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Daniel Cordier, la Résistance à voix basse

Caracalla ! C’est sous ce nom que Roger Vailland, dans son roman Drôle de jeu, masque l’un de ses amis, Daniel Cordier. Né à Bordeaux, en 1920, celui-ci rencontra Jean Moulin, et le cours de sa vie en fut bouleversé. Le premier volume de ses mémoires, Alias Caracalla, vient de paraître. On est à mille lieux des témoignages à mâchoire serrée, des humeurs d’ancien combattant moralisateur. En hôte d’une ancienne politesse, il nous ouvre les portes de sa mémoire et retrouve, pour nous accompagner dans cet « immense édifice », la grâce d’un « adolescent d’autrefois », féru d’idées et de littérature.

Le récit porte sur sa période de « formation », c’est-à-dire le temps précédent sa rencontre avec Jean Moulin, puis sur celle de sa « conversion » auprès de ce guerrier silencieux. Où l’on voit comment un grand jeune homme d’Action française fut attiré par la lumière qu’irradiait Jean Moulin, comment il le servit et, avec lui, de Gaulle et la France. Daniel Cordier avait consacré une véritable somme à l’action de Jean Moulin. Toute sa « manière » était d’un historien, il exposait les faits, analysait les situations, reformait la perspective des lignes fuyantes. Il révélait les affrontements souvent très durs, les conflits d’analyses et de personnalités, et fracassait ainsi le mythe d’une Résistance unie. Et, surtout, il répondait aux accusations d’Henri Fresnay, d’après lesquelles Jean Moulin était le représentant du parti communiste dans la Résistance, l’agent actif de Moscou, le stipendié tout à la fois de Staline et des vieux partis de la IIIe République.

Alias Caracalla n’est pas écrit avec la même encre. C’est de mémoire qu’il s’agit ici, de l’effort que font les âmes claires pour ramener vers elles l’immense filet où sont mêlées les émotions lointaines mais toujours vives.

Le beau-père de Daniel, professeur de philosophie, l’initie au maurrassisme et lui enseigne en même temps les quatre piliers de sa sagesse : dégoût de la République, de la banque protestante, des métèques et des juifs. Ce bagage encombrant fut commun à bien des jeunes gens de l’entre-deux guerres. Il conduisit certains à collaborer, il n’empêcha pas d’autres de résister. Le jeune Cordier se persuade sans état d’âme que Dreyfus est coupable. Il crie « Vive le Roi » dans les manifestations, mais voit sans déplaisir les trois « usurpateurs » à vocation fasciste, Salazar, Franco et Mussolini, s’installer durablement dans le paysage européen. Maurras vilipende l’hédonisme et la célébration du moi, mais Daniel ne s’interdit pas de lire André Gide, dont « l’amoralisme d’esthète » le séduit au delà de tout, et ne le dissuade évidemment pas d’éprouver un trouble presque brutal dans la compagnie des garçons, ni d’envisager des fiançailles avec une charmante jeune fille…

Arrive la guerre. Il la voit comme une épreuve nécessaire, un rite d’initiation qui transforme un jeune adulte en citoyen. Révolté par le discours du maréchal Pétain, le 17 juin 1940, il embarque, le 21 juin, à Bayonne, à bord du Léopold II, vers Londres. En Angleterre, il suit une dure préparation militaire. Jeune nationaliste, il a la tête épique, le patriotisme à fleur de peau et veut connaître le feu. Il rêve d’affrontements dans les paysages de France, de commando infiltré derrière les lignes ennemies, enfin, de bouter le « Boche » hors du royaume. Convoqué par le colonel Passy, le 13 juillet 1941, il apprend qu’on lui confie des missions d’un genre très différent : « La guerre clandestine que nous menons en métropole n’est pas celle pour laquelle vous avez été préparé. Elle se vit seul et sans uniforme. […] la police et la Gestapo vous traqueront jour et nuit. […] votre mission aggrave l’isolement puisque vous serez en exil dans votre pays. » On lui remet une ampoule de cyanure, dans le cas où il serait arrêté… Il a 21 ans.

Le 25 juillet 1942, vers 2 heures du matin, il saute en parachute quelque part dans la campagne de Montluçon. Il n’a pas touché terre, qu’il est déjà pris en charge par un réseau : des filles, des garçons banals, des couples paisibles, des gens ordinaires, tranquillement héroïques. Trente mille personnes au début, trois cent mille à la fin, trente mille morts, cent mille emprisonnés composent le peuple obscur, la minorité vigilante de la France fidèle à tous les serments qui l’ont rendue unique, universelle, et qu’on oublie injustement…

Quelques jours après, il est à Lyon, recueilli par le directeur du service étranger de la Société générale, M. Moret, sa femme et sa fille, à la taille si bien prise que Caracalla en est ému. Contraints d’abandonner leur bel appartement du boulevard Malesherbes, à Paris, ils vivent dans un deux-pièces sans confort, et n’oublient pas, ces grands bourgeois, d’être patriotes et de courir des risques. La France fidèle…

On lui a désigné son patron : Georges Bidault, dont il doit devenir le secrétaire. Mais voici que s’avance Rex, en veste de tweed, pantalon de flanelle, et le visage hâlé, si charmeur. De Rex, il ne connaîtra l’état civil qu’à la Libération : Jean Moulin. Auprès de lui, il accomplira chaque jour les menus faits et gestes qui permettent la circulation des hommes, des ordres et des fonds jusqu’au plus lointain maquis, malgré les innombrables difficultés, malgré l’hostilité de presque tous à de Gaulle.

Rex disposait du pouvoir de l’argent, qu’il distribuait aux trois principaux réseaux : la plus grosse part à Combat, une moindre portion à Libération, et le reste à Franc-Tireur. C’était d’ailleurs son unique sceptre, car son autorité était âprement combattue. L’entreprise d’unification des forces tient du travail herculéen, et le contraint, lui et Cordier, à une routine harassante, où l’on s’en remet souvent à « l’imprudence et à la chance ». Pour mieux comprendre l’extravagante entreprise que représente l’Armée secrète, il suffit d’évoquer la première conversation entre ces deux hommes. Cela se passe dans un restaurant de Lyon, le 13 juillet 1942. Le chef de « l’armée des ombres » n’en impose pas seulement par l’âge (43 ans ; les légionnaires gaullistes avaient entre 18 et, comme Raymond Aron que Cordier a bien connu à Londres, 35 ans), mais aussi par l’aspect : le regard perçant, les lèvres pleines, le beau visage immortalisé par la fameuse photographie de Marcel Bernard (hiver 1940). Avec cela, des attitudes de félin guettant non sa proie mais ses chasseurs : la séduction masculine incarnée ! Face à lui, notre jeune homme est d’Action française, antisémite, il vitupère la « gueuse », fréquentait naguère les banquets où éructaient Philippe Henriot et Darquier de Pellepoix ! Moulin, toujours à voix basse, lui oppose son enfance républicaine, évoque l’affaire d’un certain capitaine condamné à tort pour haute trahison, sa fierté d’avoir assister à sa réhabilitation. Notre maurrassien écoute, et pense à part lui : « C’est curieux, il n’a pas l’air de savoir que Dreyfus est un traître ! » Peut-on imaginer plus différents que ces deux là, en cet été lyonnais torride, dans une France si occupée ? Quel génie malicieux souffla son inspiration au roi des Ombres ? Après le dîner, avant de disparaître dans la nuit, Jean Moulin, pressé, déclare : « Je vous garde avec moi : vous serez mon secrétaire. Bonsoir. »

L’intérêt du livre ne tient pas seulement au magnétisme de Rex. On y trouvera la chronique minutieuse des heures et des jours de la Résistance, la rude besogne quotidienne ; agir en tout avec une méfiance de chat, espérer, se désoler au gré des informations, des humeurs. De Gaulle pourra-t-il maintenir sa « légitimité républicaine », contre Fresnay et d’Astier-de-la-Vigerie (plein d’une morgue déplaisante) ? Au passage, Caracalla balaye les médisances : Jean Moulin naquit républicain par son père, artiste par sa mère, devint gaulliste par conviction, et demeura hétérosexuel par nature. C’est Henri Fresnay qui fit courir la rumeur de l’homosexualité de Jean Moulin, se fondant sur celle, assumée, de Daniel Cordier. Au reste, homo, nul ne lui en eût tenu rigueur. En revanche, il ne lui sera pas pardonné d’avoir été gaulliste…

Daniel Cordier nous livre le « récit secret » de la puissante séduction qu’exerça sur lui un « homme pour l’éternité », auprès duquel il accepta la modestie du courage dissimulé. Voici ce que fut la guerre souterraine : le sentiment de vivre, la routine du courage simple et organisé, et, au final, la suprême élégance d’un seigneur de la République, trahi, martyrisé, son beau visage abominablement déformé sous les coups, les poumons noyés de sang, puis consentant à une longue agonie mutique. Jusqu’à ce funeste 22 juin 1943, où, par l’un de ses « correspondants », sur le quai de la station de métro Saint-Michel, il apprit que Rex avait été arrêté.

Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, lorsqu’il évoque cette tragédie, des larmes viennent brouiller les traits pourtant pacifiés du secrétaire Caracalla.

En amour, faut jouer serré !

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Alors que nos journaux conjecturent en boucle sur les conséquences des élections européennes et s’interrogent à n’en plus finir sur l’avenir de Martine Aubry ou de François Bayrou, les Américains, eux, se posent de vraies questions intéressantes sur l’actu. Nos confrères de Slate reviennent sur le récent décès de David Carradine et posent la question qui tue : existe-t-il un moyen sur de pratiquer l’AAE (Auto-asphyxie érotique). Hélas, la réponse est non. Aucun praticien patenté ne pense que ce soit une bonne chose que de réduire brutalement la quantité de sang et donc d’oxygène qui arrive dans le cerveau. Néanmoins, si c’est vraiment votre truc Slate suggère une solution de repli : jouez-y plutôt avec un partenaire, expérimenté de préférence, et convenez auparavant d’un signal d’alerte qui signifie « fini de jouer, relâche le nœud ! ». On évitera aussi, précise Slate – avec un sens du détail qui honorerait la presse française –, de ne pas prendre d’alcool ou de drogue durant ce genre d’exercice. Dernier conseil pour les amateurs, même quand toutes les précautions sont prises : ne serrez pas trop fort… Et on est prié de ne pas rigoler trop fort : le FBI estime qu’aux USA, le nombre de décès annuel dûs à l’AAE se chiffre entre 500 et 1 000.

Pas de divine surprise pour le Hezbollah

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Est-ce parce que le scrutin avait lieu un dimanche ? En tout cas, le 7 juin, le Hezbollah n’a pas bénéficié d’une intervention divine : la majorité sortante, anti-syrienne et pro-occidentale (c’est-à-dire anti-Hezbollah et anti-iranienne), a été reconduite. Compte tenu des efforts déployés par le parti chiite ces dernières années pour s’emparer du pouvoir et notamment sa stratégie coûteuse de résistance contre Israël, il ne s’agit pas d’un « non succès » mais carrément d’un échec.

Pour essayer de comprendre le vote libanais, un petit détour par la presse économique du pays du Cèdre n’est pas inutile. On pouvait y lire ces dernières semaines que durant les quatre premiers mois de 2009, un total de 8 671 nouvelles voitures ont été vendues, soit une hausse de 6,21 % par rapport à la même période en 2008. Et le boom ne s’arrête pas aux bagnoles : les données publiées par les autorités portuaires de Beyrouth indiquent que les revenus du port pour les quatre premiers mois de 2009 ont enregistré une hausse de 34 % par rapport à la même période de 2008. Inutile de rappeler que partout ailleurs dans le monde, la tendance est à l’opposé. Grâce à cette activité accrue, le gouvernement libanais a récemment décidé de relancer de l’expansion du port de Tripoli, le deuxième du pays, gelée depuis deux ans. Bref, trois ans après la guerre avec Israël, l’économie du pays semble avoir retrouvé son dynamisme et une majorité des libanais en ont tiré les conséquences politiques : le vote de dimanche est d’abord un vote pour la stabilité et la prospérité.

La stratégie de résistance du Hezbollah a donc atteint ses limites. La lutte armée contre Israël était un formidable moyen de mobilisation et un alibi parfait pour construire et maintenir une milice dont on pouvait aussi se servir sans états d’âme contre « l’ennemi de l’intérieur », comme l’avait fait le Hezbollah l’année dernière. Cette stratégie a aussi permis au mouvement chiite de forger une alliance avec Damas et Téhéran, aussi bien qu’avec l’opposition palestinienne la plus intransigeante. Enfin, Nassrallah, chef du Hezbollah, a pu, en tirant sur cette corde facile à actionner, galvaniser une partie de l’opinion publique musulmane au Moyen-Orient – ainsi que certaines de nos banlieues.

Pour autant, la guerre de l’été 2006, qui semblait alors marquer l’apogée du mouvement chiite et de son leader, apparaît de plus en plus comme une erreur stratégique majeure. La résistance est peut-être une stratégie efficace d’opposition mais elle pose de sérieux problèmes quand on prétend former une majorité de gouvernement.

Le Hezbollah, mouvement libanais authentique, joue un rôle historique important au Liban, car il a opéré l’ajustement du système politique aux réalités démographiques. Il n’est pas inutile de rappeler que les Libanais votent par communauté et que les Chiites ont droit à 27 des 127 sièges au Parlement, bien que leur poids réel dans la société soit deux voire trois fois plus important. En recrutant parmi l’électorat non chiite, il rétablit en quelque sorte un équilibre politique. Désormais, son véritable défi est de réussir sa transformation en acteur majeur de la politique libanaise, capable de garantir l’intérêt général et de rassurer l’ensemble du corps politique.

Nassrallah a démontré sa capacité de paralyser quelques jours durant le port de Haïfa, principal port israélien, ce qui constitue un énorme succès pour une milice issue de la communauté libanaise la plus pauvre. Ce haut fait d’armes a probablement été une source de fierté pour beaucoup de Libanais appartenant à d’autres communautés. Sauf que dimanche dernier, les électeurs libanais ont dit à Nassrallah que le port de Beyrouth les intéressait plus que celui de Haïfa.

Retrouvailles

Si, comme au Palais Bourbon, les nouveaux députés européens sont placés dans l’hémicycle par ordre alphabétique lors de la séance inaugurale, il pourrait se produire des rencontres improbables. Ainsi les heureux élus Dominique Baudis (UMP) et Jean-Paul Besset (Verts) risquent de passer quelques heures tout près l’un de l’autre, avant que la répartition des sièges par groupes politiques se mette en place. Ils pourront se parler du bon vieux temps, celui où le journaliste du Monde Jean-Paul Besset prêtait une oreille complaisante aux accusateurs de l’ancien maire de Toulouse Dominique Baudis et se faisait le relais, dans le journal de référence, des pires rumeurs véhiculées par des truands pervers et des prostituées mythomanes. Il est parfois compliqué de faire du passé table rase, même lorsqu’un rouge se repeint en vert…

Eva pas joli, joli…

Parmi les griefs informulés de François Bayrou contre Dany Cohn-Bendit, celui de lui avoir piqué l’ex-juge Eva Joly n’était pas pour rien dans son agressivité lors de la désormais fameuse émission « À vous de juger » du jeudi 4 juin sur France 2. La blonde norvégienne aux lunettes rouges était courtisée à la fois par le Modem et par les Verts pour figurer sur leur liste lors des élections européennes. Après avoir fait lanterner quelque temps ses soupirants, comme il se doit pour faire monter les enchères, elle choisit le rouquin et repoussa le Béarnais.

On ne spéculera pas sur les raisons de ce choix, dont les ressorts sont enfouis dans la conscience de l’intéressée, mais on pourra constater qu’il s’est révélé payant : sa visibilité dans le dispositif électoral des Verts et son élection en Ile de France en sont les preuves. Elle seule, par exemple, est apparue aux côtés des têtes de listes sur les affiches des Verts dans les huit circonscriptions électorales métropolitaines. Il n’est pas sûr que François Bayrou, qui tient le même rôle sur les affiches du Modem, lui eût galamment cédé la place ou proposé un billet assuré pour Strasbourg…

Dany Cohn-Bendit, maître d’œuvre de la captation et de la mise en scène d’Eva Joly au profit de sa formation politique s’est, tout au long de cette campagne européenne, révélé un maître tacticien. Après avoir rassemblé sous son autorité les « vedettes » médiatiques de l’écologie et du tiers-mondisme, il pousse en avant une personnalité susceptible de drainer les voix de ceux qui ont, à l’égard de la classe politique une méfiance instinctive.

Et rien n’est plus apte à attirer les clients qui braillent « Tous pourris ! » au Café du commerce sans pour autant se précipiter dans les bras du Front national, qu’un bon juge qui met au trou les puissants et les riches. C’est le populisme « soft », celui qui ne traîne pas avec lui des relents nauséabonds du siècle dernier, et vous permet d’être beauf sans cesser d’être bobo. Ce coup-là n’avait déjà pas mal réussi à Philippe de Villiers avec l’inclusion dans sa liste de feu le juge Thierry Jean-Pierre, l’homme de l’affaire Urba dans sa liste lors des européennes de 1994.

L’avantage, avec une personnalité de ce type, c’est qu’on ne va pas lui chercher des poux dans la tête, scruter sa biographie, explorer sa vie privée comme cela se pratique avec les hommes et femmes politiques classiques. Un(e) juge inspire encore de la crainte aux paparazzis et fouineurs médiatiques de tout poil, ne serait-ce parce qu’on lui prête des relations dans une corporation qui peut vous créer quelques désagréments….

Dans le cas particulier d’Eva Joly, on prendra d’autant plus de précautions que la dame est chicaneuse, et qu’elle n’hésite pas à traîner devant les tribunaux ceux qui mettent en cause ses qualités de magistrate anti-corruption. Ainsi, Philippe Cohen et Pierre Péan avaient émis l’hypothèse, dans leur livre La face cachée du Monde que notre juge était une « honorable correspondante » du journal Le Monde, balançant à tout va ce qui se passait dans son bureau au mépris de ce pauvre secret de l’instruction déjà bien malmené. Ces affirmations étaient fondées sur de troublantes coïncidences, relatives aux auditions de « clients » d’Eva Joly au pôle financier du tribunal de Paris et la publication quasi-simultanée dans Le Monde des procès-verbaux de ces auditions. Déboutée en première instance, Eva Joly l’emporta devant la Cour d’appel au motif que Péan et Cohen n’avaient pas effectué « d’enquête sérieuse » pour apporter la preuve de leurs accusations. Me trouvant dans les parages à l’époque des faits, et dans une position me permettant d’avoir quelques éléments d’appréciation de cette affaire, je peux aujourd’hui avancer qu’en la matière, Péan et Cohen étaient très probablement dans le vrai. Mais s’il advenait qu’Eva Joly me fasse l’honneur de me traîner devant la justice de mon pays pour ces propos, ce serait ma parole contre la sienne, car les récipiendaires des photocopies provenant de son cabinet se retrancheront derrière la « protection des sources » pour se taire.

Elle tenta, également, mais cette fois-ci sans succès de faire condamner Claude Chabrol qui avait retracé, dans son film L’ivresse du pouvoir les péripéties de l’affaire Elf, qui propulsa Eva Joly sur le devant de la scène judiciaire et médiatique. Dans cette fiction qui colle au réel comme un timbre sur une lettre, le rôle d’Eva Joly est interprété avec son talent habituel par Isabelle Huppert, et montre une juge en proie à de douloureux problèmes familiaux qui poursuit de sa vindicte implacable un dirigeant d’une grande entreprise sans le moindre souci d’équité que la loi impose au juge d’instruction. Instruire « à charge et à décharge », ce n’est pas la tasse de thé d’Eva Joly, lorsqu’on lui confie le sort de ces riches et puissants auxquels la justice s’intéresse. Il faut qu’ils craquent comme Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf, avec qui la détention provisoire est un moyen de pression pour lui faire avouer les délits dont il est accusé. Une méthode que les amis de Dany Cohn-Bendit ne manquent pas de fustiger lorsqu’il s’agit, par exemple, d’un présumé saboteur de TGV…

Par ailleurs, de l’avis général des « professionnels de la profession », elle a été une magistrate aussi nonchalante que médiatique. Elle n’hésita pas, par exemple, alors que l’affaire Elf dont elle était saisie était en pleine instruction, à déserter son cabinet pour effectuer, pendant six mois le stage prestigieux de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), réservé à d’éminentes personnalités de la société civile pour les mettre au parfum des questions militaires et stratégiques. Sa dispersion et sa présence forte dans les médias auraient contribué au bousillage de dossiers qui lui étaient confiés, grâce à quelques bourdes procédurales grossières qui auraient permis à quelques gros poissons d’échapper à leur juste châtiment. On murmure que Roland Dumas, qui fut un temps dans son collimateur, et qui sortit au bout du compte blanchi des procédures menées à son encontre, lui envoie des fleurs chaque année pour son anniversaire.

Peu importe, la belle histoire de la pauvre petite Norvégienne, fille d’ouvrier devenue jeune fille au pair à Paris dans les années 1960, épousant le fils de la famille et grimpant les échelons du mérite pour donner un coup de balai salvateur dans les écuries de la République, fait toujours recette dans les chaumières.

Votez pour vous, votez pour tous !

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Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La meilleure solution pour ne léser aucun candidat et pour ne se fâcher avec personne dans les dîners en ville, c’est bien évidemment de voter pour toutes les listes en présence !

Il faut bien sûr voter UMP si l’on fait partie de la majorité. Or il est indéniable que la majeure partie d’entre nous appartenons, par définition, à une majorité. Mais il faut aussi voter UMP si on sait compter, et qu’on n’a pas envie, par strict respect pour les lois de l’arithmétique, de voir ladite majorité hurler à la victoire totale dimanche soir avec seulement 25 ou 28 % des voix alors qu’elle était à 53% il y a deux ans. Je sais bien que tout est relatif, y compris en matière de majorité, mais de là à faire passer un petit quart pour une grosse moitié…

Il faut voter PS parce que Dominique Reynié a dit vendredi dans Libération que Martine Aubry n’avait pas de vrai projet européen et que Dominique Reynié se trompe toujours sur tout. En Ile-de-France, il faut encore plus qu’ailleurs voter PS parce que Benoit Hamon est mignon, qu’il n’a pas peur d’insulter les journalistes et qu’il supporte depuis deux mois l’envahissante vacuité d’Harlem Désir sans broncher : tout ça mérite quand même une récompense…

Il faut voter Modem pour circonvenir les anarchistes pédophiles allemands, même pas fichus de vousoyer le futur président de la République et d’acquiescer benoîtement quand il enfile contrevérité sur contrevérité. On notera au passage que si l’aplomb dans la mauvaise foi et la croyance inébranlable dans la répétition qui vaut raison signent l’homme d’Etat français, alors François Bayrou est presque aussi apte que Nicolas Sarkozy et même que Jacques Chirac

Il faut voter Europe-Ecologie parce qu’après avoir vu Yann Arthus Bertrand faire partout la promo de Home, son spot publicitaire pour PPR, on se dit que, finalement, Nicolas Hulot n’est pas si crétin que ça… Accessoirement, dans un élan de générosité intereuropéenne, c’est faire œuvre pie que de débarrasser les malheureux Norvégiens de la présence d’Eva Joly sur leur sol national.

Il faut voter Libertas et Philippe de Villiers, pour empêcher la Turquie de nous imposer ses kebabs graisseux, ses plombiers même pas polonais et ses lois contraires à la dignité humaine (Sait-on, par exemple que la Cour suprême de ce pays persiste à interdire le port du hidjab dans l’enceinte des universités !).

Il faut voter NPA pour ne pas désespérer Oberkampf. C’est déjà assez pénible pour un prof de collège lambda d’avoir loupé trois fois de suite le CAPES de Lettres modernes, si en plus on lui enlève la perspective de diriger la France, l’Europe et le Monde…

Il faut voter Front de gauche pour redonner son sel à l’anticommunisme primaire. Quand le PC est à 3%, l’homme de goût se retient de tirer sur une ambulance. Un PC à 7%, on peut recommencer à lui dire ses quatre vérités. Lui rappeler qu’il n’a même plus de communiste ni le bruit, ni l’odeur, que MGB et sa clique de charlots ne se posent pas vraiment là pour incarner le spectre qui hante l’Europe.

Il faut voter Front National parce que si son parti fait un bon score, ni rien ni personne n’empêchera Jean-Marie Le Pen de se représenter à présidentielle de 2012, où une fois de plus il sera le seul à incarner le changement véritable…

Il va de soi que cette liste de listes n’est pas exhaustive et que selon la région où vous vous trouvez, vous pourrez glisser de 11 à 27 bulletins dans la même enveloppe. Voilà, à mon avis, le meilleur moyen de faire prospérer notre démocratie, et qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce type de vote est carrément nul.

Yann Arthus-Bertrand, go Home !

Le photographe Yann Arthus-Bertrand est une créature médiatique singulièrement désagréable. Omniprésent dans les médias, YAB est l’authentique prêcheur écologiste qu’il manquait à la France. Un parfait supplétif moustachu du soldat Nicolas Hulot. Devenu multimillionnaire avec le succès mondial de son livre La terre vue du ciel (montrant la beauté supposée de notre planète scrutée depuis une flotte d’hélicoptères polluants), le photographe susurre dans tous les médias sa vieille rengaine apocalyptique. Il promet la fin proche de l’aventure terre, en appelant, avec dans la voix des trémolos imprégnés de religiosité, au respect aveugle de la déesse Gaïa et en faisant vibrer – sur fond d’une méfiance radicale envers la technique – la corde patrimoniale sensible : mais quelle « terre » allons-nous léguer à nos enfants ? Ben voyons ! Les enfants et l’environnement sont en effet en tête des valeurs suprêmes de notre modernité, qui sont mises quotidiennement en danger par ces ignobles industriels pollueurs, et voyous, qui ne pensent qu’à s’enrichir sans penser aux conséquences scélérates de leur enrichissement !

Avec cette vision binaire et manichéenne de l’environnement, appelant fermement à la « décroissance » (concept marketing appelé à un grand avenir comique), YAB rejoint d’autres illustres gourous du genre, dont l’ex-animateur vedette de TF1 Nicolas Hulot, et le politicien américain Al Gore, qui s’est signalé au monde il y a quelques années par un blockbuster documentaire sur le changement climatique intitulé Une vérité qui dérange. Et qui, naturellement, n’a dérangé absolument personne.

Dans cette glorieuse lignée de télévangélistes écolos, YAB se lance à son tour dans le cinéma. Déjà très présent sur les écrans, à travers des documentaires télévisés sur son travail de photographe, ou son émission de France 2 « Vu du ciel », YAB a tourné un long-métrage sur les périls insoutenables qui pèsent sur notre Sainte-planète : Home. Diffusé vendredi 5 juin sur France 2 ce chef d’œuvre bénéficie d’une promotion digne d’une grosse production hollywoodienne : sortant simultanément dans 126 pays, il sera massivement présent sur le territoire français à travers 200 copies. Home sera également diffusé par des centaines de chaînes de télévision, par la plate-forme Youtube, et bénéficiera de projections de prestige dont l’une sur le Champ de Mars à Paris et une autre à Central Park, New York. YAB a aussi reçu le soutien du Prince Charles et organisé une projection privée à l’Elysée pour Carla Bruni et son époux. Bref, le déferlement sauvage de moraline écolo sera impossible à contenir. YAB sera partout. La terre sera à YAB. Le photographe, à la moustache pleine de sagesse, pourra envelopper cette Gaïa qu’il aime tant de toute la sollicitude que son grand cœur plein de compassion est encore capable de déployer – après tant et tant de gesticulations médiatiques.

Pour financer ce film montrant… la terre vue du ciel, notre aventurier de l’indignation décroissante a fait alliance avec deux grandes consciences morales de ce siècle : François-Henri Pinault, patron du groupe industriel PPR, qui vient d’annoncer 1800 licenciements, et Luc Besson, le célèbre producteur de longs-métrages intellectuellement déficients axés sur la banlieue et les automobiles sportives. YAB ne pouvait pas trouver meilleurs partenaires pour soutenir un projet aussi riche de bons sentiments – et aussi authentiquement « moderne » par l’atrocité de sa diffusion globale, brutale, simultanée, panoptique, massive et torrentielle. La bonne conscience – que l’on appelle en ce cas mécénat – a un prix : pour le fils Pinault, l’addition se monte à 10 millions d’euros. YAB, qui a l’argent en horreur, comme tout bon religieux, ne touchera personnellement pas un seul centime sur la recette de ce film, qui sera reversée à sa fondation Good Planet. Ici l’euro ou le dollar relèvent de la monnaie de singe. L’écologie, à ce niveau de préoccupation délirante est devenue une obsession de super-riches. La monnaie qui a cours est la satisfaction morale. Inutile de demander des comptes ou d’entrer dans le détail du green business. Le film est mal foutu ? Peu importe. « Je vais vite parce que dans dix ans, si on ne fait rien, la planète sera foutue », explique YAB dans Le Monde… En vérité, il faudrait se demander si, à force d’user ainsi sur la corde verte, ce n’est pas l’écologie qui sera « foutue » dans une décennie ?

Le précédennt coup d’éclat de YAB était le projet « 6 milliards d’autres », réalisé sous l’égide de sa fondation Good Planet, et largement financé par la banque BNP…. Un documentaire télévisé « fleuve » dans lequel des tas de quidams anonymes venaient vomir à l’image leurs desiderata existentiels, personnels et désordonnés, dans la trame d’une vision humaniste « molle » convaincue que tous les hommes sont égaux en rêves. Ce qui reste à prouver. Le petit rêve intime de YAB – qui est déjà membre de l’Académie des Beaux-Arts – est certainement de rejoindre son ami Al Gore à l’Académie Nobel en tant que Prix Nobel de la paix photographique et de l’amitié écologique entre les nations, ou bien d’intégrer le vaste Panthéon de figures françaises morales et sacrées, où se serrent déjà le Commandant Cousteau, Sœur Emmanuelle, le Dr Haroun Tazieff, l’Abbé Pierre, le Professeur Schwarzenberg, Coluche, etc. Figures hétéroclites de la culpabilisation calibrée et de l’indignation marketée. Toute une génération d’humanitaires intermittents du spectacle…. Peut-être YAB caracolera t-il un jour en tête du classement des personnalités préférées des français, publié par le Journal du Dimanche ? Dans dix ans. Ou avant. Quand il sera usé d’annoncer une fin du monde qui ne vient pas, et ne viendra pas… comme certains autres disparaîtront corps et biens d’avoir trop attendu une insurrection de rêves et de théories.

YAB a 63 ans. Je n’irai pas jusqu’à lui souhaiter d’assister à la « fin du monde » dont il rêve depuis le cockpit de son hélicoptère polluant. Tant pis si ses prophéties prennent l’eau et s’il sombre dans le ridicule rétrospectif de son pessimisme écologique outré. Peut-être pourra-t-il abandonner cette incertaine posture religieuse d’écolovangéliste qui lui va si mal au teint et recommencer à faire ces extraordinaires portraits de paysans au Salon de l’agriculture, qui l’ont rendu célèbre, et que je ne passe pas un mois sans contempler.

YAB, par pitié, pose ton hélicoptère, et reviens sur terre, parmi nous ! Rien n’est plus déprimant que de voir un talent (un génie, soyons honnête…) mal employé.

Obama beach

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6juin

Il faut méconnaître totalement le répertoire de Michel Sardou pour ignorer que si les Américains n’avaient pas débarqué le 6 juin 1944 en Normandie, nous serions tous en Germanie. C’est ce que Barack Obama a, en substance, rappelé ce matin, en débarquant en France, accompagné de vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Un, deux, chantez : « Si les Ricains y z’étaient pas là… » Rompez. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

La France made in Sarko

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Même les plus distraits l’auront remarqué, Causeur, le mensuel, est un journal « différent ». Pendant ses dix premiers mois d’existence, il a réussi à prouver que cette différence pouvait être autre chose qu’un vœu pieux de lecteur ou un rêve éveillé d’auteur. Pendant dix mois, nous avons réussi à faire vivre un élégant et roboratif best of, adossé à un vrai site, fréquenté chaque mois par plus de 300 000 habitués[1. 306 000 visiteurs uniques au mois d’avril 2009, pour 2 176 000 pages vues, selon Médiamétrie-Netratings.]. Et puis soudain, en mai, Causeur est devenu encore plus différent : un vrai journal qui n’a même pas peur d’exister, sur 32 pages, avec une volée de textes inédits destinés à récompenser la fidélité de nos abonnés. Nous leur devions bien. C’est grâce à eux, donc grâce à vous que tout cela existe. Le mensuel – et aussi le site – vivent et vivront de plus en plus de vos abonnements. Et pour ne pas tourner autour du pot, ils n’existeront plus si cette ressource disparaissait. Pour vous, pour nous, cette différence est vitale. Faisons en sorte qu’elle soit viable. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

En exclusivité dans le numéro de juin :

Empaillons-nous, Folleville !, Elisabeth Lévy
Darcos de Macédoine, Raul Cazals
Coupat, billet de sortie, Jérôme Leroy et Bruno Maillé
Il faut sauver l’Opinel !, Luc Rosenzweig
Ecce homo, Cyril Bennasar
Moondog aboie, la caravane passe Jean-François Baum
Aimez-vous Dash ?, Jérôme Leroy
Sans histoire ?, Élisabeth Lévy
Comment peigner une girafe…, François Miclo

Bayrou la Taloche

François Bayrou est un garçon poli. Il ne met pas les coudes sur la table, s’encombre de mille préventions pour ne froisser personne et dispose d’une conversation dont la tenue est largement au-dessus de la moyenne. En politique, il pousse la politesse jusqu’à ne jamais briguer la première place. Etre le troisième homme, ça lui suffit. Même Poulidor, l’éternel second, ne savait pas cultiver autant de retenue.

Seulement, il ne faut pas lui en raconter à François Bayrou. Quand on lui dit qu’un olibrius se ramène pour lui piquer son job, il ne raisonne plus. Il dynamite, il ventile, il disperse façon puzzle. C’est ce qui est arrivé jeudi, sur le plateau de France 2, quand le Béarnais s’est retrouvé face à Daniel Cohn-Bendit : le leader écologiste n’a pas eu le temps de dire ouf que François Bayrou lui tapait dessus avec ses petits poings. Pas sur la tête, mais en dessous de la ceinture. Emoi dans Landerneau.

Le lendemain, la presse attendait un acte de contrition de cet homme qui fut un jour démocrate-chrétien. Rien. Pire, le patron du Modem récidive et annonce en substance que les pédophiles ne passeront pas. Et que même s’ils sont les vassaux de l’Elysée, il ira, lui, leur casser la gueule à la récré. Il est comme ça, François Bayrou. Chez un homme en colère, l’émotion, ça ne se contrôle pas.

Ça ne se contrôle peut-être pas, l’émotion. Mais ça se prépare. Déjà, on a devant soi le verbatim de l’altercation entre Nicolas Sarkozy et Daniel Cohn-Bendit devant le Parlement européen – c’est vrai que c’est un document qu’on garde toujours par-devers soi quand on est un Européen convaincu. Ensuite, on vient de finir de lire avant l’émission le bouquin de son adversaire – bouquin paru trente-quatre ans auparavant. Vous me direz : et alors ? on lit bien Montaigne plus de quatre cents ans après… Oui, sauf qu’aux dernières nouvelles Le Grand Bazar, ce n’est pas les Essais et José Bové n’est pas Etienne de La Boétie. Ce n’est pas qu’une question de physique. Le livre de Dany le Vert étant épuisé depuis belle lurette, il faut se lever matin pour le trouver et le ressortir de toute cette littérature vouée dès les premiers mois de sa parution à la disgrâce du pilon. Le chercher en bibliothèque, se le faire prêter par un ami qui ne se souvient décidément plus comment ce livre a pu se retrouver chez lui (« regarde, François, j’ai aussi du Raymond Barre… ») ou arpenter les quais de Seine pour le dénicher entre un fascicule du Programme commun et un exemplaire dédicacé de Ce que je crois, d’Edouard Balladur. Bref, faut vouloir, comme on dit chez Arlette Chabot.

Tout laisse donc accroire – à moins d’avoir vu la Vierge – que François Bayrou avait préparé son coup et qu’en arrivant à l’émission, il escomptait bien se farcir Cohn-Bendit, mais un Cohn-Bendit, ça a beau avoir les idées larges, ça ne se laisse pas farcir par le premier venu. Qu’importe. Bayrou était en forme, prêt à distribuer du rab de taloches et de mandales à qui en demanderait. Il faut dire que le matin, sur France Inter, Nicolas Demorand l’avait chauffé à bloc en lui apprenant le sondage du jour : les écologistes dépasseraient le 7 juin le Modem… Et il s’était déjà énervé, notre quatrième homme, du genre : « Ah non ! pas quatrième ! troisième, je vous ai dit. Et France Inter, c’est rien que radio Sarko. » Ça doit mal capter dans le Béarn, à moins qu’il ne confonde Daniel Mermet et Jean-Pierre Elkabbach.

Seulement, rien n’explique pourquoi François Bayrou a tenu à ce point à se farcir quelqu’un. Ses penchants ne sont pas là – c’est à Henri IV qu’il a consacré une (très belle) biographie, pas à Henri III. Rien, sinon la simple idée de provoquer le scandale quelques jours avant l’élection. Il est coutumier du fait. À Strasbourg déjà, en 2002, il avait taloché un gamin qui tentait de lui faire les poches. Les mauvais esprits constateront – et après ils iront à confesse pour avoir éprouvé d’aussi sordides pensées – que, contrairement à Cohn-Bendit, François Bayrou, lui, ne touche pas les gosses, il les baffe.

Ce qu’il a fait, jeudi soir, chez Arlette Chabot, est du même ordre. Sauf que cette fois-ci personne ne lui faisait subrepticement les poches et que le coup était prémédité. Chacun a les attentats de l’Observatoire qu’il peut.

Et l’attentat de l’Observatoire est bien le fond de la question. Il n’y a, en réalité, en France que deux derniers mitterrandiens stricto sensu. Le premier, c’est Nicolas Sarkozy, qui rejoue depuis son élection le Mitterrand de la fin des années 1980, celui qui pratique la politique d’ouverture, s’entend comme larron en foire avec Jack Lang tout en tenant Le Prince de Machiavel comme un mode d’emploi assez rigoureux de la chose publique. Et puis il y a François Bayrou, qui joue à Mitterrand. Mais à celui de 1959, qui fait feu de tout bois pour braquer sur lui les feux de la rampe et regagner sa place dans l’opinion.

Daniel Cohn-Bendit a eu raison de railler « l’omni-opposant » et « l’omni-président ». Il touche du doigt ce que René Girard – qu’il me pardonne s’il me lit – qualifierait de rivalité mimétique : entre Bayrou et Sarkozy, il n’y a aucune différence idéologique. Le problème est d’un autre ordre : ils ont le même modèle en politique. Et cela suffit à expliquer qu’ils ne sont pas adversaires, mais, au sens propre, ennemis.

En attendant, ce débat télévisé, mal parti dès lors que Bayrou le ramenait au niveau du caniveau, aura épargné aux téléspectateurs de parler des questions européennes. À commencer par la question institutionnelle : quand Olivier Besancenot regrette que la règle de l’unanimité prévale, on se dit que ce type aurait mieux fait de lire le Traité constitutionnel au lieu de voter contre… On se dit que Martine Aubry est bonne fille de rappeler à notre mémoire la directive temps de travail, sans toutefois aller jusqu’à se souvenir que ce sont ses amis travaillistes britanniques qui l’ont fait capoter. On se dit que la vie serait si simple et l’Europe si facile à construire s’il n’y avait pas, sur le reste du continent, ces foutus étrangers.

Daniel Cordier, la Résistance à voix basse

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Caracalla ! C’est sous ce nom que Roger Vailland, dans son roman Drôle de jeu, masque l’un de ses amis, Daniel Cordier. Né à Bordeaux, en 1920, celui-ci rencontra Jean Moulin, et le cours de sa vie en fut bouleversé. Le premier volume de ses mémoires, Alias Caracalla, vient de paraître. On est à mille lieux des témoignages à mâchoire serrée, des humeurs d’ancien combattant moralisateur. En hôte d’une ancienne politesse, il nous ouvre les portes de sa mémoire et retrouve, pour nous accompagner dans cet « immense édifice », la grâce d’un « adolescent d’autrefois », féru d’idées et de littérature.

Le récit porte sur sa période de « formation », c’est-à-dire le temps précédent sa rencontre avec Jean Moulin, puis sur celle de sa « conversion » auprès de ce guerrier silencieux. Où l’on voit comment un grand jeune homme d’Action française fut attiré par la lumière qu’irradiait Jean Moulin, comment il le servit et, avec lui, de Gaulle et la France. Daniel Cordier avait consacré une véritable somme à l’action de Jean Moulin. Toute sa « manière » était d’un historien, il exposait les faits, analysait les situations, reformait la perspective des lignes fuyantes. Il révélait les affrontements souvent très durs, les conflits d’analyses et de personnalités, et fracassait ainsi le mythe d’une Résistance unie. Et, surtout, il répondait aux accusations d’Henri Fresnay, d’après lesquelles Jean Moulin était le représentant du parti communiste dans la Résistance, l’agent actif de Moscou, le stipendié tout à la fois de Staline et des vieux partis de la IIIe République.

Alias Caracalla n’est pas écrit avec la même encre. C’est de mémoire qu’il s’agit ici, de l’effort que font les âmes claires pour ramener vers elles l’immense filet où sont mêlées les émotions lointaines mais toujours vives.

Le beau-père de Daniel, professeur de philosophie, l’initie au maurrassisme et lui enseigne en même temps les quatre piliers de sa sagesse : dégoût de la République, de la banque protestante, des métèques et des juifs. Ce bagage encombrant fut commun à bien des jeunes gens de l’entre-deux guerres. Il conduisit certains à collaborer, il n’empêcha pas d’autres de résister. Le jeune Cordier se persuade sans état d’âme que Dreyfus est coupable. Il crie « Vive le Roi » dans les manifestations, mais voit sans déplaisir les trois « usurpateurs » à vocation fasciste, Salazar, Franco et Mussolini, s’installer durablement dans le paysage européen. Maurras vilipende l’hédonisme et la célébration du moi, mais Daniel ne s’interdit pas de lire André Gide, dont « l’amoralisme d’esthète » le séduit au delà de tout, et ne le dissuade évidemment pas d’éprouver un trouble presque brutal dans la compagnie des garçons, ni d’envisager des fiançailles avec une charmante jeune fille…

Arrive la guerre. Il la voit comme une épreuve nécessaire, un rite d’initiation qui transforme un jeune adulte en citoyen. Révolté par le discours du maréchal Pétain, le 17 juin 1940, il embarque, le 21 juin, à Bayonne, à bord du Léopold II, vers Londres. En Angleterre, il suit une dure préparation militaire. Jeune nationaliste, il a la tête épique, le patriotisme à fleur de peau et veut connaître le feu. Il rêve d’affrontements dans les paysages de France, de commando infiltré derrière les lignes ennemies, enfin, de bouter le « Boche » hors du royaume. Convoqué par le colonel Passy, le 13 juillet 1941, il apprend qu’on lui confie des missions d’un genre très différent : « La guerre clandestine que nous menons en métropole n’est pas celle pour laquelle vous avez été préparé. Elle se vit seul et sans uniforme. […] la police et la Gestapo vous traqueront jour et nuit. […] votre mission aggrave l’isolement puisque vous serez en exil dans votre pays. » On lui remet une ampoule de cyanure, dans le cas où il serait arrêté… Il a 21 ans.

Le 25 juillet 1942, vers 2 heures du matin, il saute en parachute quelque part dans la campagne de Montluçon. Il n’a pas touché terre, qu’il est déjà pris en charge par un réseau : des filles, des garçons banals, des couples paisibles, des gens ordinaires, tranquillement héroïques. Trente mille personnes au début, trois cent mille à la fin, trente mille morts, cent mille emprisonnés composent le peuple obscur, la minorité vigilante de la France fidèle à tous les serments qui l’ont rendue unique, universelle, et qu’on oublie injustement…

Quelques jours après, il est à Lyon, recueilli par le directeur du service étranger de la Société générale, M. Moret, sa femme et sa fille, à la taille si bien prise que Caracalla en est ému. Contraints d’abandonner leur bel appartement du boulevard Malesherbes, à Paris, ils vivent dans un deux-pièces sans confort, et n’oublient pas, ces grands bourgeois, d’être patriotes et de courir des risques. La France fidèle…

On lui a désigné son patron : Georges Bidault, dont il doit devenir le secrétaire. Mais voici que s’avance Rex, en veste de tweed, pantalon de flanelle, et le visage hâlé, si charmeur. De Rex, il ne connaîtra l’état civil qu’à la Libération : Jean Moulin. Auprès de lui, il accomplira chaque jour les menus faits et gestes qui permettent la circulation des hommes, des ordres et des fonds jusqu’au plus lointain maquis, malgré les innombrables difficultés, malgré l’hostilité de presque tous à de Gaulle.

Rex disposait du pouvoir de l’argent, qu’il distribuait aux trois principaux réseaux : la plus grosse part à Combat, une moindre portion à Libération, et le reste à Franc-Tireur. C’était d’ailleurs son unique sceptre, car son autorité était âprement combattue. L’entreprise d’unification des forces tient du travail herculéen, et le contraint, lui et Cordier, à une routine harassante, où l’on s’en remet souvent à « l’imprudence et à la chance ». Pour mieux comprendre l’extravagante entreprise que représente l’Armée secrète, il suffit d’évoquer la première conversation entre ces deux hommes. Cela se passe dans un restaurant de Lyon, le 13 juillet 1942. Le chef de « l’armée des ombres » n’en impose pas seulement par l’âge (43 ans ; les légionnaires gaullistes avaient entre 18 et, comme Raymond Aron que Cordier a bien connu à Londres, 35 ans), mais aussi par l’aspect : le regard perçant, les lèvres pleines, le beau visage immortalisé par la fameuse photographie de Marcel Bernard (hiver 1940). Avec cela, des attitudes de félin guettant non sa proie mais ses chasseurs : la séduction masculine incarnée ! Face à lui, notre jeune homme est d’Action française, antisémite, il vitupère la « gueuse », fréquentait naguère les banquets où éructaient Philippe Henriot et Darquier de Pellepoix ! Moulin, toujours à voix basse, lui oppose son enfance républicaine, évoque l’affaire d’un certain capitaine condamné à tort pour haute trahison, sa fierté d’avoir assister à sa réhabilitation. Notre maurrassien écoute, et pense à part lui : « C’est curieux, il n’a pas l’air de savoir que Dreyfus est un traître ! » Peut-on imaginer plus différents que ces deux là, en cet été lyonnais torride, dans une France si occupée ? Quel génie malicieux souffla son inspiration au roi des Ombres ? Après le dîner, avant de disparaître dans la nuit, Jean Moulin, pressé, déclare : « Je vous garde avec moi : vous serez mon secrétaire. Bonsoir. »

L’intérêt du livre ne tient pas seulement au magnétisme de Rex. On y trouvera la chronique minutieuse des heures et des jours de la Résistance, la rude besogne quotidienne ; agir en tout avec une méfiance de chat, espérer, se désoler au gré des informations, des humeurs. De Gaulle pourra-t-il maintenir sa « légitimité républicaine », contre Fresnay et d’Astier-de-la-Vigerie (plein d’une morgue déplaisante) ? Au passage, Caracalla balaye les médisances : Jean Moulin naquit républicain par son père, artiste par sa mère, devint gaulliste par conviction, et demeura hétérosexuel par nature. C’est Henri Fresnay qui fit courir la rumeur de l’homosexualité de Jean Moulin, se fondant sur celle, assumée, de Daniel Cordier. Au reste, homo, nul ne lui en eût tenu rigueur. En revanche, il ne lui sera pas pardonné d’avoir été gaulliste…

Daniel Cordier nous livre le « récit secret » de la puissante séduction qu’exerça sur lui un « homme pour l’éternité », auprès duquel il accepta la modestie du courage dissimulé. Voici ce que fut la guerre souterraine : le sentiment de vivre, la routine du courage simple et organisé, et, au final, la suprême élégance d’un seigneur de la République, trahi, martyrisé, son beau visage abominablement déformé sous les coups, les poumons noyés de sang, puis consentant à une longue agonie mutique. Jusqu’à ce funeste 22 juin 1943, où, par l’un de ses « correspondants », sur le quai de la station de métro Saint-Michel, il apprit que Rex avait été arrêté.

Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, lorsqu’il évoque cette tragédie, des larmes viennent brouiller les traits pourtant pacifiés du secrétaire Caracalla.

En amour, faut jouer serré !

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Alors que nos journaux conjecturent en boucle sur les conséquences des élections européennes et s’interrogent à n’en plus finir sur l’avenir de Martine Aubry ou de François Bayrou, les Américains, eux, se posent de vraies questions intéressantes sur l’actu. Nos confrères de Slate reviennent sur le récent décès de David Carradine et posent la question qui tue : existe-t-il un moyen sur de pratiquer l’AAE (Auto-asphyxie érotique). Hélas, la réponse est non. Aucun praticien patenté ne pense que ce soit une bonne chose que de réduire brutalement la quantité de sang et donc d’oxygène qui arrive dans le cerveau. Néanmoins, si c’est vraiment votre truc Slate suggère une solution de repli : jouez-y plutôt avec un partenaire, expérimenté de préférence, et convenez auparavant d’un signal d’alerte qui signifie « fini de jouer, relâche le nœud ! ». On évitera aussi, précise Slate – avec un sens du détail qui honorerait la presse française –, de ne pas prendre d’alcool ou de drogue durant ce genre d’exercice. Dernier conseil pour les amateurs, même quand toutes les précautions sont prises : ne serrez pas trop fort… Et on est prié de ne pas rigoler trop fort : le FBI estime qu’aux USA, le nombre de décès annuel dûs à l’AAE se chiffre entre 500 et 1 000.

Pas de divine surprise pour le Hezbollah

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Est-ce parce que le scrutin avait lieu un dimanche ? En tout cas, le 7 juin, le Hezbollah n’a pas bénéficié d’une intervention divine : la majorité sortante, anti-syrienne et pro-occidentale (c’est-à-dire anti-Hezbollah et anti-iranienne), a été reconduite. Compte tenu des efforts déployés par le parti chiite ces dernières années pour s’emparer du pouvoir et notamment sa stratégie coûteuse de résistance contre Israël, il ne s’agit pas d’un « non succès » mais carrément d’un échec.

Pour essayer de comprendre le vote libanais, un petit détour par la presse économique du pays du Cèdre n’est pas inutile. On pouvait y lire ces dernières semaines que durant les quatre premiers mois de 2009, un total de 8 671 nouvelles voitures ont été vendues, soit une hausse de 6,21 % par rapport à la même période en 2008. Et le boom ne s’arrête pas aux bagnoles : les données publiées par les autorités portuaires de Beyrouth indiquent que les revenus du port pour les quatre premiers mois de 2009 ont enregistré une hausse de 34 % par rapport à la même période de 2008. Inutile de rappeler que partout ailleurs dans le monde, la tendance est à l’opposé. Grâce à cette activité accrue, le gouvernement libanais a récemment décidé de relancer de l’expansion du port de Tripoli, le deuxième du pays, gelée depuis deux ans. Bref, trois ans après la guerre avec Israël, l’économie du pays semble avoir retrouvé son dynamisme et une majorité des libanais en ont tiré les conséquences politiques : le vote de dimanche est d’abord un vote pour la stabilité et la prospérité.

La stratégie de résistance du Hezbollah a donc atteint ses limites. La lutte armée contre Israël était un formidable moyen de mobilisation et un alibi parfait pour construire et maintenir une milice dont on pouvait aussi se servir sans états d’âme contre « l’ennemi de l’intérieur », comme l’avait fait le Hezbollah l’année dernière. Cette stratégie a aussi permis au mouvement chiite de forger une alliance avec Damas et Téhéran, aussi bien qu’avec l’opposition palestinienne la plus intransigeante. Enfin, Nassrallah, chef du Hezbollah, a pu, en tirant sur cette corde facile à actionner, galvaniser une partie de l’opinion publique musulmane au Moyen-Orient – ainsi que certaines de nos banlieues.

Pour autant, la guerre de l’été 2006, qui semblait alors marquer l’apogée du mouvement chiite et de son leader, apparaît de plus en plus comme une erreur stratégique majeure. La résistance est peut-être une stratégie efficace d’opposition mais elle pose de sérieux problèmes quand on prétend former une majorité de gouvernement.

Le Hezbollah, mouvement libanais authentique, joue un rôle historique important au Liban, car il a opéré l’ajustement du système politique aux réalités démographiques. Il n’est pas inutile de rappeler que les Libanais votent par communauté et que les Chiites ont droit à 27 des 127 sièges au Parlement, bien que leur poids réel dans la société soit deux voire trois fois plus important. En recrutant parmi l’électorat non chiite, il rétablit en quelque sorte un équilibre politique. Désormais, son véritable défi est de réussir sa transformation en acteur majeur de la politique libanaise, capable de garantir l’intérêt général et de rassurer l’ensemble du corps politique.

Nassrallah a démontré sa capacité de paralyser quelques jours durant le port de Haïfa, principal port israélien, ce qui constitue un énorme succès pour une milice issue de la communauté libanaise la plus pauvre. Ce haut fait d’armes a probablement été une source de fierté pour beaucoup de Libanais appartenant à d’autres communautés. Sauf que dimanche dernier, les électeurs libanais ont dit à Nassrallah que le port de Beyrouth les intéressait plus que celui de Haïfa.

Retrouvailles

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Si, comme au Palais Bourbon, les nouveaux députés européens sont placés dans l’hémicycle par ordre alphabétique lors de la séance inaugurale, il pourrait se produire des rencontres improbables. Ainsi les heureux élus Dominique Baudis (UMP) et Jean-Paul Besset (Verts) risquent de passer quelques heures tout près l’un de l’autre, avant que la répartition des sièges par groupes politiques se mette en place. Ils pourront se parler du bon vieux temps, celui où le journaliste du Monde Jean-Paul Besset prêtait une oreille complaisante aux accusateurs de l’ancien maire de Toulouse Dominique Baudis et se faisait le relais, dans le journal de référence, des pires rumeurs véhiculées par des truands pervers et des prostituées mythomanes. Il est parfois compliqué de faire du passé table rase, même lorsqu’un rouge se repeint en vert…

Eva pas joli, joli…

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Parmi les griefs informulés de François Bayrou contre Dany Cohn-Bendit, celui de lui avoir piqué l’ex-juge Eva Joly n’était pas pour rien dans son agressivité lors de la désormais fameuse émission « À vous de juger » du jeudi 4 juin sur France 2. La blonde norvégienne aux lunettes rouges était courtisée à la fois par le Modem et par les Verts pour figurer sur leur liste lors des élections européennes. Après avoir fait lanterner quelque temps ses soupirants, comme il se doit pour faire monter les enchères, elle choisit le rouquin et repoussa le Béarnais.

On ne spéculera pas sur les raisons de ce choix, dont les ressorts sont enfouis dans la conscience de l’intéressée, mais on pourra constater qu’il s’est révélé payant : sa visibilité dans le dispositif électoral des Verts et son élection en Ile de France en sont les preuves. Elle seule, par exemple, est apparue aux côtés des têtes de listes sur les affiches des Verts dans les huit circonscriptions électorales métropolitaines. Il n’est pas sûr que François Bayrou, qui tient le même rôle sur les affiches du Modem, lui eût galamment cédé la place ou proposé un billet assuré pour Strasbourg…

Dany Cohn-Bendit, maître d’œuvre de la captation et de la mise en scène d’Eva Joly au profit de sa formation politique s’est, tout au long de cette campagne européenne, révélé un maître tacticien. Après avoir rassemblé sous son autorité les « vedettes » médiatiques de l’écologie et du tiers-mondisme, il pousse en avant une personnalité susceptible de drainer les voix de ceux qui ont, à l’égard de la classe politique une méfiance instinctive.

Et rien n’est plus apte à attirer les clients qui braillent « Tous pourris ! » au Café du commerce sans pour autant se précipiter dans les bras du Front national, qu’un bon juge qui met au trou les puissants et les riches. C’est le populisme « soft », celui qui ne traîne pas avec lui des relents nauséabonds du siècle dernier, et vous permet d’être beauf sans cesser d’être bobo. Ce coup-là n’avait déjà pas mal réussi à Philippe de Villiers avec l’inclusion dans sa liste de feu le juge Thierry Jean-Pierre, l’homme de l’affaire Urba dans sa liste lors des européennes de 1994.

L’avantage, avec une personnalité de ce type, c’est qu’on ne va pas lui chercher des poux dans la tête, scruter sa biographie, explorer sa vie privée comme cela se pratique avec les hommes et femmes politiques classiques. Un(e) juge inspire encore de la crainte aux paparazzis et fouineurs médiatiques de tout poil, ne serait-ce parce qu’on lui prête des relations dans une corporation qui peut vous créer quelques désagréments….

Dans le cas particulier d’Eva Joly, on prendra d’autant plus de précautions que la dame est chicaneuse, et qu’elle n’hésite pas à traîner devant les tribunaux ceux qui mettent en cause ses qualités de magistrate anti-corruption. Ainsi, Philippe Cohen et Pierre Péan avaient émis l’hypothèse, dans leur livre La face cachée du Monde que notre juge était une « honorable correspondante » du journal Le Monde, balançant à tout va ce qui se passait dans son bureau au mépris de ce pauvre secret de l’instruction déjà bien malmené. Ces affirmations étaient fondées sur de troublantes coïncidences, relatives aux auditions de « clients » d’Eva Joly au pôle financier du tribunal de Paris et la publication quasi-simultanée dans Le Monde des procès-verbaux de ces auditions. Déboutée en première instance, Eva Joly l’emporta devant la Cour d’appel au motif que Péan et Cohen n’avaient pas effectué « d’enquête sérieuse » pour apporter la preuve de leurs accusations. Me trouvant dans les parages à l’époque des faits, et dans une position me permettant d’avoir quelques éléments d’appréciation de cette affaire, je peux aujourd’hui avancer qu’en la matière, Péan et Cohen étaient très probablement dans le vrai. Mais s’il advenait qu’Eva Joly me fasse l’honneur de me traîner devant la justice de mon pays pour ces propos, ce serait ma parole contre la sienne, car les récipiendaires des photocopies provenant de son cabinet se retrancheront derrière la « protection des sources » pour se taire.

Elle tenta, également, mais cette fois-ci sans succès de faire condamner Claude Chabrol qui avait retracé, dans son film L’ivresse du pouvoir les péripéties de l’affaire Elf, qui propulsa Eva Joly sur le devant de la scène judiciaire et médiatique. Dans cette fiction qui colle au réel comme un timbre sur une lettre, le rôle d’Eva Joly est interprété avec son talent habituel par Isabelle Huppert, et montre une juge en proie à de douloureux problèmes familiaux qui poursuit de sa vindicte implacable un dirigeant d’une grande entreprise sans le moindre souci d’équité que la loi impose au juge d’instruction. Instruire « à charge et à décharge », ce n’est pas la tasse de thé d’Eva Joly, lorsqu’on lui confie le sort de ces riches et puissants auxquels la justice s’intéresse. Il faut qu’ils craquent comme Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf, avec qui la détention provisoire est un moyen de pression pour lui faire avouer les délits dont il est accusé. Une méthode que les amis de Dany Cohn-Bendit ne manquent pas de fustiger lorsqu’il s’agit, par exemple, d’un présumé saboteur de TGV…

Par ailleurs, de l’avis général des « professionnels de la profession », elle a été une magistrate aussi nonchalante que médiatique. Elle n’hésita pas, par exemple, alors que l’affaire Elf dont elle était saisie était en pleine instruction, à déserter son cabinet pour effectuer, pendant six mois le stage prestigieux de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), réservé à d’éminentes personnalités de la société civile pour les mettre au parfum des questions militaires et stratégiques. Sa dispersion et sa présence forte dans les médias auraient contribué au bousillage de dossiers qui lui étaient confiés, grâce à quelques bourdes procédurales grossières qui auraient permis à quelques gros poissons d’échapper à leur juste châtiment. On murmure que Roland Dumas, qui fut un temps dans son collimateur, et qui sortit au bout du compte blanchi des procédures menées à son encontre, lui envoie des fleurs chaque année pour son anniversaire.

Peu importe, la belle histoire de la pauvre petite Norvégienne, fille d’ouvrier devenue jeune fille au pair à Paris dans les années 1960, épousant le fils de la famille et grimpant les échelons du mérite pour donner un coup de balai salvateur dans les écuries de la République, fait toujours recette dans les chaumières.

Votez pour vous, votez pour tous !

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Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? La meilleure solution pour ne léser aucun candidat et pour ne se fâcher avec personne dans les dîners en ville, c’est bien évidemment de voter pour toutes les listes en présence !

Il faut bien sûr voter UMP si l’on fait partie de la majorité. Or il est indéniable que la majeure partie d’entre nous appartenons, par définition, à une majorité. Mais il faut aussi voter UMP si on sait compter, et qu’on n’a pas envie, par strict respect pour les lois de l’arithmétique, de voir ladite majorité hurler à la victoire totale dimanche soir avec seulement 25 ou 28 % des voix alors qu’elle était à 53% il y a deux ans. Je sais bien que tout est relatif, y compris en matière de majorité, mais de là à faire passer un petit quart pour une grosse moitié…

Il faut voter PS parce que Dominique Reynié a dit vendredi dans Libération que Martine Aubry n’avait pas de vrai projet européen et que Dominique Reynié se trompe toujours sur tout. En Ile-de-France, il faut encore plus qu’ailleurs voter PS parce que Benoit Hamon est mignon, qu’il n’a pas peur d’insulter les journalistes et qu’il supporte depuis deux mois l’envahissante vacuité d’Harlem Désir sans broncher : tout ça mérite quand même une récompense…

Il faut voter Modem pour circonvenir les anarchistes pédophiles allemands, même pas fichus de vousoyer le futur président de la République et d’acquiescer benoîtement quand il enfile contrevérité sur contrevérité. On notera au passage que si l’aplomb dans la mauvaise foi et la croyance inébranlable dans la répétition qui vaut raison signent l’homme d’Etat français, alors François Bayrou est presque aussi apte que Nicolas Sarkozy et même que Jacques Chirac

Il faut voter Europe-Ecologie parce qu’après avoir vu Yann Arthus Bertrand faire partout la promo de Home, son spot publicitaire pour PPR, on se dit que, finalement, Nicolas Hulot n’est pas si crétin que ça… Accessoirement, dans un élan de générosité intereuropéenne, c’est faire œuvre pie que de débarrasser les malheureux Norvégiens de la présence d’Eva Joly sur leur sol national.

Il faut voter Libertas et Philippe de Villiers, pour empêcher la Turquie de nous imposer ses kebabs graisseux, ses plombiers même pas polonais et ses lois contraires à la dignité humaine (Sait-on, par exemple que la Cour suprême de ce pays persiste à interdire le port du hidjab dans l’enceinte des universités !).

Il faut voter NPA pour ne pas désespérer Oberkampf. C’est déjà assez pénible pour un prof de collège lambda d’avoir loupé trois fois de suite le CAPES de Lettres modernes, si en plus on lui enlève la perspective de diriger la France, l’Europe et le Monde…

Il faut voter Front de gauche pour redonner son sel à l’anticommunisme primaire. Quand le PC est à 3%, l’homme de goût se retient de tirer sur une ambulance. Un PC à 7%, on peut recommencer à lui dire ses quatre vérités. Lui rappeler qu’il n’a même plus de communiste ni le bruit, ni l’odeur, que MGB et sa clique de charlots ne se posent pas vraiment là pour incarner le spectre qui hante l’Europe.

Il faut voter Front National parce que si son parti fait un bon score, ni rien ni personne n’empêchera Jean-Marie Le Pen de se représenter à présidentielle de 2012, où une fois de plus il sera le seul à incarner le changement véritable…

Il va de soi que cette liste de listes n’est pas exhaustive et que selon la région où vous vous trouvez, vous pourrez glisser de 11 à 27 bulletins dans la même enveloppe. Voilà, à mon avis, le meilleur moyen de faire prospérer notre démocratie, et qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce type de vote est carrément nul.

Yann Arthus-Bertrand, go Home !

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Le photographe Yann Arthus-Bertrand est une créature médiatique singulièrement désagréable. Omniprésent dans les médias, YAB est l’authentique prêcheur écologiste qu’il manquait à la France. Un parfait supplétif moustachu du soldat Nicolas Hulot. Devenu multimillionnaire avec le succès mondial de son livre La terre vue du ciel (montrant la beauté supposée de notre planète scrutée depuis une flotte d’hélicoptères polluants), le photographe susurre dans tous les médias sa vieille rengaine apocalyptique. Il promet la fin proche de l’aventure terre, en appelant, avec dans la voix des trémolos imprégnés de religiosité, au respect aveugle de la déesse Gaïa et en faisant vibrer – sur fond d’une méfiance radicale envers la technique – la corde patrimoniale sensible : mais quelle « terre » allons-nous léguer à nos enfants ? Ben voyons ! Les enfants et l’environnement sont en effet en tête des valeurs suprêmes de notre modernité, qui sont mises quotidiennement en danger par ces ignobles industriels pollueurs, et voyous, qui ne pensent qu’à s’enrichir sans penser aux conséquences scélérates de leur enrichissement !

Avec cette vision binaire et manichéenne de l’environnement, appelant fermement à la « décroissance » (concept marketing appelé à un grand avenir comique), YAB rejoint d’autres illustres gourous du genre, dont l’ex-animateur vedette de TF1 Nicolas Hulot, et le politicien américain Al Gore, qui s’est signalé au monde il y a quelques années par un blockbuster documentaire sur le changement climatique intitulé Une vérité qui dérange. Et qui, naturellement, n’a dérangé absolument personne.

Dans cette glorieuse lignée de télévangélistes écolos, YAB se lance à son tour dans le cinéma. Déjà très présent sur les écrans, à travers des documentaires télévisés sur son travail de photographe, ou son émission de France 2 « Vu du ciel », YAB a tourné un long-métrage sur les périls insoutenables qui pèsent sur notre Sainte-planète : Home. Diffusé vendredi 5 juin sur France 2 ce chef d’œuvre bénéficie d’une promotion digne d’une grosse production hollywoodienne : sortant simultanément dans 126 pays, il sera massivement présent sur le territoire français à travers 200 copies. Home sera également diffusé par des centaines de chaînes de télévision, par la plate-forme Youtube, et bénéficiera de projections de prestige dont l’une sur le Champ de Mars à Paris et une autre à Central Park, New York. YAB a aussi reçu le soutien du Prince Charles et organisé une projection privée à l’Elysée pour Carla Bruni et son époux. Bref, le déferlement sauvage de moraline écolo sera impossible à contenir. YAB sera partout. La terre sera à YAB. Le photographe, à la moustache pleine de sagesse, pourra envelopper cette Gaïa qu’il aime tant de toute la sollicitude que son grand cœur plein de compassion est encore capable de déployer – après tant et tant de gesticulations médiatiques.

Pour financer ce film montrant… la terre vue du ciel, notre aventurier de l’indignation décroissante a fait alliance avec deux grandes consciences morales de ce siècle : François-Henri Pinault, patron du groupe industriel PPR, qui vient d’annoncer 1800 licenciements, et Luc Besson, le célèbre producteur de longs-métrages intellectuellement déficients axés sur la banlieue et les automobiles sportives. YAB ne pouvait pas trouver meilleurs partenaires pour soutenir un projet aussi riche de bons sentiments – et aussi authentiquement « moderne » par l’atrocité de sa diffusion globale, brutale, simultanée, panoptique, massive et torrentielle. La bonne conscience – que l’on appelle en ce cas mécénat – a un prix : pour le fils Pinault, l’addition se monte à 10 millions d’euros. YAB, qui a l’argent en horreur, comme tout bon religieux, ne touchera personnellement pas un seul centime sur la recette de ce film, qui sera reversée à sa fondation Good Planet. Ici l’euro ou le dollar relèvent de la monnaie de singe. L’écologie, à ce niveau de préoccupation délirante est devenue une obsession de super-riches. La monnaie qui a cours est la satisfaction morale. Inutile de demander des comptes ou d’entrer dans le détail du green business. Le film est mal foutu ? Peu importe. « Je vais vite parce que dans dix ans, si on ne fait rien, la planète sera foutue », explique YAB dans Le Monde… En vérité, il faudrait se demander si, à force d’user ainsi sur la corde verte, ce n’est pas l’écologie qui sera « foutue » dans une décennie ?

Le précédennt coup d’éclat de YAB était le projet « 6 milliards d’autres », réalisé sous l’égide de sa fondation Good Planet, et largement financé par la banque BNP…. Un documentaire télévisé « fleuve » dans lequel des tas de quidams anonymes venaient vomir à l’image leurs desiderata existentiels, personnels et désordonnés, dans la trame d’une vision humaniste « molle » convaincue que tous les hommes sont égaux en rêves. Ce qui reste à prouver. Le petit rêve intime de YAB – qui est déjà membre de l’Académie des Beaux-Arts – est certainement de rejoindre son ami Al Gore à l’Académie Nobel en tant que Prix Nobel de la paix photographique et de l’amitié écologique entre les nations, ou bien d’intégrer le vaste Panthéon de figures françaises morales et sacrées, où se serrent déjà le Commandant Cousteau, Sœur Emmanuelle, le Dr Haroun Tazieff, l’Abbé Pierre, le Professeur Schwarzenberg, Coluche, etc. Figures hétéroclites de la culpabilisation calibrée et de l’indignation marketée. Toute une génération d’humanitaires intermittents du spectacle…. Peut-être YAB caracolera t-il un jour en tête du classement des personnalités préférées des français, publié par le Journal du Dimanche ? Dans dix ans. Ou avant. Quand il sera usé d’annoncer une fin du monde qui ne vient pas, et ne viendra pas… comme certains autres disparaîtront corps et biens d’avoir trop attendu une insurrection de rêves et de théories.

YAB a 63 ans. Je n’irai pas jusqu’à lui souhaiter d’assister à la « fin du monde » dont il rêve depuis le cockpit de son hélicoptère polluant. Tant pis si ses prophéties prennent l’eau et s’il sombre dans le ridicule rétrospectif de son pessimisme écologique outré. Peut-être pourra-t-il abandonner cette incertaine posture religieuse d’écolovangéliste qui lui va si mal au teint et recommencer à faire ces extraordinaires portraits de paysans au Salon de l’agriculture, qui l’ont rendu célèbre, et que je ne passe pas un mois sans contempler.

YAB, par pitié, pose ton hélicoptère, et reviens sur terre, parmi nous ! Rien n’est plus déprimant que de voir un talent (un génie, soyons honnête…) mal employé.

Obama beach

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6juin

Il faut méconnaître totalement le répertoire de Michel Sardou pour ignorer que si les Américains n’avaient pas débarqué le 6 juin 1944 en Normandie, nous serions tous en Germanie. C’est ce que Barack Obama a, en substance, rappelé ce matin, en débarquant en France, accompagné de vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Un, deux, chantez : « Si les Ricains y z’étaient pas là… » Rompez. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

La France made in Sarko

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Causeur, abonnez-vous, rabonnez-vous !

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Abonnement

Même les plus distraits l’auront remarqué, Causeur, le mensuel, est un journal « différent ». Pendant ses dix premiers mois d’existence, il a réussi à prouver que cette différence pouvait être autre chose qu’un vœu pieux de lecteur ou un rêve éveillé d’auteur. Pendant dix mois, nous avons réussi à faire vivre un élégant et roboratif best of, adossé à un vrai site, fréquenté chaque mois par plus de 300 000 habitués[1. 306 000 visiteurs uniques au mois d’avril 2009, pour 2 176 000 pages vues, selon Médiamétrie-Netratings.]. Et puis soudain, en mai, Causeur est devenu encore plus différent : un vrai journal qui n’a même pas peur d’exister, sur 32 pages, avec une volée de textes inédits destinés à récompenser la fidélité de nos abonnés. Nous leur devions bien. C’est grâce à eux, donc grâce à vous que tout cela existe. Le mensuel – et aussi le site – vivent et vivront de plus en plus de vos abonnements. Et pour ne pas tourner autour du pot, ils n’existeront plus si cette ressource disparaissait. Pour vous, pour nous, cette différence est vitale. Faisons en sorte qu’elle soit viable. Abonnez-vous, rabonnez-vous !

En exclusivité dans le numéro de juin :

Empaillons-nous, Folleville !, Elisabeth Lévy
Darcos de Macédoine, Raul Cazals
Coupat, billet de sortie, Jérôme Leroy et Bruno Maillé
Il faut sauver l’Opinel !, Luc Rosenzweig
Ecce homo, Cyril Bennasar
Moondog aboie, la caravane passe Jean-François Baum
Aimez-vous Dash ?, Jérôme Leroy
Sans histoire ?, Élisabeth Lévy
Comment peigner une girafe…, François Miclo

Bayrou la Taloche

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François Bayrou est un garçon poli. Il ne met pas les coudes sur la table, s’encombre de mille préventions pour ne froisser personne et dispose d’une conversation dont la tenue est largement au-dessus de la moyenne. En politique, il pousse la politesse jusqu’à ne jamais briguer la première place. Etre le troisième homme, ça lui suffit. Même Poulidor, l’éternel second, ne savait pas cultiver autant de retenue.

Seulement, il ne faut pas lui en raconter à François Bayrou. Quand on lui dit qu’un olibrius se ramène pour lui piquer son job, il ne raisonne plus. Il dynamite, il ventile, il disperse façon puzzle. C’est ce qui est arrivé jeudi, sur le plateau de France 2, quand le Béarnais s’est retrouvé face à Daniel Cohn-Bendit : le leader écologiste n’a pas eu le temps de dire ouf que François Bayrou lui tapait dessus avec ses petits poings. Pas sur la tête, mais en dessous de la ceinture. Emoi dans Landerneau.

Le lendemain, la presse attendait un acte de contrition de cet homme qui fut un jour démocrate-chrétien. Rien. Pire, le patron du Modem récidive et annonce en substance que les pédophiles ne passeront pas. Et que même s’ils sont les vassaux de l’Elysée, il ira, lui, leur casser la gueule à la récré. Il est comme ça, François Bayrou. Chez un homme en colère, l’émotion, ça ne se contrôle pas.

Ça ne se contrôle peut-être pas, l’émotion. Mais ça se prépare. Déjà, on a devant soi le verbatim de l’altercation entre Nicolas Sarkozy et Daniel Cohn-Bendit devant le Parlement européen – c’est vrai que c’est un document qu’on garde toujours par-devers soi quand on est un Européen convaincu. Ensuite, on vient de finir de lire avant l’émission le bouquin de son adversaire – bouquin paru trente-quatre ans auparavant. Vous me direz : et alors ? on lit bien Montaigne plus de quatre cents ans après… Oui, sauf qu’aux dernières nouvelles Le Grand Bazar, ce n’est pas les Essais et José Bové n’est pas Etienne de La Boétie. Ce n’est pas qu’une question de physique. Le livre de Dany le Vert étant épuisé depuis belle lurette, il faut se lever matin pour le trouver et le ressortir de toute cette littérature vouée dès les premiers mois de sa parution à la disgrâce du pilon. Le chercher en bibliothèque, se le faire prêter par un ami qui ne se souvient décidément plus comment ce livre a pu se retrouver chez lui (« regarde, François, j’ai aussi du Raymond Barre… ») ou arpenter les quais de Seine pour le dénicher entre un fascicule du Programme commun et un exemplaire dédicacé de Ce que je crois, d’Edouard Balladur. Bref, faut vouloir, comme on dit chez Arlette Chabot.

Tout laisse donc accroire – à moins d’avoir vu la Vierge – que François Bayrou avait préparé son coup et qu’en arrivant à l’émission, il escomptait bien se farcir Cohn-Bendit, mais un Cohn-Bendit, ça a beau avoir les idées larges, ça ne se laisse pas farcir par le premier venu. Qu’importe. Bayrou était en forme, prêt à distribuer du rab de taloches et de mandales à qui en demanderait. Il faut dire que le matin, sur France Inter, Nicolas Demorand l’avait chauffé à bloc en lui apprenant le sondage du jour : les écologistes dépasseraient le 7 juin le Modem… Et il s’était déjà énervé, notre quatrième homme, du genre : « Ah non ! pas quatrième ! troisième, je vous ai dit. Et France Inter, c’est rien que radio Sarko. » Ça doit mal capter dans le Béarn, à moins qu’il ne confonde Daniel Mermet et Jean-Pierre Elkabbach.

Seulement, rien n’explique pourquoi François Bayrou a tenu à ce point à se farcir quelqu’un. Ses penchants ne sont pas là – c’est à Henri IV qu’il a consacré une (très belle) biographie, pas à Henri III. Rien, sinon la simple idée de provoquer le scandale quelques jours avant l’élection. Il est coutumier du fait. À Strasbourg déjà, en 2002, il avait taloché un gamin qui tentait de lui faire les poches. Les mauvais esprits constateront – et après ils iront à confesse pour avoir éprouvé d’aussi sordides pensées – que, contrairement à Cohn-Bendit, François Bayrou, lui, ne touche pas les gosses, il les baffe.

Ce qu’il a fait, jeudi soir, chez Arlette Chabot, est du même ordre. Sauf que cette fois-ci personne ne lui faisait subrepticement les poches et que le coup était prémédité. Chacun a les attentats de l’Observatoire qu’il peut.

Et l’attentat de l’Observatoire est bien le fond de la question. Il n’y a, en réalité, en France que deux derniers mitterrandiens stricto sensu. Le premier, c’est Nicolas Sarkozy, qui rejoue depuis son élection le Mitterrand de la fin des années 1980, celui qui pratique la politique d’ouverture, s’entend comme larron en foire avec Jack Lang tout en tenant Le Prince de Machiavel comme un mode d’emploi assez rigoureux de la chose publique. Et puis il y a François Bayrou, qui joue à Mitterrand. Mais à celui de 1959, qui fait feu de tout bois pour braquer sur lui les feux de la rampe et regagner sa place dans l’opinion.

Daniel Cohn-Bendit a eu raison de railler « l’omni-opposant » et « l’omni-président ». Il touche du doigt ce que René Girard – qu’il me pardonne s’il me lit – qualifierait de rivalité mimétique : entre Bayrou et Sarkozy, il n’y a aucune différence idéologique. Le problème est d’un autre ordre : ils ont le même modèle en politique. Et cela suffit à expliquer qu’ils ne sont pas adversaires, mais, au sens propre, ennemis.

En attendant, ce débat télévisé, mal parti dès lors que Bayrou le ramenait au niveau du caniveau, aura épargné aux téléspectateurs de parler des questions européennes. À commencer par la question institutionnelle : quand Olivier Besancenot regrette que la règle de l’unanimité prévale, on se dit que ce type aurait mieux fait de lire le Traité constitutionnel au lieu de voter contre… On se dit que Martine Aubry est bonne fille de rappeler à notre mémoire la directive temps de travail, sans toutefois aller jusqu’à se souvenir que ce sont ses amis travaillistes britanniques qui l’ont fait capoter. On se dit que la vie serait si simple et l’Europe si facile à construire s’il n’y avait pas, sur le reste du continent, ces foutus étrangers.