Le Top 14 reprend ses droits ce week-end avec, déjà, d’alléchantes affiches : tout commencera par une Peña Baiona au stade Jean Dauger où les locaux de l’Aviron bayonnais affronteront les Catalans de Perpignan, avant de se poursuivre avec la rencontre des outsiders entre La Rochelle et Toulon et de se terminer avec l’opposition entre les nouveaux venus de Vannes et le favori toulousain. La compétition domestique de rugby est un de ces rares plaisirs où les rivalités picrocholines, les mêlées viriles et les troisièmes mi-temps arrosées sont encore admises. Après la professionnalisation édictée en 1995, le rugby semble pourtant aujourd’hui à un nouveau tournant, entre devoir de modernisation et risque de s’y perdre.
Bien sûr, nous ne devrions jamais comparer deux sports, tant chacun de ceux-ci possède ses lettres de noblesse, son histoire, ses drames et ses champions, mais la tentation est grande d’opposer les ballons rond et ovale. Et, en matière de football, les derniers mois furent féconds de ce que la post-modernité produit de plus vil : saga autour du transfert de Mbappé, profusion de rencontres jusqu’à l’indigestion et à des horaires improbables, multipropriétés, stades hypermodernes et hyperconnectés répondant au nom de richissimes sponsors, règne des stats, pour se terminer par le tirage récent de la Champions League où la seule chose qui fut comprise de tous est qu’elle favoriserait les mastodontes au détriment de la glorieuse incertitude du sport – sans laquelle celui-ci n’est plus qu’un spectacle.
Le rugby, qui tire sa filiation de la phéninde grecque et de l’harpastum romain[1], autant que du jeu de soule qui mettait aux prises des villages voisins, n’est évidemment pas à l’abri de connaître le même sort. Si on voue une admiration sans borne pour les exploits du Stade toulousain, sa domination outrageante ne manque pas de soulever quelques inquiétudes dans une discipline où les lauriers se répartissent à peu près équitablement – en dehors de quelques sagas, dont celle de Béziers dans les années 70 sous la houlette de Raoul Barrière. La starification, malgré lui, du brillant et modeste Antoine Dupont tranche avec un sport éminemment collectif. L’argent prend une place toujours croissante et on espère ne pas voir advenir le « rugby business », avec des « maillots third » floqués au nom de joueurs négociant leur transfert sous d’autres horizons, des droits vendus à l’encan, des abonnements hors de prix, des compétitions qui se multiplient et des bagarres dans les tribunes… Certains signaux n’ont pas manqué d’inquiéter ces derniers mois.
La modernisation est inévitable et ne fait que suivre l’évolution de la société. Il y a d’ailleurs bien longtemps que l’Ovalie a tranché avec les origines sociales liées à ses berceaux : pour simplifier à l’excès, le rugby était d’extraction noble en Angleterre où il fut la chasse gardée de la gentry ; étudiante en Irlande, aux abords du Trinity College et d’autres écoles réservées aux élites ; populaire au Pays de Galles où dockers, mineurs et métallurgistes mélangèrent leur sueur à la suie et à la houille ; paysanne en Ecosse, où il gagna rapidement les campagnes. On ne retrouve plus guère de tout cela aujourd’hui et il est d’ailleurs sans doute utopique d’espérer que le sport de Webb Ellis garde éternellement ses particularismes.
Mais que ses acteurs, des joueurs aux dirigeants, n’en dénaturent pas l’essence et conservent ce qui fait le charme de la discipline. Le rugby, c’est avant tout un sport de territoire qui se conquiert par des combats et des actions de génie : ses mêlées, au cours desquelles les casques s’entrechoquent au son des instructions données par l’arbitre (« flexion », « liez », « jeu ») en même temps que les râles se dégagent de ce troupeau si peu moutonnier ; ses ballons envoyés à l’autre bout du terrain avant qu’ils ne reviennent, comme pour sacraliser le principe de l’éternel retour ; ses essais enfin et surtout, anodins ou entrés dans l’histoire, comme celui de Gareth Edwards avec les Barbarians en 1973. Le rugby, ce sont des traditions : le folklore chanté en tribune et accompagné des fanfares et bandas du Sud-Ouest, le haka des guerriers néo-zélandais qui tranche avec le jeu souvent châtié de générations de All Blacks qui ont honoré de leur talent la toison noire frappée d’une fougère ou encore les hymnes lors du tournoi des Six nations, dont le Flower of Scotland entamé à la cornemuse et terminé a capella ou le magnifique Land of my Father repris par les chœurs gallois.
Le rugby, ce sont les troisièmes mi-temps qui adoucissent les rivalités cristallisées à l’ombre des poteaux plantés en plein cœur de territoires où le soleil se cache rarement. Le rugby, ce sont des grandes voix, de Roger Couderc, de Thierry Gilardi et aujourd’hui de Jean Abeilhou et de Matthieu Lartot ; et des écrivains qui ont rehaussé par leur plume la dimension épique de ce sport, d’Antoine Blondin à Denis Tillinac qui retrouvaient sans doute dans l’Ovalie leur monde de hussards. Le rugby, ce sont aussi les joueurs fidjiens, samoans et tongiens venus apporter un vent frais et féroce, les feuilles jaunes de Midi Olympique qui s’envolent sur les terrasses des sous-préfectures, un mélange de petits et de gros, des stades portant encore le nom de joueurs et de dirigeants et les Narbonne-Carcassone annoncés avec l’accent du terroir. Le rugby, ce sont les yeux d’Emilie. Et mille autres choses dont on espère qu’elles ne commencent pas à tourner rond ou carré.
Si le huis-clos ferroviaire est exploité de longue date par le Septième art (cf. parmi les films à suspense relativement récents Dernier train pour Busan, Le Transperce neige, Bullet Train, Compartiment n°6, Unstoppable et j’en passe…), il est des trajets grande ligne que le cinéma sait rendre particulièrement éprouvants. Je ne recommande pas aux âmes sensibles de monter dans le Rajdani Express pour New-Dehli où vous embarque le cinéaste indien Nikhil Nagesh Bhat: au terminus, après 1h45 à grande vitesse et sans escale, le spectateur arrive à quai, mais quelque peu secoué par le voyage.
Mais que fait la Sûreté ferroviaire?
Tout commence par la célébration des fiançailles d’une innocente demoiselle, Tulika, fille d’un richissime magnat des transports, élevée (et vêtue) dans la bonne tradition hindoue, en vue de son mariage « arrangé », comme on dit – les mœurs étant ce qu’elles sont dans le sous-continent indien. Mais Tulika en pince secrètement pour Amrit, bel et athlétique capitaine des commandos de la police – l’équivalent du GIGN, on présume. Rêvant de fuir avec sa dulcinée, l’ardent, viril et juvénile barbu s’incruste avec son frère Viresh dans le train qui ramène incognito à Dehli le grand patron et les siens (femme, neveux et enfants). Patatras, un gang de « dacoïts » (ces bandes de brigands hors caste qui font le charme du pacifique pays de Gandhi) s’est infiltré parmi les passagers : technologiquement performants, en actionnant un appareil brouilleur habilement planqué dans un sac de voyage, ils ont coupé la connexion de tous les smartphones, désamorcé les alarmes et le système de freinage d’urgence : bref, le TGV est en roue libre. Avec, à l’intérieur, cette tribu de malfrats qui passe illico à l’action, détroussant les voyageurs terrorisés. À la tête (brûlée) des méchants, Fani, le psychotique rejeton du chef de bande, à qui vient rapidement l’idée de kidnapper Tulika contre rançon, dès lors qu’il a identifié la présence, dans le convoi, de l’opulente famille bien connue des médias.
Houlà, le sang d’Amrit ne fait qu’un tour si l’on s’en prend à l’objet de son cœur ! Et nous voilà barré pour une castagne homérique : seul contre tous, Amrit parviendra-t-il à sauver ses protégés du carnage ? Vous le saurez si, d’abord, vous acceptez de vous enfiler non-stop cent cinq minutes de sport de combat assaisonné d’une sanglante boucherie : doigts fracturés, éviscérations, énucléations, égorgements, pendaisons, trépanations, amputations, emboutissages, écrabouillage par frottement du visage au sol à 200km/h, meurtres au marteau, au revolver, à la hache – le clou étant assurément le trépas par ingestion du gaz d’un extincteur ou, mieux encore, par avalement d’un flacon entier de recharge de briquet, consciencieusement incendiée – ce qui s’appelle mourir à petit feu. La violence hyperbolique de ces hallucinants corps-à-corps graduellement montés en gamme, aux rebondissements orchestrés avec maestria, vous tient scotché au siège, sourire en coin. Car jamais Kill ne se prend au sérieux : son maniérisme très maîtrisé joue de façon réjouissante avec les codes de l’esthétique « Bollywood » – bande-son sirupeuse, ralentis émollients, flash-backs édulcorés sur le rêve sabordé de ces noces idéales… Vertigineux !
Pour autant que l’expression « film de genre » n’ait pas encore été dénaturée par la phraséologie woke, Kill en offre une saine quintessence. A noter que, présenté en avant-première à l’ouverture de l’Étrange festival (qui fête à Paris cette année, au Forum des Images comme toujours, sa 30ème édition – du 3 au 15 octobre), le film y est projeté une fois encore ce samedi 7 octobre à 14h15, quelques jours avant sa sortie dans les salles. À noter aussi, pour les amateurs, qu’on peut voir sur Netflix deux autres films de Nikhil Nagesh Bhat: Hugdang (2022) – mais uniquement sous-titré anglais – et le délicieux BrijMohan Amar Rahe (2018) – sous-titré en français, celui-ci. Cinéphiles, à vos écrans !
Kill. Film indien de Nikhil Nagesh Bhat. Inde, couleur, 2023. Durée : 1h45. En salles le 11 septembre 2024.
Après une longue période de flottement – sept semaines d’attente et de pénibles rebondissements – la droite a finalement réussi à étouffer la gauche. À ceux de nos lecteurs que la petite tambouille politicienne française n’ennuie pas assez, nous expliquons ici pourquoi le président Macron a finalement choisi le Savoyard Michel Barnier.
Les esprits lucides et pragmatiques le savaient bien : il était impossible à la gauche de gouverner dans son incarnation du Nouveau Front populaire. De fait, elle aurait été immédiatement censurée par les deux tiers restants de l’Assemblée nationale, soit le centre et la droite.
Emmanuel Macron n’a d’ailleurs jamais eu l’intention de confier Matignon à la gauche. Rien ne pouvait l’en empêcher puisque le cartel des gauches n’a pas obtenu de majorité, même relative, et ne pouvait nouer aucune alliance pour élargir sa base. Pis encore, son « alliance » était particulièrement fragile, le discours radical et sans compromis de La France Insoumise suscitant le rejet d’une bonne part des Français mais aussi de cadres historiques du Parti socialiste.
L’équation posée à Emmanuel Macron était donc simple. Deux options s’offraient à lui. La première était incarnée par Bernard Cazeneuve. Elle impliquait de détacher une partie du PS du bloc du Nouveau Front populaire tout en négociant avec Les Républicains pour qu’ils ne censurent pas. Compliqué. La seconde demandait de nommer un Premier ministre issu de la droite classique qui n’entraine pas automatiquement une censure du Rassemblement national sans trop susciter de rejet dans les rangs macronistes.
L’option Xavier Bertrand ayant été immédiatement repoussée par Marine Le Pen – les deux personnalités nordistes se détestant cordialement depuis de nombreuses années -, Emmanuel Macron a fait le choix de désigner Michel Barnier. Il a ainsi humilié la gauche comme rarement dans son histoire. Il a fait payer à ce camp son absence totale de volonté de compromis et entériné qu’il était plus simple de négocier avec le Rassemblement national. Disons-le, l’arrivée de Michel Barnier n’aurait pas été possible sans l’accord de Marine Le Pen, devenue centrale dans cette Assemblée nationale avec ses 140 députés.
Marine Le Pen : « Que le futur Premier ministre ne nous traite pas comme des pestiférés »
Plus malin encore, cette dernière a fait savoir immédiatement qu’elle ne participerait pas au gouvernement, mais qu’elle allait déposer un cahier de doléances sur des thématiques qui lui sont chères, dont l’immigration, la sécurité et le pouvoir d’achat. S’il ne s’agit pas ici d’un pacte de gouvernement comme celui négocié par Laurent Wauquiez avec l’Élysée, il y a là un genre de pacte de bonne intelligence parlementaire. Tous les acteurs de cette habile manœuvre politique pourront se targuer d’avoir évité à la France un gouvernement de gauche très engagé à un moment où nous ne pouvons absolument pas nous le permettre.
La dette est en roue libre, la France étant même menacée par une « procédure pour dette excessive » lancée par la Commission européenne. Nous aurons 110 milliards d’économies à faire, le tout sans augmenter une charge fiscale déjà tout particulièrement étouffante. Une mission complexe où les qualités de Michel Barnier pourraient s’avérer très utiles. Ce dernier fut en effet l’homme des négociations du Brexit, dont il a tiré un fort intéressant ouvrage intitulé La Grande Illusion – Journal secret du Brexit (2016-2020) chez Gallimard.
Européen convaincu, Michel Barnier sait pourtant cibler les défauts de notre Europe. Lors des primaires des Républicains de 2021, il avait notamment déclaré : « Sur l’immigration, il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH ». Il entendait même proposer un référendum sur la question aux Français en cas d’élection à la présidence de la République. Décrit comme courtois, Michel Barnier représente l’ancien monde – ce qui est en soi une défaite pour le « nouveau », mais passons. Dans une période de troubles, il est sûrement intéressant d’avoir un faiseur à Matignon plutôt qu’un diseur.
La droite dit merci au NFP
La situation qui se présente à lui sera néanmoins d’une complexité inouïe. Le parlement est divisé, les Français ne le sont pas moins. Un véritable homme d’Etat peut s’en sortir, surtout quand il connait bien le fonctionnement interne des partis et la « tambouille ». Bien sûr, il faut s’attendre à ce que la gauche soit totalement déchaînée, à ce qu’elle provoque même un troisième tour social dans la rue, en s’opposant à tout et surtout à ce qui pourrait être bien. Le retour à la réalité sera rude pour les cadors des plateaux de télévision, après avoir joué la comédie en soutenant Lucie Castets. La France est majoritairement à droite et cela inclut les 11 millions d’électeurs du Rassemblement national. Pour la première fois, ses électeurs seront peut-être partiellement entendus par un gouvernement respectueux et capable de compromis.
La gauche dénonce un coup de force qu’elle a elle-même voulu tenter. On serait même tenté de répondre avec un peu d’ironie que son jusqu’au boutisme a plus fait pour l’union des droites, qui ne peut passer que par le centre, que ce que les caciques de la droite ont fait en trente ans…
Le Front Populaire des élections a fait place à un rassemblement – national, serait-on tenté d’écrire – contre la gauche au parlement, savamment ourdi par un Emmanuel Macron trop heureux de garder son pré-carré international. Soyons honnêtes : ce qui est présenté comme une cohabitation ne peut pas totalement en être une avec le soutien des députés du parti présidentiel au nouveau Premier ministre. Il s’agit plutôt d’une « coalibitation » dans laquelle la droite sera le centre, quelque part entre Ensemble et le Rassemblement national… Durable ? Nous le verrons bien.
L’ancien chef du parti travailliste, Jeremy Corbyn, s’est associé à quatre députés indépendants pro-Gaza pour former une nouvelle alliance au parlement britannique.
« Dis-moi pour qui tu aimes voter, je te dirai qui tu hais ». Cette formule est aussi valable en français qu’en espagnol (du Venezuela) et en anglais.
Covid vaincu, mais virus antisémite toujours vivace
Jeremy Corbyn n’est pas devenu un pipole de notre côté de la Manche seulement grâce à son amitié particulière avec Mélenchon. «On commence tout juste notre histoire avec Corbyn[1]» avaitdéclaré l’islamo-gauchiste hexagonal en chef, en novembre 2018.
Corbyn est paru en Une dans quelques médias français, quand il était à la tête du Labour Party, le parti travailliste. Mais il a poussé le bouchon de l’antisémitisme si fort au fond du flacon d’élixir que cela a fait sauter le parti tout entier.
À l’inverse, les Français peuvent être fiers de leur corbyneau hexagonal : alors qu’il était donné sub-claquant par les sondeurs d’âmes et de cœurs populaires, not’Jean-Luc a séduit les populistes germanopratins par sa présentation palestinolâtre du monde. Il les a conduits à voter avec enthousiasme pour une coalition de bric, de broc et d’anti-israélisme.
C’est ainsi que le sous-marin de l’islamisme français est remonté à la surface aussi vite qu’un suppositoire en marche arrière.
Le ciment le plus solide de son nouveau Bas-du-Front populaire était la haine d’Israël : on ne change pas une équipe qui gagne. Mais il n’a pas résisté aux divergences concernant tous les autres sujets. Macron comptait là-dessus : on n’apprend pas à un vieux Machiavel à faire des grises masses ce qu’il veut ! Le résultat, c’est que deux mois après le deuxième tour qui a porté les espoirs mélanchoniens au zénith, le Premier ministre désigné par le roi Louie-Emmanuel[2] est un second couteau qui ne lui fera pas d’ombre : Michel Barnier a été député, puis commissaire européen à la politique régionale de 1999 à 2014. Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Raffarin, puis de l’Agriculture et de la Pêche sous Nicolas Sarkozy, il a toutes les qualités requises : l’européanisme béat et le dos rond-de-cuir.
Corbyn est une punaise de lit : on le met à la porte, il rentre par la fenêtre
La tentative de « ses amis du Hamas et du Hezbollah[3]» pour lui sauver la mise n’avait pas mieux réussi que celle de son alter ego, invoquant le célafautojuifs, en Mélenchon dans le texte : « il a dû subir sans secours la grossière accusation d’antisémitisme à travers le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud [4]».
Corbyn est quand même toujours député à Islington North. Il a juste changé d’étiquette en 2020. Du 9 juin 1983 au 29 octobre 2020, c’était avec le label travailliste[5]. Mais se retrouver simple député quand on a été le leader charismatique d’un parti pendant cinq ans (12 septembre 2015-4 avril 2020), ça vous laisse un goût de nostalgie.
Alors Corbyn a repris la stratégie de Pepitosu corazon[6] : il s’est allié avec quatre autres élus indépendants, Shockat Adam, Ayoub Khan, Adnan Hussain et Iqbal Mohamed, qui militent sur des plateformes pro-palestiniennes. Sans surprise, leur « Alliance indépendante » a vocation à obtenir un embargo sur les armes à destination d’Israël et elle cherche à recruter des alliés au Labour Party, qui n’a pas été purgé de tous ses antisémites, malgré l’action du nouveau boss, devenu depuis Premier ministre, Keir Starmer.
On dit de Starmer qu’il est sioniste, mais il est surtout mou. On ne parle pas de sa vie sexuelle, seulement de son engagement vis-à-vis d’Israël. Lorsque David Lammy, le secrétaire d’État travailliste, a succombé à son tropisme palestinien et imposé un embargo sur les armes à destination de l’État juif[7], au moment où celui-ci est menacé sur tous les fronts par les islamistes, Starmer n’a pas discuté. Au contraire, il a défendu l’embargo, le qualifiant de « décision juridique, pas politique ». C’est pourquoi il ne le considère pas comme un changement dans le soutien du Royaume-Uni au droit d’Israël à l’autodéfense.
L’Angleterre a quitté l’Union européenne, mais les liens sont encore forts entre nos deux pays : la nouvelle Alliance indépendante british a beaucoup en commun avec la France Insoumise-à-la-démocratie et il y a du Macron dans le management chèvre-et-en-même-temps-chou de Keir Starmer.
[6] Les deux compères échangent en espagnol, car Mélenchon n’a pas voulu apprendre la langue des gringos. – https://www.liberation.fr/planete/2018/09/24/jean-luc-melenchon-avec-corbyn-c-est-le-debut-de-notre-histoire_1680944/
Parce qu’elle a osé affirmer que la France avait tué son mari « par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance », Harmonie Comyn est victime de propos odieux. Diligentée par le parquet de Draguignan, une enquête pour cyberharcèlement est ouverte, annonce l’AFP. Mais sur Twitter, l’anonymat rend compliquée l’identification des misérables qui s’en rendent coupables.
Face à l’ignominie au quotidien de X (ex-Twitter), fuir ou résister ? Pour moi, la réponse a toujours été claire : il ne faut pas laisser le champ libre à la grossièreté et à l’abjection d’une minorité qui dégrade et déshonore ce réseau social au point que parfois on passe plus de temps à bloquer qu’à discuter. Les insultes, les vulgarités qui me sont destinées, pour ne pas parler des attaques indignes – les références, par exemple, à mon père de la part souvent d’incultes historiques – me touchent peu puisqu’elles émanent de trop bas et j’ai la ressource, y répliquant, de les faire disparaître et de chasser ces twittos de mon compte.
Twitter, un cloaque ?
Deux exemples : Le député LFI Sébastien Delogu s’était vu reprocher de circuler à contresens à Marseille. Il avait mis en cause la police à cette occasion. Je m’étais contenté de demander si oui ou non il avait circulé à contresens. J’ai subi de la part de certains de ses soutiens sur X une série d’immondices dont l’élu n’était pas responsable mais qui donnaient une image très peu reluisante de LFI. J’avais tweeté sur la députée LFI Ersilia Soudais et elle m’avait répondu en laissant croire que je l’avais critiquée sur son apparence physique. Alors que j’ai pu démontrer par la suite, malgré les inepties multipliées à mon encontre, que ma bonne foi était entière. Alors, face à l’insupportable, ne jamais s’effacer mais se battre ; ou bloquer si on n’a pas le choix.
En revanche ce n’est pas la même chose quand la veuve d’un adjudant de gendarmerie exemplaire, tué à la suite du comportement criminel d’un Cap-Verdien condamné à plusieurs reprises, mis en examen et en détention provisoire, est traitée sur X sur un mode qui défie l’entendement. Il relève plus d’abjections que de propos articulés. Une enquête, d’ailleurs, a été ordonnée tant la mesure était dépassée. Cette femme digne et courageuse a eu le grand tort, pour ces voyous du réseau social, d’intervenir après la mort de son époux qui va la laisser, avec ses deux enfants, dans un chagrin durable, en mettant en cause la France qui n’avait pas su prendre les mesures pénales pour empêcher un tel individu de nuire. Un discours émouvant, fier et lucide, dont les citoyens de bonne foi n’auraient pas eu un mot à retirer. Même si je commençais à avoir une certaine habitude de ce cloaque, j’ai tout de même été saisi par l’intensité des horreurs déversées sur l’épouse de l’adjudant Comyn.
Des dérives permises par l’anonymat
De la même manière que dans l’affaire de la soumission chimique de sa femme actuellement au tribunal, je cherche à comprendre les ressorts sombres et pervers de Dominique P, il faut que je tente de découvrir ce qui, dans l’humanité de ces brebis galeuses, est différent de celle de la majorité des gens. Ceux-ci éprouvent en effet le plus grand respect pour cette veuve parvenant à poser les bonnes questions face à la tragédie qui la frappe. Ces twittos, quel fond, quel caractère est donc le leur ? Sont-ils dénués de toute sensibilité ? N’ont-ils que des pulsions négatives qui les conduisent à cracher sur la noblesse de certaines personnalités ? Sont-ils tellement pauvres dans l’usage du langage qu’ils en sont réduits à l’insulte ? Se rendent-ils compte de leur ignominie ou leur rapport avec autrui n’est-il fait que de mépris et d’un défaut radical d’empathie ? Est-il trop tard pour leur apprendre les bases minimales du respect de l’autre et les règles les plus élémentaires de la vie en société ?
L’anonymat qui sévit sur X permet-il à quelques-uns d’exprimer leur part mauvaise, implacablement mauvaise, qui a besoin de s’extérioriser quel que soit le sujet, qu’il soit tragique ou non ? Comme s’il y avait des humains qui, mélangeant sans doute un terrain psychologique et intellectuel défaillant avec des conditions sociales modestes, avaient plaisir à s’abandonner, par une sorte de sadisme les rassurant sur eux-mêmes, aux pires instincts, à des dévastations gratuites, au mal pour le mal ? Quand on désire appréhender le crime ou des ignominies d’une autre sorte, on n’échappe jamais à cette question fondamentale : le mal est-il en nous ou l’a-t-on hérité ?
Malgré le tableau très sombre que j’ai dressé de X et qui a culminé, dans l’ignoble, contre Harmonie Comyn, il faut pourtant y rester. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour tweeter. La résistance est à elle-même sa belle et éclatante finalité. Comme la stigmatisation des voyous. C’est peu mais c’est déjà cela.
Pour le président de Reconquête, la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages.
On l’avait vu, au lendemain des européennes, passablement abattu par les trahisons. On le retrouve souriant, reposé, gourmand de rencontres et d’idées nouvelles. Après une dizaine de jours en Californie, où le gotha conservateur américain avait invité Sarah Knafo, son lieutenant et sa compagne, à une session de formation, j’ai rejoint le patron de Reconquête en Camargue, une région où il compte de fidèles partisans devenus de bons amis. Deux heures de natation par jour, des livres en pagaille, la presse dégustée dans la solitude matinale face aux vignes, la famille et les copains : alors que la dernière séquence a largement confirmé son diagnostic, il est prêt à en découdre, plus que jamais convaincu que la France est en danger. Il lui reste à prouver qu’il est celui qui peut la sauver. À supposer qu’elle veuille être sauvée •
Causeur. Avez-vous été touché par la grâce olympique ?
Éric Zemmour. Depuis mon enfance, j’aime le sport – je le regarde et je le pratique. Depuis 1968, je n’ai jamais raté les JO, ni la Coupe du monde de football. Je pourrais vous parler pendant des heures des JO de Mexico en 1968 avec la victoire de Colette Besson ! Je ne suis pas de ces gens qui méprisent « le pain et les jeux » qu’on donnerait « au peuple ». Comme tous les gens du peuple, je suis heureux quand les Français gagnent. Et cette année, j’ai été servi ! Léon Marchand nous a tous enchantés. Je suis très chauvin en sport, je n’en ai pas honte.
Vous êtes chauvin en tout !
Pas faux ! Le sport, c’est aussi le patriotisme. Quand on dit que le sport, c’est uniquement « le vivre-ensemble, la convivialité, la sororité », on dénature complètement les valeurs du sport. Le sport, c’est l’effort, la méritocratie, la sélection, la compétition. Le sport, ce sont des valeurs de droite. Pour être jockey, il faut être petit et léger. Il y a ceux qui arrivent les premiers et qu’on respecte, et ceux qui arrivent en dernier et qu’on plaint. Tout le contraire de l’école d’aujourd’hui ! On accepte que les qualités des hommes et des femmes soient différentes ; ils ne combattent pas ensemble. On est content quand son compatriote gagne. Tout ce que la gauche et l’époque détestent !
Peut-on se contenter de crier « Vive la France ! » uniquement dans les stades ?
Et pourquoi les peuples européens ne manifestent-ils leur patriotisme que dans les stades ? Car, c’est désormais le seul endroit où les élites le tolèrent. Prenez l’Allemagne. Après 1945, le patriotisme allemand est devenu suspect, alors le football fut son seul refuge. Aujourd’hui, nous sommes tous Allemands. Tous les peuples européens ont été mis au pain sec et à l’eau patriotiques.
La « communion », célébrée jusqu’à l’écœurement par les commentateurs, n’est-elle pas factice ?
Bien sûr. C’est exactement l’histoire de la Coupe du monde de football en 1998. Les politiciens et les intellectuels de tous bords, qui ne manifestaient jusque-là que mépris pour ce « sport de beauf », exaltèrent avec des trémolos dans la voix la victoire de la France « black-blanc-beur ». Cette victoire que tout un peuple attendait depuis des années, que notre peuple fêta dans la liesse – cette victoire fut dérobée, subtilisée, transformée et devint un fantastique objet de propagande. Nos trois couleurs n’étaient plus bleu, blanc, rouge, mais black-blanc-beur. Ce n’était plus la victoire de la meilleure équipe du monde, mais celle du métissage. La réalité a vite rattrapé cette légende. Car trois ans plus tard, il y eut un match entre la France et l’Algérie. Et là, ce sont les supporters des banlieues françaises qui applaudirent l’Algérie, sifflèrent La Marseillaise et conspuèrent Zidane « le traître » dès qu’il touchait le ballon. Avant d’envahir le terrain, parce que la France humiliait l’Algérie dans le jeu. L’illusion de la France black-blanc-beur était déchirée.
Quoi qu’il en soit, les JO ont été une réussite organisationnelle.
Paris a vécu sous une bulle pendant quinze jours. On a mis dix fois plus de policiers que d’habitude, on a démantelé les points de deal, on a sorti les migrants de la ville. On a fait marcher le métro, il arrivait à l’heure, il était propre. Bref, un avant-goût de la France que je veux ! Ce n’était pas le Paris d’Hidalgo…
Le sport est-il un critère valable pour juger de la supériorité des nations ? La hiérarchie issue du sport n’est-elle pas contestable par rapport à celle des scientifiques, ou des grands artistes ?
L’un n’exclut pas l’autre. Après les JO de Rome de 1960, qui avaient été une catastrophe pour les sportifs français, le général de Gaulle a réuni un Conseil des ministres spécial pour développer le sport de compétition en France. C’est ainsi qu’on a organisé la formation du football qui nous a amenés à l’équipe de Platini dans les années 1970. À l’époque, Jacques Faizant a publié un dessin hilarant du général de Gaulle courant en survêtement avec cette légende : « Dans ce pays, il faut que je m’occupe de tout. » Dans tous les sports, l’État a donné une impulsion. Donc, même au temps du général de Gaulle, on considérait que le sport était un élément du prestige français. En temps de paix, dès qu’un pays sort du sous-développement, il s’efforce d’organiser son sport de haute compétition. Les deux pays qui raflent le plus de médailles sont les États-Unis et la Chine : la hiérarchie olympique épouse assez fidèlement celle de la puissance. Pour moi, les sportifs, en particulier olympiques, sont les chevaliers de notre époque, ils portent haut les couleurs de leur pays.
Que retenez-vous de la cérémonie d’ouverture ? Les provocations, la Marie-Antoinette gore arborant sa tête coupée ou les monuments de Paris sublimés ?
Je retiens que la gauche n’arrête jamais de mener le combat idéologique et trouve toutes les occasions pour faire avancer ses pions. Ce que vous appelez « provocation », c’est simplement la mise en scène de ses idées qui doivent s’imposer à tous. C’est la grande force de la gauche. Elle est fondamentalement gramscienne. Et c’est la grande faiblesse de la droite, qui ne mène pas le combat culturel. Il faut affronter la gauche sur ce terrain culturel. C’est ce que j’ai fait pendant des années. C’est ce que nous faisons avec Reconquête.
Le droit au blasphème fait partie de notre culture. Peut-on demander aux musulmans d’accepter les caricatures de leur prophète et pousser des hurlements pour une transgression pour enfants, déjà vue 500 fois, autour de la Cène ? Faut-il s’énerver contre « les mutins de Panurge » (Muray) ou se payer leur tête ?
Le droit au blasphème, la transgression et la caricature font partie de l’esprit français. Mais justement, quand cette provocation a été vue 500 fois, alors ce n’est plus une provocation : c’est l’idéologie dominante qui, par définition, s’impose à nous. En 1900, se moquer du christianisme dans une société encore catholique, c’est se moquer du pouvoir. En 2024, se moquer du christianisme, c’est faire partie du pouvoir, de l’idéologie dominante. Nous devons la combattre, car il ne s’agit plus de transgresser un ordre qui tient debout, mais d’effacer complètement une civilisation devenue fragile : les racines chrétiennes de la France.
Vous voulez recommencer la guerre froide idéologique dans l’autre sens, en fait. Et pourquoi ne pas essayer le pluralisme culturel ? Le débat à la loyale ?
C’est exactement ce que je fais ! Mais ne soyons pas naïfs : il y a toujours une culture dominante. Quand la gauche gagne les élections, elle gagne. Mais quand elle les perd, elle gagne aussi, parce que la droite n’applique pas ses idées et se soumet à la gauche. Chez Reconquête, nous contestons sans cesse cette hégémonie, par exemple avec les Parents vigilants, notre réseau de 75 000 parents, présents dans la France entière pour alerter des dérives au sein de l’école. Je veux que Reconquête reprenne le flambeau de l’éducation des jeunes générations. Je compte m’y investir personnellement dès nos universités d’été à Orange, le 7 septembre.
Pardon, mais on n’a pas envie de voir un politiquement correct de droite supplanter celui de gauche. Ni de voir le retour de la persécution des homosexuels…
Vous tombez dans ce panneau ? Depuis 1789, date à laquelle elle a été dépénalisée, l’homosexualité n’est plus persécutée en France. Moi, je déteste le politiquement correct, et je me fiche de ce que font les gens, j’ai grandi dans les années 1970. Ce que je combats, c’est le militantisme LGBT. On nous raconte que le refus de l’agenda woke serait de l’homophobie. C’est un peu gros.
Donc, contrairement à vos amis ou ex-amis de la « droite des valeurs », vous êtes libéral sur les mœurs ?
Je ne suis pas un puritain. Je trouve que nous vivons une triste époque de réaction puritaine, après l’explosion libertaire des années 1970. Regardez la sexualité des jeunes : elle est quasiment réduite à néant ! Sauf que ce n’est plus l’Église, mais le féminisme à la MeToo qui inhibe les désirs et contraint à l’abstinence.
Diriez-vous qu’avec Marion Maréchal, Reconquête a perdu sa branche la plus catholique ?
Vous avez trouvé son attitude très catholique ?
Les trahisons semblent derrière vous. Vous avez encaissé ?
Oui, les vacances m’ont fait du bien. Je me suis posé des questions simples : Est-ce que l’intérêt de la France serait mieux défendu si j’arrêtais la politique ? Si Reconquête cessait le combat ? Je pense avoir trouvé la réponse. Je regarde devant moi. J’ai des troupes déterminées. Je sais qu’il nous faut continuer le combat. Sans Reconquête, nos idées ne vaincront jamais. Nul autre que nous ne les portera.
On a été contents d’oublier la crise politique pendant ces trois semaines. Elle est toujours là. Fin juin, il y avait une quasi-unanimité pour dénoncer la dissolution : choix irresponsable, scandaleux… Était-ce votre avis ?
Ce n’était pas scandaleux, c’étaitstupide. La dissolution permet, en principe, au président de la République d’améliorer son rapport de forces avec les autres pouvoirs. Or, en l’occurrence, Macron a dissous à un moment où il ne pouvait que s’affaiblir. Personne n’a gagné : ni la gauche, ni la Macronie, ni le RN. Et surtout pas la France ! Désormais, peu importe le gouvernement, il n’aura pas de majorité solide. Les immigrés vont continuer à arriver, l’école, à s’effondrer, la dette, à grossir. Tous les problèmes qui doivent être réglés ne le seront pas. Les Français le voient et sont écœurés de la politique pour cette raison. C’est pour cela que plus de 80 % d’entre eux viennent de dire que les partis politiques n’étaient ni crédibles, ni honnêtes, ni utiles (Odoxa).
Quand vous jouez, vous n’êtes jamais sûr de gagner !
Macron avait-il vraiment un objectif rationnel ?
Oui, celui d’user le RN pour ne pas amener Marine Le Pen à l’Élysée.
Dans ce cas, il fallait le laisser gagner, et non s’allier avec LFI. Quoi qu’il en soit, le résultat, c’est le chaos.
Si la France n’est pas politiquement partagée en deux mais en trois, c’est le chaos ?
Le problème n’est pas la tripartition parlementaire, mais le décalage entre la réalité du pays et les débats des politiciens. Tous les Français le disent : on ne comprend plus rien à la vie politique, c’est le chaos ! Pourquoi ? Car la politique ne correspond plus aux clivages de la société. On a connu dans l’histoire des moments où la politique ne correspondait plus aux réalités sociologiques et démographiques d’un pays. Regardez la fin du xixe siècle, en France. La vie politique oppose alors les républicains et les monarchistes, alors que le conflit qui agite la société, c’est déjà la lutte des classes. Le socialisme tarde à être représenté, d’où la déconnexion entre la société et la politique, et l’instabilité qui va avec. Même chose en Angleterre à la même époque : la compétition politique oppose les conservateurs et les libéraux, alors que la classe ouvrière naissante cherche son expression politique. Le chaos politique anglais dure cinquante ans avant d’accoucher du Parti travailliste qui s’opposera aux conservateurs et aux libéraux enfin réunis. Vous connaissez la définition d’une crise : c’est quand le vieux monde tarde à mourir et le nouveau tarde à naître. Aujourd’hui, les uns veulent ressusciter les années 1960 avec un clivage droite/gauche à l’ancienne, les autres les années 1990 avec le clivage populistes contre mondialistes. Ces clivages sont désuets. La vie politique française n’est pas encore entrée au xxie siècle. Le nouveau clivage est identitaire. La politique est en retard sur la société. Moi je viens de la société. C’est pour cela que j’ai quelque chose à apporter.
Si je vous vois venir, Reconquête est le Labour party du xxie siècle ! Mais pour représenter quel clivage qui ne le serait pas aujourd’hui ?
La question est simple : qui veut continuer de vivre dans la France de toujours, et qui veut la balayer pour vivre dans la France islamisée de Jean-Luc Mélenchon ? Aujourd’hui, nous sommes le seul parti à le formuler. Il s’imposera aux autres. D’ailleurs, j’ai noté un aveu dans l’intervention d’Emmanuel Macron, fin juillet. Il dit : « J’ai cru que la baisse massive du chômage allait entraîner la réconciliation des Français entre eux, je me suis trompé. » Il lui aura fallu sept ans pour comprendre, et il va encore passer trois ans à ne rien faire !
Si je vous comprends bien, même le RN ne représente pas les aspirations identitaires de ses électeurs.
En effet, ses dirigeants ne le souhaitent pas. À chaque élection, le RN range soigneusement le sujet de l’identité pour opposer les Français sur d’autres questions : sur l’euro en 2017, sur le pouvoir d’achat en 2022 et sur plus grand-chose, il faut bien le dire, en 2024. Le RN ne veut pas affronter les médias sur ce sujet. La grande leçon de ces législatives, c’est qu’il faut sortir de la tactique politicienne pour revenir aux idées et aux caractères ! Comme disait Philippe Séguin, « la politique n’est pas une course de petits chevaux », où chacun fait son petit pari en fonction des sondages, en oubliant ses convictions profondes.
Un peu, si ! Elle n’est même souvent que cela !
C’est ce qui la tue. C’est ce qui nous tue. Keynes a une jolie métaphore pour critiquer le caractère moutonnier des marchés financiers. Il les compare à un concours de beauté, au cours duquel on ne demanderait pas au public quelle est la fille la plus belle, mais quelle fille va être désignée comme la fille la plus belle. C’est exactement notre vie politique. J’aimerais qu’on revienne à la désignation de la fille la plus belle, et non pas de celle que l’on croit que les autres vont désigner comme la fille la plus belle – c’est le mécanisme des sondages, qui crée le vote utile. Cela fausse complètement le jeu démocratique.
Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais. En termes d’organisation et de sécurité, ils ont même été une réussite remarquable. On croyait notre État impuissant, juste bon à persécuter les honnêtes citoyens : non seulement, il a permis au comité d’organisation et aux entreprises impliquées d’exécuter un projet aussi pharaonique qu’éphémère – la parade d’ouverture sur la Seine –, mais pendant quinze jours, il a assuré aux Parisiens les services que des contribuables dociles sont en droit d’attendre – propreté, sécurité, transports. À vrai dire, une ville quadrillée par la police, aussi sympathique soit celle-ci, ce n’est pas vraiment mon idéal d’urbanité. N’empêche, pour nombre de citadins, qui ont redécouvert le plaisir de flâner sans être emmerdés par des vendeurs de rue, des mendiants, des consommateurs de crack ou de vrais voyous, cela signifie que quand on veut on peut. Sauf qu’on ne peut pas affecter indéfiniment à Paris un tiers de nos forces de l’ordre, ni refiler de façon permanente à nos belles provinces les multiples patates chaudes générées par nos politiques suicidaires.
J’ai aussi eu grand tort de penser que, sur le plan sportif, les Jeux ressembleraient au cirque habituel du sport-business, quand, entre deux scandales financiers ou sexuels, on est priés de s’extasier sur les valeurs du sport et sur nos footballeurs, jamais à court d’un tweet idiot (songeons au petit ange parti trop tôt de MBappé). Pour le coup, on les a vues à l’œuvre, ces valeurs, et comme l’observe Zemmour dans l’entretien qu’il nous accorde, ce sont celles que la société et les médias s’emploient généralement à combattre, en particulier à l’école – effort, surpassement, singularité, hiérarchie, compétition, méritocratie. Les athlètes et leurs exploits insensés nous ont en prime offert les seules émotions esthétiques de la quinzaine – et les paralympiques qui commencent au moment où j’écris devraient en offrir d’autres. À ce niveau, le sport s’apparente parfois à l’art. En revanche, au-delà du prêchi-prêcha woke pour les nuls et des provocations à deux balles, la cérémonie d’ouverture a surtout consacré le triomphe planétaire du kitsch. Il était difficile d’enlaidir les monuments de Paris. Pour le reste, ce show à ciel ouvert prouve qu’on appelle aujourd’hui beauté la conjugaison d’une musique de sourds, de costumes acidulés et de beaucoup d’agitation. Donnez-nous du bruit et de la couleur, on criera au miracle.
Certes, la « marque France » cote à la hausse. Tant mieux, même si on peut se demander si ce monde où la puissance se mesure au nombre de téléspectateurs ou de touristes est sérieux. En attendant, la propagande olympique qui ne désarme pas, bien au contraire, commence à me courir sur le haricot. Quand j’entends les mots « parenthèse enchantée », j’ai furieusement envie de sortir mon revolver. Pour les commentateurs de tout poil et de tout bord, rien ne sera plus comme avant. Paris 2024 marquera la déconfiture des grincheux, des réacs et de tous ceux qui ne s’enthousiasment pas pour le monde tel qu’il va. Après une « séquence politique dominée par les passions tristes du déclin et de la xénophobie, nous apprend Le Monde, les Jeux de Paris ont offert à la capitale et à la France entière plus de deux semaines de ferveur et de bonheur ». Toute la France aurait, paraît-il, « communié » dans la joie olympique. En réalité, l’écrasante majorité des Parisiens avait fui. Et en dehors des sites olympiques, où régnait véritablement une belle ambiance, la plupart des Français ont suivi l’événement de loin, heureux de voir des athlètes tricolores triompher et de chanter La Marseillaise. Du reste, les ravis de la crèche olympique, ceux qui hier s’émerveillaient de l’ambiance tricolore lors des compétitions, se pincent généralement le nez devant toute manifestation de patriotisme. Demain, ils brailleront que La Marseillaise est un chant guerrier et « Vive la France ! » un slogan raciste. À en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles.
« Nom, prénom, date et lieu de naissance? » « Barnier Michel le 09.01.51 à La Tronche! » « Où? » « A La Tronche!!! » « Soyez poli jeune homme! Personne suivante! » Mais je suis né à La Tronche!!! » Barnier! Le Barn’s! Et si c’était lui?…
Dès son enfance à La Tronche donc, près de Grenoble, Michel développe une précocité à fatiguer autrui remarquable. Lors des repas de famille il a pris l’habitude, au moment du dessert, de se lever et d’entonner une Marseillaise prépubère qui fait le bonheur de ses parents mais qui gonfle prodigieusement le reste de la tribu. « Un café l’addition » c’est devenu la règle chez les Barn’s et apparentés, afin de s’éviter le stress de fin de banquet.
Sur sa lancée, les semelles bien fartées, il prend sa carte à l’UDR, le parti gaulliste, à 14 ans. Au lieu de l’amener illico chez le psy, papa et maman applaudissent des deux mains. Ce sera le seul et unique triomphe public de sa carrière politique.
Tous les témoignages des survivants et rescapés des meetings et réunions politiques du Grand Barnier convergent: le bougre est un serial killer qui pratique, dans ses discours, involontairement l’hypnose. Beaucoup n’ont pas pu ou voulu se réveiller. Malgré ce lourd handicap à l’oral, le Barn’s par lui-même convaincu de lui-même, entame une ascension fulgurante. Il y a les politiques brillants dont on dit : « ils ont fait une belle carrière ». Pour le Grand Barnier, c’est selon que l’on soit catho (comme lui) ou mécréant. Le catho dira que le Michou aurait battu le record de la traversée de la mer Morte avec ses pieds comme des planches, le mécréant aurait joué les chiffres de sa naissance à l’Euro millions.
D’une enfance sans histoire, le Miche ne garde que de bons souvenirs à l’exception d’un cauchemar. Le cauchemar de la crêperie. Petit, Barnier était déjà grand. Beaucoup plus que ses copains. La bande avait pris l’habitude de se rendre dans une crêperie de Grenoble, et les gamins attendaient le moment de la commande. Quand la serveuse demandait: « les crêpes ? Sucre ou Grand Marnier? », à l’unanimité moins une, « au Grand Barnier!!! ». Les enfants sont cruels. Depuis quel que soit le lieu, le sujet, dès que Michou entend au détour d’une phrase « le grand… » il ne peut s’empêcher de hurler « au sucre, au sucre! » C’est devenu, avec le temps, sa manière de crier « au secours »! Ce qui, selon le contexte, peut provoquer un malaise certain. Invité par un de ses soutiens, le maire du Touquet Daniel Fasquelle, au salon du livre de la commune, il tombe sur un débat littéraire autour de l’œuvre d’Alain Fournier. Quand l’intervenant va citer Le Grand M…, le Barn’s s’égosille « au sucre, au sucre ». Pendant qu’on exfiltre Barnier, un militant demande au maire si Michou n’abuse pas du bicarbonate…
L’autre obsession du Grand Barnier s’appelle Pierre Mazeaud. Rares sont les hommes politiques à avoir un parcours d’homme aussi charpenté. Mazeaud a pour lui une vie incroyable, jalonnée par les exploits, le gout du risque, les drames et les plus grandes épopées. Il a affronté à mains nues la fureur des éléments. La foudre a percuté sa cordée emportant quatre de ses compagnons. Il est l’un des premiers à planter son piolet au sommet de l’Everest. Son nom est associé au pic des montagnes les plus dévoreuses de chair humaine, gravies à la force des phalanges et du poignet. Il est une légende de l’alpinisme. Professeur de droit le jour, il est le fruit d’une longue dynastie de juristes, il s’encanaille la nuit dans les vapeurs d’alcool, drague les filles sur des notes de jazz et fait la java sous les pavés de Saint-Germain, tout en rêvant des Dolomites. Il s’oppose à la politique coloniale, écrit des brulots sous pseudo dans Le Libertaire, journal anarchiste. Michel Debré le convainc de s’engager dans le parti gaulliste. A ce moment-là, il devient l’insoumis de droite menant de front plusieurs vies, mêlant politique, droit, beuveries avec ses potes pour toujours finir dans son paradis blanc. Alors, en ce jour de 1973, quand le Barnier de 22 ans, en mission auprès du Secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud himself, le choc des cultures est en marche. Si la fumée monte au ciel, les volutes du cigare de Mazeaud s’accumulent sous le plafond de son bureau. Juste ou le grand Barnier ouvre ses naseaux. Ces deux Savoyards ne sont pas de la même planète. Entre le furet de la vallée et le grizzli des sommets, absolument rien ni personne ne peut établir la connexion.
Le 30 octobre 2021, Mazeaud, 92 ans, donne une interview au Point. L’hebdo lui décline le casting des candidats à la primaire des LR. Quand vient le tour du Barnier, la sentence du vieux lion est sans appel: un nul, un imbécile. Son coup de griffe est une récidive. Retour en 96. Barnier est président du Conseil général de Savoie. Dans une interview publiée par l’Evènement du Jeudi, le Président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale Pierre Mazeaud (RPR) s’en prend vertement à plusieurs membres du gouvernement et de la majorité. Le pire, déclare-t-il, après avoir évoqué la situation en Corse, c’est quand j’entends cet imbécile de Barnier parler de fusionner les deux Savoie. Il incite au séparatisme, accuse Mazeaud ! Que s’est-il passé pour que le Barn’s qui ne passe pas pour être un franc-tireur se retrouve dans cette aventure ? Le leader de la Ligue savoisienne, mouvement indépendantiste, un certain Patrice Abeille, qui deviendra le premier chef du gouvernement provisoire de la Savoie, en exil à Genève, passe un accord avec le Miche. Si tu milites pour la fusion nous t’apportons nos suffrages. Ni une ni deux, lancé comme un frelon, Barnier se range à l’injonction de l’Abeille. 7% d’intention de vote, ce n’est pas rien. Las, le vieux lion du haut de sa tanière a anticipé la gesticulation du précieux de La Tronche. Et quand le fauve déverse dans la vallée une avalanche de quolibets, le Grand Barnier qui n’a jamais eu la conviction chevillée au corps, se réfugie dans son chalet. En attendant des jours meilleurs…
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
Et de deux. Le bouclage du précédent numéro de Causeur a eu lieu entre les deux tours – donc avant les résultats – des élections législatives. Pour cette rentrée, je vous écris sans savoir qui sera nommé à Matignon par Emmanuel Macron. Dissolution, pas de clarification, puis cette procrastination élyséenne qui a obtenu un record, celui de la longévité d’un gouvernement démissionnaire. Mieux que les trente-huit jours qui se sont écoulés entre le cabinet René Mayer et celui de Joseph Laniel en mai-juin 1953 ! Alors que le premier message des urnes a exprimé l’aspiration à un vrai changement, le président Macron est en marche sur les pas d’Edgar Faure (« Voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter. ») et d’Henri Queuille (« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »). Décidément, sous ses faux airs de modernité, le macronisme est un succédané de la IVe République.
Nous vivons le temps du retour du Parlement. Tant mieux ! C’est pourquoi Emmanuel Macron devrait d’abord nommer à Matignon la représentante du Nouveau Front populaire, coalition arrivée en tête le 7 juillet. Son gouvernement pourrait être aussitôt censuré par une majorité à l’Assemblée nationale, mais cela se déciderait précisément au Palais-Bourbon, non à l’Élysée. Le pays profond détourne son regard et se dit que, décidément, « rien ne change ».
C’est ce même pays qui s’est enthousiasmé pour les Jeux olympiques, qui s’est pris au jeu. Et pourtant, il n’a pas manqué de voix tonitruantes, politiques et médiatiques, pour nous dire que nous allions à coup sûr au désastre, que la France allait connaître une véritable humiliation, qu’il n’y aurait pas de public dans une capitale grillagée et désertée. Jusqu’à la toute fin, alors que nous apprenions que Léon Marchand ne serait pas l’un des deux porte-drapeau tricolores pour la cérémonie de clôture, j’ai pu lire : « Que cache cette élimination pour d’obscures raisons non avouables ? » Puis l’athlète aux ondulations de dauphin, héros de ces superbes olympiades, est apparu à l’écran pour ouvrir cette cérémonie. Il avait rendez-vous avec la vasque-montgolfière dans le jardin des Tuileries. Beauté.
C’est ce même pays qui pleure la disparition d’Alain Delon, la dernière étoile cinématographique. « Nul ne guérit de son enfance », disait Ferrat. Delon en a fait Tancrède, Roger Sartet, Jef Costello, Rocco Parondi, Roch Siffredi, Robert Klein, Choucas, Verlot, Xav, Niox, Pierre Larcher et tant d’autres personnages…
Je n’aime pas les injonctions. Notamment celles qui consistent à nous dire ce qu’il faut aimer, ce qu’il convient de détester, et nous somment d’appartenir à une majorité, relative ou absolue, en matière artistique ou sur le terrain des idées. Mais j’avoue ne pas bien comprendre comment ces deux moments français, la ferveur populaire pour les JO, ce patriotisme joyeux, puis cette tristesse, cette douce nostalgie, quand Delon s’en est allé rejoindre ses parents (et Gabin !) ne peuvent pas nous réunir. Et de trois ? On bouclera certainement encore le mois prochain dans des conditions incertaines. Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire.
« Le plus grand esprit de l’humanité moderne : Pythagore, Hippocrate, Aristophane et Dante réunis » (Honoré de Balzac, à propos de Rabelais)
« La grande fontaine des lettres françaises (où) les plus forts ont puisé à pleine tasse » (Gustave Flaubert, à propos de Rabelais)
C’est la rentrée théâtrale. Et comme souvent, le Théâtre de Poche invite à réviser les classiques : Gargantua de Rabelais – après Yourcenar en juillet, reprise en janvier 2025 à ne pas manquer, merveilleux seul en scène autour des Mémoires d’Hadrien, par Jean-Paul Bordes.
Beau programme – pour un écrivain (Rabelais) si classique et culte qu’on en oublierait de le lire, à tort bien sûr. Certes Malherbe et la Contre-Réforme l’ont combattu, mais Chateaubriand et Hugo l’ont réhabilité et fêté – comme Jarry (le Père Ubu – évidence), Claudel, Céline, Cocteau, voire aujourd’hui Valère Novarina (un de nos classiques contemporains, et vivants). Et il fut un temps pas si lointain (1968) – où Jean-Louis Barrault lui consacrait un spectacle : Rabelais. Musique ? Michel Polnareff. Le saviez-vous ? Nous non plus.
Parenthèse : je me souviens de mon vieux professeur de latin en khâgne. Il distinguait deux catégories de personnes, et seulement deux. Ceux qui lisaient Rabelais (1483 ou 1494- 1553) – et les autres. À l’époque, j’étais des autres – et le suis hélas toujours un peu.
D’où l’agrément que procure le seul en scène de l’épatant Pierre-Olivier Mornas (il sait tout faire) dans son évocation de Rabelais et de Gargantua : c’est un bain – une ambiance restituée.
La mise en scène d’Anne Bourgeois, d’une grande sobriété, permet d’écouter le texte, plutôt que d’en être détourné par des effets superflus. Pareil pour la musique de François Peyrony : un accessoire bienvenu, plutôt qu’une pollution, comme cela arrive.
Pierre-Olivier Mornas incarne à la fois Grandgousier et Gargamelle (les parents de Gargantua), Gargantua (ou Rabelais, c’est le même), etc. Le géant festoie. Affamé, il mange tout le temps – mais c’est sa boulimie de savoir qui domine : apprendre, avec son précepteur Ponocrates (alter ego de Socrate). Il engrange les connaissances, devient « donc » chef de guerre (les guerres picrocholines – du nom du roi Picrochole, qui attaque le royaume de Grandgousier), etc. Les grands thèmes rabelaisiens – l’éducation, la connaissance, l’humanisme, le vin, etc. – émergent peu à peu au gré du monologue endiablé. On regarde, on écoute, on révise – transportés dans ce XVIème siècle… rabelaisien. Et une fois n’est pas coutume, on saisit précisément, alors, ce que recouvre ce qualificatif rebattu. L’outrance, la démesure, la truculence (voire la trivialité) – mais aussi les lumières d’une certaine Renaissance. Le côté, en fait, révolutionnaire de Rabelais en son temps – et qui le demeure. Une délicieuse soirée.
Gargantua, de François Rabelais, mise en scène d’Anne Bourgeois, adapté et interprété par Pierre-Olivier Mornas. Jusqu’au 10 novembre. Du mardi au samedi 19H. Dimanche 15H. Théâtre de Poche Montparnasse (6e arrondissement). Durée : 1H10.
Le Top 14 reprend ses droits ce week-end avec, déjà, d’alléchantes affiches : tout commencera par une Peña Baiona au stade Jean Dauger où les locaux de l’Aviron bayonnais affronteront les Catalans de Perpignan, avant de se poursuivre avec la rencontre des outsiders entre La Rochelle et Toulon et de se terminer avec l’opposition entre les nouveaux venus de Vannes et le favori toulousain. La compétition domestique de rugby est un de ces rares plaisirs où les rivalités picrocholines, les mêlées viriles et les troisièmes mi-temps arrosées sont encore admises. Après la professionnalisation édictée en 1995, le rugby semble pourtant aujourd’hui à un nouveau tournant, entre devoir de modernisation et risque de s’y perdre.
Bien sûr, nous ne devrions jamais comparer deux sports, tant chacun de ceux-ci possède ses lettres de noblesse, son histoire, ses drames et ses champions, mais la tentation est grande d’opposer les ballons rond et ovale. Et, en matière de football, les derniers mois furent féconds de ce que la post-modernité produit de plus vil : saga autour du transfert de Mbappé, profusion de rencontres jusqu’à l’indigestion et à des horaires improbables, multipropriétés, stades hypermodernes et hyperconnectés répondant au nom de richissimes sponsors, règne des stats, pour se terminer par le tirage récent de la Champions League où la seule chose qui fut comprise de tous est qu’elle favoriserait les mastodontes au détriment de la glorieuse incertitude du sport – sans laquelle celui-ci n’est plus qu’un spectacle.
Le rugby, qui tire sa filiation de la phéninde grecque et de l’harpastum romain[1], autant que du jeu de soule qui mettait aux prises des villages voisins, n’est évidemment pas à l’abri de connaître le même sort. Si on voue une admiration sans borne pour les exploits du Stade toulousain, sa domination outrageante ne manque pas de soulever quelques inquiétudes dans une discipline où les lauriers se répartissent à peu près équitablement – en dehors de quelques sagas, dont celle de Béziers dans les années 70 sous la houlette de Raoul Barrière. La starification, malgré lui, du brillant et modeste Antoine Dupont tranche avec un sport éminemment collectif. L’argent prend une place toujours croissante et on espère ne pas voir advenir le « rugby business », avec des « maillots third » floqués au nom de joueurs négociant leur transfert sous d’autres horizons, des droits vendus à l’encan, des abonnements hors de prix, des compétitions qui se multiplient et des bagarres dans les tribunes… Certains signaux n’ont pas manqué d’inquiéter ces derniers mois.
La modernisation est inévitable et ne fait que suivre l’évolution de la société. Il y a d’ailleurs bien longtemps que l’Ovalie a tranché avec les origines sociales liées à ses berceaux : pour simplifier à l’excès, le rugby était d’extraction noble en Angleterre où il fut la chasse gardée de la gentry ; étudiante en Irlande, aux abords du Trinity College et d’autres écoles réservées aux élites ; populaire au Pays de Galles où dockers, mineurs et métallurgistes mélangèrent leur sueur à la suie et à la houille ; paysanne en Ecosse, où il gagna rapidement les campagnes. On ne retrouve plus guère de tout cela aujourd’hui et il est d’ailleurs sans doute utopique d’espérer que le sport de Webb Ellis garde éternellement ses particularismes.
Mais que ses acteurs, des joueurs aux dirigeants, n’en dénaturent pas l’essence et conservent ce qui fait le charme de la discipline. Le rugby, c’est avant tout un sport de territoire qui se conquiert par des combats et des actions de génie : ses mêlées, au cours desquelles les casques s’entrechoquent au son des instructions données par l’arbitre (« flexion », « liez », « jeu ») en même temps que les râles se dégagent de ce troupeau si peu moutonnier ; ses ballons envoyés à l’autre bout du terrain avant qu’ils ne reviennent, comme pour sacraliser le principe de l’éternel retour ; ses essais enfin et surtout, anodins ou entrés dans l’histoire, comme celui de Gareth Edwards avec les Barbarians en 1973. Le rugby, ce sont des traditions : le folklore chanté en tribune et accompagné des fanfares et bandas du Sud-Ouest, le haka des guerriers néo-zélandais qui tranche avec le jeu souvent châtié de générations de All Blacks qui ont honoré de leur talent la toison noire frappée d’une fougère ou encore les hymnes lors du tournoi des Six nations, dont le Flower of Scotland entamé à la cornemuse et terminé a capella ou le magnifique Land of my Father repris par les chœurs gallois.
Le rugby, ce sont les troisièmes mi-temps qui adoucissent les rivalités cristallisées à l’ombre des poteaux plantés en plein cœur de territoires où le soleil se cache rarement. Le rugby, ce sont des grandes voix, de Roger Couderc, de Thierry Gilardi et aujourd’hui de Jean Abeilhou et de Matthieu Lartot ; et des écrivains qui ont rehaussé par leur plume la dimension épique de ce sport, d’Antoine Blondin à Denis Tillinac qui retrouvaient sans doute dans l’Ovalie leur monde de hussards. Le rugby, ce sont aussi les joueurs fidjiens, samoans et tongiens venus apporter un vent frais et féroce, les feuilles jaunes de Midi Olympique qui s’envolent sur les terrasses des sous-préfectures, un mélange de petits et de gros, des stades portant encore le nom de joueurs et de dirigeants et les Narbonne-Carcassone annoncés avec l’accent du terroir. Le rugby, ce sont les yeux d’Emilie. Et mille autres choses dont on espère qu’elles ne commencent pas à tourner rond ou carré.
"Kill" de Nikhil Nagesh Bhat(2024) Original Factory / Sikhya Entertainement
Phobiques du chemin de fer, s’abstenir.
Si le huis-clos ferroviaire est exploité de longue date par le Septième art (cf. parmi les films à suspense relativement récents Dernier train pour Busan, Le Transperce neige, Bullet Train, Compartiment n°6, Unstoppable et j’en passe…), il est des trajets grande ligne que le cinéma sait rendre particulièrement éprouvants. Je ne recommande pas aux âmes sensibles de monter dans le Rajdani Express pour New-Dehli où vous embarque le cinéaste indien Nikhil Nagesh Bhat: au terminus, après 1h45 à grande vitesse et sans escale, le spectateur arrive à quai, mais quelque peu secoué par le voyage.
Mais que fait la Sûreté ferroviaire?
Tout commence par la célébration des fiançailles d’une innocente demoiselle, Tulika, fille d’un richissime magnat des transports, élevée (et vêtue) dans la bonne tradition hindoue, en vue de son mariage « arrangé », comme on dit – les mœurs étant ce qu’elles sont dans le sous-continent indien. Mais Tulika en pince secrètement pour Amrit, bel et athlétique capitaine des commandos de la police – l’équivalent du GIGN, on présume. Rêvant de fuir avec sa dulcinée, l’ardent, viril et juvénile barbu s’incruste avec son frère Viresh dans le train qui ramène incognito à Dehli le grand patron et les siens (femme, neveux et enfants). Patatras, un gang de « dacoïts » (ces bandes de brigands hors caste qui font le charme du pacifique pays de Gandhi) s’est infiltré parmi les passagers : technologiquement performants, en actionnant un appareil brouilleur habilement planqué dans un sac de voyage, ils ont coupé la connexion de tous les smartphones, désamorcé les alarmes et le système de freinage d’urgence : bref, le TGV est en roue libre. Avec, à l’intérieur, cette tribu de malfrats qui passe illico à l’action, détroussant les voyageurs terrorisés. À la tête (brûlée) des méchants, Fani, le psychotique rejeton du chef de bande, à qui vient rapidement l’idée de kidnapper Tulika contre rançon, dès lors qu’il a identifié la présence, dans le convoi, de l’opulente famille bien connue des médias.
Houlà, le sang d’Amrit ne fait qu’un tour si l’on s’en prend à l’objet de son cœur ! Et nous voilà barré pour une castagne homérique : seul contre tous, Amrit parviendra-t-il à sauver ses protégés du carnage ? Vous le saurez si, d’abord, vous acceptez de vous enfiler non-stop cent cinq minutes de sport de combat assaisonné d’une sanglante boucherie : doigts fracturés, éviscérations, énucléations, égorgements, pendaisons, trépanations, amputations, emboutissages, écrabouillage par frottement du visage au sol à 200km/h, meurtres au marteau, au revolver, à la hache – le clou étant assurément le trépas par ingestion du gaz d’un extincteur ou, mieux encore, par avalement d’un flacon entier de recharge de briquet, consciencieusement incendiée – ce qui s’appelle mourir à petit feu. La violence hyperbolique de ces hallucinants corps-à-corps graduellement montés en gamme, aux rebondissements orchestrés avec maestria, vous tient scotché au siège, sourire en coin. Car jamais Kill ne se prend au sérieux : son maniérisme très maîtrisé joue de façon réjouissante avec les codes de l’esthétique « Bollywood » – bande-son sirupeuse, ralentis émollients, flash-backs édulcorés sur le rêve sabordé de ces noces idéales… Vertigineux !
Pour autant que l’expression « film de genre » n’ait pas encore été dénaturée par la phraséologie woke, Kill en offre une saine quintessence. A noter que, présenté en avant-première à l’ouverture de l’Étrange festival (qui fête à Paris cette année, au Forum des Images comme toujours, sa 30ème édition – du 3 au 15 octobre), le film y est projeté une fois encore ce samedi 7 octobre à 14h15, quelques jours avant sa sortie dans les salles. À noter aussi, pour les amateurs, qu’on peut voir sur Netflix deux autres films de Nikhil Nagesh Bhat: Hugdang (2022) – mais uniquement sous-titré anglais – et le délicieux BrijMohan Amar Rahe (2018) – sous-titré en français, celui-ci. Cinéphiles, à vos écrans !
Kill. Film indien de Nikhil Nagesh Bhat. Inde, couleur, 2023. Durée : 1h45. En salles le 11 septembre 2024.
Après une longue période de flottement – sept semaines d’attente et de pénibles rebondissements – la droite a finalement réussi à étouffer la gauche. À ceux de nos lecteurs que la petite tambouille politicienne française n’ennuie pas assez, nous expliquons ici pourquoi le président Macron a finalement choisi le Savoyard Michel Barnier.
Les esprits lucides et pragmatiques le savaient bien : il était impossible à la gauche de gouverner dans son incarnation du Nouveau Front populaire. De fait, elle aurait été immédiatement censurée par les deux tiers restants de l’Assemblée nationale, soit le centre et la droite.
Emmanuel Macron n’a d’ailleurs jamais eu l’intention de confier Matignon à la gauche. Rien ne pouvait l’en empêcher puisque le cartel des gauches n’a pas obtenu de majorité, même relative, et ne pouvait nouer aucune alliance pour élargir sa base. Pis encore, son « alliance » était particulièrement fragile, le discours radical et sans compromis de La France Insoumise suscitant le rejet d’une bonne part des Français mais aussi de cadres historiques du Parti socialiste.
L’équation posée à Emmanuel Macron était donc simple. Deux options s’offraient à lui. La première était incarnée par Bernard Cazeneuve. Elle impliquait de détacher une partie du PS du bloc du Nouveau Front populaire tout en négociant avec Les Républicains pour qu’ils ne censurent pas. Compliqué. La seconde demandait de nommer un Premier ministre issu de la droite classique qui n’entraine pas automatiquement une censure du Rassemblement national sans trop susciter de rejet dans les rangs macronistes.
L’option Xavier Bertrand ayant été immédiatement repoussée par Marine Le Pen – les deux personnalités nordistes se détestant cordialement depuis de nombreuses années -, Emmanuel Macron a fait le choix de désigner Michel Barnier. Il a ainsi humilié la gauche comme rarement dans son histoire. Il a fait payer à ce camp son absence totale de volonté de compromis et entériné qu’il était plus simple de négocier avec le Rassemblement national. Disons-le, l’arrivée de Michel Barnier n’aurait pas été possible sans l’accord de Marine Le Pen, devenue centrale dans cette Assemblée nationale avec ses 140 députés.
Marine Le Pen : « Que le futur Premier ministre ne nous traite pas comme des pestiférés »
Plus malin encore, cette dernière a fait savoir immédiatement qu’elle ne participerait pas au gouvernement, mais qu’elle allait déposer un cahier de doléances sur des thématiques qui lui sont chères, dont l’immigration, la sécurité et le pouvoir d’achat. S’il ne s’agit pas ici d’un pacte de gouvernement comme celui négocié par Laurent Wauquiez avec l’Élysée, il y a là un genre de pacte de bonne intelligence parlementaire. Tous les acteurs de cette habile manœuvre politique pourront se targuer d’avoir évité à la France un gouvernement de gauche très engagé à un moment où nous ne pouvons absolument pas nous le permettre.
La dette est en roue libre, la France étant même menacée par une « procédure pour dette excessive » lancée par la Commission européenne. Nous aurons 110 milliards d’économies à faire, le tout sans augmenter une charge fiscale déjà tout particulièrement étouffante. Une mission complexe où les qualités de Michel Barnier pourraient s’avérer très utiles. Ce dernier fut en effet l’homme des négociations du Brexit, dont il a tiré un fort intéressant ouvrage intitulé La Grande Illusion – Journal secret du Brexit (2016-2020) chez Gallimard.
Européen convaincu, Michel Barnier sait pourtant cibler les défauts de notre Europe. Lors des primaires des Républicains de 2021, il avait notamment déclaré : « Sur l’immigration, il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH ». Il entendait même proposer un référendum sur la question aux Français en cas d’élection à la présidence de la République. Décrit comme courtois, Michel Barnier représente l’ancien monde – ce qui est en soi une défaite pour le « nouveau », mais passons. Dans une période de troubles, il est sûrement intéressant d’avoir un faiseur à Matignon plutôt qu’un diseur.
La droite dit merci au NFP
La situation qui se présente à lui sera néanmoins d’une complexité inouïe. Le parlement est divisé, les Français ne le sont pas moins. Un véritable homme d’Etat peut s’en sortir, surtout quand il connait bien le fonctionnement interne des partis et la « tambouille ». Bien sûr, il faut s’attendre à ce que la gauche soit totalement déchaînée, à ce qu’elle provoque même un troisième tour social dans la rue, en s’opposant à tout et surtout à ce qui pourrait être bien. Le retour à la réalité sera rude pour les cadors des plateaux de télévision, après avoir joué la comédie en soutenant Lucie Castets. La France est majoritairement à droite et cela inclut les 11 millions d’électeurs du Rassemblement national. Pour la première fois, ses électeurs seront peut-être partiellement entendus par un gouvernement respectueux et capable de compromis.
La gauche dénonce un coup de force qu’elle a elle-même voulu tenter. On serait même tenté de répondre avec un peu d’ironie que son jusqu’au boutisme a plus fait pour l’union des droites, qui ne peut passer que par le centre, que ce que les caciques de la droite ont fait en trente ans…
Le Front Populaire des élections a fait place à un rassemblement – national, serait-on tenté d’écrire – contre la gauche au parlement, savamment ourdi par un Emmanuel Macron trop heureux de garder son pré-carré international. Soyons honnêtes : ce qui est présenté comme une cohabitation ne peut pas totalement en être une avec le soutien des députés du parti présidentiel au nouveau Premier ministre. Il s’agit plutôt d’une « coalibitation » dans laquelle la droite sera le centre, quelque part entre Ensemble et le Rassemblement national… Durable ? Nous le verrons bien.
L’ancien chef du parti travailliste, Jeremy Corbyn, s’est associé à quatre députés indépendants pro-Gaza pour former une nouvelle alliance au parlement britannique.
« Dis-moi pour qui tu aimes voter, je te dirai qui tu hais ». Cette formule est aussi valable en français qu’en espagnol (du Venezuela) et en anglais.
Covid vaincu, mais virus antisémite toujours vivace
Jeremy Corbyn n’est pas devenu un pipole de notre côté de la Manche seulement grâce à son amitié particulière avec Mélenchon. «On commence tout juste notre histoire avec Corbyn[1]» avaitdéclaré l’islamo-gauchiste hexagonal en chef, en novembre 2018.
Corbyn est paru en Une dans quelques médias français, quand il était à la tête du Labour Party, le parti travailliste. Mais il a poussé le bouchon de l’antisémitisme si fort au fond du flacon d’élixir que cela a fait sauter le parti tout entier.
À l’inverse, les Français peuvent être fiers de leur corbyneau hexagonal : alors qu’il était donné sub-claquant par les sondeurs d’âmes et de cœurs populaires, not’Jean-Luc a séduit les populistes germanopratins par sa présentation palestinolâtre du monde. Il les a conduits à voter avec enthousiasme pour une coalition de bric, de broc et d’anti-israélisme.
C’est ainsi que le sous-marin de l’islamisme français est remonté à la surface aussi vite qu’un suppositoire en marche arrière.
Le ciment le plus solide de son nouveau Bas-du-Front populaire était la haine d’Israël : on ne change pas une équipe qui gagne. Mais il n’a pas résisté aux divergences concernant tous les autres sujets. Macron comptait là-dessus : on n’apprend pas à un vieux Machiavel à faire des grises masses ce qu’il veut ! Le résultat, c’est que deux mois après le deuxième tour qui a porté les espoirs mélanchoniens au zénith, le Premier ministre désigné par le roi Louie-Emmanuel[2] est un second couteau qui ne lui fera pas d’ombre : Michel Barnier a été député, puis commissaire européen à la politique régionale de 1999 à 2014. Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Raffarin, puis de l’Agriculture et de la Pêche sous Nicolas Sarkozy, il a toutes les qualités requises : l’européanisme béat et le dos rond-de-cuir.
Corbyn est une punaise de lit : on le met à la porte, il rentre par la fenêtre
La tentative de « ses amis du Hamas et du Hezbollah[3]» pour lui sauver la mise n’avait pas mieux réussi que celle de son alter ego, invoquant le célafautojuifs, en Mélenchon dans le texte : « il a dû subir sans secours la grossière accusation d’antisémitisme à travers le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud [4]».
Corbyn est quand même toujours député à Islington North. Il a juste changé d’étiquette en 2020. Du 9 juin 1983 au 29 octobre 2020, c’était avec le label travailliste[5]. Mais se retrouver simple député quand on a été le leader charismatique d’un parti pendant cinq ans (12 septembre 2015-4 avril 2020), ça vous laisse un goût de nostalgie.
Alors Corbyn a repris la stratégie de Pepitosu corazon[6] : il s’est allié avec quatre autres élus indépendants, Shockat Adam, Ayoub Khan, Adnan Hussain et Iqbal Mohamed, qui militent sur des plateformes pro-palestiniennes. Sans surprise, leur « Alliance indépendante » a vocation à obtenir un embargo sur les armes à destination d’Israël et elle cherche à recruter des alliés au Labour Party, qui n’a pas été purgé de tous ses antisémites, malgré l’action du nouveau boss, devenu depuis Premier ministre, Keir Starmer.
On dit de Starmer qu’il est sioniste, mais il est surtout mou. On ne parle pas de sa vie sexuelle, seulement de son engagement vis-à-vis d’Israël. Lorsque David Lammy, le secrétaire d’État travailliste, a succombé à son tropisme palestinien et imposé un embargo sur les armes à destination de l’État juif[7], au moment où celui-ci est menacé sur tous les fronts par les islamistes, Starmer n’a pas discuté. Au contraire, il a défendu l’embargo, le qualifiant de « décision juridique, pas politique ». C’est pourquoi il ne le considère pas comme un changement dans le soutien du Royaume-Uni au droit d’Israël à l’autodéfense.
L’Angleterre a quitté l’Union européenne, mais les liens sont encore forts entre nos deux pays : la nouvelle Alliance indépendante british a beaucoup en commun avec la France Insoumise-à-la-démocratie et il y a du Macron dans le management chèvre-et-en-même-temps-chou de Keir Starmer.
[6] Les deux compères échangent en espagnol, car Mélenchon n’a pas voulu apprendre la langue des gringos. – https://www.liberation.fr/planete/2018/09/24/jean-luc-melenchon-avec-corbyn-c-est-le-debut-de-notre-histoire_1680944/
L'adjudant-chef Éric Comyn, 54 ans, a été tué à Mougins suite à un refus d'obtempérer, le 26 août 2024. DR.
Parce qu’elle a osé affirmer que la France avait tué son mari « par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance », Harmonie Comyn est victime de propos odieux. Diligentée par le parquet de Draguignan, une enquête pour cyberharcèlement est ouverte, annonce l’AFP. Mais sur Twitter, l’anonymat rend compliquée l’identification des misérables qui s’en rendent coupables.
Face à l’ignominie au quotidien de X (ex-Twitter), fuir ou résister ? Pour moi, la réponse a toujours été claire : il ne faut pas laisser le champ libre à la grossièreté et à l’abjection d’une minorité qui dégrade et déshonore ce réseau social au point que parfois on passe plus de temps à bloquer qu’à discuter. Les insultes, les vulgarités qui me sont destinées, pour ne pas parler des attaques indignes – les références, par exemple, à mon père de la part souvent d’incultes historiques – me touchent peu puisqu’elles émanent de trop bas et j’ai la ressource, y répliquant, de les faire disparaître et de chasser ces twittos de mon compte.
Twitter, un cloaque ?
Deux exemples : Le député LFI Sébastien Delogu s’était vu reprocher de circuler à contresens à Marseille. Il avait mis en cause la police à cette occasion. Je m’étais contenté de demander si oui ou non il avait circulé à contresens. J’ai subi de la part de certains de ses soutiens sur X une série d’immondices dont l’élu n’était pas responsable mais qui donnaient une image très peu reluisante de LFI. J’avais tweeté sur la députée LFI Ersilia Soudais et elle m’avait répondu en laissant croire que je l’avais critiquée sur son apparence physique. Alors que j’ai pu démontrer par la suite, malgré les inepties multipliées à mon encontre, que ma bonne foi était entière. Alors, face à l’insupportable, ne jamais s’effacer mais se battre ; ou bloquer si on n’a pas le choix.
En revanche ce n’est pas la même chose quand la veuve d’un adjudant de gendarmerie exemplaire, tué à la suite du comportement criminel d’un Cap-Verdien condamné à plusieurs reprises, mis en examen et en détention provisoire, est traitée sur X sur un mode qui défie l’entendement. Il relève plus d’abjections que de propos articulés. Une enquête, d’ailleurs, a été ordonnée tant la mesure était dépassée. Cette femme digne et courageuse a eu le grand tort, pour ces voyous du réseau social, d’intervenir après la mort de son époux qui va la laisser, avec ses deux enfants, dans un chagrin durable, en mettant en cause la France qui n’avait pas su prendre les mesures pénales pour empêcher un tel individu de nuire. Un discours émouvant, fier et lucide, dont les citoyens de bonne foi n’auraient pas eu un mot à retirer. Même si je commençais à avoir une certaine habitude de ce cloaque, j’ai tout de même été saisi par l’intensité des horreurs déversées sur l’épouse de l’adjudant Comyn.
Des dérives permises par l’anonymat
De la même manière que dans l’affaire de la soumission chimique de sa femme actuellement au tribunal, je cherche à comprendre les ressorts sombres et pervers de Dominique P, il faut que je tente de découvrir ce qui, dans l’humanité de ces brebis galeuses, est différent de celle de la majorité des gens. Ceux-ci éprouvent en effet le plus grand respect pour cette veuve parvenant à poser les bonnes questions face à la tragédie qui la frappe. Ces twittos, quel fond, quel caractère est donc le leur ? Sont-ils dénués de toute sensibilité ? N’ont-ils que des pulsions négatives qui les conduisent à cracher sur la noblesse de certaines personnalités ? Sont-ils tellement pauvres dans l’usage du langage qu’ils en sont réduits à l’insulte ? Se rendent-ils compte de leur ignominie ou leur rapport avec autrui n’est-il fait que de mépris et d’un défaut radical d’empathie ? Est-il trop tard pour leur apprendre les bases minimales du respect de l’autre et les règles les plus élémentaires de la vie en société ?
L’anonymat qui sévit sur X permet-il à quelques-uns d’exprimer leur part mauvaise, implacablement mauvaise, qui a besoin de s’extérioriser quel que soit le sujet, qu’il soit tragique ou non ? Comme s’il y avait des humains qui, mélangeant sans doute un terrain psychologique et intellectuel défaillant avec des conditions sociales modestes, avaient plaisir à s’abandonner, par une sorte de sadisme les rassurant sur eux-mêmes, aux pires instincts, à des dévastations gratuites, au mal pour le mal ? Quand on désire appréhender le crime ou des ignominies d’une autre sorte, on n’échappe jamais à cette question fondamentale : le mal est-il en nous ou l’a-t-on hérité ?
Malgré le tableau très sombre que j’ai dressé de X et qui a culminé, dans l’ignoble, contre Harmonie Comyn, il faut pourtant y rester. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour tweeter. La résistance est à elle-même sa belle et éclatante finalité. Comme la stigmatisation des voyous. C’est peu mais c’est déjà cela.
Pour le président de Reconquête, la stratégie de dédiabolisation poursuivie par le RN revient à se soumettre à la gauche. L’urgence, c’est de mener le combat identitaire car « la France est assiégée par une civilisation étrangère » qui a notamment ravivé l’antisémitisme. Pour lui, la politique est une affaire trop belle et trop grande pour être confiée à des politiciens obsédés par les sondages.
On l’avait vu, au lendemain des européennes, passablement abattu par les trahisons. On le retrouve souriant, reposé, gourmand de rencontres et d’idées nouvelles. Après une dizaine de jours en Californie, où le gotha conservateur américain avait invité Sarah Knafo, son lieutenant et sa compagne, à une session de formation, j’ai rejoint le patron de Reconquête en Camargue, une région où il compte de fidèles partisans devenus de bons amis. Deux heures de natation par jour, des livres en pagaille, la presse dégustée dans la solitude matinale face aux vignes, la famille et les copains : alors que la dernière séquence a largement confirmé son diagnostic, il est prêt à en découdre, plus que jamais convaincu que la France est en danger. Il lui reste à prouver qu’il est celui qui peut la sauver. À supposer qu’elle veuille être sauvée •
Causeur. Avez-vous été touché par la grâce olympique ?
Éric Zemmour. Depuis mon enfance, j’aime le sport – je le regarde et je le pratique. Depuis 1968, je n’ai jamais raté les JO, ni la Coupe du monde de football. Je pourrais vous parler pendant des heures des JO de Mexico en 1968 avec la victoire de Colette Besson ! Je ne suis pas de ces gens qui méprisent « le pain et les jeux » qu’on donnerait « au peuple ». Comme tous les gens du peuple, je suis heureux quand les Français gagnent. Et cette année, j’ai été servi ! Léon Marchand nous a tous enchantés. Je suis très chauvin en sport, je n’en ai pas honte.
Vous êtes chauvin en tout !
Pas faux ! Le sport, c’est aussi le patriotisme. Quand on dit que le sport, c’est uniquement « le vivre-ensemble, la convivialité, la sororité », on dénature complètement les valeurs du sport. Le sport, c’est l’effort, la méritocratie, la sélection, la compétition. Le sport, ce sont des valeurs de droite. Pour être jockey, il faut être petit et léger. Il y a ceux qui arrivent les premiers et qu’on respecte, et ceux qui arrivent en dernier et qu’on plaint. Tout le contraire de l’école d’aujourd’hui ! On accepte que les qualités des hommes et des femmes soient différentes ; ils ne combattent pas ensemble. On est content quand son compatriote gagne. Tout ce que la gauche et l’époque détestent !
Peut-on se contenter de crier « Vive la France ! » uniquement dans les stades ?
Et pourquoi les peuples européens ne manifestent-ils leur patriotisme que dans les stades ? Car, c’est désormais le seul endroit où les élites le tolèrent. Prenez l’Allemagne. Après 1945, le patriotisme allemand est devenu suspect, alors le football fut son seul refuge. Aujourd’hui, nous sommes tous Allemands. Tous les peuples européens ont été mis au pain sec et à l’eau patriotiques.
La « communion », célébrée jusqu’à l’écœurement par les commentateurs, n’est-elle pas factice ?
Bien sûr. C’est exactement l’histoire de la Coupe du monde de football en 1998. Les politiciens et les intellectuels de tous bords, qui ne manifestaient jusque-là que mépris pour ce « sport de beauf », exaltèrent avec des trémolos dans la voix la victoire de la France « black-blanc-beur ». Cette victoire que tout un peuple attendait depuis des années, que notre peuple fêta dans la liesse – cette victoire fut dérobée, subtilisée, transformée et devint un fantastique objet de propagande. Nos trois couleurs n’étaient plus bleu, blanc, rouge, mais black-blanc-beur. Ce n’était plus la victoire de la meilleure équipe du monde, mais celle du métissage. La réalité a vite rattrapé cette légende. Car trois ans plus tard, il y eut un match entre la France et l’Algérie. Et là, ce sont les supporters des banlieues françaises qui applaudirent l’Algérie, sifflèrent La Marseillaise et conspuèrent Zidane « le traître » dès qu’il touchait le ballon. Avant d’envahir le terrain, parce que la France humiliait l’Algérie dans le jeu. L’illusion de la France black-blanc-beur était déchirée.
Quoi qu’il en soit, les JO ont été une réussite organisationnelle.
Paris a vécu sous une bulle pendant quinze jours. On a mis dix fois plus de policiers que d’habitude, on a démantelé les points de deal, on a sorti les migrants de la ville. On a fait marcher le métro, il arrivait à l’heure, il était propre. Bref, un avant-goût de la France que je veux ! Ce n’était pas le Paris d’Hidalgo…
Le sport est-il un critère valable pour juger de la supériorité des nations ? La hiérarchie issue du sport n’est-elle pas contestable par rapport à celle des scientifiques, ou des grands artistes ?
L’un n’exclut pas l’autre. Après les JO de Rome de 1960, qui avaient été une catastrophe pour les sportifs français, le général de Gaulle a réuni un Conseil des ministres spécial pour développer le sport de compétition en France. C’est ainsi qu’on a organisé la formation du football qui nous a amenés à l’équipe de Platini dans les années 1970. À l’époque, Jacques Faizant a publié un dessin hilarant du général de Gaulle courant en survêtement avec cette légende : « Dans ce pays, il faut que je m’occupe de tout. » Dans tous les sports, l’État a donné une impulsion. Donc, même au temps du général de Gaulle, on considérait que le sport était un élément du prestige français. En temps de paix, dès qu’un pays sort du sous-développement, il s’efforce d’organiser son sport de haute compétition. Les deux pays qui raflent le plus de médailles sont les États-Unis et la Chine : la hiérarchie olympique épouse assez fidèlement celle de la puissance. Pour moi, les sportifs, en particulier olympiques, sont les chevaliers de notre époque, ils portent haut les couleurs de leur pays.
Que retenez-vous de la cérémonie d’ouverture ? Les provocations, la Marie-Antoinette gore arborant sa tête coupée ou les monuments de Paris sublimés ?
Je retiens que la gauche n’arrête jamais de mener le combat idéologique et trouve toutes les occasions pour faire avancer ses pions. Ce que vous appelez « provocation », c’est simplement la mise en scène de ses idées qui doivent s’imposer à tous. C’est la grande force de la gauche. Elle est fondamentalement gramscienne. Et c’est la grande faiblesse de la droite, qui ne mène pas le combat culturel. Il faut affronter la gauche sur ce terrain culturel. C’est ce que j’ai fait pendant des années. C’est ce que nous faisons avec Reconquête.
Le droit au blasphème fait partie de notre culture. Peut-on demander aux musulmans d’accepter les caricatures de leur prophète et pousser des hurlements pour une transgression pour enfants, déjà vue 500 fois, autour de la Cène ? Faut-il s’énerver contre « les mutins de Panurge » (Muray) ou se payer leur tête ?
Le droit au blasphème, la transgression et la caricature font partie de l’esprit français. Mais justement, quand cette provocation a été vue 500 fois, alors ce n’est plus une provocation : c’est l’idéologie dominante qui, par définition, s’impose à nous. En 1900, se moquer du christianisme dans une société encore catholique, c’est se moquer du pouvoir. En 2024, se moquer du christianisme, c’est faire partie du pouvoir, de l’idéologie dominante. Nous devons la combattre, car il ne s’agit plus de transgresser un ordre qui tient debout, mais d’effacer complètement une civilisation devenue fragile : les racines chrétiennes de la France.
Vous voulez recommencer la guerre froide idéologique dans l’autre sens, en fait. Et pourquoi ne pas essayer le pluralisme culturel ? Le débat à la loyale ?
C’est exactement ce que je fais ! Mais ne soyons pas naïfs : il y a toujours une culture dominante. Quand la gauche gagne les élections, elle gagne. Mais quand elle les perd, elle gagne aussi, parce que la droite n’applique pas ses idées et se soumet à la gauche. Chez Reconquête, nous contestons sans cesse cette hégémonie, par exemple avec les Parents vigilants, notre réseau de 75 000 parents, présents dans la France entière pour alerter des dérives au sein de l’école. Je veux que Reconquête reprenne le flambeau de l’éducation des jeunes générations. Je compte m’y investir personnellement dès nos universités d’été à Orange, le 7 septembre.
Pardon, mais on n’a pas envie de voir un politiquement correct de droite supplanter celui de gauche. Ni de voir le retour de la persécution des homosexuels…
Vous tombez dans ce panneau ? Depuis 1789, date à laquelle elle a été dépénalisée, l’homosexualité n’est plus persécutée en France. Moi, je déteste le politiquement correct, et je me fiche de ce que font les gens, j’ai grandi dans les années 1970. Ce que je combats, c’est le militantisme LGBT. On nous raconte que le refus de l’agenda woke serait de l’homophobie. C’est un peu gros.
Donc, contrairement à vos amis ou ex-amis de la « droite des valeurs », vous êtes libéral sur les mœurs ?
Je ne suis pas un puritain. Je trouve que nous vivons une triste époque de réaction puritaine, après l’explosion libertaire des années 1970. Regardez la sexualité des jeunes : elle est quasiment réduite à néant ! Sauf que ce n’est plus l’Église, mais le féminisme à la MeToo qui inhibe les désirs et contraint à l’abstinence.
Diriez-vous qu’avec Marion Maréchal, Reconquête a perdu sa branche la plus catholique ?
Vous avez trouvé son attitude très catholique ?
Les trahisons semblent derrière vous. Vous avez encaissé ?
Oui, les vacances m’ont fait du bien. Je me suis posé des questions simples : Est-ce que l’intérêt de la France serait mieux défendu si j’arrêtais la politique ? Si Reconquête cessait le combat ? Je pense avoir trouvé la réponse. Je regarde devant moi. J’ai des troupes déterminées. Je sais qu’il nous faut continuer le combat. Sans Reconquête, nos idées ne vaincront jamais. Nul autre que nous ne les portera.
On a été contents d’oublier la crise politique pendant ces trois semaines. Elle est toujours là. Fin juin, il y avait une quasi-unanimité pour dénoncer la dissolution : choix irresponsable, scandaleux… Était-ce votre avis ?
Ce n’était pas scandaleux, c’étaitstupide. La dissolution permet, en principe, au président de la République d’améliorer son rapport de forces avec les autres pouvoirs. Or, en l’occurrence, Macron a dissous à un moment où il ne pouvait que s’affaiblir. Personne n’a gagné : ni la gauche, ni la Macronie, ni le RN. Et surtout pas la France ! Désormais, peu importe le gouvernement, il n’aura pas de majorité solide. Les immigrés vont continuer à arriver, l’école, à s’effondrer, la dette, à grossir. Tous les problèmes qui doivent être réglés ne le seront pas. Les Français le voient et sont écœurés de la politique pour cette raison. C’est pour cela que plus de 80 % d’entre eux viennent de dire que les partis politiques n’étaient ni crédibles, ni honnêtes, ni utiles (Odoxa).
Quand vous jouez, vous n’êtes jamais sûr de gagner !
Macron avait-il vraiment un objectif rationnel ?
Oui, celui d’user le RN pour ne pas amener Marine Le Pen à l’Élysée.
Dans ce cas, il fallait le laisser gagner, et non s’allier avec LFI. Quoi qu’il en soit, le résultat, c’est le chaos.
Si la France n’est pas politiquement partagée en deux mais en trois, c’est le chaos ?
Le problème n’est pas la tripartition parlementaire, mais le décalage entre la réalité du pays et les débats des politiciens. Tous les Français le disent : on ne comprend plus rien à la vie politique, c’est le chaos ! Pourquoi ? Car la politique ne correspond plus aux clivages de la société. On a connu dans l’histoire des moments où la politique ne correspondait plus aux réalités sociologiques et démographiques d’un pays. Regardez la fin du xixe siècle, en France. La vie politique oppose alors les républicains et les monarchistes, alors que le conflit qui agite la société, c’est déjà la lutte des classes. Le socialisme tarde à être représenté, d’où la déconnexion entre la société et la politique, et l’instabilité qui va avec. Même chose en Angleterre à la même époque : la compétition politique oppose les conservateurs et les libéraux, alors que la classe ouvrière naissante cherche son expression politique. Le chaos politique anglais dure cinquante ans avant d’accoucher du Parti travailliste qui s’opposera aux conservateurs et aux libéraux enfin réunis. Vous connaissez la définition d’une crise : c’est quand le vieux monde tarde à mourir et le nouveau tarde à naître. Aujourd’hui, les uns veulent ressusciter les années 1960 avec un clivage droite/gauche à l’ancienne, les autres les années 1990 avec le clivage populistes contre mondialistes. Ces clivages sont désuets. La vie politique française n’est pas encore entrée au xxie siècle. Le nouveau clivage est identitaire. La politique est en retard sur la société. Moi je viens de la société. C’est pour cela que j’ai quelque chose à apporter.
Si je vous vois venir, Reconquête est le Labour party du xxie siècle ! Mais pour représenter quel clivage qui ne le serait pas aujourd’hui ?
La question est simple : qui veut continuer de vivre dans la France de toujours, et qui veut la balayer pour vivre dans la France islamisée de Jean-Luc Mélenchon ? Aujourd’hui, nous sommes le seul parti à le formuler. Il s’imposera aux autres. D’ailleurs, j’ai noté un aveu dans l’intervention d’Emmanuel Macron, fin juillet. Il dit : « J’ai cru que la baisse massive du chômage allait entraîner la réconciliation des Français entre eux, je me suis trompé. » Il lui aura fallu sept ans pour comprendre, et il va encore passer trois ans à ne rien faire !
Si je vous comprends bien, même le RN ne représente pas les aspirations identitaires de ses électeurs.
En effet, ses dirigeants ne le souhaitent pas. À chaque élection, le RN range soigneusement le sujet de l’identité pour opposer les Français sur d’autres questions : sur l’euro en 2017, sur le pouvoir d’achat en 2022 et sur plus grand-chose, il faut bien le dire, en 2024. Le RN ne veut pas affronter les médias sur ce sujet. La grande leçon de ces législatives, c’est qu’il faut sortir de la tactique politicienne pour revenir aux idées et aux caractères ! Comme disait Philippe Séguin, « la politique n’est pas une course de petits chevaux », où chacun fait son petit pari en fonction des sondages, en oubliant ses convictions profondes.
Un peu, si ! Elle n’est même souvent que cela !
C’est ce qui la tue. C’est ce qui nous tue. Keynes a une jolie métaphore pour critiquer le caractère moutonnier des marchés financiers. Il les compare à un concours de beauté, au cours duquel on ne demanderait pas au public quelle est la fille la plus belle, mais quelle fille va être désignée comme la fille la plus belle. C’est exactement notre vie politique. J’aimerais qu’on revienne à la désignation de la fille la plus belle, et non pas de celle que l’on croit que les autres vont désigner comme la fille la plus belle – c’est le mécanisme des sondages, qui crée le vote utile. Cela fausse complètement le jeu démocratique.
Je me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais. En termes d’organisation et de sécurité, ils ont même été une réussite remarquable. On croyait notre État impuissant, juste bon à persécuter les honnêtes citoyens : non seulement, il a permis au comité d’organisation et aux entreprises impliquées d’exécuter un projet aussi pharaonique qu’éphémère – la parade d’ouverture sur la Seine –, mais pendant quinze jours, il a assuré aux Parisiens les services que des contribuables dociles sont en droit d’attendre – propreté, sécurité, transports. À vrai dire, une ville quadrillée par la police, aussi sympathique soit celle-ci, ce n’est pas vraiment mon idéal d’urbanité. N’empêche, pour nombre de citadins, qui ont redécouvert le plaisir de flâner sans être emmerdés par des vendeurs de rue, des mendiants, des consommateurs de crack ou de vrais voyous, cela signifie que quand on veut on peut. Sauf qu’on ne peut pas affecter indéfiniment à Paris un tiers de nos forces de l’ordre, ni refiler de façon permanente à nos belles provinces les multiples patates chaudes générées par nos politiques suicidaires.
J’ai aussi eu grand tort de penser que, sur le plan sportif, les Jeux ressembleraient au cirque habituel du sport-business, quand, entre deux scandales financiers ou sexuels, on est priés de s’extasier sur les valeurs du sport et sur nos footballeurs, jamais à court d’un tweet idiot (songeons au petit ange parti trop tôt de MBappé). Pour le coup, on les a vues à l’œuvre, ces valeurs, et comme l’observe Zemmour dans l’entretien qu’il nous accorde, ce sont celles que la société et les médias s’emploient généralement à combattre, en particulier à l’école – effort, surpassement, singularité, hiérarchie, compétition, méritocratie. Les athlètes et leurs exploits insensés nous ont en prime offert les seules émotions esthétiques de la quinzaine – et les paralympiques qui commencent au moment où j’écris devraient en offrir d’autres. À ce niveau, le sport s’apparente parfois à l’art. En revanche, au-delà du prêchi-prêcha woke pour les nuls et des provocations à deux balles, la cérémonie d’ouverture a surtout consacré le triomphe planétaire du kitsch. Il était difficile d’enlaidir les monuments de Paris. Pour le reste, ce show à ciel ouvert prouve qu’on appelle aujourd’hui beauté la conjugaison d’une musique de sourds, de costumes acidulés et de beaucoup d’agitation. Donnez-nous du bruit et de la couleur, on criera au miracle.
Certes, la « marque France » cote à la hausse. Tant mieux, même si on peut se demander si ce monde où la puissance se mesure au nombre de téléspectateurs ou de touristes est sérieux. En attendant, la propagande olympique qui ne désarme pas, bien au contraire, commence à me courir sur le haricot. Quand j’entends les mots « parenthèse enchantée », j’ai furieusement envie de sortir mon revolver. Pour les commentateurs de tout poil et de tout bord, rien ne sera plus comme avant. Paris 2024 marquera la déconfiture des grincheux, des réacs et de tous ceux qui ne s’enthousiasment pas pour le monde tel qu’il va. Après une « séquence politique dominée par les passions tristes du déclin et de la xénophobie, nous apprend Le Monde, les Jeux de Paris ont offert à la capitale et à la France entière plus de deux semaines de ferveur et de bonheur ». Toute la France aurait, paraît-il, « communié » dans la joie olympique. En réalité, l’écrasante majorité des Parisiens avait fui. Et en dehors des sites olympiques, où régnait véritablement une belle ambiance, la plupart des Français ont suivi l’événement de loin, heureux de voir des athlètes tricolores triompher et de chanter La Marseillaise. Du reste, les ravis de la crèche olympique, ceux qui hier s’émerveillaient de l’ambiance tricolore lors des compétitions, se pincent généralement le nez devant toute manifestation de patriotisme. Demain, ils brailleront que La Marseillaise est un chant guerrier et « Vive la France ! » un slogan raciste. À en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles.
« Nom, prénom, date et lieu de naissance? » « Barnier Michel le 09.01.51 à La Tronche! » « Où? » « A La Tronche!!! » « Soyez poli jeune homme! Personne suivante! » Mais je suis né à La Tronche!!! » Barnier! Le Barn’s! Et si c’était lui?…
Dès son enfance à La Tronche donc, près de Grenoble, Michel développe une précocité à fatiguer autrui remarquable. Lors des repas de famille il a pris l’habitude, au moment du dessert, de se lever et d’entonner une Marseillaise prépubère qui fait le bonheur de ses parents mais qui gonfle prodigieusement le reste de la tribu. « Un café l’addition » c’est devenu la règle chez les Barn’s et apparentés, afin de s’éviter le stress de fin de banquet.
Sur sa lancée, les semelles bien fartées, il prend sa carte à l’UDR, le parti gaulliste, à 14 ans. Au lieu de l’amener illico chez le psy, papa et maman applaudissent des deux mains. Ce sera le seul et unique triomphe public de sa carrière politique.
Tous les témoignages des survivants et rescapés des meetings et réunions politiques du Grand Barnier convergent: le bougre est un serial killer qui pratique, dans ses discours, involontairement l’hypnose. Beaucoup n’ont pas pu ou voulu se réveiller. Malgré ce lourd handicap à l’oral, le Barn’s par lui-même convaincu de lui-même, entame une ascension fulgurante. Il y a les politiques brillants dont on dit : « ils ont fait une belle carrière ». Pour le Grand Barnier, c’est selon que l’on soit catho (comme lui) ou mécréant. Le catho dira que le Michou aurait battu le record de la traversée de la mer Morte avec ses pieds comme des planches, le mécréant aurait joué les chiffres de sa naissance à l’Euro millions.
D’une enfance sans histoire, le Miche ne garde que de bons souvenirs à l’exception d’un cauchemar. Le cauchemar de la crêperie. Petit, Barnier était déjà grand. Beaucoup plus que ses copains. La bande avait pris l’habitude de se rendre dans une crêperie de Grenoble, et les gamins attendaient le moment de la commande. Quand la serveuse demandait: « les crêpes ? Sucre ou Grand Marnier? », à l’unanimité moins une, « au Grand Barnier!!! ». Les enfants sont cruels. Depuis quel que soit le lieu, le sujet, dès que Michou entend au détour d’une phrase « le grand… » il ne peut s’empêcher de hurler « au sucre, au sucre! » C’est devenu, avec le temps, sa manière de crier « au secours »! Ce qui, selon le contexte, peut provoquer un malaise certain. Invité par un de ses soutiens, le maire du Touquet Daniel Fasquelle, au salon du livre de la commune, il tombe sur un débat littéraire autour de l’œuvre d’Alain Fournier. Quand l’intervenant va citer Le Grand M…, le Barn’s s’égosille « au sucre, au sucre ». Pendant qu’on exfiltre Barnier, un militant demande au maire si Michou n’abuse pas du bicarbonate…
L’autre obsession du Grand Barnier s’appelle Pierre Mazeaud. Rares sont les hommes politiques à avoir un parcours d’homme aussi charpenté. Mazeaud a pour lui une vie incroyable, jalonnée par les exploits, le gout du risque, les drames et les plus grandes épopées. Il a affronté à mains nues la fureur des éléments. La foudre a percuté sa cordée emportant quatre de ses compagnons. Il est l’un des premiers à planter son piolet au sommet de l’Everest. Son nom est associé au pic des montagnes les plus dévoreuses de chair humaine, gravies à la force des phalanges et du poignet. Il est une légende de l’alpinisme. Professeur de droit le jour, il est le fruit d’une longue dynastie de juristes, il s’encanaille la nuit dans les vapeurs d’alcool, drague les filles sur des notes de jazz et fait la java sous les pavés de Saint-Germain, tout en rêvant des Dolomites. Il s’oppose à la politique coloniale, écrit des brulots sous pseudo dans Le Libertaire, journal anarchiste. Michel Debré le convainc de s’engager dans le parti gaulliste. A ce moment-là, il devient l’insoumis de droite menant de front plusieurs vies, mêlant politique, droit, beuveries avec ses potes pour toujours finir dans son paradis blanc. Alors, en ce jour de 1973, quand le Barnier de 22 ans, en mission auprès du Secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud himself, le choc des cultures est en marche. Si la fumée monte au ciel, les volutes du cigare de Mazeaud s’accumulent sous le plafond de son bureau. Juste ou le grand Barnier ouvre ses naseaux. Ces deux Savoyards ne sont pas de la même planète. Entre le furet de la vallée et le grizzli des sommets, absolument rien ni personne ne peut établir la connexion.
Le 30 octobre 2021, Mazeaud, 92 ans, donne une interview au Point. L’hebdo lui décline le casting des candidats à la primaire des LR. Quand vient le tour du Barnier, la sentence du vieux lion est sans appel: un nul, un imbécile. Son coup de griffe est une récidive. Retour en 96. Barnier est président du Conseil général de Savoie. Dans une interview publiée par l’Evènement du Jeudi, le Président de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale Pierre Mazeaud (RPR) s’en prend vertement à plusieurs membres du gouvernement et de la majorité. Le pire, déclare-t-il, après avoir évoqué la situation en Corse, c’est quand j’entends cet imbécile de Barnier parler de fusionner les deux Savoie. Il incite au séparatisme, accuse Mazeaud ! Que s’est-il passé pour que le Barn’s qui ne passe pas pour être un franc-tireur se retrouve dans cette aventure ? Le leader de la Ligue savoisienne, mouvement indépendantiste, un certain Patrice Abeille, qui deviendra le premier chef du gouvernement provisoire de la Savoie, en exil à Genève, passe un accord avec le Miche. Si tu milites pour la fusion nous t’apportons nos suffrages. Ni une ni deux, lancé comme un frelon, Barnier se range à l’injonction de l’Abeille. 7% d’intention de vote, ce n’est pas rien. Las, le vieux lion du haut de sa tanière a anticipé la gesticulation du précieux de La Tronche. Et quand le fauve déverse dans la vallée une avalanche de quolibets, le Grand Barnier qui n’a jamais eu la conviction chevillée au corps, se réfugie dans son chalet. En attendant des jours meilleurs…
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
Et de deux. Le bouclage du précédent numéro de Causeur a eu lieu entre les deux tours – donc avant les résultats – des élections législatives. Pour cette rentrée, je vous écris sans savoir qui sera nommé à Matignon par Emmanuel Macron. Dissolution, pas de clarification, puis cette procrastination élyséenne qui a obtenu un record, celui de la longévité d’un gouvernement démissionnaire. Mieux que les trente-huit jours qui se sont écoulés entre le cabinet René Mayer et celui de Joseph Laniel en mai-juin 1953 ! Alors que le premier message des urnes a exprimé l’aspiration à un vrai changement, le président Macron est en marche sur les pas d’Edgar Faure (« Voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter. ») et d’Henri Queuille (« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »). Décidément, sous ses faux airs de modernité, le macronisme est un succédané de la IVe République.
Nous vivons le temps du retour du Parlement. Tant mieux ! C’est pourquoi Emmanuel Macron devrait d’abord nommer à Matignon la représentante du Nouveau Front populaire, coalition arrivée en tête le 7 juillet. Son gouvernement pourrait être aussitôt censuré par une majorité à l’Assemblée nationale, mais cela se déciderait précisément au Palais-Bourbon, non à l’Élysée. Le pays profond détourne son regard et se dit que, décidément, « rien ne change ».
C’est ce même pays qui s’est enthousiasmé pour les Jeux olympiques, qui s’est pris au jeu. Et pourtant, il n’a pas manqué de voix tonitruantes, politiques et médiatiques, pour nous dire que nous allions à coup sûr au désastre, que la France allait connaître une véritable humiliation, qu’il n’y aurait pas de public dans une capitale grillagée et désertée. Jusqu’à la toute fin, alors que nous apprenions que Léon Marchand ne serait pas l’un des deux porte-drapeau tricolores pour la cérémonie de clôture, j’ai pu lire : « Que cache cette élimination pour d’obscures raisons non avouables ? » Puis l’athlète aux ondulations de dauphin, héros de ces superbes olympiades, est apparu à l’écran pour ouvrir cette cérémonie. Il avait rendez-vous avec la vasque-montgolfière dans le jardin des Tuileries. Beauté.
C’est ce même pays qui pleure la disparition d’Alain Delon, la dernière étoile cinématographique. « Nul ne guérit de son enfance », disait Ferrat. Delon en a fait Tancrède, Roger Sartet, Jef Costello, Rocco Parondi, Roch Siffredi, Robert Klein, Choucas, Verlot, Xav, Niox, Pierre Larcher et tant d’autres personnages…
Je n’aime pas les injonctions. Notamment celles qui consistent à nous dire ce qu’il faut aimer, ce qu’il convient de détester, et nous somment d’appartenir à une majorité, relative ou absolue, en matière artistique ou sur le terrain des idées. Mais j’avoue ne pas bien comprendre comment ces deux moments français, la ferveur populaire pour les JO, ce patriotisme joyeux, puis cette tristesse, cette douce nostalgie, quand Delon s’en est allé rejoindre ses parents (et Gabin !) ne peuvent pas nous réunir. Et de trois ? On bouclera certainement encore le mois prochain dans des conditions incertaines. Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire.
« Le plus grand esprit de l’humanité moderne : Pythagore, Hippocrate, Aristophane et Dante réunis » (Honoré de Balzac, à propos de Rabelais)
« La grande fontaine des lettres françaises (où) les plus forts ont puisé à pleine tasse » (Gustave Flaubert, à propos de Rabelais)
C’est la rentrée théâtrale. Et comme souvent, le Théâtre de Poche invite à réviser les classiques : Gargantua de Rabelais – après Yourcenar en juillet, reprise en janvier 2025 à ne pas manquer, merveilleux seul en scène autour des Mémoires d’Hadrien, par Jean-Paul Bordes.
Beau programme – pour un écrivain (Rabelais) si classique et culte qu’on en oublierait de le lire, à tort bien sûr. Certes Malherbe et la Contre-Réforme l’ont combattu, mais Chateaubriand et Hugo l’ont réhabilité et fêté – comme Jarry (le Père Ubu – évidence), Claudel, Céline, Cocteau, voire aujourd’hui Valère Novarina (un de nos classiques contemporains, et vivants). Et il fut un temps pas si lointain (1968) – où Jean-Louis Barrault lui consacrait un spectacle : Rabelais. Musique ? Michel Polnareff. Le saviez-vous ? Nous non plus.
Parenthèse : je me souviens de mon vieux professeur de latin en khâgne. Il distinguait deux catégories de personnes, et seulement deux. Ceux qui lisaient Rabelais (1483 ou 1494- 1553) – et les autres. À l’époque, j’étais des autres – et le suis hélas toujours un peu.
D’où l’agrément que procure le seul en scène de l’épatant Pierre-Olivier Mornas (il sait tout faire) dans son évocation de Rabelais et de Gargantua : c’est un bain – une ambiance restituée.
La mise en scène d’Anne Bourgeois, d’une grande sobriété, permet d’écouter le texte, plutôt que d’en être détourné par des effets superflus. Pareil pour la musique de François Peyrony : un accessoire bienvenu, plutôt qu’une pollution, comme cela arrive.
Pierre-Olivier Mornas incarne à la fois Grandgousier et Gargamelle (les parents de Gargantua), Gargantua (ou Rabelais, c’est le même), etc. Le géant festoie. Affamé, il mange tout le temps – mais c’est sa boulimie de savoir qui domine : apprendre, avec son précepteur Ponocrates (alter ego de Socrate). Il engrange les connaissances, devient « donc » chef de guerre (les guerres picrocholines – du nom du roi Picrochole, qui attaque le royaume de Grandgousier), etc. Les grands thèmes rabelaisiens – l’éducation, la connaissance, l’humanisme, le vin, etc. – émergent peu à peu au gré du monologue endiablé. On regarde, on écoute, on révise – transportés dans ce XVIème siècle… rabelaisien. Et une fois n’est pas coutume, on saisit précisément, alors, ce que recouvre ce qualificatif rebattu. L’outrance, la démesure, la truculence (voire la trivialité) – mais aussi les lumières d’une certaine Renaissance. Le côté, en fait, révolutionnaire de Rabelais en son temps – et qui le demeure. Une délicieuse soirée.
Gargantua, de François Rabelais, mise en scène d’Anne Bourgeois, adapté et interprété par Pierre-Olivier Mornas. Jusqu’au 10 novembre. Du mardi au samedi 19H. Dimanche 15H. Théâtre de Poche Montparnasse (6e arrondissement). Durée : 1H10.