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Votez pour vous, votez pour tous !

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Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La meilleure solution pour ne léser aucun candidat et pour ne se fâcher avec personne dans les dîners en ville, c’est bien évidemment de voter pour toutes les listes en présence !

Il faut bien sûr voter UMP si l’on fait partie de la majorité. Or il est indéniable que la majeure partie d’entre nous appartenons, par définition, à une majorité. Mais il faut aussi voter UMP si on sait compter, et qu’on n’a pas envie, par strict respect pour les lois de l’arithmétique, de voir ladite majorité hurler à la victoire totale dimanche soir avec seulement 25 ou 28 % des voix alors qu’elle était à 53% il y a deux ans. Je sais bien que tout est relatif, y compris en matière de majorité, mais de là à faire passer un petit quart pour une grosse moitié…

Il faut voter PS parce que Dominique Reynié a dit vendredi dans Libération que Martine Aubry n’avait pas de vrai projet européen et que Dominique Reynié se trompe toujours sur tout. En Ile-de-France, il faut encore plus qu’ailleurs voter PS parce que Benoit Hamon est mignon, qu’il n’a pas peur d’insulter les journalistes et qu’il supporte depuis deux mois l’envahissante vacuité d’Harlem Désir sans broncher : tout ça mérite quand même une récompense…

Il faut voter Modem pour circonvenir les anarchistes pédophiles allemands, même pas fichus de vousoyer le futur président de la République et d’acquiescer benoîtement quand il enfile contrevérité sur contrevérité. On notera au passage que si l’aplomb dans la mauvaise foi et la croyance inébranlable dans la répétition qui vaut raison signent l’homme d’Etat français, alors François Bayrou est presque aussi apte que Nicolas Sarkozy et même que Jacques Chirac

Il faut voter Europe-Ecologie parce qu’après avoir vu Yann Arthus Bertrand faire partout la promo de Home, son spot publicitaire pour PPR, on se dit que, finalement, Nicolas Hulot n’est pas si crétin que ça… Accessoirement, dans un élan de générosité intereuropéenne, c’est faire œuvre pie que de débarrasser les malheureux Norvégiens de la présence d’Eva Joly sur leur sol national.

Il faut voter Libertas et Philippe de Villiers, pour empêcher la Turquie de nous imposer ses kebabs graisseux, ses plombiers même pas polonais et ses lois contraires à la dignité humaine (Sait-on, par exemple que la Cour suprême de ce pays persiste à interdire le port du hidjab dans l’enceinte des universités !).

Il faut voter NPA pour ne pas désespérer Oberkampf. C’est déjà assez pénible pour un prof de collège lambda d’avoir loupé trois fois de suite le CAPES de Lettres modernes, si en plus on lui enlève la perspective de diriger la France, l’Europe et le Monde…

Il faut voter Front de gauche pour redonner son sel à l’anticommunisme primaire. Quand le PC est à 3%, l’homme de goût se retient de tirer sur une ambulance. Un PC à 7%, on peut recommencer à lui dire ses quatre vérités. Lui rappeler qu’il n’a même plus de communiste ni le bruit, ni l’odeur, que MGB et sa clique de charlots ne se posent pas vraiment là pour incarner le spectre qui hante l’Europe.

Il faut voter Front National parce que si son parti fait un bon score, ni rien ni personne n’empêchera Jean-Marie Le Pen de se représenter à présidentielle de 2012, où une fois de plus il sera le seul à incarner le changement véritable…

Il va de soi que cette liste de listes n’est pas exhaustive et que selon la région où vous vous trouvez, vous pourrez glisser de 11 à 27 bulletins dans la même enveloppe. Voilà, à mon avis, le meilleur moyen de faire prospérer notre démocratie, et qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce type de vote est carrément nul.

Yann Arthus-Bertrand, go Home !

Le photographe Yann Arthus-Bertrand est une créature médiatique singulièrement désagréable. Omniprésent dans les médias, YAB est l’authentique prêcheur écologiste qu’il manquait à la France. Un parfait supplétif moustachu du soldat Nicolas Hulot. Devenu multimillionnaire avec le succès mondial de son livre La terre vue du ciel (montrant la beauté supposée de notre planète scrutée depuis une flotte d’hélicoptères polluants), le photographe susurre dans tous les médias sa vieille rengaine apocalyptique. Il promet la fin proche de l’aventure terre, en appelant, avec dans la voix des trémolos imprégnés de religiosité, au respect aveugle de la déesse Gaïa et en faisant vibrer – sur fond d’une méfiance radicale envers la technique – la corde patrimoniale sensible : mais quelle « terre » allons-nous léguer à nos enfants ? Ben voyons ! Les enfants et l’environnement sont en effet en tête des valeurs suprêmes de notre modernité, qui sont mises quotidiennement en danger par ces ignobles industriels pollueurs, et voyous, qui ne pensent qu’à s’enrichir sans penser aux conséquences scélérates de leur enrichissement !

Avec cette vision binaire et manichéenne de l’environnement, appelant fermement à la « décroissance » (concept marketing appelé à un grand avenir comique), YAB rejoint d’autres illustres gourous du genre, dont l’ex-animateur vedette de TF1 Nicolas Hulot, et le politicien américain Al Gore, qui s’est signalé au monde il y a quelques années par un blockbuster documentaire sur le changement climatique intitulé Une vérité qui dérange. Et qui, naturellement, n’a dérangé absolument personne.

Dans cette glorieuse lignée de télévangélistes écolos, YAB se lance à son tour dans le cinéma. Déjà très présent sur les écrans, à travers des documentaires télévisés sur son travail de photographe, ou son émission de France 2 « Vu du ciel », YAB a tourné un long-métrage sur les périls insoutenables qui pèsent sur notre Sainte-planète : Home. Diffusé vendredi 5 juin sur France 2 ce chef d’œuvre bénéficie d’une promotion digne d’une grosse production hollywoodienne : sortant simultanément dans 126 pays, il sera massivement présent sur le territoire français à travers 200 copies. Home sera également diffusé par des centaines de chaînes de télévision, par la plate-forme Youtube, et bénéficiera de projections de prestige dont l’une sur le Champ de Mars à Paris et une autre à Central Park, New York. YAB a aussi reçu le soutien du Prince Charles et organisé une projection privée à l’Elysée pour Carla Bruni et son époux. Bref, le déferlement sauvage de moraline écolo sera impossible à contenir. YAB sera partout. La terre sera à YAB. Le photographe, à la moustache pleine de sagesse, pourra envelopper cette Gaïa qu’il aime tant de toute la sollicitude que son grand cœur plein de compassion est encore capable de déployer – après tant et tant de gesticulations médiatiques.

Pour financer ce film montrant… la terre vue du ciel, notre aventurier de l’indignation décroissante a fait alliance avec deux grandes consciences morales de ce siècle : François-Henri Pinault, patron du groupe industriel PPR, qui vient d’annoncer 1800 licenciements, et Luc Besson, le célèbre producteur de longs-métrages intellectuellement déficients axés sur la banlieue et les automobiles sportives. YAB ne pouvait pas trouver meilleurs partenaires pour soutenir un projet aussi riche de bons sentiments – et aussi authentiquement « moderne » par l’atrocité de sa diffusion globale, brutale, simultanée, panoptique, massive et torrentielle. La bonne conscience – que l’on appelle en ce cas mécénat – a un prix : pour le fils Pinault, l’addition se monte à 10 millions d’euros. YAB, qui a l’argent en horreur, comme tout bon religieux, ne touchera personnellement pas un seul centime sur la recette de ce film, qui sera reversée à sa fondation Good Planet. Ici l’euro ou le dollar relèvent de la monnaie de singe. L’écologie, à ce niveau de préoccupation délirante est devenue une obsession de super-riches. La monnaie qui a cours est la satisfaction morale. Inutile de demander des comptes ou d’entrer dans le détail du green business. Le film est mal foutu ? Peu importe. « Je vais vite parce que dans dix ans, si on ne fait rien, la planète sera foutue », explique YAB dans Le Monde… En vérité, il faudrait se demander si, à force d’user ainsi sur la corde verte, ce n’est pas l’écologie qui sera « foutue » dans une décennie ?

Le précédennt coup d’éclat de YAB était le projet « 6 milliards d’autres », réalisé sous l’égide de sa fondation Good Planet, et largement financé par la banque BNP…. Un documentaire télévisé « fleuve » dans lequel des tas de quidams anonymes venaient vomir à l’image leurs desiderata existentiels, personnels et désordonnés, dans la trame d’une vision humaniste « molle » convaincue que tous les hommes sont égaux en rêves. Ce qui reste à prouver. Le petit rêve intime de YAB – qui est déjà membre de l’Académie des Beaux-Arts – est certainement de rejoindre son ami Al Gore à l’Académie Nobel en tant que Prix Nobel de la paix photographique et de l’amitié écologique entre les nations, ou bien d’intégrer le vaste Panthéon de figures françaises morales et sacrées, où se serrent déjà le Commandant Cousteau, Sœur Emmanuelle, le Dr Haroun Tazieff, l’Abbé Pierre, le Professeur Schwarzenberg, Coluche, etc. Figures hétéroclites de la culpabilisation calibrée et de l’indignation marketée. Toute une génération d’humanitaires intermittents du spectacle…. Peut-être YAB caracolera t-il un jour en tête du classement des personnalités préférées des français, publié par le Journal du Dimanche ? Dans dix ans. Ou avant. Quand il sera usé d’annoncer une fin du monde qui ne vient pas, et ne viendra pas… comme certains autres disparaîtront corps et biens d’avoir trop attendu une insurrection de rêves et de théories.

YAB a 63 ans. Je n’irai pas jusqu’à lui souhaiter d’assister à la « fin du monde » dont il rêve depuis le cockpit de son hélicoptère polluant. Tant pis si ses prophéties prennent l’eau et s’il sombre dans le ridicule rétrospectif de son pessimisme écologique outré. Peut-être pourra-t-il abandonner cette incertaine posture religieuse d’écolovangéliste qui lui va si mal au teint et recommencer à faire ces extraordinaires portraits de paysans au Salon de l’agriculture, qui l’ont rendu célèbre, et que je ne passe pas un mois sans contempler.

YAB, par pitié, pose ton hélicoptère, et reviens sur terre, parmi nous ! Rien n’est plus déprimant que de voir un talent (un génie, soyons honnête…) mal employé.

Obama beach

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6juin

Il faut méconnaître totalement le répertoire de Michel Sardou pour ignorer que si les Américains n’avaient pas débarqué le 6 juin 1944 en Normandie, nous serions tous en Germanie. C’est ce que Barack Obama a, en substance, rappelé ce matin, en débarquant en France, accompagné de vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Un, deux, chantez : « Si les Ricains y z’étaient pas là… » Rompez. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

Causeur, abonnez-vous, rabonnez-vous !

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Abonnement

Même les plus distraits l’auront remarqué, Causeur, le mensuel, est un journal « différent ». Pendant ses dix premiers mois d’existence, il a réussi à prouver que cette différence pouvait être autre chose qu’un vœu pieux de lecteur ou un rêve éveillé d’auteur. Pendant dix mois, nous avons réussi à faire vivre un élégant et roboratif best of, adossé à un vrai site, fréquenté chaque mois par plus de 300 000 habitués[1. 306 000 visiteurs uniques au mois d’avril 2009, pour 2 176 000 pages vues, selon Médiamétrie-Netratings.]. Et puis soudain, en mai, Causeur est devenu encore plus différent : un vrai journal qui n’a même pas peur d’exister, sur 32 pages, avec une volée de textes inédits destinés à récompenser la fidélité de nos abonnés. Nous leur devions bien. C’est grâce à eux, donc grâce à vous que tout cela existe. Le mensuel – et aussi le site – vivent et vivront de plus en plus de vos abonnements. Et pour ne pas tourner autour du pot, ils n’existeront plus si cette ressource disparaissait. Pour vous, pour nous, cette différence est vitale. Faisons en sorte qu’elle soit viable. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

En exclusivité dans le numéro de juin :

Empaillons-nous, Folleville !, Elisabeth Lévy
Darcos de Macédoine, Raul Cazals
Coupat, billet de sortie, Jérôme Leroy et Bruno Maillé
Il faut sauver l’Opinel !, Luc Rosenzweig
Ecce homo, Cyril Bennasar
Moondog aboie, la caravane passe Jean-François Baum
Aimez-vous Dash ?, Jérôme Leroy
Sans histoire ?, Élisabeth Lévy
Comment peigner une girafe…, François Miclo

Bayrou la Taloche

François Bayrou est un garçon poli. Il ne met pas les coudes sur la table, s’encombre de mille préventions pour ne froisser personne et dispose d’une conversation dont la tenue est largement au-dessus de la moyenne. En politique, il pousse la politesse jusqu’à ne jamais briguer la première place. Etre le troisième homme, ça lui suffit. Même Poulidor, l’éternel second, ne savait pas cultiver autant de retenue.

Seulement, il ne faut pas lui en raconter à François Bayrou. Quand on lui dit qu’un olibrius se ramène pour lui piquer son job, il ne raisonne plus. Il dynamite, il ventile, il disperse façon puzzle. C’est ce qui est arrivé jeudi, sur le plateau de France 2, quand le Béarnais s’est retrouvé face à Daniel Cohn-Bendit : le leader écologiste n’a pas eu le temps de dire ouf que François Bayrou lui tapait dessus avec ses petits poings. Pas sur la tête, mais en dessous de la ceinture. Emoi dans Landerneau.

Le lendemain, la presse attendait un acte de contrition de cet homme qui fut un jour démocrate-chrétien. Rien. Pire, le patron du Modem récidive et annonce en substance que les pédophiles ne passeront pas. Et que même s’ils sont les vassaux de l’Elysée, il ira, lui, leur casser la gueule à la récré. Il est comme ça, François Bayrou. Chez un homme en colère, l’émotion, ça ne se contrôle pas.

Ça ne se contrôle peut-être pas, l’émotion. Mais ça se prépare. Déjà, on a devant soi le verbatim de l’altercation entre Nicolas Sarkozy et Daniel Cohn-Bendit devant le Parlement européen – c’est vrai que c’est un document qu’on garde toujours par-devers soi quand on est un Européen convaincu. Ensuite, on vient de finir de lire avant l’émission le bouquin de son adversaire – bouquin paru trente-quatre ans auparavant. Vous me direz : et alors ? on lit bien Montaigne plus de quatre cents ans après… Oui, sauf qu’aux dernières nouvelles Le Grand Bazar, ce n’est pas les Essais et José Bové n’est pas Etienne de La Boétie. Ce n’est pas qu’une question de physique. Le livre de Dany le Vert étant épuisé depuis belle lurette, il faut se lever matin pour le trouver et le ressortir de toute cette littérature vouée dès les premiers mois de sa parution à la disgrâce du pilon. Le chercher en bibliothèque, se le faire prêter par un ami qui ne se souvient décidément plus comment ce livre a pu se retrouver chez lui (« regarde, François, j’ai aussi du Raymond Barre… ») ou arpenter les quais de Seine pour le dénicher entre un fascicule du Programme commun et un exemplaire dédicacé de Ce que je crois, d’Edouard Balladur. Bref, faut vouloir, comme on dit chez Arlette Chabot.

Tout laisse donc accroire – à moins d’avoir vu la Vierge – que François Bayrou avait préparé son coup et qu’en arrivant à l’émission, il escomptait bien se farcir Cohn-Bendit, mais un Cohn-Bendit, ça a beau avoir les idées larges, ça ne se laisse pas farcir par le premier venu. Qu’importe. Bayrou était en forme, prêt à distribuer du rab de taloches et de mandales à qui en demanderait. Il faut dire que le matin, sur France Inter, Nicolas Demorand l’avait chauffé à bloc en lui apprenant le sondage du jour : les écologistes dépasseraient le 7 juin le Modem… Et il s’était déjà énervé, notre quatrième homme, du genre : « Ah non ! pas quatrième ! troisième, je vous ai dit. Et France Inter, c’est rien que radio Sarko. » Ça doit mal capter dans le Béarn, à moins qu’il ne confonde Daniel Mermet et Jean-Pierre Elkabbach.

Seulement, rien n’explique pourquoi François Bayrou a tenu à ce point à se farcir quelqu’un. Ses penchants ne sont pas là – c’est à Henri IV qu’il a consacré une (très belle) biographie, pas à Henri III. Rien, sinon la simple idée de provoquer le scandale quelques jours avant l’élection. Il est coutumier du fait. À Strasbourg déjà, en 2002, il avait taloché un gamin qui tentait de lui faire les poches. Les mauvais esprits constateront – et après ils iront à confesse pour avoir éprouvé d’aussi sordides pensées – que, contrairement à Cohn-Bendit, François Bayrou, lui, ne touche pas les gosses, il les baffe.

Ce qu’il a fait, jeudi soir, chez Arlette Chabot, est du même ordre. Sauf que cette fois-ci personne ne lui faisait subrepticement les poches et que le coup était prémédité. Chacun a les attentats de l’Observatoire qu’il peut.

Et l’attentat de l’Observatoire est bien le fond de la question. Il n’y a, en réalité, en France que deux derniers mitterrandiens stricto sensu. Le premier, c’est Nicolas Sarkozy, qui rejoue depuis son élection le Mitterrand de la fin des années 1980, celui qui pratique la politique d’ouverture, s’entend comme larron en foire avec Jack Lang tout en tenant Le Prince de Machiavel comme un mode d’emploi assez rigoureux de la chose publique. Et puis il y a François Bayrou, qui joue à Mitterrand. Mais à celui de 1959, qui fait feu de tout bois pour braquer sur lui les feux de la rampe et regagner sa place dans l’opinion.

Daniel Cohn-Bendit a eu raison de railler « l’omni-opposant » et « l’omni-président ». Il touche du doigt ce que René Girard – qu’il me pardonne s’il me lit – qualifierait de rivalité mimétique : entre Bayrou et Sarkozy, il n’y a aucune différence idéologique. Le problème est d’un autre ordre : ils ont le même modèle en politique. Et cela suffit à expliquer qu’ils ne sont pas adversaires, mais, au sens propre, ennemis.

En attendant, ce débat télévisé, mal parti dès lors que Bayrou le ramenait au niveau du caniveau, aura épargné aux téléspectateurs de parler des questions européennes. À commencer par la question institutionnelle : quand Olivier Besancenot regrette que la règle de l’unanimité prévale, on se dit que ce type aurait mieux fait de lire le Traité constitutionnel au lieu de voter contre… On se dit que Martine Aubry est bonne fille de rappeler à notre mémoire la directive temps de travail, sans toutefois aller jusqu’à se souvenir que ce sont ses amis travaillistes britanniques qui l’ont fait capoter. On se dit que la vie serait si simple et l’Europe si facile à construire s’il n’y avait pas, sur le reste du continent, ces foutus étrangers.

Divers gauche, divers droite et divers divers

Le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, est formel : quel que soit le résultat du vote de dimanche, il y a fort peu de candidats d’origine allogène sur les listes pour les européennes et il y en aura encore moins parmi les élus. Et comme le CRAN ne parle pas dans le vide, il a compté les Noirs, les Arabes et les Asiatiques ou plus précisément, ceux dont le « ressenti d’appartenance » laisse penser qu’ils sont noirs, arabes ou asiatiques. En effet, le communiqué fait état « d’une étude basée sur le « ressenti d’appartenance », c’est-à-dire sur les Français ressentis comme noirs, arabo-maghrébins ou asiatiques » et qui porte sur 69 candidats. S’agit-il de listes ou de candidats ? Et est-il question « du ressenti » des intéressés ou de celui des autres ? Ce n’est pas très clair. On pourrait chipoter sur le caractère scientifique de l’étude, mais c’est pas notre genre. Intéressons-nous donc aux résultats : 45 candidats divers au total pour les six listes principales, mais seulement 5 ou 6 qui ont des chances de siéger à Strasbourg, sur les 72 Français que compte l’Europarlement. Ce qui nous donnerait, nous aussi on sait compter, 8 % de divers parmi les élus.

Il paraît qu’on peut et qu’on doit mieux faire. Seulement, le CRAN se garde bien de nous dire quel est l’objectif à atteindre. À partir de quel pourcentage de divers pourra-t-on déclarer qu’il a été mis « un terme aux pratiques discriminatoires auxquelles ont recours, consciemment ou inconsciemment, les partis politiques dans le choix de leurs candidats aux élections, et en particulier des candidats en position éligible » ? Dans cet esprit de comptage ethnique, l’extrême droite pourrait s’émouvoir de la sous-représentation des Français de souche dans la liste antisioniste – quoi qu’elle-même y soit fort bien représentée. Peut-être bien qu’un combat impérieux contre un ennemi puissant est de nature à faire taire les divergences entre divers et non divers.

Quoi qu’il en soit, il ne faut donc pas croire ce que l’on voit : Harlem, Rachida et Dieudonné ne sont que les arbrisseaux qui cachent la forêt des préjugés enracinés. C’est mal.

Reste à savoir comment on pourrait pallier cette ignoble béance démocratique. Depuis quelques années, une solution magique existe, qui a l’insigne avantage de plaire d’ordinaire au chef de l’Etat : l’instauration de quotas. Mais là, problème : il y a déjà un quota de femmes aux européennes (comme d’ailleurs aux municipales et aux régionales) depuis l’invention des listes chabada : il faudrait donc démanteler cette mixité forcée pour garantir l’accès des issus de la diversité à l’hémicycle de Strasbourg ou, ce qui deviendrait très compliqué, la doubler par des exigences ethniques. Après une enquête approfondie de vos serviteurs, il s’avère que le CRAF (Conseil Représentatif des Associations Féministes) est plutôt hostile à cette solution, qui, en revanche, est accueillie assez favorablement au CRAI (Conseil Représentatif des Associations Intégristes). En revanche, toujours aucune réaction du côté du CRAA, le très discret mais influent Conseil Représentatif des Associations Abstentionnistes. Il est vrai que cette dernière organisation n’entretient pas de bons rapports avec le CRAN, dans la mesure où elle préconise ouvertement la reconnaissance du vote blanc. Quant au CRIF, il préfèrerait qu’on l’oublie un peu.

Mais Patrick Lozès ne rigole pas. Le patron du CRAN n’est pas du genre à critiquer pour critiquer, il a des vraies solutions et demande au président de la République de « prendre rapidement des mesures fortes » pour les mettre en œuvre. Pour commencer, il propose à tous les partis politiques de signer une Charte de la diversité en politique. Bon, une Charte, on en a vu d’autres, la plupart du temps ça n’engage à rien, c’est plutôt une déclaration de bonnes intentions. Sauf que pour déjouer l’hypocrisie régnante, le CRAN suggère que seuls les partis qui auront accepté de signer et qui satisferont aux « exigences minimales en matière de diversité » puissent bénéficier du remboursement de leurs dépenses électorales. Pour le CRAN, c’est à cette condition qu’on pourra enfin croire que les responsables politiques « militent activement pour la diversité ». On avait déjà vus les partis chasser la femme. Ils vont bientôt pouvoir se disputer la prime au Noir, à l’Arabe et à l’Asiatique – qui lui, n’a rien demandé.

La France ne fera pas la vassale

Le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères a fait, vendredi 6 mai la déclaration suivante lors du point de presse quotidien du Quai d’Orsay : « Le gouvernement français salue la haute tenue du discours prononcé à l’Université du Caire par le président des Etats-Unis, M. Barack Obama. Il prend acte, avec satisfaction des très nombreux points de convergences entre les positions de la France et des Etats-Unis sur les problèmes abordés, notamment, au sujet du conflit israélo-arabe. Les autorités françaises s’étonnent néanmoins des propos de M. Obama relatifs à la législation française sur le port du voile islamique dans les établissements scolaires[1. It is important for western countries to avoid impeding Muslim citizens from practicing religion as they see fit- for instance, by dictating what clothes a Muslim woman should wear. We cannot disguise hostility towards any religion behind the pretense of liberalism.]. Ils constituent une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la République Française. M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis en France pour lui faire part de la préoccupation du président de la République et du premier ministre de voir les excellentes relations entre nos deux pays troublées par des propos inappropriés. »
Même pas cap’, Bernard ! C’est plus fastoche de se payer Bibi Netanyahou sur Jérusalem avec un vieux papier datant de François 1er comme ordonnance d’expulsion.

American Hidjab

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À trois reprises dans son discours à l’Université du Caire, le Président Barack Obama a donc dénoncé les pays qui, en Occident, jugent indésirable le port du voile islamique dans certaines circonstances de leur vie sociale. Cela m’inspire deux réflexions.

Qu’ils soient dirigés par Obama, Bush, Clinton ou un autre, les Etats-Unis ne changent pas : ils placent le respect des religions – au sens large du terme – au dessus de toute autre considération. Le 11 septembre a été d’autant plus mal ressenti aux Etats-Unis que ce pays est loin d’être le plus mécréant de la Terre. Sur le dollar est inscrit « In God we trust » ; le président prête serment sur la Bible ; chaque campagne présidentielle est un concours de foi chrétienne. Et les Américains de se poser la question : pourquoi nous ? Nous, qui avons armé jusqu’aux dents les islamistes de tout poil, nous qui les avons aidés à bouter les Infidèles russes hors d’Afghanistan, nous qui avions mis la pâtée au mécréant Saddam et qui avions déjà les plans pour une prochaine invasion de l’Irak[1. Qui eut lieu aussi, comme chacun sait.]. Trop injuste ! C’est pourquoi une expédition punitive fut organisée pour pourchasser Oussama Bin Laden avec lequel la CIA entretenait de solides relations depuis la guerre russo-afghane.

En matière de rapports entre religions et politique, la France et sa conception laïque ne sont pas comprises par le monde anglo-saxon. Interdire le voile à l’Ecole, c’est absolument contraire à toute la tradition d’un Américain. Même dans sa lutte contre les sectes, la France s’est souvent vue mise à l’index par les autorités américaines qui n’ont jamais goûté la manière dont l’Eglise de scientologie, organisation on ne peut plus respectable pour Washington, est traitée chez nous.

Mais il n’aura échappé à personne que notre pays est aujourd’hui dirigé par un homme qui ne cache pas son admiration pour le Modèle américain. Tout d’abord, il a souvent expliqué en quoi la laïcité française lui semblait rigoriste et qu’il convenait de la « positiver ». C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il prévoyait un échec cinglant de la loi de 2003 proscrivant les signes religieux à l’école dont il s’est ostensiblement démarqué[2. Aujourd’hui, il ne la remettra pas en cause sans une condamnation de l’opinion en général et de son électorat en particulier. Car cette loi est incontestablement un succès.].

C’est aussi dans cet « esprit d’ouverture » qu’il prononça des discours à Latran et à Riyad qui, effectivement, se situent davantage dans la tradition anglo-saxonne de confusion entre vie privée et vie publique que dans celle, française, de séparation stricte entre les deux. Il a également entamé le « retour dans la famille occidentale[3. Ce sont les mots employés par le président lui-même.] » par le geste fort symbolique de retour dans les structures intégrées de l’OTAN. On a souvent eu tort de limiter cette décision aux thèmes de la Défense et de Diplomatie. Elle recouvrait dans son esprit davantage : une adhésion culturelle au concept d’occidentalisme. C’est une manière pour Nicolas Sarkozy d’en finir avec l’originalité de la France, une originalité qu’il a toujours tenue pour vieillotte, ringarde, anachronique, que sais-je encore.

Je n’en veux pas à Barack Obama. Il est le président des Etats-Unis et il continue imperturbablement la politique de son pays, avec des moyens beaucoup moins balourds que son prédécesseur. Il se voit en chef de l’Occident et se conduit comme tel. Je suis davantage en colère après le chef d’Etat de mon pays, qui tourne le dos à son Histoire, à son originalité, à son indépendance.

Epuisants voyageurs

Le festival Etonnants voyageurs vient de se terminer, ouf : j’en ai marre des aventuriers. Je veux dire ceux qui ont ouvert boutique aventuriers, comme Berl disait de certains qu’ils ont ouvert boutique écrivains (vérifiez l’axiome : ça marche toujours). Partant du principe que les gens heureux sont cachés, que les grandes douleurs sont muettes, etc, les véritables aventuriers disent-ils qu’ils sont aventuriers ? N’y a t-il pas là posture, et même imposture ? La recherche de l’authentique, du sauvage et du bel inviolé dans ce monde-terrible-factice-et pollué n’est elle pas au fond éminemment… banale ?

Première hypothèse : l’aventurier qui part en quête du sauvage, des territoires vides et inconfortables – la toundra sur les genoux ou la muraille de Chine à tricycle – ne serait que l’exact symétrique du touriste occidental de base, honni (celui qui voyage en groupe dans les hôtels immenses, qui visite les sites balisés, consomme) et auquel il prétend s’opposer. Club Med, marche solitaire dans la steppe, même combat, et surtout, deux profils du même individu contemporain face au tourisme. Tous deux se déplacent sur le globe, sac à dos (peut-être pas de la même marque) pour connaître leur propre géographie… individuelle. Ils ne partent pas pour s’oublier, mais pour se retrouver. Tous deux sont en cela parfaitement post-modernes… et autocentrés.

D’où la seconde hypothèse : le voyageur aventurier incarnerait le stade ultime, l’aboutissement logique du touriste occidental de base. Ne sommes nous pas déjà tous déjà en quête d’authenticité, ce pléonasme vivant ? Rappelez vous ce merveilleux dessin de Sempé : le bourgeois des années cinquante roule en belle voiture rutilante tandis que son voisin, le modeste employé pédale sur son petit vélo, le regard plein d’envie. Dix ans plus tard, il s’est enfin offert la voiture de ses rêves, mais las !, le voilà coincé dans les embouteillages avec tous ses semblables, tandis que le grand bourgeois se faufile à vélo hollandais… L’aventurier est donc au touriste occidental de base ce que l’homo sapiens est à l’homme de Néandertal : sa version perfectionnée (dont le stade intermédiaire de l’évolution serait le lecteur du Guide du routard : encore un pied dans le circuit, un autre dans la posture).

Allons plus loin – et achevons de nous brouiller définitivement avec les beaux voyageurs ténébreux (ils le sont souvent) : ce besoin d’aller loin pour se retrouver et se distinguer des autres hommes (depuis Rousseau, on connaît la chanson) cache encore autre chose. Si c’était la fuite du vide, la fameuse « agitation » dénoncée par Pascal ? Kant n’a jamais quitté sa maison de Königsberg, Jane Austen n’est guère allée plus loin que la Pump room de Bath, Proust a observé un microcosme dans le périmètre Paris-Cabourg : et par leur lunette apparemment étroite, ils ont accédé à l’universel.

La beauté du monde

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L’anti-sarkozysme, voilà l’ennemi ?

Dans la description de la situation française contemporaine, la plus grande partie des auteurs de Causeur a régulièrement recours, implicitement ou explicitement, à deux hypothèses fondamentales qu’ils tiennent souvent pour deux évidences. Pourtant, ces deux hypothèses me semblent fausses.

Hypothèse alpha : L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires.
Hypothèse beta : Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche.

Examinons l’hypothèse alpha : « L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires. » J’ai en commun avec les autres collaborateurs de Causeur un accord de principe concernant l’amour du Non-Binaire et le désir de combattre la bêtise binaire, la tentation de réduire la complexité du monde à l’affrontement d’un « camp du Bien » et d’un « camp du Mal ». Cependant, l’hypothèse alpha est en contradiction évidente avec l’amour du Non-Binaire proclamé très sincèrement par les collaborateurs de Causeur (et c’est la raison pour laquelle nombre d’entre eux sont mes amis). L’hypothèse alpha reconduit, aussi paradoxalement qu’indubitablement, la division manichéenne du monde entre camp du Bien et camp du Mal. Le camp du Bien, « c’est nous », ce sont les Non-Binaires. Le camp du Mal, « c’est les autres », ce sont ces salopards de Binaires !

Si je ne partage pas l’hypothèse alpha, c’est précisément parce que je suis attaché à la complexité du réel. Parce que je sais que la tentation manichéenne et moralisatrice est présente dans tout être humain (et je suis l’un d’entre eux). Il est également vrai que le vice binaire est devenu chez certains hommes une habitude tenace. Pourtant, son règne dans un cœur humain n’est sans doute jamais absolu – dans les pires des cas, il ne l’est qu’en apparence, pour les yeux et les oreilles des autres. La division manichéenne du monde me semble seulement un signe du manque d’amour vrai et incarné – amour des autres hommes et amour véritable de soi, c’est tout un. Le paradis est bien le lieu désigné par le merveilleux, l’inoubliable starets Zossima des Frères Karamazov, le lieu où je suis libéré de l’obsession stérile et médiocre de mes propres péchés en acceptant de recevoir soudain sur mes épaules ceux de tous les hommes, cessant de haïr les autres pour leurs péchés et reconnaissant au fond de mon cœur que je suis probablement capable, les circonstances aidant, de commettre à peu près n’importe quel péché commis par les autres. Cette reconnaissance du Commun, de l’humain Commun, retire soudain aux péchés leur qualité intrinsèque, qui est de séparer les hommes entre eux et, après un écrasement intérieur infini, ouvre la possibilité d’un pardon lui aussi infini – bien que toujours interminable.

Considérons maintenant l’hypothèse beta : « Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche. » Comme je l’avais signalé dès ma première intervention dans Causeur, dont j’ai regretté qu’elle ait suscité aussi peu de débat, rien ne me paraît plus absurde que de prétendre attribuer à une appartenance politique quelle qu’elle soit des vices qui lui seraient propres, fatals, intrinsèques, des vices mécaniques. Les Causeurs auront beau trompéter sur tous les tons le contraire, je demeurerai formel sur un point : la gauche n’a pas le monopole du binaire. Pas davantage que la droite n’a le monopole du réel, du bon sens et de l’âge adulte. Les rues sont remplies de Binaires de droite et de Binaires de gauche, les métros regorgent de Binaires sarkozystes et de Binaires anti-sarkozystes. Les campagnes débordent d’Anti-Binaires de droite et d’Anti-Binaires de gauche. Et bientôt nos plages seront envahies à proportions rigoureusement égales par des Anti-Binaires sarkozystes et des Anti-Binaires anti-sarkozystes.

Forts de l’hypothèse alpha et de l’hypothèse beta, de nombreux collaborateurs de Causeur se sont lancés dans une prétendue chasse au Binaire qui est en réalité une chasse à l’anti-sarkozyste ou au gauchiste. Dans l’art rhétorique de nombre de Causeurs, la reductio ad binarium finit par jouer exactement le même rôle que la reductio ad Hitlerum chez les crétins anti-fascistes. A la moindre critique contre le toujours-déjà oubliable Sarkozy, l’accusation de « conformisme » et de binarité congénitale tombe comme un couperet sur la discussion, rejetant aux oubliettes la seule question qui vaille, qui n’est pas celle de savoir si cette critique est partagée par peu ou par beaucoup, mais si elle est véridique et légitime ou non. Il arrive aussi souvent que la reductio ad binarium soit remplacée ou complétée par une reductio ad sinistrum tout aussi rhétorique. Dans mon latin d’opérette, cette expression désigne le fait de jeter à la face de l’ennemi, sans la moindre conformité avec la réalité mais simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec vous, qu’il n’a pas d’humour. Cette opération équivaut elle aussi à une reductio ad Hitlerum, puisque, par les temps qui courent, « ne pas avoir d’humour » est presque aussi infâmant qu’être nazi sur trois générations.

Votez pour vous, votez pour tous !

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Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La meilleure solution pour ne léser aucun candidat et pour ne se fâcher avec personne dans les dîners en ville, c’est bien évidemment de voter pour toutes les listes en présence !

Il faut bien sûr voter UMP si l’on fait partie de la majorité. Or il est indéniable que la majeure partie d’entre nous appartenons, par définition, à une majorité. Mais il faut aussi voter UMP si on sait compter, et qu’on n’a pas envie, par strict respect pour les lois de l’arithmétique, de voir ladite majorité hurler à la victoire totale dimanche soir avec seulement 25 ou 28 % des voix alors qu’elle était à 53% il y a deux ans. Je sais bien que tout est relatif, y compris en matière de majorité, mais de là à faire passer un petit quart pour une grosse moitié…

Il faut voter PS parce que Dominique Reynié a dit vendredi dans Libération que Martine Aubry n’avait pas de vrai projet européen et que Dominique Reynié se trompe toujours sur tout. En Ile-de-France, il faut encore plus qu’ailleurs voter PS parce que Benoit Hamon est mignon, qu’il n’a pas peur d’insulter les journalistes et qu’il supporte depuis deux mois l’envahissante vacuité d’Harlem Désir sans broncher : tout ça mérite quand même une récompense…

Il faut voter Modem pour circonvenir les anarchistes pédophiles allemands, même pas fichus de vousoyer le futur président de la République et d’acquiescer benoîtement quand il enfile contrevérité sur contrevérité. On notera au passage que si l’aplomb dans la mauvaise foi et la croyance inébranlable dans la répétition qui vaut raison signent l’homme d’Etat français, alors François Bayrou est presque aussi apte que Nicolas Sarkozy et même que Jacques Chirac

Il faut voter Europe-Ecologie parce qu’après avoir vu Yann Arthus Bertrand faire partout la promo de Home, son spot publicitaire pour PPR, on se dit que, finalement, Nicolas Hulot n’est pas si crétin que ça… Accessoirement, dans un élan de générosité intereuropéenne, c’est faire œuvre pie que de débarrasser les malheureux Norvégiens de la présence d’Eva Joly sur leur sol national.

Il faut voter Libertas et Philippe de Villiers, pour empêcher la Turquie de nous imposer ses kebabs graisseux, ses plombiers même pas polonais et ses lois contraires à la dignité humaine (Sait-on, par exemple que la Cour suprême de ce pays persiste à interdire le port du hidjab dans l’enceinte des universités !).

Il faut voter NPA pour ne pas désespérer Oberkampf. C’est déjà assez pénible pour un prof de collège lambda d’avoir loupé trois fois de suite le CAPES de Lettres modernes, si en plus on lui enlève la perspective de diriger la France, l’Europe et le Monde…

Il faut voter Front de gauche pour redonner son sel à l’anticommunisme primaire. Quand le PC est à 3%, l’homme de goût se retient de tirer sur une ambulance. Un PC à 7%, on peut recommencer à lui dire ses quatre vérités. Lui rappeler qu’il n’a même plus de communiste ni le bruit, ni l’odeur, que MGB et sa clique de charlots ne se posent pas vraiment là pour incarner le spectre qui hante l’Europe.

Il faut voter Front National parce que si son parti fait un bon score, ni rien ni personne n’empêchera Jean-Marie Le Pen de se représenter à présidentielle de 2012, où une fois de plus il sera le seul à incarner le changement véritable…

Il va de soi que cette liste de listes n’est pas exhaustive et que selon la région où vous vous trouvez, vous pourrez glisser de 11 à 27 bulletins dans la même enveloppe. Voilà, à mon avis, le meilleur moyen de faire prospérer notre démocratie, et qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce type de vote est carrément nul.

Yann Arthus-Bertrand, go Home !

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Le photographe Yann Arthus-Bertrand est une créature médiatique singulièrement désagréable. Omniprésent dans les médias, YAB est l’authentique prêcheur écologiste qu’il manquait à la France. Un parfait supplétif moustachu du soldat Nicolas Hulot. Devenu multimillionnaire avec le succès mondial de son livre La terre vue du ciel (montrant la beauté supposée de notre planète scrutée depuis une flotte d’hélicoptères polluants), le photographe susurre dans tous les médias sa vieille rengaine apocalyptique. Il promet la fin proche de l’aventure terre, en appelant, avec dans la voix des trémolos imprégnés de religiosité, au respect aveugle de la déesse Gaïa et en faisant vibrer – sur fond d’une méfiance radicale envers la technique – la corde patrimoniale sensible : mais quelle « terre » allons-nous léguer à nos enfants ? Ben voyons ! Les enfants et l’environnement sont en effet en tête des valeurs suprêmes de notre modernité, qui sont mises quotidiennement en danger par ces ignobles industriels pollueurs, et voyous, qui ne pensent qu’à s’enrichir sans penser aux conséquences scélérates de leur enrichissement !

Avec cette vision binaire et manichéenne de l’environnement, appelant fermement à la « décroissance » (concept marketing appelé à un grand avenir comique), YAB rejoint d’autres illustres gourous du genre, dont l’ex-animateur vedette de TF1 Nicolas Hulot, et le politicien américain Al Gore, qui s’est signalé au monde il y a quelques années par un blockbuster documentaire sur le changement climatique intitulé Une vérité qui dérange. Et qui, naturellement, n’a dérangé absolument personne.

Dans cette glorieuse lignée de télévangélistes écolos, YAB se lance à son tour dans le cinéma. Déjà très présent sur les écrans, à travers des documentaires télévisés sur son travail de photographe, ou son émission de France 2 « Vu du ciel », YAB a tourné un long-métrage sur les périls insoutenables qui pèsent sur notre Sainte-planète : Home. Diffusé vendredi 5 juin sur France 2 ce chef d’œuvre bénéficie d’une promotion digne d’une grosse production hollywoodienne : sortant simultanément dans 126 pays, il sera massivement présent sur le territoire français à travers 200 copies. Home sera également diffusé par des centaines de chaînes de télévision, par la plate-forme Youtube, et bénéficiera de projections de prestige dont l’une sur le Champ de Mars à Paris et une autre à Central Park, New York. YAB a aussi reçu le soutien du Prince Charles et organisé une projection privée à l’Elysée pour Carla Bruni et son époux. Bref, le déferlement sauvage de moraline écolo sera impossible à contenir. YAB sera partout. La terre sera à YAB. Le photographe, à la moustache pleine de sagesse, pourra envelopper cette Gaïa qu’il aime tant de toute la sollicitude que son grand cœur plein de compassion est encore capable de déployer – après tant et tant de gesticulations médiatiques.

Pour financer ce film montrant… la terre vue du ciel, notre aventurier de l’indignation décroissante a fait alliance avec deux grandes consciences morales de ce siècle : François-Henri Pinault, patron du groupe industriel PPR, qui vient d’annoncer 1800 licenciements, et Luc Besson, le célèbre producteur de longs-métrages intellectuellement déficients axés sur la banlieue et les automobiles sportives. YAB ne pouvait pas trouver meilleurs partenaires pour soutenir un projet aussi riche de bons sentiments – et aussi authentiquement « moderne » par l’atrocité de sa diffusion globale, brutale, simultanée, panoptique, massive et torrentielle. La bonne conscience – que l’on appelle en ce cas mécénat – a un prix : pour le fils Pinault, l’addition se monte à 10 millions d’euros. YAB, qui a l’argent en horreur, comme tout bon religieux, ne touchera personnellement pas un seul centime sur la recette de ce film, qui sera reversée à sa fondation Good Planet. Ici l’euro ou le dollar relèvent de la monnaie de singe. L’écologie, à ce niveau de préoccupation délirante est devenue une obsession de super-riches. La monnaie qui a cours est la satisfaction morale. Inutile de demander des comptes ou d’entrer dans le détail du green business. Le film est mal foutu ? Peu importe. « Je vais vite parce que dans dix ans, si on ne fait rien, la planète sera foutue », explique YAB dans Le Monde… En vérité, il faudrait se demander si, à force d’user ainsi sur la corde verte, ce n’est pas l’écologie qui sera « foutue » dans une décennie ?

Le précédennt coup d’éclat de YAB était le projet « 6 milliards d’autres », réalisé sous l’égide de sa fondation Good Planet, et largement financé par la banque BNP…. Un documentaire télévisé « fleuve » dans lequel des tas de quidams anonymes venaient vomir à l’image leurs desiderata existentiels, personnels et désordonnés, dans la trame d’une vision humaniste « molle » convaincue que tous les hommes sont égaux en rêves. Ce qui reste à prouver. Le petit rêve intime de YAB – qui est déjà membre de l’Académie des Beaux-Arts – est certainement de rejoindre son ami Al Gore à l’Académie Nobel en tant que Prix Nobel de la paix photographique et de l’amitié écologique entre les nations, ou bien d’intégrer le vaste Panthéon de figures françaises morales et sacrées, où se serrent déjà le Commandant Cousteau, Sœur Emmanuelle, le Dr Haroun Tazieff, l’Abbé Pierre, le Professeur Schwarzenberg, Coluche, etc. Figures hétéroclites de la culpabilisation calibrée et de l’indignation marketée. Toute une génération d’humanitaires intermittents du spectacle…. Peut-être YAB caracolera t-il un jour en tête du classement des personnalités préférées des français, publié par le Journal du Dimanche ? Dans dix ans. Ou avant. Quand il sera usé d’annoncer une fin du monde qui ne vient pas, et ne viendra pas… comme certains autres disparaîtront corps et biens d’avoir trop attendu une insurrection de rêves et de théories.

YAB a 63 ans. Je n’irai pas jusqu’à lui souhaiter d’assister à la « fin du monde » dont il rêve depuis le cockpit de son hélicoptère polluant. Tant pis si ses prophéties prennent l’eau et s’il sombre dans le ridicule rétrospectif de son pessimisme écologique outré. Peut-être pourra-t-il abandonner cette incertaine posture religieuse d’écolovangéliste qui lui va si mal au teint et recommencer à faire ces extraordinaires portraits de paysans au Salon de l’agriculture, qui l’ont rendu célèbre, et que je ne passe pas un mois sans contempler.

YAB, par pitié, pose ton hélicoptère, et reviens sur terre, parmi nous ! Rien n’est plus déprimant que de voir un talent (un génie, soyons honnête…) mal employé.

Obama beach

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6juin

Il faut méconnaître totalement le répertoire de Michel Sardou pour ignorer que si les Américains n’avaient pas débarqué le 6 juin 1944 en Normandie, nous serions tous en Germanie. C’est ce que Barack Obama a, en substance, rappelé ce matin, en débarquant en France, accompagné de vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Un, deux, chantez : « Si les Ricains y z’étaient pas là… » Rompez. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

La France made in Sarko

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Abonnement

Même les plus distraits l’auront remarqué, Causeur, le mensuel, est un journal « différent ». Pendant ses dix premiers mois d’existence, il a réussi à prouver que cette différence pouvait être autre chose qu’un vœu pieux de lecteur ou un rêve éveillé d’auteur. Pendant dix mois, nous avons réussi à faire vivre un élégant et roboratif best of, adossé à un vrai site, fréquenté chaque mois par plus de 300 000 habitués[1. 306 000 visiteurs uniques au mois d’avril 2009, pour 2 176 000 pages vues, selon Médiamétrie-Netratings.]. Et puis soudain, en mai, Causeur est devenu encore plus différent : un vrai journal qui n’a même pas peur d’exister, sur 32 pages, avec une volée de textes inédits destinés à récompenser la fidélité de nos abonnés. Nous leur devions bien. C’est grâce à eux, donc grâce à vous que tout cela existe. Le mensuel – et aussi le site – vivent et vivront de plus en plus de vos abonnements. Et pour ne pas tourner autour du pot, ils n’existeront plus si cette ressource disparaissait. Pour vous, pour nous, cette différence est vitale. Faisons en sorte qu’elle soit viable. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

En exclusivité dans le numéro de juin :

Empaillons-nous, Folleville !, Elisabeth Lévy
Darcos de Macédoine, Raul Cazals
Coupat, billet de sortie, Jérôme Leroy et Bruno Maillé
Il faut sauver l’Opinel !, Luc Rosenzweig
Ecce homo, Cyril Bennasar
Moondog aboie, la caravane passe Jean-François Baum
Aimez-vous Dash ?, Jérôme Leroy
Sans histoire ?, Élisabeth Lévy
Comment peigner une girafe…, François Miclo

Bayrou la Taloche

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François Bayrou est un garçon poli. Il ne met pas les coudes sur la table, s’encombre de mille préventions pour ne froisser personne et dispose d’une conversation dont la tenue est largement au-dessus de la moyenne. En politique, il pousse la politesse jusqu’à ne jamais briguer la première place. Etre le troisième homme, ça lui suffit. Même Poulidor, l’éternel second, ne savait pas cultiver autant de retenue.

Seulement, il ne faut pas lui en raconter à François Bayrou. Quand on lui dit qu’un olibrius se ramène pour lui piquer son job, il ne raisonne plus. Il dynamite, il ventile, il disperse façon puzzle. C’est ce qui est arrivé jeudi, sur le plateau de France 2, quand le Béarnais s’est retrouvé face à Daniel Cohn-Bendit : le leader écologiste n’a pas eu le temps de dire ouf que François Bayrou lui tapait dessus avec ses petits poings. Pas sur la tête, mais en dessous de la ceinture. Emoi dans Landerneau.

Le lendemain, la presse attendait un acte de contrition de cet homme qui fut un jour démocrate-chrétien. Rien. Pire, le patron du Modem récidive et annonce en substance que les pédophiles ne passeront pas. Et que même s’ils sont les vassaux de l’Elysée, il ira, lui, leur casser la gueule à la récré. Il est comme ça, François Bayrou. Chez un homme en colère, l’émotion, ça ne se contrôle pas.

Ça ne se contrôle peut-être pas, l’émotion. Mais ça se prépare. Déjà, on a devant soi le verbatim de l’altercation entre Nicolas Sarkozy et Daniel Cohn-Bendit devant le Parlement européen – c’est vrai que c’est un document qu’on garde toujours par-devers soi quand on est un Européen convaincu. Ensuite, on vient de finir de lire avant l’émission le bouquin de son adversaire – bouquin paru trente-quatre ans auparavant. Vous me direz : et alors ? on lit bien Montaigne plus de quatre cents ans après… Oui, sauf qu’aux dernières nouvelles Le Grand Bazar, ce n’est pas les Essais et José Bové n’est pas Etienne de La Boétie. Ce n’est pas qu’une question de physique. Le livre de Dany le Vert étant épuisé depuis belle lurette, il faut se lever matin pour le trouver et le ressortir de toute cette littérature vouée dès les premiers mois de sa parution à la disgrâce du pilon. Le chercher en bibliothèque, se le faire prêter par un ami qui ne se souvient décidément plus comment ce livre a pu se retrouver chez lui (« regarde, François, j’ai aussi du Raymond Barre… ») ou arpenter les quais de Seine pour le dénicher entre un fascicule du Programme commun et un exemplaire dédicacé de Ce que je crois, d’Edouard Balladur. Bref, faut vouloir, comme on dit chez Arlette Chabot.

Tout laisse donc accroire – à moins d’avoir vu la Vierge – que François Bayrou avait préparé son coup et qu’en arrivant à l’émission, il escomptait bien se farcir Cohn-Bendit, mais un Cohn-Bendit, ça a beau avoir les idées larges, ça ne se laisse pas farcir par le premier venu. Qu’importe. Bayrou était en forme, prêt à distribuer du rab de taloches et de mandales à qui en demanderait. Il faut dire que le matin, sur France Inter, Nicolas Demorand l’avait chauffé à bloc en lui apprenant le sondage du jour : les écologistes dépasseraient le 7 juin le Modem… Et il s’était déjà énervé, notre quatrième homme, du genre : « Ah non ! pas quatrième ! troisième, je vous ai dit. Et France Inter, c’est rien que radio Sarko. » Ça doit mal capter dans le Béarn, à moins qu’il ne confonde Daniel Mermet et Jean-Pierre Elkabbach.

Seulement, rien n’explique pourquoi François Bayrou a tenu à ce point à se farcir quelqu’un. Ses penchants ne sont pas là – c’est à Henri IV qu’il a consacré une (très belle) biographie, pas à Henri III. Rien, sinon la simple idée de provoquer le scandale quelques jours avant l’élection. Il est coutumier du fait. À Strasbourg déjà, en 2002, il avait taloché un gamin qui tentait de lui faire les poches. Les mauvais esprits constateront – et après ils iront à confesse pour avoir éprouvé d’aussi sordides pensées – que, contrairement à Cohn-Bendit, François Bayrou, lui, ne touche pas les gosses, il les baffe.

Ce qu’il a fait, jeudi soir, chez Arlette Chabot, est du même ordre. Sauf que cette fois-ci personne ne lui faisait subrepticement les poches et que le coup était prémédité. Chacun a les attentats de l’Observatoire qu’il peut.

Et l’attentat de l’Observatoire est bien le fond de la question. Il n’y a, en réalité, en France que deux derniers mitterrandiens stricto sensu. Le premier, c’est Nicolas Sarkozy, qui rejoue depuis son élection le Mitterrand de la fin des années 1980, celui qui pratique la politique d’ouverture, s’entend comme larron en foire avec Jack Lang tout en tenant Le Prince de Machiavel comme un mode d’emploi assez rigoureux de la chose publique. Et puis il y a François Bayrou, qui joue à Mitterrand. Mais à celui de 1959, qui fait feu de tout bois pour braquer sur lui les feux de la rampe et regagner sa place dans l’opinion.

Daniel Cohn-Bendit a eu raison de railler « l’omni-opposant » et « l’omni-président ». Il touche du doigt ce que René Girard – qu’il me pardonne s’il me lit – qualifierait de rivalité mimétique : entre Bayrou et Sarkozy, il n’y a aucune différence idéologique. Le problème est d’un autre ordre : ils ont le même modèle en politique. Et cela suffit à expliquer qu’ils ne sont pas adversaires, mais, au sens propre, ennemis.

En attendant, ce débat télévisé, mal parti dès lors que Bayrou le ramenait au niveau du caniveau, aura épargné aux téléspectateurs de parler des questions européennes. À commencer par la question institutionnelle : quand Olivier Besancenot regrette que la règle de l’unanimité prévale, on se dit que ce type aurait mieux fait de lire le Traité constitutionnel au lieu de voter contre… On se dit que Martine Aubry est bonne fille de rappeler à notre mémoire la directive temps de travail, sans toutefois aller jusqu’à se souvenir que ce sont ses amis travaillistes britanniques qui l’ont fait capoter. On se dit que la vie serait si simple et l’Europe si facile à construire s’il n’y avait pas, sur le reste du continent, ces foutus étrangers.

Divers gauche, divers droite et divers divers

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Le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, est formel : quel que soit le résultat du vote de dimanche, il y a fort peu de candidats d’origine allogène sur les listes pour les européennes et il y en aura encore moins parmi les élus. Et comme le CRAN ne parle pas dans le vide, il a compté les Noirs, les Arabes et les Asiatiques ou plus précisément, ceux dont le « ressenti d’appartenance » laisse penser qu’ils sont noirs, arabes ou asiatiques. En effet, le communiqué fait état « d’une étude basée sur le « ressenti d’appartenance », c’est-à-dire sur les Français ressentis comme noirs, arabo-maghrébins ou asiatiques » et qui porte sur 69 candidats. S’agit-il de listes ou de candidats ? Et est-il question « du ressenti » des intéressés ou de celui des autres ? Ce n’est pas très clair. On pourrait chipoter sur le caractère scientifique de l’étude, mais c’est pas notre genre. Intéressons-nous donc aux résultats : 45 candidats divers au total pour les six listes principales, mais seulement 5 ou 6 qui ont des chances de siéger à Strasbourg, sur les 72 Français que compte l’Europarlement. Ce qui nous donnerait, nous aussi on sait compter, 8 % de divers parmi les élus.

Il paraît qu’on peut et qu’on doit mieux faire. Seulement, le CRAN se garde bien de nous dire quel est l’objectif à atteindre. À partir de quel pourcentage de divers pourra-t-on déclarer qu’il a été mis « un terme aux pratiques discriminatoires auxquelles ont recours, consciemment ou inconsciemment, les partis politiques dans le choix de leurs candidats aux élections, et en particulier des candidats en position éligible » ? Dans cet esprit de comptage ethnique, l’extrême droite pourrait s’émouvoir de la sous-représentation des Français de souche dans la liste antisioniste – quoi qu’elle-même y soit fort bien représentée. Peut-être bien qu’un combat impérieux contre un ennemi puissant est de nature à faire taire les divergences entre divers et non divers.

Quoi qu’il en soit, il ne faut donc pas croire ce que l’on voit : Harlem, Rachida et Dieudonné ne sont que les arbrisseaux qui cachent la forêt des préjugés enracinés. C’est mal.

Reste à savoir comment on pourrait pallier cette ignoble béance démocratique. Depuis quelques années, une solution magique existe, qui a l’insigne avantage de plaire d’ordinaire au chef de l’Etat : l’instauration de quotas. Mais là, problème : il y a déjà un quota de femmes aux européennes (comme d’ailleurs aux municipales et aux régionales) depuis l’invention des listes chabada : il faudrait donc démanteler cette mixité forcée pour garantir l’accès des issus de la diversité à l’hémicycle de Strasbourg ou, ce qui deviendrait très compliqué, la doubler par des exigences ethniques. Après une enquête approfondie de vos serviteurs, il s’avère que le CRAF (Conseil Représentatif des Associations Féministes) est plutôt hostile à cette solution, qui, en revanche, est accueillie assez favorablement au CRAI (Conseil Représentatif des Associations Intégristes). En revanche, toujours aucune réaction du côté du CRAA, le très discret mais influent Conseil Représentatif des Associations Abstentionnistes. Il est vrai que cette dernière organisation n’entretient pas de bons rapports avec le CRAN, dans la mesure où elle préconise ouvertement la reconnaissance du vote blanc. Quant au CRIF, il préfèrerait qu’on l’oublie un peu.

Mais Patrick Lozès ne rigole pas. Le patron du CRAN n’est pas du genre à critiquer pour critiquer, il a des vraies solutions et demande au président de la République de « prendre rapidement des mesures fortes » pour les mettre en œuvre. Pour commencer, il propose à tous les partis politiques de signer une Charte de la diversité en politique. Bon, une Charte, on en a vu d’autres, la plupart du temps ça n’engage à rien, c’est plutôt une déclaration de bonnes intentions. Sauf que pour déjouer l’hypocrisie régnante, le CRAN suggère que seuls les partis qui auront accepté de signer et qui satisferont aux « exigences minimales en matière de diversité » puissent bénéficier du remboursement de leurs dépenses électorales. Pour le CRAN, c’est à cette condition qu’on pourra enfin croire que les responsables politiques « militent activement pour la diversité ». On avait déjà vus les partis chasser la femme. Ils vont bientôt pouvoir se disputer la prime au Noir, à l’Arabe et à l’Asiatique – qui lui, n’a rien demandé.

La France ne fera pas la vassale

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Le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères a fait, vendredi 6 mai la déclaration suivante lors du point de presse quotidien du Quai d’Orsay : « Le gouvernement français salue la haute tenue du discours prononcé à l’Université du Caire par le président des Etats-Unis, M. Barack Obama. Il prend acte, avec satisfaction des très nombreux points de convergences entre les positions de la France et des Etats-Unis sur les problèmes abordés, notamment, au sujet du conflit israélo-arabe. Les autorités françaises s’étonnent néanmoins des propos de M. Obama relatifs à la législation française sur le port du voile islamique dans les établissements scolaires[1. It is important for western countries to avoid impeding Muslim citizens from practicing religion as they see fit- for instance, by dictating what clothes a Muslim woman should wear. We cannot disguise hostility towards any religion behind the pretense of liberalism.]. Ils constituent une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de la République Française. M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis en France pour lui faire part de la préoccupation du président de la République et du premier ministre de voir les excellentes relations entre nos deux pays troublées par des propos inappropriés. »
Même pas cap’, Bernard ! C’est plus fastoche de se payer Bibi Netanyahou sur Jérusalem avec un vieux papier datant de François 1er comme ordonnance d’expulsion.

American Hidjab

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À trois reprises dans son discours à l’Université du Caire, le Président Barack Obama a donc dénoncé les pays qui, en Occident, jugent indésirable le port du voile islamique dans certaines circonstances de leur vie sociale. Cela m’inspire deux réflexions.

Qu’ils soient dirigés par Obama, Bush, Clinton ou un autre, les Etats-Unis ne changent pas : ils placent le respect des religions – au sens large du terme – au dessus de toute autre considération. Le 11 septembre a été d’autant plus mal ressenti aux Etats-Unis que ce pays est loin d’être le plus mécréant de la Terre. Sur le dollar est inscrit « In God we trust » ; le président prête serment sur la Bible ; chaque campagne présidentielle est un concours de foi chrétienne. Et les Américains de se poser la question : pourquoi nous ? Nous, qui avons armé jusqu’aux dents les islamistes de tout poil, nous qui les avons aidés à bouter les Infidèles russes hors d’Afghanistan, nous qui avions mis la pâtée au mécréant Saddam et qui avions déjà les plans pour une prochaine invasion de l’Irak[1. Qui eut lieu aussi, comme chacun sait.]. Trop injuste ! C’est pourquoi une expédition punitive fut organisée pour pourchasser Oussama Bin Laden avec lequel la CIA entretenait de solides relations depuis la guerre russo-afghane.

En matière de rapports entre religions et politique, la France et sa conception laïque ne sont pas comprises par le monde anglo-saxon. Interdire le voile à l’Ecole, c’est absolument contraire à toute la tradition d’un Américain. Même dans sa lutte contre les sectes, la France s’est souvent vue mise à l’index par les autorités américaines qui n’ont jamais goûté la manière dont l’Eglise de scientologie, organisation on ne peut plus respectable pour Washington, est traitée chez nous.

Mais il n’aura échappé à personne que notre pays est aujourd’hui dirigé par un homme qui ne cache pas son admiration pour le Modèle américain. Tout d’abord, il a souvent expliqué en quoi la laïcité française lui semblait rigoriste et qu’il convenait de la « positiver ». C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il prévoyait un échec cinglant de la loi de 2003 proscrivant les signes religieux à l’école dont il s’est ostensiblement démarqué[2. Aujourd’hui, il ne la remettra pas en cause sans une condamnation de l’opinion en général et de son électorat en particulier. Car cette loi est incontestablement un succès.].

C’est aussi dans cet « esprit d’ouverture » qu’il prononça des discours à Latran et à Riyad qui, effectivement, se situent davantage dans la tradition anglo-saxonne de confusion entre vie privée et vie publique que dans celle, française, de séparation stricte entre les deux. Il a également entamé le « retour dans la famille occidentale[3. Ce sont les mots employés par le président lui-même.] » par le geste fort symbolique de retour dans les structures intégrées de l’OTAN. On a souvent eu tort de limiter cette décision aux thèmes de la Défense et de Diplomatie. Elle recouvrait dans son esprit davantage : une adhésion culturelle au concept d’occidentalisme. C’est une manière pour Nicolas Sarkozy d’en finir avec l’originalité de la France, une originalité qu’il a toujours tenue pour vieillotte, ringarde, anachronique, que sais-je encore.

Je n’en veux pas à Barack Obama. Il est le président des Etats-Unis et il continue imperturbablement la politique de son pays, avec des moyens beaucoup moins balourds que son prédécesseur. Il se voit en chef de l’Occident et se conduit comme tel. Je suis davantage en colère après le chef d’Etat de mon pays, qui tourne le dos à son Histoire, à son originalité, à son indépendance.

Epuisants voyageurs

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Le festival Etonnants voyageurs vient de se terminer, ouf : j’en ai marre des aventuriers. Je veux dire ceux qui ont ouvert boutique aventuriers, comme Berl disait de certains qu’ils ont ouvert boutique écrivains (vérifiez l’axiome : ça marche toujours). Partant du principe que les gens heureux sont cachés, que les grandes douleurs sont muettes, etc, les véritables aventuriers disent-ils qu’ils sont aventuriers ? N’y a t-il pas là posture, et même imposture ? La recherche de l’authentique, du sauvage et du bel inviolé dans ce monde-terrible-factice-et pollué n’est elle pas au fond éminemment… banale ?

Première hypothèse : l’aventurier qui part en quête du sauvage, des territoires vides et inconfortables – la toundra sur les genoux ou la muraille de Chine à tricycle – ne serait que l’exact symétrique du touriste occidental de base, honni (celui qui voyage en groupe dans les hôtels immenses, qui visite les sites balisés, consomme) et auquel il prétend s’opposer. Club Med, marche solitaire dans la steppe, même combat, et surtout, deux profils du même individu contemporain face au tourisme. Tous deux se déplacent sur le globe, sac à dos (peut-être pas de la même marque) pour connaître leur propre géographie… individuelle. Ils ne partent pas pour s’oublier, mais pour se retrouver. Tous deux sont en cela parfaitement post-modernes… et autocentrés.

D’où la seconde hypothèse : le voyageur aventurier incarnerait le stade ultime, l’aboutissement logique du touriste occidental de base. Ne sommes nous pas déjà tous déjà en quête d’authenticité, ce pléonasme vivant ? Rappelez vous ce merveilleux dessin de Sempé : le bourgeois des années cinquante roule en belle voiture rutilante tandis que son voisin, le modeste employé pédale sur son petit vélo, le regard plein d’envie. Dix ans plus tard, il s’est enfin offert la voiture de ses rêves, mais las !, le voilà coincé dans les embouteillages avec tous ses semblables, tandis que le grand bourgeois se faufile à vélo hollandais… L’aventurier est donc au touriste occidental de base ce que l’homo sapiens est à l’homme de Néandertal : sa version perfectionnée (dont le stade intermédiaire de l’évolution serait le lecteur du Guide du routard : encore un pied dans le circuit, un autre dans la posture).

Allons plus loin – et achevons de nous brouiller définitivement avec les beaux voyageurs ténébreux (ils le sont souvent) : ce besoin d’aller loin pour se retrouver et se distinguer des autres hommes (depuis Rousseau, on connaît la chanson) cache encore autre chose. Si c’était la fuite du vide, la fameuse « agitation » dénoncée par Pascal ? Kant n’a jamais quitté sa maison de Königsberg, Jane Austen n’est guère allée plus loin que la Pump room de Bath, Proust a observé un microcosme dans le périmètre Paris-Cabourg : et par leur lunette apparemment étroite, ils ont accédé à l’universel.

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L’anti-sarkozysme, voilà l’ennemi ?

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Dans la description de la situation française contemporaine, la plus grande partie des auteurs de Causeur a régulièrement recours, implicitement ou explicitement, à deux hypothèses fondamentales qu’ils tiennent souvent pour deux évidences. Pourtant, ces deux hypothèses me semblent fausses.

Hypothèse alpha : L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires.
Hypothèse beta : Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche.

Examinons l’hypothèse alpha : « L’humanité se partage en deux camps politico-existentiels antagonistes : les Binaires et les Non-Binaires. » J’ai en commun avec les autres collaborateurs de Causeur un accord de principe concernant l’amour du Non-Binaire et le désir de combattre la bêtise binaire, la tentation de réduire la complexité du monde à l’affrontement d’un « camp du Bien » et d’un « camp du Mal ». Cependant, l’hypothèse alpha est en contradiction évidente avec l’amour du Non-Binaire proclamé très sincèrement par les collaborateurs de Causeur (et c’est la raison pour laquelle nombre d’entre eux sont mes amis). L’hypothèse alpha reconduit, aussi paradoxalement qu’indubitablement, la division manichéenne du monde entre camp du Bien et camp du Mal. Le camp du Bien, « c’est nous », ce sont les Non-Binaires. Le camp du Mal, « c’est les autres », ce sont ces salopards de Binaires !

Si je ne partage pas l’hypothèse alpha, c’est précisément parce que je suis attaché à la complexité du réel. Parce que je sais que la tentation manichéenne et moralisatrice est présente dans tout être humain (et je suis l’un d’entre eux). Il est également vrai que le vice binaire est devenu chez certains hommes une habitude tenace. Pourtant, son règne dans un cœur humain n’est sans doute jamais absolu – dans les pires des cas, il ne l’est qu’en apparence, pour les yeux et les oreilles des autres. La division manichéenne du monde me semble seulement un signe du manque d’amour vrai et incarné – amour des autres hommes et amour véritable de soi, c’est tout un. Le paradis est bien le lieu désigné par le merveilleux, l’inoubliable starets Zossima des Frères Karamazov, le lieu où je suis libéré de l’obsession stérile et médiocre de mes propres péchés en acceptant de recevoir soudain sur mes épaules ceux de tous les hommes, cessant de haïr les autres pour leurs péchés et reconnaissant au fond de mon cœur que je suis probablement capable, les circonstances aidant, de commettre à peu près n’importe quel péché commis par les autres. Cette reconnaissance du Commun, de l’humain Commun, retire soudain aux péchés leur qualité intrinsèque, qui est de séparer les hommes entre eux et, après un écrasement intérieur infini, ouvre la possibilité d’un pardon lui aussi infini – bien que toujours interminable.

Considérons maintenant l’hypothèse beta : « Les Binaires, ce sont les anti-sarkozystes. Les Binaires, c’est la gauche. » Comme je l’avais signalé dès ma première intervention dans Causeur, dont j’ai regretté qu’elle ait suscité aussi peu de débat, rien ne me paraît plus absurde que de prétendre attribuer à une appartenance politique quelle qu’elle soit des vices qui lui seraient propres, fatals, intrinsèques, des vices mécaniques. Les Causeurs auront beau trompéter sur tous les tons le contraire, je demeurerai formel sur un point : la gauche n’a pas le monopole du binaire. Pas davantage que la droite n’a le monopole du réel, du bon sens et de l’âge adulte. Les rues sont remplies de Binaires de droite et de Binaires de gauche, les métros regorgent de Binaires sarkozystes et de Binaires anti-sarkozystes. Les campagnes débordent d’Anti-Binaires de droite et d’Anti-Binaires de gauche. Et bientôt nos plages seront envahies à proportions rigoureusement égales par des Anti-Binaires sarkozystes et des Anti-Binaires anti-sarkozystes.

Forts de l’hypothèse alpha et de l’hypothèse beta, de nombreux collaborateurs de Causeur se sont lancés dans une prétendue chasse au Binaire qui est en réalité une chasse à l’anti-sarkozyste ou au gauchiste. Dans l’art rhétorique de nombre de Causeurs, la reductio ad binarium finit par jouer exactement le même rôle que la reductio ad Hitlerum chez les crétins anti-fascistes. A la moindre critique contre le toujours-déjà oubliable Sarkozy, l’accusation de « conformisme » et de binarité congénitale tombe comme un couperet sur la discussion, rejetant aux oubliettes la seule question qui vaille, qui n’est pas celle de savoir si cette critique est partagée par peu ou par beaucoup, mais si elle est véridique et légitime ou non. Il arrive aussi souvent que la reductio ad binarium soit remplacée ou complétée par une reductio ad sinistrum tout aussi rhétorique. Dans mon latin d’opérette, cette expression désigne le fait de jeter à la face de l’ennemi, sans la moindre conformité avec la réalité mais simplement parce qu’il n’est pas d’accord avec vous, qu’il n’a pas d’humour. Cette opération équivaut elle aussi à une reductio ad Hitlerum, puisque, par les temps qui courent, « ne pas avoir d’humour » est presque aussi infâmant qu’être nazi sur trois générations.