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Quand le navire commence à sombrer


En cette rentrée scolaire, nous invitons le futur ministre de l’Éducation nationale à prendre la mesure de la détresse des naufragés de l’institution qu’il aura à charge de piloter pendant quelques mois : la détresse des élèves, celle de leurs parents, celles des enseignants, des personnels administratifs et des agents techniques (qu’on oublie trop souvent), et, au-delà, celle de la nation tout entière qui, privée de ce qui la soude et la fait vivre, est vouée à une atrophie lente et progressive et au dégoût de la liberté qui l’accompagne. Il n’est pas digne, en effet, d’un commandant, quand le navire commence à sombrer, de ne pas avertir l’équipage pour lui permettre d’affronter la situation d’urgence et de sauver ceux qui peuvent encore l’être.

C’est un vaisseau troué de part en part sous sa coque. Ses voies d’eau sont connues :

  • illettrisme,
  • chute du niveau de performances depuis trente ans,
  • baisse de la qualité des enseignants et augmentation des contractuels,
  • inégalité des chances record parmi les pays de l’OCDE, un scandale pour une école qui se dit « républicaine » et qui ne profite qu’aux plus nantis en capital culturel,
  • détérioration de la santé mentale des jeunes,
  • aggravation du harcèlement scolaire,
  • multiplication des agressions verbales ou physiques contre les enseignants et le personnel administratif par les élèves ou les parents,
  • contestation des règles scolaires et de l’autorité,
  • discriminations et intimidations antisémites contre des élèves aussi bien que des enseignants juifs,

A lire aussi, du même auteur: La victoire de la rébellion sur la règle

  • pression islamiste pour s’attaquer à la laïcité, aux mœurs et aux normes de la société française (comme celles liées à l’égalité des sexes ou à la mixité, à la liberté de croire ou de s’habiller comme on veut), pour imposer les lois de la charia en classe, contester les savoirs et les humanités, intimider, menacer et tuer les enseignants,
  • incapacité de l’institution à intégrer une masse de plus en plus grande d’enfants immigrés dont l’histoire et l’environnement s’avèrent souvent chaotiques et dont les normes culturelles s’opposent parfois vigoureusement aux nôtres,
  • consumérisme des élèves et des parents,
  • angoisse devant un parcours scolaire qui paraît souvent hasardeux,
  • perte du sens de la transmission,
  • coût moyen de l’élève exorbitant au regard des résultats – 10 700 € par an en secondaire –, un gâchis phénoménal qui oblitère l’investissement dans d’autres services publics.

Certes, l’institution semble encore flotter hors de l’eau, grâce à la volonté inébranlable de ceux qui la servent et qui savent ce qu’ils lui doivent. Mais elle n’est plus en mesure de remplir sa fonction émancipatrice par la transmission de notre héritage humaniste. Elle entraîne déjà avec elle l’université vers le même fond de bêtise et d’indifférence à ce que nous sommes. Avant de pouvoir refonder une école réellement au service de tous, nous demandons au prochain ministre de ne pas ajouter son nom à la longue liste des « capitaines couards » qui, au lieu de donner l’alarme en plein naufrage, ordonnent de réparer une panne d’électricité.

Dès septembre, la météo politique s’annonce tempétueuse…

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Pour les Français mal aimés, il n’est plus l’heure d’être polis


Elon Musk n’aurait pas dû. Répliquant, le 12 août, à une injonction du commissaire Thierry Breton qui le sommait de se plier au nouveau code de modération européenne sur son réseau X (ex-Twitter), le milliardaire a envoyé paître le pandore de la pensée autorisée. S’appropriant une réplique de Tom Cruise dans Tonnerre sous les tropiques, Musk a posté : « First, take a big step back and literally fuck your own face ! » (« Tout d’abord, faites un grand pas en arrière et littéralement baisez votre propre visage ! »). Bref, il a dit à Breton : « Vas te faire foutre ! ». Musk n’aurait pas dû. Pourtant, il se pourrait que des Français à leur tour, excédés d’être rappelés à l’ordre par les Messieurs Propres d’un système qui se déglingue et se cabre, n’aient plus envie non plus de se taire. Les atteintes à la liberté d’expression, soumise aux censures des clercs d’en haut et aux oukases des minorités d’en bas, sont devenues folles. « Les gens ordinaires en ont marre de se faire donner des leçons par des tartuffes », analyse Christophe Guilluy (L’Express, 10 juillet). Le géographe voit s’aggraver le choc entre métropoles privilégiées et périphéries délaissées, entre Métropolia et Périphéria. Mon camp reste sans réserve celui de Périphéria. Ces mal-aimés sont appelés par l’histoire. Ils ont à récupérer leur place, confisquée par une caste d’eunuques prosélytes, brutaux faute d’être convaincants.

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Gérald Darmanin aurait-il pressenti la force explosive de cette colère populaire encore partiellement enfouie ? À peine était-il devenu membre d’un gouvernement démissionnaire après l’échec de son camp aux législatives, le premier flic de France se précipitait devant les caméras, col ouvert, pour théoriser son « sans-cravatisme », avatar boulevardier du sans-culottisme révolutionnaire. Dans le JDD du 21 juillet, le révolté de la 25ème heure expliquait ainsi son rejet de la cravate : « Ce bout de tissu est devenu pour beaucoup de Français le symbole d’une élite à laquelle ils ne s’identifient plus au point parfois de la haïr. L’élite à fait sécession depuis plusieurs années ». Rien de faux dans cette analyse de la rupture, faite par d’autres depuis des décennies. Sauf que Darmanin, depuis, s’est gardé de protester contre les assauts clabaudeurs de son gouvernement contre les électeurs coupables de voter RN ou LFI. Quand une part importante de la classe moyenne est exclue du cercle politique par des partis désavoués par les urnes, qu’est-ce d’autre qu’un déni de démocratie ? La météo politique s’annonce, dès septembre, tempétueuse. Le vieux monde a entamé sa chute.

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Le mur, qui sépare les élus des réprouvés, ne peut que s’effondrer si la classe politique persiste à ne rien comprendre du dégoût qu’elle suscite auprès de ceux qu’elle rejette. Enlever sa cravate en guise de contrition est un artifice grossier. La peur du peuple, quand ce dernier n’obéit plus aux culpabilisations morales des « élites » mondialistes et immigrationnistes, est à la source des fautes accumulées, depuis les gilets jaunes, par le pouvoir arrogant et inquiet. Emmanuel Macron, plutôt que d’analyser sa déroute, a voulu voir sa victoire personnelle dans l’échec relatif, le 7 juillet, de Jordan Bardella, à l’issue du second tour des législatives. Depuis, observer l’acharnement que met l’Elysée et ses relais à tenter d’ensevelir, jusqu’à l’étouffement, la montée de l’électorat RN-Ciotti fait penser à cette réflexion de Marx à Engels, dans une lettre de 1870[1] à propos des répressions de 1793 : « La Terreur, c’est la bourgeoisie qui a chié dans ses culottes ». Toute proportion gardée, une même trouille de perdre son hégémonie pousse l’ancien monde morbifique à persécuter la droite populaire et réactive, qualifiée « d’extrême droite » pour mieux la noyer. Il y a, oui, une pente fascistoïde en France. Mais elle s’observe dans le « progressisme » aux abois, prêt à tous les coups bas pour survivre.

Ainsi, le jeu de l’été aura été, pour l’État en sursis, de faire disparaître l’expression de l’exaspération française, vue comme une humeur peccante…

La suite est à lire dans le magazine Causeur de septembre, disponible pour les abonnés demain sur le site, et mercredi chez votre marchand de journaux.

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[1] Cité par Jean Meyer, en préface à La Vendée-Vengé, de Reynald Secher, PUF

Du bon usage du Rubicon


Ce bon vieux Jules César, de glorieuse mémoire, avait indiqué la voie à suivre. Depuis, grâce à lui, on aura compris que quiconque nourrit l’ambition de marcher un jour sur Rome doit, à un moment ou à un autre, s’imposer le pas décisif, dépasser le point de non-retour, brûler ses vaisseaux et donc franchir le Rubicon.

Il y a ceux qui, petits bras et petites âmes, ne sauront jamais faire autre chose qu’y barboter. Ils passeraient bien sur l’autre rive, mais  ne parviennent pas à s’y résoudre. Toutes les excuses sont bonnes, à commencer par celle, facile, éculée, mais toujours d’actualité, selon quoi il s’agirait de s’embarquer avec des péquins peu fréquentables, qui ne sentiraient pas très bon et, surtout, mal vus des bons milieux et des officines autorisées. On connaît la chanson. On a vu de telles préventions, de telles coquetteries à l’œuvre voilà peu encore.

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Franchir le Rubicon, cela s’effectue à différents niveaux. Le plus élevé avec De Gaulle qui, en juin 1940, claque la porte du gouvernement de la défaite et s’embarque pour Londres. À un niveau un tantinet moins noble, Mitterrand lui aussi se paie son Rubicon en s’alliant avec les communistes pour le programme dit commun, les communistes pourtant toujours quelque peu empuantis des miasmes d’un stalinisme aboli certes en surface, mais encore rampant au sein d’une vieille garde rouge à la nostalgie tenace.

Le Rubicon, il y a celui que vient de franchir Éric Ciotti, avec son UDR à réminiscence gaullienne sinon gaulliste. L’Union des Droites. Comme il y eut, donc, en son temps, l’Union de la Gauche, autobus à ramassage large avec, pour Mitterrand, terminus à l’Élysée. Bien joué, jadis. Bien joué, aujourd’hui ? L’avenir nous le dira.

D’ores et déjà, on peut supposer que, dans le sillage que le toujours président LR aura laissé derrière lui en se jetant à l’eau, ceux que rebutaient encore, indisposaient, effarouchaient, tout à la fois l’historique et la référence Le Pen du RN, pourraient bien lâcher prise et rejoindre le mouvement. Si tel est le cas, il risque d’y avoir avant peu une notable affluence sur l’autre rive et on pourrait bien voir se former dans la foulée un cortège non négligeable pour la marche sur Rome qui nous attend à l’horizon 2027.

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Le livre d’Aurélien Bellanger mérite-t-il vraiment de tels cris d’orfraie?

Dans son roman de la rentrée, décrié pour ses thèses islamo-gauchistes ou ses dénonciations un peu calomnieuses, il y a tout de même du bon à prendre…


Avec Les derniers jours du Parti socialiste (Seuil), Aurélien Bellanger évite de faire de la rentrée littéraire une petite chose tout à fait à l’abri de l’ambiance politique du moment. Si certains ont voulu y voir un tract islamo-gauchiste, le roman a le mérite de proposer une fresque de la vie politico-médiatico-intellectuelle française des vingt dernières années, du 11 septembre à nos jours, stimulante bien que discutable.

Règlements de comptes

Tout ne respire pas la grandeur d’âme dans les choix d’Aurélien Bellanger. Il y a parfois un parfum de règlements de comptes. À la manière de Gérard Fauré, cet ancien bandit qui passe régulièrement sur les plateaux TV pour révéler les supposés vices de telle personnalité qui vient de disparaître, l’écrivain n’hésite pas à faire parler les morts, à leur prêter des intentions fascistes. Laurent Bouvet, décédé en décembre 2021, est le personnage principal du livre, où il figure sous le nom de Grémond. Il y est dépeint comme l’imam caché d’un laïcisme radical qui aurait étendu sa pieuvre au fil des décennies. Tout a commencé par le constat des petits arrangements de terrain faits avec l’islam à la fin des années 90, notamment dans sa ville de Créteil. Cela a abouti à la fondation du Printemps républicain, rebaptisé Mouvement du 9 décembre dans le livre. Les morts ne bronchent pas beaucoup, on peut leur faire dire et lire ce qu’on veut, par exemple leur prêter une passion pour la biographie de Charles Maurras, a priori pas très compatible avec la condition d’apparatchik du Parti socialiste. Le genre romanesque offre des facilités tactiques, et permet à l’auteur d’écrire des choses à demi vraies, d’autres totalement fausses, le tout sous le refuge de pseudonymes et de périphrases très transparentes. À l’instar de la lettre hebdomadaire de M. de Rastignac publiée dans Valeurs actuelles, il y a un plaisir pour le lecteur, il faut bien l’admettre, à repérer les indices pour deviner quel personnage contemporain l’auteur est en train de dépeindre… Celui-ci apparait d’ailleurs lui-même sous les traits d’un écrivain pas dénué d’une vanité ridicule, quittant un débat sur France Inter en larmes et en courant, puis fantasmant l’assassinat du président Macron lors de l’une de ses visites élyséennes, ou narrant carrément… son propre assassinat. Assez grotesque… L’autodérision permettra de pardonner beaucoup de petites vilénies.

N’est pas Houellebecq qui veut

Aurélien Bellanger avait dédié un essai à Houellebecq et s’est longtemps réclamé d’icelui, avant de prendre des distances – principalement pour des questions politiques. Non sans reconnaitre, au micro du Figaro, que l’auteur des Particules élémentaires était un romancier plus efficace que lui. Aurélien Bellanger a repris une bonne partie du non-style houellebecquien. L’aménagement du territoire ressemblait à une compilation de manuels de CAPES de géo, agrémentée de combines au sein des sociétés secrètes mayennaises. Les derniers jours du Parti socialiste donnent l’effet de fiches Wikipédia passées au mixeur. Sur le fond, le roman est l’antithèse de Soumission. Dans le livre sorti en 2015, Houellebecq imaginait la victoire d’un candidat musulman (relativement) modéré permise par une magouille des vieux partis politiques français résolus à barrer la route au Front National. Bellanger imagine à peu près l’inverse : le raidissement de toute une gauche intellectuelle commencée avec le 11 septembre, poursuivie avec l’affaire des caricatures et les dramatiques attentats, et qui débouche, dans l’imagination de Bellanger, sur une pure et simple interdiction de l’islam en France !

Le grand effacement

La grande absente de ce roman, c’est la droite, et plus encore la droite de la droite. Si Marine Le Pen devait attaquer notre auteur en justice, ce serait bien pour l’avoir fait complètement disparaître du récit des vingt dernières années. À lire Aurélien Bellanger, la droitisation du pays serait née à gauche, de la défense d’un laïcisme intransigeant ! Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Michel Onfray (qui, engagé dans la course à la présidentielle, se transforme en véritable Eric Zemmour, à la manière d’un bœuf qui se transformerait en grenouille, c’est tout de même assez drôle), Philippe Val, les saltimbanques de Charlie Hebdo, tous ont cédé aux (supposées) paniques morales. Et au-dessus d’eux, toujours, Laurent Bouvet, alias Grémond, turbo-chevènementiste nerveux… Dans la vraie vie, Laurent Bouvet fut un universitaire, membre du PS, à qui le parti avait refusé une investiture aux législatives de 2002. Dans le roman, il est le grand manitou du Parti, et fait et défait les carrières depuis son bureau aux affaires laïques puis devient le ventriloque du candidat Hollande en 2012. Quant au Printemps républicain, si dans la vie réelle, il n’a pas reçu la moindre investiture macronienne aux législatives (ni en 2017, ni en 2022), dans le roman, il prend les traits d’une sorte de charbonnerie de hauts-fonctionnaires assez tentaculaire (presque le pendant des Frères musulmans, aux ramifications tout aussi souterraines), qui aurait abattu de l’intérieur le Parti socialiste. On se met à plisser des yeux et l’on se dit : « Si seulement tout cela avait été vrai ».

Aurélien Bellanger continue sa promenade dans les sociétés secrètes et les profondeurs de l’État. Son ouvrage est-il un tract LFI ? Certes, le livre s’en prend au camp laïc. On entend cependant çà et là quelques critiques adressées, à une nouvelle gauche, très gender studies, très américaine, à la fois puritaine et progressiste, adoratrice du hijab et des transitions de genre. Le roman a donc au moins le mérite de chercher à « définir l’esprit d’une époque ».

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Julius Malema, l’insoumission qui fait un flop

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Le Mélenchon sud-africain promet de régler leur compte aux Afrikaners, rêve d’une Afrique du Sud toute noire et d’un poste de Premier ministre. Mais il n’a réuni que 9,5% des voix aux dernières législatives, un score très en dessous de ses attentes. Pour autant, tout est-il perdu ? Pas sûr, car nous lui proposons un bel avenir…


Il est la hantise des Blancs d’Afrique du Sud, l’homme qui promet d’exproprier sans indemnisation les fermiers Afrikaners et qui fait chanter dans ses meetings « tuez les Boers ».  Souvent flanqué de son béret rouge, Julius Malema préside le parti d’extrême gauche « Economic freedom fighters ». Limogé de l’ANC pour des affaires de corruption et pour ses positions trop radicales, l’insoumis sud-africain pourfend notamment « la mafia Stellenbosch », ces grands vignobles situés près du Cap qui appartiennent à une poignée de milliardaires. Selon lui, cette concentration du capital sud-africain incarnerait le monopole du pouvoir économique par les Blancs.

« Si Malema passe, nous ne survivrons pas »

Pour renverser la table, l’homme propose de nationaliser les mines et a déjà déclaré ne pas s’interdire d’avoir recours à la violence pour imposer sa feuille de route. En matière de politique étrangère, il pourfend régulièrement  « l’impérialisme sioniste » et, plus cocasse, a déclaré souhaiter venir en aide militairement à la Russie pour envahir l’Ukraine. Imprévisible, il ne s’était pas prononcé contre la vaccination lors de la pandémie de Covid-19 mais avait même organisé, au grand dam de ses fans antivaxs, des manifestations pour réclamer des vaccins russes et chinois.

Reste que dans un pays où 45% des 15-34 ans sont au chômage et où plus de trente ans après la fin de l’apartheid, seulement 30% des entreprises appartiennent à des Noirs, un boulevard s’offre à Julius Malema au point que ces dernières années, celui-ci est pris au sérieux. « Si Malema passe, nous ne survivrons pas », a déclaré avant les législatives Carel Boshoff, maire d’Orania, une enclave afrikaner qu’avaient visitée Nelson Mandela puis Jacob Zuma. Malema, lui, a promis d’en faire une ville noire s’il prenait le pouvoir. Seulement lors des élections législatives du mois de juillet, ça ne s’est pas passé exactement comme ça : Julius Malema et ses « combattants » rouges sont arrivés en quatrième position avec 9,5 % des voix, loin derrière l’ANC (40%), et derrière son ennemi juré, l’ancien président Jacob Zuma (13,5%).

 « Malema est fou »

9,5% c’est pas mal, mais pas suffisamment pour être Premier ministre, place à laquelle a prétendu Malema ces derniers mois. Il semble que ses outrances à répétition ne paient pas. Sans doute parce qu’avant d’aller aider Poutine à bombarder l’Ukraine, les Noirs sud-africains aimeraient manger tous à leur faim et boucler correctement leurs fins de mois. Sans doute parce que quand ils voient les millions de Zimbabwéens affluer dans leur pays, ils savent que l’expulsion sans préavis des fermiers Blancs – comme ça a été le cas au Zimbabwe sous la présidence de Robert Mugabe – ne marche pas. Tout est-il perdu pour Julius Malema ? Peut-être pas… Cher Julius, il y a en France un homme qui rêve aussi d’être Premier Ministre, cet homme s’appelle Jean-Luc Mélenchon. Comme vous, il parle de Grand Soir et porte volontiers du rouge – enfin, c’est sa cravate qui est rouge, c’est plus timide que votre béret et votre chemise rouge, certes, mais vous pourrez le convaincre de franchir le pas…

« Malema est fou », m’a assuré il y a peu une jeune femme Noire à Johannesburg. Ce n’est pas très sympa pour vous, mais c’est à peu près ce que pense une bonne partie des Français de Mélenchon. Comme vous, ses outrances fatiguent, au point que même une frange de son parti rêve de s’en débarrasser.

Deux femmes noires tuées par des fermiers blancs

Dans son parti, on rencontre des personnages haut-en-couleur. Louis Boyard, par exemple. Quand vous lui raconterez votre enfance en guenilles dans le township de Seshego, là où il y a encore des coupures d’eau, il vous parlera de son enfance difficile en Vendée, à deux pas du Puy-du-Fou de Philippe de Villiers. Quand vous lui direz que vous avez été élevé par votre grand-mère après que votre mère, femme de ménage, soit morte, il vous répondra que son père était cadre ferroviaire et qu’il a dû le suivre dans ses déménagements jusqu’à Amiens, le pauvre. Quand vous lui direz que vous avez commencé à chanter les slogans de l’ANC à l’âge de neuf ans, il vous répondra, la larme à l’œil, qu’il était obligé de vendre du shit dans sa vie étudiante pour se payer des pots de Nutella.

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Ça ne s’arrête pas là, il y a aussi Danièle Obono. Fille d’un banquier et politicien gabonais, elle a été obligée de venir s’installer dans ce pays raciste qui s’appelle la France. Vous lui direz que le 17 août, dans votre pays, des fermiers blancs ont tué deux femmes noires avant de les offrir en pâture à ses cochons. Elle vous répondra que c’est bien triste mais qu’en France ce n’est guère mieux, avec ces regards en biais quand elle va au Monoprix en bas de chez elle, dans le XVIIème arrondissement parisien. Le racisme structurel, Julius, le vrai, quasiment l’apartheid…

Armer le Hamas…

L’année dernière, quand Elon Musk a dit qu’il y avait un « génocide des Afrikaners » en cours en Afrique du Sud, vous lui avez rétorqué qu’il « racontait de la merde ». Votre sortie a eu un certain écho dans le monde mais attention, la France Insoumise vous concurrence en matière de vulgarité. Il y a par exemple le député Jean-Philippe Nilor, qui a qualifié un député noir de « Nègre de maison » l’année dernière. Il y a un aussi un député nommé David Guiraud qui, comme vous, est fan de Gaza, et qui a traité un député juif de porc.

La France Insoumise compte de fervents soutiens de Gaza, un soutien qui va souvent jusqu’à l’obsession. L’eurodéputée Rima Hassan tweete nuit et jour sur Gaza et s’est rendue à une manifestation en Jordanie où l’on criait « Allez, allez le Hamas ! ». Ça ne devrait pas vous déplaire, vous qui avez promis d’armer le Hamas si jamais votre parti prenait le pouvoir. Quand on voit le nombre de gens qui font la manche dans votre pays, vous ne manquez pas d’air à prétendre sauver Gaza… mais vous n’êtes pas seul, les Insoumis font la même chose chez nous.

Aux élections législatives anticipées, les Insoumis ont gagné 84 sièges sur 577. C’est quand même un peu mieux que vos 39 sièges sur 400. Alors vous qui rêvez d’être Premier Ministre, si jamais les choses n’allaient pas au mieux pour la suite de votre carrière, sachez que la France Insoumise pourrait vous réserver un bel avenir…

Pavel Durov: une affaire « extra » judiciaire

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Le milliardaire a été interpellé le 24 août au Bourget. Il ne peut quitter le territoire national, où il fait l’objet d’une enquête judiciaire pour complicité et négligences concernant son service Telegram, lequel faciliterait la réalisation de crimes graves. L’affaire est un véritable défi pour la justice française, qui doit affirmer sa souveraineté dans un dossier qui gêne autant des puissances étrangères hostiles que les grands patrons de la tech qui estiment que les frontières des Etats ne les concernent plus.


Né le 10 octobre 1984 à Léningrad en URSS, Pavel Durov a longtemps été surnommé « le Mark Zuckerberg russe ». Issu de la nomenklatura intellectuelle soviétique, Pavel est le cadet d’une fratrie de trois garçons qui ont vécu quelques années expatriés en Italie, où leur père professeur d’histoire romaine et leur mère journaliste vivaient. Son aîné Nikolaï est un cryptologue de génie qui a gagné à trois reprises les Olympiades internationales de mathématiques dans les années 1990, avant d’aider son frère Pavel à développer le réseau social Vkontakte puis à créer le service de messagerie Telegram. Voilà pour le contexte ayant présidé à l’ascension de ce personnage romanesque que la justice française vient de mettre en examen. Désormais placé sous contrôle judiciaire, le milliardaire et nomade de luxe russe ne peut plus quitter le territoire français.

Une différence culturelle dans l’appréhension de l’appareil judiciaire

Complexe, mystérieuse, et soumise à une tension géopolitique digne des grandes heures de la Guerre froide, cette affaire judiciaire se trouve au croisement de multiples phénomènes contemporains. Se définissant lui-même comme proche du courant philosophique libertarien, en vogue aux Etats-Unis mais aussi chez les oligarques russes de la deuxième génération, Pavel Durov s’est souvent décrit comme un être postmoderne, totalement affranchi des problématiques nationales classiques voire même des règles qui régissent le lot commun de l’humanité. Ainsi, il affirme avoir enfanté une centaine d’enfants en donnant son sperme, a eu recours à de nombreuses opérations de chirurgie esthétique pour obtenir le physique de ses rêves proche du personnage de Néo dans Matrix, possède les nationalités de quatre pays dont la France où il se nomme Paul du Rove, nous y reviendrons, ou bien encore juge que les “souverainetés matérielles” sont obsolètes.

C’est peut-être d’ailleurs ce qui a poussé Pavel Durov à commettre quelques erreurs. Lorsque son jet privé a débarqué au Bourget en provenance de Bakou, où il avait tenté sans succès de demander un rendez-vous privé au président Vladimir Poutine qui s’y trouvait aussi, Durov a affiché sa surprise en se faisant arrêter. Le Canard Enchainé a notamment rapporté que ce dernier aurait affirmé aux enquêteurs avoir un dîner prévu avec Emmanuel Macron, raison de sa visite parisienne en compagnie de sa petite-amie instagrammeuse et « coach en crypto ». Bien évidemment, le président de la République a nié. Et quand bien même la chose aurait-t-elle été exacte qu’elle n’aurait absolument rien changé au sort du jeune homme… Cette différence culturelle dans l’appréciation du fait judiciaire explique aussi pour une bonne part les réactions de l’intelligentsia mondialisée à l’annonce de la garde à vue du créateur de Telegram.

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En Russie, il est sûrement suffisant de connaître le président Poutine pour éviter une mise en examen. Mais en France, depuis Montesquieu, nous avons théorisé la séparation des pouvoirs. La pratique est certes parfois imparfaite, mais la justice est un pouvoir indépendant et séparé des autres. La procureure de la République en charge du dossier Telegram n’a pas agi sur ordre. Elle a pris la décision qu’elle estimait la plus utile à l’accomplissement de son travail. Laure Beccuau est une femme déterminée à lutter contre les mafias transnationales. Emis le 26 août, le communiqué de presse du parquet de Paris est clair, indiquant que la garde à vue de Monsieur Durov était intervenue « dans le cadre, d’une information judiciaire ouverte, le 8 juillet 2024, à la suite d’une enquête préliminaire d’initiative diligentée par la section J3 (lutte contre la cybercriminalité – JUNALCO) du parquet de Paris ». Il énumère ensuite les faits reprochés à Monsieur Durov, dont ressort notamment le « refus de communiquer sur demande des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi ».

Ce n’est pas la première fois que des plateformes numériques sont visées par des enquêtes judiciaires et critiquées pour leur manque de collaboration avec les autorités dans le cadre d’affaires criminelles. Le paradoxe étant qu’elles sont aussi critiquées pour leur manque de protection des données personnelles de leurs utilisateurs, mais aussi parce qu’elles sont sujettes à des manipulations visant à désinformer les opinions publiques. En 2018, Mark Zuckerberg était auditionné dans ce cadre par le Sénat américain, l’affaire Cambridge Analytics ayant eu un retentissement particulier. Telegram et Durov sont d’une autre nature. Ici, la justice française reproche à Pavel Durov de ne pas répondre aux sollicitations lors d’affaires criminelles et de contrevenir à la lutte contre les groupes criminels transnationaux. Lors de sa prise de fonction en tant que procureure de la République, Madame Beccuau avait d’ailleurs prévenu dans un entretien accordé au Monde : « La lutte contre la haute criminalité organisée est un défi actuel, un défi majeur. Aujourd’hui, le niveau de menace est tel que l’on détecte des risque de déstabilisation de notre Etat de droit, de notre modèle économique, mais également de nos entreprises, à un niveau stratégique majeur. »

« Free Pavel Durov »

Il faudra à Madame Beccuau faire montre d’un sacré caractère lors des prochains mois tant les pressions qu’elle subira seront fortes. Car, cette affaire dépasse le cadre français. Elle est internationale. La France a pris une décision souveraine, par le biais de sa justice, contre le patron d’une entreprise qui est par principe extra-territoriale. Les nouvelles compagnies des Indes que sont les Gafam et leurs homologues chinois ou russes sont des territoires dématérialisés qui s’affranchissent des règles des Etats et ont un fonctionnement mondialisé. Leur logique même s’oppose à notre conception classique du droit. Elles rejoignent en ce sens le rêve du fondateur de PayPal Peter Thiel. Ancien associé d’Elon Musk et proche de J.D. Vance, colistier de Trump, ce milliardaire rêve de fonder une île futuriste appelée Seasteading, sorte de colonie flottante hors des eaux territoriales en franchise de droit et d’impôts, d’où il pourrait bâtir une humanité nouvelle. Dit comme ça, on se croirait dans un James Bond ou face à Lex Luthor, mais il y a aussi une forme de socialisme utopique paradoxale dans ce libertarianisme, semblable à ce que Thomas More prévoyait pour son île Utopie. Pour l’heure, les futurs « citoyens actionnaires » restent des citoyens de nations constituées.

N’en déplaise à la Russie, qui a un temps caressé le rêve de contrôler Telegram, et qui a sans aucun doute suffisamment de garanties contre Durov pour le tenir, le milliardaire russe est bien un citoyen français. Il a obtenu notre nationalité grâce à un dispositif spécifique créé par un certain Jean-Luc Mélenchon, en tant qu’étranger émérite. Emmanuel Macron n’a pas nié ni regretté de lui avoir donné un passeport français en 2021. Pour cette raison, M. Durov ne jouira pas de la protection consulaire ou de l’assistance russes. Il sera soumis aux mêmes règles que tous les autres Français. Sa chance, c’est qu’il est dans un Etat de droit. Libre, il ne fera pas de détention préventive et n’aura pour obligation que de rester sur le territoire français et de se présenter deux fois par semaine au commissariat. La remise d’un cautionnement de 5 millions d’euros ne devrait pas poser de difficultés à un homme aussi fortuné.

La vraie question qui doit le tourmenter est bien celle de la fin d’un modèle. Le patron de Telegram envisageait une entrée en bourse dans les prochains mois où son entreprise serait évaluée à 30 milliards de dollars… Le scandale et la révélation de failles pourraient freiner quelque peu les ardeurs des potentiels actionnaires. Il faut d’ailleurs savoir que Telegram perd chaque année 170 millions de dollars, son intérêt économique étant surtout lié aux transactions de cryptomonnaies qui ont enrichi son fondateur et ses proches. Les enjeux sont donc colossaux. Ils inquiètent de nombreux investisseurs et patrons d’entreprises du même genre. Elon Musk a notamment créé le hashtag #Freepavel sur son réseau X / Twitter. Le patron de Proton Mail, Andy Yen, a aussi protesté, indiquant que cette arrestation était « un suicide politique », tout comme le programmateur et militant du logiciel libre Richard Stallman qui a dénoncé une tentative visant à éradiquer « le chiffrement de bout en bout ». Kim Dotcom, qui a aussi subi l’ire de la justice dans l’affaire MegaUpload, et qui affiche souvent ses vues pro-Kremlin, y a été de son couplet. Tous ces gens n’ont pas demandé la libération de Mademoiselle Khavana, Russo-américaine condamnée à 12 ans de prison en Russie pour avoir fait un don de 50 dollars à l’Ukraine. Passons.

A lire aussi: Élections américaines, un mode d’emploi

Avec la montée en puissance de géants d’Internet dont le pouvoir dépasse celui d’Etats, il est vrai que les questions de liberté d’expression et de respect de la vie privée des individus se posent avec une terrible acuité. Mais ne sont-ce pas aussi ces entreprises qui ont posé des millions de caméras dans tous les foyers avec la complicité des utilisateurs passifs ? Un milliardaire ne devrait pas être soumis à la justice sous prétexte qu’il fournit un excellent service ? On l’a oublié mais en 2015, Pavel Durov avait réagi aux attentats du 13 novembre en déclarant que le gouvernement français était « responsable des attentats au même titre que Daech » et qu’il prenait « l’argent des Français qui travaillent dur via des taxes horriblement élevées pour les dépenser en menant des guerres inutiles au Moyen-Orient et créer un paradis social parasitique pour les immigrés d’Afrique du Nord ». Une phrase qui illustre bien le paradoxe contemporain. En partie fausse, elle n’en recèle pas moins sa part de vérité. On notera que la déclaration n’avait semble-t-il pas heurté Emmanuel Macron, mais aussi que Durov avait revu son jugement…

Un dossier grandement géopolitique

Dossier d’abord judiciaire, l’affaire Durov a néanmoins un arrière-plan éminemment géopolitique. D’abord vis-à-vis du partenaire émirati, dont Durov est aussi un ressortissant. Dubaï a affiché son agacement. La Russie aussi. Pourtant, les relations entre ce dernier et le Kremlin n’ont pas toujours été un fleuve tranquille. En 2014, Durov avait quitté la Russie et vertement critiqué son pays d’origine dans un pamphlet intitulé « Sept bonnes raisons de quitter la Russie ». Quatre ans plus tard, il a été à l’origine de manifestations de soutiens à Telegram, qui ont duré de 2018 à 2020, moment où le service était « bloqué » par les autorités russes. Les choses sont toutefois ambigües… Bien des experts estiment que l’opposition a été surjouée, que Durov aurait été « retourné » mais aussi utilisé puisque son service joue un rôle majeur dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie. La fin du blocage de Telegram a d’ailleurs fait apparaitre des rumeurs étranges en Russie, où Pavel Durov a été accusé de négocier des accords secrets avec le Kremlin.

Son arrestation a en tout cas permis au pouvoir russe de montrer tout son savoir-faire dans sa propagande contre la France et de dénoncer « la dictature libérale française », générant une campagne d’influence et de désinformation majeure sur les réseaux sociaux. Elle a aussi inquiété grandement le Kremlin qui a immédiatement demandé aux membres du gouvernement d’arrêter d’utiliser Telegram, jugeant sa sécurité compromise par les « services secrets français ». Services secrets auxquels Durov a fait référence devant les enquêteurs, affirmant même dans son style bravache « pouvoir révéler des informations classées secret défense »… Pour l’heure, Telegram n’est absolument pas menacé. Son utilisation est possible en France comme ailleurs, n’apportant d’ailleurs pas une grande plus-value chez nous par rapport à WhatsApp. Seul son patron est visé par une enquête. La France estime que la lutte contre les groupes criminels transnationaux doit être totale et que Telegram doit servir d’exemple comme cela fut le cas avec Sky CEE ou Silk Road. La suite s’annonce passionnante.

Rentrée littéraire: mon ticket gagnant

Notre chroniqueur du dimanche a choisi deux romanciers, Philibert Humm et Jean-Pierre Montal, dans cette rentrée littéraire 2024. Il nous dit pourquoi il faut absolument les lire parmi le demi-millier de nouveautés à l’abordage des librairies ce mois-ci. Il espère même que des jurys sérieux et libres, donc indépendants, se pencheront sérieusement sur leur cas…


Chers lecteurs, en ce premier dimanche de septembre, où la mélancolie de la plage et du bikini n’empêche pas la peur du retour au bureau, j’ai choisi d’élever le débat, de me porter au-dessus des parties. D’habitude, les littérateurs pointilleux résument, compactent, bachotent les nouveautés de la rentrée sous forme de fiches synthétiques. Ils sont restés des élèves appliqués. Je ne serai pas votre professeur de récitation. Nous avons passé l’âge des antisèches et des interros « surprise ». Et j’ai toujours préféré les diplômés du dernier rang aux premiers de la classe. Je ne vous parlerai donc pas du sujet propre de leur roman, je n’irai pas jusqu’à dire que leur histoire est anecdotique mais enfin ce qui nous intéresse, ici, c’est le style, le tour de main, le ressac des mots au creux de la nuit, la lente infiltration de la voix d’un auteur dans les veines du lecteur, le sentiment de plénitude quand la page est ronde comme un ballon et qu’on se dit, mon salop, tu l’as fait. Je ne connais rien de plus exaltant et d’abyssal qu’une page bien balancée comme le cul à la dérive d’une arpenteuse du sexe sur le Malecón à la fin de l’été. Que leur roman soit d’essence prophétique, romantique, d’initiation ou d’anticipation, peu importe ; que l’action se passe à Trafalgar ou à Villandry, dans le marais poitevin ou en Pennsylvanie, cette question d’orientation ou d’ensoleillement n’est qu’un mirage pour les bêtes à concours ; je vais essayer, par analogie et tâtonnement de définir quel genre d’écrivains ils sont et pourquoi je vous conseille de les lire dans l’embouteillage de cette rentrée.

Loin des hordes furieuses du moment

D’abord, ils écrivent dans un français de bonne tenue, ni trop élitiste, ni trop relâché, d’obédience classique, rassurante en somme. Ils écrivent court et détaché. En outre, ils n’abordent aucun des thèmes sociétaux à la mode qui électrisent les chaînes d’info. Ils sont hors des modes, hors des hordes furieuses, hors des plâtrées existentialistes, hors des clous. Ils ne veulent rien prouver. Je vous le dis, ce sont des Saints apolitiques. Tout de même, ne les prenez pas pour des bleubites, ils sont rusés, ce sont des bisons futés de l’évitement, ils touchent à l’essentiel, c’est-à-dire à la trahison, à la mort, au courage, au pardon, au ridicule et à la transcendance par des voies de délestage. On les lit par gourmandise dans un premier élan, chacun dans leur registre très différent, et on finit par communier avec leur « philosophie » du désespoir qu’il soit riant ou titubant, pénétrant ou évanescent. Que je les qualifie de « philosophes », ils s’en amuseront, ils trouveront que, comme d’habitude, j’exagère, j’extrapole, je me laisse emporter par le fracas des mots. C’est justement parce qu’ils n’ont rien des postures actuelles des écrivains épinglés, gémissements et pleurnicheries, l’égotisme pathologique à gueule de « gourou » et la victimisation par contumace, qu’ils s’inscrivent dans une autre littérature, parallèle, assez audacieuse ou folle, pour éviter les déballages indigents à l’heure du JT. Ils n’instrumentalisent pas leur lecteur. Ils ont de la tenue. Ça vaut tout l’or du monde.

Deux vrais écrivains

On se refilera bientôt leurs deux noms comme on consent à donner l’adresse d’un mécano capable de régler l’injection tempétueuse de sa Peugeot 404 à un collectionneur dans l’embarras. Le plus âgé des deux, né en 1971 à Saint-Etienne, est un stoïcien caustique ; il est peut-être le grand conteur du couple, un disciple de Jean Freustié avec quelques traces de Jacques Laurent pour son goût des sous-ensembles flous. Il travaille beaucoup sur la structure, l’imbrication, la bétonnisation des sentiments et leur construction chimérique. Il est un habile architecte du désordre amoureux qui puise souvent sa trame dans le cinéma, il se nourrit des désillusions et les transforme en art. C’est la mission cardinale que l’on est en droit d’exiger d’un écrivain. Et Jean-Pierre Montal est un vrai écrivain. Il serait plutôt anglais par son côté désenchanté, et aussi éminemment russe par son attrait de l’apocalypse. Avec La face nord aux éditions Séguier, il est un Truffaut qui aurait perdu sa boussole intérieure, il nous invite à un voyage aux confins du réel et des souvenirs, dans l’entrelacs des brumes. Philibert Humm est une autre sorte d’apprenti-voyageur, un baladin qui feint la farce pour mieux nous ensorceler. Méfiez-vous des écrivains drôles, ce sont les plus désarmants ! Son Roman de gare qui paraît aux Équateurs, après l’obtention du Prix Interallié pour Roman fleuve en 2022, est une nouvelle variation des aventuriers à la recherche de la caténaire perdue. Ce Modiano du ballast excelle dans la comédie de mœurs et il en faut du génie pour immortaliser des bras cassés de classe internationale. Quand je le lis, et je le lis depuis ses débuts, je sais son amour pour les déambulations bistrotières et son attachement sincère pour les « gens de peu », je suis ému. Les ratés sont notre miroir et aussi notre source de jouvence. Je ris à la débandade généralisée de ses anti-héros et je suis touché en plein cœur par la fable des éclopés de la vie. Il y a du Calet en lui, sans misérabilisme, sans pompe sacerdotale, sans suintement. L’émotion arrive dans l’irruption du quotidien, du ménager, du patraque, par accident pour donner à cette littérature plus ambitieuse qu’il n’y paraît, les atours d’un nirvana mi-poétique, mi-cabossé. Ce Blaise Cendrars tendance Jean Carmet suit en cela les traces d’un Fallet homérique. Voilà mes deux poulains sur qui je fonde de grands espoirs. Rendez-vous en novembre au moment des proclamations de prix.


La face nord de Jean-Pierre Montal – Séguier 160 pages

La Face nord - Prix des Deux Magots 2024 - roman rentrée littéraire 2024

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Roman de gare de Philibert Humm – Équateurs 224 pages

Roman de gare

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Les intentions sont pures, mais…

Ce thriller sportif, qui raconte l’histoire d’une judokate iranienne contrainte d’abandonner une compétition pour éviter une possible confrontation avec une athlète israélienne, est hélas un peu prévisible…


À Tbilissi, capitale de la Géorgie, la judoka iranienne Leila Hosseini (Arienne Mandi) affronte ses adversaires féminines dans l’ultime tournoi international pour les championnats du monde de judo. Son mari et ses proches, depuis Téhéran, se serrent dans leur appartement pour suivre de loin les compétitions devant leur petit écran. La sportive de haut niveau est cornaquée par son coach, Maryam (campée par Zar Amir, la coréalisatrice du film), l’une comme l’autre coiffées du hijab, comme il se doit, sous la surveillance des sbires de la République islamiste. Leila va-t-elle ramener la première médaille d’or de l’Iran ?

Perdre la face devant une Juive ?

Mais voilà, le risque est grand que Leila, parvenue en finale, doive se battre contre une judoka native du Grand Satan : Israël. La police du régime s’active donc pour convaincre Leila de simuler la blessure qui l’empêchera de compétir contre l’athlète de la nation maudite. Perdre la face devant une Juive ? No way. La pression s’appesantit donc sur la famille restée au pays pour faire céder Leila. Pour échapper in extremis à l’arrestation, son mari s’enfuit, leur enfant dans ses bras; les services balancent à Leila, sur son smartphone qui n’arrête pas de sonner, les images de son propre père violenté…  La menace pèse également sur l’entraîneuse, Maryan, et sur les siens, laquelle, également harcelée au téléphone par les ogres des mollahs, se sait piégée. Elle commence par implorer Leila de renoncer. Jusqu’à se colleter physiquement avec elle, sous le regard des organisateurs (anglophones) de la compétition, attentifs quoiqu’il en soit au strict respect du règlement sportif par toutes les puissances engagées dans la compétition. Rage de Leila, atermoiements de Maryan… Jusqu’au combat final, qui réconcilie les deux courageuses jeunes femmes dans leur lutte commune pour la liberté. Avec l’appui des autorités locales, l’exil, au bout du compte, sera leur échappatoire.  

Pas de surprise

Le choix du noir et blanc n’est pas anodin : le blanc, couleur du kimono de Leila, s’oppose au noir des barbus et des tchadors, selon un parti pris esthétique « auteuriste » appuyé, qui s’adosse à la coopération professionnelle entre Guy Nattiv (le réalisateur des Nuits de Mashhad en 2022, film célébré à juste titre), et Zar Amir qui y fut l’actrice principale mais aussi la directrice de casting, et avait à cœur de passer un jour à la réalisation : la voilà donc ici des deux côtés de la caméra. La voix du commentateur survolté qui égrène en off le nom savant des prises de judo (du shimewaza au uchimata…) rend compte de la technique des combats, filmés comme à la télé, en plan serrés, de façon quelque peu répétitive à la longue pour le spectateur ignorant en matière de judo.  


C’est un peu la limite de Tatami : il s’appuie sur un suspense désamorcé par avance, puisqu’on en connaît l’enjeu dès la première minute. La démonstration du caractère criminel de la dictature iranienne n’est plus à faire ; et comme la cause est entendue, le film paraît lui-même emprunter aux outils de la propagande pour nous asséner une sentence qui va de soi, contre un régime parfaitement haïssable – et haï, comme l’on sait, par la grande majorité des Iraniens eux-mêmes. Dès lors, Tatami déroule son tapis noir et blanc sans vrai motif de surprise.   

Tatami. Film de Guy Nattiv et Zar Amir. Avec Arienne Mandi, Zar Amir. Georgie / Etats-Unis, noir et blanc, 2023. Durée : 1h43.

Geoff Dyer, ou le retour de la chronique littéraire

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Avec un charme tout britannique, Geoff Dyer évoque dans son dernier livre la mort qui approche à travers les écrivains, philosophes, peintres ou sportifs qui l’ont inspiré.


Ce qu’il y a de plaisant avec le genre de la chronique littéraire, lorsqu’elle est servie dans les règles de l’art, c’est qu’elle se lit avec un plaisir bien spécifique. Il n’est pas donné à tous les écrivains d’avoir le talent d’en écrire, ni d’ailleurs à tout lecteur d’en apprécier la saveur peu banale. Il y a dans ce genre à haut risque une forme de dandysme, qui met en avant un moi à la fois vulnérable et fataliste, avec cette pointe d’ironie qui sait rester aérienne. Le chroniqueur littéraire a digéré toutes sortes de références livresques, et jamais il ne les imposera avec brutalité à ses lecteurs. Car il reste toujours dans la nuance et l’entente tacite, pour émouvoir davantage en livrant ses sensations intimes.

La fin, et non pas le commencement

L’ouvrage de Geoff Dyer, Les Derniers jours de Roger Federer (clin d’œil aux Derniers jours d’Emmanuel Kant de Thomas de Quincey, peut-être) paru aux éditions du Sous-Sol, entre à plein dans la catégorie de la chronique littéraire. L’auteur, né au Royaume-Uni en 1958, est aussi romancier et collabore, entre autres, au New York Times et au Guardian, ainsi qu’à des magazines. L’éditeur ne l’indique pas, mais sans doute Dyer reprend-il quelques-unes des chroniques littéraires qu’il a pu donner dans la presse anglo-saxonne. Il a axé son propos sur le thème suivant, précisé dans le sous-titre : « Et autres manières de finir ». En somme, Geoff Dyer a repris la pensée de Qohélet, cet auteur biblique fameux, qui estimait que « mieux vaut la fin d’une chose que son commencement » (7,8). Geoff Dyer va la développer en un peu plus de trois cents pages, au cours desquelles il laissera le champ libre à son art de la digression.

Sur le point de devenir septuagénaire, Dyer essaie de trouver dans la littérature, le cinéma et l’activité sportive, notamment le tennis, des exemples pour illustrer et, peut-être, apaiser son angoisse de la finitude. Comme il l’écrit, commentant son projet : « Il me paraissait important qu’un livre fondé sur ma propre expérience des changements induits par la vieillesse soit terminé avant la retraite de Roger [Federer], à la lueur du long crépuscule de sa carrière. » Il y a une grande mélancolie souterraine dans les observations de Geoff Dyer. Pour lutter contre son désespoir, il s’agrippe à la perspective de quitter cette existence avec élégance, comme un champion qui surmonte une dernière défaite.

L’effondrement de Nietzsche

Geoff Dyer ne parle pas seulement de tennis, dans son livre, même si ce sport reste sa principale passion. En littérature et en philosophie, il nous présente longuement ses auteurs de prédilection. Il évoque Martin Amis, Don DeLillo… Pour les essais, Dyer revient volontiers au continent européen, principalement avec des classiques comme Nietzsche et sa dernière œuvre, Ecce Homo. Ce court, mais essentiel, livre du philosophe allemand fut, on le sait, « rédigé en moins de trois semaines », dans un « équilibre précaire au bord de l’effondrement ». Nous sommes à Turin, ville que Geoff Dyer connaît bien et apprécie particulièrement, et Nietzsche est sur le point de devenir fou, à la vue d’un âne que l’on bat. Face à un événement aussi absolu que la folie de l’auteur d’Ecce Homo, Dyer préconise, avec son goût du paradoxe, de « rendre hommage à la réussite de Nietzsche tout en soulignant son échec monumental, un échec et un ultime revers de fortune tout aussi cataclysmiques que ceux de Van Gogh ».

La disparition des civilisations

Dans un même esprit d’extinction de tout, comme aurait dit Thomas Bernhard, Geoff Dyer s’attarde sur ces périodes de l’histoire où un monde s’achève pour toujours. C’est le cas des Indiens d’Amérique, « au milieu d’un désert sublime et idyllique ». C’est le cas aussi, qui passionne Dyer, du déclenchement si complexe de la guerre de 1914 : « un autre dernier été, celui de 1914, paré d’une gloire éternelle par les ténèbres catastrophiques qui devaient bientôt suivre et éteindre toutes les lumières d’Europe… » D’ailleurs, Dyer me semble avoir raison : comment ne pas être frappé par cette persistance du Mal, qui plonge les sociétés humaines dans le désastre et provoque leur disparition ? Après sa propre disparition, qui obsède Geoff Dyer, celle des civilisations lui inspire des pages très convaincantes.

Il n’y a pas que des constatations aussi dramatiques, dans Les Derniers jours de Roger Federer. Le lecteur rit souvent. Une des plus grandes qualités de Dyer est son humour, tout britannique. Il aime citer la phrase de Nietzsche selon laquelle « l’esprit le plus profond [est] aussi le plus frivole. » Beaucoup de passages sont remplis d’une dérision philosophique au second degré. En s’attachant à décrire ce qui entre en agonie, Dyer rencontre la sympathie de ceux qui, fuyant comme lui l’ennui, tentent encore de se divertir, alors que le Titanic sombre déjà dans l’océan glacé.

Geoff Dyer, Les Derniers jours de Roger Federer. Et autres manières de finir. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Paul Matthieu.Éd. du Sous-sol. 384 pages.

Les Derniers Jours de Roger Federer: Et autres manières de finir

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Thomas de Quincey, Les Derniers jours d’Emmanuel Kant. Traduit de l’anglais et préfacé par Marcel Schwob. Éd. Ombres, 1985.

Les Derniers jours d'Emmanuel Kant

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L’école, de Charybde en Scylla

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Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli, auteur du best-seller La fabrique du crétin, est de retour dans les librairies avec L’école sous emprise. Il y dénonce nos compromissions face au djihad scolaire, et les agissements de la police des mœurs islamique qui s’est immiscée dans l’école.


En 2006, quand Jean-Paul Brighelli publie Une école sous influence, il veut dénoncer l’entrisme islamique au sein de l’école de la République. Il essaye donc d’alerter les pouvoirs publics sur un phénomène qui inquiète les spécialistes de l’éducation mais ne parait pas interpeller les politiques. Pourtant des ouvrages essentiels sur ces questions ont déjà été publiés. Mais le rapport de Jean-Pierre Obin, inspecteur de l’éducation nationale, sur l’influence des islamistes et de leurs représentations a été enterré sans autre forme de procès par François Fillon, alors ministre de l’Education nationale en 2004. Comme l’avait été en 2002 l’ouvrage de Georges Bensoussan, les Territoires perdus de la République. Or les auteurs y expliquaient déjà que l’offensive islamiste était renforcée par le déni des institutions et des politiques. Les années qui vont suivre verront, au déni, s’ajouter l’ostracisation de ceux qui osent s’attaquer à l’obscurantisme islamiste. Ils seront voués aux gémonies, autrement dit renvoyés à l’extrême-droite et traités de racistes.

A lire aussi, Didier Desrimais: Aurélien Bellanger, dhimmi en chef

L’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli, bien connu des lecteurs de « Causeur » D.R.

Business as usual

18 ans après, en 2024, Jean-Paul Brighelli fait le point sur ce qui était déjà en gestation en 2006. Force est de constater que le retour sur le terrain ne porte pas à l’optimisme. Le titre donne la couleur. L’école était sous influence des islamistes en 2006, aujourd’hui elle est sous emprise et c’est parti pour durer. Et nos élites administratives et politiques, ont-elles au moins ouverts les yeux durant cette période ? Là aussi le constat est sévère. L’inflation du verbe n’a égal que l’impuissance en termes d’action. Incapables d’autorité, terrorisés à l’idée de déclencher des émeutes, le « pas de vague » est toujours en vigueur rue de Grenelle. Et pourquoi cela changerait-il ? Des professeurs ont été assassinés de façon atroce. Une fois les larmes séchées et les hommages rendus, la vie dans l’Éducation nationale a continué en mode « business as usual ». Il n’y a pas eu un avant et un après Samuel Paty, pas eu un avant et un après Dominique Bernard.

A lire aussi, du même auteur: Lucie Castets, le François Pignon de Matignon

Jean-Paul Brighelli revient aussi sur ces enfants que le déni des politiques met également en danger, les Mila, les Samara, les Shemseddine… Toutes ces victimes de la violence communautaire où au nom de l’islam, des enfants et des adultes veulent régir le comportement de leur entourage, leur façon de se vêtir, contrôler à qui ils ont le droit de parler et même ce qu’il est licite de dire. La lâcheté des pouvoirs publics est en train de produire à la chaîne des petits talibans qui rétablissent par leur intolérance et leur brutalité, le blasphème, et instaurent une véritable police des mœurs.

Islamo-gauchisme, un cocktail explosif

Dans des chapitres bien troussés, appuyés sur des exemples aussi dramatiques qu’éclairants, l’auteur nous montre un kaléidoscope de situations où l’offensive islamiste est assistée dans sa volonté de destruction de l’idéal laïque par les injonctions wokistes. D’un côté, les élèves et les parents sont invités à imposer leurs valeurs, leurs coutumes et leurs interdits religieux et comportementaux au sein de l’école, détruisant l’idée même qu’il puisse exister un commun où on efface ses particularismes pour partager l’espace public. De l’autre le wokisme fait de toute contrainte, une agression, transforme le rapport du maître à l’élève, en domination et au final jette la suspicion sur la transmission. Le wokisme s’attaque à la République en lui reprochant de n’être pas parfaite et en faisant passer ses imperfections pour une manipulation : ainsi l’égalité serait un mensonge, l’antiracisme aurait servi à perpétuer le privilège blanc et nos libertés seraient illusoires. Le but : faire oublier que nos principes et idéaux ont donné naissance à des sociétés de liberté et de tolérance où l’existence des minorités est protégée et l’émancipation individuelle possible. La situation des femmes est enviable là où l’égalité en droit est affirmée. En revanche là où elle ne l’est pas, comme dans les pays musulmans, ce refus de l’égalité a des conséquences réelles sur le statut de la femme. Le but de wokisme est d’effacer ces réalités et de ne cultiver que le ressentiment : l’idéal républicain n’est pas parfaitement réalisé, donc il ne vaut rien. Et pendant que l’on donne la France à haïr côté woke, les islamistes proposent une identité de substitution : l’appartenance à l’Oumma islamique. Une fois cette logique intégrée, les jeunes deviennent les moines soldats de cette mouvance. Ils le font avec d’autant moins de recul qu’ils ne se posent pas la question des sociétés dont l’islamisme est la matrice et dont Daesh est l’aboutissement. Au bout de la chaine, c’est le savoir qui recule, des héritages que l’on renie et une identité religieuse qui s’affirme au détriment de tout le reste. Or cette identité religieuse est incompatible avec l’idéal républicain. L’islamisme refuse le savoir, l’instruction, l’égalité, la liberté de conscience, de pensée et d’expression. Il se moque des libertés, de l’idéal laïque et même de l’existence d’une dignité humaine partagé par tous les hommes, il ne connait que la soumission à son Dieu et n’a d’autres buts que de l’imposer à tous. Mais ces gens qui gâchent la vie de tant d’autres ne sont forts que de nos renoncements. Jean-Paul Brighelli rappelle que si les islamistes sont puissants, une bonne partie des musulmans n’est pas sous leur contrôle. Faire preuve d’autorité n’est donc qu’une question de courage et de détermination. A voir l’état actuel de notre microcosme politique, en attendre un sursaut revient à attendre Godot. L’espoir en moins.

200 pages.

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Quand le navire commence à sombrer

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La ministre Nicole Belloubet visite une école élémentaire à Lanta (31), 29 avril 2024 © FRED SCHEIBER/SIPA

En cette rentrée scolaire, nous invitons le futur ministre de l’Éducation nationale à prendre la mesure de la détresse des naufragés de l’institution qu’il aura à charge de piloter pendant quelques mois : la détresse des élèves, celle de leurs parents, celles des enseignants, des personnels administratifs et des agents techniques (qu’on oublie trop souvent), et, au-delà, celle de la nation tout entière qui, privée de ce qui la soude et la fait vivre, est vouée à une atrophie lente et progressive et au dégoût de la liberté qui l’accompagne. Il n’est pas digne, en effet, d’un commandant, quand le navire commence à sombrer, de ne pas avertir l’équipage pour lui permettre d’affronter la situation d’urgence et de sauver ceux qui peuvent encore l’être.

C’est un vaisseau troué de part en part sous sa coque. Ses voies d’eau sont connues :

  • illettrisme,
  • chute du niveau de performances depuis trente ans,
  • baisse de la qualité des enseignants et augmentation des contractuels,
  • inégalité des chances record parmi les pays de l’OCDE, un scandale pour une école qui se dit « républicaine » et qui ne profite qu’aux plus nantis en capital culturel,
  • détérioration de la santé mentale des jeunes,
  • aggravation du harcèlement scolaire,
  • multiplication des agressions verbales ou physiques contre les enseignants et le personnel administratif par les élèves ou les parents,
  • contestation des règles scolaires et de l’autorité,
  • discriminations et intimidations antisémites contre des élèves aussi bien que des enseignants juifs,

A lire aussi, du même auteur: La victoire de la rébellion sur la règle

  • pression islamiste pour s’attaquer à la laïcité, aux mœurs et aux normes de la société française (comme celles liées à l’égalité des sexes ou à la mixité, à la liberté de croire ou de s’habiller comme on veut), pour imposer les lois de la charia en classe, contester les savoirs et les humanités, intimider, menacer et tuer les enseignants,
  • incapacité de l’institution à intégrer une masse de plus en plus grande d’enfants immigrés dont l’histoire et l’environnement s’avèrent souvent chaotiques et dont les normes culturelles s’opposent parfois vigoureusement aux nôtres,
  • consumérisme des élèves et des parents,
  • angoisse devant un parcours scolaire qui paraît souvent hasardeux,
  • perte du sens de la transmission,
  • coût moyen de l’élève exorbitant au regard des résultats – 10 700 € par an en secondaire –, un gâchis phénoménal qui oblitère l’investissement dans d’autres services publics.

Certes, l’institution semble encore flotter hors de l’eau, grâce à la volonté inébranlable de ceux qui la servent et qui savent ce qu’ils lui doivent. Mais elle n’est plus en mesure de remplir sa fonction émancipatrice par la transmission de notre héritage humaniste. Elle entraîne déjà avec elle l’université vers le même fond de bêtise et d’indifférence à ce que nous sommes. Avant de pouvoir refonder une école réellement au service de tous, nous demandons au prochain ministre de ne pas ajouter son nom à la longue liste des « capitaines couards » qui, au lieu de donner l’alarme en plein naufrage, ordonnent de réparer une panne d’électricité.

Dès septembre, la météo politique s’annonce tempétueuse…

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DR.

Pour les Français mal aimés, il n’est plus l’heure d’être polis


Elon Musk n’aurait pas dû. Répliquant, le 12 août, à une injonction du commissaire Thierry Breton qui le sommait de se plier au nouveau code de modération européenne sur son réseau X (ex-Twitter), le milliardaire a envoyé paître le pandore de la pensée autorisée. S’appropriant une réplique de Tom Cruise dans Tonnerre sous les tropiques, Musk a posté : « First, take a big step back and literally fuck your own face ! » (« Tout d’abord, faites un grand pas en arrière et littéralement baisez votre propre visage ! »). Bref, il a dit à Breton : « Vas te faire foutre ! ». Musk n’aurait pas dû. Pourtant, il se pourrait que des Français à leur tour, excédés d’être rappelés à l’ordre par les Messieurs Propres d’un système qui se déglingue et se cabre, n’aient plus envie non plus de se taire. Les atteintes à la liberté d’expression, soumise aux censures des clercs d’en haut et aux oukases des minorités d’en bas, sont devenues folles. « Les gens ordinaires en ont marre de se faire donner des leçons par des tartuffes », analyse Christophe Guilluy (L’Express, 10 juillet). Le géographe voit s’aggraver le choc entre métropoles privilégiées et périphéries délaissées, entre Métropolia et Périphéria. Mon camp reste sans réserve celui de Périphéria. Ces mal-aimés sont appelés par l’histoire. Ils ont à récupérer leur place, confisquée par une caste d’eunuques prosélytes, brutaux faute d’être convaincants.

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Gérald Darmanin aurait-il pressenti la force explosive de cette colère populaire encore partiellement enfouie ? À peine était-il devenu membre d’un gouvernement démissionnaire après l’échec de son camp aux législatives, le premier flic de France se précipitait devant les caméras, col ouvert, pour théoriser son « sans-cravatisme », avatar boulevardier du sans-culottisme révolutionnaire. Dans le JDD du 21 juillet, le révolté de la 25ème heure expliquait ainsi son rejet de la cravate : « Ce bout de tissu est devenu pour beaucoup de Français le symbole d’une élite à laquelle ils ne s’identifient plus au point parfois de la haïr. L’élite à fait sécession depuis plusieurs années ». Rien de faux dans cette analyse de la rupture, faite par d’autres depuis des décennies. Sauf que Darmanin, depuis, s’est gardé de protester contre les assauts clabaudeurs de son gouvernement contre les électeurs coupables de voter RN ou LFI. Quand une part importante de la classe moyenne est exclue du cercle politique par des partis désavoués par les urnes, qu’est-ce d’autre qu’un déni de démocratie ? La météo politique s’annonce, dès septembre, tempétueuse. Le vieux monde a entamé sa chute.

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Le mur, qui sépare les élus des réprouvés, ne peut que s’effondrer si la classe politique persiste à ne rien comprendre du dégoût qu’elle suscite auprès de ceux qu’elle rejette. Enlever sa cravate en guise de contrition est un artifice grossier. La peur du peuple, quand ce dernier n’obéit plus aux culpabilisations morales des « élites » mondialistes et immigrationnistes, est à la source des fautes accumulées, depuis les gilets jaunes, par le pouvoir arrogant et inquiet. Emmanuel Macron, plutôt que d’analyser sa déroute, a voulu voir sa victoire personnelle dans l’échec relatif, le 7 juillet, de Jordan Bardella, à l’issue du second tour des législatives. Depuis, observer l’acharnement que met l’Elysée et ses relais à tenter d’ensevelir, jusqu’à l’étouffement, la montée de l’électorat RN-Ciotti fait penser à cette réflexion de Marx à Engels, dans une lettre de 1870[1] à propos des répressions de 1793 : « La Terreur, c’est la bourgeoisie qui a chié dans ses culottes ». Toute proportion gardée, une même trouille de perdre son hégémonie pousse l’ancien monde morbifique à persécuter la droite populaire et réactive, qualifiée « d’extrême droite » pour mieux la noyer. Il y a, oui, une pente fascistoïde en France. Mais elle s’observe dans le « progressisme » aux abois, prêt à tous les coups bas pour survivre.

Ainsi, le jeu de l’été aura été, pour l’État en sursis, de faire disparaître l’expression de l’exaspération française, vue comme une humeur peccante…

La suite est à lire dans le magazine Causeur de septembre, disponible pour les abonnés demain sur le site, et mercredi chez votre marchand de journaux.

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[1] Cité par Jean Meyer, en préface à La Vendée-Vengé, de Reynald Secher, PUF

Du bon usage du Rubicon

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Rentrée politique d'Éric Ciotti (président des Republicains et député des Alpes-Maritimes), au cours de laquelle il annonce créer son propre mouvement, l'Union des Droites pour la République (UDR), Grand Pre, Levens (06), 31 août 2024 © SYSPEO/SIPA

Ce bon vieux Jules César, de glorieuse mémoire, avait indiqué la voie à suivre. Depuis, grâce à lui, on aura compris que quiconque nourrit l’ambition de marcher un jour sur Rome doit, à un moment ou à un autre, s’imposer le pas décisif, dépasser le point de non-retour, brûler ses vaisseaux et donc franchir le Rubicon.

Il y a ceux qui, petits bras et petites âmes, ne sauront jamais faire autre chose qu’y barboter. Ils passeraient bien sur l’autre rive, mais  ne parviennent pas à s’y résoudre. Toutes les excuses sont bonnes, à commencer par celle, facile, éculée, mais toujours d’actualité, selon quoi il s’agirait de s’embarquer avec des péquins peu fréquentables, qui ne sentiraient pas très bon et, surtout, mal vus des bons milieux et des officines autorisées. On connaît la chanson. On a vu de telles préventions, de telles coquetteries à l’œuvre voilà peu encore.

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Franchir le Rubicon, cela s’effectue à différents niveaux. Le plus élevé avec De Gaulle qui, en juin 1940, claque la porte du gouvernement de la défaite et s’embarque pour Londres. À un niveau un tantinet moins noble, Mitterrand lui aussi se paie son Rubicon en s’alliant avec les communistes pour le programme dit commun, les communistes pourtant toujours quelque peu empuantis des miasmes d’un stalinisme aboli certes en surface, mais encore rampant au sein d’une vieille garde rouge à la nostalgie tenace.

Le Rubicon, il y a celui que vient de franchir Éric Ciotti, avec son UDR à réminiscence gaullienne sinon gaulliste. L’Union des Droites. Comme il y eut, donc, en son temps, l’Union de la Gauche, autobus à ramassage large avec, pour Mitterrand, terminus à l’Élysée. Bien joué, jadis. Bien joué, aujourd’hui ? L’avenir nous le dira.

D’ores et déjà, on peut supposer que, dans le sillage que le toujours président LR aura laissé derrière lui en se jetant à l’eau, ceux que rebutaient encore, indisposaient, effarouchaient, tout à la fois l’historique et la référence Le Pen du RN, pourraient bien lâcher prise et rejoindre le mouvement. Si tel est le cas, il risque d’y avoir avant peu une notable affluence sur l’autre rive et on pourrait bien voir se former dans la foulée un cortège non négligeable pour la marche sur Rome qui nous attend à l’horizon 2027.

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Le livre d’Aurélien Bellanger mérite-t-il vraiment de tels cris d’orfraie?

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Le romancier Aurélien Bellanger. DR.

Dans son roman de la rentrée, décrié pour ses thèses islamo-gauchistes ou ses dénonciations un peu calomnieuses, il y a tout de même du bon à prendre…


Avec Les derniers jours du Parti socialiste (Seuil), Aurélien Bellanger évite de faire de la rentrée littéraire une petite chose tout à fait à l’abri de l’ambiance politique du moment. Si certains ont voulu y voir un tract islamo-gauchiste, le roman a le mérite de proposer une fresque de la vie politico-médiatico-intellectuelle française des vingt dernières années, du 11 septembre à nos jours, stimulante bien que discutable.

Règlements de comptes

Tout ne respire pas la grandeur d’âme dans les choix d’Aurélien Bellanger. Il y a parfois un parfum de règlements de comptes. À la manière de Gérard Fauré, cet ancien bandit qui passe régulièrement sur les plateaux TV pour révéler les supposés vices de telle personnalité qui vient de disparaître, l’écrivain n’hésite pas à faire parler les morts, à leur prêter des intentions fascistes. Laurent Bouvet, décédé en décembre 2021, est le personnage principal du livre, où il figure sous le nom de Grémond. Il y est dépeint comme l’imam caché d’un laïcisme radical qui aurait étendu sa pieuvre au fil des décennies. Tout a commencé par le constat des petits arrangements de terrain faits avec l’islam à la fin des années 90, notamment dans sa ville de Créteil. Cela a abouti à la fondation du Printemps républicain, rebaptisé Mouvement du 9 décembre dans le livre. Les morts ne bronchent pas beaucoup, on peut leur faire dire et lire ce qu’on veut, par exemple leur prêter une passion pour la biographie de Charles Maurras, a priori pas très compatible avec la condition d’apparatchik du Parti socialiste. Le genre romanesque offre des facilités tactiques, et permet à l’auteur d’écrire des choses à demi vraies, d’autres totalement fausses, le tout sous le refuge de pseudonymes et de périphrases très transparentes. À l’instar de la lettre hebdomadaire de M. de Rastignac publiée dans Valeurs actuelles, il y a un plaisir pour le lecteur, il faut bien l’admettre, à repérer les indices pour deviner quel personnage contemporain l’auteur est en train de dépeindre… Celui-ci apparait d’ailleurs lui-même sous les traits d’un écrivain pas dénué d’une vanité ridicule, quittant un débat sur France Inter en larmes et en courant, puis fantasmant l’assassinat du président Macron lors de l’une de ses visites élyséennes, ou narrant carrément… son propre assassinat. Assez grotesque… L’autodérision permettra de pardonner beaucoup de petites vilénies.

N’est pas Houellebecq qui veut

Aurélien Bellanger avait dédié un essai à Houellebecq et s’est longtemps réclamé d’icelui, avant de prendre des distances – principalement pour des questions politiques. Non sans reconnaitre, au micro du Figaro, que l’auteur des Particules élémentaires était un romancier plus efficace que lui. Aurélien Bellanger a repris une bonne partie du non-style houellebecquien. L’aménagement du territoire ressemblait à une compilation de manuels de CAPES de géo, agrémentée de combines au sein des sociétés secrètes mayennaises. Les derniers jours du Parti socialiste donnent l’effet de fiches Wikipédia passées au mixeur. Sur le fond, le roman est l’antithèse de Soumission. Dans le livre sorti en 2015, Houellebecq imaginait la victoire d’un candidat musulman (relativement) modéré permise par une magouille des vieux partis politiques français résolus à barrer la route au Front National. Bellanger imagine à peu près l’inverse : le raidissement de toute une gauche intellectuelle commencée avec le 11 septembre, poursuivie avec l’affaire des caricatures et les dramatiques attentats, et qui débouche, dans l’imagination de Bellanger, sur une pure et simple interdiction de l’islam en France !

Le grand effacement

La grande absente de ce roman, c’est la droite, et plus encore la droite de la droite. Si Marine Le Pen devait attaquer notre auteur en justice, ce serait bien pour l’avoir fait complètement disparaître du récit des vingt dernières années. À lire Aurélien Bellanger, la droitisation du pays serait née à gauche, de la défense d’un laïcisme intransigeant ! Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Michel Onfray (qui, engagé dans la course à la présidentielle, se transforme en véritable Eric Zemmour, à la manière d’un bœuf qui se transformerait en grenouille, c’est tout de même assez drôle), Philippe Val, les saltimbanques de Charlie Hebdo, tous ont cédé aux (supposées) paniques morales. Et au-dessus d’eux, toujours, Laurent Bouvet, alias Grémond, turbo-chevènementiste nerveux… Dans la vraie vie, Laurent Bouvet fut un universitaire, membre du PS, à qui le parti avait refusé une investiture aux législatives de 2002. Dans le roman, il est le grand manitou du Parti, et fait et défait les carrières depuis son bureau aux affaires laïques puis devient le ventriloque du candidat Hollande en 2012. Quant au Printemps républicain, si dans la vie réelle, il n’a pas reçu la moindre investiture macronienne aux législatives (ni en 2017, ni en 2022), dans le roman, il prend les traits d’une sorte de charbonnerie de hauts-fonctionnaires assez tentaculaire (presque le pendant des Frères musulmans, aux ramifications tout aussi souterraines), qui aurait abattu de l’intérieur le Parti socialiste. On se met à plisser des yeux et l’on se dit : « Si seulement tout cela avait été vrai ».

Aurélien Bellanger continue sa promenade dans les sociétés secrètes et les profondeurs de l’État. Son ouvrage est-il un tract LFI ? Certes, le livre s’en prend au camp laïc. On entend cependant çà et là quelques critiques adressées, à une nouvelle gauche, très gender studies, très américaine, à la fois puritaine et progressiste, adoratrice du hijab et des transitions de genre. Le roman a donc au moins le mérite de chercher à « définir l’esprit d’une époque ».

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Julius Malema, l’insoumission qui fait un flop

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Julius Malema, leader des "Economic Freedom Fighters", Midrand, Afrique du Sud, 1 juin 2024 © Themba Hadebe/AP/SIPA

Le Mélenchon sud-africain promet de régler leur compte aux Afrikaners, rêve d’une Afrique du Sud toute noire et d’un poste de Premier ministre. Mais il n’a réuni que 9,5% des voix aux dernières législatives, un score très en dessous de ses attentes. Pour autant, tout est-il perdu ? Pas sûr, car nous lui proposons un bel avenir…


Il est la hantise des Blancs d’Afrique du Sud, l’homme qui promet d’exproprier sans indemnisation les fermiers Afrikaners et qui fait chanter dans ses meetings « tuez les Boers ».  Souvent flanqué de son béret rouge, Julius Malema préside le parti d’extrême gauche « Economic freedom fighters ». Limogé de l’ANC pour des affaires de corruption et pour ses positions trop radicales, l’insoumis sud-africain pourfend notamment « la mafia Stellenbosch », ces grands vignobles situés près du Cap qui appartiennent à une poignée de milliardaires. Selon lui, cette concentration du capital sud-africain incarnerait le monopole du pouvoir économique par les Blancs.

« Si Malema passe, nous ne survivrons pas »

Pour renverser la table, l’homme propose de nationaliser les mines et a déjà déclaré ne pas s’interdire d’avoir recours à la violence pour imposer sa feuille de route. En matière de politique étrangère, il pourfend régulièrement  « l’impérialisme sioniste » et, plus cocasse, a déclaré souhaiter venir en aide militairement à la Russie pour envahir l’Ukraine. Imprévisible, il ne s’était pas prononcé contre la vaccination lors de la pandémie de Covid-19 mais avait même organisé, au grand dam de ses fans antivaxs, des manifestations pour réclamer des vaccins russes et chinois.

Reste que dans un pays où 45% des 15-34 ans sont au chômage et où plus de trente ans après la fin de l’apartheid, seulement 30% des entreprises appartiennent à des Noirs, un boulevard s’offre à Julius Malema au point que ces dernières années, celui-ci est pris au sérieux. « Si Malema passe, nous ne survivrons pas », a déclaré avant les législatives Carel Boshoff, maire d’Orania, une enclave afrikaner qu’avaient visitée Nelson Mandela puis Jacob Zuma. Malema, lui, a promis d’en faire une ville noire s’il prenait le pouvoir. Seulement lors des élections législatives du mois de juillet, ça ne s’est pas passé exactement comme ça : Julius Malema et ses « combattants » rouges sont arrivés en quatrième position avec 9,5 % des voix, loin derrière l’ANC (40%), et derrière son ennemi juré, l’ancien président Jacob Zuma (13,5%).

 « Malema est fou »

9,5% c’est pas mal, mais pas suffisamment pour être Premier ministre, place à laquelle a prétendu Malema ces derniers mois. Il semble que ses outrances à répétition ne paient pas. Sans doute parce qu’avant d’aller aider Poutine à bombarder l’Ukraine, les Noirs sud-africains aimeraient manger tous à leur faim et boucler correctement leurs fins de mois. Sans doute parce que quand ils voient les millions de Zimbabwéens affluer dans leur pays, ils savent que l’expulsion sans préavis des fermiers Blancs – comme ça a été le cas au Zimbabwe sous la présidence de Robert Mugabe – ne marche pas. Tout est-il perdu pour Julius Malema ? Peut-être pas… Cher Julius, il y a en France un homme qui rêve aussi d’être Premier Ministre, cet homme s’appelle Jean-Luc Mélenchon. Comme vous, il parle de Grand Soir et porte volontiers du rouge – enfin, c’est sa cravate qui est rouge, c’est plus timide que votre béret et votre chemise rouge, certes, mais vous pourrez le convaincre de franchir le pas…

« Malema est fou », m’a assuré il y a peu une jeune femme Noire à Johannesburg. Ce n’est pas très sympa pour vous, mais c’est à peu près ce que pense une bonne partie des Français de Mélenchon. Comme vous, ses outrances fatiguent, au point que même une frange de son parti rêve de s’en débarrasser.

Deux femmes noires tuées par des fermiers blancs

Dans son parti, on rencontre des personnages haut-en-couleur. Louis Boyard, par exemple. Quand vous lui raconterez votre enfance en guenilles dans le township de Seshego, là où il y a encore des coupures d’eau, il vous parlera de son enfance difficile en Vendée, à deux pas du Puy-du-Fou de Philippe de Villiers. Quand vous lui direz que vous avez été élevé par votre grand-mère après que votre mère, femme de ménage, soit morte, il vous répondra que son père était cadre ferroviaire et qu’il a dû le suivre dans ses déménagements jusqu’à Amiens, le pauvre. Quand vous lui direz que vous avez commencé à chanter les slogans de l’ANC à l’âge de neuf ans, il vous répondra, la larme à l’œil, qu’il était obligé de vendre du shit dans sa vie étudiante pour se payer des pots de Nutella.

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Ça ne s’arrête pas là, il y a aussi Danièle Obono. Fille d’un banquier et politicien gabonais, elle a été obligée de venir s’installer dans ce pays raciste qui s’appelle la France. Vous lui direz que le 17 août, dans votre pays, des fermiers blancs ont tué deux femmes noires avant de les offrir en pâture à ses cochons. Elle vous répondra que c’est bien triste mais qu’en France ce n’est guère mieux, avec ces regards en biais quand elle va au Monoprix en bas de chez elle, dans le XVIIème arrondissement parisien. Le racisme structurel, Julius, le vrai, quasiment l’apartheid…

Armer le Hamas…

L’année dernière, quand Elon Musk a dit qu’il y avait un « génocide des Afrikaners » en cours en Afrique du Sud, vous lui avez rétorqué qu’il « racontait de la merde ». Votre sortie a eu un certain écho dans le monde mais attention, la France Insoumise vous concurrence en matière de vulgarité. Il y a par exemple le député Jean-Philippe Nilor, qui a qualifié un député noir de « Nègre de maison » l’année dernière. Il y a un aussi un député nommé David Guiraud qui, comme vous, est fan de Gaza, et qui a traité un député juif de porc.

La France Insoumise compte de fervents soutiens de Gaza, un soutien qui va souvent jusqu’à l’obsession. L’eurodéputée Rima Hassan tweete nuit et jour sur Gaza et s’est rendue à une manifestation en Jordanie où l’on criait « Allez, allez le Hamas ! ». Ça ne devrait pas vous déplaire, vous qui avez promis d’armer le Hamas si jamais votre parti prenait le pouvoir. Quand on voit le nombre de gens qui font la manche dans votre pays, vous ne manquez pas d’air à prétendre sauver Gaza… mais vous n’êtes pas seul, les Insoumis font la même chose chez nous.

Aux élections législatives anticipées, les Insoumis ont gagné 84 sièges sur 577. C’est quand même un peu mieux que vos 39 sièges sur 400. Alors vous qui rêvez d’être Premier Ministre, si jamais les choses n’allaient pas au mieux pour la suite de votre carrière, sachez que la France Insoumise pourrait vous réserver un bel avenir…

Pavel Durov: une affaire « extra » judiciaire

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Pavel Dourov photographié en 2017 à Jakarta, Indonésie © Tatan Syuflana/AP/SIPA

Le milliardaire a été interpellé le 24 août au Bourget. Il ne peut quitter le territoire national, où il fait l’objet d’une enquête judiciaire pour complicité et négligences concernant son service Telegram, lequel faciliterait la réalisation de crimes graves. L’affaire est un véritable défi pour la justice française, qui doit affirmer sa souveraineté dans un dossier qui gêne autant des puissances étrangères hostiles que les grands patrons de la tech qui estiment que les frontières des Etats ne les concernent plus.


Né le 10 octobre 1984 à Léningrad en URSS, Pavel Durov a longtemps été surnommé « le Mark Zuckerberg russe ». Issu de la nomenklatura intellectuelle soviétique, Pavel est le cadet d’une fratrie de trois garçons qui ont vécu quelques années expatriés en Italie, où leur père professeur d’histoire romaine et leur mère journaliste vivaient. Son aîné Nikolaï est un cryptologue de génie qui a gagné à trois reprises les Olympiades internationales de mathématiques dans les années 1990, avant d’aider son frère Pavel à développer le réseau social Vkontakte puis à créer le service de messagerie Telegram. Voilà pour le contexte ayant présidé à l’ascension de ce personnage romanesque que la justice française vient de mettre en examen. Désormais placé sous contrôle judiciaire, le milliardaire et nomade de luxe russe ne peut plus quitter le territoire français.

Une différence culturelle dans l’appréhension de l’appareil judiciaire

Complexe, mystérieuse, et soumise à une tension géopolitique digne des grandes heures de la Guerre froide, cette affaire judiciaire se trouve au croisement de multiples phénomènes contemporains. Se définissant lui-même comme proche du courant philosophique libertarien, en vogue aux Etats-Unis mais aussi chez les oligarques russes de la deuxième génération, Pavel Durov s’est souvent décrit comme un être postmoderne, totalement affranchi des problématiques nationales classiques voire même des règles qui régissent le lot commun de l’humanité. Ainsi, il affirme avoir enfanté une centaine d’enfants en donnant son sperme, a eu recours à de nombreuses opérations de chirurgie esthétique pour obtenir le physique de ses rêves proche du personnage de Néo dans Matrix, possède les nationalités de quatre pays dont la France où il se nomme Paul du Rove, nous y reviendrons, ou bien encore juge que les “souverainetés matérielles” sont obsolètes.

C’est peut-être d’ailleurs ce qui a poussé Pavel Durov à commettre quelques erreurs. Lorsque son jet privé a débarqué au Bourget en provenance de Bakou, où il avait tenté sans succès de demander un rendez-vous privé au président Vladimir Poutine qui s’y trouvait aussi, Durov a affiché sa surprise en se faisant arrêter. Le Canard Enchainé a notamment rapporté que ce dernier aurait affirmé aux enquêteurs avoir un dîner prévu avec Emmanuel Macron, raison de sa visite parisienne en compagnie de sa petite-amie instagrammeuse et « coach en crypto ». Bien évidemment, le président de la République a nié. Et quand bien même la chose aurait-t-elle été exacte qu’elle n’aurait absolument rien changé au sort du jeune homme… Cette différence culturelle dans l’appréciation du fait judiciaire explique aussi pour une bonne part les réactions de l’intelligentsia mondialisée à l’annonce de la garde à vue du créateur de Telegram.

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En Russie, il est sûrement suffisant de connaître le président Poutine pour éviter une mise en examen. Mais en France, depuis Montesquieu, nous avons théorisé la séparation des pouvoirs. La pratique est certes parfois imparfaite, mais la justice est un pouvoir indépendant et séparé des autres. La procureure de la République en charge du dossier Telegram n’a pas agi sur ordre. Elle a pris la décision qu’elle estimait la plus utile à l’accomplissement de son travail. Laure Beccuau est une femme déterminée à lutter contre les mafias transnationales. Emis le 26 août, le communiqué de presse du parquet de Paris est clair, indiquant que la garde à vue de Monsieur Durov était intervenue « dans le cadre, d’une information judiciaire ouverte, le 8 juillet 2024, à la suite d’une enquête préliminaire d’initiative diligentée par la section J3 (lutte contre la cybercriminalité – JUNALCO) du parquet de Paris ». Il énumère ensuite les faits reprochés à Monsieur Durov, dont ressort notamment le « refus de communiquer sur demande des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi ».

Ce n’est pas la première fois que des plateformes numériques sont visées par des enquêtes judiciaires et critiquées pour leur manque de collaboration avec les autorités dans le cadre d’affaires criminelles. Le paradoxe étant qu’elles sont aussi critiquées pour leur manque de protection des données personnelles de leurs utilisateurs, mais aussi parce qu’elles sont sujettes à des manipulations visant à désinformer les opinions publiques. En 2018, Mark Zuckerberg était auditionné dans ce cadre par le Sénat américain, l’affaire Cambridge Analytics ayant eu un retentissement particulier. Telegram et Durov sont d’une autre nature. Ici, la justice française reproche à Pavel Durov de ne pas répondre aux sollicitations lors d’affaires criminelles et de contrevenir à la lutte contre les groupes criminels transnationaux. Lors de sa prise de fonction en tant que procureure de la République, Madame Beccuau avait d’ailleurs prévenu dans un entretien accordé au Monde : « La lutte contre la haute criminalité organisée est un défi actuel, un défi majeur. Aujourd’hui, le niveau de menace est tel que l’on détecte des risque de déstabilisation de notre Etat de droit, de notre modèle économique, mais également de nos entreprises, à un niveau stratégique majeur. »

« Free Pavel Durov »

Il faudra à Madame Beccuau faire montre d’un sacré caractère lors des prochains mois tant les pressions qu’elle subira seront fortes. Car, cette affaire dépasse le cadre français. Elle est internationale. La France a pris une décision souveraine, par le biais de sa justice, contre le patron d’une entreprise qui est par principe extra-territoriale. Les nouvelles compagnies des Indes que sont les Gafam et leurs homologues chinois ou russes sont des territoires dématérialisés qui s’affranchissent des règles des Etats et ont un fonctionnement mondialisé. Leur logique même s’oppose à notre conception classique du droit. Elles rejoignent en ce sens le rêve du fondateur de PayPal Peter Thiel. Ancien associé d’Elon Musk et proche de J.D. Vance, colistier de Trump, ce milliardaire rêve de fonder une île futuriste appelée Seasteading, sorte de colonie flottante hors des eaux territoriales en franchise de droit et d’impôts, d’où il pourrait bâtir une humanité nouvelle. Dit comme ça, on se croirait dans un James Bond ou face à Lex Luthor, mais il y a aussi une forme de socialisme utopique paradoxale dans ce libertarianisme, semblable à ce que Thomas More prévoyait pour son île Utopie. Pour l’heure, les futurs « citoyens actionnaires » restent des citoyens de nations constituées.

N’en déplaise à la Russie, qui a un temps caressé le rêve de contrôler Telegram, et qui a sans aucun doute suffisamment de garanties contre Durov pour le tenir, le milliardaire russe est bien un citoyen français. Il a obtenu notre nationalité grâce à un dispositif spécifique créé par un certain Jean-Luc Mélenchon, en tant qu’étranger émérite. Emmanuel Macron n’a pas nié ni regretté de lui avoir donné un passeport français en 2021. Pour cette raison, M. Durov ne jouira pas de la protection consulaire ou de l’assistance russes. Il sera soumis aux mêmes règles que tous les autres Français. Sa chance, c’est qu’il est dans un Etat de droit. Libre, il ne fera pas de détention préventive et n’aura pour obligation que de rester sur le territoire français et de se présenter deux fois par semaine au commissariat. La remise d’un cautionnement de 5 millions d’euros ne devrait pas poser de difficultés à un homme aussi fortuné.

La vraie question qui doit le tourmenter est bien celle de la fin d’un modèle. Le patron de Telegram envisageait une entrée en bourse dans les prochains mois où son entreprise serait évaluée à 30 milliards de dollars… Le scandale et la révélation de failles pourraient freiner quelque peu les ardeurs des potentiels actionnaires. Il faut d’ailleurs savoir que Telegram perd chaque année 170 millions de dollars, son intérêt économique étant surtout lié aux transactions de cryptomonnaies qui ont enrichi son fondateur et ses proches. Les enjeux sont donc colossaux. Ils inquiètent de nombreux investisseurs et patrons d’entreprises du même genre. Elon Musk a notamment créé le hashtag #Freepavel sur son réseau X / Twitter. Le patron de Proton Mail, Andy Yen, a aussi protesté, indiquant que cette arrestation était « un suicide politique », tout comme le programmateur et militant du logiciel libre Richard Stallman qui a dénoncé une tentative visant à éradiquer « le chiffrement de bout en bout ». Kim Dotcom, qui a aussi subi l’ire de la justice dans l’affaire MegaUpload, et qui affiche souvent ses vues pro-Kremlin, y a été de son couplet. Tous ces gens n’ont pas demandé la libération de Mademoiselle Khavana, Russo-américaine condamnée à 12 ans de prison en Russie pour avoir fait un don de 50 dollars à l’Ukraine. Passons.

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Avec la montée en puissance de géants d’Internet dont le pouvoir dépasse celui d’Etats, il est vrai que les questions de liberté d’expression et de respect de la vie privée des individus se posent avec une terrible acuité. Mais ne sont-ce pas aussi ces entreprises qui ont posé des millions de caméras dans tous les foyers avec la complicité des utilisateurs passifs ? Un milliardaire ne devrait pas être soumis à la justice sous prétexte qu’il fournit un excellent service ? On l’a oublié mais en 2015, Pavel Durov avait réagi aux attentats du 13 novembre en déclarant que le gouvernement français était « responsable des attentats au même titre que Daech » et qu’il prenait « l’argent des Français qui travaillent dur via des taxes horriblement élevées pour les dépenser en menant des guerres inutiles au Moyen-Orient et créer un paradis social parasitique pour les immigrés d’Afrique du Nord ». Une phrase qui illustre bien le paradoxe contemporain. En partie fausse, elle n’en recèle pas moins sa part de vérité. On notera que la déclaration n’avait semble-t-il pas heurté Emmanuel Macron, mais aussi que Durov avait revu son jugement…

Un dossier grandement géopolitique

Dossier d’abord judiciaire, l’affaire Durov a néanmoins un arrière-plan éminemment géopolitique. D’abord vis-à-vis du partenaire émirati, dont Durov est aussi un ressortissant. Dubaï a affiché son agacement. La Russie aussi. Pourtant, les relations entre ce dernier et le Kremlin n’ont pas toujours été un fleuve tranquille. En 2014, Durov avait quitté la Russie et vertement critiqué son pays d’origine dans un pamphlet intitulé « Sept bonnes raisons de quitter la Russie ». Quatre ans plus tard, il a été à l’origine de manifestations de soutiens à Telegram, qui ont duré de 2018 à 2020, moment où le service était « bloqué » par les autorités russes. Les choses sont toutefois ambigües… Bien des experts estiment que l’opposition a été surjouée, que Durov aurait été « retourné » mais aussi utilisé puisque son service joue un rôle majeur dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie. La fin du blocage de Telegram a d’ailleurs fait apparaitre des rumeurs étranges en Russie, où Pavel Durov a été accusé de négocier des accords secrets avec le Kremlin.

Son arrestation a en tout cas permis au pouvoir russe de montrer tout son savoir-faire dans sa propagande contre la France et de dénoncer « la dictature libérale française », générant une campagne d’influence et de désinformation majeure sur les réseaux sociaux. Elle a aussi inquiété grandement le Kremlin qui a immédiatement demandé aux membres du gouvernement d’arrêter d’utiliser Telegram, jugeant sa sécurité compromise par les « services secrets français ». Services secrets auxquels Durov a fait référence devant les enquêteurs, affirmant même dans son style bravache « pouvoir révéler des informations classées secret défense »… Pour l’heure, Telegram n’est absolument pas menacé. Son utilisation est possible en France comme ailleurs, n’apportant d’ailleurs pas une grande plus-value chez nous par rapport à WhatsApp. Seul son patron est visé par une enquête. La France estime que la lutte contre les groupes criminels transnationaux doit être totale et que Telegram doit servir d’exemple comme cela fut le cas avec Sky CEE ou Silk Road. La suite s’annonce passionnante.

Rentrée littéraire: mon ticket gagnant

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Les écrivains Philibert Humm et Jean-Pierre Montal © Photos Éditions des Équateurs / François Grivelet.

Notre chroniqueur du dimanche a choisi deux romanciers, Philibert Humm et Jean-Pierre Montal, dans cette rentrée littéraire 2024. Il nous dit pourquoi il faut absolument les lire parmi le demi-millier de nouveautés à l’abordage des librairies ce mois-ci. Il espère même que des jurys sérieux et libres, donc indépendants, se pencheront sérieusement sur leur cas…


Chers lecteurs, en ce premier dimanche de septembre, où la mélancolie de la plage et du bikini n’empêche pas la peur du retour au bureau, j’ai choisi d’élever le débat, de me porter au-dessus des parties. D’habitude, les littérateurs pointilleux résument, compactent, bachotent les nouveautés de la rentrée sous forme de fiches synthétiques. Ils sont restés des élèves appliqués. Je ne serai pas votre professeur de récitation. Nous avons passé l’âge des antisèches et des interros « surprise ». Et j’ai toujours préféré les diplômés du dernier rang aux premiers de la classe. Je ne vous parlerai donc pas du sujet propre de leur roman, je n’irai pas jusqu’à dire que leur histoire est anecdotique mais enfin ce qui nous intéresse, ici, c’est le style, le tour de main, le ressac des mots au creux de la nuit, la lente infiltration de la voix d’un auteur dans les veines du lecteur, le sentiment de plénitude quand la page est ronde comme un ballon et qu’on se dit, mon salop, tu l’as fait. Je ne connais rien de plus exaltant et d’abyssal qu’une page bien balancée comme le cul à la dérive d’une arpenteuse du sexe sur le Malecón à la fin de l’été. Que leur roman soit d’essence prophétique, romantique, d’initiation ou d’anticipation, peu importe ; que l’action se passe à Trafalgar ou à Villandry, dans le marais poitevin ou en Pennsylvanie, cette question d’orientation ou d’ensoleillement n’est qu’un mirage pour les bêtes à concours ; je vais essayer, par analogie et tâtonnement de définir quel genre d’écrivains ils sont et pourquoi je vous conseille de les lire dans l’embouteillage de cette rentrée.

Loin des hordes furieuses du moment

D’abord, ils écrivent dans un français de bonne tenue, ni trop élitiste, ni trop relâché, d’obédience classique, rassurante en somme. Ils écrivent court et détaché. En outre, ils n’abordent aucun des thèmes sociétaux à la mode qui électrisent les chaînes d’info. Ils sont hors des modes, hors des hordes furieuses, hors des plâtrées existentialistes, hors des clous. Ils ne veulent rien prouver. Je vous le dis, ce sont des Saints apolitiques. Tout de même, ne les prenez pas pour des bleubites, ils sont rusés, ce sont des bisons futés de l’évitement, ils touchent à l’essentiel, c’est-à-dire à la trahison, à la mort, au courage, au pardon, au ridicule et à la transcendance par des voies de délestage. On les lit par gourmandise dans un premier élan, chacun dans leur registre très différent, et on finit par communier avec leur « philosophie » du désespoir qu’il soit riant ou titubant, pénétrant ou évanescent. Que je les qualifie de « philosophes », ils s’en amuseront, ils trouveront que, comme d’habitude, j’exagère, j’extrapole, je me laisse emporter par le fracas des mots. C’est justement parce qu’ils n’ont rien des postures actuelles des écrivains épinglés, gémissements et pleurnicheries, l’égotisme pathologique à gueule de « gourou » et la victimisation par contumace, qu’ils s’inscrivent dans une autre littérature, parallèle, assez audacieuse ou folle, pour éviter les déballages indigents à l’heure du JT. Ils n’instrumentalisent pas leur lecteur. Ils ont de la tenue. Ça vaut tout l’or du monde.

Deux vrais écrivains

On se refilera bientôt leurs deux noms comme on consent à donner l’adresse d’un mécano capable de régler l’injection tempétueuse de sa Peugeot 404 à un collectionneur dans l’embarras. Le plus âgé des deux, né en 1971 à Saint-Etienne, est un stoïcien caustique ; il est peut-être le grand conteur du couple, un disciple de Jean Freustié avec quelques traces de Jacques Laurent pour son goût des sous-ensembles flous. Il travaille beaucoup sur la structure, l’imbrication, la bétonnisation des sentiments et leur construction chimérique. Il est un habile architecte du désordre amoureux qui puise souvent sa trame dans le cinéma, il se nourrit des désillusions et les transforme en art. C’est la mission cardinale que l’on est en droit d’exiger d’un écrivain. Et Jean-Pierre Montal est un vrai écrivain. Il serait plutôt anglais par son côté désenchanté, et aussi éminemment russe par son attrait de l’apocalypse. Avec La face nord aux éditions Séguier, il est un Truffaut qui aurait perdu sa boussole intérieure, il nous invite à un voyage aux confins du réel et des souvenirs, dans l’entrelacs des brumes. Philibert Humm est une autre sorte d’apprenti-voyageur, un baladin qui feint la farce pour mieux nous ensorceler. Méfiez-vous des écrivains drôles, ce sont les plus désarmants ! Son Roman de gare qui paraît aux Équateurs, après l’obtention du Prix Interallié pour Roman fleuve en 2022, est une nouvelle variation des aventuriers à la recherche de la caténaire perdue. Ce Modiano du ballast excelle dans la comédie de mœurs et il en faut du génie pour immortaliser des bras cassés de classe internationale. Quand je le lis, et je le lis depuis ses débuts, je sais son amour pour les déambulations bistrotières et son attachement sincère pour les « gens de peu », je suis ému. Les ratés sont notre miroir et aussi notre source de jouvence. Je ris à la débandade généralisée de ses anti-héros et je suis touché en plein cœur par la fable des éclopés de la vie. Il y a du Calet en lui, sans misérabilisme, sans pompe sacerdotale, sans suintement. L’émotion arrive dans l’irruption du quotidien, du ménager, du patraque, par accident pour donner à cette littérature plus ambitieuse qu’il n’y paraît, les atours d’un nirvana mi-poétique, mi-cabossé. Ce Blaise Cendrars tendance Jean Carmet suit en cela les traces d’un Fallet homérique. Voilà mes deux poulains sur qui je fonde de grands espoirs. Rendez-vous en novembre au moment des proclamations de prix.


La face nord de Jean-Pierre Montal – Séguier 160 pages

La Face nord - Prix des Deux Magots 2024 - roman rentrée littéraire 2024

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Roman de gare de Philibert Humm – Équateurs 224 pages

Roman de gare

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Les intentions sont pures, mais…

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Arienne Mandi dans "Tatami" (2024), film de Guy Nattiv et Zar Amir © Metropolitan Films

Ce thriller sportif, qui raconte l’histoire d’une judokate iranienne contrainte d’abandonner une compétition pour éviter une possible confrontation avec une athlète israélienne, est hélas un peu prévisible…


À Tbilissi, capitale de la Géorgie, la judoka iranienne Leila Hosseini (Arienne Mandi) affronte ses adversaires féminines dans l’ultime tournoi international pour les championnats du monde de judo. Son mari et ses proches, depuis Téhéran, se serrent dans leur appartement pour suivre de loin les compétitions devant leur petit écran. La sportive de haut niveau est cornaquée par son coach, Maryam (campée par Zar Amir, la coréalisatrice du film), l’une comme l’autre coiffées du hijab, comme il se doit, sous la surveillance des sbires de la République islamiste. Leila va-t-elle ramener la première médaille d’or de l’Iran ?

Perdre la face devant une Juive ?

Mais voilà, le risque est grand que Leila, parvenue en finale, doive se battre contre une judoka native du Grand Satan : Israël. La police du régime s’active donc pour convaincre Leila de simuler la blessure qui l’empêchera de compétir contre l’athlète de la nation maudite. Perdre la face devant une Juive ? No way. La pression s’appesantit donc sur la famille restée au pays pour faire céder Leila. Pour échapper in extremis à l’arrestation, son mari s’enfuit, leur enfant dans ses bras; les services balancent à Leila, sur son smartphone qui n’arrête pas de sonner, les images de son propre père violenté…  La menace pèse également sur l’entraîneuse, Maryan, et sur les siens, laquelle, également harcelée au téléphone par les ogres des mollahs, se sait piégée. Elle commence par implorer Leila de renoncer. Jusqu’à se colleter physiquement avec elle, sous le regard des organisateurs (anglophones) de la compétition, attentifs quoiqu’il en soit au strict respect du règlement sportif par toutes les puissances engagées dans la compétition. Rage de Leila, atermoiements de Maryan… Jusqu’au combat final, qui réconcilie les deux courageuses jeunes femmes dans leur lutte commune pour la liberté. Avec l’appui des autorités locales, l’exil, au bout du compte, sera leur échappatoire.  

Pas de surprise

Le choix du noir et blanc n’est pas anodin : le blanc, couleur du kimono de Leila, s’oppose au noir des barbus et des tchadors, selon un parti pris esthétique « auteuriste » appuyé, qui s’adosse à la coopération professionnelle entre Guy Nattiv (le réalisateur des Nuits de Mashhad en 2022, film célébré à juste titre), et Zar Amir qui y fut l’actrice principale mais aussi la directrice de casting, et avait à cœur de passer un jour à la réalisation : la voilà donc ici des deux côtés de la caméra. La voix du commentateur survolté qui égrène en off le nom savant des prises de judo (du shimewaza au uchimata…) rend compte de la technique des combats, filmés comme à la télé, en plan serrés, de façon quelque peu répétitive à la longue pour le spectateur ignorant en matière de judo.  


C’est un peu la limite de Tatami : il s’appuie sur un suspense désamorcé par avance, puisqu’on en connaît l’enjeu dès la première minute. La démonstration du caractère criminel de la dictature iranienne n’est plus à faire ; et comme la cause est entendue, le film paraît lui-même emprunter aux outils de la propagande pour nous asséner une sentence qui va de soi, contre un régime parfaitement haïssable – et haï, comme l’on sait, par la grande majorité des Iraniens eux-mêmes. Dès lors, Tatami déroule son tapis noir et blanc sans vrai motif de surprise.   

Tatami. Film de Guy Nattiv et Zar Amir. Avec Arienne Mandi, Zar Amir. Georgie / Etats-Unis, noir et blanc, 2023. Durée : 1h43.

Geoff Dyer, ou le retour de la chronique littéraire

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L'écrivain britannique Geoff Dyer publie "Les Derniers jours de Roger Federer. Et autres manières de finir" © SAEZ PASCAL/SIPAUSA/SIPA

Avec un charme tout britannique, Geoff Dyer évoque dans son dernier livre la mort qui approche à travers les écrivains, philosophes, peintres ou sportifs qui l’ont inspiré.


Ce qu’il y a de plaisant avec le genre de la chronique littéraire, lorsqu’elle est servie dans les règles de l’art, c’est qu’elle se lit avec un plaisir bien spécifique. Il n’est pas donné à tous les écrivains d’avoir le talent d’en écrire, ni d’ailleurs à tout lecteur d’en apprécier la saveur peu banale. Il y a dans ce genre à haut risque une forme de dandysme, qui met en avant un moi à la fois vulnérable et fataliste, avec cette pointe d’ironie qui sait rester aérienne. Le chroniqueur littéraire a digéré toutes sortes de références livresques, et jamais il ne les imposera avec brutalité à ses lecteurs. Car il reste toujours dans la nuance et l’entente tacite, pour émouvoir davantage en livrant ses sensations intimes.

La fin, et non pas le commencement

L’ouvrage de Geoff Dyer, Les Derniers jours de Roger Federer (clin d’œil aux Derniers jours d’Emmanuel Kant de Thomas de Quincey, peut-être) paru aux éditions du Sous-Sol, entre à plein dans la catégorie de la chronique littéraire. L’auteur, né au Royaume-Uni en 1958, est aussi romancier et collabore, entre autres, au New York Times et au Guardian, ainsi qu’à des magazines. L’éditeur ne l’indique pas, mais sans doute Dyer reprend-il quelques-unes des chroniques littéraires qu’il a pu donner dans la presse anglo-saxonne. Il a axé son propos sur le thème suivant, précisé dans le sous-titre : « Et autres manières de finir ». En somme, Geoff Dyer a repris la pensée de Qohélet, cet auteur biblique fameux, qui estimait que « mieux vaut la fin d’une chose que son commencement » (7,8). Geoff Dyer va la développer en un peu plus de trois cents pages, au cours desquelles il laissera le champ libre à son art de la digression.

Sur le point de devenir septuagénaire, Dyer essaie de trouver dans la littérature, le cinéma et l’activité sportive, notamment le tennis, des exemples pour illustrer et, peut-être, apaiser son angoisse de la finitude. Comme il l’écrit, commentant son projet : « Il me paraissait important qu’un livre fondé sur ma propre expérience des changements induits par la vieillesse soit terminé avant la retraite de Roger [Federer], à la lueur du long crépuscule de sa carrière. » Il y a une grande mélancolie souterraine dans les observations de Geoff Dyer. Pour lutter contre son désespoir, il s’agrippe à la perspective de quitter cette existence avec élégance, comme un champion qui surmonte une dernière défaite.

L’effondrement de Nietzsche

Geoff Dyer ne parle pas seulement de tennis, dans son livre, même si ce sport reste sa principale passion. En littérature et en philosophie, il nous présente longuement ses auteurs de prédilection. Il évoque Martin Amis, Don DeLillo… Pour les essais, Dyer revient volontiers au continent européen, principalement avec des classiques comme Nietzsche et sa dernière œuvre, Ecce Homo. Ce court, mais essentiel, livre du philosophe allemand fut, on le sait, « rédigé en moins de trois semaines », dans un « équilibre précaire au bord de l’effondrement ». Nous sommes à Turin, ville que Geoff Dyer connaît bien et apprécie particulièrement, et Nietzsche est sur le point de devenir fou, à la vue d’un âne que l’on bat. Face à un événement aussi absolu que la folie de l’auteur d’Ecce Homo, Dyer préconise, avec son goût du paradoxe, de « rendre hommage à la réussite de Nietzsche tout en soulignant son échec monumental, un échec et un ultime revers de fortune tout aussi cataclysmiques que ceux de Van Gogh ».

La disparition des civilisations

Dans un même esprit d’extinction de tout, comme aurait dit Thomas Bernhard, Geoff Dyer s’attarde sur ces périodes de l’histoire où un monde s’achève pour toujours. C’est le cas des Indiens d’Amérique, « au milieu d’un désert sublime et idyllique ». C’est le cas aussi, qui passionne Dyer, du déclenchement si complexe de la guerre de 1914 : « un autre dernier été, celui de 1914, paré d’une gloire éternelle par les ténèbres catastrophiques qui devaient bientôt suivre et éteindre toutes les lumières d’Europe… » D’ailleurs, Dyer me semble avoir raison : comment ne pas être frappé par cette persistance du Mal, qui plonge les sociétés humaines dans le désastre et provoque leur disparition ? Après sa propre disparition, qui obsède Geoff Dyer, celle des civilisations lui inspire des pages très convaincantes.

Il n’y a pas que des constatations aussi dramatiques, dans Les Derniers jours de Roger Federer. Le lecteur rit souvent. Une des plus grandes qualités de Dyer est son humour, tout britannique. Il aime citer la phrase de Nietzsche selon laquelle « l’esprit le plus profond [est] aussi le plus frivole. » Beaucoup de passages sont remplis d’une dérision philosophique au second degré. En s’attachant à décrire ce qui entre en agonie, Dyer rencontre la sympathie de ceux qui, fuyant comme lui l’ennui, tentent encore de se divertir, alors que le Titanic sombre déjà dans l’océan glacé.

Geoff Dyer, Les Derniers jours de Roger Federer. Et autres manières de finir. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Paul Matthieu.Éd. du Sous-sol. 384 pages.

Les Derniers Jours de Roger Federer: Et autres manières de finir

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Thomas de Quincey, Les Derniers jours d’Emmanuel Kant. Traduit de l’anglais et préfacé par Marcel Schwob. Éd. Ombres, 1985.

Les Derniers jours d'Emmanuel Kant

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L’école, de Charybde en Scylla

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Lycéens à Cannes, septembre 2022 © SYSPEO/SIPA

Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli, auteur du best-seller La fabrique du crétin, est de retour dans les librairies avec L’école sous emprise. Il y dénonce nos compromissions face au djihad scolaire, et les agissements de la police des mœurs islamique qui s’est immiscée dans l’école.


En 2006, quand Jean-Paul Brighelli publie Une école sous influence, il veut dénoncer l’entrisme islamique au sein de l’école de la République. Il essaye donc d’alerter les pouvoirs publics sur un phénomène qui inquiète les spécialistes de l’éducation mais ne parait pas interpeller les politiques. Pourtant des ouvrages essentiels sur ces questions ont déjà été publiés. Mais le rapport de Jean-Pierre Obin, inspecteur de l’éducation nationale, sur l’influence des islamistes et de leurs représentations a été enterré sans autre forme de procès par François Fillon, alors ministre de l’Education nationale en 2004. Comme l’avait été en 2002 l’ouvrage de Georges Bensoussan, les Territoires perdus de la République. Or les auteurs y expliquaient déjà que l’offensive islamiste était renforcée par le déni des institutions et des politiques. Les années qui vont suivre verront, au déni, s’ajouter l’ostracisation de ceux qui osent s’attaquer à l’obscurantisme islamiste. Ils seront voués aux gémonies, autrement dit renvoyés à l’extrême-droite et traités de racistes.

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L’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli, bien connu des lecteurs de « Causeur » D.R.

Business as usual

18 ans après, en 2024, Jean-Paul Brighelli fait le point sur ce qui était déjà en gestation en 2006. Force est de constater que le retour sur le terrain ne porte pas à l’optimisme. Le titre donne la couleur. L’école était sous influence des islamistes en 2006, aujourd’hui elle est sous emprise et c’est parti pour durer. Et nos élites administratives et politiques, ont-elles au moins ouverts les yeux durant cette période ? Là aussi le constat est sévère. L’inflation du verbe n’a égal que l’impuissance en termes d’action. Incapables d’autorité, terrorisés à l’idée de déclencher des émeutes, le « pas de vague » est toujours en vigueur rue de Grenelle. Et pourquoi cela changerait-il ? Des professeurs ont été assassinés de façon atroce. Une fois les larmes séchées et les hommages rendus, la vie dans l’Éducation nationale a continué en mode « business as usual ». Il n’y a pas eu un avant et un après Samuel Paty, pas eu un avant et un après Dominique Bernard.

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Jean-Paul Brighelli revient aussi sur ces enfants que le déni des politiques met également en danger, les Mila, les Samara, les Shemseddine… Toutes ces victimes de la violence communautaire où au nom de l’islam, des enfants et des adultes veulent régir le comportement de leur entourage, leur façon de se vêtir, contrôler à qui ils ont le droit de parler et même ce qu’il est licite de dire. La lâcheté des pouvoirs publics est en train de produire à la chaîne des petits talibans qui rétablissent par leur intolérance et leur brutalité, le blasphème, et instaurent une véritable police des mœurs.

Islamo-gauchisme, un cocktail explosif

Dans des chapitres bien troussés, appuyés sur des exemples aussi dramatiques qu’éclairants, l’auteur nous montre un kaléidoscope de situations où l’offensive islamiste est assistée dans sa volonté de destruction de l’idéal laïque par les injonctions wokistes. D’un côté, les élèves et les parents sont invités à imposer leurs valeurs, leurs coutumes et leurs interdits religieux et comportementaux au sein de l’école, détruisant l’idée même qu’il puisse exister un commun où on efface ses particularismes pour partager l’espace public. De l’autre le wokisme fait de toute contrainte, une agression, transforme le rapport du maître à l’élève, en domination et au final jette la suspicion sur la transmission. Le wokisme s’attaque à la République en lui reprochant de n’être pas parfaite et en faisant passer ses imperfections pour une manipulation : ainsi l’égalité serait un mensonge, l’antiracisme aurait servi à perpétuer le privilège blanc et nos libertés seraient illusoires. Le but : faire oublier que nos principes et idéaux ont donné naissance à des sociétés de liberté et de tolérance où l’existence des minorités est protégée et l’émancipation individuelle possible. La situation des femmes est enviable là où l’égalité en droit est affirmée. En revanche là où elle ne l’est pas, comme dans les pays musulmans, ce refus de l’égalité a des conséquences réelles sur le statut de la femme. Le but de wokisme est d’effacer ces réalités et de ne cultiver que le ressentiment : l’idéal républicain n’est pas parfaitement réalisé, donc il ne vaut rien. Et pendant que l’on donne la France à haïr côté woke, les islamistes proposent une identité de substitution : l’appartenance à l’Oumma islamique. Une fois cette logique intégrée, les jeunes deviennent les moines soldats de cette mouvance. Ils le font avec d’autant moins de recul qu’ils ne se posent pas la question des sociétés dont l’islamisme est la matrice et dont Daesh est l’aboutissement. Au bout de la chaine, c’est le savoir qui recule, des héritages que l’on renie et une identité religieuse qui s’affirme au détriment de tout le reste. Or cette identité religieuse est incompatible avec l’idéal républicain. L’islamisme refuse le savoir, l’instruction, l’égalité, la liberté de conscience, de pensée et d’expression. Il se moque des libertés, de l’idéal laïque et même de l’existence d’une dignité humaine partagé par tous les hommes, il ne connait que la soumission à son Dieu et n’a d’autres buts que de l’imposer à tous. Mais ces gens qui gâchent la vie de tant d’autres ne sont forts que de nos renoncements. Jean-Paul Brighelli rappelle que si les islamistes sont puissants, une bonne partie des musulmans n’est pas sous leur contrôle. Faire preuve d’autorité n’est donc qu’une question de courage et de détermination. A voir l’état actuel de notre microcosme politique, en attendre un sursaut revient à attendre Godot. L’espoir en moins.

200 pages.

L'école sous emprise

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