qui évoque la Chambre de 1919 dans un contexte non moins exceptionnel –, départements et régions d’outre-mer (DROM) compris, a été publiée par la presse au lendemain du scrutin. Elle diffère de celles qui l’ont précédée, car même si des migrations électorales étaient observées depuis les années soixante – comme le passage de la Bretagne à gauche –, il existait depuis le xixe siècle (1919 mis à part) une part irréductible de la France de gauche : le grand Sud-Ouest radical-socialiste, le Limousin et le Poitou socialistes, plus anciennement le Midi rouge, le Nord-Pas-de-Calais ou le centre de la France (Nièvre, Allier, Cher), et la banlieue rouge de Paris. Sauf cette dernière, cette géographie est aujourd’hui masquée. Comment interpréter la nouvelle carte électorale de la France ?

Plusieurs choix sont possibles. Le premier consiste à partir du seuil atteint par le Rassemblement national (RN) au niveau départemental, plus précis que le régional. Le RN y dépasse les 50 % dans un seul département métropolitain, l’Aisne, et dans celui de Mayotte. Il passe la barre des 40 % dans 19 autres départements de métropole. À un niveau moindre, la liste Bardella est en tête dans six DROM sur 11, dont le plus peuplé, La Réunion (35 %). Les Français de l’étranger en revanche, placent en tête le centre macronien, mais seuls 17 % des inscrits ont voté (258 000).

Une seconde option consiste à projeter sur une carte le vote national par commune selon le parti arrivé en tête. Une troisième est de faire de même, mais par niveau d’intensité du premier parti par commune (plus de 50 %, plus de 35 %…). Cette dernière carte fait ressortir les zones d’ancrage record du RN : à plus de 50 % se dégagent le nord et l’est du Bassin parisien, de larges foyers en Haute-Normandie, en Franche-Comté, en Bourgogne et jusqu’à l’Indre, toutes zones ayant plus que d’autres subi la désindustrialisation. L’Indre est le seul département métropolitain – comme Mayotte – dont toutes les communes ont placé le RN en tête. S’ajoutent à cela, au sud, le Var intérieur, le Gard oriental, le Languedoc littoral et le Nord-Gironde. Au seuil inférieur de 35 %, encore rarement atteint aux européennes de 2019, seuls le nord et l’est du Bassin parisien, enveloppant l’Île-de-France, étaient concernés.

data.gouv.fr

En 2024, la moitié des communes françaises dépasse ces 35 %, soit presque tout le Bassin parisien désormais, jusqu’aux frontières du nord et de l’est, seulement atténué sur ses marges occidentales de Normandie. Deux cent trente-cinq ans après 1789, la grande région qui a porté la Révolution française est acquise de manière très nette au RN, hormis le cœur de l’Île-de-France, et une poignée de grandes villes : Rouen, Caen, Lille et Melun. À cela s’ajoutent le centre de la France, les vallées de la Saône et du Rhône (Lyon excepté), tout le Midi méditerranéen et la Corse, mais aussi la vallée de la Garonne, la Gironde, la Charente-Maritime, le sud de la Vendée et la Bretagne intérieure.

Quels sont dès lors, métropoles mises à part, les points faibles de l’ancrage du parti nationaliste ? En premier lieu, l’Île-de-France, qui rassemble un tiers de l’immigration nationale, ce qui n’est par définition pas favorable au parti nationaliste. En second lieu, de grandes régions qui furent successivement catholiques ou protestantes et socialistes : la Bretagne littorale et l’Ille-et-Vilaine ; l’ouest des Pays de la Loire et de la Normandie, soit le plus grand bloc catholique historique sous la République ; la Gascogne (sud de la Garonne, Gers), le Pays basque (historiquement catholique) et les Pyrénées (Béarn ou Ariège), vieilles régions radicales-socialistes ; la plus grande partie du Massif central, surtout le sud (Lot, Aveyron), les pays protestants des Cévennes et du Vivarais (Ardèche orientale), mais aussi, rive gauche du Rhône, la Drôme et le Sud-Isère ; enfin, les deux Savoie, vieille terre catholique. Le reste n’est constitué que d’îlots dans le Jura, en Bourgogne ou en Alsace intérieure.

Constatons la diversité régionale et la dispersion des 7 % de communes qui n’ont pas placé le Rassemblement national en tête. Elles sont rares dans le Bassin parisien, à l’est, au nord et au centre de la France. Il faut se munir d’une loupe d’entomologiste pour les observer : ces points et foyers sont isolés. En effet, les grandes agglomérations, qui sont leur fief, concentrent leur population sur de petits territoires : les 11 grandes métropoles françaises rassemblent 28-29 % de la population nationale sur quelques pour cent du territoire. À quels critères répondent ces 7 % de communes hors norme ?

Elles se concentrent plutôt dans le sud et l’ouest du pays. La vieille France rurale et maritime à l’ouest de la ligne Rouen/Marseille – devenue attractive lors de ces quarante dernières années. La ligne de partage de l’Hexagone est certes à actualiser à l’ouest d’une ligne Caen/Grenoble, Midi méditerranéen excepté. À cela s’ajoutent les métropoles, sauf Marseille et Nice.

Les 2 400 communes qui échappent à la primauté du RN se partagent selon leurs affiliations : les Républicains arrivent en tête au Pays basque intérieur et dans l’ensemble Cantal/Nord-Aveyron/Haute-Loire, derniers fiefs de la droite ; les écologistes dans la Drôme ; les macronistes en Mayenne, dans l’Ouest parisien et dans le golfe du Morbihan, autant de petites régions denses à électorat catholique fidèle ; les listes LFI gagnent essentiellement en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne, et dans l’agglomération lilloise. Enfin, les communes plus nombreuses sont gagnées par les listes Union de la gauche de R. Glucksmann : elles se situent surtout dans le Sud, de l’Isère à Bordeaux (Isère, Drôme, Lozère, Lot, Pyrénées) ; en second lieu dans les grandes villes à l’ouest d’une ligne Poitiers/Caen : Nantes et le bassin rennais, outre de microrégions bretonnes en Finistère ; enfin à Paris, où Glucksmann arrive largement en tête (22,86 %), surtout à l’ouest. Paris centre et est sont disputés à LFI.

Métropoles hors-sol

De ce fait, les métropoles françaises sont hors-sol, à mille lieues par leur vote et par leur sociologie électorale du reste du territoire. Exception faite de Nice et Marseille, les autres relèguent le RN, et placent en tête les listes d’Union de la gauche (R. Glucksmann), Ensemble (V. Hayer) et LFI (M. Aubry) : Paris et Île-de-France, Bordeaux, Toulouse et Montpellier, Nantes et Rennes, Lyon et Grenoble, Lille et Strasbourg. Ajoutons-y des villes secondaires qui placent en tête la gauche et le parti macronien : Caen, Poitiers, Angers, Brest, Niort (la ville des mutuelles), Besançon, Nancy, Amiens et Rouen. Ces îlots urbains concentrent la majorité des classes aisées, les 20 % de « cadres » de la population française. Ils habitent pour un tiers en Île-de-France, pour un autre dans les dix autres métropoles, et le tiers restant dans les villes secondaires, les préfectures ou les sous-préfectures. Les familles de cadres peinent parfois à inverser le vote dominant, ainsi que nous l’avons vu à Marseille et Nice, deux métropoles qui se caractérisent par la présence des classes populaires en leur sein. Ajoutons que ces grandes agglomérations rassemblent aussi les trois quarts de l’immigration française, pour partie regroupée dans des quartiers dits populaires, constitués en viviers au sein desquels LFI a établi ses bases les plus solides (nord et est parisien ou nord-ouest de Marseille).

Le scrutin du 30 juin, contrairement aux vœux du président de la République, qui a dissous l’Assemblée nationale pour retrouver une majorité à sa main, n’a pas atteint son objectif : il n’a fait que confirmer le vote du 9. Nous disposons d’une carte de France des partis arrivés en tête par circonscription (près de 90 000 inscrits en moyenne). Cette carte des 539 circonscriptions de métropole (sur 577) n’est pas aussi monocolore que la précédente. Le RN et ses alliés sont en tête dans 297 d’entre elles (dont deux outre-mer), mais les trois autres forces politiques dominantes – le Front populaire, l’alliance présidentielle et la droite subsistante – sont cette fois bien visibles.

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La droite est en tête dans 29 circonscriptions en métropole (sur 34 au total), ses anciens bastions : sept dans le Grand Ouest, sept dans le Massif central, deux en Savoie, sept dans le Grand Est, quatre en Île-de-France hors Paris et une en Corse. Chassée de Paris, des métropoles, du Grand Sud, d’Alsace et de Lorraine, elle est résiduelle. La majorité présidentielle s’est substituée à elle dans plusieurs anciennes places fortes, avec 57 circonscriptions de l’Hexagone (sur 62). Présente dans quatre métropoles, elle tient sa principale place forte en Île-de-France, de l’Ouest parisien aux Yvelines, avec 21 circonscriptions contiguës. Enfin, outre la Savoie et de rares circonscriptions dispersées, elle se maintient dans le Grand Ouest, en Bretagne littorale et sur les marges armoricaines, de la Vendée littorale au sud de la Manche, son fief étant le Maine-et-Loire.

Quant au Nouveau Front populaire (NFP), il est la principale force en métropole après le RN (148 circonscriptions sur 155) et marche sur trois pieds : les vieux fiefs de la gauche, le centre des métropoles et les anciennes banlieues rouges, ses « quartiers populaires ». Les fiefs de gauche sont le sud de l’Aquitaine, les Pyrénées centrales, le Limousin, le Puy-de-Dôme ou la Bretagne (Finistère et Loire-Atlantique, et non plus les Côtes-d’Armor). Les métropoles sont presque totalement passées à gauche comme déjà vu, y compris les deux tiers de Paris, Bordeaux, Strasbourg et Lyon. Mais le principal fief est l’ancienne banlieue rouge, la petite couronne de Paris, puisque même les Hauts-de-Seine sont grignotés ; et le NFP est au contact du RN en Seine-et-Marne, dans l’Essonne et le Val-d’Oise.

Il existe en définitive une étonnante homogénéité du vote entre les métropoles, l’ensemble Paris et petite couronne, les grandes villes de l’Ouest, de Caen à Toulouse, en passant par Rennes, Nantes et Bordeaux, mais aussi Lyon, Grenoble, Lille et Strasbourg. Les villes et départements les plus riches de France (au regard de l’IR et l’ISF), Paris, les Hauts-de-Seine, Bordeaux, le nord-ouest de l’agglomération lyonnaise, l’est des Yvelines… se partagent entre le macronisme et désormais les gauches, tandis que les secteurs « populaires » de ces agglomérations sont aux mains des gauches (de Lille aux quartiers nord de Marseille). Seules quelques communes ou circonscriptions proches de Strasbourg, Lille ou Bordeaux échappent au RN, tandis qu’à Rennes, Toulouse et Nantes, comme en Île-de-France, des régions urbaines plus vastes échappent au RN.

Ainsi, aux lignes de partage traditionnelles, forgées depuis des siècles par le rapport des populations à la Révolution, au christianisme et à l’État, se sont surimposés des clivages économiques et migratoires nouveaux issus de la métropolisation récente de l’espace français. Sous le voile bleu du Rassemblement national, qui masque en surface l’ensemble de ces clivages culturels et politico-économiques sous-jacents, la France reste en mode mineur le conservatoire de son opposition historique entre le rouge et le noir, et en mode majeur le champ de bataille entre les relégués de la mondialisation (la France périphérique) et les groupes mondialisés (bourgeois et immigrés) qui ferraillent au sein des métropoles.

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Le niqab préserve la « pudeur » des femmes, et l’identité des escrocs


Le port du niqab sert-il toujours à protéger la pudeur des femmes ? Comme beaucoup de jeunes Indonésiens de son âge, AK (dans la presse il n’a été identifié que par ses initiales), 26 ans, est un habitué des sites de rencontre. Sur l’un d’eux, il a noué une relation avec une jeune fille de son âge. Les deux tourtereaux ont fini par se rencontrer sous le regard de Cupidon. Portant le niqab, Adinda Kanza s’est présentée à lui comme musulmane pratiquante, ce qui est loin de déranger le jeune amoureux qui considère ce vêtement traditionnel « comme un signe de dévotion à l’islam ».

Après un an d’échanges respectant les règles du prophète Mahomet, le couple a décidé de se marier. La promise, prétendant être sans famille, a opté pour une simple cérémonie organisée chez AK après qu’elle a apporté une dot de cinq grammes d’or. Cependant, une douzaine de jours après leur mariage, AK a commencé à nourrir des soupçons. Son épouse refusant ostensiblement de quitter son niqab à la maison ou d’avoir tout contact sexuel sous divers prétextes fallacieux, il a fini par enquêter et découvrir l’impensable. Les parents de son épouse étaient bien vivants, en bonne santé, et n’étaient pas au courant de ce mariage. Pire encore, AK est tombé des nues lorsque ceux-ci lui ont révélé que celle qu’il avait épousée était en réalité un homme, se travestissant depuis quatre ans. La police a immédiatement placé en détention la fausse jeune femme, en expliquant que cette dernière avait tout planifié pour voler les biens de son époux. Son imposture était facilitée par sa voix aiguë et, surtout une fois maquillé, des traits du visage remarquablement féminins. Inculpé(e) pour fraude, elle/il risque jusqu’à quatre ans de prison.

Le port du niqab, qui n’est pas traditionnel en Indonésie, y connaît une popularité croissante que même la leçon de l’histoire d’AK ne freinera pas.

En Nouvelle-Calédonie, le feu continue de brûler

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Lors de la fête nationale, la présidente de la Province Sud (et ancienne Secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté), la loyaliste Sonia Backès, a estimé que le «destin commun a échoué» avec les indépendantistes. Elle pense que les deux camps antagonistes sont irréconciliables.


L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs.

Dans une conférence de presse tenue le 15 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction etc., etc.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

A relire: Nouvelle-Calédonie: émeutes sociales, politiques ou raciales ?

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Nouméa, 15 mai 2024 © Nicolas Job/AP/SIPA

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considération ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.

Source : Conflits

Michel Mourlet, «le jeune homme (toujours) vert»

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En 2016, Michel Mourlet, alors 81 ans, faisait une pause et se souvenait. Il publiait ses Mémoires (Une vie en liberté) – et on se régalait. Relecture.


« Nous sommes entourés de peintres morts, d’écrivains morts, de philosophes morts qui tentent de nous persuader qu’ils sont encore vivants. Leur nombre et la torpeur du public ont pu entretenir cette illusion ; pourtant ce qu’on devine sous leur masque est à faire frémir. Du fond de leurs sarcophages transformés en échoppes, ils bradent en ricanant la civilisation hors de laquelle nos avortons frileux n’auraient pas existé deux jours, non plus qu’à Sparte. Or, voici que ces magasins encombrés de chinoiseries excitent furieusement chez certains esprits non conformes le désir de s’y ébrouer à l’aise. Gageons que MATULU, brave éléphant sans vergogne, ne va pas s’en priver »                                

« Une dernière catégorie de personnes sera peut-être intéressée par notre entreprise : les pessimistes invétérés, les vaincus d’avance, qui ne tentent rien par principe et cueillent immanquablement les fruits amers de leur inertie. Nous essaierons de les convaincre que la persistance des maux dont ils se lamentent réside dans cette lamentation même, et que l’opiniâtreté d’une volonté judicieuse peut abattre bien des forteresses en apparence inexpugnables »

Michel Mourlet, « L’Éléphant dans la porcelaine », éditorial du premier numéro de MATULU, mars 1971

Quelle vie, en effet ! Des « mac-mahoniens » à MATULU, de Présence du cinéma à La NRF, de Valeurs actuelles et Nouvelle École à La Nouvelle Revue Universelle (remarquable revue trimestrielle fondée par Jacques Bainville) depuis 2017, Michel Mourlet fut tour à tour théoricien du cinéma, romancier, dramaturge, critique de théâtre et littéraire. Sa triple postulation – cinéma pendant les grandes années de la cinéphilie (années 50-60), théâtre pendant quinze ans à Valeurs actuelles, littérature (de toujours) – lui a permis d’embrasser le vaste monde dans sa très féconde complexité (et richesse).

Dans Une vie en liberté, il se souvient (donc) : de la découverte de son maître Paul Valéry et de ses rencontres émerveillées avec Montherlant, de ses lectures de Flaubert, Descartes, Nietzsche, Pascal, Chamfort, et de son ami Fraigneau, de son rendez-vous manqué avec Cocteau et de ceux, mémorables, avec Déon. De son admiration, illustrée par un dossier dans MATULU, de Morand (l’écrivain, l’homme moins), et du trop méconnu François Billetdoux, d’autres de ses amis aussi : Michel Marmin, Alfred Eibel, Jean Curtelin, Jean Dutourd, Georges Mathieu, Silvia Monfort, Alexandre Astruc.

A lire aussi, du même auteur: Julien Benda, le Finkielkraut de son temps?

On le trouve dans ses Mémoires tel qu’on le suppose (et qu’on le connaît) : homme libre, incapable d’hémiplégie intellectuelle, susceptible de s’enthousiasmer pour Etiemble ET pour Druon (voire pour Sartre, ce qui nous est inaccessible, en dépit de nos lectures). Il se rappelle les conversations avec Rohmer, l’étonnant et trouble Parvulesco, l’illustrateur Savignac.

Très précis dans ses évocations, cérébral, il parvient à rendre son lustre à un mot usé, voire démonétisé aujourd’hui : Mourlet est un intellectuel très outillé, un agitateur d’idées, un provocateur épris de logique, un polémiste surtout, dont la langue est tant pendue que savoureuse.

« Il goûte subtilement ce qu’il aime, il sait faire partager ses admirations, ses humeurs, ses enthousiasmes. En un mot, Michel Mourlet restera peut-être, sans doute, parce qu’il est aussi un écrivain. » (Jean-Jacques Brochier, Le Magazine littéraire)

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L’amoureux, quoique discret et pudique, apparaît aussi dans ces pages qui revivifient en un exaltant bouquet quelques-unes des figures les plus insolentes du demi-siècle passé. Et une époque où la liberté de penser n’était pas un vain mot. Une audace tout au plus. Un courage aussi.

NB Deux précisions pour finir – et compléter l’ « exaltant bouquet » :

  1. Pour les amoureux de la littérature du XXème siècle, Michel Mourlet a publié en 2021, la troisième édition, revue et augmentée, de son recueil dorénavant classique – « Écrivains de France ».
    On devine la gourmandise de l’acteur d’A bout de souffle, (eh, oui ! je vous renvoie à ses Mémoires, et au film !) à écrire « de France » après ses « écrivains ». Et on la reconnaît lorsqu’on lit ou relit ses évocations d’Anouilh et de Bernanos, de Chardonne et de Déon, de Dupré et de Gaxotte, de Malraux et de Guitry, de Toulet et de Romains, de Valéry et de Judrin. Oui, très « qualité France », Mourlet. Qualité supérieure, même. On ne vous apprend rien.
  2. Pour les amateurs du Mourlet polémiste, créateur du journal culte MATULU, signalons la parution de « Trissotin, Tartuffe, Torquemada – La conjuration des trois ‘‘T’’- Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022 » (Éditions France Univers) – où il réunit près de 70 (!) ans de batailles et querelles, critiques et essais – variés et signifiants. Dont, précision importante, l’éditorial cité en exergue ci-avant : « L’Éléphant dans la porcelaine » – une des merveilles de ce recueil, qui en est prodigue.

De Michel Mourlet :

Écrivains de France (XXème siècle)Éditions France Univers. 

Écrivains de France XXe siècle: Troisième édition augmentée

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Une vie en liberté – Éditions Séguier.

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Matulu – Journal rebelle 1971-1974 – Éditions de Paris-Max Chaleil (anthologie du journal Matulu que j’ai eu le plaisir d’établir – je la signale toute honte bue, mais avec un certain esprit de cohérence : Mourlet en fut le fondateur, l’âme, le directeur, etc.).

Matulu: Journal rebelle (1971-1974)

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Et toujours – puisque Michel Mourlet y figure évidemment, parmi 600 autres élu(e)s :
Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi – Éditions de Paris-Max Chaleil.

De l’intérêt de lire Edith Wharton cet été

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La romancière de la haute-société new-yorkaise (1862-1937) nous laisse trois chefs-d’œuvre à découvrir : Chez les heureux du monde, Le temps de l’innocence et Ethan Frome.


Edith Wharton connaît une nouvelle jeunesse. Posées sur les étals des librairies, ses Chroniques de New York, rééditées récemment par Gallimard (coll. Quarto), en imposent aux côtés des livres contemporains… et leurs 200 pages, préface comprise. Le roman le plus connu de l’auteur, Le temps de l’innocence, publié en 1920, est quant à lui au programme des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles scientifiques pour l’année 2024-2025. Il existe, en réalité, bien des raisons de découvrir le travail de la première femme à avoir remporté le très convoité prix Pulitzer.


Lire un grand auteur, c’est toujours se plonger dans un monde, c’est-à-dire la combinaison d’un espace géographique, d’une époque, d’un milieu social et familial : l’univers d’Edith Wharton n’a rien des bas-fonds londoniens de Jack London, ni du Berry champêtre de George Sand ; il n’a rien non plus du New York psychotique de Bret Easton Ellis, énigmatique de Paul Auster ou débauché de Salinger ; non, le New York de Wharton est celui de la haute société du début de XXe siècle dont aucun grain de sable ne semble pouvoir venir enrayer la mécanique lampedusienne du « changement pour que rien ne change ».

Apparences

C’est donc au cœur de ce monde trop ordonné qu’apparaissent des personnages déstabilisateurs – disruptifs, dirait-on aujourd’hui -, de façon furtive comme pour finalement mieux asseoir toutes les pesanteurs : c’est le cas de Lily Bart dans le roman Chez les heureux du monde et d’Ellen Olenska dans Le temps de l’innocence, interprétée par Michelle Pfeiffer dans la magistrale adaptation cinématographique de Martin Scorsese au début des années 90. À la fin, les apparences sont sauvées, à peine le vernis a-t-il craquelé ; rien, si ce n’est dans les cœurs, ne s’en est trouvé durablement bouleversé ; et les nouveaux riches sont toujours aussi fortunés. La romancière elle-même navigua dans ce milieu, femme d’affaires redoutable et conservatrice qui ne manqua pas néanmoins de divorcer d’un mari peu au fait des choses de l’amour, encore moins de la fidélité.

A lire aussi, Patrick Mandon: Drieu la Rochelle, une ombre encombrante

Lire Edith Wharton, en été de surcroît, c’est profiter du plaisir de la lecture, quand on est épuisé par les émissions littéraires, leurs commentateurs et leurs invités dont les péroraisons, si elles valent mieux que celles des plateaux sportifs, n’en demeurent pas moins souvent soporifiques à force d’être mielleuses et moralisatrices, ou quand on se lasse des poncifs associés aux livres – la « petite musique » de l’un, le « pastoralisme » de l’autre – et des débats répétitifs – « faut-il séparer l’œuvre de son auteur ? »

Enterrée en France

Ernst Jünger se demandait à juste titre si l’on finirait par distinguer, à la fin de son siècle – le XXe -, deux classes d’hommes, les uns formés par la télévision, les autres par la lecture. On pourrait ajouter qu’avec le nouveau millénaire, une troisième catégorie d’hommes a fait son apparition : ceux qui sont biberonnés aux réseaux sociaux. À l’époque d’Edith Wharton, ceux-ci n’existaient pas. Dès lors, tout est dans l’écriture, c’est-à-dire dans le style et donc la description des personnages, des lieux, des émotions, dans les dits et non-dits, dans le vocabulaire, autant d’élégances qu’oublie pléthore d’écrivains actuels.

Le monde d’Edith Wharton ne se limite pas aux gazons d’émeraude bordés de géraniums et de coléus, ni aux loges rouges et or de l’opéra de New York où se presse la haute société. Et s’il fallait finir de se convaincre de lire l’écrivain, soulignons donc son rapport à un autre univers : la France. Elle fut introduite dans les cercles littéraires français par Paul Bourget, auteur d’Un crime d’amour, et se lia à d’autres écrivains de son temps, dont Anna de Noailles et André Gide. Elle commença à rédiger Ethan Frome dans la langue de Molière. Signe qui ne trompe pas, celle qui logea une décennie durant rue de Varenne repose aujourd’hui à Versailles.

Chroniques de New York: Romans, nouvelles

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La Maison de liesse – Les Beaux Mariages – L’Âge de l’innocence – Vieux New YorkDossiers : «De l’écrit à l’écran» (filmographie) – «New York, de sa fondation à la fin de l’Âge doré». Vie & Œuvre illustré.

Chez les heureux du monde

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Trump: petit cours de journalisme politiquement correct

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Breaking news. Tentative d’assassinat, pendant la campagne électorale américaine. Mince… ce n’est pas le candidat espéré par les journalistes qui était visé.


Vous êtes journaliste ou aspirez à le devenir. Désireux de faire une belle carrière, vous êtes bien conscient de devoir vous aligner le plus servilement possible sur le politiquement correct. Afin d’illustrer ce propos, je me permets de vous proposer ce qui suit.

Imaginons que, lors de la campagne électorale des présidentielles aux États-Unis, l’un des deux candidats se trouve blessé par balle au cours d’un meeting en plein air. Blessure assez légère fort heureusement, cependant la volonté de donner la mort ne fait aucun doute et la qualification de tentative d’assassinat s’impose à tous, adversaires politiques comme partisans.

Deux cas de figure vous sont dès lors proposés.

Premier cas : le candidat visé et blessé est Républicain, donc classé, ou plutôt – politiquement correct oblige – relégué à droite. Appelons-le Donald T.

Devant ce fait d’actualité, ce que à quoi vous devez vous attacher est très clair : focaliser votre article, vos interviews, vos plateaux TV sur le seul sujet des règles de sécurité, de protection et leur mise en œuvre dans cette circonstance. Rien d’autre que la sécurité, cela est essentiel. Y avait-il assez d’agents secrets et non-secrets ? Sont-ils bien formés, après tout ? La position du tireur d’élite couché est-elle la bonne? Le fusil d’assaut sur un trépied est-elle la configuration prévue par le manuel ? Pourquoi l’exfiltration du blessé a-t-elle pris trois minutes et quarante-huit secondes alors qu’elle aurait dû s’effectuer en trois minutes et quarante-cinq secondes ? Pourquoi est-ce la portière arrière de ce côté qu’on a ouverte, et pas l’autre ? Enfin, vous voyez, vous croulez sur les points exploitables. Vous vous en remettez évidemment à l’avis d’experts-spécialistes et de spécialistes-experts qui tous tombent d’accord pour affirmer que s’ils avaient été en charge du truc, ça ne se serait pas passé comme ça. Ah, mais non ! Bref, vous avez compris que vous tenez là le traitement de votre sujet, vos trois pages de canard, l’intégrale de votre journée « spéciale attentat ». Vous n’avez plus qu’à attendre les félicitations de votre hiérarchie. Voire de plus haut.

Second cas de figure : le candidat visé et blessé est Démocrate, l’homme du bon camp, le parti des vertueux. Appelons-le Joe B. Même blessure légère, également à l’oreille. (Notez que nous nous plaçons dans l’hypothèse où ce personnage aurait encore la lucidité de s’être rendu compte de ce qui se passait). Ainsi, vous voilà avec la mission journalistique de traiter la tentative d’assassinat sur la personne du candidat démocrate Joe B.

À lire aussi, Gerald Olivier: Quel « VP » pour Donald Trump?

Sachez tout d’abord qu’il n’y a absolument aucune urgence à ce que vous vous intéressiez dès à présent aux conditions, bonnes ou mauvaises, dans lesquelles sa sécurité était assurée. Vous décrétez que cela relève de l’anecdotique et ne devra venir que plus tard, seulement si besoin est.

Non, en excellent journaliste adepte du politiquement correct, vous aurez à cœur d’ouvrir votre papier, votre émission radio ou TV par une formule du genre : « Certes, c’est ce pauvre bougre Tartempion-Machin qui a tiré, mais c’est bel et bien le populisme trumpiste qui a engagé la balle dans le canon. » D’emblée, vous êtes au top du top. Vous tenez le coupable, le seul vrai coupable, le fauteur de troubles vaguement raciste, le semeur de haine, de discriminations tous azimuts, le propagateur fanatique de la violence, de toutes les violences. Pour étayer le réquisitoire, vous exhumez de ses propos des cinquante ou soixante dernières années le moindre bout de phrase, la plus légère allusion qui, éventuellement, pourrait presque donner à envisager qu’il aurait pu, plus ou moins, de loin ou de près, encourager un tel acte. Vous convoquez évidemment ce qu’il faut de témoins à charge à la barre de votre procès instruit d’avance. Ils sont légion. Et tous sont d’accord pour déclarer qu’ils avaient vu le coup venir depuis longtemps et que si on avait écouté plus tôt leurs mises en garde contre la montée du fascisme, le retour de la peste brune, ce drame épouvantable ne se serait jamais produit. Ah, mais non !

Bref, vous tenez là le papier de votre vie, celui qui vous ouvrira en grand les portes de la carrière. Car vous n’aurez pas omis de glisser quelques mots bien sentis sur ce fascisme encore rampant qui serait, en vérité, une internationale. Suivez mon regard.

Bien entendu, vous n’omettrez pas non plus de conclure votre brûlot par ces mots qui vous vaudront les vivats de la foule des grands soirs Place de la République : « Plus que jamais la preuve est faite ! Le populisme tue! » De la belle ouvrage, vraiment. Allons, ne me remerciez pas.

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«Un p’tit truc en plus»: anatomie d’un succès mérité

Notre chroniqueur a parfois des défaillances dans son système d’exécration universelle : il aime les animaux, le filet de bœuf Wellington et les bons sentiments. Les vrais, pas la guimauve. Il revient pour nous sur le phénoménal succès du film d’Artus, qui a emballé la France entière — sauf Paris. Peut-être pas un hasard, analyse-t-il.


Je n’ai pas de télévision, et j’ignorais complètement qui était Artus. C’est dire que je suis allé voir Un p’tit truc en plus en état de parfaite innocence, perplexe devant le succès phénoménal (près de 10 millions de spectateurs à ce jour) d’un film français qui n’est ni intello, ni franchouillard.

Sur ces millions d’entrées, moins de 10% ont eu lieu à Paris. Les bobos électeurs d’Aymeric Caron, Sophia Chikirou, Sandrine Rousseau et autres grandes consciences n’ont pas eu d’appétence particulière pour un long métrage mettant en scène une bande de handicapés (h aspiré, hé, patates !) dans un décor bucolique et même carrément provincial. Même pas des gosses, de surcroît : des adultes (Ludovic Boul, par exemple, a près de 47 ans), ceux que le système français ignore et laisse à leur famille qui désespère souvent, quand elle ne les abandonne pas tout à fait. Quelques structures privées, souvent hors de prix, quelques associations philanthropiques vivant de bouts de ficelles s’occupent de ces laissés-pour-compte qui défriseraient le paysage du VIe arrondissement. Ou même ceux du XIXe.

On sait que le projet, du coup, a été difficile à financer. Que les couturiers ne se sont pas bousculés pour habiller les acteurs jouant ici leur propre rôle. Que leur montée des marches, à Cannes — un événement largement partagé sur les rézosocios — contrastait violemment avec le star system et les paillettes de rigueur — au point d’avoir eu du mal à trouver des vêtements à la hauteur de l’événement. Comme a dit Artus : « C’est toujours plus élégant pour une marque d’habiller Brad Pitt que d’habiller Artus et encore plus des acteurs en situation de handicap. » Il a fallu que le groupe Kering (le groupe de François Pinault, qui fédère Yves Saint Laurent, Gucci et Balenciaga) sente le coup de pub et habille le casting du film. Bien fait pour les professionnels de la profession.

A lire aussi: La palme du grotesque

Et passons sur le fait que le palais des festivals, à Cannes, n’est pas équipé pour les chaises roulantes, et qu’Artus a dû porter dans ses bras le jeune Sofian Ribes, atteint d’ataxie-télangiectasie, une vraie saloperie. Ce qui a mis en rage la ministre déléguée aux personnes handicapées, Fadila Khattabi, qui a promis : « En 2025, les marches seront accessibles aux personnes en situation de handicap. » Mais d’ici là, elle sera remplacée par une belle conscience parisienne, et on peut s’attendre au pire.

Je ne reviendrai pas sur le film lui-même. Bien loin d’être, comme l’ont immédiatement identifié Libé et Télérama, un « feel good movie », c’est un récit impitoyable avec les Français ordinaires — ceux qui délibérément augmentent les prix de l’hébergement, de façon à dissuader les protagonistes de revenir chez eux l’année prochaine, ou refusent sous des prétextes fumeux de leur louer des canoës. Artus, qui joue et qui a réalisé le film, s’offre même le luxe de dire du bien des flics, capables de complicité affectueuse et de compassion, et de laisser Clovis Cornillac (impeccable !) le temps de participer aux réjouissances finales. Un film qui ne joue ni sur la « diversité », ni sur les bons sentiments artificiels. Les trisomiques y sont bien de chez nous. On y rit avec bonheur — ah, le cours que donne Ludo à Artus sur comment avoir vraiment l’air d’un handicapé, c’est quelque chose ! Et on y clope comme avant la loi Evin.
De surcroît, le réalisateur est un homme. Hétéro, autant que je sache. The horror !

Pourquoi cette détestation parisienne des films encensés par la province ? Un sentiment de supériorité intellectuelle, sans doute. Comme le note Boulevard Voltaire : « D’autres films ont également été boudés par les Parisiens. On peut, notamment, penser au drame Au nom de la terre (2019), réalisé par Édouard Bergeon avec Guillaume Canet, qui raconte les difficultés d’un agriculteur sur son exploitation. Un véritable succès en salles (2 millions d’entrées), mais dont seuls 5% des entrées sont faits à Paris et en région parisienne. De même pour L’École buissonnière (2017) de Nicolas Vannier. Ce film initiatique, avec tout de même François Cluzet ou encore François Berléand, qui raconte le parcours d’un jeune orphelin en Sologne entre chasse et tradition, n’a réalisé que 5% de ses 2 millions d’entrées dans la capitale. On peut également citer les différentes adaptations de Belle et Sébastien, notamment celles réalisées en 2015 et 2022, qui ne réalisent que 6% de leurs entrées en Île-de-France. À croire que les films sur la nature, les paysans ou encore les régions de France n’intéressent pas les Parisiens. »
Qui s’en serait douté ?

Comme quoi la formule de Marx, « le facteur économique est déterminant en dernière instance », n’est pas forcément vrai. Avec les bobos, c’est le facteur idéologique qui prime — d’où leur déconnexion des problèmes réels de la France. Le handicap, connais pas. Les problèmes des agriculteurs, pas davantage. L’impossibilité de rouler en trottinette électrique dans le Larzac, non plus.

Les Parisiens devraient se méfier. Ils pètent dans la soie et l’entre-soi, se gavent de connivence cuculturelles, et se gaussent des ploucs d’outre-périphérique. Ils sont comme les Elois dans La machine à explorer le temps, de Wells : dilettantes nourris par les Morlocks, cette espèce obscure et souterraine qui œuvre dans les profondeurs, ils leur servent aussi de réserve de viande.

Leur seul espoir, c’est d’être absolument indigestes. Qui peut rêver, en toute conscience, de fricasser Caron ou de faire passer Rousseau au barbecue ?

Le nouveau job de Gabriel Attal

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Plongeon dans l'inconnu ? Le Premier ministre Gabriel Attal visite la grande piscine olympique à Nanterre, 15 juillet 2024 © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA

Le gouvernement de Gabriel Attal a finalement bien démissionné, mais il reste en place – avec des prérogatives très limitées. Après son dernier conseil des ministres, hier, Gabriel Attal est chargé de gérer les « affaires courantes ».


Avec Emmanuel Macron et ses bons amis, l’imagination – dans sa forme la plus débridée – est bel et bien au pouvoir. Voilà qu’ils viennent de nous sortir de leur chapeau une catégorie toute nouvelle de personnel politique : le démissionnaire non démissionné. Ou si vous préférez le partant maintenu à demeure, la chaise vide occupée, etc. C’est ainsi que M. Gabriel Attal, Premier ministre ayant présenté sa démission, cette fois-ci acceptée par le boss, se trouve néanmoins confirmé dans le rôle auquel il est cependant censé avoir renoncé, cela très officiellement, dans les formes requises par le règlement.

Job d’été

Le voici installé dans un nouveau rôle, investi d’un nouveau job : celui de non-Premier ministre. Cependant comme il faut bien que quelqu’un paraisse quand même s’occuper peu ou prou du quotidien de la boutique, il est précisé qu’il reste en charge des affaires croulantes du pays. Extrêmement croulantes, en effet, les affaires. Comme chacun sait.

Pour cela, il peut compter encore sur son équipe. Une joyeuse bande de collaborateurs mangés à la même sauce que lui, c’est à dire à la fois dehors et dedans, formant donc en quelque sorte un non-gouvernement. La même chose qu’un vrai, chimiquement pur, sauf que celui est constitué exclusivement, vous l’aurez compris, de ministres qui ne le sont plus, ministres. Je sais, on a du mal à suivre. Mais voilà sept ans que la « pensée complexe » du patron d’en haut ne cesse de nous embrouiller les méninges, de nous donner le tournis.

À lire aussi, Didier Desrimais: La gauche «victorieuse» avoue des connivences politico-médiatiques et tolère un racisme anti-blanc décomplexé

Donc, on attend le prochain non-conseil de ce non-gouvernement et les non-décisions que ces non-ministres pourraient encore prendre : la couleur des crayons feutres dans les administrations, la température souhaitable du thé de cinq heures, le quota de billets gratuits pour la grande marade d’ouverture des Jeux olympiques, l’attribution d’un droit d’entrée prioritaire de Mme Nakamura à l’Académie Française avec option pour le Panthéon quand le moment sera venu…

Coup tordu

Mais, finalement, pas si couillon que ça, le petit arrangement en question. Car en réfléchissant bien, je veux dire en tentant de nous hisser au niveau de ces sublimes intelligences, de les rejoindre dans leurs exercices conceptuels de haute volée, il devient clair que M. Attal a réussi là une splendide opération.

Nul n’ignore que le Premier ministre est un fusible entre les mains du président. Le Premier ministre qui, le jour même de sa nomination, doit remettre au président une lettre de démission en bonne et due forme mais non datée, et que, de ce fait, le grand chef à plumes est en droit d’utiliser quand il le souhaite. Or, peut-on démissionner quelqu’un qui l’est déjà ? Assurément non. Ainsi, voilà notre non-Premier ministre absolument non démissionnable, indéboulonnable, du moins ce côté-là. Posé là à vie pour tout dire. Matignon à vie, pensez ! M. Mélenchon en rêvait. M. Attal l’a fait (enfin presque).

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Comment Coca-Cola « dope » les Jeux

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La joueuse de tennis biélorusse Aryna Sabalenka boit un Coca-Cola à Roland Garros, Paris, 5 juin 2024 © Javier Garcia/Shutterstock/SIPA

Partenaire historique des J.O., Coca-Cola, en injectant des millions de dollars, dope financièrement le CIO (Comité international olympique). Revers de la médaille, la firme américaine impose son goût et ses choix…


Dans « Le Miroir des Sports » du 28 janvier 1930, le lecteur tombait sur un article fort de café : « Des études très poussées par l’institut Pharmacologique de Hambourg ont démontré à l’évidence que les effets de la caféine sur les performances des athlètes sont positifs et forts puissants. »

À l’époque la lutte contre le dopage en est à ses balbutiements. En France il faut attendre les années 60 pour qu’elle s’active et le 10 juin 1966, sur la première liste officielle de produits interdits jamais publiée, on trouve la triméthylxanthine, nom scientifique de la… caféine. 16 ans plus tard, en février 1982, le CIO place également la caféine sur la liste des substances illicites (à partir d’un seuil fixé à 15 microgrammes / ml).

Comment en est-on arrivé là ?

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, l’un des meilleurs experts mondiaux de la lutte contre le dopage1, et historien hors pair du sport, a exhumé un entretien qu’Alexandre de Mérode (président de la Commission médicale du CIO de 1967 à 2002) donnait au journal L’Équipe le 16 mai 1983. Mérode y révèle que ce sont des tests effectués pendant les Jeux de Montréal en 1976 qui ont alerté et poussé le CIO à sévir : « Dès Montréal en 1976, nous avons été alertés par des concentrations anormales de caféine. À Lake Placid, ce fut pire et la situation s’aggrava encore à Moscou en 1980. Cela nous a conduits à interdire la caféine, puisque nos méthodes d’investigation le permettaient. »

À lire aussi, Martin Pimentel: Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »

Cela pose toutefois un énorme problème. D’image de marque. Pour Coca-Cola. Depuis les jeux d’Amsterdam en 1928, la firme américaine est le sponsor numéro un du CIO (et depuis 1978, partenaire de la Coupe du Monde de foot…). Or son soda contient de la… caféine. La nouvelle réglementation du CIO jette alors un froid. Certes le Coca-Cola n’est pas un produit dopant mais il contient une substance prohibée, ce qui fait mauvais genre pour un partenaire de l’Olympisme.

Alexandre de Mérode est conscient de ce conflit d’intérêts et dans ses commentaires à L’Équipe, il tient immédiatement à ménager la firme américaine :
« Nous ne voulons pas empêcher les athlètes de boire du café ou du Coca-Cola. Nous voulons simplement éviter un usage abusif de la caféine par injections massives dans le corps humain, comme cela se produit actuellement. (…) Nous affirmons que notre intention n’est pas de porter tort à la firme Coca-Cola, ni d’entraver l’utilisation de cette boisson. Nous avons, en effet, fixé le seuil critique d’utilisation de la caféine à quinze microgrammes par millilitre. Cela équivaut à l’ingestion de vingt litres de Coca-Cola dans une journée et à plus de quinze litres de café normalement concentré. »

Il n’empêche, le Coca-Cola reste une boisson dont l’un des composants est un produit interdit… Mais l’ardoise va être effacée. En janvier 2004, l’AMA (l’agence mondiale antidopage, à qui il revient désormais d’établir la liste des produits interdits) supprime de la liste la… caféine ! Coca-Cola a-t-il fait pression pour obtenir cette suppression ?

Une chose est sûre, si la caféine a disparu de la liste des produits interdits, le dopage à la caféine n’a, lui, pas disparu.

Mercredi 18 mai 2005, le bureau de Sydney de l’agence américaine Associated Press publie un communiqué qui tombe comme un pavé dans la mare : « L’Agence mondiale antidopage envisage de remettre la caféine sur sa liste de produits interdits après les propos du capitaine de l’équipe d’Australie de rugby, George Gregan, qui a affirmé en avoir pris pour améliorer ses performances. Le directeur de l’AMA, David Howman, a déclaré aujourd’hui que les informations selon lesquelles Gregan et d’autres athlètes australiens utilisaient de la caféine pour améliorer leurs performances étaient « perturbantes ». »

L’AMA est perturbée mais ne bouge pas. Dans un rapport du 24 octobre 2006, intitulé « Le Sport et un monde en harmonie », le CIO reconnaît pourtant que la caféine a des « propriétés indéniables en matière d’amélioration des performances ».

11 juillet 2022. Alors que le Tour de France bat son plein, le quotidien Ouest-France publie une enquête au titre révélateur : « Le peloton fait-il n’importe quoi avec la caféine ? » ainsi présentée : « La consommation de caféine, aucunement interdite dans le peloton du Tour de France, n’est pas nouvelle. Ni dans le vélo, ni dans d’autres sports. Mais depuis quelques années, elle décolle. À tel point que cela inquiète certains acteurs du cyclisme… »

À lire aussi, Dominique Labarrière: À la Seine comme à la ville

14 avril 2024, le quotidien sportif L’Equipe s’interroge sur les nombreuses et violentes chutes qui depuis le début de la saison surviennent au sein du peloton. Parmi les causes évoquées, l’excès de caféine. Le témoignage du coureur Rudy Molard (Groupama-FDJ, 34 ans) est sans sucre à propos de la sur-consommation de café : « On en parle régulièrement entre coureurs parce qu’il n’y a pas de limite et je pense que ça peut jouer sur le caractère agressif de certains… ça a toujours existé mais je pense que les doses qui étaient prises étaient moindres au début de ma carrière par rapport à maintenant. » Mais toujours aucune réaction des autorités compétentes. C’est pourtant un café et l’addiction.

Si Paris 2024 devait être mis en bouteille, cela serait dans une cannette de Coca-Cola !

Avec les millions de dollars que Coca-Cola injecte dans le CIO, la devise olympique s’enrichit d’un qualificatif : «  plus haut, plus vite, plus fort, plus lucratif…  » Et offre à la firme américaine, sinon les pleins pouvoirs, du moins une influence certaine. En 1996, alors qu’Athènes rêvait d’accueillir en Grèce les Jeux du centenaire, le CIO a imposé Atlanta, la ville américaine d’où Coca-Cola gère son empire, le berceau de la maison mère.

Pour 2008, alors que le régime chinois suscitait l’indignation internationale, le CIO a désigné Pékin, à la grande satisfaction de la firme d’Atlanta, soucieuse de prendre pied sur le marché chinois, où elle s’est fait rapidement un allié de poids, l’entreprise Mengniu Dairy, géant des produits laitiers, dont une filiale s’emploie désormais à l’embouteillage du Coca-Cola. Ainsi en 2019, Coca-Cola, associé à l’industriel chinois, a signé avec le CIO un contrat de partenariat qui court jusqu’en 2032, et leur assure l’exclusivité des droits marketing mondiaux. Montant de la transaction ? Top secret. Selon le quotidien britannique Financial Times, Coca-Cola aurait investi dans l’opération 3 milliards de dollars… À ce tarif, la firme en impose… jusque dans la sélection des sports…

À chaque nouvelle olympiade, outre les 28 sports labellisés olympiques (de l’athlétisme à la natation en passant par toutes les autres disciplines traditionnelles), le programme propose de nouveaux sports, des sports dits additionnels, en démonstration, proposés par le pays organisateur, mais validés par le seul CIO. Pour Paris 2024, il y avait quatre places à prendre. Dans cette optique, la fédération de pétanque avait déposé sa candidature, car la pétanque n’est pas seulement un divertissement de vacanciers, c’est aussi un sport international, fédéré dans 165 pays, avec 200 millions de pratiquants, sur les pourtours de la Méditerranée et dans le Maghreb, mais aussi en Asie, notamment en Thaïlande, où il  est très populaire. Las, la pétanque est restée sur le carreau. Les sports validés par le CIO ont été le surf, l’escalade et le skate-board (tous trois déjà retenus aux Jeux de Tokyo en 2021) plus un petit nouveau : le breakdance !

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Fort lucidement, Joseph Cantarelli, alors président de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal, analysait les raisons de cet échec : «Comme vous toutes et tous j’accuse ce que nous ressentons comme un «coup dur» qui vient de frapper notre intime conviction de voir les Sports de boules et donc notre sport pétanque entrer, sur nos terres, aux JO de Paris. Comme quoi les critères d’entrée aux JO ne sont plus exclusivement liés aux valeurs fondamentales du sport en tant que tel mais plutôt et de préférence au seul succès médiatique d’un sport ou d’une «pratique» auprès de la jeunesse. » Tout est dit. Si le breakdance a été sélectionné c’est qu’il s’adresse à la jeunesse, la cible prioritaire de Coca-Cola. Et le programme officiel annonce la couleur : « Et si on dansait à Paris au cœur de l’été ? À peine cinq ans après avoir été reconnu en tant que sport de haut niveau en France, le « breaking » s’apprête à faire son entrée triomphale aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Et pas n’importe où. Les 32 athlètes qualifiés – 16 B-Girls et 16 B-Boys s’affronteront en duel les 9 et 10 août prochain sur l’iconique Place de la Concorde. » Place qui sera aux couleurs de Coca-Cola.

Dans ces conditions, la désignation de la chanteuse Aya Nakamura pour la cérémonie d’ouverture et du rappeur Jul pour allumer la flamme à Marseille coulent du goulot d’un soda… C’est moins une volonté politique qu’un choix publicitaire pour satisfaire Coca-Cola, qui dans l’optique des JO a organisé le Coca-Cola Music Tour, une tournée de concerts à travers la France, pour mettre les Jeux en musique et Paris en bouteille.

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  1. Voir https://dopagedemondenard.com/ ↩︎

Donald Trump passé du côté cœur…

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Donald Trump et son colistier JD Vance à Milwaukee, 16 juillet 2024. Les partisans du milliardaire leur ont réservé un triomphe et ont scandé "Fight Fight! (« battez-vous ! »), les mots prononcés par M. Trump le poing levé et le visage en sang lorsqu’il s’est relevé après les tirs qui l’ont visé samedi © Julia Nikhinson/AP/SIPA

À Milwaukee, lundi soir, Donald Trump a été accueilli triomphalement à la convention républicaine, au surlendemain d’un attentat qui aurait pu lui couter la vie. Il a annoncé la nomination du sénateur de l’Ohio J.D. Vance1 comme colistier. Le mobile du tireur Thomas Matthew Crooks reste pour l’instant inconnu.


La cause est entendue. Au mois de novembre, Donald Trump sera élu président des États-Unis. À cause de la sénilité intermittente de Joe Biden et du dernier débat entre eux, qui l’a vu sombrer. Grâce à, si j’ose dire, la tentative d’assassinat dont Donald Trump a été victime et qui à un centimètre près aurait pu être mortelle.

Le comportement de Trump, après la commission de ce crime, a été admirable de courage et supérieurement habile sur le plan politique, en manifestant des vertus de combat et de résistance magnifiées par la tragédie à laquelle il avait échappé par miracle, une sauvegarde exploitée comme un signe du destin.

Les États-Unis, une démocratie violente

Il ne peut plus perdre après un tel concours de circonstances. Joe Biden a admis qu’il avait eu tort de demander qu’on « cible » son adversaire même s’il a précisé ce qu’il entendait par là et qui n’avait rien à voir avec l’agression qui a suivi. Il a confirmé qu’il irait jusqu’au bout tout en comprenant ceux qui s’inquiétaient pour sa santé et souhaitaient son abandon.

Les quelques réactions odieuses de gens regrettant que Donald Trump s’en soit tiré comptent peu face à un climat général qui semble avoir pris la mesure des risques de la violence verbale et de l’outrance développées lors de la campagne présidentielle. Donald Trump, pas exempt de critiques sur ce plan, a pris conscience des devoirs qui devaient être les siens désormais en faisant un appel à l’unité.

A lire aussi, Dominique Labarrière: Trump: petit cours de journalisme politiquement correct

Il faut à ce sujet relever la remarquable influence de ses deux conseillers principaux, une femme très professionnelle et respectée par tous (Susie Wiles) et un homme, ancien militaire, chargé de débusquer les erreurs et les points faibles de ses contradicteurs et opposants (Chris LaCivita). La nouveauté est que Donald Trump les écoute et s’en porte bien.

Mais au-delà de sa victoire programmée, j’ai été frappé par l’extraordinaire élan de sympathie et de solidarité qui a montré à quel point la tentative d’assassinat sur Donald Trump avait fait radicalement changer le regard sur lui, non pas seulement de ses soutiens et des militants républicains – l’ovation interminable à la Convention républicaine ayant ému Trump lui-même – mais des citoyens américains qui n’étaient pas favorables à sa cause et des médias qui lui étaient hostiles.

Trump nous surprendra toujours

Ces derniers n’ont sans doute pas changé d’avis sur l’homme, sa personnalité et son projet mais ils ne pouvaient pas faire autrement que d’être pris dans ce mouvement dominant d’accalmie de la politique partisane au bénéfice d’une concorde magnifiquement conjoncturelle. Le signe le plus éclatant de cette parenthèse de grâce a été le fait que tous les médias ont interrompu leur programme pour montrer en direct Donald Trump dans son triomphe à la Convention républicaine.

Au mois de novembre, son élection acquise, il lui restera à démontrer quels effets ont eu sur lui et sur sa pratique du pouvoir les événements dramatiques de ces derniers jours. Pour ma part, si j’ai désapprouvé évidemment son comportement judiciaire, son mépris pour l’État de droit et sa provocation ayant inspiré l’attaque du Capitole, je n’avais pas été un critique compulsif de son action lors de son premier mandat, au moins jusqu’à l’arrivée du Covid.

Pour le second mandat, j’entends bien que Donald Trump est certainement capable du pire mais son imprévisibilité peut aussi le conduire vers le meilleur. En tout cas, avec lui, il se passe toujours quelque chose et il ne sera pas un président amorphe. L’énorme changement dont Donald Trump sera forcément enrichi est que, depuis le crime dont il a réchappé heureusement et les conséquences qu’il a engendrées, il est passé, aux États-Unis et dans une grande partie du monde, du côté cœur.


  1. À ce sujet, relire J. D. Vance: un Éric Zemmour américain?, Lucien Rabouille, Causeur.fr (2002) ↩︎

Carte d’identités

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Pierre Vermeren © Hannah Assouline

Face à des zones urbaines hors-sol de plus en plus rouges et de rares bastions bourgeois où l’on vote encore comme il y a vingt ans, le RN est désormais ancré dans 93 % des communes françaises. L’auteur de L’Impasse de la métropolisation analyse notre nouvelle géographie électorale.


La séquence électorale unique vécue par la France entre le 9 juin et le 7 juillet 2024 offre un visage politique inédit de la France. Le vote final du 7 juillet n’a pas eu lieu à l’heure où sont écrites ces lignes. Mais les scrutins des 7 et 30 juin constituent un tournant qui mérite analyse. Celui du 30 juin a vu se déplacer 7,5 millions d’électeurs de plus que le précédent (soit 32,9 millions d’électeurs, deux inscrits sur trois), mais les rapports des forces en présence et la nouvelle géographie électorale ont été dégagés dès les européennes du 9 juin.

France bleu horizon à 93%

Ce jour-là, pour la première fois de son histoire contemporaine, plus de neuf communes sur dix ont placé en tête un même parti, le Rassemblement national (93 % des communes contre 71 % en 2019, et 32 613 communes sur 35 015). La question n’est plus de savoir où se situent les « blancs » ou les « bleus » sur la carte de France, ni même de scruter une France « rouge » ou « rose », mais d’observer la quasi-homogénéité du vote nationaliste vainqueur, surtout si l’on y agrège le vote pour Reconquête ! et quelques autres petites formations souverainistes, soit 40 % des suffrages exprimés.

Cette carte de la France bleu horizon – qui évoque la Chambre de 1919 dans un contexte non moins exceptionnel –, départements et régions d’outre-mer (DROM) compris, a été publiée par la presse au lendemain du scrutin. Elle diffère de celles qui l’ont précédée, car même si des migrations électorales étaient observées depuis les années soixante – comme le passage de la Bretagne à gauche –, il existait depuis le xixe siècle (1919 mis à part) une part irréductible de la France de gauche : le grand Sud-Ouest radical-socialiste, le Limousin et le Poitou socialistes, plus anciennement le Midi rouge, le Nord-Pas-de-Calais ou le centre de la France (Nièvre, Allier, Cher), et la banlieue rouge de Paris. Sauf cette dernière, cette géographie est aujourd’hui masquée. Comment interpréter la nouvelle carte électorale de la France ?

Plusieurs choix sont possibles. Le premier consiste à partir du seuil atteint par le Rassemblement national (RN) au niveau départemental, plus précis que le régional. Le RN y dépasse les 50 % dans un seul département métropolitain, l’Aisne, et dans celui de Mayotte. Il passe la barre des 40 % dans 19 autres départements de métropole. À un niveau moindre, la liste Bardella est en tête dans six DROM sur 11, dont le plus peuplé, La Réunion (35 %). Les Français de l’étranger en revanche, placent en tête le centre macronien, mais seuls 17 % des inscrits ont voté (258 000).

Une seconde option consiste à projeter sur une carte le vote national par commune selon le parti arrivé en tête. Une troisième est de faire de même, mais par niveau d’intensité du premier parti par commune (plus de 50 %, plus de 35 %…). Cette dernière carte fait ressortir les zones d’ancrage record du RN : à plus de 50 % se dégagent le nord et l’est du Bassin parisien, de larges foyers en Haute-Normandie, en Franche-Comté, en Bourgogne et jusqu’à l’Indre, toutes zones ayant plus que d’autres subi la désindustrialisation. L’Indre est le seul département métropolitain – comme Mayotte – dont toutes les communes ont placé le RN en tête. S’ajoutent à cela, au sud, le Var intérieur, le Gard oriental, le Languedoc littoral et le Nord-Gironde. Au seuil inférieur de 35 %, encore rarement atteint aux européennes de 2019, seuls le nord et l’est du Bassin parisien, enveloppant l’Île-de-France, étaient concernés.

data.gouv.fr

En 2024, la moitié des communes françaises dépasse ces 35 %, soit presque tout le Bassin parisien désormais, jusqu’aux frontières du nord et de l’est, seulement atténué sur ses marges occidentales de Normandie. Deux cent trente-cinq ans après 1789, la grande région qui a porté la Révolution française est acquise de manière très nette au RN, hormis le cœur de l’Île-de-France, et une poignée de grandes villes : Rouen, Caen, Lille et Melun. À cela s’ajoutent le centre de la France, les vallées de la Saône et du Rhône (Lyon excepté), tout le Midi méditerranéen et la Corse, mais aussi la vallée de la Garonne, la Gironde, la Charente-Maritime, le sud de la Vendée et la Bretagne intérieure.

Quels sont dès lors, métropoles mises à part, les points faibles de l’ancrage du parti nationaliste ? En premier lieu, l’Île-de-France, qui rassemble un tiers de l’immigration nationale, ce qui n’est par définition pas favorable au parti nationaliste. En second lieu, de grandes régions qui furent successivement catholiques ou protestantes et socialistes : la Bretagne littorale et l’Ille-et-Vilaine ; l’ouest des Pays de la Loire et de la Normandie, soit le plus grand bloc catholique historique sous la République ; la Gascogne (sud de la Garonne, Gers), le Pays basque (historiquement catholique) et les Pyrénées (Béarn ou Ariège), vieilles régions radicales-socialistes ; la plus grande partie du Massif central, surtout le sud (Lot, Aveyron), les pays protestants des Cévennes et du Vivarais (Ardèche orientale), mais aussi, rive gauche du Rhône, la Drôme et le Sud-Isère ; enfin, les deux Savoie, vieille terre catholique. Le reste n’est constitué que d’îlots dans le Jura, en Bourgogne ou en Alsace intérieure.

Constatons la diversité régionale et la dispersion des 7 % de communes qui n’ont pas placé le Rassemblement national en tête. Elles sont rares dans le Bassin parisien, à l’est, au nord et au centre de la France. Il faut se munir d’une loupe d’entomologiste pour les observer : ces points et foyers sont isolés. En effet, les grandes agglomérations, qui sont leur fief, concentrent leur population sur de petits territoires : les 11 grandes métropoles françaises rassemblent 28-29 % de la population nationale sur quelques pour cent du territoire. À quels critères répondent ces 7 % de communes hors norme ?

Elles se concentrent plutôt dans le sud et l’ouest du pays. La vieille France rurale et maritime à l’ouest de la ligne Rouen/Marseille – devenue attractive lors de ces quarante dernières années. La ligne de partage de l’Hexagone est certes à actualiser à l’ouest d’une ligne Caen/Grenoble, Midi méditerranéen excepté. À cela s’ajoutent les métropoles, sauf Marseille et Nice.

Les 2 400 communes qui échappent à la primauté du RN se partagent selon leurs affiliations : les Républicains arrivent en tête au Pays basque intérieur et dans l’ensemble Cantal/Nord-Aveyron/Haute-Loire, derniers fiefs de la droite ; les écologistes dans la Drôme ; les macronistes en Mayenne, dans l’Ouest parisien et dans le golfe du Morbihan, autant de petites régions denses à électorat catholique fidèle ; les listes LFI gagnent essentiellement en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne, et dans l’agglomération lilloise. Enfin, les communes plus nombreuses sont gagnées par les listes Union de la gauche de R. Glucksmann : elles se situent surtout dans le Sud, de l’Isère à Bordeaux (Isère, Drôme, Lozère, Lot, Pyrénées) ; en second lieu dans les grandes villes à l’ouest d’une ligne Poitiers/Caen : Nantes et le bassin rennais, outre de microrégions bretonnes en Finistère ; enfin à Paris, où Glucksmann arrive largement en tête (22,86 %), surtout à l’ouest. Paris centre et est sont disputés à LFI.

Métropoles hors-sol

De ce fait, les métropoles françaises sont hors-sol, à mille lieues par leur vote et par leur sociologie électorale du reste du territoire. Exception faite de Nice et Marseille, les autres relèguent le RN, et placent en tête les listes d’Union de la gauche (R. Glucksmann), Ensemble (V. Hayer) et LFI (M. Aubry) : Paris et Île-de-France, Bordeaux, Toulouse et Montpellier, Nantes et Rennes, Lyon et Grenoble, Lille et Strasbourg. Ajoutons-y des villes secondaires qui placent en tête la gauche et le parti macronien : Caen, Poitiers, Angers, Brest, Niort (la ville des mutuelles), Besançon, Nancy, Amiens et Rouen. Ces îlots urbains concentrent la majorité des classes aisées, les 20 % de « cadres » de la population française. Ils habitent pour un tiers en Île-de-France, pour un autre dans les dix autres métropoles, et le tiers restant dans les villes secondaires, les préfectures ou les sous-préfectures. Les familles de cadres peinent parfois à inverser le vote dominant, ainsi que nous l’avons vu à Marseille et Nice, deux métropoles qui se caractérisent par la présence des classes populaires en leur sein. Ajoutons que ces grandes agglomérations rassemblent aussi les trois quarts de l’immigration française, pour partie regroupée dans des quartiers dits populaires, constitués en viviers au sein desquels LFI a établi ses bases les plus solides (nord et est parisien ou nord-ouest de Marseille).

Le scrutin du 30 juin, contrairement aux vœux du président de la République, qui a dissous l’Assemblée nationale pour retrouver une majorité à sa main, n’a pas atteint son objectif : il n’a fait que confirmer le vote du 9. Nous disposons d’une carte de France des partis arrivés en tête par circonscription (près de 90 000 inscrits en moyenne). Cette carte des 539 circonscriptions de métropole (sur 577) n’est pas aussi monocolore que la précédente. Le RN et ses alliés sont en tête dans 297 d’entre elles (dont deux outre-mer), mais les trois autres forces politiques dominantes – le Front populaire, l’alliance présidentielle et la droite subsistante – sont cette fois bien visibles.

data.gouv.fr

La droite est en tête dans 29 circonscriptions en métropole (sur 34 au total), ses anciens bastions : sept dans le Grand Ouest, sept dans le Massif central, deux en Savoie, sept dans le Grand Est, quatre en Île-de-France hors Paris et une en Corse. Chassée de Paris, des métropoles, du Grand Sud, d’Alsace et de Lorraine, elle est résiduelle. La majorité présidentielle s’est substituée à elle dans plusieurs anciennes places fortes, avec 57 circonscriptions de l’Hexagone (sur 62). Présente dans quatre métropoles, elle tient sa principale place forte en Île-de-France, de l’Ouest parisien aux Yvelines, avec 21 circonscriptions contiguës. Enfin, outre la Savoie et de rares circonscriptions dispersées, elle se maintient dans le Grand Ouest, en Bretagne littorale et sur les marges armoricaines, de la Vendée littorale au sud de la Manche, son fief étant le Maine-et-Loire.

Quant au Nouveau Front populaire (NFP), il est la principale force en métropole après le RN (148 circonscriptions sur 155) et marche sur trois pieds : les vieux fiefs de la gauche, le centre des métropoles et les anciennes banlieues rouges, ses « quartiers populaires ». Les fiefs de gauche sont le sud de l’Aquitaine, les Pyrénées centrales, le Limousin, le Puy-de-Dôme ou la Bretagne (Finistère et Loire-Atlantique, et non plus les Côtes-d’Armor). Les métropoles sont presque totalement passées à gauche comme déjà vu, y compris les deux tiers de Paris, Bordeaux, Strasbourg et Lyon. Mais le principal fief est l’ancienne banlieue rouge, la petite couronne de Paris, puisque même les Hauts-de-Seine sont grignotés ; et le NFP est au contact du RN en Seine-et-Marne, dans l’Essonne et le Val-d’Oise.

Il existe en définitive une étonnante homogénéité du vote entre les métropoles, l’ensemble Paris et petite couronne, les grandes villes de l’Ouest, de Caen à Toulouse, en passant par Rennes, Nantes et Bordeaux, mais aussi Lyon, Grenoble, Lille et Strasbourg. Les villes et départements les plus riches de France (au regard de l’IR et l’ISF), Paris, les Hauts-de-Seine, Bordeaux, le nord-ouest de l’agglomération lyonnaise, l’est des Yvelines… se partagent entre le macronisme et désormais les gauches, tandis que les secteurs « populaires » de ces agglomérations sont aux mains des gauches (de Lille aux quartiers nord de Marseille). Seules quelques communes ou circonscriptions proches de Strasbourg, Lille ou Bordeaux échappent au RN, tandis qu’à Rennes, Toulouse et Nantes, comme en Île-de-France, des régions urbaines plus vastes échappent au RN.

Ainsi, aux lignes de partage traditionnelles, forgées depuis des siècles par le rapport des populations à la Révolution, au christianisme et à l’État, se sont surimposés des clivages économiques et migratoires nouveaux issus de la métropolisation récente de l’espace français. Sous le voile bleu du Rassemblement national, qui masque en surface l’ensemble de ces clivages culturels et politico-économiques sous-jacents, la France reste en mode mineur le conservatoire de son opposition historique entre le rouge et le noir, et en mode majeur le champ de bataille entre les relégués de la mondialisation (la France périphérique) et les groupes mondialisés (bourgeois et immigrés) qui ferraillent au sein des métropoles.

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Indonésie: tromperie voilée

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D.R

Le niqab préserve la « pudeur » des femmes, et l’identité des escrocs


Le port du niqab sert-il toujours à protéger la pudeur des femmes ? Comme beaucoup de jeunes Indonésiens de son âge, AK (dans la presse il n’a été identifié que par ses initiales), 26 ans, est un habitué des sites de rencontre. Sur l’un d’eux, il a noué une relation avec une jeune fille de son âge. Les deux tourtereaux ont fini par se rencontrer sous le regard de Cupidon. Portant le niqab, Adinda Kanza s’est présentée à lui comme musulmane pratiquante, ce qui est loin de déranger le jeune amoureux qui considère ce vêtement traditionnel « comme un signe de dévotion à l’islam ».

Après un an d’échanges respectant les règles du prophète Mahomet, le couple a décidé de se marier. La promise, prétendant être sans famille, a opté pour une simple cérémonie organisée chez AK après qu’elle a apporté une dot de cinq grammes d’or. Cependant, une douzaine de jours après leur mariage, AK a commencé à nourrir des soupçons. Son épouse refusant ostensiblement de quitter son niqab à la maison ou d’avoir tout contact sexuel sous divers prétextes fallacieux, il a fini par enquêter et découvrir l’impensable. Les parents de son épouse étaient bien vivants, en bonne santé, et n’étaient pas au courant de ce mariage. Pire encore, AK est tombé des nues lorsque ceux-ci lui ont révélé que celle qu’il avait épousée était en réalité un homme, se travestissant depuis quatre ans. La police a immédiatement placé en détention la fausse jeune femme, en expliquant que cette dernière avait tout planifié pour voler les biens de son époux. Son imposture était facilitée par sa voix aiguë et, surtout une fois maquillé, des traits du visage remarquablement féminins. Inculpé(e) pour fraude, elle/il risque jusqu’à quatre ans de prison.

Le port du niqab, qui n’est pas traditionnel en Indonésie, y connaît une popularité croissante que même la leçon de l’histoire d’AK ne freinera pas.

En Nouvelle-Calédonie, le feu continue de brûler

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Des manifestants hostiles à la visite du président Macron en Nouvelle-Calédonie, 23 mai 2024 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

Lors de la fête nationale, la présidente de la Province Sud (et ancienne Secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté), la loyaliste Sonia Backès, a estimé que le «destin commun a échoué» avec les indépendantistes. Elle pense que les deux camps antagonistes sont irréconciliables.


L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs.

Dans une conférence de presse tenue le 15 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction etc., etc.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

A relire: Nouvelle-Calédonie: émeutes sociales, politiques ou raciales ?

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Nouméa, 15 mai 2024 © Nicolas Job/AP/SIPA

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considération ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.

Source : Conflits

Michel Mourlet, «le jeune homme (toujours) vert»

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Michel Mourlet en 2016 © Photographe : Hannah Assouline

En 2016, Michel Mourlet, alors 81 ans, faisait une pause et se souvenait. Il publiait ses Mémoires (Une vie en liberté) – et on se régalait. Relecture.


« Nous sommes entourés de peintres morts, d’écrivains morts, de philosophes morts qui tentent de nous persuader qu’ils sont encore vivants. Leur nombre et la torpeur du public ont pu entretenir cette illusion ; pourtant ce qu’on devine sous leur masque est à faire frémir. Du fond de leurs sarcophages transformés en échoppes, ils bradent en ricanant la civilisation hors de laquelle nos avortons frileux n’auraient pas existé deux jours, non plus qu’à Sparte. Or, voici que ces magasins encombrés de chinoiseries excitent furieusement chez certains esprits non conformes le désir de s’y ébrouer à l’aise. Gageons que MATULU, brave éléphant sans vergogne, ne va pas s’en priver »                                

« Une dernière catégorie de personnes sera peut-être intéressée par notre entreprise : les pessimistes invétérés, les vaincus d’avance, qui ne tentent rien par principe et cueillent immanquablement les fruits amers de leur inertie. Nous essaierons de les convaincre que la persistance des maux dont ils se lamentent réside dans cette lamentation même, et que l’opiniâtreté d’une volonté judicieuse peut abattre bien des forteresses en apparence inexpugnables »

Michel Mourlet, « L’Éléphant dans la porcelaine », éditorial du premier numéro de MATULU, mars 1971

Quelle vie, en effet ! Des « mac-mahoniens » à MATULU, de Présence du cinéma à La NRF, de Valeurs actuelles et Nouvelle École à La Nouvelle Revue Universelle (remarquable revue trimestrielle fondée par Jacques Bainville) depuis 2017, Michel Mourlet fut tour à tour théoricien du cinéma, romancier, dramaturge, critique de théâtre et littéraire. Sa triple postulation – cinéma pendant les grandes années de la cinéphilie (années 50-60), théâtre pendant quinze ans à Valeurs actuelles, littérature (de toujours) – lui a permis d’embrasser le vaste monde dans sa très féconde complexité (et richesse).

Dans Une vie en liberté, il se souvient (donc) : de la découverte de son maître Paul Valéry et de ses rencontres émerveillées avec Montherlant, de ses lectures de Flaubert, Descartes, Nietzsche, Pascal, Chamfort, et de son ami Fraigneau, de son rendez-vous manqué avec Cocteau et de ceux, mémorables, avec Déon. De son admiration, illustrée par un dossier dans MATULU, de Morand (l’écrivain, l’homme moins), et du trop méconnu François Billetdoux, d’autres de ses amis aussi : Michel Marmin, Alfred Eibel, Jean Curtelin, Jean Dutourd, Georges Mathieu, Silvia Monfort, Alexandre Astruc.

A lire aussi, du même auteur: Julien Benda, le Finkielkraut de son temps?

On le trouve dans ses Mémoires tel qu’on le suppose (et qu’on le connaît) : homme libre, incapable d’hémiplégie intellectuelle, susceptible de s’enthousiasmer pour Etiemble ET pour Druon (voire pour Sartre, ce qui nous est inaccessible, en dépit de nos lectures). Il se rappelle les conversations avec Rohmer, l’étonnant et trouble Parvulesco, l’illustrateur Savignac.

Très précis dans ses évocations, cérébral, il parvient à rendre son lustre à un mot usé, voire démonétisé aujourd’hui : Mourlet est un intellectuel très outillé, un agitateur d’idées, un provocateur épris de logique, un polémiste surtout, dont la langue est tant pendue que savoureuse.

« Il goûte subtilement ce qu’il aime, il sait faire partager ses admirations, ses humeurs, ses enthousiasmes. En un mot, Michel Mourlet restera peut-être, sans doute, parce qu’il est aussi un écrivain. » (Jean-Jacques Brochier, Le Magazine littéraire)

A lire aussi, Gregory Vanden Bruel: De l’intérêt de lire Edith Wharton cet été

L’amoureux, quoique discret et pudique, apparaît aussi dans ces pages qui revivifient en un exaltant bouquet quelques-unes des figures les plus insolentes du demi-siècle passé. Et une époque où la liberté de penser n’était pas un vain mot. Une audace tout au plus. Un courage aussi.

NB Deux précisions pour finir – et compléter l’ « exaltant bouquet » :

  1. Pour les amoureux de la littérature du XXème siècle, Michel Mourlet a publié en 2021, la troisième édition, revue et augmentée, de son recueil dorénavant classique – « Écrivains de France ».
    On devine la gourmandise de l’acteur d’A bout de souffle, (eh, oui ! je vous renvoie à ses Mémoires, et au film !) à écrire « de France » après ses « écrivains ». Et on la reconnaît lorsqu’on lit ou relit ses évocations d’Anouilh et de Bernanos, de Chardonne et de Déon, de Dupré et de Gaxotte, de Malraux et de Guitry, de Toulet et de Romains, de Valéry et de Judrin. Oui, très « qualité France », Mourlet. Qualité supérieure, même. On ne vous apprend rien.
  2. Pour les amateurs du Mourlet polémiste, créateur du journal culte MATULU, signalons la parution de « Trissotin, Tartuffe, Torquemada – La conjuration des trois ‘‘T’’- Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022 » (Éditions France Univers) – où il réunit près de 70 (!) ans de batailles et querelles, critiques et essais – variés et signifiants. Dont, précision importante, l’éditorial cité en exergue ci-avant : « L’Éléphant dans la porcelaine » – une des merveilles de ce recueil, qui en est prodigue.

De Michel Mourlet :

Écrivains de France (XXème siècle)Éditions France Univers. 

Écrivains de France XXe siècle: Troisième édition augmentée

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Une vie en liberté – Éditions Séguier.

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Matulu – Journal rebelle 1971-1974 – Éditions de Paris-Max Chaleil (anthologie du journal Matulu que j’ai eu le plaisir d’établir – je la signale toute honte bue, mais avec un certain esprit de cohérence : Mourlet en fut le fondateur, l’âme, le directeur, etc.).

Matulu: Journal rebelle (1971-1974)

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Et toujours – puisque Michel Mourlet y figure évidemment, parmi 600 autres élu(e)s :
Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi – Éditions de Paris-Max Chaleil.

De l’intérêt de lire Edith Wharton cet été

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La romancière Edith Wharton. DR.

La romancière de la haute-société new-yorkaise (1862-1937) nous laisse trois chefs-d’œuvre à découvrir : Chez les heureux du monde, Le temps de l’innocence et Ethan Frome.


Edith Wharton connaît une nouvelle jeunesse. Posées sur les étals des librairies, ses Chroniques de New York, rééditées récemment par Gallimard (coll. Quarto), en imposent aux côtés des livres contemporains… et leurs 200 pages, préface comprise. Le roman le plus connu de l’auteur, Le temps de l’innocence, publié en 1920, est quant à lui au programme des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles scientifiques pour l’année 2024-2025. Il existe, en réalité, bien des raisons de découvrir le travail de la première femme à avoir remporté le très convoité prix Pulitzer.


Lire un grand auteur, c’est toujours se plonger dans un monde, c’est-à-dire la combinaison d’un espace géographique, d’une époque, d’un milieu social et familial : l’univers d’Edith Wharton n’a rien des bas-fonds londoniens de Jack London, ni du Berry champêtre de George Sand ; il n’a rien non plus du New York psychotique de Bret Easton Ellis, énigmatique de Paul Auster ou débauché de Salinger ; non, le New York de Wharton est celui de la haute société du début de XXe siècle dont aucun grain de sable ne semble pouvoir venir enrayer la mécanique lampedusienne du « changement pour que rien ne change ».

Apparences

C’est donc au cœur de ce monde trop ordonné qu’apparaissent des personnages déstabilisateurs – disruptifs, dirait-on aujourd’hui -, de façon furtive comme pour finalement mieux asseoir toutes les pesanteurs : c’est le cas de Lily Bart dans le roman Chez les heureux du monde et d’Ellen Olenska dans Le temps de l’innocence, interprétée par Michelle Pfeiffer dans la magistrale adaptation cinématographique de Martin Scorsese au début des années 90. À la fin, les apparences sont sauvées, à peine le vernis a-t-il craquelé ; rien, si ce n’est dans les cœurs, ne s’en est trouvé durablement bouleversé ; et les nouveaux riches sont toujours aussi fortunés. La romancière elle-même navigua dans ce milieu, femme d’affaires redoutable et conservatrice qui ne manqua pas néanmoins de divorcer d’un mari peu au fait des choses de l’amour, encore moins de la fidélité.

A lire aussi, Patrick Mandon: Drieu la Rochelle, une ombre encombrante

Lire Edith Wharton, en été de surcroît, c’est profiter du plaisir de la lecture, quand on est épuisé par les émissions littéraires, leurs commentateurs et leurs invités dont les péroraisons, si elles valent mieux que celles des plateaux sportifs, n’en demeurent pas moins souvent soporifiques à force d’être mielleuses et moralisatrices, ou quand on se lasse des poncifs associés aux livres – la « petite musique » de l’un, le « pastoralisme » de l’autre – et des débats répétitifs – « faut-il séparer l’œuvre de son auteur ? »

Enterrée en France

Ernst Jünger se demandait à juste titre si l’on finirait par distinguer, à la fin de son siècle – le XXe -, deux classes d’hommes, les uns formés par la télévision, les autres par la lecture. On pourrait ajouter qu’avec le nouveau millénaire, une troisième catégorie d’hommes a fait son apparition : ceux qui sont biberonnés aux réseaux sociaux. À l’époque d’Edith Wharton, ceux-ci n’existaient pas. Dès lors, tout est dans l’écriture, c’est-à-dire dans le style et donc la description des personnages, des lieux, des émotions, dans les dits et non-dits, dans le vocabulaire, autant d’élégances qu’oublie pléthore d’écrivains actuels.

Le monde d’Edith Wharton ne se limite pas aux gazons d’émeraude bordés de géraniums et de coléus, ni aux loges rouges et or de l’opéra de New York où se presse la haute société. Et s’il fallait finir de se convaincre de lire l’écrivain, soulignons donc son rapport à un autre univers : la France. Elle fut introduite dans les cercles littéraires français par Paul Bourget, auteur d’Un crime d’amour, et se lia à d’autres écrivains de son temps, dont Anna de Noailles et André Gide. Elle commença à rédiger Ethan Frome dans la langue de Molière. Signe qui ne trompe pas, celle qui logea une décennie durant rue de Varenne repose aujourd’hui à Versailles.

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La Maison de liesse – Les Beaux Mariages – L’Âge de l’innocence – Vieux New YorkDossiers : «De l’écrit à l’écran» (filmographie) – «New York, de sa fondation à la fin de l’Âge doré». Vie & Œuvre illustré.

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Trump: petit cours de journalisme politiquement correct

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Donald Trump visé par un tireur à Butler, Pennsylvanie, 13 juillet 2024 © Gene J. Puskar/AP/SIPA

Breaking news. Tentative d’assassinat, pendant la campagne électorale américaine. Mince… ce n’est pas le candidat espéré par les journalistes qui était visé.


Vous êtes journaliste ou aspirez à le devenir. Désireux de faire une belle carrière, vous êtes bien conscient de devoir vous aligner le plus servilement possible sur le politiquement correct. Afin d’illustrer ce propos, je me permets de vous proposer ce qui suit.

Imaginons que, lors de la campagne électorale des présidentielles aux États-Unis, l’un des deux candidats se trouve blessé par balle au cours d’un meeting en plein air. Blessure assez légère fort heureusement, cependant la volonté de donner la mort ne fait aucun doute et la qualification de tentative d’assassinat s’impose à tous, adversaires politiques comme partisans.

Deux cas de figure vous sont dès lors proposés.

Premier cas : le candidat visé et blessé est Républicain, donc classé, ou plutôt – politiquement correct oblige – relégué à droite. Appelons-le Donald T.

Devant ce fait d’actualité, ce que à quoi vous devez vous attacher est très clair : focaliser votre article, vos interviews, vos plateaux TV sur le seul sujet des règles de sécurité, de protection et leur mise en œuvre dans cette circonstance. Rien d’autre que la sécurité, cela est essentiel. Y avait-il assez d’agents secrets et non-secrets ? Sont-ils bien formés, après tout ? La position du tireur d’élite couché est-elle la bonne? Le fusil d’assaut sur un trépied est-elle la configuration prévue par le manuel ? Pourquoi l’exfiltration du blessé a-t-elle pris trois minutes et quarante-huit secondes alors qu’elle aurait dû s’effectuer en trois minutes et quarante-cinq secondes ? Pourquoi est-ce la portière arrière de ce côté qu’on a ouverte, et pas l’autre ? Enfin, vous voyez, vous croulez sur les points exploitables. Vous vous en remettez évidemment à l’avis d’experts-spécialistes et de spécialistes-experts qui tous tombent d’accord pour affirmer que s’ils avaient été en charge du truc, ça ne se serait pas passé comme ça. Ah, mais non ! Bref, vous avez compris que vous tenez là le traitement de votre sujet, vos trois pages de canard, l’intégrale de votre journée « spéciale attentat ». Vous n’avez plus qu’à attendre les félicitations de votre hiérarchie. Voire de plus haut.

Second cas de figure : le candidat visé et blessé est Démocrate, l’homme du bon camp, le parti des vertueux. Appelons-le Joe B. Même blessure légère, également à l’oreille. (Notez que nous nous plaçons dans l’hypothèse où ce personnage aurait encore la lucidité de s’être rendu compte de ce qui se passait). Ainsi, vous voilà avec la mission journalistique de traiter la tentative d’assassinat sur la personne du candidat démocrate Joe B.

À lire aussi, Gerald Olivier: Quel « VP » pour Donald Trump?

Sachez tout d’abord qu’il n’y a absolument aucune urgence à ce que vous vous intéressiez dès à présent aux conditions, bonnes ou mauvaises, dans lesquelles sa sécurité était assurée. Vous décrétez que cela relève de l’anecdotique et ne devra venir que plus tard, seulement si besoin est.

Non, en excellent journaliste adepte du politiquement correct, vous aurez à cœur d’ouvrir votre papier, votre émission radio ou TV par une formule du genre : « Certes, c’est ce pauvre bougre Tartempion-Machin qui a tiré, mais c’est bel et bien le populisme trumpiste qui a engagé la balle dans le canon. » D’emblée, vous êtes au top du top. Vous tenez le coupable, le seul vrai coupable, le fauteur de troubles vaguement raciste, le semeur de haine, de discriminations tous azimuts, le propagateur fanatique de la violence, de toutes les violences. Pour étayer le réquisitoire, vous exhumez de ses propos des cinquante ou soixante dernières années le moindre bout de phrase, la plus légère allusion qui, éventuellement, pourrait presque donner à envisager qu’il aurait pu, plus ou moins, de loin ou de près, encourager un tel acte. Vous convoquez évidemment ce qu’il faut de témoins à charge à la barre de votre procès instruit d’avance. Ils sont légion. Et tous sont d’accord pour déclarer qu’ils avaient vu le coup venir depuis longtemps et que si on avait écouté plus tôt leurs mises en garde contre la montée du fascisme, le retour de la peste brune, ce drame épouvantable ne se serait jamais produit. Ah, mais non !

Bref, vous tenez là le papier de votre vie, celui qui vous ouvrira en grand les portes de la carrière. Car vous n’aurez pas omis de glisser quelques mots bien sentis sur ce fascisme encore rampant qui serait, en vérité, une internationale. Suivez mon regard.

Bien entendu, vous n’omettrez pas non plus de conclure votre brûlot par ces mots qui vous vaudront les vivats de la foule des grands soirs Place de la République : « Plus que jamais la preuve est faite ! Le populisme tue! » De la belle ouvrage, vraiment. Allons, ne me remerciez pas.

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«Un p’tit truc en plus»: anatomie d’un succès mérité

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© David Koskas

Notre chroniqueur a parfois des défaillances dans son système d’exécration universelle : il aime les animaux, le filet de bœuf Wellington et les bons sentiments. Les vrais, pas la guimauve. Il revient pour nous sur le phénoménal succès du film d’Artus, qui a emballé la France entière — sauf Paris. Peut-être pas un hasard, analyse-t-il.


Je n’ai pas de télévision, et j’ignorais complètement qui était Artus. C’est dire que je suis allé voir Un p’tit truc en plus en état de parfaite innocence, perplexe devant le succès phénoménal (près de 10 millions de spectateurs à ce jour) d’un film français qui n’est ni intello, ni franchouillard.

Sur ces millions d’entrées, moins de 10% ont eu lieu à Paris. Les bobos électeurs d’Aymeric Caron, Sophia Chikirou, Sandrine Rousseau et autres grandes consciences n’ont pas eu d’appétence particulière pour un long métrage mettant en scène une bande de handicapés (h aspiré, hé, patates !) dans un décor bucolique et même carrément provincial. Même pas des gosses, de surcroît : des adultes (Ludovic Boul, par exemple, a près de 47 ans), ceux que le système français ignore et laisse à leur famille qui désespère souvent, quand elle ne les abandonne pas tout à fait. Quelques structures privées, souvent hors de prix, quelques associations philanthropiques vivant de bouts de ficelles s’occupent de ces laissés-pour-compte qui défriseraient le paysage du VIe arrondissement. Ou même ceux du XIXe.

On sait que le projet, du coup, a été difficile à financer. Que les couturiers ne se sont pas bousculés pour habiller les acteurs jouant ici leur propre rôle. Que leur montée des marches, à Cannes — un événement largement partagé sur les rézosocios — contrastait violemment avec le star system et les paillettes de rigueur — au point d’avoir eu du mal à trouver des vêtements à la hauteur de l’événement. Comme a dit Artus : « C’est toujours plus élégant pour une marque d’habiller Brad Pitt que d’habiller Artus et encore plus des acteurs en situation de handicap. » Il a fallu que le groupe Kering (le groupe de François Pinault, qui fédère Yves Saint Laurent, Gucci et Balenciaga) sente le coup de pub et habille le casting du film. Bien fait pour les professionnels de la profession.

A lire aussi: La palme du grotesque

Et passons sur le fait que le palais des festivals, à Cannes, n’est pas équipé pour les chaises roulantes, et qu’Artus a dû porter dans ses bras le jeune Sofian Ribes, atteint d’ataxie-télangiectasie, une vraie saloperie. Ce qui a mis en rage la ministre déléguée aux personnes handicapées, Fadila Khattabi, qui a promis : « En 2025, les marches seront accessibles aux personnes en situation de handicap. » Mais d’ici là, elle sera remplacée par une belle conscience parisienne, et on peut s’attendre au pire.

Je ne reviendrai pas sur le film lui-même. Bien loin d’être, comme l’ont immédiatement identifié Libé et Télérama, un « feel good movie », c’est un récit impitoyable avec les Français ordinaires — ceux qui délibérément augmentent les prix de l’hébergement, de façon à dissuader les protagonistes de revenir chez eux l’année prochaine, ou refusent sous des prétextes fumeux de leur louer des canoës. Artus, qui joue et qui a réalisé le film, s’offre même le luxe de dire du bien des flics, capables de complicité affectueuse et de compassion, et de laisser Clovis Cornillac (impeccable !) le temps de participer aux réjouissances finales. Un film qui ne joue ni sur la « diversité », ni sur les bons sentiments artificiels. Les trisomiques y sont bien de chez nous. On y rit avec bonheur — ah, le cours que donne Ludo à Artus sur comment avoir vraiment l’air d’un handicapé, c’est quelque chose ! Et on y clope comme avant la loi Evin.
De surcroît, le réalisateur est un homme. Hétéro, autant que je sache. The horror !

Pourquoi cette détestation parisienne des films encensés par la province ? Un sentiment de supériorité intellectuelle, sans doute. Comme le note Boulevard Voltaire : « D’autres films ont également été boudés par les Parisiens. On peut, notamment, penser au drame Au nom de la terre (2019), réalisé par Édouard Bergeon avec Guillaume Canet, qui raconte les difficultés d’un agriculteur sur son exploitation. Un véritable succès en salles (2 millions d’entrées), mais dont seuls 5% des entrées sont faits à Paris et en région parisienne. De même pour L’École buissonnière (2017) de Nicolas Vannier. Ce film initiatique, avec tout de même François Cluzet ou encore François Berléand, qui raconte le parcours d’un jeune orphelin en Sologne entre chasse et tradition, n’a réalisé que 5% de ses 2 millions d’entrées dans la capitale. On peut également citer les différentes adaptations de Belle et Sébastien, notamment celles réalisées en 2015 et 2022, qui ne réalisent que 6% de leurs entrées en Île-de-France. À croire que les films sur la nature, les paysans ou encore les régions de France n’intéressent pas les Parisiens. »
Qui s’en serait douté ?

Comme quoi la formule de Marx, « le facteur économique est déterminant en dernière instance », n’est pas forcément vrai. Avec les bobos, c’est le facteur idéologique qui prime — d’où leur déconnexion des problèmes réels de la France. Le handicap, connais pas. Les problèmes des agriculteurs, pas davantage. L’impossibilité de rouler en trottinette électrique dans le Larzac, non plus.

Les Parisiens devraient se méfier. Ils pètent dans la soie et l’entre-soi, se gavent de connivence cuculturelles, et se gaussent des ploucs d’outre-périphérique. Ils sont comme les Elois dans La machine à explorer le temps, de Wells : dilettantes nourris par les Morlocks, cette espèce obscure et souterraine qui œuvre dans les profondeurs, ils leur servent aussi de réserve de viande.

Leur seul espoir, c’est d’être absolument indigestes. Qui peut rêver, en toute conscience, de fricasser Caron ou de faire passer Rousseau au barbecue ?