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Et maintenant, quel gouvernement?

Après les piques déplacées adressées lors de la passation de pouvoir par Gabriel Attal jeudi soir, Michel Barnier doit désormais composer une nouvelle équipe pour gouverner la France. Il a déjà choisi son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, lequel s’entend parfaitement avec le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, et travaillait jusqu’alors pour Bruno Le Maire – Matignon assure que contrairement au précédent gouvernement, il n’entend évidemment pas se faire dicter la moindre nomination par le Palais.


On a enfin un Premier ministre : Michel Barnier. Ce n’est pas parce qu’on a échappé à Lucie Castets que les choses vont être simples pour le premier qui va se trouver dans le registre d’une cohabitation qu’on espère respectueuse – pas de doute avec Michel Barnier – mais ferme, avec un président de la République défait qui nous a fait languir au-delà de toute mesure. On nous annonce que les fils ont déjà commencé à être coupés avec Matignon. Tant mieux. Comme les citoyens n’ont pas voix au chapitre pour la composition du gouvernement – un travail d’Hercule mêlé de finesse pour Barnier -, ils ont au moins le droit de dire tout ce qu’il ne faudra pas faire au regard des expériences précédentes. D’abord une adéquation entre les compétences et les fonctions. Ce qui est une évidence. Mais si peu concrétisée quand on songe à beaucoup d’incuries passées. Ensuite ne pas nommer un ministre qui dans sa vie antérieure a été en permanence en opposition, voire plus, avec le milieu dont on s’apprête à lui confier la charge. Il sera sans doute possible par exemple de choisir un ministre de la Justice qui n’a pas détesté la magistrature avant ! Il conviendra par ailleurs – Michel Barnier me rassure tout à fait sur ce plan – de ne pas promouvoir quelqu’un pour « faire un coup », par provocation, par humeur, pour se faire valoir soi, au lieu de songer à l’intérêt de la France. Et de grâce, qu’on ne laisse pas les proches, qui n’y connaissent rien, influencer pour le pire. La catastrophe qui consisterait, après un excellent ministre, à choisir, par incohérence ou légèreté, son contraire à tous points de vue, sera évitée. On ne fait pas suivre un Blanquer par Pap Ndiaye ni Gabriel Attal par Nicole Belloubet !

Ce n’est pas parce qu’ils sont discrets que les ministres sont forcément compétents

De plus il conviendra d’écarter les ambitieux obsessionnels qui n’apporteront aucune valeur ajoutée, sinon leur envie de créer un désordre gouvernemental et la zizanie entre les ministres. Mais le partage sera parfois difficile à effectuer. Prenons l’exemple de Rachida Dati. On ne peut nier son appétence pour le pouvoir, celui qu’elle a ne lui suffisant jamais. Elle a eu tort récemment de donner, elle, des leçons illégitimes et intempestives à Édouard Philippe et à Jean-Michel Blanquer. Mais il n’empêche que malgré sa part d’ombre qui n’est pas mince, elle a étonné dans sa gestion de la culture, la sortant de l’élitisme snobinard pour lui donner une véritable assise populaire détachée du parisianisme. Ministre, elle a été plus forte, avec ses œuvres, que ses manœuvres et ses éclats qui sont la rançon de son éclatante personnalité.

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Il ne faudra pas confondre également les ministres qui ne parlent jamais avec des professionnels qui travailleraient forcément d’arrache-pied ! De la même manière que certains infiniment médiatisés n’ont plus le temps pour autre chose ou ont au contraire une puissance de travail considérable.
Un ministre peut se tromper de bonne foi. Ce n’est pas grave. Cela le devient quand il n’a pas la modestie de le reconnaître. Il doit avoir l’orgueil de sa fonction, jamais de son personnage.

Un gouvernement qui devra mettre fin à la bordelisation du parlement

Ce serait dangereux de projeter dans la lumière des incultes, des grossiers, étrangers à toute courtoisie notamment parlementaire et au respect de tous les députés élus démocratiquement. Ils devront user de la langue française correctement, voire avec aisance. Les questions au gouvernement ne seront plus pour lui ce qu’elles ont été parfois : un exercice de haine et de mépris. Quelle que soit l’opinion du citoyen, ses convictions, on aura à cœur de lui permettre d’être fier de ses ministres au gré des alternances politiques. Cela dépendra d’eux. Il serait déprimant de retrouver un gouvernement trop proche de celui dont on ne veut plus. La majorité des ministres devra se faire une raison. Michel Barnier n’a pas besoin de mes conseils. Je ne voudrais pas être comme Gabriel Attal, le 5 septembre au soir, à son égard. Mais je ne serais pas choqué si Rachida Dati et Gérald Darmanin – il s’est multiplié pour sauver le régalien du naufrage – demeuraient et je ferais évidemment entrer au gouvernement Philippe Juvin, à la Santé ou ailleurs. Pour le reste, bon courage à Premier ministre. Mais qu’il fasse vite : notre patience est à bout !

Rentrée en musique à Radio France

Si la petite musique politique des stations qu’elle abrite en agace plus d’un, les grands concerts de musique classique de la rentrée, à l’Auditorium de la Maison de la radio, sont à ne pas manquer. Brahms, Debussy, Elsa Barraine, Richard Strauss, Berlioz… Demandez le programme.


Le nom d’Elsa Barraine ne vous dit rien ? Dommage. Alors je vous conseille, toutes affaires cessantes, de filer au concert d’ouverture de la saison, à l’Auditorium de Radio France, ce jeudi 12 septembre. C’est à 20h. Avec la violoniste Julia Fisher qui interprétera le Concerto pour violon de Brahms. Au programme également, les Images pour orchestre, de Debussy. Et justement… la Symphonie n°2 d’Elsa Barraine.

Retransmission en direct sur France Musique et sur Arte-Concert

Fille d’un violoniste et d’une voix chorale, élève dans la classe de composition de Charles-Marie Widor puis de Paul Dukas (dont elle se fera un ami), Elsa Barraine (1910-1999) obtient le prestigieux Prix de Rome à 19 ans à peine, pour une cantate : La Vierge guerrière -vous aurez reconnu Jeanne d’Arc – sur un poème d’Armand Foucher. Les accords de Munich poussent Elsa Barraine, également pianiste et chef d’orchestre, à adhérer au parti communiste. Entrée en Résistance sous le nom de Catherine Bonnard, elle deviendra, après-guerre, critique musical pour L’Humanité, entre autres. Elle a la bonne idée de rompre avec le Parti dès 1949.

On doit à Elsa Barraine quantité de musiques de films, mais aussi de scène – de Jean Grémillon à Jean-Louis Barrault, en passant par Jacques Demy. Elle continue d’enseigner avant d’intégrer le ministère de la Culture comme inspectrice des théâtres lyriques. Elle est aussi la compositrice de Quatre chants juifs (1937), d’un ballet sur la Chanson du Mal-Aimé (1959), de plusieurs cantates : Cantate du vendredi saint (1955) ou encore celle baptisée Les Paysans, sur un poème d’André Frénaud (1958)… En 1967, Elsa Barraine signe une Musique rituelle pour orgue gong, tam-tam et xylorimba ! Percutant, non ?

À noter que le concert de jeudi – à la baguette, Cristian Macelaru, le directeur musical de l’Orchestre national de France – est diffusé le soir même en direct sur France-Musique et sur Arte Concert.

Des notes slaves pour terminer

Le programme de rentrée des formations musicales de Radio-France se poursuit ce vendredi 13 sous les auspices de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et du chef finlandais Mikko Franck, avec les Nuits d’été (Berlioz), chantées par la mezzo Lea Desandre, et l’immortelle Symphonie alpestre (Richard Strauss). En clôture, une création mondiale :  le Gouffre de l’aurore – joli titre –, une œuvre de la prolifique Tatiana Probst (Pour mémoire, Tatiana Probst, née dans le sérail en 1987, à la fois pianiste, compositrice, comédienne et soprano, est la petite-fille de Gisèle Casadesus et de Lucien Pascal, et la nièce de Jean-Claude Casadesus).

Pour finir cette semaine musicalement bien chargée, RDV ce dimanche à 16h pour un concert choral – Lionel Sow au pupitre – sous le signe de la culture slave, avec Tchaïkovski et Rachmaninov en vedettes, autour desquels gravitent quelques astres de moindre scintillement, tels Diletsky, Bortnianski, Penderecki ou Alexander Kastalsky.

Détails et réservations sur : https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr

Une certaine idée de l’offense

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7 septembre : Michel Barnier, nouveau Premier ministre, planche sur la composition de son futur gouvernement… Mélenchon et LFI, de leur côté, sont dans la rue… Le putsch des généreux ? s’amuse notre contributeur


 « Le mensonge, chez nous, cherche de moins en moins à être cru. On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part. Le ministre joue son rôle dans un scénario dont il n’est pas l’auteur. Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (Emmanuel Berl, La France irréelle). Le réveil est douloureux.

Combiné alpin

Fini les Marseillaise, les médailles, tableaux grandioses d’orgies romaines, inclusives, tous nus et tous bronzés, en ouverture, clôture, mondiovisions. Maître des horloges façon Harold Lloyd, Guy Lux arbitrant les duels de vachettes dans la méga-bassine savonneuse du Palais-Bourbon, Emmanuel Macron a cherché tout l’été une chèvre de Monsieur Seguin, un mouton à cinq pattes.

Au terme de sept semaines de ruses et tromperies, au fond du huitième cercle de l’Enfer et ses dix fosses de Mormons, d’adulateurs, ruffians, concussionnaires, le président a harponné un Premier ministre savoyard, auréolé d’un label mystérieux, œcuménique, « gaulliste social ». Le combiné alpin, une épreuve de descente et de slalom, réussit aux compétiteurs polyvalents. Michel Barnier connait la musique. Il veut « des changements et des ruptures… répondre aux défis, aux colères, au sentiment d’abandon et d’injustice… constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Le changement dans la continuité et réciproquement… Jusque-là tout va bien.

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Pour former son gouvernement, ramasser et ressouder les tronçons du glaive, le Premier ministre peut compter sur une cordelle d’insubmersibles naufrageurs qui, depuis des décennies, ont fait don de la France à leurs personnes. Aventurières de la Culture ; intermittents de l’Education nationale ; gardes des Sceaux sur écoute ; Grands chambellans du spread, des assignats et de la banqueroute ; Pap Ndiaye, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet déguisés en Jules Fait.rire ; Ségolène Royal, Bonemine thaumaturge… Les ministres et conseillers démissionnaires, qui ont vendu tous ceux qui les ont achetés, monnaient leurs carnets d’adresses, un ralliement contre un soutien, un parachutage dans le Vercors, un fromage. Il ne faut pas bêcher l’élite. Ne pas rater le dernier strapontin du dernier TGV « Paris-Les Arcs républicains ». Rachida Dati adore la Raclette et l’Abondance. Gérald Darmanin est un fondu de Reblochon. Hervé Morin, chamois d’or. Éric Dupond-Moretti a plaidé à Bonneville.

Perette et le pot aux roses

À gauche, les Augustes, ratels insoumis, Jean-Luc Mélenchon, Lucie Castets, enragent. « Au voleur ! au voleur ! Justice, juste ciel ! je suis assassiné ; on m’a dérobé mon élection ; Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! ». Gros-Jean comme devant, Faure, Boyard et Hollande ont perdu, à l’insu de leur plein gré, la partie de poker menteur. Adieu, veau, vache, cochon, couvée et PS maître de l’échiquier… Tu me fends le cœur ! Fabien Roussel, alias Super Résistant, dénonce le coup de farce, et prépare 2027. Nul n’est jamais assez fort pour ce calcul. « La démocratie est salie. Le peuple de France est bâillonné. La République est menacée. Nous appelons à l’union du peuple de France. Partout, devant les préfectures, dans les villes, unissons nos forces. Pour la liberté, pour les salaires, pour nos services publics » … A pied, à cheval, en voiture ou en trottinette électrique. Le putsch des généreux.

Michel Barnier est-il otage du Rassemblement national ? Dans leur roue de gruyère du 116 avenue du Président-Kennedy, les journalistes de Radio France, diversocrates du service public, sont sur le qui-vive. Ils reniflent le nauséabond. Ils éclairent la notion. Ils ont fait de la philo, de la socio, jouent au bonneteau avec les déterminismes, les champs, les schèmes, cognitifs, classificatoires. Comme Jacques Vabre achetant le café dans les publicités des années 80, ils séparent l’ivraie populiste, illibéral, du bon grain progressiste. « Il faut planter les caféiers tout là-haut, sur les hauts plateaux [télés], car l’air est plus pur et le soleil plus fort. Et c’est ça qui donne au café tout son arôme. Bien sûr, c’est plus fatiguant d’aller là-haut. Mais les gringos [de France Inter], eux, ils vont les voir, les caféiers ». Colegiala, colegiala !

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Le camp du progrès a de nobles idéaux (sauver la planète, jouir sans entraves, de la thune), des angoisses (l’extrême droite, le travail, la précarité menstruelle), des obsessions (les races, la déconstruction, la censure, l’inclusion), des coupables (l’Occident, les blancs, le patriarcat). On croit ce qu’on désire. En théorie, tout se passe bien. Hélas, l’émancipation des genres humains, le tout à l’égo, le droit à la morale et le mélange du gratin et des nouilles, ne vont pas de soi.

Les incantations, vœux pieux, mantras magnanimes sur le dialogue, le consensus et les indispensables compromis, portent à faux. Plus personne n’attend quoi que ce soit des politiques et, plus grave, de la politique. La récente enquête Ipsos post législatives confirme ce profond désenchantement. 85% des électeurs ont un état d’esprit négatif. Malaise ? Malentendu ? Malédiction ?

La défiance mortifère qui gangrène notre démocratie cessera lorsque les ministres, les candidats, ne se contenteront plus de petites phrases, postures, promesses démagogiques, lorsqu’ils feront passer leurs ambitions personnelles après les intérêts supérieurs de la nation. Le pays est miné par un surendettement abyssal, un écroulement éducatif, culturel, une insécurité, le chaos migratoire, plus récemment, la crétinisation et vampirisation du temps de cerveau disponible par les rézzous sociaux. Depuis deux générations, rien n’y fait, rien n’est fait. Le reste, c’est de la mandoline.

Le cardinal Charles II de Bourbon a une devise stoïque : « N’espoir ne peur ».

L’impossibilité d’une île

Yasser al-Habib ne pourra finalement pas préparer « la domination civilisationnelle chiite » de l’Occident depuis l’île de Torsa, à l’ouest de l’Écosse.


Au registre des séparatistes musulmans prompts à abuser du droit d’asile occidental, Yasser al-Habib est un cas d’école. Voilà une quinzaine d’années, ce prédicateur chiite koweïtien s’est installé au Royaume-Uni, où le statut de réfugié lui a été reconnu en raison de la persécution judiciaire qu’il subissait dans son pays pour avoir exprimé des positions théologiques dissidentes. En 2003, le quadragénaire avait déclaré publiquement qu’Aïcha, la plus jeune épouse de Mahomet, était une « ennemie de Dieu ». Un grave blasphème aux yeux de la plupart des autorités religieuses du monde islamique. Qui a valu à son auteur dix ans de prison par contumace au Koweït, assortis d’une déchéance de nationalité. Depuis, al-Habib vit exilé dans le village de Fulmer, à 30 kilomètres de Londres, où il a ouvert une mosquée fondamentaliste, créé une chaîne télévision et même tenté une aventure dans le cinéma en produisant récemment un long-métrage sur la vie de Fatima, la fille de Mahomet. Las, le film n’a pas rencontré son public… Comment rebondir après ce cuisant échec ? En prenant possession d’une île écossaise !

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L’année dernière, al-Habib a lancé une souscription pour racheter l’île privée de Torsa (« l’île de Thor » en vieux norrois, langue scandinave médiévale), sur la côte ouest de l’Écosse, mise en vente pour 1,5 million de livres sterling. Son projet : permettre à ses fidèles « de s’installer à un endroit spécial en Occident » et d’y préparer « la domination civilisationnelle chiite ». Trois millions de livres sterling ont été récoltées dans le cadre de la levée de fonds. De quoi construire, sur ce territoire grand comme un quartier parisien, une école, un centre médical et même un camp d’entraînement pour une milice privée. Patatras. Face à la levée de boucliers des médias et des politiques locaux, les vendeurs ont fait savoir cet été qu’ils refusaient l’offre d’al-Habib. « Ils souhaitent que l’on continue de vivre sur leur propriété comme leur famille l’a fait durant des générations », a justifié l’agence immobilière en charge du mandat. Comment dit-on « continuité historique » en vieux norrois ?

« Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

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La loi de Réconciliation nationale, citée par Kamel Daoud en exergue de son roman, punit d’un emprisonnement de trois à cinq ans « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale… » Autant dire que le romancier de Meursault : contre-enquête (2013) est désormais tricard dans son propre pays. Peut-être l’obtention du Goncourt — un pari de notre chroniqueur — et la certitude d’avoir écrit un grand livre le consoleront de cet exil imposé.


Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli vient parallèlement de publier L’école sous emprise, dont Céline Pina rend compte ici NDLR

En 1994, j’enseignais au lycée de Corbeil-Essonnes, mère de toutes les ZEP, coincé entre la cité (maghrébine) des Tarterêts et celle de Mauconseil, bastion majoritairement africain. Un jour, un élève de Première pas très intelligent lança, en plein cours : « Moi, j’suis au GIA, M’sieur ! » « Eh bien, nous savions tous que tu étais un crétin, nous savons désormais que tu es aussi un futur assassin. »
Le Groupement Islamique Armé était la plus radicale des factions qui se disputaient alors l’Algérie, après la dissolution du Front Islamique du Salut, qui avait inopportunément remporté les élections de 1990. Les « Tangos » (les moudjahidines islamiques) et les « Charlie » (l’armée algérienne, tout aussi portée aux exactions) se disputèrent pendant dix ans, à grands coups de massacres, le territoire et le pouvoir. 200, 300, 500 000 morts ? Aucun bilan n’a réellement été tiré de ces dix ans d’horreurs, que Kamel Daoud s’emploie à ressusciter en passant par la voix d’une femme qui parle au fœtus dont elle hésite à se débarrasser.

(Comment, un homme qui parle au féminin ? N’a-t-il pas honte de procéder à une appropriation pareille ? Non — d’autant qu’il le fait à la perfection).

Les lois algériennes sur l’avortement sont parmi les plus restrictives au monde. De très nombreuses femmes avaient été violées par les combattants de ces années noires — mais l’Assemblée nationale refusa d’inscrire le viol parmi les motifs autorisés d’avortement. Quand on veut conquérir le monde avec le ventre de ses femmes, on fait feu de tout zob.

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Aube / Fajr, « coincée entre l’envie de te tuer et celle de te parler sans fin », parle donc au petit amas de cellules dont elle peut encore se débarrasser. Elle lui raconte comment elle en est arrivée à vivre avec une canule plantée dans ce qu’il lui reste de larynx : un soldat d’Allah a bien tenté de lui trancher la gorge, comme à sa sœur, mais l’a partiellement ratée. Elle avait alors cinq ou six ans, on l’a rafistolée comme on a pu, avec un barbelé dessiné sur sa gorge. Elle arbore ce sourire kabyle (« le sourire n’a pas de dents, juste des points de suture, une quinzaine ; c’est une longue grimace, une balafre ahurissante ») et parle d’une voix feutrée, car ses cordes vocales aussi ont été partiellement coupées. Une manie, chez ces bons apôtres, que l’usage inconsidéré du couteau : « L’année où est né mon « sourire », par exemple, on avait égorgé plus d’hommes que de moutons. »
Projet insensé que le sien : « Comment te dire la guerre, dit-elle à sa fille-en-devenir, sans te salir ou te montrer des monstres et te les mettre dans la bouche, un par un, pour te les faire mâcher et avaler ? »
C’est justement là le projet de ce livre terrible. « Ici, il ne reste rien de la guerre que les égorgeurs de Dieu ont menée il y a quelques années. Rien que moi, avec ma longue histoire qui s’enroule et se déroule, t’enveloppant comme une corde nourricière. C’est ce qui rend les gens si nerveux autour de moi quand ils me croisent au bas de l’immeuble. Peut-être qu’ils se doutent que, par le trou de ma gorge, ce sont les centaines de milliers de morts de la guerre civile algérienne qui les toisent. »

Les houris sont les créatures éternellement vierges que la tradition coranique promet aux vrais croyants après leur mort. 72 en général, mais selon les versions, ça peut aller jusqu’à 5000.
C’est curieux, cette manie des vierges, dans l’islam. Être le premier, être le seul. Faut-il croire Trevanian, qui dans Shibumi affirme : « La virginité est capitale pour les Arabes, qui craignent avec raison les comparaisons. » Déflorer une femme est rarement une partie de plaisir, ni pour l’un, ni pour l’autre — alors 72 ad libitum
Quant à ce que les femmes auront à se mettre sous la dent au Paradis d’Allah, le Coran est muet sur ce point. Mais est-ce qu’elles comptent ? « Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Dieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », car nous sommes la grande salissure. » La condition des femmes est l’une des multiples abominations de l’islam : « Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant », dit-elle à son enfant-en-devenir.

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Cela, c’est la première partie du roman. Les voix ensuite se diversifient : ainsi, ce libraire errant, qui va de village en village vendre des livres de cuisine et des exemplaires du Coran — car on lui interdit tout le reste. Il suffit de lui donner une date pour que sa mémoire dévide les massacres de ce jour-là.
Kamel Daoud arrive alors au niveau du plus grand livre de guerre jamais écrit, le Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat que Gallimard publia en 1967. Des alignements de massacres. Parce qu’enfin, la guerre est d’abord cela : des litanies indicibles auxquelles il faut donner une voix.

Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière.

Kamel Daoud, Houris, Gallimard, septembre 2024, 412 p.

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Ovide, Ovidie, ovidé…

Selon l’ancienne actrice porno reconvertie philosophe de l’intime, même « déconstruits » les hommes n’ont toujours rien compris…


Ovidie est une ex-actrice porno reconvertie dans le féminisme, adulée par Télérama et la radio publique. Conceptrice d’ouvrages insignifiants sur la soi-disant société hétéronormative ou la prétendue masculinité toxique, elle a récemment co-signé La Fabrique du prince charmant, un roman-photo censé dénoncer l’homme faussement déconstruit et le patriarcat toujours triomphant. Pour en parler, le philosophe Charles Pépin l’a reçue sur France Inter, le 7 août. Après avoir narré « l’histoire d’un homme blanc, hétéro, d’environ cinquante ans » qui, la tête dans les nuages, ne voit pas les femmes qu’il croise sur le trottoir, les obligeant ainsi à s’écarter sur son passage, l’animateur radiophonique s’interroge : ce comportement est-il celui d’un doux rêveur ou celui d’un homme « porté par des siècles de société patriarcale » ? Ovidie, on s’en doute, a la réponse. M. Pépin abonde d’ailleurs dans son sens : si certains hommes se sont rendu compte de « leurs privilèges », d’autres, en revanche, « sombrent dans un déni absolu ».

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Heureusement, la spécialiste des « codes du porno et de l’intime » veille au grain, affirme M. Pépin. En plus de « décentrer le regard pour produire une réflexion sur le sexisme », l’ex-star du X pratiquerait « une philosophie au sens de la dialectique socratique ». Bref, suggère Pépin, Ovidie est une penseuse de haut vol. Raison pour laquelle il n’hésite pas à lui poser l’épineuse question qui le tarabuste depuis des années : que faire pour sortir vraiment du patriarcat ? « Il s’agit de reprogrammer nos imaginaires », proclame alors notre penseuse, les synapses en fusion. Mais attention, ajoute-t-elle, « un certain nombre d’hommes n’y parviennent pas, car s’ils s’y essaient, ils pensent dans tous les cas être dans le bon camp, celui du bien, en pérennisant de vieux codes qui nécessitent d’être de toute façon déconstruits ». Malgré l’opacité du propos, chacun aura compris que l’homme, quoi qu’il fasse, a toujours tout faux. C’est d’ailleurs l’intérêt de la chose – sinon, de quoi vivrait Mme Delsart, alias Ovidie ?

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LFI: Le Foutriquet Intouchable

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Retour sur la curieuse et épidermique réaction du LFI Sébastien Delogu, confronté à la RN Edwige Diaz.


Edwige Diaz et Sébastien Delogu sont, non pas dans un bateau, mais sur le plateau de BFMTV où ils sont invités à débattre. La première nommée est députée Rassemblement national de la 11ème circonscription de la Gironde, le second élu de La France Insoumise dans la 7ème de Marseille.

On ne me touche pas !

Voilà bien que, Mme Diaz, cherchant très aimablement à inviter son interlocuteur à ne pas l’interrompre à tout bout de champ comme il le fait, se laisse aller à, de sa main, effleurer son bras. Que n’a-t-elle osé là ! Crispation outragée de son voisin de plateau qui, très ostensiblement, se raidit, se cabre, se détourne. Il en serait presque à exiger qu’on fasse appel aux services de décontamination. Les deux journalistes en charge de l’émission, Olivier Truchot et Alain Marschall, ne manquent pas de souligner le ridicule d’un tel comportement. « On ne me touche pas ! On ne me touche pas ! » s’offusque alors le soi-disant offensé, la prétendue victime de l’épouvantable agression. Va-t-il saisir les tribunaux pour harcèlement, violence à caractère sexuel, gestes déplacés, atteintes à son intégrité physique ? On ne peut l’exclure.

Il reste à tenter d’expliquer cette réaction épidermique, au sens propre du terme. J’avoue mon incapacité à comprendre une telle répulsion devant le geste, plutôt sympathique et apaisant, d’une femme, au demeurant charmante. Moi, voyez-vous, je serais plutôt du genre à en redemander. Mais bon. Je ne suis ni député, ni – encore moins – LFI.

Gestes barrières

Il me manque, pour cela, le logiciel mental qui, très probablement, doit permettre d’expliquer la brutalité du rejet. Un logiciel dans lequel RN équivaut à peste brune, donc à un risque majeur de contagion, même au plus léger contact. Ce serait aussi la raison pour laquelle on se refuse, tout aussi ostensiblement, à serrer la main des élus RN à l’Assemblée nationale. Il y a de la prévention sanitaire dans cette sottise effrayante. Il y a aussi du vade retro satanas, puisque, selon la bible mélenchonienne, l’assimilation du RN à la peste se trouve enrichie d’une accusation d’inféodation aux œuvres du Malin. On pourrait penser que ce ne sont que des mots. On se tromperait. Ce genre de venin fait inexorablement son chemin dans certains esprits. Et quand, quasiment d’un bord à l’autre du spectre politique, on mobilise – non sans succès – les foules pour « faire barrage », il entre bien là-dedans une part de cet obscurantisme, de cet impensé totalement irrationnel. Barrage contre quoi ? Contre la peste brune, contre les armées du démon ? Ce n’est pas exprimé ainsi, certes. Mais cela s’entend tout de même au-delà des propos convenus, et des arguments fabriqués.

« On ne me touche pas ! » piaille donc le pauvre homme. Ce faisant, il excipe d’une illusoire qualité d’intouchable. Et c’est aussi sans aucun doute cette débile conviction qui l’a conduit, voilà peu, à se permettre d’emprunter à contre-sens et à toute vitesse un couloir de bus dans son aire électorale de Marseille. « On ne me touche pas ! » Aura-t-il probablement lancé aux policiers l’interpellant. Ça n’a pas marché. Pour que ça fonctionne à tous les coups, il faudra qu’il attende que lui et ses camarades aient pris le pouvoir. Alors là, ils se régaleront ! Nous autres, beaucoup moins.

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La droite sans gazole ni vachettes

L’ancien candidat à la primaire LR de 2022 a été nommé hier Premier ministre. L’union des droites ne viendrait-elle pas, en catimini, d’avoir lieu ? 


Jadis, il existait un nom consacré pour des journées comme celle d’hier. On parlait de mariage de raison. Le genre d’union célébrée en toute discrétion, sans bouquets de fleur ni vin d’honneur. Hier à Matignon, même si personne n’osait le dire, l’évidence était dans tous les esprits : cet été la France a fauté. Alors qu’elle semblait avoir obéi à ses directeurs de conscience en faisant impeccablement barrage aux assauts d’un jeune premier nommé Jordan, la Gauloise réfractaire s’est en réalité bel et bien donnée à la droite. L’analyse de son hémicycle ne laisse aucun doute à ce sujet. Il a fallu des semaines pour accepter la honteuse mésalliance. Mais, qu’on le veuille ou non, France et conservatisme vont devoir faire un bout de chemin ensemble.

Barnier, le gendre idéal

Problème : la belle famille – j’ai nommé le clan désuni de la droite –  est à couteaux tirés. Incapable de s’entendre depuis des décennies. Une bonne partie de ses membres, et non des moindres, en particulier la branche Le Pen, ont d’ailleurs prévenu qu’ils ne participaient pas à la noce. On se contentera donc de leur approbation du bout des lèvres, et c’est déjà un exploit… Il faut dire qu’ils auraient eu mauvaise grâce de venir perturber la cérémonie. Depuis cinquante ans qu’il occupe les postes les plus variés de la vie politique (conseiller général, député, sénateur, ministre, commissaire européen), l’heureux élu, un certain Michel Barnier, ne leur a jamais manqué de respect.

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Et puis, il a beau être le prototype de l’apparatchik chiraquien, européiste et soporifique, il y a dans le style Barnier, quelque chose de rigide et de vieille France qui n’est pas pour déplaire au RN. Hier, dans son discours d’investiture, le Savoyard a d’ailleurs salué à sa manière les grands absents du jour en prononçant tous les mots de l’infréquentabilité : “sécurité”, « maîtrise de l’immigration », “sentiment d’abandon et d’injustice”. Bien sûr, beaucoup pensent que son physique et ses manières de gendre idéal ne suffiront pas à sauver les apparences, et que l’accord tacite avec la droite populiste explosera en plein vol dès les premières turbulences venues. Mais est-il interdit de rêver ? Et de se souvenir que, jadis, les mariages de raison faisaient les foyers les plus solides et les plus heureux ?

Les vieux mariés

Alors rêvons un peu. Et constatons que ce n’est pas la première fois, dans l’histoire récente, que nous assistons à des réconciliations, que dis-je à des résurrections, auxquelles plus personne ne croyait. Prenez l’Otan. D’aucuns la disaient en état de mort cérébrale… Depuis deux ans pourtant, toute l’Europe, ou presque, lui dit et redit son amour. Prenez aussi les frères Gallagher, qui, après des années de haine, vont reconstituer le groupe de rock Oasis. Prenez, enfin et surtout, des fleurons de notre culture populaire tels que Michel Sardou, la Renault 17 et Intervilles, dont les prochains retours viennent d’être annoncés coup sur coup cette semaine. Les esprits chagrins déploreront sans doute que le premier revienne sur scène dans une pièce de théâtre et pas pour un tour de chant, que la seconde ait troqué le bon vieux moteur au gazole contre la technologie électrique, et que la nouvelle version de l’émission créée par Guy Lux ait renoncé aux joutes de vachettes. Michel Barnier c’est un peu cela au fond : la droite sans gazole ni vachettes. Mais la droite quand même.

«La droite a renoncé à mener le combat culturel»

Relire la première partie.


Causeur. Les élections n’ont pas sacré la reine du bal désignée par les sondages… Pourquoi le RN a-t-il perdu ?

Eric Zemmour. La coalition des partisans du cordon sanitaire a évidemment bloqué sa dynamique. Ce grand retour des castors a étonnement fonctionné. Peut-être grâce aux failles du RN. Depuis des mois, il se disait prêt, avec le fameux « plan Matignon », les 577 candidats déjà sélectionnés, les textes de loi qui auraient déjà été rédigés, etc. La campagne a montré que les dirigeants du RN n’étaient pas prêts. Ils ont changé de programme tous les jours et sont restés sans voix devant les polémiques lancées par leurs adversaires. Car la dédiabolisation leur coupe la voix. Qu’est-ce que la dédiabolisation ? C’est le fait de renoncer à des idées que la gauche estime inacceptables. C’est donc la soumission à l’idéologie de gauche. C’est le pari que fait Marine Le Pen depuis douze ans maintenant, et que je critiquais déjà du temps où j’écrivais au Figaro. Les concessions qu’elle fait à la gauche ne seront jamais assez nombreuses. La gauche ne donnera jamais quitus au RN. Ce n’est jamais assez ; une soumission en entraîne une autre et à la fin que reste-t-il ?

En dehors de ce que veut la gauche, faut-il regretter l’antisémitisme de fin de banquet et autre rivarolades pétainistes de Jean-Marie Le Pen ? Êtes-vous choqué que Marine Le Pen ait déclaré que le nazisme était une abomination ?

Rejeter les quelques nazillons du FN, vous appelez ça une stratégie ? C’est une évidence. Mais faire croire que Marine Le Pen a dénazifié le FN, c’est encore une fois tomber dans le piège de la gauche. Le FN n’était pas un parti de nazis. La nazification de patriotes absolument pas nazis est une des stratégies les plus classiques de la gauche depuis les années 1930. C’est même Staline qui l’a inventée et suggérée à tous les partis communistes européens. Je parle donc d’une machine infernale : de la dédiabolisation qui fait de la gauche l’ultima ratio de la bienséance, rôle qu’elle s’octroie depuis la Révolution française. Faire de la dédiabolisation une stratégie, c’est lui reconnaître ce magistère. Et ça ne sert à rien. Il a suffi de vingt-quatre heures entre le soir du premier tour et le lendemain pour rediaboliser comme jamais le RN. Alors qu’est-ce qu’on tire de ces élections pour aller de l’avant ? Marine Le Pen en tire qu’il faut aller plus loin dans la dédiabolisation, j’en tire qu’il faut aller plus loin dans la crédibilité et l’affirmation de nos idées. La situation est de plus en plus critique, ce n’est pas le moment de mollir. Chez Reconquête nous allons travailler d’arrache-pied sur la formation de nos cadres et l’élaboration d’un nouveau programme.

En tout cas, votre union des droites a du plomb dans l’aile.

Vous avez raison ! Pour faire l’union des droites, comme son nom l’indique, il faut des gens qui veulent s’unir et des gens de droite. Les LR se disent de droite, mais ne veulent pas s’unir. Le RN ne se dit pas de droite et ne veut pas non plus d’alliance avec Reconquête. J’ai décidé de ne plus parler de tactique ! L’union des droites, c’est un moyen, pas un objectif. L’objectif, c’est de sauver la France. Je trouverai d’autres moyens.

Jordan Bardella et Marine Le Pen au palais de l’Élysée, après leur entretien avec Emmanuel Macron en vue de la nomination du prochain Premier ministre, 26 août 2024 ISA HARSIN/SIPA

Qu’avez-vous pensé de l’épisode Ciotti ?

Ciotti a tenté une union avec le RN et je le félicite d’avoir essayé de rompre le cordon sanitaire. Malheureusement, le reste des LR n’a pas eu son courage et le cordon sanitaire est revenu, plus fort que jamais. Au passage, on a assisté à une opération vérité : tous les leaders de LR ont reconnu, une fois de plus, qu’ils demeuraient des centristes, proches d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, le paysage médiatique est beaucoup plus ouvert qu’il y a trente ans : il y a les médias Bolloré… et Causeur ! Pourquoi la gauche, beaucoup moins florissante électoralement, conserve-t-elle son hégémonie culturelle ?

Nos idées ont désormais un diffuseur médiatique non négligeable. D’ailleurs, nos adversaires ont compris qu’il fallait d’urgence attaquer le diffuseur. Mais la gauche conserve l’hégémonie culturelle, car elle tient l’école, l’université, les médias, la justice, le cinéma, le monde de la culture, les financements publics, la plupart des réseaux sociaux et leur pouvoir de censure. Avec cela, la gauche endoctrine la masse, en particulier, les jeunes générations, comme au temps de la Révolution culturelle chinoise, quand les jeunes étaient instruits contre leurs propres parents ! Vous voyez, l’hégémonie culturelle n’a pas besoin de la majorité électorale, même si elle la prépare.

L’attaque terroriste contre la synagogue de La Grande-Motte montre que la haine des juifs, attisée par une partie de la gauche, est aujourd’hui décomplexée. Beaucoup de Français juifs se demandent s’il y a un avenir pour eux en France. Et vous ?

Beaucoup de Français se demandent s’il y a un avenir pour les Français en France ! Si on veut lutter contre l’antisémitisme, il faut arrêter l’immigration musulmane. C’est un principe de précaution. Il y a un antisémitisme culturel systémique, comme on dit, dans le monde musulman. C’est un phénomène très documenté, notamment par l’historien Georges Bensoussan, spécialiste du monde arabe, ou par David Littman qui raconte la condition des juifs au Maghreb. Plus il y aura de musulmans en France, plus il y aura d’antisémitisme. On était sorti de l’antisémitisme européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on l’a ramené nous-mêmes sur notre sol par l’immigration. Il faut arrêter.

Revenons à vous. Beaucoup de gens semblent partager votre diagnostic. Pourquoi ne vous élisent-ils pas reine du bal ?

Permettez-moi l’optimisme : c’est déjà un progrès ! C’est même la première étape. Il y a quelques années, on me contestait le diagnostic. Je pense tout simplement que l’élection présidentielle structure la vie politique et les rapports de forces pour les cinq années qui suivent. Il y a comme une inertie attachée à ce résultat. En arrivant deuxième en 2022, Marine Le Pen a pris la tête de l’opposition. On peut faire beaucoup de choses pendant cinq ans, mais pas renverser cette hiérarchie. En 2027, les compteurs seront remis à zéro, les Français seront disponibles, comme à chaque élection présidentielle, pour écouter et comparer : l’électorat redevient mobile. Les jeux seront à nouveau ouverts. D’ici là, revenons aux fondamentaux : les idées, les convictions, les tempéraments. C’est ce qui fait l’essence de la politique, pas les partis, ni les sondages.

Cependant, n’êtes-vous pas un peu obsessionnel ? Tout n’entre pas dans le tuyau du grand remplacement.

C’est vous qui parlez ! Pour vous taquiner, je dirais qu’obsédé vient du latin obsedare qui signifie assiéger. Oui, je pense que la France est assiégée par une civilisation étrangère et qu’il est tout à fait légitime d’être obsédé par cela. Je ne cherche pas à faire entrer tous les problèmes dans une théorie, mais certains grands phénomènes historiques s’imposent et transforment tout. Prenons l’exemple de l’école. Ce n’est pas l’immigration qui a causé son effondrement, c’est l’idéologie. À partir de 1945, dans tous les pays occidentaux, on a subordonné le principe de méritocratie à l’objectif supérieur de démocratisation et de réduction des inégalités. Mais l’arrivée de millions d’enfants issus de cultures maghrébines ou africaines, avec des parents qui parlaient très mal français et, pour la plupart, n’avaient pas le culte du savoir, a aggravé les choses. Les idéologues de gauche se sont employés à adapter l’enseignement à ce nouveau public ; cela a produit un effet boule de neige. De même, l’immigration n’est pas responsable de la désindustrialisation française, de la baisse du temps de travail, de la baisse de la compétitivité, de l’insistance mise sur la consommation au détriment de la production : tout cela, c’est l’œuvre des élites françaises. Mais le fait est que beaucoup d’immigrés ne travaillent pas (le taux d’inactivité est de 40 % chez les Algériens contre 26 % chez les Français) et qu’on fait venir des immigrés pour consommer, que cette consommation n’est pas financée par leur travail, mais par les allocations sociales, que l’on finance par la dette. Enfin, on s’étonne que nos services publics n’aient plus l’efficacité d’antan, et bien sûr que les 35 heures, la bureaucratisation et la tyrannie des normes n’y sont pas pour rien. Mais on oublie qu’ils subissent aussi l’arrivée annuelle de 500 000 personnes, très consommatrices de services publics. Ils ploient sous le nombre. En somme, comme pour l’école, les immigrés aggravent nos propres problèmes.

Du point de vue de l’immigré, il est légitime de chercher à venir en France.

C’est rationnel, mais ce n’est pas moral.

Ce n’est pas immoral.

Je trouve que si. C’est immoral de quitter son pays plutôt que de l’aider à devenir plus fort. C’est immoral de profiter d’un pays, voire de l’attaquer, alors que ce pays vous a accueilli.

La plupart des êtres humains sont immoraux dans ce cas, car la plupart privilégient le sort de leurs enfants à celui de leur pays.

Ce n’est pas vrai. En 1914, les Français n’ont pas fait ce calcul-là, ils n’ont pas émigré en masse. Et ils ont construit un pays magnifique pour leurs enfants.

Campement de migrants devant la mairie du 18e arrondissement de Paris, demandant « une mise à l’abri » à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, 24 juillet 2024. SOPA Images/SIPA

L’étranger qui vient en France n’est pas responsable du système qui a été mis en place pour l’attirer. Pourquoi attaquer les immigrés plutôt que l’immigration?

Une fois qu’ils sont chez nous, ils ont une responsabilité individuelle. Au nom de quoi n’aurait-on pas le droit de critiquer ceux des immigrés qui profitent de notre générosité sans travailler, ou ceux qui violent, qui poignardent et qui tuent ? Mais s’ils sont là, c’est bien de la faute de la politique française. Et il faut dire que notre système devient de plus en plus fou ! Pendant l’été, la Cour nationale du droit d’asile a décidé que TOUTES les femmes afghanes pouvaient bénéficier du droit d’asile en France, du fait de leur traitement par les talibans. C’est-à-dire qu’il n’y a même plus besoin d’examen individuel de leur cas ! Elles obtiennent d’office le statut de réfugiée ! N’oubliez pas que grâce au regroupement familial, les enfants et les maris pourront également les rejoindre en France. En clair, grâce à nos juges, les 40 millions d’Afghans sont désormais les bienvenus en France !

Beaucoup de femmes afghanes méritent la protection de nos lois, non ?

Votre esprit de contradiction vous égare ! Je ne sais pas si vous mesurez ce que je viens de vous dire. Les femmes afghanes sont victimes de l’islam depuis mille ans, est-ce pour cela qu’il faut accueillir toutes les femmes afghanes ? Et puis toutes les femmes du monde musulman, et tous les homosexuels ? Cela va faire du monde ! Le droit d’asile,c’est Victor Hugo et Soljenitsyne. Ce n’est pas tous les persécutés des pays musulmans. Au nom de quoi les gens de la CNDA peuvent-ils prendre de telles décisions qui engagent le pays plus que toute décision prise par le Parlement ? Ces gens n’ont pas été élus, personne ne les connaît. C’est un scandale démocratique.

Faisons un détour par l’Angleterre et les émeutes. Cela ne va pas aider votre combat contre l’immigration que des gens agressent des immigrés dans les rues.

Qu’ont dit ces émeutiers anglais ? Enough is enough – « trop, c’est trop ». Un fils de migrants rwandais venait d’assassiner trois fillettes. Et ce n’est pas la première affaire de ce genre qui émeut l’Angleterre ! Le peuple britannique a voulu sortir de l’UE pour arrêter l’immigration. Et les élites anglaises ont stoppé l’immigration européenne, mais accru l’immigration extra-européenne. C’est contre cette entourloupe que les Anglais se révoltent. Cette révolte est légitime dans son objet. Et immédiatement, des militants d’extrême gauche et des islamo-gauchistes, renforcés par la police anglaise, sont partis de toute l’Europe pour faire le coup de poing contre ces Anglais. La justice a été d’une rare férocité avec ces gens qui défendaient le droit de l’Angleterre de rester l’Angleterre.

Beaucoup de Français redoutent comme vous de voir la France qu’ils aiment disparaître, mais voudraient des solutions douces.

La solution que je propose est beaucoup plus douce que celle qui consiste à laisser le djihad se développer sur notre sol, à accepter l’ambiance de guerre civile, à mentir effrontément sur la nature de l’immigration musulmane et, in fine, un jour, et bien trop tard, se résoudre à intervenir de manière violente, dramatique – ou bien, car ce sera la seule alternative, à être vaincus. Je fais tout pour nous l’épargner. Je pense que les Français ont compris que je ferai ce que je dis. Ils savent que chez les autres, ce n’est que du théâtre et que, contrairement à eux, j’aurai le tempérament nécessaire pour régler la question.

Prétendez-vous sauver la France contre elle-même ?

Le général de Gaulle dit : « La seule fatalité, ce sont des peuples qui n’ont plus la force de se tenir debout et qui se couchent pour mourir. » C’est pour conjurer cette fatalité que je me suis engagé en politique.

Il se dit beaucoup que vous êtes un bon analyste, mais un mauvais politique.

J’entends la critique. Si la politique, c’est changer d’avis tous les jours parce que les sondages changent, faire des coups, dire et ne pas faire, oui, je ne suis pas un bon politicien. Mon ami Gilles-William Goldnadel avait dit : « Zemmour ne sera jamais un vrai politicien parce qu’il ne veut pas mentir. » Je le remercie pour ce beau compliment !

Quelle piètre opinion de la politique !

Qui a permis à l’immigration et à l’islam de conquérir la France ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a effacé les frontières ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a fait des travailleurs des esclaves du fisc ? La politique, contre l’avis des Français. Et peu importe que ce soit la droite ou la gauche, car c’est encore et toujours la politique, la matrice unique de nos malheurs.

Le problème de la France, c’est cette politique. La politique qui brise la liberté, la vérité, la créativité, la prospérité, la souveraineté. La politique qui torture la pensée du peuple à coups de mensonges. La politique qui s’est insérée dans les moindres interstices de notre vie privée. La politique qui paralyse l’action du peuple à coups de lois et de prélèvements. La politique qui envahit tout, s’empare de tout, détourne tout, tord tout, dénature tout, abîme tout, annule tout. La politique qui ruine le pays. La politique qui remplace le pays. La politique qui déclasse le pays. La politique qui embrigade le pays. La politique est l’ennemie du peuple. Une révolution antipolitique est nécessaire.

Vous, l’admirateur de Churchill, Napoléon, De Gaulle, ne croyez plus à la politique pour civiliser les conflits ?

Ce que les Français appellent « la politique » en 2024, ce n’est ni Churchill face au nazisme, ni Napoléon recréant le Droit, ni De Gaulle rendant à la France sa grandeur. Ce qu’ils appellent « la politique », c’est un labyrinthe sans fin d’hypocrisies, d’incompétences et de ratages. Ils veulent abattre les murs de ce labyrinthe. Moi aussi. Je veux le faire avec eux et pour eux. Et nous retrouverons peut-être un jour la grande politique, mais pas avant. Il faut sortir le pays du « Tout est politique » imposé par les soixante-huitards ! Ils ont tout politisé, ils ont tout dénaturé, ils nous enferment dans une logique totalitaire. Il faut dépolitiser l’école, la culture, le cinéma, l’économie, la chambre à coucher, l’humour, les relations entre les hommes et les femmes, la fiscalité, la famille, la propriété, l’écologie, la justice. Il faut dépolitiser tout ce qui a été tragiquement politisé par la gauche. Vous allez m’entendre le dire souvent dans les mois qui viennent : la politique est l’ennemie du peuple. Ce n’est pas une formule en l’air. C’est ce que pensent les Français. Nous allons faire tomber cette Bastille.

Michel Barnier, technocrate fade au carré?

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Depuis des années, Michel Barnier, notre nouveau Premier ministre, était considéré comme un « technocrate fade » un peu mou par les vieux briscards de la politique. Mais il pourrait agréablement nous surprendre, observe Céline Pina.


Enfin nous avons un Premier ministre. Michel Barnier a gagné le Koh-Lanta de la nomination. Les Hunger games macroniens ont un vainqueur et la France un nouveau Premier ministre !

Combien de temps tiendra-t-il ?

La série n’a pas été passionnante. On a perdu beaucoup de temps avec un personnage secondaire mais particulièrement insistant, Lucie Castets, qui a créé moults rebondissements mais peu d’enthousiasme. La première saison de ce mauvais feuilleton a ainsi été consacrée à l’élagage de la distribution. L’élimination des héros, souvent par leur propre entourage et par la grâce de la traîtrise, fédère toujours les spectateurs, à défaut d’inspirer l’électeur. La deuxième saison qui s’ouvre devrait se pencher sur le parcours de l’élu, enfin du « designated survivor ». Et disons-le, au vu du contexte politique incertain, l’échec est probable et laisse penser que la troisième saison ne verra jamais le jour, et qu’il faut se préparer à l’arrêt de la franchise.

Les élections législatives n’ayant été gagnées par personne, trouver un homme susceptible de ne pas être victime d’une motion de censure sitôt nommé relevait de la gageure dans un pays divisé où chaque formation politique est sous pression de militants radicaux. Voilà pourquoi nous nous sommes longtemps crus dans une représentation interminable d’En attendant Godot tant cette nomination était espérée et pourtant n’aboutissait jamais. Et pour cause.

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Cette pièce sur l’absurdité de la condition humaine parle de notre réalité politique. Attendre Godot, c’est espérer que le monde va changer, tout en étant conscient que cet espoir est ridicule, surtout quand on n’agit jamais pour influer sur son cours. Attendre Godot, c’est la quête de l’hyper-solution. Cette idée absurde qui consiste à penser que l’on peut résoudre tous ses problèmes grâce à une seule équation. Un exemple : vous êtes mal dans votre peau, mal à l’aise avec votre sexualité, votre lien à autrui et votre relation au monde ? Changez-donc de sexe et vous serez en accord avec vous-même. Vous doutez que cela marche, et vous pensez qu’assez rapidement la personne se retrouvera confrontée aux mêmes problèmes que ceux qu’elle a tenté de fuir ? C’est exact. L’hyper-solution mène à l’échec car elle est la négation de la vie.

La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

La panacée n’existe pas, c’est une fuite en avant dans l’illusion. L’existence est un combat au quotidien, combat perpétuellement renouvelé dont l’issue est de surcroit fatale… La quête d’une hyper-solution est une posture immature car elle nie la condition humaine, la nécessité de construire et de se construire. Nous n’avons pas de baguette magique et il n’y a pas de sauveur. Mais il peut y avoir des hommes debout. Et nous en avons besoin.

Un choix cohérent

Le choix de Michel Barnier a sa cohérence. L’homme a une véritable expérience internationale, et son poste de négociateur du Brexit a démontré ses qualités diplomatiques et sa fermeté. Plusieurs fois ministre, il connait bien la France et a souvent été apprécié dans l’exercice de ses fonctions. Elu local et chef d’exécutifs locaux, il a l’expérience du terrain et est ancré sur un territoire. Il y a une histoire à raconter autour de cette nomination qui tente de conjuguer profil technocratique et épaisseur politique. Même si le technocrate est plus visible chez Michel Barnier que le produit du terroir.

Sa nomination intervient à un moment où la gauche s’est ridiculisée : après avoir tenté d’imposer un personnage sans histoire ni envergure à la tête du pays en s’inventant une victoire qui n’existe pas, le PS a abattu le seul homme qui pouvait tenter de créer une coalition, Bernard Cazeneuve. Se faisant, il a prouvé que les deux gauches étaient effectivement irréconciliables et que la seule manière d’envisager un avenir passe par l’élimination de la gauche républicaine de Cazeneuve au bénéfice d’une gauche aux penchants totalitaires et antisémites, celle de LFI. Ce terrain ayant été dégagé, la candidature d’une personnalité de droite cadrait mieux avec les attentes des Français et leur vote. Or, dans ce cadre, l’imprimatur du RN était nécessaire. Exit donc Xavier Bertrand, qui s’était posé en caution morale face au risque fasciste qu’il imputait au RN. Un profil comme Michel Barnier, qui n’a jamais insulté personne tout en sachant affronter les situations de tension, devenait la clé d’un possible.

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N’avoir jamais insulté personne parait un peu terne comme image politique ? On a vu que Michel Barnier ne se résumait pas à cela, mais il n’en reste pas moins que ce « détail » est de grande importance. Ne dit-on pas que le divin se cache dans les petites choses ? Or la tenue est exactement ce qui manque aujourd’hui en politique. Celle-ci s’incarne aujourd’hui dans des personnages qui paraissent dépourvus de vergogne, de limites et d’éducation. Les Delogu, Léaument, Soudais et autres Guiraud ont abimé l’image de l’Assemblée nationale à force de vociférations et de violences, Jean-Luc Mélenchon est devenu une caricature d’imprécateur, une grande partie de la gauche assène toujours des leçons de maintien alors qu’elle fraie avec les islamo-gauchistes. On n’est pas mieux loti du côté du pouvoir avec un président adulescent et irresponsable, largement comptable de l’impasse politique où ses caprices nous ont placés. Quant à la droite, la tragi-comédie des LR lors des législatives l’a rendu peu attractive et même un tantinet ridicule. Elle ne s’en est pas encore remise.

Ce n’est pas un président de droite qui parlait de « sans-dents »…

Dans ce cadre où tous ceux qui se poussent du col montrent plus leurs limites que leurs atouts, le « terne » Michel Barnier ne s’en est pas mal sorti. Sa passation de pouvoir entre lui et Gabriel Attal était touchante et digne. Et surtout y affleurait une forme de sincérité et de simplicité extrêmement intéressante. On était loin des mots ronflants dont l’emphase et la puissance servent avant tout à masquer la réalité de l’inaction du pouvoir. Certains se sont beaucoup moqués de l’expression « les gens d’en bas ». Surtout à gauche. Alors même que cette gauche les méprise et n’écoute plus ces gens depuis longtemps, tant elle est persuadée que le peuple est con et qu’elle a les meilleures solutions pour faire son bonheur malgré lui. Eh bien curieusement, c’est le techno qui trouve la voix de la sincérité pour en parler. Son expression était peut-être un peu vieillotte, datée, ancien monde, mais les accents dans la voix du Savoyard montraient qu’il croyait aux mots qu’il prononçait, là où trop souvent les politiques utilisent les mots comme des leurres. Il y avait là quelque chose d’apaisant et de rassurant dans les premiers pas de cet homme placé par les circonstances au poste de Premier ministre.

Il n’en reste pas moins que le chantier qui s’ouvre devant lui est titanesque et qu’aucune des conditions ne sont remplies pour qu’il puisse espérer réussir. Il n’a pas de majorité, et doit gérer un président dont le discernement est inversement proportionnel à sa capacité d’initiative, et qui est en plus prompt à mettre des excréments dans le ventilateur, même dans sa propre maison. Notre problème est qu’une situation politique bloquée c’est comme une cocotte-minute sous pression. Il faut donc gagner du temps pour empêcher que la logique de tension que cela implique ne finisse par affaiblir considérablement l’Elysée. Il faut donner au monde politique un os à ronger et une tête à faire tomber autre que celle d’Emmanuel Macron. Il faut donc occuper les médias et leur fournir un abcès de fixation. Mais à part se donner le temps de bien compter les briques en attendant de se prendre le mur, que peut faire Michel Barnier ? Dans une société fracturée où dans la perspective de 2027 chacun va vouloir donner des gages aux plus radicaux de son camp, la conjonction de l’hystérisation des enjeux et de l’impuissance du politique risque d’exacerber frustrations et revendications alors même que la crise budgétaire et les menaces extérieures réduisent toute marge de manœuvre. Face à ces réalités, si Michel Barnier arrive déjà à relancer le dialogue entre les forces politiques et à prendre en compte les attentes des Français sans brutaliser la société, il aura fait œuvre utile et aura amené quelques grammes d’espoir dans un monde de brutes.

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Et maintenant, quel gouvernement?

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Michel Barnier et Emmanuel Macron, 23 février 2019, Paris © Michel Euler/AP/SIPA

Après les piques déplacées adressées lors de la passation de pouvoir par Gabriel Attal jeudi soir, Michel Barnier doit désormais composer une nouvelle équipe pour gouverner la France. Il a déjà choisi son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, lequel s’entend parfaitement avec le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, et travaillait jusqu’alors pour Bruno Le Maire – Matignon assure que contrairement au précédent gouvernement, il n’entend évidemment pas se faire dicter la moindre nomination par le Palais.


On a enfin un Premier ministre : Michel Barnier. Ce n’est pas parce qu’on a échappé à Lucie Castets que les choses vont être simples pour le premier qui va se trouver dans le registre d’une cohabitation qu’on espère respectueuse – pas de doute avec Michel Barnier – mais ferme, avec un président de la République défait qui nous a fait languir au-delà de toute mesure. On nous annonce que les fils ont déjà commencé à être coupés avec Matignon. Tant mieux. Comme les citoyens n’ont pas voix au chapitre pour la composition du gouvernement – un travail d’Hercule mêlé de finesse pour Barnier -, ils ont au moins le droit de dire tout ce qu’il ne faudra pas faire au regard des expériences précédentes. D’abord une adéquation entre les compétences et les fonctions. Ce qui est une évidence. Mais si peu concrétisée quand on songe à beaucoup d’incuries passées. Ensuite ne pas nommer un ministre qui dans sa vie antérieure a été en permanence en opposition, voire plus, avec le milieu dont on s’apprête à lui confier la charge. Il sera sans doute possible par exemple de choisir un ministre de la Justice qui n’a pas détesté la magistrature avant ! Il conviendra par ailleurs – Michel Barnier me rassure tout à fait sur ce plan – de ne pas promouvoir quelqu’un pour « faire un coup », par provocation, par humeur, pour se faire valoir soi, au lieu de songer à l’intérêt de la France. Et de grâce, qu’on ne laisse pas les proches, qui n’y connaissent rien, influencer pour le pire. La catastrophe qui consisterait, après un excellent ministre, à choisir, par incohérence ou légèreté, son contraire à tous points de vue, sera évitée. On ne fait pas suivre un Blanquer par Pap Ndiaye ni Gabriel Attal par Nicole Belloubet !

Ce n’est pas parce qu’ils sont discrets que les ministres sont forcément compétents

De plus il conviendra d’écarter les ambitieux obsessionnels qui n’apporteront aucune valeur ajoutée, sinon leur envie de créer un désordre gouvernemental et la zizanie entre les ministres. Mais le partage sera parfois difficile à effectuer. Prenons l’exemple de Rachida Dati. On ne peut nier son appétence pour le pouvoir, celui qu’elle a ne lui suffisant jamais. Elle a eu tort récemment de donner, elle, des leçons illégitimes et intempestives à Édouard Philippe et à Jean-Michel Blanquer. Mais il n’empêche que malgré sa part d’ombre qui n’est pas mince, elle a étonné dans sa gestion de la culture, la sortant de l’élitisme snobinard pour lui donner une véritable assise populaire détachée du parisianisme. Ministre, elle a été plus forte, avec ses œuvres, que ses manœuvres et ses éclats qui sont la rançon de son éclatante personnalité.

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Il ne faudra pas confondre également les ministres qui ne parlent jamais avec des professionnels qui travailleraient forcément d’arrache-pied ! De la même manière que certains infiniment médiatisés n’ont plus le temps pour autre chose ou ont au contraire une puissance de travail considérable.
Un ministre peut se tromper de bonne foi. Ce n’est pas grave. Cela le devient quand il n’a pas la modestie de le reconnaître. Il doit avoir l’orgueil de sa fonction, jamais de son personnage.

Un gouvernement qui devra mettre fin à la bordelisation du parlement

Ce serait dangereux de projeter dans la lumière des incultes, des grossiers, étrangers à toute courtoisie notamment parlementaire et au respect de tous les députés élus démocratiquement. Ils devront user de la langue française correctement, voire avec aisance. Les questions au gouvernement ne seront plus pour lui ce qu’elles ont été parfois : un exercice de haine et de mépris. Quelle que soit l’opinion du citoyen, ses convictions, on aura à cœur de lui permettre d’être fier de ses ministres au gré des alternances politiques. Cela dépendra d’eux. Il serait déprimant de retrouver un gouvernement trop proche de celui dont on ne veut plus. La majorité des ministres devra se faire une raison. Michel Barnier n’a pas besoin de mes conseils. Je ne voudrais pas être comme Gabriel Attal, le 5 septembre au soir, à son égard. Mais je ne serais pas choqué si Rachida Dati et Gérald Darmanin – il s’est multiplié pour sauver le régalien du naufrage – demeuraient et je ferais évidemment entrer au gouvernement Philippe Juvin, à la Santé ou ailleurs. Pour le reste, bon courage à Premier ministre. Mais qu’il fasse vite : notre patience est à bout !

Rentrée en musique à Radio France

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Les concerts de la rentrée à Radio France. DR.

Si la petite musique politique des stations qu’elle abrite en agace plus d’un, les grands concerts de musique classique de la rentrée, à l’Auditorium de la Maison de la radio, sont à ne pas manquer. Brahms, Debussy, Elsa Barraine, Richard Strauss, Berlioz… Demandez le programme.


Le nom d’Elsa Barraine ne vous dit rien ? Dommage. Alors je vous conseille, toutes affaires cessantes, de filer au concert d’ouverture de la saison, à l’Auditorium de Radio France, ce jeudi 12 septembre. C’est à 20h. Avec la violoniste Julia Fisher qui interprétera le Concerto pour violon de Brahms. Au programme également, les Images pour orchestre, de Debussy. Et justement… la Symphonie n°2 d’Elsa Barraine.

Retransmission en direct sur France Musique et sur Arte-Concert

Fille d’un violoniste et d’une voix chorale, élève dans la classe de composition de Charles-Marie Widor puis de Paul Dukas (dont elle se fera un ami), Elsa Barraine (1910-1999) obtient le prestigieux Prix de Rome à 19 ans à peine, pour une cantate : La Vierge guerrière -vous aurez reconnu Jeanne d’Arc – sur un poème d’Armand Foucher. Les accords de Munich poussent Elsa Barraine, également pianiste et chef d’orchestre, à adhérer au parti communiste. Entrée en Résistance sous le nom de Catherine Bonnard, elle deviendra, après-guerre, critique musical pour L’Humanité, entre autres. Elle a la bonne idée de rompre avec le Parti dès 1949.

On doit à Elsa Barraine quantité de musiques de films, mais aussi de scène – de Jean Grémillon à Jean-Louis Barrault, en passant par Jacques Demy. Elle continue d’enseigner avant d’intégrer le ministère de la Culture comme inspectrice des théâtres lyriques. Elle est aussi la compositrice de Quatre chants juifs (1937), d’un ballet sur la Chanson du Mal-Aimé (1959), de plusieurs cantates : Cantate du vendredi saint (1955) ou encore celle baptisée Les Paysans, sur un poème d’André Frénaud (1958)… En 1967, Elsa Barraine signe une Musique rituelle pour orgue gong, tam-tam et xylorimba ! Percutant, non ?

À noter que le concert de jeudi – à la baguette, Cristian Macelaru, le directeur musical de l’Orchestre national de France – est diffusé le soir même en direct sur France-Musique et sur Arte Concert.

Des notes slaves pour terminer

Le programme de rentrée des formations musicales de Radio-France se poursuit ce vendredi 13 sous les auspices de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et du chef finlandais Mikko Franck, avec les Nuits d’été (Berlioz), chantées par la mezzo Lea Desandre, et l’immortelle Symphonie alpestre (Richard Strauss). En clôture, une création mondiale :  le Gouffre de l’aurore – joli titre –, une œuvre de la prolifique Tatiana Probst (Pour mémoire, Tatiana Probst, née dans le sérail en 1987, à la fois pianiste, compositrice, comédienne et soprano, est la petite-fille de Gisèle Casadesus et de Lucien Pascal, et la nièce de Jean-Claude Casadesus).

Pour finir cette semaine musicalement bien chargée, RDV ce dimanche à 16h pour un concert choral – Lionel Sow au pupitre – sous le signe de la culture slave, avec Tchaïkovski et Rachmaninov en vedettes, autour desquels gravitent quelques astres de moindre scintillement, tels Diletsky, Bortnianski, Penderecki ou Alexander Kastalsky.

Détails et réservations sur : https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr

Une certaine idée de l’offense

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Le Premier ministre Michel Barnier au journal télévisé de TF1, 6 septembre 2024 © Jacques Witt/SIPA

7 septembre : Michel Barnier, nouveau Premier ministre, planche sur la composition de son futur gouvernement… Mélenchon et LFI, de leur côté, sont dans la rue… Le putsch des généreux ? s’amuse notre contributeur


 « Le mensonge, chez nous, cherche de moins en moins à être cru. On fausse les indices, les comptes, les prix, les changes, mais tout le monde le sait. L’imposture triomphante n’a plus pour objet de faire illusion, mais de respecter un certain code de convenances, qui d’ailleurs n’est formulé nulle part. Le ministre joue son rôle dans un scénario dont il n’est pas l’auteur. Les politiques français peuvent ne pas se soucier du fait, parce qu’au départ, ils ne s’attendaient pas trop à ce qu’il confirmât leurs idées. Les erreurs les plus flagrantes les disqualifient rarement, aux yeux des autres et aux leurs propres, pourvu qu’ils résistent à la tentation de les avouer. Aussi, quand la France rêve, il faut de bien grands malheurs pour la réveiller » (Emmanuel Berl, La France irréelle). Le réveil est douloureux.

Combiné alpin

Fini les Marseillaise, les médailles, tableaux grandioses d’orgies romaines, inclusives, tous nus et tous bronzés, en ouverture, clôture, mondiovisions. Maître des horloges façon Harold Lloyd, Guy Lux arbitrant les duels de vachettes dans la méga-bassine savonneuse du Palais-Bourbon, Emmanuel Macron a cherché tout l’été une chèvre de Monsieur Seguin, un mouton à cinq pattes.

Au terme de sept semaines de ruses et tromperies, au fond du huitième cercle de l’Enfer et ses dix fosses de Mormons, d’adulateurs, ruffians, concussionnaires, le président a harponné un Premier ministre savoyard, auréolé d’un label mystérieux, œcuménique, « gaulliste social ». Le combiné alpin, une épreuve de descente et de slalom, réussit aux compétiteurs polyvalents. Michel Barnier connait la musique. Il veut « des changements et des ruptures… répondre aux défis, aux colères, au sentiment d’abandon et d’injustice… constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Le changement dans la continuité et réciproquement… Jusque-là tout va bien.

A lire aussi, Jean-Baptiste Roques: La droite sans gazole ni vachettes

Pour former son gouvernement, ramasser et ressouder les tronçons du glaive, le Premier ministre peut compter sur une cordelle d’insubmersibles naufrageurs qui, depuis des décennies, ont fait don de la France à leurs personnes. Aventurières de la Culture ; intermittents de l’Education nationale ; gardes des Sceaux sur écoute ; Grands chambellans du spread, des assignats et de la banqueroute ; Pap Ndiaye, Amélie Oudéa-Castéra et Nicole Belloubet déguisés en Jules Fait.rire ; Ségolène Royal, Bonemine thaumaturge… Les ministres et conseillers démissionnaires, qui ont vendu tous ceux qui les ont achetés, monnaient leurs carnets d’adresses, un ralliement contre un soutien, un parachutage dans le Vercors, un fromage. Il ne faut pas bêcher l’élite. Ne pas rater le dernier strapontin du dernier TGV « Paris-Les Arcs républicains ». Rachida Dati adore la Raclette et l’Abondance. Gérald Darmanin est un fondu de Reblochon. Hervé Morin, chamois d’or. Éric Dupond-Moretti a plaidé à Bonneville.

Perette et le pot aux roses

À gauche, les Augustes, ratels insoumis, Jean-Luc Mélenchon, Lucie Castets, enragent. « Au voleur ! au voleur ! Justice, juste ciel ! je suis assassiné ; on m’a dérobé mon élection ; Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! ». Gros-Jean comme devant, Faure, Boyard et Hollande ont perdu, à l’insu de leur plein gré, la partie de poker menteur. Adieu, veau, vache, cochon, couvée et PS maître de l’échiquier… Tu me fends le cœur ! Fabien Roussel, alias Super Résistant, dénonce le coup de farce, et prépare 2027. Nul n’est jamais assez fort pour ce calcul. « La démocratie est salie. Le peuple de France est bâillonné. La République est menacée. Nous appelons à l’union du peuple de France. Partout, devant les préfectures, dans les villes, unissons nos forces. Pour la liberté, pour les salaires, pour nos services publics » … A pied, à cheval, en voiture ou en trottinette électrique. Le putsch des généreux.

Michel Barnier est-il otage du Rassemblement national ? Dans leur roue de gruyère du 116 avenue du Président-Kennedy, les journalistes de Radio France, diversocrates du service public, sont sur le qui-vive. Ils reniflent le nauséabond. Ils éclairent la notion. Ils ont fait de la philo, de la socio, jouent au bonneteau avec les déterminismes, les champs, les schèmes, cognitifs, classificatoires. Comme Jacques Vabre achetant le café dans les publicités des années 80, ils séparent l’ivraie populiste, illibéral, du bon grain progressiste. « Il faut planter les caféiers tout là-haut, sur les hauts plateaux [télés], car l’air est plus pur et le soleil plus fort. Et c’est ça qui donne au café tout son arôme. Bien sûr, c’est plus fatiguant d’aller là-haut. Mais les gringos [de France Inter], eux, ils vont les voir, les caféiers ». Colegiala, colegiala !

A ne pas manquer : Éric Zemmour dans Causeur: «La politique est l’ennemie du peuple»

Le camp du progrès a de nobles idéaux (sauver la planète, jouir sans entraves, de la thune), des angoisses (l’extrême droite, le travail, la précarité menstruelle), des obsessions (les races, la déconstruction, la censure, l’inclusion), des coupables (l’Occident, les blancs, le patriarcat). On croit ce qu’on désire. En théorie, tout se passe bien. Hélas, l’émancipation des genres humains, le tout à l’égo, le droit à la morale et le mélange du gratin et des nouilles, ne vont pas de soi.

Les incantations, vœux pieux, mantras magnanimes sur le dialogue, le consensus et les indispensables compromis, portent à faux. Plus personne n’attend quoi que ce soit des politiques et, plus grave, de la politique. La récente enquête Ipsos post législatives confirme ce profond désenchantement. 85% des électeurs ont un état d’esprit négatif. Malaise ? Malentendu ? Malédiction ?

La défiance mortifère qui gangrène notre démocratie cessera lorsque les ministres, les candidats, ne se contenteront plus de petites phrases, postures, promesses démagogiques, lorsqu’ils feront passer leurs ambitions personnelles après les intérêts supérieurs de la nation. Le pays est miné par un surendettement abyssal, un écroulement éducatif, culturel, une insécurité, le chaos migratoire, plus récemment, la crétinisation et vampirisation du temps de cerveau disponible par les rézzous sociaux. Depuis deux générations, rien n’y fait, rien n’est fait. Le reste, c’est de la mandoline.

Le cardinal Charles II de Bourbon a une devise stoïque : « N’espoir ne peur ».

L’impossibilité d’une île

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DR.

Yasser al-Habib ne pourra finalement pas préparer « la domination civilisationnelle chiite » de l’Occident depuis l’île de Torsa, à l’ouest de l’Écosse.


Au registre des séparatistes musulmans prompts à abuser du droit d’asile occidental, Yasser al-Habib est un cas d’école. Voilà une quinzaine d’années, ce prédicateur chiite koweïtien s’est installé au Royaume-Uni, où le statut de réfugié lui a été reconnu en raison de la persécution judiciaire qu’il subissait dans son pays pour avoir exprimé des positions théologiques dissidentes. En 2003, le quadragénaire avait déclaré publiquement qu’Aïcha, la plus jeune épouse de Mahomet, était une « ennemie de Dieu ». Un grave blasphème aux yeux de la plupart des autorités religieuses du monde islamique. Qui a valu à son auteur dix ans de prison par contumace au Koweït, assortis d’une déchéance de nationalité. Depuis, al-Habib vit exilé dans le village de Fulmer, à 30 kilomètres de Londres, où il a ouvert une mosquée fondamentaliste, créé une chaîne télévision et même tenté une aventure dans le cinéma en produisant récemment un long-métrage sur la vie de Fatima, la fille de Mahomet. Las, le film n’a pas rencontré son public… Comment rebondir après ce cuisant échec ? En prenant possession d’une île écossaise !

À lire aussi, du même auteur: La droite sans gazole ni vachettes

L’année dernière, al-Habib a lancé une souscription pour racheter l’île privée de Torsa (« l’île de Thor » en vieux norrois, langue scandinave médiévale), sur la côte ouest de l’Écosse, mise en vente pour 1,5 million de livres sterling. Son projet : permettre à ses fidèles « de s’installer à un endroit spécial en Occident » et d’y préparer « la domination civilisationnelle chiite ». Trois millions de livres sterling ont été récoltées dans le cadre de la levée de fonds. De quoi construire, sur ce territoire grand comme un quartier parisien, une école, un centre médical et même un camp d’entraînement pour une milice privée. Patatras. Face à la levée de boucliers des médias et des politiques locaux, les vendeurs ont fait savoir cet été qu’ils refusaient l’offre d’al-Habib. « Ils souhaitent que l’on continue de vivre sur leur propriété comme leur famille l’a fait durant des générations », a justifié l’agence immobilière en charge du mandat. Comment dit-on « continuité historique » en vieux norrois ?

« Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

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Kamel Daoud © Hannah Assouline

La loi de Réconciliation nationale, citée par Kamel Daoud en exergue de son roman, punit d’un emprisonnement de trois à cinq ans « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale… » Autant dire que le romancier de Meursault : contre-enquête (2013) est désormais tricard dans son propre pays. Peut-être l’obtention du Goncourt — un pari de notre chroniqueur — et la certitude d’avoir écrit un grand livre le consoleront de cet exil imposé.


Notre collaborateur Jean-Paul Brighelli vient parallèlement de publier L’école sous emprise, dont Céline Pina rend compte ici NDLR

En 1994, j’enseignais au lycée de Corbeil-Essonnes, mère de toutes les ZEP, coincé entre la cité (maghrébine) des Tarterêts et celle de Mauconseil, bastion majoritairement africain. Un jour, un élève de Première pas très intelligent lança, en plein cours : « Moi, j’suis au GIA, M’sieur ! » « Eh bien, nous savions tous que tu étais un crétin, nous savons désormais que tu es aussi un futur assassin. »
Le Groupement Islamique Armé était la plus radicale des factions qui se disputaient alors l’Algérie, après la dissolution du Front Islamique du Salut, qui avait inopportunément remporté les élections de 1990. Les « Tangos » (les moudjahidines islamiques) et les « Charlie » (l’armée algérienne, tout aussi portée aux exactions) se disputèrent pendant dix ans, à grands coups de massacres, le territoire et le pouvoir. 200, 300, 500 000 morts ? Aucun bilan n’a réellement été tiré de ces dix ans d’horreurs, que Kamel Daoud s’emploie à ressusciter en passant par la voix d’une femme qui parle au fœtus dont elle hésite à se débarrasser.

(Comment, un homme qui parle au féminin ? N’a-t-il pas honte de procéder à une appropriation pareille ? Non — d’autant qu’il le fait à la perfection).

Les lois algériennes sur l’avortement sont parmi les plus restrictives au monde. De très nombreuses femmes avaient été violées par les combattants de ces années noires — mais l’Assemblée nationale refusa d’inscrire le viol parmi les motifs autorisés d’avortement. Quand on veut conquérir le monde avec le ventre de ses femmes, on fait feu de tout zob.

A lire aussi, Jean-Pierre Lledo: Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

Aube / Fajr, « coincée entre l’envie de te tuer et celle de te parler sans fin », parle donc au petit amas de cellules dont elle peut encore se débarrasser. Elle lui raconte comment elle en est arrivée à vivre avec une canule plantée dans ce qu’il lui reste de larynx : un soldat d’Allah a bien tenté de lui trancher la gorge, comme à sa sœur, mais l’a partiellement ratée. Elle avait alors cinq ou six ans, on l’a rafistolée comme on a pu, avec un barbelé dessiné sur sa gorge. Elle arbore ce sourire kabyle (« le sourire n’a pas de dents, juste des points de suture, une quinzaine ; c’est une longue grimace, une balafre ahurissante ») et parle d’une voix feutrée, car ses cordes vocales aussi ont été partiellement coupées. Une manie, chez ces bons apôtres, que l’usage inconsidéré du couteau : « L’année où est né mon « sourire », par exemple, on avait égorgé plus d’hommes que de moutons. »
Projet insensé que le sien : « Comment te dire la guerre, dit-elle à sa fille-en-devenir, sans te salir ou te montrer des monstres et te les mettre dans la bouche, un par un, pour te les faire mâcher et avaler ? »
C’est justement là le projet de ce livre terrible. « Ici, il ne reste rien de la guerre que les égorgeurs de Dieu ont menée il y a quelques années. Rien que moi, avec ma longue histoire qui s’enroule et se déroule, t’enveloppant comme une corde nourricière. C’est ce qui rend les gens si nerveux autour de moi quand ils me croisent au bas de l’immeuble. Peut-être qu’ils se doutent que, par le trou de ma gorge, ce sont les centaines de milliers de morts de la guerre civile algérienne qui les toisent. »

Les houris sont les créatures éternellement vierges que la tradition coranique promet aux vrais croyants après leur mort. 72 en général, mais selon les versions, ça peut aller jusqu’à 5000.
C’est curieux, cette manie des vierges, dans l’islam. Être le premier, être le seul. Faut-il croire Trevanian, qui dans Shibumi affirme : « La virginité est capitale pour les Arabes, qui craignent avec raison les comparaisons. » Déflorer une femme est rarement une partie de plaisir, ni pour l’un, ni pour l’autre — alors 72 ad libitum
Quant à ce que les femmes auront à se mettre sous la dent au Paradis d’Allah, le Coran est muet sur ce point. Mais est-ce qu’elles comptent ? « Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Dieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », car nous sommes la grande salissure. » La condition des femmes est l’une des multiples abominations de l’islam : « Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant », dit-elle à son enfant-en-devenir.

A lire aussi, Gil Mihaely: Otages, ô désespoir

Cela, c’est la première partie du roman. Les voix ensuite se diversifient : ainsi, ce libraire errant, qui va de village en village vendre des livres de cuisine et des exemplaires du Coran — car on lui interdit tout le reste. Il suffit de lui donner une date pour que sa mémoire dévide les massacres de ce jour-là.
Kamel Daoud arrive alors au niveau du plus grand livre de guerre jamais écrit, le Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat que Gallimard publia en 1967. Des alignements de massacres. Parce qu’enfin, la guerre est d’abord cela : des litanies indicibles auxquelles il faut donner une voix.

Les jurés du Goncourt, qui ont sélectionné Houris dans leur première sélection, seraient bien avisés de donner à Kamel Daoud, couronné jadis pour le Goncourt du meilleur premier roman, un prix qui mettra en lumière ce que l’histoire officielle — celle qu’enseignent les manuels scolaires et, chez nous, les pédagogues qui refusent de parler de la traite saharienne ou des razzias opérées sur les côtes européennes — tente en vain de glisser sous le tapis de prière.

Kamel Daoud, Houris, Gallimard, septembre 2024, 412 p.

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Ovide, Ovidie, ovidé…

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DR.

Selon l’ancienne actrice porno reconvertie philosophe de l’intime, même « déconstruits » les hommes n’ont toujours rien compris…


Ovidie est une ex-actrice porno reconvertie dans le féminisme, adulée par Télérama et la radio publique. Conceptrice d’ouvrages insignifiants sur la soi-disant société hétéronormative ou la prétendue masculinité toxique, elle a récemment co-signé La Fabrique du prince charmant, un roman-photo censé dénoncer l’homme faussement déconstruit et le patriarcat toujours triomphant. Pour en parler, le philosophe Charles Pépin l’a reçue sur France Inter, le 7 août. Après avoir narré « l’histoire d’un homme blanc, hétéro, d’environ cinquante ans » qui, la tête dans les nuages, ne voit pas les femmes qu’il croise sur le trottoir, les obligeant ainsi à s’écarter sur son passage, l’animateur radiophonique s’interroge : ce comportement est-il celui d’un doux rêveur ou celui d’un homme « porté par des siècles de société patriarcale » ? Ovidie, on s’en doute, a la réponse. M. Pépin abonde d’ailleurs dans son sens : si certains hommes se sont rendu compte de « leurs privilèges », d’autres, en revanche, « sombrent dans un déni absolu ».

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Heureusement, la spécialiste des « codes du porno et de l’intime » veille au grain, affirme M. Pépin. En plus de « décentrer le regard pour produire une réflexion sur le sexisme », l’ex-star du X pratiquerait « une philosophie au sens de la dialectique socratique ». Bref, suggère Pépin, Ovidie est une penseuse de haut vol. Raison pour laquelle il n’hésite pas à lui poser l’épineuse question qui le tarabuste depuis des années : que faire pour sortir vraiment du patriarcat ? « Il s’agit de reprogrammer nos imaginaires », proclame alors notre penseuse, les synapses en fusion. Mais attention, ajoute-t-elle, « un certain nombre d’hommes n’y parviennent pas, car s’ils s’y essaient, ils pensent dans tous les cas être dans le bon camp, celui du bien, en pérennisant de vieux codes qui nécessitent d’être de toute façon déconstruits ». Malgré l’opacité du propos, chacun aura compris que l’homme, quoi qu’il fasse, a toujours tout faux. C’est d’ailleurs l’intérêt de la chose – sinon, de quoi vivrait Mme Delsart, alias Ovidie ?

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LFI: Le Foutriquet Intouchable

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Le député d'extrème gauche des Bouches-du-Rhône Sébastien Delogu, Marseille, 18 août 2024 © Frederic Munsch/SIPA

Retour sur la curieuse et épidermique réaction du LFI Sébastien Delogu, confronté à la RN Edwige Diaz.


Edwige Diaz et Sébastien Delogu sont, non pas dans un bateau, mais sur le plateau de BFMTV où ils sont invités à débattre. La première nommée est députée Rassemblement national de la 11ème circonscription de la Gironde, le second élu de La France Insoumise dans la 7ème de Marseille.

On ne me touche pas !

Voilà bien que, Mme Diaz, cherchant très aimablement à inviter son interlocuteur à ne pas l’interrompre à tout bout de champ comme il le fait, se laisse aller à, de sa main, effleurer son bras. Que n’a-t-elle osé là ! Crispation outragée de son voisin de plateau qui, très ostensiblement, se raidit, se cabre, se détourne. Il en serait presque à exiger qu’on fasse appel aux services de décontamination. Les deux journalistes en charge de l’émission, Olivier Truchot et Alain Marschall, ne manquent pas de souligner le ridicule d’un tel comportement. « On ne me touche pas ! On ne me touche pas ! » s’offusque alors le soi-disant offensé, la prétendue victime de l’épouvantable agression. Va-t-il saisir les tribunaux pour harcèlement, violence à caractère sexuel, gestes déplacés, atteintes à son intégrité physique ? On ne peut l’exclure.

Il reste à tenter d’expliquer cette réaction épidermique, au sens propre du terme. J’avoue mon incapacité à comprendre une telle répulsion devant le geste, plutôt sympathique et apaisant, d’une femme, au demeurant charmante. Moi, voyez-vous, je serais plutôt du genre à en redemander. Mais bon. Je ne suis ni député, ni – encore moins – LFI.

Gestes barrières

Il me manque, pour cela, le logiciel mental qui, très probablement, doit permettre d’expliquer la brutalité du rejet. Un logiciel dans lequel RN équivaut à peste brune, donc à un risque majeur de contagion, même au plus léger contact. Ce serait aussi la raison pour laquelle on se refuse, tout aussi ostensiblement, à serrer la main des élus RN à l’Assemblée nationale. Il y a de la prévention sanitaire dans cette sottise effrayante. Il y a aussi du vade retro satanas, puisque, selon la bible mélenchonienne, l’assimilation du RN à la peste se trouve enrichie d’une accusation d’inféodation aux œuvres du Malin. On pourrait penser que ce ne sont que des mots. On se tromperait. Ce genre de venin fait inexorablement son chemin dans certains esprits. Et quand, quasiment d’un bord à l’autre du spectre politique, on mobilise – non sans succès – les foules pour « faire barrage », il entre bien là-dedans une part de cet obscurantisme, de cet impensé totalement irrationnel. Barrage contre quoi ? Contre la peste brune, contre les armées du démon ? Ce n’est pas exprimé ainsi, certes. Mais cela s’entend tout de même au-delà des propos convenus, et des arguments fabriqués.

« On ne me touche pas ! » piaille donc le pauvre homme. Ce faisant, il excipe d’une illusoire qualité d’intouchable. Et c’est aussi sans aucun doute cette débile conviction qui l’a conduit, voilà peu, à se permettre d’emprunter à contre-sens et à toute vitesse un couloir de bus dans son aire électorale de Marseille. « On ne me touche pas ! » Aura-t-il probablement lancé aux policiers l’interpellant. Ça n’a pas marché. Pour que ça fonctionne à tous les coups, il faudra qu’il attende que lui et ses camarades aient pris le pouvoir. Alors là, ils se régaleront ! Nous autres, beaucoup moins.

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La droite sans gazole ni vachettes

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Les vachettes d'Intervilles, Michel Sardou et la Renault 17. DR.

L’ancien candidat à la primaire LR de 2022 a été nommé hier Premier ministre. L’union des droites ne viendrait-elle pas, en catimini, d’avoir lieu ? 


Jadis, il existait un nom consacré pour des journées comme celle d’hier. On parlait de mariage de raison. Le genre d’union célébrée en toute discrétion, sans bouquets de fleur ni vin d’honneur. Hier à Matignon, même si personne n’osait le dire, l’évidence était dans tous les esprits : cet été la France a fauté. Alors qu’elle semblait avoir obéi à ses directeurs de conscience en faisant impeccablement barrage aux assauts d’un jeune premier nommé Jordan, la Gauloise réfractaire s’est en réalité bel et bien donnée à la droite. L’analyse de son hémicycle ne laisse aucun doute à ce sujet. Il a fallu des semaines pour accepter la honteuse mésalliance. Mais, qu’on le veuille ou non, France et conservatisme vont devoir faire un bout de chemin ensemble.

Barnier, le gendre idéal

Problème : la belle famille – j’ai nommé le clan désuni de la droite –  est à couteaux tirés. Incapable de s’entendre depuis des décennies. Une bonne partie de ses membres, et non des moindres, en particulier la branche Le Pen, ont d’ailleurs prévenu qu’ils ne participaient pas à la noce. On se contentera donc de leur approbation du bout des lèvres, et c’est déjà un exploit… Il faut dire qu’ils auraient eu mauvaise grâce de venir perturber la cérémonie. Depuis cinquante ans qu’il occupe les postes les plus variés de la vie politique (conseiller général, député, sénateur, ministre, commissaire européen), l’heureux élu, un certain Michel Barnier, ne leur a jamais manqué de respect.

À lire aussi, Gabriel Robin: Michel Barnier: Macron demande à l’ancien monde de sauver le nouveau

Et puis, il a beau être le prototype de l’apparatchik chiraquien, européiste et soporifique, il y a dans le style Barnier, quelque chose de rigide et de vieille France qui n’est pas pour déplaire au RN. Hier, dans son discours d’investiture, le Savoyard a d’ailleurs salué à sa manière les grands absents du jour en prononçant tous les mots de l’infréquentabilité : “sécurité”, « maîtrise de l’immigration », “sentiment d’abandon et d’injustice”. Bien sûr, beaucoup pensent que son physique et ses manières de gendre idéal ne suffiront pas à sauver les apparences, et que l’accord tacite avec la droite populiste explosera en plein vol dès les premières turbulences venues. Mais est-il interdit de rêver ? Et de se souvenir que, jadis, les mariages de raison faisaient les foyers les plus solides et les plus heureux ?

Les vieux mariés

Alors rêvons un peu. Et constatons que ce n’est pas la première fois, dans l’histoire récente, que nous assistons à des réconciliations, que dis-je à des résurrections, auxquelles plus personne ne croyait. Prenez l’Otan. D’aucuns la disaient en état de mort cérébrale… Depuis deux ans pourtant, toute l’Europe, ou presque, lui dit et redit son amour. Prenez aussi les frères Gallagher, qui, après des années de haine, vont reconstituer le groupe de rock Oasis. Prenez, enfin et surtout, des fleurons de notre culture populaire tels que Michel Sardou, la Renault 17 et Intervilles, dont les prochains retours viennent d’être annoncés coup sur coup cette semaine. Les esprits chagrins déploreront sans doute que le premier revienne sur scène dans une pièce de théâtre et pas pour un tour de chant, que la seconde ait troqué le bon vieux moteur au gazole contre la technologie électrique, et que la nouvelle version de l’émission créée par Guy Lux ait renoncé aux joutes de vachettes. Michel Barnier c’est un peu cela au fond : la droite sans gazole ni vachettes. Mais la droite quand même.

«La droite a renoncé à mener le combat culturel»

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Eric Zemmour © InitialesCK/Eléonore Lhéritier/Reconquête

Relire la première partie.


Causeur. Les élections n’ont pas sacré la reine du bal désignée par les sondages… Pourquoi le RN a-t-il perdu ?

Eric Zemmour. La coalition des partisans du cordon sanitaire a évidemment bloqué sa dynamique. Ce grand retour des castors a étonnement fonctionné. Peut-être grâce aux failles du RN. Depuis des mois, il se disait prêt, avec le fameux « plan Matignon », les 577 candidats déjà sélectionnés, les textes de loi qui auraient déjà été rédigés, etc. La campagne a montré que les dirigeants du RN n’étaient pas prêts. Ils ont changé de programme tous les jours et sont restés sans voix devant les polémiques lancées par leurs adversaires. Car la dédiabolisation leur coupe la voix. Qu’est-ce que la dédiabolisation ? C’est le fait de renoncer à des idées que la gauche estime inacceptables. C’est donc la soumission à l’idéologie de gauche. C’est le pari que fait Marine Le Pen depuis douze ans maintenant, et que je critiquais déjà du temps où j’écrivais au Figaro. Les concessions qu’elle fait à la gauche ne seront jamais assez nombreuses. La gauche ne donnera jamais quitus au RN. Ce n’est jamais assez ; une soumission en entraîne une autre et à la fin que reste-t-il ?

En dehors de ce que veut la gauche, faut-il regretter l’antisémitisme de fin de banquet et autre rivarolades pétainistes de Jean-Marie Le Pen ? Êtes-vous choqué que Marine Le Pen ait déclaré que le nazisme était une abomination ?

Rejeter les quelques nazillons du FN, vous appelez ça une stratégie ? C’est une évidence. Mais faire croire que Marine Le Pen a dénazifié le FN, c’est encore une fois tomber dans le piège de la gauche. Le FN n’était pas un parti de nazis. La nazification de patriotes absolument pas nazis est une des stratégies les plus classiques de la gauche depuis les années 1930. C’est même Staline qui l’a inventée et suggérée à tous les partis communistes européens. Je parle donc d’une machine infernale : de la dédiabolisation qui fait de la gauche l’ultima ratio de la bienséance, rôle qu’elle s’octroie depuis la Révolution française. Faire de la dédiabolisation une stratégie, c’est lui reconnaître ce magistère. Et ça ne sert à rien. Il a suffi de vingt-quatre heures entre le soir du premier tour et le lendemain pour rediaboliser comme jamais le RN. Alors qu’est-ce qu’on tire de ces élections pour aller de l’avant ? Marine Le Pen en tire qu’il faut aller plus loin dans la dédiabolisation, j’en tire qu’il faut aller plus loin dans la crédibilité et l’affirmation de nos idées. La situation est de plus en plus critique, ce n’est pas le moment de mollir. Chez Reconquête nous allons travailler d’arrache-pied sur la formation de nos cadres et l’élaboration d’un nouveau programme.

En tout cas, votre union des droites a du plomb dans l’aile.

Vous avez raison ! Pour faire l’union des droites, comme son nom l’indique, il faut des gens qui veulent s’unir et des gens de droite. Les LR se disent de droite, mais ne veulent pas s’unir. Le RN ne se dit pas de droite et ne veut pas non plus d’alliance avec Reconquête. J’ai décidé de ne plus parler de tactique ! L’union des droites, c’est un moyen, pas un objectif. L’objectif, c’est de sauver la France. Je trouverai d’autres moyens.

Jordan Bardella et Marine Le Pen au palais de l’Élysée, après leur entretien avec Emmanuel Macron en vue de la nomination du prochain Premier ministre, 26 août 2024 ISA HARSIN/SIPA

Qu’avez-vous pensé de l’épisode Ciotti ?

Ciotti a tenté une union avec le RN et je le félicite d’avoir essayé de rompre le cordon sanitaire. Malheureusement, le reste des LR n’a pas eu son courage et le cordon sanitaire est revenu, plus fort que jamais. Au passage, on a assisté à une opération vérité : tous les leaders de LR ont reconnu, une fois de plus, qu’ils demeuraient des centristes, proches d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, le paysage médiatique est beaucoup plus ouvert qu’il y a trente ans : il y a les médias Bolloré… et Causeur ! Pourquoi la gauche, beaucoup moins florissante électoralement, conserve-t-elle son hégémonie culturelle ?

Nos idées ont désormais un diffuseur médiatique non négligeable. D’ailleurs, nos adversaires ont compris qu’il fallait d’urgence attaquer le diffuseur. Mais la gauche conserve l’hégémonie culturelle, car elle tient l’école, l’université, les médias, la justice, le cinéma, le monde de la culture, les financements publics, la plupart des réseaux sociaux et leur pouvoir de censure. Avec cela, la gauche endoctrine la masse, en particulier, les jeunes générations, comme au temps de la Révolution culturelle chinoise, quand les jeunes étaient instruits contre leurs propres parents ! Vous voyez, l’hégémonie culturelle n’a pas besoin de la majorité électorale, même si elle la prépare.

L’attaque terroriste contre la synagogue de La Grande-Motte montre que la haine des juifs, attisée par une partie de la gauche, est aujourd’hui décomplexée. Beaucoup de Français juifs se demandent s’il y a un avenir pour eux en France. Et vous ?

Beaucoup de Français se demandent s’il y a un avenir pour les Français en France ! Si on veut lutter contre l’antisémitisme, il faut arrêter l’immigration musulmane. C’est un principe de précaution. Il y a un antisémitisme culturel systémique, comme on dit, dans le monde musulman. C’est un phénomène très documenté, notamment par l’historien Georges Bensoussan, spécialiste du monde arabe, ou par David Littman qui raconte la condition des juifs au Maghreb. Plus il y aura de musulmans en France, plus il y aura d’antisémitisme. On était sorti de l’antisémitisme européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on l’a ramené nous-mêmes sur notre sol par l’immigration. Il faut arrêter.

Revenons à vous. Beaucoup de gens semblent partager votre diagnostic. Pourquoi ne vous élisent-ils pas reine du bal ?

Permettez-moi l’optimisme : c’est déjà un progrès ! C’est même la première étape. Il y a quelques années, on me contestait le diagnostic. Je pense tout simplement que l’élection présidentielle structure la vie politique et les rapports de forces pour les cinq années qui suivent. Il y a comme une inertie attachée à ce résultat. En arrivant deuxième en 2022, Marine Le Pen a pris la tête de l’opposition. On peut faire beaucoup de choses pendant cinq ans, mais pas renverser cette hiérarchie. En 2027, les compteurs seront remis à zéro, les Français seront disponibles, comme à chaque élection présidentielle, pour écouter et comparer : l’électorat redevient mobile. Les jeux seront à nouveau ouverts. D’ici là, revenons aux fondamentaux : les idées, les convictions, les tempéraments. C’est ce qui fait l’essence de la politique, pas les partis, ni les sondages.

Cependant, n’êtes-vous pas un peu obsessionnel ? Tout n’entre pas dans le tuyau du grand remplacement.

C’est vous qui parlez ! Pour vous taquiner, je dirais qu’obsédé vient du latin obsedare qui signifie assiéger. Oui, je pense que la France est assiégée par une civilisation étrangère et qu’il est tout à fait légitime d’être obsédé par cela. Je ne cherche pas à faire entrer tous les problèmes dans une théorie, mais certains grands phénomènes historiques s’imposent et transforment tout. Prenons l’exemple de l’école. Ce n’est pas l’immigration qui a causé son effondrement, c’est l’idéologie. À partir de 1945, dans tous les pays occidentaux, on a subordonné le principe de méritocratie à l’objectif supérieur de démocratisation et de réduction des inégalités. Mais l’arrivée de millions d’enfants issus de cultures maghrébines ou africaines, avec des parents qui parlaient très mal français et, pour la plupart, n’avaient pas le culte du savoir, a aggravé les choses. Les idéologues de gauche se sont employés à adapter l’enseignement à ce nouveau public ; cela a produit un effet boule de neige. De même, l’immigration n’est pas responsable de la désindustrialisation française, de la baisse du temps de travail, de la baisse de la compétitivité, de l’insistance mise sur la consommation au détriment de la production : tout cela, c’est l’œuvre des élites françaises. Mais le fait est que beaucoup d’immigrés ne travaillent pas (le taux d’inactivité est de 40 % chez les Algériens contre 26 % chez les Français) et qu’on fait venir des immigrés pour consommer, que cette consommation n’est pas financée par leur travail, mais par les allocations sociales, que l’on finance par la dette. Enfin, on s’étonne que nos services publics n’aient plus l’efficacité d’antan, et bien sûr que les 35 heures, la bureaucratisation et la tyrannie des normes n’y sont pas pour rien. Mais on oublie qu’ils subissent aussi l’arrivée annuelle de 500 000 personnes, très consommatrices de services publics. Ils ploient sous le nombre. En somme, comme pour l’école, les immigrés aggravent nos propres problèmes.

Du point de vue de l’immigré, il est légitime de chercher à venir en France.

C’est rationnel, mais ce n’est pas moral.

Ce n’est pas immoral.

Je trouve que si. C’est immoral de quitter son pays plutôt que de l’aider à devenir plus fort. C’est immoral de profiter d’un pays, voire de l’attaquer, alors que ce pays vous a accueilli.

La plupart des êtres humains sont immoraux dans ce cas, car la plupart privilégient le sort de leurs enfants à celui de leur pays.

Ce n’est pas vrai. En 1914, les Français n’ont pas fait ce calcul-là, ils n’ont pas émigré en masse. Et ils ont construit un pays magnifique pour leurs enfants.

Campement de migrants devant la mairie du 18e arrondissement de Paris, demandant « une mise à l’abri » à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, 24 juillet 2024. SOPA Images/SIPA

L’étranger qui vient en France n’est pas responsable du système qui a été mis en place pour l’attirer. Pourquoi attaquer les immigrés plutôt que l’immigration?

Une fois qu’ils sont chez nous, ils ont une responsabilité individuelle. Au nom de quoi n’aurait-on pas le droit de critiquer ceux des immigrés qui profitent de notre générosité sans travailler, ou ceux qui violent, qui poignardent et qui tuent ? Mais s’ils sont là, c’est bien de la faute de la politique française. Et il faut dire que notre système devient de plus en plus fou ! Pendant l’été, la Cour nationale du droit d’asile a décidé que TOUTES les femmes afghanes pouvaient bénéficier du droit d’asile en France, du fait de leur traitement par les talibans. C’est-à-dire qu’il n’y a même plus besoin d’examen individuel de leur cas ! Elles obtiennent d’office le statut de réfugiée ! N’oubliez pas que grâce au regroupement familial, les enfants et les maris pourront également les rejoindre en France. En clair, grâce à nos juges, les 40 millions d’Afghans sont désormais les bienvenus en France !

Beaucoup de femmes afghanes méritent la protection de nos lois, non ?

Votre esprit de contradiction vous égare ! Je ne sais pas si vous mesurez ce que je viens de vous dire. Les femmes afghanes sont victimes de l’islam depuis mille ans, est-ce pour cela qu’il faut accueillir toutes les femmes afghanes ? Et puis toutes les femmes du monde musulman, et tous les homosexuels ? Cela va faire du monde ! Le droit d’asile,c’est Victor Hugo et Soljenitsyne. Ce n’est pas tous les persécutés des pays musulmans. Au nom de quoi les gens de la CNDA peuvent-ils prendre de telles décisions qui engagent le pays plus que toute décision prise par le Parlement ? Ces gens n’ont pas été élus, personne ne les connaît. C’est un scandale démocratique.

Faisons un détour par l’Angleterre et les émeutes. Cela ne va pas aider votre combat contre l’immigration que des gens agressent des immigrés dans les rues.

Qu’ont dit ces émeutiers anglais ? Enough is enough – « trop, c’est trop ». Un fils de migrants rwandais venait d’assassiner trois fillettes. Et ce n’est pas la première affaire de ce genre qui émeut l’Angleterre ! Le peuple britannique a voulu sortir de l’UE pour arrêter l’immigration. Et les élites anglaises ont stoppé l’immigration européenne, mais accru l’immigration extra-européenne. C’est contre cette entourloupe que les Anglais se révoltent. Cette révolte est légitime dans son objet. Et immédiatement, des militants d’extrême gauche et des islamo-gauchistes, renforcés par la police anglaise, sont partis de toute l’Europe pour faire le coup de poing contre ces Anglais. La justice a été d’une rare férocité avec ces gens qui défendaient le droit de l’Angleterre de rester l’Angleterre.

Beaucoup de Français redoutent comme vous de voir la France qu’ils aiment disparaître, mais voudraient des solutions douces.

La solution que je propose est beaucoup plus douce que celle qui consiste à laisser le djihad se développer sur notre sol, à accepter l’ambiance de guerre civile, à mentir effrontément sur la nature de l’immigration musulmane et, in fine, un jour, et bien trop tard, se résoudre à intervenir de manière violente, dramatique – ou bien, car ce sera la seule alternative, à être vaincus. Je fais tout pour nous l’épargner. Je pense que les Français ont compris que je ferai ce que je dis. Ils savent que chez les autres, ce n’est que du théâtre et que, contrairement à eux, j’aurai le tempérament nécessaire pour régler la question.

Prétendez-vous sauver la France contre elle-même ?

Le général de Gaulle dit : « La seule fatalité, ce sont des peuples qui n’ont plus la force de se tenir debout et qui se couchent pour mourir. » C’est pour conjurer cette fatalité que je me suis engagé en politique.

Il se dit beaucoup que vous êtes un bon analyste, mais un mauvais politique.

J’entends la critique. Si la politique, c’est changer d’avis tous les jours parce que les sondages changent, faire des coups, dire et ne pas faire, oui, je ne suis pas un bon politicien. Mon ami Gilles-William Goldnadel avait dit : « Zemmour ne sera jamais un vrai politicien parce qu’il ne veut pas mentir. » Je le remercie pour ce beau compliment !

Quelle piètre opinion de la politique !

Qui a permis à l’immigration et à l’islam de conquérir la France ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a effacé les frontières ? La politique, contre l’avis des Français. Qui a fait des travailleurs des esclaves du fisc ? La politique, contre l’avis des Français. Et peu importe que ce soit la droite ou la gauche, car c’est encore et toujours la politique, la matrice unique de nos malheurs.

Le problème de la France, c’est cette politique. La politique qui brise la liberté, la vérité, la créativité, la prospérité, la souveraineté. La politique qui torture la pensée du peuple à coups de mensonges. La politique qui s’est insérée dans les moindres interstices de notre vie privée. La politique qui paralyse l’action du peuple à coups de lois et de prélèvements. La politique qui envahit tout, s’empare de tout, détourne tout, tord tout, dénature tout, abîme tout, annule tout. La politique qui ruine le pays. La politique qui remplace le pays. La politique qui déclasse le pays. La politique qui embrigade le pays. La politique est l’ennemie du peuple. Une révolution antipolitique est nécessaire.

Vous, l’admirateur de Churchill, Napoléon, De Gaulle, ne croyez plus à la politique pour civiliser les conflits ?

Ce que les Français appellent « la politique » en 2024, ce n’est ni Churchill face au nazisme, ni Napoléon recréant le Droit, ni De Gaulle rendant à la France sa grandeur. Ce qu’ils appellent « la politique », c’est un labyrinthe sans fin d’hypocrisies, d’incompétences et de ratages. Ils veulent abattre les murs de ce labyrinthe. Moi aussi. Je veux le faire avec eux et pour eux. Et nous retrouverons peut-être un jour la grande politique, mais pas avant. Il faut sortir le pays du « Tout est politique » imposé par les soixante-huitards ! Ils ont tout politisé, ils ont tout dénaturé, ils nous enferment dans une logique totalitaire. Il faut dépolitiser l’école, la culture, le cinéma, l’économie, la chambre à coucher, l’humour, les relations entre les hommes et les femmes, la fiscalité, la famille, la propriété, l’écologie, la justice. Il faut dépolitiser tout ce qui a été tragiquement politisé par la gauche. Vous allez m’entendre le dire souvent dans les mois qui viennent : la politique est l’ennemie du peuple. Ce n’est pas une formule en l’air. C’est ce que pensent les Français. Nous allons faire tomber cette Bastille.

Michel Barnier, technocrate fade au carré?

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Michel Barnier, alors négociateur de l'Union européenne chargé de la préparation des relations futures avec le Royaume-Uni, avec le président Macron, Paris, 30 janvier 2020 © Stephane Lemouton/Pool/SIPA

Depuis des années, Michel Barnier, notre nouveau Premier ministre, était considéré comme un « technocrate fade » un peu mou par les vieux briscards de la politique. Mais il pourrait agréablement nous surprendre, observe Céline Pina.


Enfin nous avons un Premier ministre. Michel Barnier a gagné le Koh-Lanta de la nomination. Les Hunger games macroniens ont un vainqueur et la France un nouveau Premier ministre !

Combien de temps tiendra-t-il ?

La série n’a pas été passionnante. On a perdu beaucoup de temps avec un personnage secondaire mais particulièrement insistant, Lucie Castets, qui a créé moults rebondissements mais peu d’enthousiasme. La première saison de ce mauvais feuilleton a ainsi été consacrée à l’élagage de la distribution. L’élimination des héros, souvent par leur propre entourage et par la grâce de la traîtrise, fédère toujours les spectateurs, à défaut d’inspirer l’électeur. La deuxième saison qui s’ouvre devrait se pencher sur le parcours de l’élu, enfin du « designated survivor ». Et disons-le, au vu du contexte politique incertain, l’échec est probable et laisse penser que la troisième saison ne verra jamais le jour, et qu’il faut se préparer à l’arrêt de la franchise.

Les élections législatives n’ayant été gagnées par personne, trouver un homme susceptible de ne pas être victime d’une motion de censure sitôt nommé relevait de la gageure dans un pays divisé où chaque formation politique est sous pression de militants radicaux. Voilà pourquoi nous nous sommes longtemps crus dans une représentation interminable d’En attendant Godot tant cette nomination était espérée et pourtant n’aboutissait jamais. Et pour cause.

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Cette pièce sur l’absurdité de la condition humaine parle de notre réalité politique. Attendre Godot, c’est espérer que le monde va changer, tout en étant conscient que cet espoir est ridicule, surtout quand on n’agit jamais pour influer sur son cours. Attendre Godot, c’est la quête de l’hyper-solution. Cette idée absurde qui consiste à penser que l’on peut résoudre tous ses problèmes grâce à une seule équation. Un exemple : vous êtes mal dans votre peau, mal à l’aise avec votre sexualité, votre lien à autrui et votre relation au monde ? Changez-donc de sexe et vous serez en accord avec vous-même. Vous doutez que cela marche, et vous pensez qu’assez rapidement la personne se retrouvera confrontée aux mêmes problèmes que ceux qu’elle a tenté de fuir ? C’est exact. L’hyper-solution mène à l’échec car elle est la négation de la vie.

La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

La panacée n’existe pas, c’est une fuite en avant dans l’illusion. L’existence est un combat au quotidien, combat perpétuellement renouvelé dont l’issue est de surcroit fatale… La quête d’une hyper-solution est une posture immature car elle nie la condition humaine, la nécessité de construire et de se construire. Nous n’avons pas de baguette magique et il n’y a pas de sauveur. Mais il peut y avoir des hommes debout. Et nous en avons besoin.

Un choix cohérent

Le choix de Michel Barnier a sa cohérence. L’homme a une véritable expérience internationale, et son poste de négociateur du Brexit a démontré ses qualités diplomatiques et sa fermeté. Plusieurs fois ministre, il connait bien la France et a souvent été apprécié dans l’exercice de ses fonctions. Elu local et chef d’exécutifs locaux, il a l’expérience du terrain et est ancré sur un territoire. Il y a une histoire à raconter autour de cette nomination qui tente de conjuguer profil technocratique et épaisseur politique. Même si le technocrate est plus visible chez Michel Barnier que le produit du terroir.

Sa nomination intervient à un moment où la gauche s’est ridiculisée : après avoir tenté d’imposer un personnage sans histoire ni envergure à la tête du pays en s’inventant une victoire qui n’existe pas, le PS a abattu le seul homme qui pouvait tenter de créer une coalition, Bernard Cazeneuve. Se faisant, il a prouvé que les deux gauches étaient effectivement irréconciliables et que la seule manière d’envisager un avenir passe par l’élimination de la gauche républicaine de Cazeneuve au bénéfice d’une gauche aux penchants totalitaires et antisémites, celle de LFI. Ce terrain ayant été dégagé, la candidature d’une personnalité de droite cadrait mieux avec les attentes des Français et leur vote. Or, dans ce cadre, l’imprimatur du RN était nécessaire. Exit donc Xavier Bertrand, qui s’était posé en caution morale face au risque fasciste qu’il imputait au RN. Un profil comme Michel Barnier, qui n’a jamais insulté personne tout en sachant affronter les situations de tension, devenait la clé d’un possible.

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N’avoir jamais insulté personne parait un peu terne comme image politique ? On a vu que Michel Barnier ne se résumait pas à cela, mais il n’en reste pas moins que ce « détail » est de grande importance. Ne dit-on pas que le divin se cache dans les petites choses ? Or la tenue est exactement ce qui manque aujourd’hui en politique. Celle-ci s’incarne aujourd’hui dans des personnages qui paraissent dépourvus de vergogne, de limites et d’éducation. Les Delogu, Léaument, Soudais et autres Guiraud ont abimé l’image de l’Assemblée nationale à force de vociférations et de violences, Jean-Luc Mélenchon est devenu une caricature d’imprécateur, une grande partie de la gauche assène toujours des leçons de maintien alors qu’elle fraie avec les islamo-gauchistes. On n’est pas mieux loti du côté du pouvoir avec un président adulescent et irresponsable, largement comptable de l’impasse politique où ses caprices nous ont placés. Quant à la droite, la tragi-comédie des LR lors des législatives l’a rendu peu attractive et même un tantinet ridicule. Elle ne s’en est pas encore remise.

Ce n’est pas un président de droite qui parlait de « sans-dents »…

Dans ce cadre où tous ceux qui se poussent du col montrent plus leurs limites que leurs atouts, le « terne » Michel Barnier ne s’en est pas mal sorti. Sa passation de pouvoir entre lui et Gabriel Attal était touchante et digne. Et surtout y affleurait une forme de sincérité et de simplicité extrêmement intéressante. On était loin des mots ronflants dont l’emphase et la puissance servent avant tout à masquer la réalité de l’inaction du pouvoir. Certains se sont beaucoup moqués de l’expression « les gens d’en bas ». Surtout à gauche. Alors même que cette gauche les méprise et n’écoute plus ces gens depuis longtemps, tant elle est persuadée que le peuple est con et qu’elle a les meilleures solutions pour faire son bonheur malgré lui. Eh bien curieusement, c’est le techno qui trouve la voix de la sincérité pour en parler. Son expression était peut-être un peu vieillotte, datée, ancien monde, mais les accents dans la voix du Savoyard montraient qu’il croyait aux mots qu’il prononçait, là où trop souvent les politiques utilisent les mots comme des leurres. Il y avait là quelque chose d’apaisant et de rassurant dans les premiers pas de cet homme placé par les circonstances au poste de Premier ministre.

Il n’en reste pas moins que le chantier qui s’ouvre devant lui est titanesque et qu’aucune des conditions ne sont remplies pour qu’il puisse espérer réussir. Il n’a pas de majorité, et doit gérer un président dont le discernement est inversement proportionnel à sa capacité d’initiative, et qui est en plus prompt à mettre des excréments dans le ventilateur, même dans sa propre maison. Notre problème est qu’une situation politique bloquée c’est comme une cocotte-minute sous pression. Il faut donc gagner du temps pour empêcher que la logique de tension que cela implique ne finisse par affaiblir considérablement l’Elysée. Il faut donner au monde politique un os à ronger et une tête à faire tomber autre que celle d’Emmanuel Macron. Il faut donc occuper les médias et leur fournir un abcès de fixation. Mais à part se donner le temps de bien compter les briques en attendant de se prendre le mur, que peut faire Michel Barnier ? Dans une société fracturée où dans la perspective de 2027 chacun va vouloir donner des gages aux plus radicaux de son camp, la conjonction de l’hystérisation des enjeux et de l’impuissance du politique risque d’exacerber frustrations et revendications alors même que la crise budgétaire et les menaces extérieures réduisent toute marge de manœuvre. Face à ces réalités, si Michel Barnier arrive déjà à relancer le dialogue entre les forces politiques et à prendre en compte les attentes des Français sans brutaliser la société, il aura fait œuvre utile et aura amené quelques grammes d’espoir dans un monde de brutes.

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