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Sarko au chrono


Sarko au chrono

« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en criant l’Europe ! l’Europe ! l’Europe ! Mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien[1. Entretien avec Michel Droit, 14 décembre 1965.]. » Au cours de ses deux septennats, le général de Gaulle aura légué au patrimoine audiovisuel national quelques petites phrases bien senties. Qu’il s’entretienne avec Michel Droit ou qu’il donne une conférence de presse dans la salle des fêtes de l’Elysée, une règle prévalait : le président pouvait parler autant qu’il le voulait. Ça lui aurait chanté qu’il aurait pu soliloquer des heures durant. Ici Cognacq-Jay, à vous La Havane.

Même en 1969, lorsque l’ORTF s’avisa d’investir dans un chronomètre pour ériger en loi d’airain la règle des trois tiers et partager équitablement le temps d’antenne entre gouvernement, majorité et opposition, la parole présidentielle échappa à tout décompte. Du général de Gaulle à Jacques Chirac, les présidents qui se succédèrent à la tête de l’Etat s’accommodèrent assez bien de la situation. Ils n’en tirèrent pas un profit excessif : c’est qu’ils avaient chacun une conscience suffisamment aigüe de leur mission et, surtout, un scrupuleux respect de nos institutions, pour ne pas trop en faire. Ne pas trop en faire : depuis Périclès, c’est la vertu de tout homme d’Etat.

François Mitterrand, qui pourtant avait endossé vingt ans durant les habits d’adversaire le plus acharné de la Ve République, se convertit à la doctrine gaullienne sitôt les portes du 55 rue du faubourg Saint-Honoré refermées derrière lui. La chose était entendue : le président de la République n’était pas le chef de la majorité, mais bien de l’Etat, le garant de l’unité nationale et des institutions. Certes, parfois il pouvait bien lui arriver de descendre dans l’arène. Mais jamais il ne portait l’estocade finale ni se salissait trop les mains. Un Premier ministre, ça n’est pas fait pour les chiens.

Les temps changent. Saisi en décembre 2007 par le Parti socialiste, le Conseil d’Etat a annulé la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel refusant de comptabiliser les interventions présidentielles dans la part dédiée à l’exécutif. Dès le 27 avril prochain, chaque fois que Nicolas Sarkozy (ou l’un de ses collaborateurs parlants, comme Claude Guéant ou Henri Guaino) passera à l’antenne, il versera sa quote-part au temps de parole gouvernemental. Enfin, ce ne sera pas si simple : seules les interventions du président qui « en fonction de leur contenu et de leur contexte, relèveront du débat national » seront comptabilisées dans le paquet de l’exécutif… Allez donc juger et savoir quand la parole élyséenne relève de la politique intérieure ou surfe sur les cimes éthérées de nos institutions…

En attendant, à gauche, on sabre déjà le champagne : le régime présidentiel est vaincu par la force des chronomètres ! Et même pas des Rolex.

Pas si vite ! Les socialistes, Martine Aubry en tête, ont la satisfaction un peu trop rapide. Car si, dans sa décision, le Conseil d’Etat argue uniquement du « respect du pluralisme » et du rôle particulier que le président de la République occupe dans les institutions de 1958, c’est en vérité à une situation politique particulière qu’il fait face.

Celle-ci n’a pas été créée par Nicolas Sarkozy. Son omniprésidence n’a en réalité que bien peu de choses à voir avec son exercice personnel du pouvoir.

C’est Jacques Chirac, le vrai fautif : en introduisant le quinquennat, il n’a pas réduit la durée du mandat présidentiel, mais changé en profondeur la nature du régime. On aurait dû, d’ailleurs, se méfier du slogan que le RPR avait choisi lors du référendum de septembre 2000. C’est Eric Raoult qui l’avait trouvé : « Le quinquennat, ça vous requinque une République. » Du Corneille ou du Racine, c’est au choix. En fait, il apparaît clairement aujourd’hui que le député-maire du Raincy, s’emmêlant les pinceaux dans son dictionnaire de rimes, avait confondu les verbes requinquer et dézinguer. Errare humanum…

Car une fois établie la concomitance des deux élections, le législatif procède désormais de l’exécutif. Le président se retrouve de facto chef du gouvernement – et même de sa majorité. Et le Premier ministre dans tout ça ? Il fait le dos rond, et ça fait mal.

En se réjouissant de la décision du Conseil d’Etat, les socialistes et les opposants à Nicolas Sarkozy entérinent donc, bien malgré eux, une évolution institutionnelle majeure : la Ve République n’existe plus désormais que sur le papier. Nous voilà pleinement dans un régime présidentiel. Bon appétit, ô ministres intègres.



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