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Le Grand Pardon

En mon nom propre et en celui des centaines de milliers de lecteurs qui me font confiance, je demande solennellement pardon aux millions d’Africains récemment décédés à cause des déclarations scandaleuses du Pape sur le préservatif.

Je demande pardon à toutes les races, dont l’ignoble Zemmour a osé prétendre qu’elles existaient. Je demande pardon à tous les rappeurs, dont le spontanéisme révolutionnaire et le lyrisme poétique déclenchent périodiquement les aboiements des souchiens réactionnaires.

Pardon à l’art contemporain, traîné dans la boue et quotidiennement humilié par les petits-bourgeois hostiles à sa rebel attitude, heureusement saluée courageusement par tous les ministres de la Culture présents, passés et à venir et tous les musées publics, semi-publics et parapublics.

Pardon au public, laissé par la droite élitiste trop longtemps aux affaires dans une ignorance honteuse qui l’empêche malheureusement de comprendre et d’apprécier l’art contemporain à sa juste valeur et à son prix fort.

Pardon à Jeff Koons pour les nombreux haussements d’épaules de pharisiens ricanants, incapables de comprendre combien son homard à l’hélium avait regonflé Versailles.

Pardon aux intermittents du spectacle pour l’indigence prolétaire dans laquelle les maintient l’obscurantisme du Medef.

Pardon à Luc Besson, si souvent méprisé alors qu’il fait tant pour the rayonnement of the french culture.

Je demande pardon à Obama pour les plaisanteries honteuses de Berlusconi, qui ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres (no offense, Barack !) de Mussolini (on se méfiera jamais assez de tous ces noms en “ni”). Je demande pardon au peuple italien, si mal représenté par ce bouffon qui confond politique et commedia dell’arte.

Je demande pardon à la démocratie, qui devrait être protégée des puissances d’argent qui lui sont par essence étrangères. Je demande pardon à la télévision, rabaissée par Berlusconi au rang des jeux du cirque, alors que mille Arte pourraient s’épanouir ! Je demande pardon aux implants capillaires, auxquels il fait une si désastreuse contre-publicité.

Pardon aux altermondialistes, qu’un gouvernement cryptolepéniste tente d’empêcher de manifester leur juste colère à visage découvert.

Pardon à José Bové, à ce jour scandaleusement ignoré par la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy.

Pardon à Jack Lang, pour la rumeur odieuse laissant entendre qu’il aurait pu céder aux sirènes du pouvoir et intégrer le gouvernement.

Pardon à Rachida Dati, contrainte de rendre ses robes par l’égoïsme insensé de la maison Dior, dont le luxe arrogant n’en finit plus d’insulter la misère des pauvres.

Pardon à Valérie Létard, affreusement humiliée que personne n’ait la moindre idée de ses attributions au gouvernement.

Et pardon à toutes les femmes politiques (sauf Marie-France Garaud, bien sûr) pour l’inouï sexisme qu’elles ne cessent d’endurer aux plus hautes fonctions de l’Etat. Et pardon encore, Rachida, pour tous ces machistes qui prennent ton charme, ta légèreté et ta fraîcheur pour de l’incompétence, ton exigence pour une dureté cassante, ta passion pour de l’hystérie.

Pardon aux ours blancs, victimes de la fonte des glaciers. Pardon aux glaciers, victime de la néo-connerie de l’administration Bush et de son refus de signer le traité de Kyoto. Pardon à la ville de Kyoto, victime de la pollution infligée par l’activité inlassable des Japonais, ce « peuple de fourmis » comme disait si justement Edith Cresson.

Pardon à la nature, humiliée, brisée, martyrisée par une humanité que des millénaires de domination masculine ont transformée en machine à détruire.

Pardon au peuple de gauche pour l’existence de la droite, dont la ringardise culturelle et l’arrogance de classe sont une insulte au genre humain.

Pardon à l’avenir, auquel elle s’obstine à préférer le passé. Pardon à l’espérance, qu’elle insulte régulièrement au nom du réalisme. Pardon aux lendemains qui chantent, qui n’attirent que ses sarcasmes sinistres et grinçants.

Pardon aux espaces infinis, scandaleusement qualifiés d’effrayants par Blaise Pascal.

Pardon aux lecteurs de Libé pour la prose incompréhensible de Bayon. Pardon à ceux du Figaro pour ses valeurs obstinément bourgeoises. Pardon à ceux de L’Express pour les écharpes de Christophe Barbier. Pardon à ceux de Valeurs actuelles pour y avoir écrit… Euh non, attendez ! Avec tous les points de moralité que je viens d’accumuler, je ne vais pas, en plus, m’excuser pour quelque chose que j’aurais vraiment fait…

OSS SS !

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Le Festival de Cannes a dévoilé jeudi les films en compétition. Pour tout dire, l’édition 2009 ne réunit pas que des cinéastes amateurs : Ken Loach, Pedro Almodovar, Ang Lee, Jane Campion, Quentin Tarantino ou encore Alain Resnais sont en lice. Cependant, les cinéphiles avertis s’en étonneront : le dernier OSS 117, vu depuis sa sortie par plus d’un million de Français, n’a pas été retenu dans la sélection du jury cannois. Pire : tout s’est déroulé dans l’indifférence la plus totale. Même Dany Boon, pourtant jamais en reste lorsqu’il s’agit de dénoncer la partialité de la profession, n’a rien trouvé à y redire. Tout fout le camp.

Clara versus Ingrid

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Malaise : tout va de plus en plus vite ! Hier encore, au lendemain de sa libération (juillet 2008), Ingrid Betancourt était un modèle pour la Colombie, la France et le genre humain dans son ensemble. Neuf mois passent, et voilà qu’une demi-douzaine de livres – la plupart traduits en français – nous présentent la même sous un jour beaucoup plus sombre, si j’ose dire. Alors où est la vérité ? Ingrid, sainte laïque ou grande bourgeoise arrogante, égoïste et lâche ?

Parmi ces livres, le plus médiatisé est sans conteste Captive de Clara Rojas (Plon). L’ancienne collaboratrice de Mme Betancourt y donne sa version des six années de captivité qu’elles ont subies ensemble… Ou plutôt séparément. Car ce qui passionne les médias, bien plus que les conditions inhumaines de leur détention par les FARC, c’est la brouille survenue devant cet épreuve entre les deux otages, autrefois amies inséparables.

Pour en savoir plus, j’ai regardé vendredi dernier « Café littéraire » (France2, 22h55), l’émission du toujours crispant Daniel Picouly. Le bonhomme, sorte de croisement d’Ardisson et de Paul Amar, recevait Clara Rojas elle-même ! Trop heureux de nous offrir cette « exclusivité en primeur » (sic), il va donner à l’événement la solennité qui s’impose : une heure en plateau seul à seule avec son invitée d’honneur, qui peut s’exprimer en toute liberté, c’est-à-dire sans avoir à souffrir la moindre contradiction. Les « questions » de Picouly sont autant de révérencieuses relances – un peu comme dans ces émissions de campagne électorale officielle « à l’ancienne » où les politiciens utilisent de vrais-faux journalistes comme faire-valoir.

Sans surprise excessive, il résulte de cet exercice un autoportrait en gloire. On y découvrait peu à peu la force de caractère de Clara dans l’adversité ; sa capacité de résistance face aux humiliations, aux angoisses et à la tentation du désespoir ; son recours enfin à la foi grâce à une lecture intensive de la Bible… Bref, une deuxième sainte Ingrid ! A ceci près que la première ne méritait guère sa canonisation hâtive, apprend-on au fil de ce récit pieusement scandé par le Picouly. Eh oui ! Sans jamais le dire, la pudique Clara nous décrit par petites touches, une Ingrid tour à tour fragile, froussarde, nombriliste, méprisante et sans cœur…

Et pourtant, Mme Rojas ne lui en veut pas ! « Vous laissez ouvertes toutes les portes du pardon ! », affirme Daniel en guise de question finale. La réponse de l’intéressée est instructive quand même : « Le pardon doit être général », lance-t-elle citant même ses geôliers des FARC – mais pas Mme Betancourt… « Vous ne lui en voulez même pas de ne pas vous avoir serré la main lors de vos retrouvailles ? », relance le Picouly, décidément très rentre-dedans. Hélas, à cette difficile question il n’obtiendra pour toute réponse qu’un bon sourire censé en dire long…

J’en savais trop, ou pas assez ! Parce qu’enfin, tout au long de cette heure, Mme Rojas n’avait pas démenti les témoignages antérieurs concernant les qualités humaines manifestées pendant ces six années par son ex-amie. Son souci du service des autres, allant jusqu’à organiser pour ses co-détenus des cours de français et de caté ; son intransigeance vis-à-vis des geôliers – attestée par un courriel où ceux-ci se plaignent à leurs chefs de cette otage insupportable… Ce refus de pactiser avec l’ennemi, suggéraient perfidement les « ingridistes » maintenus, ne s’opposait-il pas au comportement plus ambigu de Clara, qui avait quand même été assez intime avec les guérilleros au point d’avoir un enfant de l’un d’eux ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai donc regardé dès le lendemain soir « On n’est pas couché » (France 2, 22h55). Même chaîne, même heure, même invitée-vedette, mais traitement différent ! Après le ronron complaisant de Picouly, le double interrogatoire serré des flics Zemmour et Naulleau tranchait agréablement.

Premier à braquer sa lampe sur Clara, Eric Naulleau n’y va pas par quatre chemins. Après s’être dit « admiratif », il enchaîne aussi sec : « On ne peut s’empêcher de se poser quelques questions… » Dès la première, ce diable parvient à faire dire à Mme Rojas ce qui est sans doute la véritable origine de son ressentiment à l’égard de Mme Betancourt. Elle avait joint à la première lettre de celle-ci un mot pour ses parents – que la famille d’Ingrid n’a pas jugé bon de transmettre ! « Ils voulaient qu’elle soit seule au-devant de la scène ! », s’indigne à juste titre Clara; à cause de cette cruelle mesquinerie, ses parents resteront plusieurs semaines dans l’incertitude totale quant à son sort…

Brusque changement de ton avec la deuxième question – qui ressemble à s’y méprendre à une accusation : « Vous manifestez dans votre livre une conception de l’intimité un peu curieuse », balance-t-il à Mme Rojas. En gros, elle respecte la sienne (notamment concernant ce guérillero dont elle aura un fils). Mais elle viole sans état d’âme apparent celle d’Ingrid, consignant scrupuleusement tous ses moments de faiblesse en six ans de détention…

Face à cette charge, Clara se réfugie derrière une phrase-type que, dès lors, elle brandira comme un bouclier face à chaque question délicate : « Je ne fais que relater des faits ! » Cette réplique tous terrains, l’ex-otage en aura bien besoin lorsqu’elle sera livrée à Zemmour, telle Blandine aux lions. Cet Eric-là ne s’embarrasse pas plus que l’autre de circonlocutions. Après une demi-phrase obligée sur sa « compassion », il précise d’emblée que « certaines choses (le) mettent mal à l’aise »…

Premier malaise zemmourien : la floraison printanière de livres sur l’affaire (plutôt anti-Ingrid cette saison) : « Les éditeurs nous vendent Desperate Housewives dans la jungle ! », ose ce sapajou. Et d’enchaîner sur son deuxième malaise, concernant lui directement l’ouvrage de dame Rojas : « À vous lire, on dirait que les vrais salauds sont vos compagnons d’infortune et non pas les geôliers (…) plutôt présentés comme des G.O du Club Med ! » Mais là, Clara a sa réponse toute prête : elle ne fait, savez-vous, que raconter des faits !

C’est Naulleau, plus retors dans l’inquisition compassionnelle, qui fera sortir à nouveau l’invitée du bois, et de la langue du même métal. Question faussement ingénue : « Une expérience aussi extrême, est-ce que ça détruit les personnalités ou est-ce que ça les révèle ? » Réponse en deux temps mais un seul mouvement : ça dépend des personnalités !

« J’ai découvert en moi des ressources inconnues. Je ne pensais pas, malgré mes faiblesses, être aussi forte ! » Quant à Ingrid, eh bien « c’est une femme de chair et de sang, avec ses qualités et ses défauts ». On aurait aussi bien pu dire l’inverse ! Si donc ces deux phrases ont un sens, c’est : «on m’a sous-estimée en surévaluant l’autre ; je vaux au moins autant qu’elle ! » Peut-être bien, ma foi… Prochain round annoncé pour le printemps 2010 avec une autobiographie de Mme Betancourt dont l’éditeur Gallimard, croit déjà savoir qu’elle se situera « au-delà des polémiques ».

Peut-être bien, ma foi… N’empêche ! Toute cette affaire laisse un goût amer, au-delà même des personnes en cause. De cette « expérience extrême », comme dit Naulleau, personne ne sort indemne. Au nom de quoi juger des êtres humains soumis pendant si longtemps à des traitements aussi inhumains, voire réduits à l’état d’animaux ? Qui peut dire : j’aurais mieux fait qu’untel à sa place ? Qui sait s’il aurait vaincu le fameux « syndrome de Stockholm », et à quel prix ?

Bref on sort de ce cauchemar en doutant encore un peu plus de soi et de tout ! Comme si on avait vraiment besoin de ça, en ces temps de relativisme absolu…

Les absents ont toujours Deltort

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Notre excellent confrère de Libération Jean Quatremer nous l’apprend : Flavien Deltort, webmaster du site parlorama.eu, vient de suspendre son site et le rouvrira peut-être lundi quand il aura consulté son avocat. Pourquoi ? Il se faisait fort de présenter l’activité des parlementaires européens et de les noter en fonction de leur assiduité (présence aux plénières, nombre de propositions, de motions, de questions écrites et orales déposées, etc.) Plusieurs eurodéputés se sont émus de ce crime de lèse-démocratie au point qu’ils ont menacé Flavien Deltort de poursuites judiciaires. En même temps, rien n’est plus logique : leur absentéisme à Strasbourg et à Bruxelles leur laisse tout loisir de surfer sur Internet et de s’y indigner.

Sarko au chrono

« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! Mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien[1. Entretien avec Michel Droit, 14 décembre 1965.]. » Au cours de ses deux septennats, le général de Gaulle aura légué au patrimoine audiovisuel national quelques petites phrases bien senties. Qu’il s’entretienne avec Michel Droit ou qu’il donne une conférence de presse dans la salle des fêtes de l’Elysée, une règle prévalait : le président pouvait parler autant qu’il le voulait. Ça lui aurait chanté qu’il aurait pu soliloquer des heures durant. Ici Cognacq-Jay, à vous La Havane.

Même en 1969, lorsque l’ORTF s’avisa d’investir dans un chronomètre pour ériger en loi d’airain la règle des trois tiers et partager équitablement le temps d’antenne entre gouvernement, majorité et opposition, la parole présidentielle échappa à tout décompte. Du général de Gaulle à Jacques Chirac, les présidents qui se succédèrent à la tête de l’Etat s’accommodèrent assez bien de la situation. Ils n’en tirèrent pas un profit excessif : c’est qu’ils avaient chacun une conscience suffisamment aigüe de leur mission et, surtout, un scrupuleux respect de nos institutions, pour ne pas trop en faire. Ne pas trop en faire : depuis Périclès, c’est la vertu de tout homme d’Etat.

François Mitterrand, qui pourtant avait endossé vingt ans durant les habits d’adversaire le plus acharné de la Ve République, se convertit à la doctrine gaullienne sitôt les portes du 55 rue du faubourg Saint-Honoré refermées derrière lui. La chose était entendue : le président de la République n’était pas le chef de la majorité, mais bien de l’Etat, le garant de l’unité nationale et des institutions. Certes, parfois il pouvait bien lui arriver de descendre dans l’arène. Mais jamais il ne portait l’estocade finale ni se salissait trop les mains. Un Premier ministre, ça n’est pas fait pour les chiens.

Les temps changent. Saisi en décembre 2007 par le Parti socialiste, le Conseil d’Etat a annulé la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel refusant de comptabiliser les interventions présidentielles dans la part dédiée à l’exécutif. Dès le 27 avril prochain, chaque fois que Nicolas Sarkozy (ou l’un de ses collaborateurs parlants, comme Claude Guéant ou Henri Guaino) passera à l’antenne, il versera sa quote-part au temps de parole gouvernemental. Enfin, ce ne sera pas si simple : seules les interventions du président qui « en fonction de leur contenu et de leur contexte, relèveront du débat national » seront comptabilisées dans le paquet de l’exécutif… Allez donc juger et savoir quand la parole élyséenne relève de la politique intérieure ou surfe sur les cimes éthérées de nos institutions…

En attendant, à gauche, on sabre déjà le champagne : le régime présidentiel est vaincu par la force des chronomètres ! Et même pas des Rolex.

Pas si vite ! Les socialistes, Martine Aubry en tête, ont la satisfaction un peu trop rapide. Car si, dans sa décision, le Conseil d’Etat argue uniquement du « respect du pluralisme » et du rôle particulier que le président de la République occupe dans les institutions de 1958, c’est en vérité à une situation politique particulière qu’il fait face.

Celle-ci n’a pas été créée par Nicolas Sarkozy. Son omniprésidence n’a en réalité que bien peu de choses à voir avec son exercice personnel du pouvoir.

C’est Jacques Chirac, le vrai fautif : en introduisant le quinquennat, il n’a pas réduit la durée du mandat présidentiel, mais changé en profondeur la nature du régime. On aurait dû, d’ailleurs, se méfier du slogan que le RPR avait choisi lors du référendum de septembre 2000. C’est Eric Raoult qui l’avait trouvé : « Le quinquennat, ça vous requinque une République. » Du Corneille ou du Racine, c’est au choix. En fait, il apparaît clairement aujourd’hui que le député-maire du Raincy, s’emmêlant les pinceaux dans son dictionnaire de rimes, avait confondu les verbes requinquer et dézinguer. Errare humanum…

Car une fois établie la concomitance des deux élections, le législatif procède désormais de l’exécutif. Le président se retrouve de facto chef du gouvernement – et même de sa majorité. Et le Premier ministre dans tout ça ? Il fait le dos rond, et ça fait mal.

En se réjouissant de la décision du Conseil d’Etat, les socialistes et les opposants à Nicolas Sarkozy entérinent donc, bien malgré eux, une évolution institutionnelle majeure : la Ve République n’existe plus désormais que sur le papier. Nous voilà pleinement dans un régime présidentiel. Bon appétit, ô ministres intègres.

Le machisme ne passera pas !

« Un jour, j’ai réalisé que Dom Juan n’était pas vraiment la pièce que j’avais envie de mettre en scène. Mais, comme un sursaut créatif, l’idée d’adapter Don Quichotte m’est apparue (…) l’intuition était là. » (Irina Brook)

Parfois, il est inutile de commenter. Et puis, on ne peut pas s’en empêcher. Au cours de l’interview parue dans le JDD du 12 avril, l’artiste s’explique : en relisant Dom Juan, elle s’est aperçue que la pièce « ne montrait que des femmes qui souffraient ». Et ça, c’est pas possible. Les femmes qui souffrent : critère suprême. Exit Dom Juan.

Il y a encore quelques années, on montait Dom Juan justement pour en souligner la nature abjecte, la noirceur, pour le renvoyer au banc des accusées de l’histoire de l’oppression féminine (entre autres). Le grand seigneur méchant homme était caricaturé, grossi, mais au moins il existait. Autrement dit le passé existait encore, il servait même de repoussoir : voyez comme cet affreux bonhomme incarne la bassesse, le machisme, l’injustice des siècles passés ! Voyez, public, cet affreux mâle méprisant, sur de lui et dominateur du passé, voyez d’où nous revenons ! Ainsi Ariane Mnouchkine nous avait-elle dépeint Molière et son temps : époque barbare, où régnaient le manque d’hygiène, le machisme, l’injustice sociale, et où ce sublime jeune homme, mi-Jésus mi-Cat Stevens, se rebellait contre le « système » avant de devenir lui même un affreux jojo tyrannique et jaloux… La vision était controversée, gauchie, mais – outre l’interprétation magnifique des acteurs et la beauté des images – elle avait le mérite d’exister… Molière, Dom Juan, même combat : affreux certes, mais vivants.

Un pas vient d’être franchi : Dom Juan ne devrait pas avoir existé. On ne peut pas mettre en scène une pièce qui montre autant de femmes qui souffrent. Exit l’histoire ! (Don Quichotte, lui, ne fait souffrir personne, c’est un héros sympa : il est poétique, presque victime de ses rêves, il souffre, mais c’est un homme, et puis comme c’est un roman, on y choisit ce qu’on veut…)

Il est vrai que cette pièce, la plus énigmatique de son auteur, présente un redoutable défi : Molière (l’affreux machiste qui empêcha Armande Béjart de s’épanouir et la quitta pour sa nièce) refuse de prendre véritablement parti. Boulevard de liberté pour le metteur en scène… et occasion en or, maintes fois exploitée. Dom Juan n’est pas un caractère lisible, et c’est précisément cette opacité qui rend le texte mystérieux, inclassable, étrange. En tout état de cause, au cours de la pièce, toutes ses tentatives de séduction échouent ! Charlotte lui échappe, Elvire le sermonne, son père le renie, il ne séduit aucune proie et, même face au mendiant refusant de nier sa foi, il doit baisser les armes… ainsi va-t-il d’échec en échec, jusqu’à sa mort. Nuance, donc.

Quand bien même Dom Juan serait le mal absolu, faut-il cesser de le représenter pour qu’il cesse d’exister ? Comment va-t-on éduquer les jeunes filles ? Exit Barbe bleue et Valmont, bientôt. Faudrait pas donner des mauvaises idées aux garçons…

Dom Juan ou Le Festin de pierre

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Nuisance téléphonée

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Hier, au ministère de la Santé, le gouvernement ouvrait la première table ronde du « Grenelle des ondes », qui doit statuer sur la nocivité des radiofréquences émises par les téléphones portables et les antennes relais. Associations, élus, ministres et opérateurs participeront à des groupes de travail et rendront leur synthèse à la fin du mois. Petit détail sans importance : aucun scientifique n’a été invité. Mais qu’on se rassure : le ministère de la Santé n’exclut pas de convier l’un ou l’autre chercheur à un groupe de travail ultérieur. Pour l’heure, Roselyne Bachelot a livré son avis sur la question : « Le téléphone portable est plus préoccupant que les antennes relais. » Oui, Mme le Ministre, surtout lorsque c’est Nicolas Sarkozy au bout du fil et qu’il vous apprend votre imminent remaniement.

Ahmadinejad joue et gagne

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Il est dangereux de prévoir le prévisible : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad l’a démontré lundi dernier à Genève, lors de la Conférence de l’Onu sur le racisme. Le monde entier s’est ému d’une phrase qui n’avait pas été prononcée. En effet, la version anglaise du discours distribuée par les diplomates iraniens comportait deux mots remettant en cause la réalité de l’Holocauste (« Les Alliés ont créé l’Etat d’Israël après la Seconde Guerre mondiale sous le prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »), mots que le président iranien n’a finalement pas prononcés.

Selon les règles du jeu habituelles de l’Onu, lorsque l’orateur s’exprime à la tribune dans une langue non officielle – comme en l’occurrence le farsi –, c’est le texte distribué par la mission diplomatique qui fait foi. Or, c’est ce texte anglais, diffusé par les Iraniens à l’avance – comme il est d’usage dans ces cas-là – qui est parvenu aux chancelleries occidentales et qui a motivé la décision de quitter la salle pendant le discours d’Ahmadinejad et sa mise en scène spectaculaire. À en juger par les réactions, le piège a été efficace. Ainsi l’ambassadeur britannique Peter Goderham a-t-il déclaré que « de tels propos antisémites ne devraient pas avoir leur place dans une conférence consacrée à la lutte contre le racisme », faisant clairement référence à la version anglaise et non pas au discours effectivement prononcé.

Le président iranien a donc savamment tendu une embuscade aux diplomates européens : alors qu’on attendait d’éventuels propos négationnistes, il s’est « borné », en fin de compte, à qualifier le gouvernement israélien de « régime raciste » – presque un lieu commun dans une enceinte de l’Onu et dans pas mal de médias. Manœuvre habile donc, car si la négation de la Shoah est très largement considérée comme une affirmation délirante, l’équation « sionisme = racisme » bénéficie d’une audience à la fois plus large et plus respectable. Par conséquent, certaines délégations, comme celle du Vatican, ont décidé de rester dans la salle et d’écouter le discours d’Ahmadinejad dans son intégralité. Interrogé par un journaliste, le représentant du Saint-Siège l’a d’ailleurs dit clairement : s’il est resté dans la salle, c’est justement parce que le président iranien n’a finalement pas tenu les propos négationnistes annoncés. Jeremy Paxton, le célèbre grand reporter de la BBC, ne pensait pas autre chose quand il a qualifié le « walkout » orchestré par la France de coup d’épate, arguant que les gens ont le droit de critiquer le sionisme.

Pour expliquer l’écart entre les deux versions, on peut, me semble-t-il, écarter d’emblée un soudain revirement d’opinion du président iranien qui l’aurait enfin convaincu de la réalité de l’Holocauste. Aurait-il cédé aux amicales pressions de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, ou de quelqu’un d’autre, ou bien s’agit-il d’un calcul ? Dans les deux cas, le résultat est le même : face à l’électorat iranien (appelé aux urnes dans quelques semaines) et à l’opinion publique mondiale, Ahmadinejad a poussé les Européens et notamment la France, à manifester leur solidarité avec Israël et non pas avec les victimes de la Shoah. Autrement dit, il a préféré orienter son discours vers l’antisionisme plutôt que risquer de créer l’unanimité contre lui en sombrant dans l’antisémitisme et le négationnisme. L’exploit d’Ahmadinejad est à saluer : au lieu de se laisser coincer, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler, dans la position intenable d’un Faurisson à turban, il aura réussi à faire accroire à des millions de gens sur terre, grâce aux raccourcis inévitables des comptes-rendus médiatiques, que la France soutient publiquement Netanyahou et Lieberman.

C’est à ce coup de théâtre que se résume finalement la conférence de Genève ; Durban II ne laissera pas d’autre souvenir que le discours d’Ahmadinejad et le départ de l’ambassadeur de France – faux-départ d’ailleurs puisque la France ne s’est pas retirée de la Conférence. Ni les textes adoptés dont on salue « la relative modération » ni les rencontres en coulisses ne sont d’aucune importance. De nouveau il a été démontré que l’ONU n’est rien d’autre qu’une scène où chacun récite son couplet. Le président iranien l’a parfaitement intégré et, à l’instar de ceux qui avaient détourné Durban I en 2001, il a su l’utiliser pour faire sa com’. Pour les gouvernements qui pensaient être plus malins que lui, Ahmadinejad a préparé une petite surprise.

Voilà, en tout cas, qui démontre bien la faiblesse de la stratégie française dans ce dossier. La France avait décidé au dernier moment de participer à la conférence pour se démarquer des Etats-Unis, se montrer à l’écoute du tiers-monde et, cerise sur le gâteau, battre Ahmadinejad à son propre jeu. Pour logique qu’il soit, ce raisonnement passait à côté de l’essentiel, l’efficacité médiatique de ces héros du tiers-monde que sont Ahmadinejad et Chavez, dignes successeurs dans ce domaine du colonel Kadhafi.

La France aurait mieux fait de ne pas aller à ce casse-pipe diplomatique annoncé, quitte à laisser Ségolène Royal s’excuser plus tard devant les damnés de la terre.

Carnages à géométrie variable

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Au moins 40 000 personnes ont fui les régions au nord du Sri Lanka où l’armée et le mouvement des Tigres pour la libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) sont engagés dans de violents combats, a indiqué mardi le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Hormis les immigrés tamouls sympathisants des Tigres, durement bastonnés par la police parisienne lundi soir dans le quartier de la Gare du Nord, personne ne semble trop s’émouvoir en France de la catastrophe humanitaire qui frappe le dernier réduit rebelle de Ceylan. Lors des JT, on a même entendu l’expression « bouclier humain », le LTTE étant nommément accusé de s’abriter derrière les civils pour retarder les offensives de l’armée gouvernementale. C’est curieux, cette expression de « bouclier humain », on ne l’a jamais entendue, il y a trois mois, à propos de Gaza et du Hamas. Et je ne vous parle même pas de « massacres » et autres « génocides ».

Si tu vois Morano !

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Ce n’est un secret pour personne : j’adore Nadine Morano. Ne me demandez pas les raisons de cette affection si particulière et si soudaine. Les sentiments que je lui voue sont instinctifs et entiers. Et j’en viens à me demander pourquoi le gouvernement et le Parlement ne comptent pas dans leurs rangs plus de femmes de sa qualité. A elle seule, elle incarne le génie français ou, plutôt, ce qui resterait de lui après un hiver nucléaire.

Nadine – à ce degré d’admiration, je l’appelle par son prénom – a tous les atouts. Elle porte beau, au point d’être considérée par certains comme le sosie le plus vraisemblable de Patricia Kaas, sans qu’elle ne présente toutefois le méchant inconvénient de la star forbachoise : chanter. Elle a l’allure d’une Madame Sans-Gêne. Tout y est : le verbe vivandier, la bise aux soldats, le tutoiement des puissants. Rien ne lui résiste. Elle n’a peur de personne et ne se méfie de rien, même pas d’elle-même. Ajoutez à cela qu’elle n’a pas sa pareille pour manier la mesure et le discernement – vertus cardinales de tout homme d’Etat –, et vous aurez compris où son destin la conduira : loin. Très loin. Bien au-delà encore.

Certes, je ne le nie pas : sa valeur et ses qualités en rendent aujourd’hui plus d’une jalouse. On le serait à moins. Ainsi a-t-on entendu récemment cette mauvaise langue de Fadela Amara persifler : « C’est la Castafiore. Elle est sympa, mais elle énerve tout le monde et tout le monde la fuit. » Fadela Amara reconnaît au moins une chose : Nadine Morano ressemble trait pour trait à Patricia Kaas, la Castafiore de Forbach, celle que la France ne craint pas d’envoyer à l’Eurovision. C’est un bon début.

Tous les commentateurs politiques dignes de ce nom s’accordent aujourd’hui sur une chose : Nadine Morano est sous-employée. Secrétaire d’Etat à la Famille, ce petit portefeuille ne lui permet pas, en effet, de donner sa pleine mesure. Elle en est bien consciente. Et Didine – le respect n’est pas ennemi de la familiarité – a présenté une offre de services pour accéder à de plus importantes responsabilités. Pas par ambition ni carriérisme, mais uniquement pour faire convenablement son job. Aujourd’hui, elle s’occupe de la famille – et son action porte ses fruits : les Français étaient encore nombreux à se retrouver autour de la table familiale le dernier dimanche de Pâques. Seulement, dit-elle, la famille, c’est bien beau, mais ça ne vaut rien sans un minimum d’éducation.

Comment ne pas lui donner raison ? J’en sais personnellement quelque chose : les neveux et nièces de Willy, mon mari, sont si mal élevés que je n’invite plus personne depuis des années à la maison, ni eux ni leurs parents. Je n’ai aucun conseil à donner à Nicolas Sarkozy, mais il va bien falloir que votre président confie, sans plus attendre, l’Education nationale à Nadine Morano s’il veut que les Français aient encore une vie de famille digne de ce nom.

Mais comment voulez-vous avoir une vraie vie de famille et, par conséquent, rendre visite à votre parentèle si vous n’avez ni permis ni voiture. Chaque fois qu’ils venaient passer Noël à la maison, les parents de Willy devaient prendre le train, descendre à la gare centrale de Stuttgart, emprunter le métro, attendre le bus, prendre une correspondance avant de faire le reste du chemin à pied pour arriver chez nous à deux doigts de l’apoplexie. Les années et le gâtisme venant, bien des fois la police nous les a ramenés à la maison, l’œil vide et hagard, à des heures pas possibles. Avant de devenir complètement sénile, mon beau-père aurait eu le permis et une voiture, notre vie familiale en aurait été largement facilitée.

Le ministère de la Famille donc, celui de l’Education nationale, mais également l’Intérieur (pour le permis), l’Industrie (pour la voiture), l’Ecologie (rouler oui, polluer non), la Santé (au cas où quelqu’un se sente mal à l’arrière du véhicule), la Culture (on ne sait jamais quoi offrir pour l’anniversaire du petit dernier, alors un livre ou autre chose) et l’Economie (pour financer le tout) : voilà la configuration minimale du super-ministère auquel Nadine Morano peut légitimement prétendre.

Ce serait, d’ailleurs, un juste retour des choses. Car, vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais la France a une chance rare d’avoir Nadine Morano – c’est un truc qui se produit tous les trois mille ans dans l’histoire d’une nation. Aujourd’hui, c’est votre tour d’en compter une pareille parmi vous : pour la prochaine, il vous faudra attendre les années 6009. C’est que Didinette – on est moranoïste ou on ne l’est pas – ne se contente pas d’être une femme politique d’exception, elle a des idées à n’en plus finir ! Des idées en avance sur son temps. Rien que la semaine dernière, elle s’est prononcée, dans la même phrase, pour l’adoption des homosexuels et l’euthanasie. Je n’ai rien contre l’idée d’adopter deux ou trois gays, mais je n’en vois pas trop l’intérêt si c’est pour les tuer aussitôt. Je dois être un peu attardée : Nadine va trop vite pour moi.

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Le Grand Pardon

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En mon nom propre et en celui des centaines de milliers de lecteurs qui me font confiance, je demande solennellement pardon aux millions d’Africains récemment décédés à cause des déclarations scandaleuses du Pape sur le préservatif.

Je demande pardon à toutes les races, dont l’ignoble Zemmour a osé prétendre qu’elles existaient. Je demande pardon à tous les rappeurs, dont le spontanéisme révolutionnaire et le lyrisme poétique déclenchent périodiquement les aboiements des souchiens réactionnaires.

Pardon à l’art contemporain, traîné dans la boue et quotidiennement humilié par les petits-bourgeois hostiles à sa rebel attitude, heureusement saluée courageusement par tous les ministres de la Culture présents, passés et à venir et tous les musées publics, semi-publics et parapublics.

Pardon au public, laissé par la droite élitiste trop longtemps aux affaires dans une ignorance honteuse qui l’empêche malheureusement de comprendre et d’apprécier l’art contemporain à sa juste valeur et à son prix fort.

Pardon à Jeff Koons pour les nombreux haussements d’épaules de pharisiens ricanants, incapables de comprendre combien son homard à l’hélium avait regonflé Versailles.

Pardon aux intermittents du spectacle pour l’indigence prolétaire dans laquelle les maintient l’obscurantisme du Medef.

Pardon à Luc Besson, si souvent méprisé alors qu’il fait tant pour the rayonnement of the french culture.

Je demande pardon à Obama pour les plaisanteries honteuses de Berlusconi, qui ne sont pas sans rappeler les heures les plus sombres (no offense, Barack !) de Mussolini (on se méfiera jamais assez de tous ces noms en “ni”). Je demande pardon au peuple italien, si mal représenté par ce bouffon qui confond politique et commedia dell’arte.

Je demande pardon à la démocratie, qui devrait être protégée des puissances d’argent qui lui sont par essence étrangères. Je demande pardon à la télévision, rabaissée par Berlusconi au rang des jeux du cirque, alors que mille Arte pourraient s’épanouir ! Je demande pardon aux implants capillaires, auxquels il fait une si désastreuse contre-publicité.

Pardon aux altermondialistes, qu’un gouvernement cryptolepéniste tente d’empêcher de manifester leur juste colère à visage découvert.

Pardon à José Bové, à ce jour scandaleusement ignoré par la politique d’ouverture de Nicolas Sarkozy.

Pardon à Jack Lang, pour la rumeur odieuse laissant entendre qu’il aurait pu céder aux sirènes du pouvoir et intégrer le gouvernement.

Pardon à Rachida Dati, contrainte de rendre ses robes par l’égoïsme insensé de la maison Dior, dont le luxe arrogant n’en finit plus d’insulter la misère des pauvres.

Pardon à Valérie Létard, affreusement humiliée que personne n’ait la moindre idée de ses attributions au gouvernement.

Et pardon à toutes les femmes politiques (sauf Marie-France Garaud, bien sûr) pour l’inouï sexisme qu’elles ne cessent d’endurer aux plus hautes fonctions de l’Etat. Et pardon encore, Rachida, pour tous ces machistes qui prennent ton charme, ta légèreté et ta fraîcheur pour de l’incompétence, ton exigence pour une dureté cassante, ta passion pour de l’hystérie.

Pardon aux ours blancs, victimes de la fonte des glaciers. Pardon aux glaciers, victime de la néo-connerie de l’administration Bush et de son refus de signer le traité de Kyoto. Pardon à la ville de Kyoto, victime de la pollution infligée par l’activité inlassable des Japonais, ce « peuple de fourmis » comme disait si justement Edith Cresson.

Pardon à la nature, humiliée, brisée, martyrisée par une humanité que des millénaires de domination masculine ont transformée en machine à détruire.

Pardon au peuple de gauche pour l’existence de la droite, dont la ringardise culturelle et l’arrogance de classe sont une insulte au genre humain.

Pardon à l’avenir, auquel elle s’obstine à préférer le passé. Pardon à l’espérance, qu’elle insulte régulièrement au nom du réalisme. Pardon aux lendemains qui chantent, qui n’attirent que ses sarcasmes sinistres et grinçants.

Pardon aux espaces infinis, scandaleusement qualifiés d’effrayants par Blaise Pascal.

Pardon aux lecteurs de Libé pour la prose incompréhensible de Bayon. Pardon à ceux du Figaro pour ses valeurs obstinément bourgeoises. Pardon à ceux de L’Express pour les écharpes de Christophe Barbier. Pardon à ceux de Valeurs actuelles pour y avoir écrit… Euh non, attendez ! Avec tous les points de moralité que je viens d’accumuler, je ne vais pas, en plus, m’excuser pour quelque chose que j’aurais vraiment fait…

OSS SS !

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Le Festival de Cannes a dévoilé jeudi les films en compétition. Pour tout dire, l’édition 2009 ne réunit pas que des cinéastes amateurs : Ken Loach, Pedro Almodovar, Ang Lee, Jane Campion, Quentin Tarantino ou encore Alain Resnais sont en lice. Cependant, les cinéphiles avertis s’en étonneront : le dernier OSS 117, vu depuis sa sortie par plus d’un million de Français, n’a pas été retenu dans la sélection du jury cannois. Pire : tout s’est déroulé dans l’indifférence la plus totale. Même Dany Boon, pourtant jamais en reste lorsqu’il s’agit de dénoncer la partialité de la profession, n’a rien trouvé à y redire. Tout fout le camp.

Clara versus Ingrid

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Malaise : tout va de plus en plus vite ! Hier encore, au lendemain de sa libération (juillet 2008), Ingrid Betancourt était un modèle pour la Colombie, la France et le genre humain dans son ensemble. Neuf mois passent, et voilà qu’une demi-douzaine de livres – la plupart traduits en français – nous présentent la même sous un jour beaucoup plus sombre, si j’ose dire. Alors où est la vérité ? Ingrid, sainte laïque ou grande bourgeoise arrogante, égoïste et lâche ?

Parmi ces livres, le plus médiatisé est sans conteste Captive de Clara Rojas (Plon). L’ancienne collaboratrice de Mme Betancourt y donne sa version des six années de captivité qu’elles ont subies ensemble… Ou plutôt séparément. Car ce qui passionne les médias, bien plus que les conditions inhumaines de leur détention par les FARC, c’est la brouille survenue devant cet épreuve entre les deux otages, autrefois amies inséparables.

Pour en savoir plus, j’ai regardé vendredi dernier « Café littéraire » (France2, 22h55), l’émission du toujours crispant Daniel Picouly. Le bonhomme, sorte de croisement d’Ardisson et de Paul Amar, recevait Clara Rojas elle-même ! Trop heureux de nous offrir cette « exclusivité en primeur » (sic), il va donner à l’événement la solennité qui s’impose : une heure en plateau seul à seule avec son invitée d’honneur, qui peut s’exprimer en toute liberté, c’est-à-dire sans avoir à souffrir la moindre contradiction. Les « questions » de Picouly sont autant de révérencieuses relances – un peu comme dans ces émissions de campagne électorale officielle « à l’ancienne » où les politiciens utilisent de vrais-faux journalistes comme faire-valoir.

Sans surprise excessive, il résulte de cet exercice un autoportrait en gloire. On y découvrait peu à peu la force de caractère de Clara dans l’adversité ; sa capacité de résistance face aux humiliations, aux angoisses et à la tentation du désespoir ; son recours enfin à la foi grâce à une lecture intensive de la Bible… Bref, une deuxième sainte Ingrid ! A ceci près que la première ne méritait guère sa canonisation hâtive, apprend-on au fil de ce récit pieusement scandé par le Picouly. Eh oui ! Sans jamais le dire, la pudique Clara nous décrit par petites touches, une Ingrid tour à tour fragile, froussarde, nombriliste, méprisante et sans cœur…

Et pourtant, Mme Rojas ne lui en veut pas ! « Vous laissez ouvertes toutes les portes du pardon ! », affirme Daniel en guise de question finale. La réponse de l’intéressée est instructive quand même : « Le pardon doit être général », lance-t-elle citant même ses geôliers des FARC – mais pas Mme Betancourt… « Vous ne lui en voulez même pas de ne pas vous avoir serré la main lors de vos retrouvailles ? », relance le Picouly, décidément très rentre-dedans. Hélas, à cette difficile question il n’obtiendra pour toute réponse qu’un bon sourire censé en dire long…

J’en savais trop, ou pas assez ! Parce qu’enfin, tout au long de cette heure, Mme Rojas n’avait pas démenti les témoignages antérieurs concernant les qualités humaines manifestées pendant ces six années par son ex-amie. Son souci du service des autres, allant jusqu’à organiser pour ses co-détenus des cours de français et de caté ; son intransigeance vis-à-vis des geôliers – attestée par un courriel où ceux-ci se plaignent à leurs chefs de cette otage insupportable… Ce refus de pactiser avec l’ennemi, suggéraient perfidement les « ingridistes » maintenus, ne s’opposait-il pas au comportement plus ambigu de Clara, qui avait quand même été assez intime avec les guérilleros au point d’avoir un enfant de l’un d’eux ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai donc regardé dès le lendemain soir « On n’est pas couché » (France 2, 22h55). Même chaîne, même heure, même invitée-vedette, mais traitement différent ! Après le ronron complaisant de Picouly, le double interrogatoire serré des flics Zemmour et Naulleau tranchait agréablement.

Premier à braquer sa lampe sur Clara, Eric Naulleau n’y va pas par quatre chemins. Après s’être dit « admiratif », il enchaîne aussi sec : « On ne peut s’empêcher de se poser quelques questions… » Dès la première, ce diable parvient à faire dire à Mme Rojas ce qui est sans doute la véritable origine de son ressentiment à l’égard de Mme Betancourt. Elle avait joint à la première lettre de celle-ci un mot pour ses parents – que la famille d’Ingrid n’a pas jugé bon de transmettre ! « Ils voulaient qu’elle soit seule au-devant de la scène ! », s’indigne à juste titre Clara; à cause de cette cruelle mesquinerie, ses parents resteront plusieurs semaines dans l’incertitude totale quant à son sort…

Brusque changement de ton avec la deuxième question – qui ressemble à s’y méprendre à une accusation : « Vous manifestez dans votre livre une conception de l’intimité un peu curieuse », balance-t-il à Mme Rojas. En gros, elle respecte la sienne (notamment concernant ce guérillero dont elle aura un fils). Mais elle viole sans état d’âme apparent celle d’Ingrid, consignant scrupuleusement tous ses moments de faiblesse en six ans de détention…

Face à cette charge, Clara se réfugie derrière une phrase-type que, dès lors, elle brandira comme un bouclier face à chaque question délicate : « Je ne fais que relater des faits ! » Cette réplique tous terrains, l’ex-otage en aura bien besoin lorsqu’elle sera livrée à Zemmour, telle Blandine aux lions. Cet Eric-là ne s’embarrasse pas plus que l’autre de circonlocutions. Après une demi-phrase obligée sur sa « compassion », il précise d’emblée que « certaines choses (le) mettent mal à l’aise »…

Premier malaise zemmourien : la floraison printanière de livres sur l’affaire (plutôt anti-Ingrid cette saison) : « Les éditeurs nous vendent Desperate Housewives dans la jungle ! », ose ce sapajou. Et d’enchaîner sur son deuxième malaise, concernant lui directement l’ouvrage de dame Rojas : « À vous lire, on dirait que les vrais salauds sont vos compagnons d’infortune et non pas les geôliers (…) plutôt présentés comme des G.O du Club Med ! » Mais là, Clara a sa réponse toute prête : elle ne fait, savez-vous, que raconter des faits !

C’est Naulleau, plus retors dans l’inquisition compassionnelle, qui fera sortir à nouveau l’invitée du bois, et de la langue du même métal. Question faussement ingénue : « Une expérience aussi extrême, est-ce que ça détruit les personnalités ou est-ce que ça les révèle ? » Réponse en deux temps mais un seul mouvement : ça dépend des personnalités !

« J’ai découvert en moi des ressources inconnues. Je ne pensais pas, malgré mes faiblesses, être aussi forte ! » Quant à Ingrid, eh bien « c’est une femme de chair et de sang, avec ses qualités et ses défauts ». On aurait aussi bien pu dire l’inverse ! Si donc ces deux phrases ont un sens, c’est : «on m’a sous-estimée en surévaluant l’autre ; je vaux au moins autant qu’elle ! » Peut-être bien, ma foi… Prochain round annoncé pour le printemps 2010 avec une autobiographie de Mme Betancourt dont l’éditeur Gallimard, croit déjà savoir qu’elle se situera « au-delà des polémiques ».

Peut-être bien, ma foi… N’empêche ! Toute cette affaire laisse un goût amer, au-delà même des personnes en cause. De cette « expérience extrême », comme dit Naulleau, personne ne sort indemne. Au nom de quoi juger des êtres humains soumis pendant si longtemps à des traitements aussi inhumains, voire réduits à l’état d’animaux ? Qui peut dire : j’aurais mieux fait qu’untel à sa place ? Qui sait s’il aurait vaincu le fameux « syndrome de Stockholm », et à quel prix ?

Bref on sort de ce cauchemar en doutant encore un peu plus de soi et de tout ! Comme si on avait vraiment besoin de ça, en ces temps de relativisme absolu…

Les absents ont toujours Deltort

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Notre excellent confrère de Libération Jean Quatremer nous l’apprend : Flavien Deltort, webmaster du site parlorama.eu, vient de suspendre son site et le rouvrira peut-être lundi quand il aura consulté son avocat. Pourquoi ? Il se faisait fort de présenter l’activité des parlementaires européens et de les noter en fonction de leur assiduité (présence aux plénières, nombre de propositions, de motions, de questions écrites et orales déposées, etc.) Plusieurs eurodéputés se sont émus de ce crime de lèse-démocratie au point qu’ils ont menacé Flavien Deltort de poursuites judiciaires. En même temps, rien n’est plus logique : leur absentéisme à Strasbourg et à Bruxelles leur laisse tout loisir de surfer sur Internet et de s’y indigner.

Sarko au chrono

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« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! Mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien[1. Entretien avec Michel Droit, 14 décembre 1965.]. » Au cours de ses deux septennats, le général de Gaulle aura légué au patrimoine audiovisuel national quelques petites phrases bien senties. Qu’il s’entretienne avec Michel Droit ou qu’il donne une conférence de presse dans la salle des fêtes de l’Elysée, une règle prévalait : le président pouvait parler autant qu’il le voulait. Ça lui aurait chanté qu’il aurait pu soliloquer des heures durant. Ici Cognacq-Jay, à vous La Havane.

Même en 1969, lorsque l’ORTF s’avisa d’investir dans un chronomètre pour ériger en loi d’airain la règle des trois tiers et partager équitablement le temps d’antenne entre gouvernement, majorité et opposition, la parole présidentielle échappa à tout décompte. Du général de Gaulle à Jacques Chirac, les présidents qui se succédèrent à la tête de l’Etat s’accommodèrent assez bien de la situation. Ils n’en tirèrent pas un profit excessif : c’est qu’ils avaient chacun une conscience suffisamment aigüe de leur mission et, surtout, un scrupuleux respect de nos institutions, pour ne pas trop en faire. Ne pas trop en faire : depuis Périclès, c’est la vertu de tout homme d’Etat.

François Mitterrand, qui pourtant avait endossé vingt ans durant les habits d’adversaire le plus acharné de la Ve République, se convertit à la doctrine gaullienne sitôt les portes du 55 rue du faubourg Saint-Honoré refermées derrière lui. La chose était entendue : le président de la République n’était pas le chef de la majorité, mais bien de l’Etat, le garant de l’unité nationale et des institutions. Certes, parfois il pouvait bien lui arriver de descendre dans l’arène. Mais jamais il ne portait l’estocade finale ni se salissait trop les mains. Un Premier ministre, ça n’est pas fait pour les chiens.

Les temps changent. Saisi en décembre 2007 par le Parti socialiste, le Conseil d’Etat a annulé la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel refusant de comptabiliser les interventions présidentielles dans la part dédiée à l’exécutif. Dès le 27 avril prochain, chaque fois que Nicolas Sarkozy (ou l’un de ses collaborateurs parlants, comme Claude Guéant ou Henri Guaino) passera à l’antenne, il versera sa quote-part au temps de parole gouvernemental. Enfin, ce ne sera pas si simple : seules les interventions du président qui « en fonction de leur contenu et de leur contexte, relèveront du débat national » seront comptabilisées dans le paquet de l’exécutif… Allez donc juger et savoir quand la parole élyséenne relève de la politique intérieure ou surfe sur les cimes éthérées de nos institutions…

En attendant, à gauche, on sabre déjà le champagne : le régime présidentiel est vaincu par la force des chronomètres ! Et même pas des Rolex.

Pas si vite ! Les socialistes, Martine Aubry en tête, ont la satisfaction un peu trop rapide. Car si, dans sa décision, le Conseil d’Etat argue uniquement du « respect du pluralisme » et du rôle particulier que le président de la République occupe dans les institutions de 1958, c’est en vérité à une situation politique particulière qu’il fait face.

Celle-ci n’a pas été créée par Nicolas Sarkozy. Son omniprésidence n’a en réalité que bien peu de choses à voir avec son exercice personnel du pouvoir.

C’est Jacques Chirac, le vrai fautif : en introduisant le quinquennat, il n’a pas réduit la durée du mandat présidentiel, mais changé en profondeur la nature du régime. On aurait dû, d’ailleurs, se méfier du slogan que le RPR avait choisi lors du référendum de septembre 2000. C’est Eric Raoult qui l’avait trouvé : « Le quinquennat, ça vous requinque une République. » Du Corneille ou du Racine, c’est au choix. En fait, il apparaît clairement aujourd’hui que le député-maire du Raincy, s’emmêlant les pinceaux dans son dictionnaire de rimes, avait confondu les verbes requinquer et dézinguer. Errare humanum…

Car une fois établie la concomitance des deux élections, le législatif procède désormais de l’exécutif. Le président se retrouve de facto chef du gouvernement – et même de sa majorité. Et le Premier ministre dans tout ça ? Il fait le dos rond, et ça fait mal.

En se réjouissant de la décision du Conseil d’Etat, les socialistes et les opposants à Nicolas Sarkozy entérinent donc, bien malgré eux, une évolution institutionnelle majeure : la Ve République n’existe plus désormais que sur le papier. Nous voilà pleinement dans un régime présidentiel. Bon appétit, ô ministres intègres.

Le machisme ne passera pas !

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« Un jour, j’ai réalisé que Dom Juan n’était pas vraiment la pièce que j’avais envie de mettre en scène. Mais, comme un sursaut créatif, l’idée d’adapter Don Quichotte m’est apparue (…) l’intuition était là. » (Irina Brook)

Parfois, il est inutile de commenter. Et puis, on ne peut pas s’en empêcher. Au cours de l’interview parue dans le JDD du 12 avril, l’artiste s’explique : en relisant Dom Juan, elle s’est aperçue que la pièce « ne montrait que des femmes qui souffraient ». Et ça, c’est pas possible. Les femmes qui souffrent : critère suprême. Exit Dom Juan.

Il y a encore quelques années, on montait Dom Juan justement pour en souligner la nature abjecte, la noirceur, pour le renvoyer au banc des accusées de l’histoire de l’oppression féminine (entre autres). Le grand seigneur méchant homme était caricaturé, grossi, mais au moins il existait. Autrement dit le passé existait encore, il servait même de repoussoir : voyez comme cet affreux bonhomme incarne la bassesse, le machisme, l’injustice des siècles passés ! Voyez, public, cet affreux mâle méprisant, sur de lui et dominateur du passé, voyez d’où nous revenons ! Ainsi Ariane Mnouchkine nous avait-elle dépeint Molière et son temps : époque barbare, où régnaient le manque d’hygiène, le machisme, l’injustice sociale, et où ce sublime jeune homme, mi-Jésus mi-Cat Stevens, se rebellait contre le « système » avant de devenir lui même un affreux jojo tyrannique et jaloux… La vision était controversée, gauchie, mais – outre l’interprétation magnifique des acteurs et la beauté des images – elle avait le mérite d’exister… Molière, Dom Juan, même combat : affreux certes, mais vivants.

Un pas vient d’être franchi : Dom Juan ne devrait pas avoir existé. On ne peut pas mettre en scène une pièce qui montre autant de femmes qui souffrent. Exit l’histoire ! (Don Quichotte, lui, ne fait souffrir personne, c’est un héros sympa : il est poétique, presque victime de ses rêves, il souffre, mais c’est un homme, et puis comme c’est un roman, on y choisit ce qu’on veut…)

Il est vrai que cette pièce, la plus énigmatique de son auteur, présente un redoutable défi : Molière (l’affreux machiste qui empêcha Armande Béjart de s’épanouir et la quitta pour sa nièce) refuse de prendre véritablement parti. Boulevard de liberté pour le metteur en scène… et occasion en or, maintes fois exploitée. Dom Juan n’est pas un caractère lisible, et c’est précisément cette opacité qui rend le texte mystérieux, inclassable, étrange. En tout état de cause, au cours de la pièce, toutes ses tentatives de séduction échouent ! Charlotte lui échappe, Elvire le sermonne, son père le renie, il ne séduit aucune proie et, même face au mendiant refusant de nier sa foi, il doit baisser les armes… ainsi va-t-il d’échec en échec, jusqu’à sa mort. Nuance, donc.

Quand bien même Dom Juan serait le mal absolu, faut-il cesser de le représenter pour qu’il cesse d’exister ? Comment va-t-on éduquer les jeunes filles ? Exit Barbe bleue et Valmont, bientôt. Faudrait pas donner des mauvaises idées aux garçons…

Dom Juan ou Le Festin de pierre

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Nuisance téléphonée

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Hier, au ministère de la Santé, le gouvernement ouvrait la première table ronde du « Grenelle des ondes », qui doit statuer sur la nocivité des radiofréquences émises par les téléphones portables et les antennes relais. Associations, élus, ministres et opérateurs participeront à des groupes de travail et rendront leur synthèse à la fin du mois. Petit détail sans importance : aucun scientifique n’a été invité. Mais qu’on se rassure : le ministère de la Santé n’exclut pas de convier l’un ou l’autre chercheur à un groupe de travail ultérieur. Pour l’heure, Roselyne Bachelot a livré son avis sur la question : « Le téléphone portable est plus préoccupant que les antennes relais. » Oui, Mme le Ministre, surtout lorsque c’est Nicolas Sarkozy au bout du fil et qu’il vous apprend votre imminent remaniement.

Ahmadinejad joue et gagne

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Il est dangereux de prévoir le prévisible : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad l’a démontré lundi dernier à Genève, lors de la Conférence de l’Onu sur le racisme. Le monde entier s’est ému d’une phrase qui n’avait pas été prononcée. En effet, la version anglaise du discours distribuée par les diplomates iraniens comportait deux mots remettant en cause la réalité de l’Holocauste (« Les Alliés ont créé l’Etat d’Israël après la Seconde Guerre mondiale sous le prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »), mots que le président iranien n’a finalement pas prononcés.

Selon les règles du jeu habituelles de l’Onu, lorsque l’orateur s’exprime à la tribune dans une langue non officielle – comme en l’occurrence le farsi –, c’est le texte distribué par la mission diplomatique qui fait foi. Or, c’est ce texte anglais, diffusé par les Iraniens à l’avance – comme il est d’usage dans ces cas-là – qui est parvenu aux chancelleries occidentales et qui a motivé la décision de quitter la salle pendant le discours d’Ahmadinejad et sa mise en scène spectaculaire. À en juger par les réactions, le piège a été efficace. Ainsi l’ambassadeur britannique Peter Goderham a-t-il déclaré que « de tels propos antisémites ne devraient pas avoir leur place dans une conférence consacrée à la lutte contre le racisme », faisant clairement référence à la version anglaise et non pas au discours effectivement prononcé.

Le président iranien a donc savamment tendu une embuscade aux diplomates européens : alors qu’on attendait d’éventuels propos négationnistes, il s’est « borné », en fin de compte, à qualifier le gouvernement israélien de « régime raciste » – presque un lieu commun dans une enceinte de l’Onu et dans pas mal de médias. Manœuvre habile donc, car si la négation de la Shoah est très largement considérée comme une affirmation délirante, l’équation « sionisme = racisme » bénéficie d’une audience à la fois plus large et plus respectable. Par conséquent, certaines délégations, comme celle du Vatican, ont décidé de rester dans la salle et d’écouter le discours d’Ahmadinejad dans son intégralité. Interrogé par un journaliste, le représentant du Saint-Siège l’a d’ailleurs dit clairement : s’il est resté dans la salle, c’est justement parce que le président iranien n’a finalement pas tenu les propos négationnistes annoncés. Jeremy Paxton, le célèbre grand reporter de la BBC, ne pensait pas autre chose quand il a qualifié le « walkout » orchestré par la France de coup d’épate, arguant que les gens ont le droit de critiquer le sionisme.

Pour expliquer l’écart entre les deux versions, on peut, me semble-t-il, écarter d’emblée un soudain revirement d’opinion du président iranien qui l’aurait enfin convaincu de la réalité de l’Holocauste. Aurait-il cédé aux amicales pressions de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, ou de quelqu’un d’autre, ou bien s’agit-il d’un calcul ? Dans les deux cas, le résultat est le même : face à l’électorat iranien (appelé aux urnes dans quelques semaines) et à l’opinion publique mondiale, Ahmadinejad a poussé les Européens et notamment la France, à manifester leur solidarité avec Israël et non pas avec les victimes de la Shoah. Autrement dit, il a préféré orienter son discours vers l’antisionisme plutôt que risquer de créer l’unanimité contre lui en sombrant dans l’antisémitisme et le négationnisme. L’exploit d’Ahmadinejad est à saluer : au lieu de se laisser coincer, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler, dans la position intenable d’un Faurisson à turban, il aura réussi à faire accroire à des millions de gens sur terre, grâce aux raccourcis inévitables des comptes-rendus médiatiques, que la France soutient publiquement Netanyahou et Lieberman.

C’est à ce coup de théâtre que se résume finalement la conférence de Genève ; Durban II ne laissera pas d’autre souvenir que le discours d’Ahmadinejad et le départ de l’ambassadeur de France – faux-départ d’ailleurs puisque la France ne s’est pas retirée de la Conférence. Ni les textes adoptés dont on salue « la relative modération » ni les rencontres en coulisses ne sont d’aucune importance. De nouveau il a été démontré que l’ONU n’est rien d’autre qu’une scène où chacun récite son couplet. Le président iranien l’a parfaitement intégré et, à l’instar de ceux qui avaient détourné Durban I en 2001, il a su l’utiliser pour faire sa com’. Pour les gouvernements qui pensaient être plus malins que lui, Ahmadinejad a préparé une petite surprise.

Voilà, en tout cas, qui démontre bien la faiblesse de la stratégie française dans ce dossier. La France avait décidé au dernier moment de participer à la conférence pour se démarquer des Etats-Unis, se montrer à l’écoute du tiers-monde et, cerise sur le gâteau, battre Ahmadinejad à son propre jeu. Pour logique qu’il soit, ce raisonnement passait à côté de l’essentiel, l’efficacité médiatique de ces héros du tiers-monde que sont Ahmadinejad et Chavez, dignes successeurs dans ce domaine du colonel Kadhafi.

La France aurait mieux fait de ne pas aller à ce casse-pipe diplomatique annoncé, quitte à laisser Ségolène Royal s’excuser plus tard devant les damnés de la terre.

Carnages à géométrie variable

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Au moins 40 000 personnes ont fui les régions au nord du Sri Lanka où l’armée et le mouvement des Tigres pour la libération de l’Eelam Tamoul (LTTE) sont engagés dans de violents combats, a indiqué mardi le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Hormis les immigrés tamouls sympathisants des Tigres, durement bastonnés par la police parisienne lundi soir dans le quartier de la Gare du Nord, personne ne semble trop s’émouvoir en France de la catastrophe humanitaire qui frappe le dernier réduit rebelle de Ceylan. Lors des JT, on a même entendu l’expression « bouclier humain », le LTTE étant nommément accusé de s’abriter derrière les civils pour retarder les offensives de l’armée gouvernementale. C’est curieux, cette expression de « bouclier humain », on ne l’a jamais entendue, il y a trois mois, à propos de Gaza et du Hamas. Et je ne vous parle même pas de « massacres » et autres « génocides ».

Si tu vois Morano !

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Ce n’est un secret pour personne : j’adore Nadine Morano. Ne me demandez pas les raisons de cette affection si particulière et si soudaine. Les sentiments que je lui voue sont instinctifs et entiers. Et j’en viens à me demander pourquoi le gouvernement et le Parlement ne comptent pas dans leurs rangs plus de femmes de sa qualité. A elle seule, elle incarne le génie français ou, plutôt, ce qui resterait de lui après un hiver nucléaire.

Nadine – à ce degré d’admiration, je l’appelle par son prénom – a tous les atouts. Elle porte beau, au point d’être considérée par certains comme le sosie le plus vraisemblable de Patricia Kaas, sans qu’elle ne présente toutefois le méchant inconvénient de la star forbachoise : chanter. Elle a l’allure d’une Madame Sans-Gêne. Tout y est : le verbe vivandier, la bise aux soldats, le tutoiement des puissants. Rien ne lui résiste. Elle n’a peur de personne et ne se méfie de rien, même pas d’elle-même. Ajoutez à cela qu’elle n’a pas sa pareille pour manier la mesure et le discernement – vertus cardinales de tout homme d’Etat –, et vous aurez compris où son destin la conduira : loin. Très loin. Bien au-delà encore.

Certes, je ne le nie pas : sa valeur et ses qualités en rendent aujourd’hui plus d’une jalouse. On le serait à moins. Ainsi a-t-on entendu récemment cette mauvaise langue de Fadela Amara persifler : « C’est la Castafiore. Elle est sympa, mais elle énerve tout le monde et tout le monde la fuit. » Fadela Amara reconnaît au moins une chose : Nadine Morano ressemble trait pour trait à Patricia Kaas, la Castafiore de Forbach, celle que la France ne craint pas d’envoyer à l’Eurovision. C’est un bon début.

Tous les commentateurs politiques dignes de ce nom s’accordent aujourd’hui sur une chose : Nadine Morano est sous-employée. Secrétaire d’Etat à la Famille, ce petit portefeuille ne lui permet pas, en effet, de donner sa pleine mesure. Elle en est bien consciente. Et Didine – le respect n’est pas ennemi de la familiarité – a présenté une offre de services pour accéder à de plus importantes responsabilités. Pas par ambition ni carriérisme, mais uniquement pour faire convenablement son job. Aujourd’hui, elle s’occupe de la famille – et son action porte ses fruits : les Français étaient encore nombreux à se retrouver autour de la table familiale le dernier dimanche de Pâques. Seulement, dit-elle, la famille, c’est bien beau, mais ça ne vaut rien sans un minimum d’éducation.

Comment ne pas lui donner raison ? J’en sais personnellement quelque chose : les neveux et nièces de Willy, mon mari, sont si mal élevés que je n’invite plus personne depuis des années à la maison, ni eux ni leurs parents. Je n’ai aucun conseil à donner à Nicolas Sarkozy, mais il va bien falloir que votre président confie, sans plus attendre, l’Education nationale à Nadine Morano s’il veut que les Français aient encore une vie de famille digne de ce nom.

Mais comment voulez-vous avoir une vraie vie de famille et, par conséquent, rendre visite à votre parentèle si vous n’avez ni permis ni voiture. Chaque fois qu’ils venaient passer Noël à la maison, les parents de Willy devaient prendre le train, descendre à la gare centrale de Stuttgart, emprunter le métro, attendre le bus, prendre une correspondance avant de faire le reste du chemin à pied pour arriver chez nous à deux doigts de l’apoplexie. Les années et le gâtisme venant, bien des fois la police nous les a ramenés à la maison, l’œil vide et hagard, à des heures pas possibles. Avant de devenir complètement sénile, mon beau-père aurait eu le permis et une voiture, notre vie familiale en aurait été largement facilitée.

Le ministère de la Famille donc, celui de l’Education nationale, mais également l’Intérieur (pour le permis), l’Industrie (pour la voiture), l’Ecologie (rouler oui, polluer non), la Santé (au cas où quelqu’un se sente mal à l’arrière du véhicule), la Culture (on ne sait jamais quoi offrir pour l’anniversaire du petit dernier, alors un livre ou autre chose) et l’Economie (pour financer le tout) : voilà la configuration minimale du super-ministère auquel Nadine Morano peut légitimement prétendre.

Ce serait, d’ailleurs, un juste retour des choses. Car, vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais la France a une chance rare d’avoir Nadine Morano – c’est un truc qui se produit tous les trois mille ans dans l’histoire d’une nation. Aujourd’hui, c’est votre tour d’en compter une pareille parmi vous : pour la prochaine, il vous faudra attendre les années 6009. C’est que Didinette – on est moranoïste ou on ne l’est pas – ne se contente pas d’être une femme politique d’exception, elle a des idées à n’en plus finir ! Des idées en avance sur son temps. Rien que la semaine dernière, elle s’est prononcée, dans la même phrase, pour l’adoption des homosexuels et l’euthanasie. Je n’ai rien contre l’idée d’adopter deux ou trois gays, mais je n’en vois pas trop l’intérêt si c’est pour les tuer aussitôt. Je dois être un peu attardée : Nadine va trop vite pour moi.

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