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Otages, ô désespoir

Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 106 otages, dont deux Franco-Israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée.


Quiconque arrive à l’aéroport Ben-Gourion à Tel-Aviv est saisi par leurs visages, placardés dans le vaste hall qui sépare la zone de débarquement de la sortie. Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, beaucoup sourient, saisis dans un moment heureux qui, peut-être, leur tient secrètement compagnie dans leur prison. Dans les manifestations clairsemées qui ont lieu en leur honneur, à Paris et dans d’autres villes européennes, ils interpellent les passants comme pour leur dire « Ne nous oubliez pas ! ». Il se trouve aussi dans ces mêmes villes des salopards pour déchirer ces affiches, profanation minable qui ose se draper dans des considérations humanitaires. Pour Israël, les otages sont littéralement une tragédie – une situation sans solution : d’une part, le contrat moral entre l’État et ses citoyens veut qu’on les ramène à n’importe quel prix ; et de l’autre, la survie collective ne peut pas être sacrifiée à ces vies humaines, aussi précieuses soient-elles. Alors on rêve d’une opération Entebbe[1] – les méchants sont punis et les innocents, libérés : une fin à la James Bond est la seule issue heureuse.

Israël, une grande famille

Le 7 octobre 2023, lors de l’attaque surprise du Hamas, 251 personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de cadavres, ont été enlevées en territoire israélien et emmenées à Gaza pour servir de monnaie d’échange et de boucliers humains à la milice islamiste. Un peu moins de la moitié des personnes prises vivantes l’ont été au kibboutz Nir Oz (71) et lors de la fête Nova (41). 32 otages étaient des étrangers, principalement thaïlandais, et 25 des militaires. 37 otages avaient moins de 18 ans, mais ils ont tous été libérés en novembre 2023, à l’exception des deux enfants de la famille Bibas, dont le plus jeune, Kfir (« lionceau » en hébreu), avait 9 mois lors de son enlèvement.

Le 22 novembre 2023, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, 80 otages israéliens ont été libérés, ainsi que 23 Thaïlandais et un Philippin, en échange de 240 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Six otages ont été libérés vivants lors des opérations spéciales menées par l’armée israélienne et d’autres, via des accords entre leurs gouvernements respectifs et le Hamas. Aujourd’hui, 107 Israéliens, dont deux binationaux français, sont toujours détenus à Gaza. Plusieurs dizaines d’entre eux sont probablement décédés.

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Si cette prise d’otages est sans précédent en raison de son ampleur et du contexte, la question des otages hante la société israélienne depuis les prises d’otages perpétrées par l’OLP dans les années 1970 : le détournement de l’avion de Sabena, le massacre des JO de Munich (initialement une prise d’otages) en 1972, et bien sûr l’affaire du vol Air France détourné vers Entebbe en 1976.

En 1982, pendant la guerre au Liban, des soldats de Tsahal sont faits prisonniers par le FPLP d’Ahmed Jibril et, faute de pouvoir les libérer par la force, Israël accepte de libérer 1 151 détenus palestiniens, dont Ahmed Yassin qui fondera le Hamas en 1987. Déjà à l’époque, le pays se déchire entre les considérations d’ordre stratégique et le respect du contrat moral tacite entre l’État et ses citoyens en uniforme. L’accord laissera un goût amer, en raison notamment du rôle important joué dans l’Intifada par certains des prisonniers palestiniens libérés. Un jeune aviateur le paiera de sa vie.

Lors d’une mission de combat au-dessus du Liban en octobre 1986, un pilote et un navigateur sont contraints de s’éjecter après un problème de munitions à bord de leur avion. Si le pilote est récupéré par Tsahal, l’autre aviateur, Ron Arad, est capturé par des miliciens chiites d’Amal. C’est le début d’une triste affaire qui mobilise la société civile israélienne pendant presque vingt ans. Aujourd’hui, on estime qu’Arad est probablement mort au plus tard au milieu des années 1990. Il est également largement reconnu que les dirigeants israéliens, échaudés par les critiques de l’accord avec le FPLP, ont laissé passer des occasions de libérer Arad. Pour la première fois, le public comprend que, contrairement au discours officiel, son gouvernement ne paiera pas n’importe quel prix pour récupérer ses soldats. Pour une société qui se voit encore comme une grande famille dont certains membres portent l’uniforme, cette confrontation avec la raison d’État est douloureuse.

Le soutien aux otages devient une expression partisane

À peine remis de cette tragédie, les Israéliens découvrent Gilad Shalit, enlevé en juin 2006 par un commando du Hamas qui s’est infiltré par un tunnel. Le visage de Gilad remplace celui d’Arad à l’arrière des voitures, la pression médiatique reprend. En octobre 2011, après soixante-quatre mois de captivité, Shalit est libéré en échange de 1 021 prisonniers palestiniens, dont… Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas et l’un des artisans du 7 octobre 2023.

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On comprend que la série télévisée Hatufim, relatant l’histoire de militaires israéliens libérés après dix-sept ans de détention, ait tenu Israël en haleine. Des éléments des affaires Jibril/FPLP, Ron Arad et de Gilad Shalit sont clairement présents dans cette fiction, premier succès à l’exportation de l’industrie israélienne de production télévisuelle, qui a inspiré une version américaine, Homeland.

Malgré cette riche expérience, ni l’État ni la société israélienne ne semblent mieux préparés à gérer ces situations douloureuses. En revanche, au cours de ce demi-siècle, l’un et l’autre ont considérablement changé. Pour la première fois, la traditionnelle solidarité instinctive avec les otages cède parfois la place à des expressions d’indifférence. Certains ne voient en eux que des gauchistes, des kibboutzniks, des fêtards drogués, bref pas des juifs comme il faut. Ce qui faisait totalement consensus il y a trente ans – le soutien aux otages – est désormais une expression partisane. Cela rappelle que le 7 octobre a fait irruption dans une société travaillée par une crise identitaire profonde – certains disaient le pays au bord de la guerre civile. Près d’un an plus tard, et alors que la guerre continue au nord et au sud, la douloureuse question des otages montre que cette crise est toujours là.


[1] Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces spéciales israéliennes ont libéré et exfiltré les passagers d’un vol Air France Tel-Aviv/Paris, détourné par le FPLP et stationné sur l’aéroport d’Entebbe à Kampala. Cette opération, menée à des milliers de kilomètres d’Israël, est entrée dans la légende. Trois otages et un militaire israélien (le frère aîné de Benjamin Nétanyahou) ont été tués. Une quatrième otage a été assassinée plus tard à l’hôpital par des Ougandais.

Tribunal amoureux

Le plus beau et le plus méconnu des films (1964) de François Truffaut ressort aujourd’hui en version restaurée au cinéma


C’est le plus beau et le plus méconnu des films de François Truffaut : La Peau douce ressort sur les écrans en cette rentrée et on ne peut que s’en réjouir. Chaque nouvelle vision de ce film apporte son lot de surprises et de découvertes. Véritable déclaration d’amour à Françoise Dorléac, que Truffaut avait surnommé Framboise, c’est aussi un autoportrait fort peu complaisant d’un homme partagé entre deux femmes et que Jean Desailly incarne à l’extrême perfection. L’acteur en voudra d’ailleurs ensuite à Truffaut de lui avoir confié le rôle sinon d’un lâche, du moins d’un velléitaire assez pitoyable. Le cinéaste mène son film tambour battant jusqu’à la scène finale et définitive, se payant même le luxe d’un passage provincial à la Chabrol avec le formidable Daniel Ceccaldi. Mais La Peau douce annonce surtout les grands films brûlants de Truffaut dont le mot d’ordre, commun et passionné, pourrait être : « Ni avec toi, ni sans toi. »

Avec Françoise Dorléac, Jean Desailly… 2 heures

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Éric Zemmour dans Causeur: «La politique est l’ennemie du peuple»

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Dans notre grand entretien, le président de Reconquête, se confiant à Elisabeth Lévy, explique que la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages. Il appelle à ce qu’il nomme « une révolution antipolitique ».

Notre dossier du mois, « Flemme olympique », dissèque cette France qui ne cesse de se montrer allergique au travail. Le présentant, Élisabeth Lévy affirme que, pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française. Se livrant à Jean-Baptiste Roques, l’essayiste Nicolas Baverez fait un diagnostic accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays ne manque pas d’atouts pour sortir de la spirale du déclin. Nos politiques parlent incessamment du « pouvoir d’achat », ce paresseux mantra, selon Stéphane Germain. On nous répète qu’il est en berne alors qu’il ne cesse d’augmenter, au prix d’un endettement irresponsable. Ce système redistributif dessert l’intérêt général, sans parler des générations futures. Le fond du problème, nous explique Philippe d’Iribarne, c’est que nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.

Le numéro 126 de « Causeur » est disponible à la vente aujourd’hui sur le site, et jeudi chez votre marchand de journaux !

Rien de tout à fait nouveau sous le soleil : d’Épicure à Céline en passant par Montaigne et Lafargue, une longue tradition philosophique et littéraire invite l’honnête homme français au farniente. Comme le dit Frédéric Magellan au terme de son analyse, il est difficile de lutter contre tant de beaux esprits…

Dans son éditorial, Elisabeth Lévy commence par un mea culpa : « Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais ». Ce n’est pas pour autant qu’elle supporte avec équanimité la propagande olympique qui ne désarme pas. Car à en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Commentaire de notre directrice de la rédaction : « Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles ». Sur un autre ton, Elisabeth Lévy commente aussi l’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte qui a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes anti-juifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.

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Emmanuelle Ménard, qui transforme sa chronique « Ma vie à l’Assemblée » en « Ma vie après l’Assemblée », ne craint pas de tirer les enseignements d’une défaite en politique. L’été qu’elle a passé à Béziers n’a cessé de la confronter à des êtres incarnant pleinement et merveilleusement les qualités de résistance, volonté, travail et courage. Comme pour mieux lui rappeler leur pendant : humilité et force morale. Jean-François Achilli analyse l’état actuel de la gauche. Le PS, tiraillé entre la social-démocratie et les sirènes révolutionnaires, cultive un complexe moral et intellectuel vis-à-vis de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon est devenu le moteur d’une famille politique déchirée, tout juste capable de s’entendre quand ses intérêts électoraux convergent. Harold Hyman nous invite à traverser l’Atlantique où, à en croire médias et réseaux sociaux, les Américains sont au bord de la guerre civile. Certes, des sujets de société tels que l’avortement et le port d’armes séparent les Démocrates des Républicains. Cependant, derrière les effets de manche et les concours d’invectives, leurs états-majors ont compris que les électeurs aspirent à un certain centrisme.

Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 107 otages, dont deux franco-israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Pour Gil Mihaely, cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée. Enfin, je reviens sur les émeutes anti-immigration qui ont éclaté en Angleterre cet été. Instrumentalisées ou non, elles ont révélé la détresse économique et sociale d’une classe populaire blanche « invisibilisée » par les élus et les médias. Dans cette société ethniquement cloisonnée, seules les minorités ont le droit de revendiquer leur identité.

Nos pages culture s’ouvrent sur l’hommage rendu par Marin de Viry à notre ami Benoît Duteurtre qui est mort le 16 juillet, à 64 ans. Il n’était pas seulement ce musicologue amoureux de l’opérette et de la chanson française que beaucoup connaissent. C’était aussi un romancier qui a su croquer la bêtise, les laideurs et les petitesses du quotidien avec un regard critique et désabusé. La mort d’Alain Delon tourne l’ultime page du cinéma français. Pour Yannis Ezziadi sa disparition emporte le mystère et les secrets des grands maîtres qu’il admirait tant, et révèle combien notre nouveau monde de la culture a répudié l’art. Georgia Ray nous révèle un contraste qui en dit long sur l’esthétique contemporaine. Si les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement, ils nous ont imposé aussi les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. En revanche, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage. La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, selon Jean Chauvet, bien que l’on puisse se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant.

Septembre, c’est la rentrée littéraire : Jonathan Siksou a trouvé que, effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé. Patrick Mandon salue l’ouvrage de deux jeunes gens, Ludovic Marino et Louis Michaud, Jean Cau, l’indocile, préfacé par Franz-Olivier Giesbert, qui lève enfin la sentence d’oubli qui frappait Jean Cau (1925-1993), cette figure majeure de résistance au conformisme. Comme le rappelle Julien San Frax, Bruno Patino, jeune journalise, a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a 30 ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».

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Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis 40 ans. Emmanuel Tresmontant nous présente cet homme qui est aussi un pionnier : il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus, et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.

Dans ses carnets, Ivan Rioufol raconte comment macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie. Enfin, Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières, demande l’interdiction de LFI. Car selon lui, « La France insoumise n’est pas un parti démocratique. Il est temps d’en tirer les conséquences ».

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Delon / Jagger, y’a pas photo !

1967. Alain Delon et Mick Jagger sont assis sur un canapé. Entre les deux, Marianne Faithfull, la compagne de la rock-star. Elle n’a d’yeux que pour l’élégance française qui ringardise la coolitude…


Alain Delon est mort. On le savait très affaibli depuis quelque temps, mais on se surprend à l’avoir espéré éternel. La vieillesse comme la mort sont un outrage à la beauté.

Et quelle beauté. Magnétique, insolente, éclaboussant le monde comme un soleil. Scandaleuse beauté, que le jeune homme portait comme une élection. Mireille Darc avouait il y a quelques années être parfois restée éveillée pour le regarder dormir. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de Delon que d’avoir été beau comme peut l’être une femme tout en incarnant le summum de la virilité.

La mélancolie tempérait l’acier du regard et « humanisait » ce visage trop parfait. Qui ne se serait damné pour des yeux aussi désarmants, où la tristesse le disputait à l’éclat ? Cette grâce, cette présence, injustes parce que données, ont séduit bien des femmes et sans doute irrité bien des hommes. La célèbre photographie prise en 1967, montrant Marianne Faithfull assise entre son compagnon d’alors, Mick Jagger, et Alain Delon, visage et sourire tout entiers tournés vers l’acteur, souligne plaisamment à quel point il devait être difficile pour un homme, fût-il une rockstar, d’exister à côté d’Alain Delon. La légende qui accompagne aujourd’hui l’image se passe de commentaire : « When you’re Mick Jagger but the other one is Alain Delon. » Impossible de lutter. Jagger semble penaud, absent, défraîchi ; Delon prend toute la lumière et tout l’espace, élégant, désinvolte. Jagger n’existe pas. Phèdre chez Racine décrit Hippolyte « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi ». Qu’aurait-elle dit si, par le jeu d’une improbable acrobatie temporelle, son regard s’était posé sur la beauté renversante du jeune Alain Delon ?


La beauté subjugue, elle est un sortilège. De nombreux réalisateurs, et pas des moindres, sont tombés sous le charme, jusqu’à la fascination amoureuse si l’on pense à Visconti. Notre paysage mental est peuplé du visage ironique et flamboyant de Tancrède, des grands yeux candides de Rocco, et chez les autres, les Clément, les Deray, les Melville, d’un corps solaire et délié, en pleine mer ou au bord d’une piscine, de la face hiératique et glaciale d’un samouraï dont la froideur n’altère jamais la beauté. Dans Plein soleil on se prend même, contre toute morale, à souhaiter que jamais ne se fasse coincer, pour reprendre le vers de Genet, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour »… Tous ont perçu la force de frappe de ce garçon qui crève l’écran, peut-être parce qu’il ne joue pas mais, comme il se plaisait à le dire, parce qu’il est chaque fois le personnage qu’on lui demande d’incarner, avec un engagement et une conviction qui semblent naturels. Il est sans conteste l’assassin machiavélique de Maurice Ronet, il est un monsieur Klein pris au piège de l’histoire, il est flic, truand ou tueur à gages avec la même force, comme il a été prince sicilien ou jeune frère désarmé par sa propre bonté.

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Une présence incandescente jusque dans ses tourments, qu’ils soient cinématographiques ou personnels (car Delon n’est pas une image lisse sur papier glacé), portée par une élégance sans faille, dans l’apparence comme dans le verbe. C’est sans doute à ce titre qu’il représente si pleinement, pour autant que ce vocable ait encore un sens aujourd’hui, l’homme français : une mise impeccable sans être guindée, de la tenue, au propre comme au figuré, une séduction faite d’un charme puissant mâtiné de panache et de désinvolture. Là encore, il suffit de le revoir dans son costume gris clair, dans une décontraction presque insolente, à côté d’un Mick Jagger ringardisé par la coolitude étudiée de ses vêtements roses…

Alain Delon incarne l’homme français… et c’est bien le problème. Emmanuel Macron pourrait sans doute prétendre, avec beaucoup d’autres aujourd’hui, qu’il n’y a pas plus d’« homme français » qu’il n’y a de culture française, que l’homme français est divers, qu’il existe des hommes en France, pour parodier son assertion. Ce serait ignorer qu’il y eut longtemps un archétype dans lequel la grande majorité des Français se reconnaissait, et que Delon résume et sublime. Si aujourd’hui beaucoup (principalement à gauche) ne lui ont rendu aucun hommage après l’annonce de sa disparition, ou se sont répandus en vilenies à son propos, c’est précisément parce qu’il est trop français, trop blanc, trop catholique (il prétendait ne pas croire en Dieu, mais avouait une dévotion à Marie et s’était fait édifier une chapelle dans sa propriété de Douchy), trop peu conforme à la nouvelle population « créolisée » que d’aucuns appellent à remplacer l’encombrant peuple de souche.

Et même pas homosexuel, Delon. Ça l’aurait peut-être sauvé à l’heure où il est de bon ton d’appartenir à une minorité nécessairement opprimée. Mais non : Delon aimait les femmes, et en plus il se permettait d’avoir des critères de sélection, il les préférait plutôt grandes, belles et si possible intelligentes. Pas facile à proclamer dans une époque qui a l’égalitarisme prodigue et arrogant… Bien sûr Delon a pu faire preuve de goujaterie dans sa vie amoureuse, il n’est pas sans défaut, mais cela vaut-il le procès en misogynie intenté par certains, largement battu en brèche par les amitiés vraies qu’il a su nouer avec Romy Schneider ou Mireille Darc après leur rupture… Beaucoup des femmes qui l’ont aimé un jour l’ont aimé à jamais. Sandrine Rousseau et sa clique, au lieu de pointer sa « masculinité », toxique, forcément toxique, auraient pu au moins saluer l’immense acteur, son exceptionnelle contribution au rayonnement du septième art (… et de la France) ; mais Delon n’était pas un mâle suffisamment déconstruit pour être célébré.

Il ne coche donc aucune des cases qui valent aujourd’hui brevet de vertu : il prône l’ordre, la discipline, l’autorité (autant dire des valeurs fascistes !), il admire ceux qui risquent leur vie pour leur pays (on est loin du pitoyable « cheh » de la dispensable sociologue Ricordeau1), il est patriote, enraciné, il se reconnaît des maîtres. Il préfère l’exigence de la verticalité aux fausses promesses de l’horizontalité. Il prétendait, et on peut le croire, n’avoir aucun regret à quitter une époque aussi minable que la nôtre. Les réactions haineuses qui ont suivi sa mort apportent la triste confirmation de son verdict. Pour pouvoir s’incliner, il faut reconnaître plus grand que soi, se sentir redevable, héritier, ce dont notre temps est précisément incapable.

Brigitte Bardot écrit très justement qu’« Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue ». Une époque, dont le cinéma se faisait aussi l’écho, et que beaucoup, parfois même sans l’avoir vécue, se prennent à regretter… Une époque et des individus, libres dans leur façon d’être et d’aimer, quintessence de l’esprit français, que Delon comme Bardot incarnaient merveilleusement.

On lui a souvent reproché sa froideur et sa distance, exactement opposées à la gouaille et la jovialité d’un Belmondo plus accessible et disert. On n’a pas toujours compris la solitude et la mélancolie de cet être comblé par toutes les grâces. On l’a cru misanthrope, aigri. Et sans doute son amour des chiens disait-il sa déception des hommes, lui qui plaçait très haut les vieilles valeurs de fidélité et de loyauté. Cet homme issu du peuple était un aristocrate et savait qu’un chien ne trahit pas.

Finalement Alain Delon est un résidu scandaleux du monde d’avant, qui refusa toujours de communier, dans la liesse obligatoire, à l’avènement du bel aujourd’hui. Son péché capital est évidemment politique. Dans le milieu du cinéma, on est de gauche et on le montre, on fait constamment allégeance à la doxa progressiste, ou si on a le mauvais goût de ne pas en être, on ne la ramène pas. Delon, lui, la ramenait, il n’avait pas le tropisme droitier honteux, et c’est impardonnable. Il n’a pas (à l’exception du César de rattrapage en 2019) été récompensé par la profession à la hauteur de son talent et de sa filmographie, et plusieurs mettent cet « oubli » sur le compte de positions politiques non conformes. Les petits commissaires politiques d’internet s’en donnent à cœur joie, méconnaissant la décence commune qui consiste à ne pas cracher sur les morts de fraîche date : « conservateur en politique, mufle avec les femmes, père laissant à désirer » (où l’on voit bien que la faute première est politique, et que tout le reste apparaît comme une suite logique), « réac », « facho »…

L’insipide Nicolas Mathieu s’est lui aussi fendu d’un commentaire ahurissant de bêtise et de sectarisme : « Delon n’était pas un chic type. Tout de lui semble fait pour scandaliser nos susceptibilités actuelles. » Il reconnaît sa « beauté totale » (c’est bien le moins), mais rien d’autre ne trouve grâce à ses yeux parce que Delon n’était pas dans l’approbation béate de l’air du temps. Crime de lèse-progressisme ! Dans la vision de l’écrivain, inconsistant parangon des vertus du temps présent, gauche égale sympa, droite pas sympa. On a connu plus subtil. Mais Delon, c’est vrai, n’a jamais cherché à passer pour un « chic type », un mec cool prêt à se coucher devant tous les diktats de la modernité et à abdiquer ce qu’il était pour complaire aux nouveaux curés. Delon, qui a soutenu la droite giscardienne ou filloniste, n’a jamais caché son amitié pour Jean-Marie Le Pen, rencontré lors de la guerre d’Indochine. Un os à ronger pour les petits Torquemada, qui voient là la marque du diable, la preuve de l’infamie. De là où il est, on peut penser que Delon les emmerde.

Un plein soleil ne s’éteint jamais.


  1. Sur les réseaux sociaux, la sociologue Gwenola Ricordeau a ironisé sur la mort de deux pilotes tués dans un accident en Meurthe-et-Moselle mercredi 14 août. ↩︎

Un crime de bureau

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En couverture du livre de Pierre Abou Le Cercle des chacals, photo sépia pleine page, l’animal a pris la forme d’un officier de la Wehrmacht, casqué, ganté, fièrement monté, sabre en main, sur un cheval qui marche au pas. En arrière-plan, les arcades de la rue de Rivoli. Le cavalier en question ? Le célèbre écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998). Sous-titre de l’ouvrage : Le Paris outragé d’Ernst Jünger et des nazis « francophiles »...  


Sur Wikipédia, le mot « chacal » désigne, au sens propre, « plusieurs espèces de petite ou de moyenne taille de la famille des Canidés. C’est un mammifère adaptable et opportuniste ». Au figuré, il « symbolise l’astuce ou l’intelligence dans les cultures populaires, notamment celle des sorciers, voire le mythe interculturel du fripon » : la cible est désignée. 

Voilà donc Jünger photographié ici en 1941, soit dans les premiers temps de l’Occupation. De fait, l’ancien héros de la Grande Guerre, l’auteur d’Orages d’acier tant admiré d’Adolf Hitler, a bien été en poste à l’hôtel Majestic (l’actuel palace Peninsula Paris, sis 19 avenue Kléber, dans le XVIème arrondissement), alors réquisitionné par l’occupant nazi pour héberger son quartier général, à deux pas de la rue Lauriston, de sinistre mémoire. « Ce livre, annonce Pierre Abou, a pour ambition de raconter les deux premières années de l’Occupation du point de vue de ces princes de l’ombre que furent les membres les plus influents du Commandement militaire en France… » Dans ce microcosme actif, Jünger est l’élément qui aimante – et aiguise – le coutelas acéré de l’auteur : c’est dans une prose nette, froidement courroucée, que Pierre Abou, tout au long de ces 300 pages, écorche vif ces caciques de l’appareil national-socialiste dont la postérité a efficacement effacé, pour nombre d’entre eux, le crime, a minima, de complicité dans la barbarie nazie.

Bons souvenirs de Paris…

Parmi eux, le juriste Werner Best (1903-1989), ancien SS qui poursuivra, après-guerre, une brillante carrière au ministère des Affaires étrangères de la RFA, et dont le rôle central est ici réévalué, si l’on ose dire. Ou encore le fameux Hans Speidel (1897-1984), chef d’état- major d’Otto von Stülpnagel qui dirige les forces d’occupation, lequel Speidel, connu surtout pour avoir été au cœur de la conspiration contre le Führer aboutissant à l’attentat raté du 20 juillet 1944, et qui sera appelé, bien plus tard et ce jusqu’à sa retraite, à commander les forces terrestres de l’Otan.  

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Le cercle des chacals, donc : derrière ce titre un rien racoleur, Abou règle ses comptes avec une historiographie bien trop tendre, selon lui, envers ces protagonistes élégants et cultivés qui faisaient bombance dans une capitale soumise aux restrictions, voire à la terreur, et dont les citoyens Juifs étaient déjà persécutés sous leurs yeux. Si la période étudiée ici « s’arrête en mai 1942 » c’est-à-dire au moment des « mutations affectant les postes clefs du commandement militaire en France », en réalité l’ouvrage, à cet égard passionnant, ouvre d’abondantes perspectives sur le contexte plus général de la relation du régime de Vichy aux instances du Reich, et sur la suite des événements jusqu’à la débandade finale.

Diatribe fulminante contre ces « ‘’hommes du Majestic’’ isolés du pays conquis et installés dans une posture de toute puissante », qu’il nomme aussi « les sous-mariniers de l’avenue Kléber », l’ouvrage fustige le déni d’accointance à l’hydre nazi, propre à « cette organisation, (…) machine à laver les taches sur l’honneur des uniformes, aussi efficace que les laveries automatiques dernier cri » (sic). Mais surtout, Le Cercle des chacals tourne concentriquement autour de la figure décidément honnie d’Ernst Jünger : quand bien même, dixit Abou, « le chacal [a] la caractéristique de s’enhardir en meute », il concentre sur lui les motifs de sa vindicte.  

D’un bout à l’autre en effet, Abou, en cela moins historien que polémiste, s’acharne à démontrer la fourberie, la parfaite mauvaise foi, l’indignité du grand écrivain germanique. Toujours controversé en Allemagne quand il reste encore durablement célébré en France (à l’instar d’un Heidegger qui fut son illustre ami), l’auteur du Travailleur, des Falaises de marbre, de Jardins et routes, du Journal parisien, de Soixante-dix s’efface, etc. dissimule, aux yeux de Pierre Abou, sous ses traits marmoréens de mondain francophile, d’esthète et de penseur féru d’entomologie, une entreprise laborieuse et concertée de blanchiment de ce que fut en réalité ce capitaine en vert-de-gris : l’instrument zélé du pouvoir nazi.

Dossier à charge contre Jünger

Pour notre « historien », Ernst Jünger, plus retors qu’aucun autre, aura sculpté sa propre statue sur la base d’un mensonge patiemment, consciencieusement ourdi jusqu’au soir de sa très longue vie : de révision en révision de son œuvre, de traductions en traductions revues et corrigées, il ne se serait employé qu’à travestir son rôle exact d’agent de renseignement sous l’Occupation, taupe infiltrée dans l’intelligentsia parisienne pour rendre compte en haut-lieu de l’état de l’opinion, pilotant « la mise sur écoute et la violation des correspondances des Français à grande échelle » depuis son apparente thébaïde de l’hôtel Raphaël, entre deux festins arrosés de grands crus au Ritz ou à la Tour d’argent…

Certes, insiste l’auteur en postface : « il n’entrait pas dans l’objet de cette enquête de se prononcer sur la valeur esthétique, philosophique ou métaphysique tes textes dont [les protagonistes] sont les auteurs ou les sujets ».  Reste que ce dossier à charge contre Jünger aurait probablement gagné à s’équilibrer d’un regard, sinon complaisant, à tout le moins apte à lui reconnaître une place éminente dans le paysage intellectuel du XXème siècle. La détestation qu’Abou lui porte va jusqu’à dénier à l’auteur pourtant très talentueux des romans d’anticipation Heliopolis (1949) ou Eumeswill (1977) la moindre once d’authenticité dans la lente évolution de ses postures philosophiques. Ainsi en va-t-il de la figure de « L’Arnaque » revendiquée par Jünger dans son âge avancé : explicitant le concept avec justesse – « l’Anarque est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchise : souverain de sa vision intime du monde, au nom de laquelle il refuse au pouvoir politique les droits qu’il lui reconnaît dans la sphère publique » -, Pierre Abou n’y voit jamais qu’« un subterfuge de Jünger pour exonérer sa conduite au commandement militaire allemand en France ».

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Dès lors, il lui intente un procès gagné d’avance : Jünger a tout manigancé ; c’est un manipulateur. Même le drame affreux de la perte de son fils, soldat de 17 ans accusé de propos séditieux contre le régime, projeté pour ce seul motif sur le front d’Italie en 1944 où il trouvera la mort, se voit retourné par Pierre Abou contre le père indigne, qui aurait cyniquement envoyé son garçon au casse-pipe ! L’attentat de 1944 contre Hitler ? Jünger se prévaudra d’une proximité supposée avec les conjurés, alors même que ceux-ci, se défiant de lui, auraient pris grand soin au contraire, s’il faut en croire Abou, de le tenir à distance du « projet Walkyrie ». Quand Pierre Abou place en exergue du chapitre 8, ‘’Revoir Paris’’, une phrase tirée du Second journal parisien d’Ernst Jünger, c’est pour n’en proposer qu’une traduction fort médiocre : « Les villes sont des femmes, tendres seulement avec le vainqueur », cite-t-il. Au lieu que « les villes sont femmes, et ne sont tendres qu’au vainqueur » rendrait compte, au moins, de l’élégance de style propre à l’écrivain. Etc.  


Au-delà du règlement de compte contre cet « esthète » supposément sans foi ni loi, Le Cercle des chacals dépeint de façon captivante les rouages de la haute administration à l’aurore de l’Occupation ; les rivalités, les tensions, les clivages dans la hiérarchie ; l’idiosyncrasie de ce « Cercle rouge » envisagé par ses membres comme un ordre de chevalerie formé (pour citer Jünger) « à l’intérieur de la machine militaire » (…) dans le ventre du Léviathan » ; l’organisation des structures qui vont s’emparer du ‘’ problème Juif ‘’ et conduire à ce qu’il est convenu d’appeler chez nous ‘’ la rafle des notables’’, le 12 décembre 1941, puis aux exécutions d’otages, préludes à la funeste ‘’Solution finale’’…

« Personnaliser le crime d’un organisme officiel est une tâche difficile pour un magistrat instructeur ce que je ne suis pas », confie Pierre Abou. Son récit décrypte pourtant avec soin l’énorme entreprise d’asservissement d’une nation et de ses réprouvés, mettant un nom sur les acteurs de ce forfait – et posant sur eux un verdict très personnel. Si, en matière historique, il n’y a pas de vérité absolue, il faut des essayistes engagés pour l’approcher. Pierre Abou en est un.

A lire : Le Cercle des chacals, de Pierre Abou. Editions du Cerf, 2024. 376 pages

Défense d’éléphants

Menacée par une crise alimentaire, la Namibie autorise l’abattage de 83 éléphants, 30 hippopotames, 60 buffles, 50 impalas, 100 gnous bleus ou 300 zèbres dans ses parcs nationaux.


Quatre-vingt-trois éléphants, trente hippopotames, cinquante impalas, soixante buffles, cent gnous bleus, cent élans et trois cents zèbres, voilà l’hécatombe programmée par le gouvernement namibien pour tenter d’endiguer la famine qui sévit à travers le pays du fait d’une sécheresse particulièrement sévère.

Petite leçon de géographie

La Namibie est une vaste contrée de l’Afrique australe, bordée à l’ouest par l’océan Atlantique, à l’est par le Botswana et le désert de Kalahari. Au nord, l’Angola, au sud l’Afrique du Sud, Indépendante depuis 1990, la Namibie a d’abord été colonisée par les Portugais, puis par les Allemands avant de subir une forte influence anglaise – l’anglais est la langue officielle -. Elle compte deux millions six cent mille habitants. Chrétiens à 90%. (60% de protestants luthériens, 30% de catholiques), les 10% restants seraient animistes. Sur l’échelle de densité de population, elle se situe à l’avant-dernier rang mondial, juste devant la Mongolie. Le revenu annuel brut par habitant est – en 2022 – de 4880$, ce qui la place, certes au-dessous de la moyenne mondiale, mais assez largement au-dessus de la moyenne africaine. Ses ressources sont en grande partie minières : uranium, diamant, cuivre, argent. En 2021, un important gisement pétrolifère a été détecté au large de ses côtes, évalué à onze milliards de barils, ce qui devrait permettre au pays de doubler son PIB à l’horizon 2040. Parmi ces ressources, on trouve aussi, bien sûr, une certaine forme de tourisme, la chasse dite sportive, le safari.

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Son système politique – démocratique – ressemble assez précisément au nôtre. République parlementaire dont le président est élu au suffrage universel direct. Le Premier ministre est, depuis 2015, une première ministre en la personne de Saara Kuugongelwa-Amadhila. Ce fait ne doit rien au hasard puisque la Namibie peut se glorifier de s’être hissée au sixième rang dans le top 10 des pays les plus avancés sur le plan de l’égalité homme-femme, y compris en terme d’égalité salariale. 40% de ses ministres sont des femmes, et elles sont un peu plus de 44% chez les parlementaires.

Cependant, deux plaies majeures affligent le pays : un taux de chômage à 21% et également 21% de la population contaminée par le VIH. Au plan historique, une performance dont les populations se seraient bien passées : elles ont connu le premier génocide du XXème siècle identifié comme tel, perpétré par l’administration coloniale allemande à l’encontre des ethnies  Héréros et Namas. Cent mille morts, si ce n’est bien d’avantage, et le recours à des camps de concentration dont certains prétendent qu’ils auraient fait école quelques décennies plus tard…

Laissons le passé au passé. Aujourd’hui, ce sont quatre-vingt-trois magnifiques éléphants qui sont menacés, parmi d’autres espèces, nous l’avons vu.

Une question

Une question : comment peut-il se faire qu’on laisse un pays aux institutions si proches des nôtres, à la population très majoritairement chrétienne, donc culturellement tout aussi proche, un pays dont l’organisation sociale se révèle si soucieuse en matière d’égalité homme-femme, se trouver acculé à une telle extrémité pour nourrir ses enfants ? Un pays riche d’uranium, de diamants, d’argent, de cuivre, regorgeant de pétrole en voie d’exploitation ? Oui, comment se peut-il que le « système », cette « mondialisation » qu’on tient tant à nous prétendre « heureuse » se révèle à ce point incapable d’apporter une autre solution ? Une solution digne du niveau de civilisation que nous prétendons avoir atteint. Les moutons de Nouvelle-Zélande, les Aubracs, ou les Charolaises de chez nous, les poulets et les dindons, nous en maîtrisons l’élevage, la reproduction. Rien de cela, bien évidemment, pour l’éléphant, le gnou bleu ou l’hippopotame.

Aujourd’hui, on se hausse du col en fourguant des avions de combat qui coûtent un pognon de dingue à un pays dont la valeur de la monnaie nationale se traîne à 0,0085 de la nôtre, dont le salaire médian mensuel atteint péniblement les 400 euros ! Probablement est-il moins valorisant pour les élites du sérail – et sans doute moins profitable pour le « système » – de se mêler de veaux, vaches, cochons, couvées que d’armes supersoniques, mais n’y aurait-il pas tout autant de gloire et de satisfaction à gagner en sauvant, dans un même élan, des femmes, des hommes, des enfants et des éléphants ? Opportunité exceptionnelle, me semble-t-il.  De plus, il paraît que l’éléphant est un être vivant de très longue mémoire. Il nous en serait donc éternellement reconnaissant. Rien que pour cela, on serait bien inspiré de faire l’effort, non ?

Université française: la grande garderie

Plus d’un étudiant sur deux quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Que de temps perdu et d’argent dépensé pour rien pour la nation !


Le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les bacheliers date de l’époque napoléonienne, qui a consacré le baccalauréat comme premier grade universitaire. Les effectifs dans l’enseignement supérieur sont restés très modestes tout au long du XIXe siècle, ainsi que pendant la première moitié du XXe siècle, compte tenu de la faiblesse des effectifs de diplômés du baccalauréat : il y avait à peine 29 000 étudiants à l’université en 1900, 137 000 en 1950. Une première croissance forte du nombre d’étudiants se produisit durant les années soixante, sous l’effet du baby-boom, alors que l’accès au baccalauréat restait cantonné à une faible fraction de la population – à peine 15% des jeunes de vingt ans étaient titulaires du baccalauréat en 1965. La forte croissance de l’effectif étudiant durant les années soixante conduira toutefois le Général de Gaulle à envisager l’instauration d’une sélection à l’entrée à l’université, mesure à laquelle il renoncera en 1968 sous l’effet de l’agitation étudiante.

Un flux si difficile à canaliser

La progression de l’accès au baccalauréat tout au long des 50 dernières a nourri une deuxième vague de forte progression des effectifs à l’université, en dépit du repli de la natalité. En 2022 et 2023, au sortir du système éducatif, c’est 80% d’une classe d’âge qui détient le baccalauréat. L’introduction des dispositifs Admission-Post-Bac (APB) puis Parcoursup a eu pour objet d’accompagner la croissance du flux d’entrée dans l’enseignement supérieur plutôt que de la contenir : aujourd’hui encore le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur (mais pas nécessairement dans la filière souhaitée par le bachelier) reste inscrit dans le droit, à l’art. L612-3 du code de l’éducation. Il y a aujourd’hui 1,6 million d’étudiants à l’université, dont 1,1 million dans les filières licence-master-doctorat (LMD).

Le droit pour tout bachelier de pouvoir poursuivre des études supérieures est généralement défendu sur le fondement d’une élévation jugée nécessaire du niveau d’éducation et de qualification de la population. Très représentative de cet état d’esprit, la Fondation Terra Nova écrivait ainsi – dans une note de 2014 – que « Un discours aux relents réactionnaires prétend qu’il y aurait trop d’étudiants, que beaucoup seraient trop faibles pour suivre des études universitaires, et que tout irait donc mieux s’il y en avait moins. Nous sommes en profond désaccord avec cette vision. Nos sociétés évoluent : en permettant un accès plus large à la culture et au savoir, elles répondent à l’aspiration démocratique à un plus grand partage de la connaissance. Une aspiration d’autant plus forte qu’elle repose aussi sur une division du travail toujours plus sophistiquée et qui exige une main d’œuvre plus qualifiée. De fait, l’augmentation du niveau général des qualifications accompagne la transformation de la structure des emplois, et les salariés d’aujourd’hui, à niveau hiérarchique égal, sont plus diplômés qu’hier. »

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On ne peut bien sûr dans l’absolu que souscrire à l’objectif d’une élévation du niveau d’éducation et de qualification de la population. Il est tout de même permis de se demander si l’élargissement de l’accès à l’université a atteint ses objectifs en la matière, et si cela a été bénéfique pour notre pays. Or les taux de réussite à l’université sont très faibles, en dépit des possibilités offertes par Parcoursup de canaliser les étudiants vers les filières censées être adaptées à leurs facultés : bon an mal an, moins de 30% des étudiants qui s’inscrivent en première année de fac obtiennent leur licence en trois ans (source : ministère de l’Enseignement supérieur), et environ 15% supplémentaires y parviennent en quatre ou cinq ans. Le taux de réussite en licence atteint donc au total péniblement 45% au terme de cinq ans, c’est donc plus d’un étudiant sur deux qui quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Il y a là à l’évidence un immense gâchis d’argent et de temps, pour la collectivité, pour les enseignants, et pour les étudiants eux-mêmes, du moins pour ceux qui échouent, au moment même où ils sont dans la force de l’âge. Le ministère de l’Enseignement supérieur, en publiant des résultats de réussite en licence en cinq ans, accrédite du reste implicitement l’idée qu’une durée de cinq ans – incluant pas moins de deux redoublements sur un cycle de trois ans ! – serait une durée « normale » pour obtenir une licence. En cohérence avec cet état d’esprit, les textes officiels prévoient que le nombre de droits annuels à une bourse peut atteindre cinq pour l’obtention de la licence.

L’apprentissage en panne

On signalera au passage que les taux de réussite en licence au bout de cinq ans sont particulièrement faibles pour les titulaires d’un bac technologique (20%) ou professionnel (8%) : à l’évidence, les études académiques ne sont guère adaptées à leur profil.

En dépit de cette proportion importante d’échecs, le système éducatif français produit néanmoins un grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, puisque au sortir du système éducatif, dans la classe d’âge qui va de 25 à 34 ans, les diplômés de l’enseignement supérieur représentent tout de même 50% de la population de cette classe d’âge. Le choix qui consiste à former autant de diplômés du supérieur est-il pertinent ? Au sein des 25-34 ans, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur est de 49% en Espagne, 54% aux Pays-Bas, mais de « seulement » 36% en Allemagne, 43% en Autriche et 40% en Finlande. Au vu de ces chiffres, et dans la mesure où l’économie se porte objectivement mieux en Allemagne (ou en Finlande) que chez nous, on est en droit de se demander jusqu’à quel point il est justifié de diriger vers l’enseignement supérieur une aussi large fraction de la jeunesse !

Figure 1 – Niveau de diplôme selon la nomenclature CITE de la population des 25-34 ans dans les pays de l’OCDE en 2021 (en %)

Source : ministère de l’éducation nationale, https://www.education.gouv.fr/media/118598/download

Source : ministère de l’Éducation nationale, https://www.education.gouv.fr/media/118598/download


La France a toujours privilégié l’enseignement général, au détriment de l’enseignement technique, un point que relevait déjà – et dont se désolait – Alfred Sauvy dans les années soixante-dix (dans L’économie du diable et La machine et le chômage). D’autres pays – l’Allemagne ou la Suisse sont exemplaires à cet égard – accordent bien plus d’importance à l’enseignement professionnel, assis en grande partie sur l’apprentissage, la France aurait tout à gagner à s’en inspirer.

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Comment, du reste, imaginer qu’on puisse redresser notre industrie sans former des ouvriers ? Le nombre d’apprentis en France a certes fortement progressé au cours des dernières années, mais la hausse n’a concerné que les filières de l’enseignement supérieur. Le nombre d’apprentis dans les filières de l’enseignement secondaire a même régressé. Développer l’apprentissage dans l’enseignement supérieur n’a rien de choquant, mais c’est surtout dans l’enseignement secondaire qu’il convient maintenant de faire porter l’effort en la matière.

André-Victor Robert est économiste. Il est l’auteur de La France au bord de l’abîme – les chiffres officiels et les comparaisons internationales, (éd. L’Artilleur, 2024)

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Limites du libre arbitre

Dans son nouveau film, Matthias Glasner explore avec empathie les tracas de la famille d’un chef d’orchestre tourmenté…


Tom, un chef d’orchestre, répète patiemment au pupitre, devant une jeune formation orchestrale, la symphonie de son ami compositeur contemporain, Bernard, un écorché vif au physique verlainien, qui y assiste sur les charbons ardents, la perspective de la première berlinoise attisant ses angoisses. C’est dans cette atmosphère électrique que le travail se poursuit tant bien que mal. Tom est séparé depuis longtemps de Liv, qui vient d’accoucher d’un bébé dont le père est le plus ancien compagnon de Tom – double paternité en quelque sorte. Quant au père de Tom, gravement atteint de la maladie de Parkinson, il perd manifestement le ciboulot. Sa mère ne se porte pas beaucoup mieux, elle ne marche qu’avec des béquilles, sa vue baisse dangereusement, et elle se sait secrètement en sursis. Le vieux ménage d’origine modeste peine à s’en sortir avec les aides sociales qui lui sont âprement comptées.  Stella, la sœur de Tom, est assistante médicale d’un dentiste adipeux marié à une femme qui élève leurs deux enfants à Munich et elle partage avec cet homme un alcoolisme invétéré qui ajoute à ses infirmités psychiques, ce qui ne l’empêche pas de forniquer à satiété avec lui.

Non-dits

Les pièces de ce puzzle tribal s’assemblent de proche en proche, comme en tâtonnant, sans qu’on sache vers quelle configuration finale il se destine. Cinéaste d’outre-Rhin, Matthias Glasner sait se faire rare : son dernier film, La Grâce, remonte tout de même à l’année 2012. Ensuite, Glasner a enchaîné les séries, pour le grand écran et la télévision. Pour autant La partition, toute imprégnée qu’elle soit de cette longue expérience stylistique, emprunte beaucoup moins à l’esthétique ultra-formatée propre, assez banalement, à la majorité des séries cinématographiques qu’à la configuration formelle du genre.

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C’est ainsi qu’au fil des chapitres de ce très long métrage – trois heures ! – l’intrigue se déplace et avance par paliers, épousant tour à tour le point de vue d’un des protagonistes autour de Tom, fil conducteur de ce psychodrame familial qui ménage des rebondissements singuliers, et dont le concert en gestation constitue la ligne de fuite. Le climax, au milieu du film, se cristallise dans un dialogue d’une bonne vingtaine de minutes où l’on voit la mère et le fils lever le voile sur les lointains non-dits de leur relation…


Divisé, donc, en chapitres dûment titrés sur fond de vignettes naïves, comme l’on ferait d’un conte pour ces éternels enfants que sont les adultes (exemples : chap. 3 : Ellen Lunes, chap. 4 : La ligne rouge, chap. 5 : L’amour…), le scénario avance en crabe, tout en reprises, en sinuosités, en pas de côté. La musique qu’on entend sous la battue de Tom, authentiquement interprétée par l’orchestre qu’on voit à l’image, est signée du compositeur de musiques de film Lorenz Dangel : elle figure en quelque sorte la basse continue de La Partition. Au plan esthétique, le film, par bien des aspects, est à rapprocher du cinéma de Philippe Garrel (J’entends plus la guitare), avec lequel il partage un réalisme à la fois cru et épuré. On pense aussi à Igmar Bergman, auquel il est fait d’ailleurs allusion à plusieurs reprises, et dont le dénouement épouse la cruauté sans phrases.

Névroses

« Le kitsch, c’est quand le sentiment n’est pas à la hauteur de la réalité », dit, à un moment donné, Bernard, le compositeur tourmenté, à Tom son ami chef d’orchestre, pour lui exprimer l’écueil qu’il cherche à éviter à tout prix dans sa musique. C’est très précisément ce à quoi La Partition – titre original : Sterbern, « mourir », en français – se soustrait par une âpreté sans mélange, une violence viscérale, une façon de montrer avec empathie les infirmités, les névroses, les vulnérabilités des protagonistes, sans une once de cynisme ou d’ironie. Un des premiers films de Matthias Glasner s’appelait Le libre arbitre. C’est la question de fond que poursuit encore La Partition : si rien n’est écrit d’avance, est-on pour autant son propre maître ?       

La Partition (Sterben). Film de Matthias Glasner. Avec Lars Eidinger, Corinna Harfouch, Ulrich Stangenberg. Allemagne, couleur, 2024.

Durée : 3h 

Qui fait partie de cette France dénoncée par Harmonie Comyn?

Un réquisitoire sans concession de Didier Desrimais contre des élites et la presse de gauche, qui ont regretté la récupération politique du discours de la veuve du gendarme tué à Mougins après un refus d’obtempérer. Pour L’Humanité, il ne s’agissait que d’un accident du travail, rien de plus. D’autres éditorialistes regrettent qu’on ne parle plus du réchauffement climatique…


Après la mort de Nahel Merzouk, le journal Libération consacra de nombreuses unes et plus de vingt articles et dossiers au « petit ange parti trop tôt », pour parler comme Killian Mbappé qui n’eut en revanche aucun mot de compassion pour les véritables anges Lola et Thomas. La police y fut quasi systématiquement conspuée. Thomas Legrand évoqua les « syndicats de policiers radicalisés » plutôt que les dangers encourus par les policiers et les gendarmes lors de contrôles routiers de plus en plus risqués : 25 000 refus d’obtempérer, dont 5000 qualifiés de dangereux, sont répertoriés chaque année. Il analysa les émeutes qui suivirent et mirent le pays à feu et à sang en reprenant le discours victimaire de l’extrême gauche dénonçant la « discrimination persistante » et la « situation sociale des cités ». Après le meurtre de l’adjudant de gendarmerie Éric Comyn, victime d’un énième refus d’obtempérer, Libération s’est contenté de délayer la dépêche de l’AFP. Le quotidien n’a pas cru bon non plus de s’attarder sur le discours fracassant d’Harmonie Comyn, veuve du gendarme, et a résumé l’information en quelques mots. Le lendemain, Thomas Legrand a écrit un édito sur… les « climatodénialistes », ces vilains pas beaux qui ne gobent pas les conclusions du GIEC. Usant de la novlangue écolo, il s’est désolé de « la destruction massive par le feu de puits de carbone forestiers » aux États-Unis. Nous sommes ici dans le domaine de la bêtise banale et panurgique des nouveaux croyants en le dogme climatique. Abordons maintenant celui de la bêtise idéologique et écœurante, lisible un paragraphe plus loin : « Alors que chaque fait divers dramatique, comme la mort d’un policier lors d’un refus d’obtempérer, provoque une semaine de débats politiques, les événements climatiques semblent, eux, avoir cessé de susciter des interrogations sur notre modèle de croissance et nos modes de vie », écrit le Grand Ordonnateur des sujets qui comptent – les salamalecs de l’écologisme, par exemple – et des sujets qu’on doit relativiser, voire oublier – le meurtre d’un policier ou d’un gendarme, par exemple. Précision : Thomas Legrand a écrit ça deux jours après le meurtre d’Éric Comyn, dans un journal qui n’en a quasiment pas parlé, comme Le Monde et Le Nouvel Obs d’ailleurs, qui se sont contentés eux aussi du service minimum, à savoir, grosso modo, les dépêches AFP. Quant à La Croix… à ma connaissance, pas un seul mot n’a été écrit à propos de la mort du gendarme Éric Comyn dans ce journal catho en phase finale de transmutation gaucho-wokiste. 

La veuve d’Éric Comyn, Mandelieu-la-Napoule, 28 août 2024. Capture d’écran.

Le quotidien communiste subclaquant sous perfusion continue d’argent public, L’Humanité donc, n’est pas en reste quand il s’agit d’ignorer ou de falsifier la réalité. Dans un répertoire tenu à jour, il a ajouté la mort tragique du gendarme Éric Comyn à celles des… accidentés du travail du bâtiment, des transports ou de la métallurgie. Point final. Pas un mot sur ce qui s’est passé à Mougins. Quant au discours de la veuve du gendarme, il aurait surtout, selon L’Huma, « réveillé les fossoyeurs de droite et d’extrême droite, s’en donnant à cœur joie pour déverser leur haine de l’autre et leur rhétorique sécuritaire, que la veuve semble, au moins en partie, partager ». Comme Libération, L’Humanité fut beaucoup plus loquace lors de la mort de Nahel Merzouk et beaucoup mieux disposé vis-à-vis de ses proches. Il demanda à l’époque que soit « écoutée la colère » des hordes sauvages qui dévastaient le pays. Il laissa paraître une tribune – signée entre autres par Judith Butler, Annie Ernaux, Adèle Haenel et Éric Cantona, la fine fleur du gauchisme embourgeoisé et rebellocrate – qui justifiait les émeutes, la destruction d’écoles, de mairies et de commerces, réclamait la relaxe des « révoltés » interpellés et condamnés, et dénonçait les violences policières et… l’extrême droite. L’adjudant de gendarmerie Éric Comyn, sa femme, ses enfants, ses proches, ses amis et ses collègues n’ont eu droit à aucun mot de compassion de la part du journal communiste. Aucune lettre de la bourgeoisie gauchiste n’est parue dans ses colonnes pour partager la douleur de l’épouse du gendarme. Aucune tribune de sportifs ou d’artistes. Aucun mot de soutien aux hommes et aux femmes qui risquent leurs vies face à des délinquants arrêtés plusieurs fois mais souvent remis en liberté, libres de continuer leurs activités criminelles, lesquelles ont augmenté en même temps que les chiffres de l’immigration légale ou illégale. 

Libération : 6,3 millions d’euros d’aides publiques en 2023. L’Humanité : 6,5 millions d’euros. Le Monde : 8,3 millions d’euros. La Croix : 9,2 millions d’euros. Il me semble qu’il serait plus approprié de verser ces sommes dans un fonds de solidarité aux familles des gendarmes, des policiers et des militaires blessés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions, plutôt que dans la poche de cette presse qui ne survit pour une grande part que grâce à ces subsides, aux frais de contribuables dont la plupart sont détestés et ridiculisés par la petite caste privilégiée de journalistes gauchisants qui gribouillent dans ses colonnes et dont Thomas Legrand est un échantillon remarquable. De gauche, wokiste, immigrationniste, européiste et, bien sûr, écologiste, ce dernier a été convaincu par Sœur Greta et les prêtres du GIEC de la réalité du « dérèglement climatique », de son origine humaine, de ses conséquences pour « la planète », ce qui l’a conduit tout droit non pas sur les chemins de Compostelle mais sur les pistes cyclables, à côté des véhicules électriques de ses collègues boboïfiés et de la nouvelle plèbe ubérisée, dans des villes sans âme, sans vie, gentrifiées à mort. Après le meurtre d’un gendarme, après le discours de sa veuve – discours si éloigné de ceux qui d’habitude accompagnent les déclarations lénifiantes du gouvernement que la presse de gauche y a vu la main du diable réactionnaire – Thomas Legrand regrette d’abord et surtout que « la question environnementale ne pèse en rien sur les débats » et que la population, de plus en plus « climatosceptique », soit dans le « déni ». Éclairons M. Legrand : en plus de se méfier de plus en plus des élucubrations climato-démentes de la gargouille suédoise, des chanoines onusiens et des bedeaux médiatiques convertis à l’écologie radicale, la population française vit chaque jour un peu plus dans la peur non pas de recevoir le ciel carbonisé sur la tête mais de prendre un coup de couteau par un « déséquilibré » pour avoir refusé de lui donner une cigarette ou de lui céder son siège dans le métro, pour avoir voulu l’empêcher de rouler trop vite sur le parking d’un supermarché, pour un « mauvais regard » ou pour avoir laissé une croix ou une étoile de David trop visible autour du cou. Elle craint pour ses enfants, victimes de la racaille des cités, des rodéos urbains, des chauffards à bord de berlines de luxe volées ou achetées avec l’argent de la drogue, des balles perdues des dealers armés de kalachnikovs, des psychopathes sous OQTF. Elle tremble pour ses grand-mères agressées et violées chez elles ou frappées et volées en pleine rue. Elle a vu les hordes de barbares profiter de la mort de Nahel Merzouk pour brûler des centaines de véhicules, piller les magasins, détruire des quartiers entiers. Dans de plus en plus de villes, elle redoute ce qui furent jadis des instants de fête et de partage, le 14 juillet, Noël ou la nuit de la Saint-Sylvestre, durant lesquels les policiers et les pompiers se font maintenant insulter et caillasser en tentant d’éteindre les incendies de voitures, de bus, de poubelles, de cages d’escalier. Une partie d’elle vit dans ces villes où des commissariats ont été assiégés par « des jeunes des cités » armés de mortiers, de cocktails molotov et de barres de fer. La violence est partout, ses principales causes sont connues – mais l’État, après cinq décennies de concessions et de capitulations, hésite encore à remplir sa mission régalienne et tergiverse. L’ensauvagement de la société française est en grande partie le résultat d’une défaillance majeure : celle d’un État plus occupé à satisfaire la Commission européenne et les élites mondialisées qu’à protéger ses citoyens.  

La France abandonnée par cet État déficient ne connaît pas Thomas Legrand ; elle ne le lit pas ; elle ne sait pas en quelle piètre estime il la tient. Malgré la publicité faite à son journal sur la radio publique et dans les CDI des collèges et des lycées, elle ignore ses incantations écologistes, ses leçons de morale, ses circonlocutions pour éviter de décrire la réalité des cités, des villes et des villages dans lesquels les menaces sont omniprésentes. Elle ne le connaît que de seconde main, pourrait-on dire. Et le peu qu’elle sait de lui ne l’encourage pas à en savoir plus – elle a instinctivement compris qu’à ses yeux elle était partie négligeable, scorie inutile condamnée par un État défaillant et des privilégiés immigrationnistes à être remplacée par d’autres populations infiniment plus violentes, transformant ainsi la société française en cette France Orange Mécanique décrite et analysée par Laurent Obertone dès 2013. En entendant la veuve de l’adjudant Éric Comyn accuser son pays, cette France-là a immédiatement reconnu la France dont parlait cette femme désespérée, et ce n’était pas celle des Français subissant les vagues migratoires et le laxisme judiciaire mais bien celle des supposées élites, des gouvernants incompétents, des représentants politiques prêts à toutes les trahisons pour un siège, des médias gauchisants, du néfaste Syndicat de la magistrature qui, lors de son congrès de 1985, plus foucaldien que jamais, affirma « la nécessité de la suppression à terme de la prison », et qui, depuis cinquante ans, participe au déclin et à la défaite d’une Justice appliquant trop souvent la doctrine d’Oswald Baudot. En 1968, ce magistrat de gauche intima l’ordre à ses collègues d’avoir toujours « un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice », de ne pas faire « un cas exagéré de la loi » et de mépriser « généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence ». Ces consignes sont aujourd’hui encore suivies à la lettre par de nombreux magistrats. Résultat : des milliers de délinquants multi-récidivistes rôdent dans nos rues, libres de continuer de pourrir la vie des Français, voire de mettre leurs vies en danger.

Un soir, lors d’un banal contrôle routier, un gendarme se trouve sur la route de l’un d’eux qui le percute délibérément. Tandis que, sur France Inter, Patrick Cohen accuse l’extrême droite de « récupérer » le discours de sa veuve et signale à cette dernière qu’elle se trompe en pensant que la justice est trop laxiste – la preuve, « il ny a jamais eu autant de détenus en France » et certains ont passé l’été « sur des matelas posés au sol », s’apitoie le journaliste en omettant de préciser que près de 24 % de ces détenus sont des étrangers –, Thomas Legrand, se désintéressant totalement de ce « fait divers », chante les louanges de l’écologie décroissante et regrette que « les citoyens que nous sommes [aient] tendance, s’agissant de l’environnement et du climat », à ne plus trop s’en préoccuper. M. Legrand semble ignorer que les citoyens que nous sommes ont en ce moment des sujets de préoccupation autrement plus importants que celui d’un hypothétique « dérèglement climatique », cette nouvelle marotte des bobos désœuvrés, des étudiants incultes de Paris VIII et de Sciences Po, des activistes écologistes en mal de reconnaissance médiatique, des députés verts, ces spécialistes en idées creuses et en décisions nuisibles.

Des barbares sillonnent nos rues, et pas un jour ne passe sans que nous apprenions leurs méfaits, leurs délits, leurs crimes – il faut pour cela lire autre chose que Libération ou Le Monde, écouter d’autres radios que France Inter ou France Info, regarder d’autres chaînes de télévision que celles du service public. Les faits sont avérés et la conclusion à en tirer est brutale : nous vivons dans un pays qui, changeant radicalement de physionomie, se tropicalise, pour reprendre l’expression de Driss Ghali1, c’est-à-dire s’appauvrit en même temps qu’il subit de nouvelles formes de violences dues à une tribalisation de la société, aux phénomènes de gangs, aux rivalités ethniques, aux revendications communautaristes ou religieuses de plus en plus malsaines, phénomènes que les autorités ne parviennent plus à endiguer. Les policiers et les gendarmes s’épuisent à tenter de faire régner l’ordre. Mais la tâche paraît insurmontable, le bras de la Justice tremble et le risque d’y laisser sa peau est de plus en plus grand. Qu’en pensent les rédactions de Libération, du Monde ou de L’Humanité ? Visiblement, elles s’en fichent. Se pourrait-il qu’elles fassent partie de cette France laxiste, ouverte à tous les vents mauvais, excessivement tolérante, dénoncée par Harmonie Comyn ? Nous laissons aux lecteurs le soin de répondre à cette question.


  1. Driss Ghali, Français, ouvrez les yeux !, 2023, L’Artilleur. ↩︎

Matignon: l’heure de vérité

Ne déplaise aux olibrius du Nouveau Front populaire, il est dans les prérogatives du président de la République de nommer absolument qui il souhaite Premier ministre. Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui à l’Elysée MM. Cazeneuve, Bertrand, Hollande et Sarkozy. Clarification ? Apaisement ? On en est loin… L’hypothèse Cazeneuve, Premier ministre de gauche pour diriger une France de droite, rend fous les LFI. Notre collaboratrice Céline Pina analyse la séquence. Propos recueillis par Martin Pimentel


Martin Pimentel. « Le soumettre ou le démettre » ! Estimant que désormais « les élections ne purgent plus les problèmes politiques mais les aggravent », que le Nouveau Front populaire aurait gagné les élections et qu’Emmanuel Macron se rend coupable d’un « coup de force » en ne nommant pas Lucie Castets à Matignon, Jean-Luc Mélenchon appelle à manifester le 7 septembre. Sa colère est-elle légitime ?

Céline Pina. La colère de Jean-Luc Mélenchon n’est absolument pas légitime. C’est une pure mise en scène destinée à accueillir une fiction tellement grotesque que, dans ce cas-là, seule l’absence de vergogne peut vous sauver. Le premier mensonge du Nouveau Front populaire est de faire croire qu’il a gagné l’élection. Or ce n’est pas le cas, cette coalition n’a pas de majorité et même pas de cohérence. C’est l’union des morts de faim, des bons à rien et de prêts à tout. Pour conserver leur gamelle ou réussir à la remplir, toutes les lignes rouges ont été effacées. La gauche a franchi toutes les barrières morales et a oublié l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Naguère grande pourfendeuse du nazisme et du fascisme, surtout quand il est renvoyé aux poubelles de l’histoire et pouvait être « combattu » sans aucun risque, celle-ci ne voit aujourd’hui aucun inconvénient à ce que la haine des Juifs soit utilisée comme argument électoral.

LFI utilise donc le discours et les clichés antisémites pour capter le vote musulman et le PS, le PC et EELV n’y voient aucun inconvénient. Résultat : les agressions antijuives se multiplient et sont justifiées au nom de la Palestine. Le négationnisme de la majeure partie de la gauche, qui reprend les mensonges des islamistes, dont l’accusation de génocide portée à l’égard d’Israël, est le meilleur déclencheur des passages à l’acte. Mais il y a aussi la lâcheté de nos gouvernants, qui pensent que la communauté musulmane est en majeure partie radicalisée et s’enflammerait si les démocraties occidentales défendaient l’Etat juif. C’est ainsi que nous sommes incapables de réagir alors que le Hamas abat les otages juifs comme des animaux. Pire même nous continuons à verser de l’argent à ces monstres et grâce à nous les tortionnaires sont milliardaires.

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Mais revenons à cette gauche, qui a perdu les élections, est minoritaire dans le pays, a perdu tout honneur, toute légitimité et toute crédibilité. Elle n’a plus que la violence comme discours et projet. « Le soumettre ou le démettre », cette phrase aujourd’hui s’adresse à Emmanuel Macron, mais dans la logique conflictuelle et totalitaire qui est celle de LFI, cette phrase sera bientôt adressée au peuple qui devra accepter tous les délires de Mélenchon ou devra être rééduqué. Cette phrase est révélatrice du seul rapport humain que comprend l’extrême-gauche : la domination. Elle ne la dénonce pas en tant que telle mais parce qu’elle ne s’exerce pas à son profit. Voilà pourquoi elle nous propose, au poste de Premier ministre, une candidate sans intérêt, sans histoire, sans parcours et sans véritable programme.

A la rédaction de Causeur, après avoir écouté ses derniers entretiens dans les médias, certains pensent qu’elle a au mieux le profil d’une bonne directrice de crèche, ou, que si vraiment elle a de l’ambition, elle ferait une excellente directrice financière de la filiale française de la chaîne de foot en difficulté DAZN…

Comment l’extrême gauche peut-elle expliquer que refuser de la nommer serait un coup de force ? C’est à la fois une provocation et une façon de tester sa force : fait-on suffisamment peur pour qu’une telle aberration passe ? Le système est-il assez abimé pour que n’importe quoi devienne possible ? Nous avons la réponse : non seulement passé les bornes, il n’y a plus de limite, mais on peut même bâtir des cathédrales de fausses indignations avec du mortier à base de mensonges éhontés. A la fin on a une inconnue illégitime qui explique qu’elle est victime d’un pseudo coup d’Etat parce qu’on ne lui a pas remis les clés de Matignon. Franchement il faut que le leader de LFI pense que nous sommes un peuple de neuneus pour oser se livrer à cette sinistre farce. La seule chose que l’on peut accorder actuellement à Jean-Luc Mélenchon et à cette gauche, c’est que les élections n’ont pas purgé les problèmes politiques mais les ont aggravés. Pourquoi ? Parce que le vote barrage a atteint ses limites. Alors que LFI est vue comme plus dangereuse pour la démocratie et la paix civile que le RN, le président de la République a appelé à voter pour les candidats du Nouveau Front populaire, LFI comprise ! C’est ainsi que nous avons eu la joie de voir un fiché S élu, entre autres personnages abjects qui ont fait leur entrée à l’Assemblée. Si la haine antisémite n’est pas une ligne rouge qui sépare les démocrates des brutes, elle est où la limite ? Comment se sortir d’une situation où un parti minoritaire, de plus en plus rejeté par les Français, qui prône la violence politique et diffuse l’antisémitisme, est jugé légitime à participer à une coalition de gauche, tandis qu’un parti qui a changé de discours, qui a été impeccable après le 7 octobre et dont le discours est conforme à ce que l’on peut attendre d’un parti républicain, est exclu du pouvoir ? Que l’on reste méfiant vis-à-vis du RN peut s’entendre, mais actuellement il est bien plus légitime pour participer à un gouvernement qu’un représentant de LFI. Au vu des évolutions du RN, on ne voit pas ce qui l’empêcherait de soutenir un gouvernement de droite sans participation voire de participer à une coalition.

Le président Macron n’aurait-il pas alors tactiquement mieux fait de ne pas écouter Gabriel Attal, et de ne pas soutenir la stratégie du « front républicain » dans l’entre-deux tours ? Après tout, il préférerait sûrement avoir actuellement Bardella en Premier ministre de cohabitation que de se retrouver dans la situation institutionnelle périlleuse que l’on dit ?

Gabriel Attal a le dos large. Etant donné l’égotisme du président, c’est surtout Emmanuel Macron qui est comptable de ce choix tactique. Mais élever la vieille ficelle effilochée du « front républicain » au rang de stratégie, c’est essayer de faire croire à un homme qui vit dans un monde de soupe que la fourchette est sa meilleure option. Cela ne peut pas fonctionner. Le président est dans une impasse et il s’y est mis tout seul. Personne n’a aujourd’hui les moyens de gouverner et on ne voit guère quelle coalition peut être mise en place. La seule chose que peut espérer le président est de nommer un Premier ministre qui réunisse plus de parlementaires que le NFP, histoire de tordre le cou à la fable du déni de démocratie. Mais celui-ci aura juste les moyens de régler les affaires courantes. Et encore. De toute façon, tant que le système politique décrétera que le vote de 11 millions de Français en faveur du RN doit être méprisé, alors que dans le même temps il ne voit pas de problèmes à utiliser les bulletins d’un parti à la dérive antisémite assumée, la situation restera sans issue. Pire même, une situation de cohabitation aurait permis de redessiner des lignes d’affrontement politique claires. Là cette situation de crise et le fait que trop de représentants du peuple se soient comportés comme s’ils étaient dans une cour d’école a encore accentué la rupture entre les Français et leurs représentants. La crise de confiance est profonde et le spectacle qui nous est montré, fort peu rassurant.

On dit qu’à l’issue de son weekend passé à cogiter à la Lanterne, le président va enfin trancher. Quel profil ou quel nom de personnalité Emmanuel Macron peut-il nommer ? Si vous étiez à sa place, qui nommeriez-vous ?

Tout parait orchestré pour l’annonce de la nomination de Bernard Cazeneuve. Ce n’est pas un mauvais choix, mais cet homme n’a pas pour autant de baguette magique et on ne voit guère comment il pourra transcender une situation politique bloquée et sauver le mandat d’un président encalminé. Surtout qu’aucun des voyants politiques n’est au vert : aucune personnalité d’envergure nationale n’est vue comme faisant office de grand sage ou de référence pour les Français, la société est fracturée et une partie est travaillée par un rêve séparatiste, le système politique est faible en propositions et fort en conflictualité, et les Français ont peur de perdre leur identité culturelle. Le tout dans un monde en crise.

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La vérité est que je n’aimerais pas être à la place d’Emmanuel Macron, car aucun nom ne me vient qui enverrait un message d’espoir à nos concitoyens. Mais si notre président était à la hauteur de sa tâche, il pourrait changer les choses. Soit en allant au bout et en démissionnant, prenant acte de son échec. Soit en réalisant les clarifications attendues par les Français. Rien ne l’empêche par exemple de dénoncer les accords particuliers qui nous lient à l’Algérie et à d’autres pays en matière d’immigration, rien ne l’empêche de baisser les aides internationales et de jouer le rapport de force pour que les pays étrangers reprennent leurs ressortissants, rien ne l’empêche d’interdire les frères musulmans en France et de démanteler leurs associations cultuelles et culturelles, rien ne l’empêche de cesser de subventionner le Hamas, rien ne l’empêche de faire en sorte que les délinquants perdent aides sociales et droit au logement HLM, rien ne l’empêche de refaire de l’hôpital et de l’école une priorité et d’arrêter avec le collège unique, rien ne l’empêche de sortir de certains dispositifs débiles comme ceux organisant une concurrence stérile en matière de distribution d’électricité sur notre sol…

A force de ne vouloir être clair sur rien, plus personne ne sait pour quoi il vote, quel est le modèle de société que les élus portent, quelle est la vision que les partis défendent. Ce que nous dit notre difficulté à proposer un nom crédible, c’est à quel point les partis, en ne faisant pas leur travail de sélection et en récompensant la médiocrité, ont abimé la démocratie. Emmanuel Macron est l’enfant terrible de la vacuité, mais les partis actuels ont été sa matrice. Si Bernard Cazeneuve est nommé, il gérera les affaires courantes et cela aura peut-être une conséquence annexe intéressante, celle de faire exploser le PS et de donner aux républicains de gauche le courage de rompre avec les malotrus de LFI. Certes ils auront mis le temps, mais que des politiques renouent avec la conscience et l’honneur doit toujours être salué.

On ne sait pas si François Ruffin ira manifester le 7 septembre. Il a rompu avec les Insoumis pendant les législatives. Peut-il tout seul affaiblir Mélenchon ?

Symboliquement oui, en montrant que l’avenir de la gauche radicale n’est pas l’islamo-gauchisme, le mépris du travail et la création d’un homme nouveau par la rééducation. Il porte la version actuelle du communisme « à visage humain », là où LFI fait dans la réactivation du fantasme totalitaire. Ceci étant dit, en politique, les organisations sont plus puissantes que les individus. Or François Ruffin, c’est combien de divisions ? Ajoutons aussi qu’en politique, le charisme ne fait pas tout. Trotski était plus brillant que Staline, mais Staline maitrisait l’organisation bolchevique. Et c’est lui qui a gagné la guerre de succession. Or pour maitriser une organisation il faut énormément d’investissement, d’énergie et de constance, le boulot est ingrat et astreignant, il faut être capable de se le coltiner… Au-delà de ce fait, Jean-Luc Mélenchon n’est pas un perdreau de l’année. Son organisation n’est pas un parti, c’est une forme d’association tenue par très peu de personnes. Jean-Luc Mélenchon contrôle tout et a la main sur les finances. Tous ceux qui s’opposent à lui se retrouvent très vite à poil. Et refonder un parti est long et compliqué quand on n’a pas des soutiens puissants. Pour l’instant François Ruffin peut être une gêne, mais il n’est pas vraiment un facteur d’affaiblissement.

69% des Français estiment que LFI est un parti dangereux pour la démocratie, et 72% pensent même qu’il attise la violence. A gauche, certains l’ont bien compris. Dans cette histoire de « destitution » du président Macron brandie par la gauche populiste, quelle petite musique nous font donc entendre Raphaël Glucksmann, Olivier Faure et François Hollande ?

Le parti socialiste ne soutient pas la proposition de destitution du président réclamée par LFI. Mais comme d’habitude ses représentants le font dans la confusion et l’opacité. François Hollande a expliqué que le président commettait une faute institutionnelle en ne nommant pas Lucie Castets Premier ministre, ce qui ne veut rien dire sur le fond, tout en tentant de faire forte impression sur la forme. Un résumé de l’œuvre de l’ancien président et une explication de son absence de postérité ? Les Hollande et Faure essaient ainsi de s’assurer une forme de respectabilité en envoyant un message aux élites et aux personnes rationnelles, message qui explique qu’ils ne sont pas en phase avec ces zozos de LFI. Dans le même temps, ils laissent entendre qu’Emmanuel Macron viole la constitution, cela pour donner des gages à une jeunesse décérébrée, persuadée que l’on vit en dictature. Cette façon de vouloir tirer des marrons du feu sans avoir ni briquet, ni bois, ni même avoir fait l’effort de la cueillette est la marque des incapables. Quand on a une pensée, une vision et un chemin politique à proposer, on n’en arrive pas à de telles contorsions.

La participation aux législatives était massive, et pourtant la situation politique du pays est bloquée depuis des semaines. Les Français divisés ne peuvent-ils s’en prendre qu’à eux-mêmes, ou bien la classe politique et les boutiquiers dans les partis sont responsables de la situation ?

Les Français ne sont pas si divisés que cela. Ils demandent toujours la même chose aux politiques. Leurs préoccupations ne changent pas. Elles sont à la fois matérielles et culturelles. Ils leur demandent de préserver leur mode de vie, leur organisation sociale et leur niveau de vie. En ce qui concerne les menaces pesant sur la société, les mœurs, us et coutumes, ils ont identifié le problème : la forte présence d’islamistes qui radicalisent une partie de plus en plus notable de la population arabo-musulmane. La jeunesse arabo-musulmane est en majorité sous l’influence de ces idéologues, différentes statistiques et études l’attestent. La fracture de la société est essentiellement là. Le problème c’est qu’aujourd’hui la peur des politiques face aux islamistes les amène à ne pas agir et à refuser de protéger la majorité de la population pour complaire à une minorité radicalisée. Et la première population qu’ils abandonnent aux mains de ces authentiques fascistes est la population musulmane.

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Le deuxième problème est que, faute de propositions, les partis ne comptent que sur les votes barrage pour garder le pouvoir. Aujourd’hui ils savent, comme Emmanuel Macron, que l’on peut être minoritaire dans le pays et se faire élire quand même président. Pourquoi se fatiguer à construire des programmes, à rassembler une majorité, à définir des politiques quand il suffit de désigner un ennemi et de le diaboliser ?

Enfin, quand l’ennemi que vous avez choisi, ici le RN, s’empare des sujets qui inquiètent les Français et fait des propositions en phase avec les attentes des Français, vous enclenchez la machine à désigner des fascistes et vous bloquez toute discussion en rendant le sujet incandescent. Le problème est que la censure n’a jamais fait disparaitre les problèmes ; elle les fait grossir tout en invitant à ne jamais les considérer. Aujourd’hui les Français payent la lâcheté de leurs politiques avant tout. Ils payent aussi leur mollesse : cela fait longtemps qu’on les prend pour des idiots et que les politiques leur demandent de faire les castors, élections après élections. Ils le font. Pourquoi les politiques changeraient une tactique qui leur permet de garder le pouvoir sans même se fatiguer à travailler pour l’avenir ?

La rentrée politique est également marquée par le curieux roman d’Aurélien Bellanger. Ce dernier était reçu sur France inter lundi dernier, où il a dénoncé « l’islamophobie » d’une partie de la gauche, 48 heures après une attaque islamiste à la synagogue de la Grande Motte ! Que penser de ce romancier polémique ? La guerre entre deux gauches irréconciliables fait-elle toujours rage concernant la laïcité ?

On peut se dispenser de la lecture d’un ouvrage écrit avec les pieds par un homme qui ne fait que recycler les éléments de langage des islamistes. L’emploi du terme « islamophobie » montre d’ailleurs que l’on est sous cette influence, ce terme signe son islamo-gauchiste.

Mais ce Bellanger n’ayant aucun intérêt, revenons à la question de fond. Bien sûr qu’il y a deux gauches irréconciliables. Qui a envie d’être conciliant avec la gauche qui promeut l’antisémitisme, répand la violence politique et se vautre ? Et pourtant, c’est bien cette gauche-là qui a fait la peau à la gauche traditionnelle, ouvriériste et humaniste. Aujourd’hui la guerre pour préserver la laïcité a été perdue à gauche et celle-ci est devenue le cheval de Troie de l’islamisme. Si le fait de nommer ou de penser à nommer Bernard Cazeneuve Premier ministre permet à ceux qui ne se reconnaissent pas dans la dérive actuelle d’Olivier Faure de trouver le courage de se démarquer et de rompre avec LFI, nous n’aurions pas tout perdu.

Hélas pour reconstruire il faut savoir parfois prendre sa perte matérielle. Le PS de Faure a préféré perdre son âme et sauver ses voitures de fonction. Si l’hypothèse Cazeneuve permettait à la gauche laïque de comprendre qu’elle n’a rien en commun avec la gauche totalitaire, nous aurions déjà gagné quelque chose.

Otages, ô désespoir

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Aux côtés de familles d’otages, des milliers d’Israéliens manifestent contre Benyamin Netanyahou, exigeant une libération immédiate des otages et un cessez-le-feu, Tel-Aviv, 10 août 2024 © Mata Golan /SIPA

Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 106 otages, dont deux Franco-Israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée.


Quiconque arrive à l’aéroport Ben-Gourion à Tel-Aviv est saisi par leurs visages, placardés dans le vaste hall qui sépare la zone de débarquement de la sortie. Jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants, beaucoup sourient, saisis dans un moment heureux qui, peut-être, leur tient secrètement compagnie dans leur prison. Dans les manifestations clairsemées qui ont lieu en leur honneur, à Paris et dans d’autres villes européennes, ils interpellent les passants comme pour leur dire « Ne nous oubliez pas ! ». Il se trouve aussi dans ces mêmes villes des salopards pour déchirer ces affiches, profanation minable qui ose se draper dans des considérations humanitaires. Pour Israël, les otages sont littéralement une tragédie – une situation sans solution : d’une part, le contrat moral entre l’État et ses citoyens veut qu’on les ramène à n’importe quel prix ; et de l’autre, la survie collective ne peut pas être sacrifiée à ces vies humaines, aussi précieuses soient-elles. Alors on rêve d’une opération Entebbe[1] – les méchants sont punis et les innocents, libérés : une fin à la James Bond est la seule issue heureuse.

Israël, une grande famille

Le 7 octobre 2023, lors de l’attaque surprise du Hamas, 251 personnes, ainsi qu’un nombre indéterminé de cadavres, ont été enlevées en territoire israélien et emmenées à Gaza pour servir de monnaie d’échange et de boucliers humains à la milice islamiste. Un peu moins de la moitié des personnes prises vivantes l’ont été au kibboutz Nir Oz (71) et lors de la fête Nova (41). 32 otages étaient des étrangers, principalement thaïlandais, et 25 des militaires. 37 otages avaient moins de 18 ans, mais ils ont tous été libérés en novembre 2023, à l’exception des deux enfants de la famille Bibas, dont le plus jeune, Kfir (« lionceau » en hébreu), avait 9 mois lors de son enlèvement.

Le 22 novembre 2023, dans le cadre d’un accord entre Israël et le Hamas, 80 otages israéliens ont été libérés, ainsi que 23 Thaïlandais et un Philippin, en échange de 240 prisonniers palestiniens détenus par Israël. Six otages ont été libérés vivants lors des opérations spéciales menées par l’armée israélienne et d’autres, via des accords entre leurs gouvernements respectifs et le Hamas. Aujourd’hui, 107 Israéliens, dont deux binationaux français, sont toujours détenus à Gaza. Plusieurs dizaines d’entre eux sont probablement décédés.

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Si cette prise d’otages est sans précédent en raison de son ampleur et du contexte, la question des otages hante la société israélienne depuis les prises d’otages perpétrées par l’OLP dans les années 1970 : le détournement de l’avion de Sabena, le massacre des JO de Munich (initialement une prise d’otages) en 1972, et bien sûr l’affaire du vol Air France détourné vers Entebbe en 1976.

En 1982, pendant la guerre au Liban, des soldats de Tsahal sont faits prisonniers par le FPLP d’Ahmed Jibril et, faute de pouvoir les libérer par la force, Israël accepte de libérer 1 151 détenus palestiniens, dont Ahmed Yassin qui fondera le Hamas en 1987. Déjà à l’époque, le pays se déchire entre les considérations d’ordre stratégique et le respect du contrat moral tacite entre l’État et ses citoyens en uniforme. L’accord laissera un goût amer, en raison notamment du rôle important joué dans l’Intifada par certains des prisonniers palestiniens libérés. Un jeune aviateur le paiera de sa vie.

Lors d’une mission de combat au-dessus du Liban en octobre 1986, un pilote et un navigateur sont contraints de s’éjecter après un problème de munitions à bord de leur avion. Si le pilote est récupéré par Tsahal, l’autre aviateur, Ron Arad, est capturé par des miliciens chiites d’Amal. C’est le début d’une triste affaire qui mobilise la société civile israélienne pendant presque vingt ans. Aujourd’hui, on estime qu’Arad est probablement mort au plus tard au milieu des années 1990. Il est également largement reconnu que les dirigeants israéliens, échaudés par les critiques de l’accord avec le FPLP, ont laissé passer des occasions de libérer Arad. Pour la première fois, le public comprend que, contrairement au discours officiel, son gouvernement ne paiera pas n’importe quel prix pour récupérer ses soldats. Pour une société qui se voit encore comme une grande famille dont certains membres portent l’uniforme, cette confrontation avec la raison d’État est douloureuse.

Le soutien aux otages devient une expression partisane

À peine remis de cette tragédie, les Israéliens découvrent Gilad Shalit, enlevé en juin 2006 par un commando du Hamas qui s’est infiltré par un tunnel. Le visage de Gilad remplace celui d’Arad à l’arrière des voitures, la pression médiatique reprend. En octobre 2011, après soixante-quatre mois de captivité, Shalit est libéré en échange de 1 021 prisonniers palestiniens, dont… Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas et l’un des artisans du 7 octobre 2023.

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On comprend que la série télévisée Hatufim, relatant l’histoire de militaires israéliens libérés après dix-sept ans de détention, ait tenu Israël en haleine. Des éléments des affaires Jibril/FPLP, Ron Arad et de Gilad Shalit sont clairement présents dans cette fiction, premier succès à l’exportation de l’industrie israélienne de production télévisuelle, qui a inspiré une version américaine, Homeland.

Malgré cette riche expérience, ni l’État ni la société israélienne ne semblent mieux préparés à gérer ces situations douloureuses. En revanche, au cours de ce demi-siècle, l’un et l’autre ont considérablement changé. Pour la première fois, la traditionnelle solidarité instinctive avec les otages cède parfois la place à des expressions d’indifférence. Certains ne voient en eux que des gauchistes, des kibboutzniks, des fêtards drogués, bref pas des juifs comme il faut. Ce qui faisait totalement consensus il y a trente ans – le soutien aux otages – est désormais une expression partisane. Cela rappelle que le 7 octobre a fait irruption dans une société travaillée par une crise identitaire profonde – certains disaient le pays au bord de la guerre civile. Près d’un an plus tard, et alors que la guerre continue au nord et au sud, la douloureuse question des otages montre que cette crise est toujours là.


[1] Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, les forces spéciales israéliennes ont libéré et exfiltré les passagers d’un vol Air France Tel-Aviv/Paris, détourné par le FPLP et stationné sur l’aéroport d’Entebbe à Kampala. Cette opération, menée à des milliers de kilomètres d’Israël, est entrée dans la légende. Trois otages et un militaire israélien (le frère aîné de Benjamin Nétanyahou) ont été tués. Une quatrième otage a été assassinée plus tard à l’hôpital par des Ougandais.

Tribunal amoureux

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© Carlotta Films

Le plus beau et le plus méconnu des films (1964) de François Truffaut ressort aujourd’hui en version restaurée au cinéma


C’est le plus beau et le plus méconnu des films de François Truffaut : La Peau douce ressort sur les écrans en cette rentrée et on ne peut que s’en réjouir. Chaque nouvelle vision de ce film apporte son lot de surprises et de découvertes. Véritable déclaration d’amour à Françoise Dorléac, que Truffaut avait surnommé Framboise, c’est aussi un autoportrait fort peu complaisant d’un homme partagé entre deux femmes et que Jean Desailly incarne à l’extrême perfection. L’acteur en voudra d’ailleurs ensuite à Truffaut de lui avoir confié le rôle sinon d’un lâche, du moins d’un velléitaire assez pitoyable. Le cinéaste mène son film tambour battant jusqu’à la scène finale et définitive, se payant même le luxe d’un passage provincial à la Chabrol avec le formidable Daniel Ceccaldi. Mais La Peau douce annonce surtout les grands films brûlants de Truffaut dont le mot d’ordre, commun et passionné, pourrait être : « Ni avec toi, ni sans toi. »

Avec Françoise Dorléac, Jean Desailly… 2 heures

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Éric Zemmour dans Causeur: «La politique est l’ennemie du peuple»

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Dans notre grand entretien, le président de Reconquête, se confiant à Elisabeth Lévy, explique que la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages. Il appelle à ce qu’il nomme « une révolution antipolitique ».

Notre dossier du mois, « Flemme olympique », dissèque cette France qui ne cesse de se montrer allergique au travail. Le présentant, Élisabeth Lévy affirme que, pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française. Se livrant à Jean-Baptiste Roques, l’essayiste Nicolas Baverez fait un diagnostic accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays ne manque pas d’atouts pour sortir de la spirale du déclin. Nos politiques parlent incessamment du « pouvoir d’achat », ce paresseux mantra, selon Stéphane Germain. On nous répète qu’il est en berne alors qu’il ne cesse d’augmenter, au prix d’un endettement irresponsable. Ce système redistributif dessert l’intérêt général, sans parler des générations futures. Le fond du problème, nous explique Philippe d’Iribarne, c’est que nos concitoyens sont de plus en plus fâchés avec le travail car, dans un pays où l’égalitarisme a pris le pouvoir, l’effort leur inspire davantage de ressentiment que de fierté. Vouloir en finir avec cette ultime distinction qu’est la réussite par le talent et l’exigence, c’est promettre la société à la médiocrité et à l’assistanat.

Le numéro 126 de « Causeur » est disponible à la vente aujourd’hui sur le site, et jeudi chez votre marchand de journaux !

Rien de tout à fait nouveau sous le soleil : d’Épicure à Céline en passant par Montaigne et Lafargue, une longue tradition philosophique et littéraire invite l’honnête homme français au farniente. Comme le dit Frédéric Magellan au terme de son analyse, il est difficile de lutter contre tant de beaux esprits…

Dans son éditorial, Elisabeth Lévy commence par un mea culpa : « Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais ». Ce n’est pas pour autant qu’elle supporte avec équanimité la propagande olympique qui ne désarme pas. Car à en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Commentaire de notre directrice de la rédaction : « Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles ». Sur un autre ton, Elisabeth Lévy commente aussi l’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte qui a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes anti-juifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.

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Emmanuelle Ménard, qui transforme sa chronique « Ma vie à l’Assemblée » en « Ma vie après l’Assemblée », ne craint pas de tirer les enseignements d’une défaite en politique. L’été qu’elle a passé à Béziers n’a cessé de la confronter à des êtres incarnant pleinement et merveilleusement les qualités de résistance, volonté, travail et courage. Comme pour mieux lui rappeler leur pendant : humilité et force morale. Jean-François Achilli analyse l’état actuel de la gauche. Le PS, tiraillé entre la social-démocratie et les sirènes révolutionnaires, cultive un complexe moral et intellectuel vis-à-vis de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon est devenu le moteur d’une famille politique déchirée, tout juste capable de s’entendre quand ses intérêts électoraux convergent. Harold Hyman nous invite à traverser l’Atlantique où, à en croire médias et réseaux sociaux, les Américains sont au bord de la guerre civile. Certes, des sujets de société tels que l’avortement et le port d’armes séparent les Démocrates des Républicains. Cependant, derrière les effets de manche et les concours d’invectives, leurs états-majors ont compris que les électeurs aspirent à un certain centrisme.

Le 7 octobre, le Hamas a capturé 251 personnes. Près d’un an plus tard, 107 otages, dont deux franco-israéliens, sont toujours retenus à Gaza – morts ou vivants. Pour Gil Mihaely, cette tragédie remet en question le contrat moral qui unit l’État à ses citoyens, et divise une société israélienne déjà profondément fracturée. Enfin, je reviens sur les émeutes anti-immigration qui ont éclaté en Angleterre cet été. Instrumentalisées ou non, elles ont révélé la détresse économique et sociale d’une classe populaire blanche « invisibilisée » par les élus et les médias. Dans cette société ethniquement cloisonnée, seules les minorités ont le droit de revendiquer leur identité.

Nos pages culture s’ouvrent sur l’hommage rendu par Marin de Viry à notre ami Benoît Duteurtre qui est mort le 16 juillet, à 64 ans. Il n’était pas seulement ce musicologue amoureux de l’opérette et de la chanson française que beaucoup connaissent. C’était aussi un romancier qui a su croquer la bêtise, les laideurs et les petitesses du quotidien avec un regard critique et désabusé. La mort d’Alain Delon tourne l’ultime page du cinéma français. Pour Yannis Ezziadi sa disparition emporte le mystère et les secrets des grands maîtres qu’il admirait tant, et révèle combien notre nouveau monde de la culture a répudié l’art. Georgia Ray nous révèle un contraste qui en dit long sur l’esthétique contemporaine. Si les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement, ils nous ont imposé aussi les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. En revanche, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage. La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, selon Jean Chauvet, bien que l’on puisse se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant.

Septembre, c’est la rentrée littéraire : Jonathan Siksou a trouvé que, effet de mode ou signe du temps, nombre de romanciers ont plongé leur plume dans l’histoire, la grande comme la petite, et choisi comme héros des personnages célèbres ou méconnus. Autant d’ouvrages qui redonnent vie au passé. Patrick Mandon salue l’ouvrage de deux jeunes gens, Ludovic Marino et Louis Michaud, Jean Cau, l’indocile, préfacé par Franz-Olivier Giesbert, qui lève enfin la sentence d’oubli qui frappait Jean Cau (1925-1993), cette figure majeure de résistance au conformisme. Comme le rappelle Julien San Frax, Bruno Patino, jeune journalise, a interviewé Pinochet à Santiago. Le dictateur a habilement retourné l’entretien et les deux hommes ont fini par rire ensemble. C’était il y a 30 ans et ce moment l’obsède encore. Rire avec le diable est sa « confession ».

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Philippe Faure-Brac est un sommelier de génie et son Bistrot du Sommelier est une institution parisienne depuis 40 ans. Emmanuel Tresmontant nous présente cet homme qui est aussi un pionnier : il a été le premier à proposer des menus-dégustation « autour du vin » pour promouvoir les grands crus, et à sillonner les vignobles pour y dénicher des pépites inconnues.

Dans ses carnets, Ivan Rioufol raconte comment macronie et gauches réunies ont effacé l’expression de l’exaspération française. Le RN s’est vu privé des postes qui lui revenaient à l’Assemblée et l’indésirable droite a assisté au tour de passe-passe qui a permis la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Si l’on veut nommer la chose, c’est un déni de la démocratie. Enfin, Gilles-William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières, demande l’interdiction de LFI. Car selon lui, « La France insoumise n’est pas un parti démocratique. Il est temps d’en tirer les conséquences ».

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Delon / Jagger, y’a pas photo !

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Alain Delon, Marianne Faithfull et Mick Jagger dans un restaurant parisien, septembre 1967 © Patrice Habans/Paris Match/eScoop

1967. Alain Delon et Mick Jagger sont assis sur un canapé. Entre les deux, Marianne Faithfull, la compagne de la rock-star. Elle n’a d’yeux que pour l’élégance française qui ringardise la coolitude…


Alain Delon est mort. On le savait très affaibli depuis quelque temps, mais on se surprend à l’avoir espéré éternel. La vieillesse comme la mort sont un outrage à la beauté.

Et quelle beauté. Magnétique, insolente, éclaboussant le monde comme un soleil. Scandaleuse beauté, que le jeune homme portait comme une élection. Mireille Darc avouait il y a quelques années être parfois restée éveillée pour le regarder dormir. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de Delon que d’avoir été beau comme peut l’être une femme tout en incarnant le summum de la virilité.

La mélancolie tempérait l’acier du regard et « humanisait » ce visage trop parfait. Qui ne se serait damné pour des yeux aussi désarmants, où la tristesse le disputait à l’éclat ? Cette grâce, cette présence, injustes parce que données, ont séduit bien des femmes et sans doute irrité bien des hommes. La célèbre photographie prise en 1967, montrant Marianne Faithfull assise entre son compagnon d’alors, Mick Jagger, et Alain Delon, visage et sourire tout entiers tournés vers l’acteur, souligne plaisamment à quel point il devait être difficile pour un homme, fût-il une rockstar, d’exister à côté d’Alain Delon. La légende qui accompagne aujourd’hui l’image se passe de commentaire : « When you’re Mick Jagger but the other one is Alain Delon. » Impossible de lutter. Jagger semble penaud, absent, défraîchi ; Delon prend toute la lumière et tout l’espace, élégant, désinvolte. Jagger n’existe pas. Phèdre chez Racine décrit Hippolyte « charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi ». Qu’aurait-elle dit si, par le jeu d’une improbable acrobatie temporelle, son regard s’était posé sur la beauté renversante du jeune Alain Delon ?


La beauté subjugue, elle est un sortilège. De nombreux réalisateurs, et pas des moindres, sont tombés sous le charme, jusqu’à la fascination amoureuse si l’on pense à Visconti. Notre paysage mental est peuplé du visage ironique et flamboyant de Tancrède, des grands yeux candides de Rocco, et chez les autres, les Clément, les Deray, les Melville, d’un corps solaire et délié, en pleine mer ou au bord d’une piscine, de la face hiératique et glaciale d’un samouraï dont la froideur n’altère jamais la beauté. Dans Plein soleil on se prend même, contre toute morale, à souhaiter que jamais ne se fasse coincer, pour reprendre le vers de Genet, « un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour »… Tous ont perçu la force de frappe de ce garçon qui crève l’écran, peut-être parce qu’il ne joue pas mais, comme il se plaisait à le dire, parce qu’il est chaque fois le personnage qu’on lui demande d’incarner, avec un engagement et une conviction qui semblent naturels. Il est sans conteste l’assassin machiavélique de Maurice Ronet, il est un monsieur Klein pris au piège de l’histoire, il est flic, truand ou tueur à gages avec la même force, comme il a été prince sicilien ou jeune frère désarmé par sa propre bonté.

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Une présence incandescente jusque dans ses tourments, qu’ils soient cinématographiques ou personnels (car Delon n’est pas une image lisse sur papier glacé), portée par une élégance sans faille, dans l’apparence comme dans le verbe. C’est sans doute à ce titre qu’il représente si pleinement, pour autant que ce vocable ait encore un sens aujourd’hui, l’homme français : une mise impeccable sans être guindée, de la tenue, au propre comme au figuré, une séduction faite d’un charme puissant mâtiné de panache et de désinvolture. Là encore, il suffit de le revoir dans son costume gris clair, dans une décontraction presque insolente, à côté d’un Mick Jagger ringardisé par la coolitude étudiée de ses vêtements roses…

Alain Delon incarne l’homme français… et c’est bien le problème. Emmanuel Macron pourrait sans doute prétendre, avec beaucoup d’autres aujourd’hui, qu’il n’y a pas plus d’« homme français » qu’il n’y a de culture française, que l’homme français est divers, qu’il existe des hommes en France, pour parodier son assertion. Ce serait ignorer qu’il y eut longtemps un archétype dans lequel la grande majorité des Français se reconnaissait, et que Delon résume et sublime. Si aujourd’hui beaucoup (principalement à gauche) ne lui ont rendu aucun hommage après l’annonce de sa disparition, ou se sont répandus en vilenies à son propos, c’est précisément parce qu’il est trop français, trop blanc, trop catholique (il prétendait ne pas croire en Dieu, mais avouait une dévotion à Marie et s’était fait édifier une chapelle dans sa propriété de Douchy), trop peu conforme à la nouvelle population « créolisée » que d’aucuns appellent à remplacer l’encombrant peuple de souche.

Et même pas homosexuel, Delon. Ça l’aurait peut-être sauvé à l’heure où il est de bon ton d’appartenir à une minorité nécessairement opprimée. Mais non : Delon aimait les femmes, et en plus il se permettait d’avoir des critères de sélection, il les préférait plutôt grandes, belles et si possible intelligentes. Pas facile à proclamer dans une époque qui a l’égalitarisme prodigue et arrogant… Bien sûr Delon a pu faire preuve de goujaterie dans sa vie amoureuse, il n’est pas sans défaut, mais cela vaut-il le procès en misogynie intenté par certains, largement battu en brèche par les amitiés vraies qu’il a su nouer avec Romy Schneider ou Mireille Darc après leur rupture… Beaucoup des femmes qui l’ont aimé un jour l’ont aimé à jamais. Sandrine Rousseau et sa clique, au lieu de pointer sa « masculinité », toxique, forcément toxique, auraient pu au moins saluer l’immense acteur, son exceptionnelle contribution au rayonnement du septième art (… et de la France) ; mais Delon n’était pas un mâle suffisamment déconstruit pour être célébré.

Il ne coche donc aucune des cases qui valent aujourd’hui brevet de vertu : il prône l’ordre, la discipline, l’autorité (autant dire des valeurs fascistes !), il admire ceux qui risquent leur vie pour leur pays (on est loin du pitoyable « cheh » de la dispensable sociologue Ricordeau1), il est patriote, enraciné, il se reconnaît des maîtres. Il préfère l’exigence de la verticalité aux fausses promesses de l’horizontalité. Il prétendait, et on peut le croire, n’avoir aucun regret à quitter une époque aussi minable que la nôtre. Les réactions haineuses qui ont suivi sa mort apportent la triste confirmation de son verdict. Pour pouvoir s’incliner, il faut reconnaître plus grand que soi, se sentir redevable, héritier, ce dont notre temps est précisément incapable.

Brigitte Bardot écrit très justement qu’« Alain en mourant met fin au magnifique chapitre d’une époque révolue ». Une époque, dont le cinéma se faisait aussi l’écho, et que beaucoup, parfois même sans l’avoir vécue, se prennent à regretter… Une époque et des individus, libres dans leur façon d’être et d’aimer, quintessence de l’esprit français, que Delon comme Bardot incarnaient merveilleusement.

On lui a souvent reproché sa froideur et sa distance, exactement opposées à la gouaille et la jovialité d’un Belmondo plus accessible et disert. On n’a pas toujours compris la solitude et la mélancolie de cet être comblé par toutes les grâces. On l’a cru misanthrope, aigri. Et sans doute son amour des chiens disait-il sa déception des hommes, lui qui plaçait très haut les vieilles valeurs de fidélité et de loyauté. Cet homme issu du peuple était un aristocrate et savait qu’un chien ne trahit pas.

Finalement Alain Delon est un résidu scandaleux du monde d’avant, qui refusa toujours de communier, dans la liesse obligatoire, à l’avènement du bel aujourd’hui. Son péché capital est évidemment politique. Dans le milieu du cinéma, on est de gauche et on le montre, on fait constamment allégeance à la doxa progressiste, ou si on a le mauvais goût de ne pas en être, on ne la ramène pas. Delon, lui, la ramenait, il n’avait pas le tropisme droitier honteux, et c’est impardonnable. Il n’a pas (à l’exception du César de rattrapage en 2019) été récompensé par la profession à la hauteur de son talent et de sa filmographie, et plusieurs mettent cet « oubli » sur le compte de positions politiques non conformes. Les petits commissaires politiques d’internet s’en donnent à cœur joie, méconnaissant la décence commune qui consiste à ne pas cracher sur les morts de fraîche date : « conservateur en politique, mufle avec les femmes, père laissant à désirer » (où l’on voit bien que la faute première est politique, et que tout le reste apparaît comme une suite logique), « réac », « facho »…

L’insipide Nicolas Mathieu s’est lui aussi fendu d’un commentaire ahurissant de bêtise et de sectarisme : « Delon n’était pas un chic type. Tout de lui semble fait pour scandaliser nos susceptibilités actuelles. » Il reconnaît sa « beauté totale » (c’est bien le moins), mais rien d’autre ne trouve grâce à ses yeux parce que Delon n’était pas dans l’approbation béate de l’air du temps. Crime de lèse-progressisme ! Dans la vision de l’écrivain, inconsistant parangon des vertus du temps présent, gauche égale sympa, droite pas sympa. On a connu plus subtil. Mais Delon, c’est vrai, n’a jamais cherché à passer pour un « chic type », un mec cool prêt à se coucher devant tous les diktats de la modernité et à abdiquer ce qu’il était pour complaire aux nouveaux curés. Delon, qui a soutenu la droite giscardienne ou filloniste, n’a jamais caché son amitié pour Jean-Marie Le Pen, rencontré lors de la guerre d’Indochine. Un os à ronger pour les petits Torquemada, qui voient là la marque du diable, la preuve de l’infamie. De là où il est, on peut penser que Delon les emmerde.

Un plein soleil ne s’éteint jamais.


  1. Sur les réseaux sociaux, la sociologue Gwenola Ricordeau a ironisé sur la mort de deux pilotes tués dans un accident en Meurthe-et-Moselle mercredi 14 août. ↩︎

Un crime de bureau

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Editions du Cerf

En couverture du livre de Pierre Abou Le Cercle des chacals, photo sépia pleine page, l’animal a pris la forme d’un officier de la Wehrmacht, casqué, ganté, fièrement monté, sabre en main, sur un cheval qui marche au pas. En arrière-plan, les arcades de la rue de Rivoli. Le cavalier en question ? Le célèbre écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998). Sous-titre de l’ouvrage : Le Paris outragé d’Ernst Jünger et des nazis « francophiles »...  


Sur Wikipédia, le mot « chacal » désigne, au sens propre, « plusieurs espèces de petite ou de moyenne taille de la famille des Canidés. C’est un mammifère adaptable et opportuniste ». Au figuré, il « symbolise l’astuce ou l’intelligence dans les cultures populaires, notamment celle des sorciers, voire le mythe interculturel du fripon » : la cible est désignée. 

Voilà donc Jünger photographié ici en 1941, soit dans les premiers temps de l’Occupation. De fait, l’ancien héros de la Grande Guerre, l’auteur d’Orages d’acier tant admiré d’Adolf Hitler, a bien été en poste à l’hôtel Majestic (l’actuel palace Peninsula Paris, sis 19 avenue Kléber, dans le XVIème arrondissement), alors réquisitionné par l’occupant nazi pour héberger son quartier général, à deux pas de la rue Lauriston, de sinistre mémoire. « Ce livre, annonce Pierre Abou, a pour ambition de raconter les deux premières années de l’Occupation du point de vue de ces princes de l’ombre que furent les membres les plus influents du Commandement militaire en France… » Dans ce microcosme actif, Jünger est l’élément qui aimante – et aiguise – le coutelas acéré de l’auteur : c’est dans une prose nette, froidement courroucée, que Pierre Abou, tout au long de ces 300 pages, écorche vif ces caciques de l’appareil national-socialiste dont la postérité a efficacement effacé, pour nombre d’entre eux, le crime, a minima, de complicité dans la barbarie nazie.

Bons souvenirs de Paris…

Parmi eux, le juriste Werner Best (1903-1989), ancien SS qui poursuivra, après-guerre, une brillante carrière au ministère des Affaires étrangères de la RFA, et dont le rôle central est ici réévalué, si l’on ose dire. Ou encore le fameux Hans Speidel (1897-1984), chef d’état- major d’Otto von Stülpnagel qui dirige les forces d’occupation, lequel Speidel, connu surtout pour avoir été au cœur de la conspiration contre le Führer aboutissant à l’attentat raté du 20 juillet 1944, et qui sera appelé, bien plus tard et ce jusqu’à sa retraite, à commander les forces terrestres de l’Otan.  

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Le cercle des chacals, donc : derrière ce titre un rien racoleur, Abou règle ses comptes avec une historiographie bien trop tendre, selon lui, envers ces protagonistes élégants et cultivés qui faisaient bombance dans une capitale soumise aux restrictions, voire à la terreur, et dont les citoyens Juifs étaient déjà persécutés sous leurs yeux. Si la période étudiée ici « s’arrête en mai 1942 » c’est-à-dire au moment des « mutations affectant les postes clefs du commandement militaire en France », en réalité l’ouvrage, à cet égard passionnant, ouvre d’abondantes perspectives sur le contexte plus général de la relation du régime de Vichy aux instances du Reich, et sur la suite des événements jusqu’à la débandade finale.

Diatribe fulminante contre ces « ‘’hommes du Majestic’’ isolés du pays conquis et installés dans une posture de toute puissante », qu’il nomme aussi « les sous-mariniers de l’avenue Kléber », l’ouvrage fustige le déni d’accointance à l’hydre nazi, propre à « cette organisation, (…) machine à laver les taches sur l’honneur des uniformes, aussi efficace que les laveries automatiques dernier cri » (sic). Mais surtout, Le Cercle des chacals tourne concentriquement autour de la figure décidément honnie d’Ernst Jünger : quand bien même, dixit Abou, « le chacal [a] la caractéristique de s’enhardir en meute », il concentre sur lui les motifs de sa vindicte.  

D’un bout à l’autre en effet, Abou, en cela moins historien que polémiste, s’acharne à démontrer la fourberie, la parfaite mauvaise foi, l’indignité du grand écrivain germanique. Toujours controversé en Allemagne quand il reste encore durablement célébré en France (à l’instar d’un Heidegger qui fut son illustre ami), l’auteur du Travailleur, des Falaises de marbre, de Jardins et routes, du Journal parisien, de Soixante-dix s’efface, etc. dissimule, aux yeux de Pierre Abou, sous ses traits marmoréens de mondain francophile, d’esthète et de penseur féru d’entomologie, une entreprise laborieuse et concertée de blanchiment de ce que fut en réalité ce capitaine en vert-de-gris : l’instrument zélé du pouvoir nazi.

Dossier à charge contre Jünger

Pour notre « historien », Ernst Jünger, plus retors qu’aucun autre, aura sculpté sa propre statue sur la base d’un mensonge patiemment, consciencieusement ourdi jusqu’au soir de sa très longue vie : de révision en révision de son œuvre, de traductions en traductions revues et corrigées, il ne se serait employé qu’à travestir son rôle exact d’agent de renseignement sous l’Occupation, taupe infiltrée dans l’intelligentsia parisienne pour rendre compte en haut-lieu de l’état de l’opinion, pilotant « la mise sur écoute et la violation des correspondances des Français à grande échelle » depuis son apparente thébaïde de l’hôtel Raphaël, entre deux festins arrosés de grands crus au Ritz ou à la Tour d’argent…

Certes, insiste l’auteur en postface : « il n’entrait pas dans l’objet de cette enquête de se prononcer sur la valeur esthétique, philosophique ou métaphysique tes textes dont [les protagonistes] sont les auteurs ou les sujets ».  Reste que ce dossier à charge contre Jünger aurait probablement gagné à s’équilibrer d’un regard, sinon complaisant, à tout le moins apte à lui reconnaître une place éminente dans le paysage intellectuel du XXème siècle. La détestation qu’Abou lui porte va jusqu’à dénier à l’auteur pourtant très talentueux des romans d’anticipation Heliopolis (1949) ou Eumeswill (1977) la moindre once d’authenticité dans la lente évolution de ses postures philosophiques. Ainsi en va-t-il de la figure de « L’Arnaque » revendiquée par Jünger dans son âge avancé : explicitant le concept avec justesse – « l’Anarque est à l’anarchiste ce que le monarque est au monarchise : souverain de sa vision intime du monde, au nom de laquelle il refuse au pouvoir politique les droits qu’il lui reconnaît dans la sphère publique » -, Pierre Abou n’y voit jamais qu’« un subterfuge de Jünger pour exonérer sa conduite au commandement militaire allemand en France ».

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Dès lors, il lui intente un procès gagné d’avance : Jünger a tout manigancé ; c’est un manipulateur. Même le drame affreux de la perte de son fils, soldat de 17 ans accusé de propos séditieux contre le régime, projeté pour ce seul motif sur le front d’Italie en 1944 où il trouvera la mort, se voit retourné par Pierre Abou contre le père indigne, qui aurait cyniquement envoyé son garçon au casse-pipe ! L’attentat de 1944 contre Hitler ? Jünger se prévaudra d’une proximité supposée avec les conjurés, alors même que ceux-ci, se défiant de lui, auraient pris grand soin au contraire, s’il faut en croire Abou, de le tenir à distance du « projet Walkyrie ». Quand Pierre Abou place en exergue du chapitre 8, ‘’Revoir Paris’’, une phrase tirée du Second journal parisien d’Ernst Jünger, c’est pour n’en proposer qu’une traduction fort médiocre : « Les villes sont des femmes, tendres seulement avec le vainqueur », cite-t-il. Au lieu que « les villes sont femmes, et ne sont tendres qu’au vainqueur » rendrait compte, au moins, de l’élégance de style propre à l’écrivain. Etc.  


Au-delà du règlement de compte contre cet « esthète » supposément sans foi ni loi, Le Cercle des chacals dépeint de façon captivante les rouages de la haute administration à l’aurore de l’Occupation ; les rivalités, les tensions, les clivages dans la hiérarchie ; l’idiosyncrasie de ce « Cercle rouge » envisagé par ses membres comme un ordre de chevalerie formé (pour citer Jünger) « à l’intérieur de la machine militaire » (…) dans le ventre du Léviathan » ; l’organisation des structures qui vont s’emparer du ‘’ problème Juif ‘’ et conduire à ce qu’il est convenu d’appeler chez nous ‘’ la rafle des notables’’, le 12 décembre 1941, puis aux exécutions d’otages, préludes à la funeste ‘’Solution finale’’…

« Personnaliser le crime d’un organisme officiel est une tâche difficile pour un magistrat instructeur ce que je ne suis pas », confie Pierre Abou. Son récit décrypte pourtant avec soin l’énorme entreprise d’asservissement d’une nation et de ses réprouvés, mettant un nom sur les acteurs de ce forfait – et posant sur eux un verdict très personnel. Si, en matière historique, il n’y a pas de vérité absolue, il faut des essayistes engagés pour l’approcher. Pierre Abou en est un.

A lire : Le Cercle des chacals, de Pierre Abou. Editions du Cerf, 2024. 376 pages

Le cercle des chacals: Le Paris outragé d'Ernst Jünger et des nazis "francophiles"

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Défense d’éléphants

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Éléphants, Namibie, août 2024 © CATERS/SIPA

Menacée par une crise alimentaire, la Namibie autorise l’abattage de 83 éléphants, 30 hippopotames, 60 buffles, 50 impalas, 100 gnous bleus ou 300 zèbres dans ses parcs nationaux.


Quatre-vingt-trois éléphants, trente hippopotames, cinquante impalas, soixante buffles, cent gnous bleus, cent élans et trois cents zèbres, voilà l’hécatombe programmée par le gouvernement namibien pour tenter d’endiguer la famine qui sévit à travers le pays du fait d’une sécheresse particulièrement sévère.

Petite leçon de géographie

La Namibie est une vaste contrée de l’Afrique australe, bordée à l’ouest par l’océan Atlantique, à l’est par le Botswana et le désert de Kalahari. Au nord, l’Angola, au sud l’Afrique du Sud, Indépendante depuis 1990, la Namibie a d’abord été colonisée par les Portugais, puis par les Allemands avant de subir une forte influence anglaise – l’anglais est la langue officielle -. Elle compte deux millions six cent mille habitants. Chrétiens à 90%. (60% de protestants luthériens, 30% de catholiques), les 10% restants seraient animistes. Sur l’échelle de densité de population, elle se situe à l’avant-dernier rang mondial, juste devant la Mongolie. Le revenu annuel brut par habitant est – en 2022 – de 4880$, ce qui la place, certes au-dessous de la moyenne mondiale, mais assez largement au-dessus de la moyenne africaine. Ses ressources sont en grande partie minières : uranium, diamant, cuivre, argent. En 2021, un important gisement pétrolifère a été détecté au large de ses côtes, évalué à onze milliards de barils, ce qui devrait permettre au pays de doubler son PIB à l’horizon 2040. Parmi ces ressources, on trouve aussi, bien sûr, une certaine forme de tourisme, la chasse dite sportive, le safari.

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Son système politique – démocratique – ressemble assez précisément au nôtre. République parlementaire dont le président est élu au suffrage universel direct. Le Premier ministre est, depuis 2015, une première ministre en la personne de Saara Kuugongelwa-Amadhila. Ce fait ne doit rien au hasard puisque la Namibie peut se glorifier de s’être hissée au sixième rang dans le top 10 des pays les plus avancés sur le plan de l’égalité homme-femme, y compris en terme d’égalité salariale. 40% de ses ministres sont des femmes, et elles sont un peu plus de 44% chez les parlementaires.

Cependant, deux plaies majeures affligent le pays : un taux de chômage à 21% et également 21% de la population contaminée par le VIH. Au plan historique, une performance dont les populations se seraient bien passées : elles ont connu le premier génocide du XXème siècle identifié comme tel, perpétré par l’administration coloniale allemande à l’encontre des ethnies  Héréros et Namas. Cent mille morts, si ce n’est bien d’avantage, et le recours à des camps de concentration dont certains prétendent qu’ils auraient fait école quelques décennies plus tard…

Laissons le passé au passé. Aujourd’hui, ce sont quatre-vingt-trois magnifiques éléphants qui sont menacés, parmi d’autres espèces, nous l’avons vu.

Une question

Une question : comment peut-il se faire qu’on laisse un pays aux institutions si proches des nôtres, à la population très majoritairement chrétienne, donc culturellement tout aussi proche, un pays dont l’organisation sociale se révèle si soucieuse en matière d’égalité homme-femme, se trouver acculé à une telle extrémité pour nourrir ses enfants ? Un pays riche d’uranium, de diamants, d’argent, de cuivre, regorgeant de pétrole en voie d’exploitation ? Oui, comment se peut-il que le « système », cette « mondialisation » qu’on tient tant à nous prétendre « heureuse » se révèle à ce point incapable d’apporter une autre solution ? Une solution digne du niveau de civilisation que nous prétendons avoir atteint. Les moutons de Nouvelle-Zélande, les Aubracs, ou les Charolaises de chez nous, les poulets et les dindons, nous en maîtrisons l’élevage, la reproduction. Rien de cela, bien évidemment, pour l’éléphant, le gnou bleu ou l’hippopotame.

Aujourd’hui, on se hausse du col en fourguant des avions de combat qui coûtent un pognon de dingue à un pays dont la valeur de la monnaie nationale se traîne à 0,0085 de la nôtre, dont le salaire médian mensuel atteint péniblement les 400 euros ! Probablement est-il moins valorisant pour les élites du sérail – et sans doute moins profitable pour le « système » – de se mêler de veaux, vaches, cochons, couvées que d’armes supersoniques, mais n’y aurait-il pas tout autant de gloire et de satisfaction à gagner en sauvant, dans un même élan, des femmes, des hommes, des enfants et des éléphants ? Opportunité exceptionnelle, me semble-t-il.  De plus, il paraît que l’éléphant est un être vivant de très longue mémoire. Il nous en serait donc éternellement reconnaissant. Rien que pour cela, on serait bien inspiré de faire l’effort, non ?

Université française: la grande garderie

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Guichet des inscriptions, Université de Toulouse, septembre 2023 © FRED SCHEIBER/SIPA

Plus d’un étudiant sur deux quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Que de temps perdu et d’argent dépensé pour rien pour la nation !


Le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur pour tous les bacheliers date de l’époque napoléonienne, qui a consacré le baccalauréat comme premier grade universitaire. Les effectifs dans l’enseignement supérieur sont restés très modestes tout au long du XIXe siècle, ainsi que pendant la première moitié du XXe siècle, compte tenu de la faiblesse des effectifs de diplômés du baccalauréat : il y avait à peine 29 000 étudiants à l’université en 1900, 137 000 en 1950. Une première croissance forte du nombre d’étudiants se produisit durant les années soixante, sous l’effet du baby-boom, alors que l’accès au baccalauréat restait cantonné à une faible fraction de la population – à peine 15% des jeunes de vingt ans étaient titulaires du baccalauréat en 1965. La forte croissance de l’effectif étudiant durant les années soixante conduira toutefois le Général de Gaulle à envisager l’instauration d’une sélection à l’entrée à l’université, mesure à laquelle il renoncera en 1968 sous l’effet de l’agitation étudiante.

Un flux si difficile à canaliser

La progression de l’accès au baccalauréat tout au long des 50 dernières a nourri une deuxième vague de forte progression des effectifs à l’université, en dépit du repli de la natalité. En 2022 et 2023, au sortir du système éducatif, c’est 80% d’une classe d’âge qui détient le baccalauréat. L’introduction des dispositifs Admission-Post-Bac (APB) puis Parcoursup a eu pour objet d’accompagner la croissance du flux d’entrée dans l’enseignement supérieur plutôt que de la contenir : aujourd’hui encore le principe du droit à l’accès à l’enseignement supérieur (mais pas nécessairement dans la filière souhaitée par le bachelier) reste inscrit dans le droit, à l’art. L612-3 du code de l’éducation. Il y a aujourd’hui 1,6 million d’étudiants à l’université, dont 1,1 million dans les filières licence-master-doctorat (LMD).

Le droit pour tout bachelier de pouvoir poursuivre des études supérieures est généralement défendu sur le fondement d’une élévation jugée nécessaire du niveau d’éducation et de qualification de la population. Très représentative de cet état d’esprit, la Fondation Terra Nova écrivait ainsi – dans une note de 2014 – que « Un discours aux relents réactionnaires prétend qu’il y aurait trop d’étudiants, que beaucoup seraient trop faibles pour suivre des études universitaires, et que tout irait donc mieux s’il y en avait moins. Nous sommes en profond désaccord avec cette vision. Nos sociétés évoluent : en permettant un accès plus large à la culture et au savoir, elles répondent à l’aspiration démocratique à un plus grand partage de la connaissance. Une aspiration d’autant plus forte qu’elle repose aussi sur une division du travail toujours plus sophistiquée et qui exige une main d’œuvre plus qualifiée. De fait, l’augmentation du niveau général des qualifications accompagne la transformation de la structure des emplois, et les salariés d’aujourd’hui, à niveau hiérarchique égal, sont plus diplômés qu’hier. »

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On ne peut bien sûr dans l’absolu que souscrire à l’objectif d’une élévation du niveau d’éducation et de qualification de la population. Il est tout de même permis de se demander si l’élargissement de l’accès à l’université a atteint ses objectifs en la matière, et si cela a été bénéfique pour notre pays. Or les taux de réussite à l’université sont très faibles, en dépit des possibilités offertes par Parcoursup de canaliser les étudiants vers les filières censées être adaptées à leurs facultés : bon an mal an, moins de 30% des étudiants qui s’inscrivent en première année de fac obtiennent leur licence en trois ans (source : ministère de l’Enseignement supérieur), et environ 15% supplémentaires y parviennent en quatre ou cinq ans. Le taux de réussite en licence atteint donc au total péniblement 45% au terme de cinq ans, c’est donc plus d’un étudiant sur deux qui quitte l’université sans avoir décroché sa licence. Il y a là à l’évidence un immense gâchis d’argent et de temps, pour la collectivité, pour les enseignants, et pour les étudiants eux-mêmes, du moins pour ceux qui échouent, au moment même où ils sont dans la force de l’âge. Le ministère de l’Enseignement supérieur, en publiant des résultats de réussite en licence en cinq ans, accrédite du reste implicitement l’idée qu’une durée de cinq ans – incluant pas moins de deux redoublements sur un cycle de trois ans ! – serait une durée « normale » pour obtenir une licence. En cohérence avec cet état d’esprit, les textes officiels prévoient que le nombre de droits annuels à une bourse peut atteindre cinq pour l’obtention de la licence.

L’apprentissage en panne

On signalera au passage que les taux de réussite en licence au bout de cinq ans sont particulièrement faibles pour les titulaires d’un bac technologique (20%) ou professionnel (8%) : à l’évidence, les études académiques ne sont guère adaptées à leur profil.

En dépit de cette proportion importante d’échecs, le système éducatif français produit néanmoins un grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, puisque au sortir du système éducatif, dans la classe d’âge qui va de 25 à 34 ans, les diplômés de l’enseignement supérieur représentent tout de même 50% de la population de cette classe d’âge. Le choix qui consiste à former autant de diplômés du supérieur est-il pertinent ? Au sein des 25-34 ans, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur est de 49% en Espagne, 54% aux Pays-Bas, mais de « seulement » 36% en Allemagne, 43% en Autriche et 40% en Finlande. Au vu de ces chiffres, et dans la mesure où l’économie se porte objectivement mieux en Allemagne (ou en Finlande) que chez nous, on est en droit de se demander jusqu’à quel point il est justifié de diriger vers l’enseignement supérieur une aussi large fraction de la jeunesse !

Figure 1 – Niveau de diplôme selon la nomenclature CITE de la population des 25-34 ans dans les pays de l’OCDE en 2021 (en %)

Source : ministère de l’éducation nationale, https://www.education.gouv.fr/media/118598/download

Source : ministère de l’Éducation nationale, https://www.education.gouv.fr/media/118598/download


La France a toujours privilégié l’enseignement général, au détriment de l’enseignement technique, un point que relevait déjà – et dont se désolait – Alfred Sauvy dans les années soixante-dix (dans L’économie du diable et La machine et le chômage). D’autres pays – l’Allemagne ou la Suisse sont exemplaires à cet égard – accordent bien plus d’importance à l’enseignement professionnel, assis en grande partie sur l’apprentissage, la France aurait tout à gagner à s’en inspirer.

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Comment, du reste, imaginer qu’on puisse redresser notre industrie sans former des ouvriers ? Le nombre d’apprentis en France a certes fortement progressé au cours des dernières années, mais la hausse n’a concerné que les filières de l’enseignement supérieur. Le nombre d’apprentis dans les filières de l’enseignement secondaire a même régressé. Développer l’apprentissage dans l’enseignement supérieur n’a rien de choquant, mais c’est surtout dans l’enseignement secondaire qu’il convient maintenant de faire porter l’effort en la matière.

André-Victor Robert est économiste. Il est l’auteur de La France au bord de l’abîme – les chiffres officiels et les comparaisons internationales, (éd. L’Artilleur, 2024)

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Limites du libre arbitre

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Lars Eidinger dans "La Partition" (2024) de Matthias Glasner © Bodega Films

Dans son nouveau film, Matthias Glasner explore avec empathie les tracas de la famille d’un chef d’orchestre tourmenté…


Tom, un chef d’orchestre, répète patiemment au pupitre, devant une jeune formation orchestrale, la symphonie de son ami compositeur contemporain, Bernard, un écorché vif au physique verlainien, qui y assiste sur les charbons ardents, la perspective de la première berlinoise attisant ses angoisses. C’est dans cette atmosphère électrique que le travail se poursuit tant bien que mal. Tom est séparé depuis longtemps de Liv, qui vient d’accoucher d’un bébé dont le père est le plus ancien compagnon de Tom – double paternité en quelque sorte. Quant au père de Tom, gravement atteint de la maladie de Parkinson, il perd manifestement le ciboulot. Sa mère ne se porte pas beaucoup mieux, elle ne marche qu’avec des béquilles, sa vue baisse dangereusement, et elle se sait secrètement en sursis. Le vieux ménage d’origine modeste peine à s’en sortir avec les aides sociales qui lui sont âprement comptées.  Stella, la sœur de Tom, est assistante médicale d’un dentiste adipeux marié à une femme qui élève leurs deux enfants à Munich et elle partage avec cet homme un alcoolisme invétéré qui ajoute à ses infirmités psychiques, ce qui ne l’empêche pas de forniquer à satiété avec lui.

Non-dits

Les pièces de ce puzzle tribal s’assemblent de proche en proche, comme en tâtonnant, sans qu’on sache vers quelle configuration finale il se destine. Cinéaste d’outre-Rhin, Matthias Glasner sait se faire rare : son dernier film, La Grâce, remonte tout de même à l’année 2012. Ensuite, Glasner a enchaîné les séries, pour le grand écran et la télévision. Pour autant La partition, toute imprégnée qu’elle soit de cette longue expérience stylistique, emprunte beaucoup moins à l’esthétique ultra-formatée propre, assez banalement, à la majorité des séries cinématographiques qu’à la configuration formelle du genre.

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C’est ainsi qu’au fil des chapitres de ce très long métrage – trois heures ! – l’intrigue se déplace et avance par paliers, épousant tour à tour le point de vue d’un des protagonistes autour de Tom, fil conducteur de ce psychodrame familial qui ménage des rebondissements singuliers, et dont le concert en gestation constitue la ligne de fuite. Le climax, au milieu du film, se cristallise dans un dialogue d’une bonne vingtaine de minutes où l’on voit la mère et le fils lever le voile sur les lointains non-dits de leur relation…


Divisé, donc, en chapitres dûment titrés sur fond de vignettes naïves, comme l’on ferait d’un conte pour ces éternels enfants que sont les adultes (exemples : chap. 3 : Ellen Lunes, chap. 4 : La ligne rouge, chap. 5 : L’amour…), le scénario avance en crabe, tout en reprises, en sinuosités, en pas de côté. La musique qu’on entend sous la battue de Tom, authentiquement interprétée par l’orchestre qu’on voit à l’image, est signée du compositeur de musiques de film Lorenz Dangel : elle figure en quelque sorte la basse continue de La Partition. Au plan esthétique, le film, par bien des aspects, est à rapprocher du cinéma de Philippe Garrel (J’entends plus la guitare), avec lequel il partage un réalisme à la fois cru et épuré. On pense aussi à Igmar Bergman, auquel il est fait d’ailleurs allusion à plusieurs reprises, et dont le dénouement épouse la cruauté sans phrases.

Névroses

« Le kitsch, c’est quand le sentiment n’est pas à la hauteur de la réalité », dit, à un moment donné, Bernard, le compositeur tourmenté, à Tom son ami chef d’orchestre, pour lui exprimer l’écueil qu’il cherche à éviter à tout prix dans sa musique. C’est très précisément ce à quoi La Partition – titre original : Sterbern, « mourir », en français – se soustrait par une âpreté sans mélange, une violence viscérale, une façon de montrer avec empathie les infirmités, les névroses, les vulnérabilités des protagonistes, sans une once de cynisme ou d’ironie. Un des premiers films de Matthias Glasner s’appelait Le libre arbitre. C’est la question de fond que poursuit encore La Partition : si rien n’est écrit d’avance, est-on pour autant son propre maître ?       

La Partition (Sterben). Film de Matthias Glasner. Avec Lars Eidinger, Corinna Harfouch, Ulrich Stangenberg. Allemagne, couleur, 2024.

Durée : 3h 

Qui fait partie de cette France dénoncée par Harmonie Comyn?

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"Ce n'est pas un refus d'obtempérer, c'est un crime" (...) "Ce n'est pas un fait divers, c'est un fait de société" a déclaré le 2 septembre à Nice le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Image : capture BFMTV.

Un réquisitoire sans concession de Didier Desrimais contre des élites et la presse de gauche, qui ont regretté la récupération politique du discours de la veuve du gendarme tué à Mougins après un refus d’obtempérer. Pour L’Humanité, il ne s’agissait que d’un accident du travail, rien de plus. D’autres éditorialistes regrettent qu’on ne parle plus du réchauffement climatique…


Après la mort de Nahel Merzouk, le journal Libération consacra de nombreuses unes et plus de vingt articles et dossiers au « petit ange parti trop tôt », pour parler comme Killian Mbappé qui n’eut en revanche aucun mot de compassion pour les véritables anges Lola et Thomas. La police y fut quasi systématiquement conspuée. Thomas Legrand évoqua les « syndicats de policiers radicalisés » plutôt que les dangers encourus par les policiers et les gendarmes lors de contrôles routiers de plus en plus risqués : 25 000 refus d’obtempérer, dont 5000 qualifiés de dangereux, sont répertoriés chaque année. Il analysa les émeutes qui suivirent et mirent le pays à feu et à sang en reprenant le discours victimaire de l’extrême gauche dénonçant la « discrimination persistante » et la « situation sociale des cités ». Après le meurtre de l’adjudant de gendarmerie Éric Comyn, victime d’un énième refus d’obtempérer, Libération s’est contenté de délayer la dépêche de l’AFP. Le quotidien n’a pas cru bon non plus de s’attarder sur le discours fracassant d’Harmonie Comyn, veuve du gendarme, et a résumé l’information en quelques mots. Le lendemain, Thomas Legrand a écrit un édito sur… les « climatodénialistes », ces vilains pas beaux qui ne gobent pas les conclusions du GIEC. Usant de la novlangue écolo, il s’est désolé de « la destruction massive par le feu de puits de carbone forestiers » aux États-Unis. Nous sommes ici dans le domaine de la bêtise banale et panurgique des nouveaux croyants en le dogme climatique. Abordons maintenant celui de la bêtise idéologique et écœurante, lisible un paragraphe plus loin : « Alors que chaque fait divers dramatique, comme la mort d’un policier lors d’un refus d’obtempérer, provoque une semaine de débats politiques, les événements climatiques semblent, eux, avoir cessé de susciter des interrogations sur notre modèle de croissance et nos modes de vie », écrit le Grand Ordonnateur des sujets qui comptent – les salamalecs de l’écologisme, par exemple – et des sujets qu’on doit relativiser, voire oublier – le meurtre d’un policier ou d’un gendarme, par exemple. Précision : Thomas Legrand a écrit ça deux jours après le meurtre d’Éric Comyn, dans un journal qui n’en a quasiment pas parlé, comme Le Monde et Le Nouvel Obs d’ailleurs, qui se sont contentés eux aussi du service minimum, à savoir, grosso modo, les dépêches AFP. Quant à La Croix… à ma connaissance, pas un seul mot n’a été écrit à propos de la mort du gendarme Éric Comyn dans ce journal catho en phase finale de transmutation gaucho-wokiste. 

La veuve d’Éric Comyn, Mandelieu-la-Napoule, 28 août 2024. Capture d’écran.

Le quotidien communiste subclaquant sous perfusion continue d’argent public, L’Humanité donc, n’est pas en reste quand il s’agit d’ignorer ou de falsifier la réalité. Dans un répertoire tenu à jour, il a ajouté la mort tragique du gendarme Éric Comyn à celles des… accidentés du travail du bâtiment, des transports ou de la métallurgie. Point final. Pas un mot sur ce qui s’est passé à Mougins. Quant au discours de la veuve du gendarme, il aurait surtout, selon L’Huma, « réveillé les fossoyeurs de droite et d’extrême droite, s’en donnant à cœur joie pour déverser leur haine de l’autre et leur rhétorique sécuritaire, que la veuve semble, au moins en partie, partager ». Comme Libération, L’Humanité fut beaucoup plus loquace lors de la mort de Nahel Merzouk et beaucoup mieux disposé vis-à-vis de ses proches. Il demanda à l’époque que soit « écoutée la colère » des hordes sauvages qui dévastaient le pays. Il laissa paraître une tribune – signée entre autres par Judith Butler, Annie Ernaux, Adèle Haenel et Éric Cantona, la fine fleur du gauchisme embourgeoisé et rebellocrate – qui justifiait les émeutes, la destruction d’écoles, de mairies et de commerces, réclamait la relaxe des « révoltés » interpellés et condamnés, et dénonçait les violences policières et… l’extrême droite. L’adjudant de gendarmerie Éric Comyn, sa femme, ses enfants, ses proches, ses amis et ses collègues n’ont eu droit à aucun mot de compassion de la part du journal communiste. Aucune lettre de la bourgeoisie gauchiste n’est parue dans ses colonnes pour partager la douleur de l’épouse du gendarme. Aucune tribune de sportifs ou d’artistes. Aucun mot de soutien aux hommes et aux femmes qui risquent leurs vies face à des délinquants arrêtés plusieurs fois mais souvent remis en liberté, libres de continuer leurs activités criminelles, lesquelles ont augmenté en même temps que les chiffres de l’immigration légale ou illégale. 

Libération : 6,3 millions d’euros d’aides publiques en 2023. L’Humanité : 6,5 millions d’euros. Le Monde : 8,3 millions d’euros. La Croix : 9,2 millions d’euros. Il me semble qu’il serait plus approprié de verser ces sommes dans un fonds de solidarité aux familles des gendarmes, des policiers et des militaires blessés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions, plutôt que dans la poche de cette presse qui ne survit pour une grande part que grâce à ces subsides, aux frais de contribuables dont la plupart sont détestés et ridiculisés par la petite caste privilégiée de journalistes gauchisants qui gribouillent dans ses colonnes et dont Thomas Legrand est un échantillon remarquable. De gauche, wokiste, immigrationniste, européiste et, bien sûr, écologiste, ce dernier a été convaincu par Sœur Greta et les prêtres du GIEC de la réalité du « dérèglement climatique », de son origine humaine, de ses conséquences pour « la planète », ce qui l’a conduit tout droit non pas sur les chemins de Compostelle mais sur les pistes cyclables, à côté des véhicules électriques de ses collègues boboïfiés et de la nouvelle plèbe ubérisée, dans des villes sans âme, sans vie, gentrifiées à mort. Après le meurtre d’un gendarme, après le discours de sa veuve – discours si éloigné de ceux qui d’habitude accompagnent les déclarations lénifiantes du gouvernement que la presse de gauche y a vu la main du diable réactionnaire – Thomas Legrand regrette d’abord et surtout que « la question environnementale ne pèse en rien sur les débats » et que la population, de plus en plus « climatosceptique », soit dans le « déni ». Éclairons M. Legrand : en plus de se méfier de plus en plus des élucubrations climato-démentes de la gargouille suédoise, des chanoines onusiens et des bedeaux médiatiques convertis à l’écologie radicale, la population française vit chaque jour un peu plus dans la peur non pas de recevoir le ciel carbonisé sur la tête mais de prendre un coup de couteau par un « déséquilibré » pour avoir refusé de lui donner une cigarette ou de lui céder son siège dans le métro, pour avoir voulu l’empêcher de rouler trop vite sur le parking d’un supermarché, pour un « mauvais regard » ou pour avoir laissé une croix ou une étoile de David trop visible autour du cou. Elle craint pour ses enfants, victimes de la racaille des cités, des rodéos urbains, des chauffards à bord de berlines de luxe volées ou achetées avec l’argent de la drogue, des balles perdues des dealers armés de kalachnikovs, des psychopathes sous OQTF. Elle tremble pour ses grand-mères agressées et violées chez elles ou frappées et volées en pleine rue. Elle a vu les hordes de barbares profiter de la mort de Nahel Merzouk pour brûler des centaines de véhicules, piller les magasins, détruire des quartiers entiers. Dans de plus en plus de villes, elle redoute ce qui furent jadis des instants de fête et de partage, le 14 juillet, Noël ou la nuit de la Saint-Sylvestre, durant lesquels les policiers et les pompiers se font maintenant insulter et caillasser en tentant d’éteindre les incendies de voitures, de bus, de poubelles, de cages d’escalier. Une partie d’elle vit dans ces villes où des commissariats ont été assiégés par « des jeunes des cités » armés de mortiers, de cocktails molotov et de barres de fer. La violence est partout, ses principales causes sont connues – mais l’État, après cinq décennies de concessions et de capitulations, hésite encore à remplir sa mission régalienne et tergiverse. L’ensauvagement de la société française est en grande partie le résultat d’une défaillance majeure : celle d’un État plus occupé à satisfaire la Commission européenne et les élites mondialisées qu’à protéger ses citoyens.  

La France abandonnée par cet État déficient ne connaît pas Thomas Legrand ; elle ne le lit pas ; elle ne sait pas en quelle piètre estime il la tient. Malgré la publicité faite à son journal sur la radio publique et dans les CDI des collèges et des lycées, elle ignore ses incantations écologistes, ses leçons de morale, ses circonlocutions pour éviter de décrire la réalité des cités, des villes et des villages dans lesquels les menaces sont omniprésentes. Elle ne le connaît que de seconde main, pourrait-on dire. Et le peu qu’elle sait de lui ne l’encourage pas à en savoir plus – elle a instinctivement compris qu’à ses yeux elle était partie négligeable, scorie inutile condamnée par un État défaillant et des privilégiés immigrationnistes à être remplacée par d’autres populations infiniment plus violentes, transformant ainsi la société française en cette France Orange Mécanique décrite et analysée par Laurent Obertone dès 2013. En entendant la veuve de l’adjudant Éric Comyn accuser son pays, cette France-là a immédiatement reconnu la France dont parlait cette femme désespérée, et ce n’était pas celle des Français subissant les vagues migratoires et le laxisme judiciaire mais bien celle des supposées élites, des gouvernants incompétents, des représentants politiques prêts à toutes les trahisons pour un siège, des médias gauchisants, du néfaste Syndicat de la magistrature qui, lors de son congrès de 1985, plus foucaldien que jamais, affirma « la nécessité de la suppression à terme de la prison », et qui, depuis cinquante ans, participe au déclin et à la défaite d’une Justice appliquant trop souvent la doctrine d’Oswald Baudot. En 1968, ce magistrat de gauche intima l’ordre à ses collègues d’avoir toujours « un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice », de ne pas faire « un cas exagéré de la loi » et de mépriser « généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence ». Ces consignes sont aujourd’hui encore suivies à la lettre par de nombreux magistrats. Résultat : des milliers de délinquants multi-récidivistes rôdent dans nos rues, libres de continuer de pourrir la vie des Français, voire de mettre leurs vies en danger.

Un soir, lors d’un banal contrôle routier, un gendarme se trouve sur la route de l’un d’eux qui le percute délibérément. Tandis que, sur France Inter, Patrick Cohen accuse l’extrême droite de « récupérer » le discours de sa veuve et signale à cette dernière qu’elle se trompe en pensant que la justice est trop laxiste – la preuve, « il ny a jamais eu autant de détenus en France » et certains ont passé l’été « sur des matelas posés au sol », s’apitoie le journaliste en omettant de préciser que près de 24 % de ces détenus sont des étrangers –, Thomas Legrand, se désintéressant totalement de ce « fait divers », chante les louanges de l’écologie décroissante et regrette que « les citoyens que nous sommes [aient] tendance, s’agissant de l’environnement et du climat », à ne plus trop s’en préoccuper. M. Legrand semble ignorer que les citoyens que nous sommes ont en ce moment des sujets de préoccupation autrement plus importants que celui d’un hypothétique « dérèglement climatique », cette nouvelle marotte des bobos désœuvrés, des étudiants incultes de Paris VIII et de Sciences Po, des activistes écologistes en mal de reconnaissance médiatique, des députés verts, ces spécialistes en idées creuses et en décisions nuisibles.

Des barbares sillonnent nos rues, et pas un jour ne passe sans que nous apprenions leurs méfaits, leurs délits, leurs crimes – il faut pour cela lire autre chose que Libération ou Le Monde, écouter d’autres radios que France Inter ou France Info, regarder d’autres chaînes de télévision que celles du service public. Les faits sont avérés et la conclusion à en tirer est brutale : nous vivons dans un pays qui, changeant radicalement de physionomie, se tropicalise, pour reprendre l’expression de Driss Ghali1, c’est-à-dire s’appauvrit en même temps qu’il subit de nouvelles formes de violences dues à une tribalisation de la société, aux phénomènes de gangs, aux rivalités ethniques, aux revendications communautaristes ou religieuses de plus en plus malsaines, phénomènes que les autorités ne parviennent plus à endiguer. Les policiers et les gendarmes s’épuisent à tenter de faire régner l’ordre. Mais la tâche paraît insurmontable, le bras de la Justice tremble et le risque d’y laisser sa peau est de plus en plus grand. Qu’en pensent les rédactions de Libération, du Monde ou de L’Humanité ? Visiblement, elles s’en fichent. Se pourrait-il qu’elles fassent partie de cette France laxiste, ouverte à tous les vents mauvais, excessivement tolérante, dénoncée par Harmonie Comyn ? Nous laissons aux lecteurs le soin de répondre à cette question.


  1. Driss Ghali, Français, ouvrez les yeux !, 2023, L’Artilleur. ↩︎

Matignon: l’heure de vérité

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Bernard Cazeneuve, ici photographié en 2019, Premier ministre de 2016 à 2017 © LODI Franck/SIPA

Ne déplaise aux olibrius du Nouveau Front populaire, il est dans les prérogatives du président de la République de nommer absolument qui il souhaite Premier ministre. Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui à l’Elysée MM. Cazeneuve, Bertrand, Hollande et Sarkozy. Clarification ? Apaisement ? On en est loin… L’hypothèse Cazeneuve, Premier ministre de gauche pour diriger une France de droite, rend fous les LFI. Notre collaboratrice Céline Pina analyse la séquence. Propos recueillis par Martin Pimentel


Martin Pimentel. « Le soumettre ou le démettre » ! Estimant que désormais « les élections ne purgent plus les problèmes politiques mais les aggravent », que le Nouveau Front populaire aurait gagné les élections et qu’Emmanuel Macron se rend coupable d’un « coup de force » en ne nommant pas Lucie Castets à Matignon, Jean-Luc Mélenchon appelle à manifester le 7 septembre. Sa colère est-elle légitime ?

Céline Pina. La colère de Jean-Luc Mélenchon n’est absolument pas légitime. C’est une pure mise en scène destinée à accueillir une fiction tellement grotesque que, dans ce cas-là, seule l’absence de vergogne peut vous sauver. Le premier mensonge du Nouveau Front populaire est de faire croire qu’il a gagné l’élection. Or ce n’est pas le cas, cette coalition n’a pas de majorité et même pas de cohérence. C’est l’union des morts de faim, des bons à rien et de prêts à tout. Pour conserver leur gamelle ou réussir à la remplir, toutes les lignes rouges ont été effacées. La gauche a franchi toutes les barrières morales et a oublié l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Naguère grande pourfendeuse du nazisme et du fascisme, surtout quand il est renvoyé aux poubelles de l’histoire et pouvait être « combattu » sans aucun risque, celle-ci ne voit aujourd’hui aucun inconvénient à ce que la haine des Juifs soit utilisée comme argument électoral.

LFI utilise donc le discours et les clichés antisémites pour capter le vote musulman et le PS, le PC et EELV n’y voient aucun inconvénient. Résultat : les agressions antijuives se multiplient et sont justifiées au nom de la Palestine. Le négationnisme de la majeure partie de la gauche, qui reprend les mensonges des islamistes, dont l’accusation de génocide portée à l’égard d’Israël, est le meilleur déclencheur des passages à l’acte. Mais il y a aussi la lâcheté de nos gouvernants, qui pensent que la communauté musulmane est en majeure partie radicalisée et s’enflammerait si les démocraties occidentales défendaient l’Etat juif. C’est ainsi que nous sommes incapables de réagir alors que le Hamas abat les otages juifs comme des animaux. Pire même nous continuons à verser de l’argent à ces monstres et grâce à nous les tortionnaires sont milliardaires.

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Mais revenons à cette gauche, qui a perdu les élections, est minoritaire dans le pays, a perdu tout honneur, toute légitimité et toute crédibilité. Elle n’a plus que la violence comme discours et projet. « Le soumettre ou le démettre », cette phrase aujourd’hui s’adresse à Emmanuel Macron, mais dans la logique conflictuelle et totalitaire qui est celle de LFI, cette phrase sera bientôt adressée au peuple qui devra accepter tous les délires de Mélenchon ou devra être rééduqué. Cette phrase est révélatrice du seul rapport humain que comprend l’extrême-gauche : la domination. Elle ne la dénonce pas en tant que telle mais parce qu’elle ne s’exerce pas à son profit. Voilà pourquoi elle nous propose, au poste de Premier ministre, une candidate sans intérêt, sans histoire, sans parcours et sans véritable programme.

A la rédaction de Causeur, après avoir écouté ses derniers entretiens dans les médias, certains pensent qu’elle a au mieux le profil d’une bonne directrice de crèche, ou, que si vraiment elle a de l’ambition, elle ferait une excellente directrice financière de la filiale française de la chaîne de foot en difficulté DAZN…

Comment l’extrême gauche peut-elle expliquer que refuser de la nommer serait un coup de force ? C’est à la fois une provocation et une façon de tester sa force : fait-on suffisamment peur pour qu’une telle aberration passe ? Le système est-il assez abimé pour que n’importe quoi devienne possible ? Nous avons la réponse : non seulement passé les bornes, il n’y a plus de limite, mais on peut même bâtir des cathédrales de fausses indignations avec du mortier à base de mensonges éhontés. A la fin on a une inconnue illégitime qui explique qu’elle est victime d’un pseudo coup d’Etat parce qu’on ne lui a pas remis les clés de Matignon. Franchement il faut que le leader de LFI pense que nous sommes un peuple de neuneus pour oser se livrer à cette sinistre farce. La seule chose que l’on peut accorder actuellement à Jean-Luc Mélenchon et à cette gauche, c’est que les élections n’ont pas purgé les problèmes politiques mais les ont aggravés. Pourquoi ? Parce que le vote barrage a atteint ses limites. Alors que LFI est vue comme plus dangereuse pour la démocratie et la paix civile que le RN, le président de la République a appelé à voter pour les candidats du Nouveau Front populaire, LFI comprise ! C’est ainsi que nous avons eu la joie de voir un fiché S élu, entre autres personnages abjects qui ont fait leur entrée à l’Assemblée. Si la haine antisémite n’est pas une ligne rouge qui sépare les démocrates des brutes, elle est où la limite ? Comment se sortir d’une situation où un parti minoritaire, de plus en plus rejeté par les Français, qui prône la violence politique et diffuse l’antisémitisme, est jugé légitime à participer à une coalition de gauche, tandis qu’un parti qui a changé de discours, qui a été impeccable après le 7 octobre et dont le discours est conforme à ce que l’on peut attendre d’un parti républicain, est exclu du pouvoir ? Que l’on reste méfiant vis-à-vis du RN peut s’entendre, mais actuellement il est bien plus légitime pour participer à un gouvernement qu’un représentant de LFI. Au vu des évolutions du RN, on ne voit pas ce qui l’empêcherait de soutenir un gouvernement de droite sans participation voire de participer à une coalition.

Le président Macron n’aurait-il pas alors tactiquement mieux fait de ne pas écouter Gabriel Attal, et de ne pas soutenir la stratégie du « front républicain » dans l’entre-deux tours ? Après tout, il préférerait sûrement avoir actuellement Bardella en Premier ministre de cohabitation que de se retrouver dans la situation institutionnelle périlleuse que l’on dit ?

Gabriel Attal a le dos large. Etant donné l’égotisme du président, c’est surtout Emmanuel Macron qui est comptable de ce choix tactique. Mais élever la vieille ficelle effilochée du « front républicain » au rang de stratégie, c’est essayer de faire croire à un homme qui vit dans un monde de soupe que la fourchette est sa meilleure option. Cela ne peut pas fonctionner. Le président est dans une impasse et il s’y est mis tout seul. Personne n’a aujourd’hui les moyens de gouverner et on ne voit guère quelle coalition peut être mise en place. La seule chose que peut espérer le président est de nommer un Premier ministre qui réunisse plus de parlementaires que le NFP, histoire de tordre le cou à la fable du déni de démocratie. Mais celui-ci aura juste les moyens de régler les affaires courantes. Et encore. De toute façon, tant que le système politique décrétera que le vote de 11 millions de Français en faveur du RN doit être méprisé, alors que dans le même temps il ne voit pas de problèmes à utiliser les bulletins d’un parti à la dérive antisémite assumée, la situation restera sans issue. Pire même, une situation de cohabitation aurait permis de redessiner des lignes d’affrontement politique claires. Là cette situation de crise et le fait que trop de représentants du peuple se soient comportés comme s’ils étaient dans une cour d’école a encore accentué la rupture entre les Français et leurs représentants. La crise de confiance est profonde et le spectacle qui nous est montré, fort peu rassurant.

On dit qu’à l’issue de son weekend passé à cogiter à la Lanterne, le président va enfin trancher. Quel profil ou quel nom de personnalité Emmanuel Macron peut-il nommer ? Si vous étiez à sa place, qui nommeriez-vous ?

Tout parait orchestré pour l’annonce de la nomination de Bernard Cazeneuve. Ce n’est pas un mauvais choix, mais cet homme n’a pas pour autant de baguette magique et on ne voit guère comment il pourra transcender une situation politique bloquée et sauver le mandat d’un président encalminé. Surtout qu’aucun des voyants politiques n’est au vert : aucune personnalité d’envergure nationale n’est vue comme faisant office de grand sage ou de référence pour les Français, la société est fracturée et une partie est travaillée par un rêve séparatiste, le système politique est faible en propositions et fort en conflictualité, et les Français ont peur de perdre leur identité culturelle. Le tout dans un monde en crise.

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La vérité est que je n’aimerais pas être à la place d’Emmanuel Macron, car aucun nom ne me vient qui enverrait un message d’espoir à nos concitoyens. Mais si notre président était à la hauteur de sa tâche, il pourrait changer les choses. Soit en allant au bout et en démissionnant, prenant acte de son échec. Soit en réalisant les clarifications attendues par les Français. Rien ne l’empêche par exemple de dénoncer les accords particuliers qui nous lient à l’Algérie et à d’autres pays en matière d’immigration, rien ne l’empêche de baisser les aides internationales et de jouer le rapport de force pour que les pays étrangers reprennent leurs ressortissants, rien ne l’empêche d’interdire les frères musulmans en France et de démanteler leurs associations cultuelles et culturelles, rien ne l’empêche de cesser de subventionner le Hamas, rien ne l’empêche de faire en sorte que les délinquants perdent aides sociales et droit au logement HLM, rien ne l’empêche de refaire de l’hôpital et de l’école une priorité et d’arrêter avec le collège unique, rien ne l’empêche de sortir de certains dispositifs débiles comme ceux organisant une concurrence stérile en matière de distribution d’électricité sur notre sol…

A force de ne vouloir être clair sur rien, plus personne ne sait pour quoi il vote, quel est le modèle de société que les élus portent, quelle est la vision que les partis défendent. Ce que nous dit notre difficulté à proposer un nom crédible, c’est à quel point les partis, en ne faisant pas leur travail de sélection et en récompensant la médiocrité, ont abimé la démocratie. Emmanuel Macron est l’enfant terrible de la vacuité, mais les partis actuels ont été sa matrice. Si Bernard Cazeneuve est nommé, il gérera les affaires courantes et cela aura peut-être une conséquence annexe intéressante, celle de faire exploser le PS et de donner aux républicains de gauche le courage de rompre avec les malotrus de LFI. Certes ils auront mis le temps, mais que des politiques renouent avec la conscience et l’honneur doit toujours être salué.

On ne sait pas si François Ruffin ira manifester le 7 septembre. Il a rompu avec les Insoumis pendant les législatives. Peut-il tout seul affaiblir Mélenchon ?

Symboliquement oui, en montrant que l’avenir de la gauche radicale n’est pas l’islamo-gauchisme, le mépris du travail et la création d’un homme nouveau par la rééducation. Il porte la version actuelle du communisme « à visage humain », là où LFI fait dans la réactivation du fantasme totalitaire. Ceci étant dit, en politique, les organisations sont plus puissantes que les individus. Or François Ruffin, c’est combien de divisions ? Ajoutons aussi qu’en politique, le charisme ne fait pas tout. Trotski était plus brillant que Staline, mais Staline maitrisait l’organisation bolchevique. Et c’est lui qui a gagné la guerre de succession. Or pour maitriser une organisation il faut énormément d’investissement, d’énergie et de constance, le boulot est ingrat et astreignant, il faut être capable de se le coltiner… Au-delà de ce fait, Jean-Luc Mélenchon n’est pas un perdreau de l’année. Son organisation n’est pas un parti, c’est une forme d’association tenue par très peu de personnes. Jean-Luc Mélenchon contrôle tout et a la main sur les finances. Tous ceux qui s’opposent à lui se retrouvent très vite à poil. Et refonder un parti est long et compliqué quand on n’a pas des soutiens puissants. Pour l’instant François Ruffin peut être une gêne, mais il n’est pas vraiment un facteur d’affaiblissement.

69% des Français estiment que LFI est un parti dangereux pour la démocratie, et 72% pensent même qu’il attise la violence. A gauche, certains l’ont bien compris. Dans cette histoire de « destitution » du président Macron brandie par la gauche populiste, quelle petite musique nous font donc entendre Raphaël Glucksmann, Olivier Faure et François Hollande ?

Le parti socialiste ne soutient pas la proposition de destitution du président réclamée par LFI. Mais comme d’habitude ses représentants le font dans la confusion et l’opacité. François Hollande a expliqué que le président commettait une faute institutionnelle en ne nommant pas Lucie Castets Premier ministre, ce qui ne veut rien dire sur le fond, tout en tentant de faire forte impression sur la forme. Un résumé de l’œuvre de l’ancien président et une explication de son absence de postérité ? Les Hollande et Faure essaient ainsi de s’assurer une forme de respectabilité en envoyant un message aux élites et aux personnes rationnelles, message qui explique qu’ils ne sont pas en phase avec ces zozos de LFI. Dans le même temps, ils laissent entendre qu’Emmanuel Macron viole la constitution, cela pour donner des gages à une jeunesse décérébrée, persuadée que l’on vit en dictature. Cette façon de vouloir tirer des marrons du feu sans avoir ni briquet, ni bois, ni même avoir fait l’effort de la cueillette est la marque des incapables. Quand on a une pensée, une vision et un chemin politique à proposer, on n’en arrive pas à de telles contorsions.

La participation aux législatives était massive, et pourtant la situation politique du pays est bloquée depuis des semaines. Les Français divisés ne peuvent-ils s’en prendre qu’à eux-mêmes, ou bien la classe politique et les boutiquiers dans les partis sont responsables de la situation ?

Les Français ne sont pas si divisés que cela. Ils demandent toujours la même chose aux politiques. Leurs préoccupations ne changent pas. Elles sont à la fois matérielles et culturelles. Ils leur demandent de préserver leur mode de vie, leur organisation sociale et leur niveau de vie. En ce qui concerne les menaces pesant sur la société, les mœurs, us et coutumes, ils ont identifié le problème : la forte présence d’islamistes qui radicalisent une partie de plus en plus notable de la population arabo-musulmane. La jeunesse arabo-musulmane est en majorité sous l’influence de ces idéologues, différentes statistiques et études l’attestent. La fracture de la société est essentiellement là. Le problème c’est qu’aujourd’hui la peur des politiques face aux islamistes les amène à ne pas agir et à refuser de protéger la majorité de la population pour complaire à une minorité radicalisée. Et la première population qu’ils abandonnent aux mains de ces authentiques fascistes est la population musulmane.

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Le deuxième problème est que, faute de propositions, les partis ne comptent que sur les votes barrage pour garder le pouvoir. Aujourd’hui ils savent, comme Emmanuel Macron, que l’on peut être minoritaire dans le pays et se faire élire quand même président. Pourquoi se fatiguer à construire des programmes, à rassembler une majorité, à définir des politiques quand il suffit de désigner un ennemi et de le diaboliser ?

Enfin, quand l’ennemi que vous avez choisi, ici le RN, s’empare des sujets qui inquiètent les Français et fait des propositions en phase avec les attentes des Français, vous enclenchez la machine à désigner des fascistes et vous bloquez toute discussion en rendant le sujet incandescent. Le problème est que la censure n’a jamais fait disparaitre les problèmes ; elle les fait grossir tout en invitant à ne jamais les considérer. Aujourd’hui les Français payent la lâcheté de leurs politiques avant tout. Ils payent aussi leur mollesse : cela fait longtemps qu’on les prend pour des idiots et que les politiques leur demandent de faire les castors, élections après élections. Ils le font. Pourquoi les politiques changeraient une tactique qui leur permet de garder le pouvoir sans même se fatiguer à travailler pour l’avenir ?

La rentrée politique est également marquée par le curieux roman d’Aurélien Bellanger. Ce dernier était reçu sur France inter lundi dernier, où il a dénoncé « l’islamophobie » d’une partie de la gauche, 48 heures après une attaque islamiste à la synagogue de la Grande Motte ! Que penser de ce romancier polémique ? La guerre entre deux gauches irréconciliables fait-elle toujours rage concernant la laïcité ?

On peut se dispenser de la lecture d’un ouvrage écrit avec les pieds par un homme qui ne fait que recycler les éléments de langage des islamistes. L’emploi du terme « islamophobie » montre d’ailleurs que l’on est sous cette influence, ce terme signe son islamo-gauchiste.

Mais ce Bellanger n’ayant aucun intérêt, revenons à la question de fond. Bien sûr qu’il y a deux gauches irréconciliables. Qui a envie d’être conciliant avec la gauche qui promeut l’antisémitisme, répand la violence politique et se vautre ? Et pourtant, c’est bien cette gauche-là qui a fait la peau à la gauche traditionnelle, ouvriériste et humaniste. Aujourd’hui la guerre pour préserver la laïcité a été perdue à gauche et celle-ci est devenue le cheval de Troie de l’islamisme. Si le fait de nommer ou de penser à nommer Bernard Cazeneuve Premier ministre permet à ceux qui ne se reconnaissent pas dans la dérive actuelle d’Olivier Faure de trouver le courage de se démarquer et de rompre avec LFI, nous n’aurions pas tout perdu.

Hélas pour reconstruire il faut savoir parfois prendre sa perte matérielle. Le PS de Faure a préféré perdre son âme et sauver ses voitures de fonction. Si l’hypothèse Cazeneuve permettait à la gauche laïque de comprendre qu’elle n’a rien en commun avec la gauche totalitaire, nous aurions déjà gagné quelque chose.