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Ecce homo

T'as de belles phéromones, tu sais ?
T'as de belles phéromones, tu sais ?

Il y a des vérités qui dérangent, il y en a d’autres qui m’arrangent. Par exemple, je partage avec mes compatriotes les plus lucides l’idée que l’atlanto-libéralisme est l’avenir de l’homme. Seules quelques sectes marxistes qui se maintiennent sur les béquilles de leur mauvaise foi refusent encore de voir la lumière. Mais ce n’est qu’une question de temps.

Si, en politique, la franchise est jubilatoire, en amour la prudence s’impose. Dans la conquête des femmes, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et la séduction exige une subtile maîtrise du mensonge ou, au moins, de la dissimulation. Il est vivement conseillé dès la première rencontre de laisser dans l’ombre ses arrière-pensées les plus arriérées et les moins pensées. On vous pardonnera d’être un hypocrite, pas d’être une brute (sauf dans le feu de l’action).

[access capability= »lire_inedits »]Il faut bien le reconnaître, le mensonge est le compagnon de route de l’homme dans sa vie sentimentalo-sexuelle. On ment pour séduire une femme, on ment pour la garder et on finit par mentir pour abréger la conversation. Evidemment, de telles pratiques finissent par faire naître dans les cerveaux mâles les plus fragiles un sentiment connu de tous : la culpabilité.

Difficile de vivre avec, deux solutions permettent de s’en délivrer : l’ablation sans anesthésie – « Même pas mal ! » – et l’expiation par le mariage. Pourtant, jusqu’à une époque assez récente, la volatilité du sentiment amoureux masculin demeurait plutôt mal vécue (par les femmes) et très peu assumée (par les hommes). Mais peut-on reprocher à l’individu le comportement de l’espèce ?

Heureusement, les progrès de la science, dont l’objectif est de nous faciliter la vie, notamment ceux de la neurobiologie, sont venus réparer une grande injustice. Les sciences les plus exactes, les expériences les plus incontestables l’affirment : nous sommes innocents des turpitudes que nous commettons. La mort prématurée du sentiment, la pratique de l’adultère, nous n’y sommes pour rien ou presque. Nous sommes programmés pour : c’est chimique, neuronal, moléculaire, et même génétique.

De la naissance du désir par les phéromones à l’amour qui dure trente mois, tout devient clair. Tout rentre dans l’ordre naturel des choses, des hommes et des femmes. Les expériences sur l’attraction des sexes sont troublantes. Dans une salle d’attente, plusieurs chaises vides. Sur l’une d’elles, une odeur mâle a été pulvérisée. Des femmes se succèdent et préfèrent invariablement la chaise mâle aux chaises asexuées. On n’est pas dans un roman de Marc Lévy : la science, elle, ne ment pas.

Pour l’amour, cette religion qui dure trente mois, l’explication est désarmante de simplicité. Lors d’une rencontre amoureuse, le corps libère je ne sais quelle molécule qui laisse des traces visibles dans le sang pendant trente mois. Quand je pense à tout ce qu’on a entendu, les uns et les autres, sur l’air de « T’as pas de cœur » ou « Tu t’es bien foutu de moi ! », les questions en avalanche au moment de rompre pour lesquelles nous n’avons pas la queue d’une réponse, je me dis que nous pouvons rendre hommage aux chercheurs pour cette issue de secours inespérée. Nous sommes esclaves de nos chairs, aux ordres de l’infiniment petit qui circule dans nos veines.

Le discours amoureux, de Julien Sorel à Julien Clerc, est renvoyé aux contes et légendes de la mythologie féminine par un cours de physique-chimie. Une fois admises par les esprits traditionnellement accrochés au mythe de l’amour-toujours, ces découvertes prodigieuses seront à l’origine d’un homme nouveau, décomplexé, déculpabilisé, qui pourra enfin vivre une sexualité libre et épanouie.

Il nous faut répandre la bonne nouvelle. Je m’y emploie.[/access]

Rien de général chez Kléber

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Tout le monde peut s’abonner à la nouvelle formule du mensuel Causeur d’un simple clic, mais ces veinards de Strasbourgeois — l’Alsace bénéficie déjà de tant de dérogations aux usages nationaux — peuvent désormais acheter notre mensuel à la librairie Kléber, où, grâce à Eric Kribs et François Wolfermann, il est en vente depuis mai, au prix de 4,5 €. Si vous n’avez pas de domicile, si vous souhaitez conserver l’anonymat ou, tout simplement, payer en espèces, passez chez Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois à Strasbourg – ça leur fera plaisir et nous économisera un timbre. Si vous êtes libraire et intéressé par la mise en vente du mensuel Causeur chez vous, contactez-nous.

Pourquoi je défends Choc

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Même quand Causeur ne partage (malheureusement) pas totalement mes opinions, il reste sans conteste, le site d’information le plus pertinent que je connaisse. Il m’a donc semblé naturel de contribuer, sur ce site, au débat qui s’est engagé sur la légitimité de la publication, par Choc, des photographies d’Ilan Halimi. Il va de soi qu’au regard de ma qualité d’avocat du magazine concerné, cette contribution est subjective mais, pour autant, il m’a semblé souhaitable d’exposer certaines observations alors qu’excepté sur ce site, les arguments que nous avons développés en défense n’ont été que bien peu évoqués.

Vendredi 22 mai 2009 à 14 h, le magazine Choc était retiré de la vente sur décision de justice. Cette mesure radicale, rarissime dans notre pays, était fondée sur l’atteinte à la dignité humaine découlant de la publication, en « une » du journal, de la photographie d’Ilan Halimi masqué par un ruban adhésif, un pistolet sur la tempe, preuve de vie terrifiante dont on peut comprendre que la diffusion ait révulsé aussi bien la famille de la victime qu’une grande partie de nos concitoyens. L’émotion était légitime, la réprobation parfaitement compréhensible, le débat sur les procédés de Choc ouvert. Néanmoins, la mesure ordonnée apparaît singulièrement préoccupante.

Préoccupante, parce que les principes en cause transcendent de très loin le seul cas du magazine Choc et de la famille Halimi. Préoccupante parce que le retrait ordonné est devenu effectif avant même que la Cour d’appel ait pu statuer sur cette mesure, ce qui permettra, à l’avenir, le prononcé d’une interdiction de publication n’importe où sur le territoire, par un juge unique, sans même qu’une Cour d’appel puisse exercer un quelconque contrôle.

En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris a infirmé le retrait. Toutefois, elle a ordonné l’occultation des photographies litigieuses, en « une » mais aussi en pages intérieures du journal, ce qui aboutissait pratiquement au même résultat qu’une mesure de retrait. De toute façon, pour le journal, il était déjà trop tard.

Préoccupante surtout parce que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qui, en réalité, a été sanctionné : est-ce vraiment l’image publiée ou est-ce la réputation du journal concerné ? Autrement dit, aurait-on été jusqu’à retirer des kiosques, des magazines tels que Le Nouvel Observateur ou L’Express si ces publications avaient diffusé la même photographie d’Ilan en argumentant sur la contribution de ce document à l’information du public ? À défaut, cela voudrait dire que, selon son positionnement et la considération dont il jouit, un organe de presse disposerait de plus ou moins de droits, pourrait être interdit ou autorisé. Le problème c’est que personne n’a la même appréciation des qualités intrinsèques d’un organe de presse et qu’à ce jeu-là, tous les médias risquent d’être finalement perdants.

Prenons garde, à cet égard, à ne pas considérer qu’un document est inutile à l’information sans nous poser préalablement la question de savoir si, pour d’autres que nous, plus jeunes, ayant un autre rapport aux médias et une autre culture de l’information, la publication d’un tel document serait pertinente.

Evidemment, certains répondront qu’une presse plus « convenable » n’aurait jamais publié une telle photographie et ils auraient tort. Le 18 novembre 1986, Libération consacrait sa « une » à la photographie de Georges Besse baignant dans son sang, assassiné par des membres d’Action Directe. Fallait-il interdire cette photographie au prétexte de la dignité humaine de la famille de Georges Besse ? Cette publication, aussi choquante qu’elle ait été, certainement « indécente » comme l’a retenu la Cour d’appel de Paris pour la photographie d’Ilan Halimi, n’a-t-elle pas contribué à discréditer la radicalité terroriste d’Action Directe ? Refuser d’incarner le mal, interdire de montrer la barbarie, est-ce vraiment le meilleur moyen de combattre la haine, la bêtise et la violence ?

Et les photographies d’Abou Ghraib, prises par des tortionnaires, comme celles d’Ilan Halimi ? Et celles de Daniel Pearl et celles d’Aldo Moro, mort dans le coffre de sa voiture ? Doit-on admettre qu’à chaque fois, la publication de ces photographies devait être soumise à l’accord des familles ? L’information du public n’aurait rien à y gagner, pas plus, en définitive, que la dignité humaine.

On retiendra également que, quelques jours avant Choc, le magazine Tribune Juive consacrait lui aussi sa « une » à une photographie d’Ilan Halimi souriant. Cette photographie bien qu’évidemment moins dérangeante, avait-elle une valeur informative supérieure à celle publiée par Choc ?

De quelle photographie se souviendra t-on dans quelques années, quelle photographie aura marqué les esprits, quel document incarnera la barbarie dont Ilan Halimi a été victime ? Et qu’aurait-on dit si Tribune Juive avait publié en « une » la même photographie que Choc ? Est-on vraiment sûr que le débat se serait posé dans les mêmes termes et n’aurait-on pas vu là, une volonté de marquer et de couper court au délire de l’accusé principal et aux tentations de relativiser ce crime, ce qui est déjà à l’oeuvre sur certains sites ? Est-on vraiment certain qu’il n’y avait aucune utilité à diffuser cette photographie auprès d’un public jeune dont le dernier lien avec la presse papier est peut-être constitué par le magazine poursuivi, quoi qu’on pense de celui-ci ?

Les questionnements posés par le retrait des kiosques de Choc sont d’ailleurs d’autant plus aigus que le procès du gang des barbares a lieu à huis clos, ce que l’avocat de la famille de la victime regrettait lui-même vivement. Ainsi, la presse qui n’a déjà pas le droit de parler d’un procès pourtant symbolique et qui d’ailleurs, n’en parle que très peu, se voit en plus interdite lorsqu’elle évoque, par l’image, la barbarie du crime commis. Cela aussi est préoccupant. Je note d’ailleurs que, sur six semaines de procès, la presse n’a jamais tant évoqué Ilan Halimi qu’à l’occasion de la couverture de Choc. Et c’est Choc qui doit être condamné très lourdement, coupable, peut-être, d’avoir été le vecteur d’une catharsis générale.

Quant à l’avenir, quel journal, quel éditeur prendra le risque de publier une photographie un tant soit peu dérangeante et susceptible d’être qualifiée d’atteinte à la dignité humaine ? De quelle photographie le public sera-t-il privé si, compte tenu des conséquences financières considérables d’un retrait des kiosques, outre les dommages et intérêts conséquents auxquels Choc a été condamné, personne n’ose plus publier de photographies comportant le moindre risque de ce type ?

La crainte d’un retrait sera suffisante pour dissuader toute publication d’images éventuellement choquantes comme si la photographie était le crime, comme si le journalisme, l’information du public et la société elle-même avaient quoi que ce soit à gagner à dissimuler la brutalité du monde. C’est ainsi toute la question du journalisme par l’image qui est posée.

Au demeurant, ne faudrait-il pas aussi s’interroger sur l’atteinte à la dignité humaine que constituerait la description écrite des tortures subies par des victimes de crime ? Ne devrait-on pas l’épargner aux familles ? Où s’arrêtera-t-on sur ce terrain et comment hiérarchiser, à l’avenir, entre les douleurs et les souffrances des familles pour décider celles qui justifient une mesure aussi grave qu’une interdiction de publier et celles qui ne seraient pas assez aigües pour que l’on aille aussi loin ?

Encore se déduit-il de la décision de la Cour d’appel que de telles photographies seront à l’avenir interdites de publication y compris en pages intérieures des journaux, ce qui n’est pas le moins inquiétant quant aux restrictions apportées à l’information du public alors que sur ce point, l’argument du « sensationnalisme » recherché ne peut plus être invoqué.

Prendre en considération le sentiment d’affliction des familles est légitime, mais sur bien des sujets sensibles, il n’y aurait plus d’information possible si ce critère devait primer sur l’intérêt général. Alors oui, compte tenu des enjeux en cause, la défense de Choc me semble essentielle.

Sans histoire ?

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Colombe Schneck
Colombe Schneck.

Que faire d’une enfance heureuse ? Surtout pas un livre, a-t-on envie de répondre. L’étouffoir familial, les cadavres planqués de génération en génération, les haines recuites : depuis la tragédie grecque, voilà ce qui fait de la bonne littérature.

Certes, Proust fait naître le monde d’un baiser maternel qui tarde à venir mais qui, quand il arrive, charrie l’éternité. Et dans Ada ou l’ardeur, roman de l’enfance perverse et délicieuse, Nabokov a enchaîné quelque chose de la sienne dans une famille qui habitait toute la culture et les beautés d’Europe.

[access capability= »lire_inedits »]Colombe Schneck n’est pas Nabokov ni Proust. D’ailleurs, elle s’en fout, elle n’a pas lu Ada. Son problème, c’est d’être Colombe Schneck. Pas simple, quand on part avec une telle hérédité. Des parents aimants et joyeux, une maison pleine d’amis, de rires et de livres, la certitude que le monde est un cadeau qui vous est destiné – tout cela, se dit-on, devrait aider à vivre. Mais à écrire ? Pour ce qui est de vivre, ça la regarde. Ceux qui l’écoutent sur France Inter, partagés entre agacement et sympathie, penseront qu’elle cache bien son jeu. C’est son droit. En lisant Val de Grâce, on découvre, derrière le personnage d’étourdie légèrement gaffeuse, un écrivain.

Il y a une ruse. On n’est pas dans la Bibliothèque rose. Ce n’est pas le bonheur qui inspire Colombe Schneck, mais le sentiment de sa perte irréparable. Si elle revient errer, et nous à sa suite, au Val de Grâce, l’appartement biscornu et chargé de sa jeunesse qu’elle appelle ainsi comme s’il s’agissait d’un village secret connu de quelques privilégiés, c’est pour se convaincre qu’il n’est plus. Alors, elle vient une dernière fois, pour laisser courir ses doigts sur des meubles recouverts de poussière, faire jouer avec une science précise un tiroir récalcitrant, exercer l’exacte pression nécessaire pour obliger la porte d’une armoire à céder, recenser le fouillis immuable d’une commode. On voit défiler le film de l’enfance qui passe, puis la mort et son appareillage moderne.

Enfants juifs de la guerre, « jetés du monde de l’enfance », les parents de la narratrice se sont vengés. « Pour nous, leurs enfants, ils ont exigé davantage qu’une enfance. » On imagine difficilement cadeau plus empoisonné. Comment survivre quand tant de bontés et de beautés vous ont été données d’emblée ? Comment devenir adulte quand on a toujours gagné « le concours de la petite fille la plus heureuse du monde » ?

Colombe Schneck se demande si on lui pardonnera « d’avoir été aimée à ce point ». Peut-être pas. J’ai envie de dire, en paraphrasant une formule de Friedrich Dürrenmatt, que « ce n’est pas un sujet de honte ni de gloire : c’est un avertissement ». Cet avertissement qui est une invitation, résonne longtemps après qu’on a quitté Val de Grâce.[/access]

Comment peigner une girafe ?

Girafe

Dans sa célèbre fable, La Grenouille, qui finira dans la poêle, que les enfants des écoles ânonnent avec entrain depuis plus de trois cents ans, Jean de La Fontaine nous dépeint, comme chacun sait, un batracien qui veut se faire aussi grand qu’une girafe. Pauvre animal, ignorant que le mammifère qu’il veut singer est l’avenir de l’Humanité – le truc de nases, pas le journal. Lorsque les prédictions d’Al Gore, de Nicolas Hulot et de Nostradamus se réaliseront et que les flots auront recouvert la surface de la Terre sans que Charles Trenet soit là pour chanter leur magie au long des golfes clairs, seule surnagera la tête cornée et fière de la girafe.

[access capability= »lire_inedits »]Et nous serons bien contents, nous autres, pauvres humains, de grimper sur ses frêles épaules, pour la caresser et la peigner, en nous exclamant, tel Mac Mahon sur les bords de la Loire : « Ah ! que d’eau, que d’eau ! ». Courts sur pattes et doutant de la puissance de la girafe, les hommes de la race suspicieuse des Claude Allègre seront vite submergés. Mais nous, qui depuis le berceau n’avons poursuivi d’autre but que de peigner la girafe par goût et par amour de la philosophie, du genre humain et de toutes choses qui persistent dans l’être, surnagerons entre tous.

S’exprimant dans un français somme toute assez approximatif pour un Onassis, Aristote écrit tout cela très bien, au livre II de son Histoire des animaux : « L’animal appelé antilope a une crinière au garrot, ainsi que l’animal sauvage qu’on nomme girafe, qui tous deux ont une légère toison, s’étendant de la tête au garrot. » Encore que l’on pourrait se fier à Heidegger qui, quant à lui, traduit ce passage par un plus élégant : « Waouh, waouh, waouh ! C’est quoi ce machin dans le jardin ? Une grosse taupe métaphysique ! Elfride, vite, le fusil ! »

La voilà donc, la belle affaire de l’humanité, la chose cachée depuis la fondation du monde. Alors que ce poids plume d’antilope ne nourrit que cent ou cent vingt types même pas affamés, la girafe, elle, en rassasie deux ou deux mille cinq cents. Son simple steak vaut pour trente. Certes, tout dépend de l’appétit de vos convives et de ce que vous leur aurez fait manger avant. Mais je suppose votre pingrerie telle que vous leur aurez servi un apéritif léger.

Et, d’ailleurs, qui parle de bouffer la girafe quand il suffit de la peigner ? De la peigner, et non de la peindre. Certains n’ont pas su faire de leur chevalet un bouclier suffisant contre l’atrocité du coup de sabot girafier. La girafe vous prend de haut, c’est là son moindre défaut. Elle ne souffre pas d’être peinte, mais tolère d’être peignée. Sous nos latitudes, il est bien hasardeux de trouver une girafe, voire même un girafon, se prêtant librement à l’exercice – le réchauffement climatique et la déforestation amazonienne ont eu raison de l’écosystème girafier dans l’Hexagone. C’est donc dans les zoos qu’il faut se rendre pour répéter inlassablement l’ancestral geste du peigneur.

Certes, un pouvoir d’achat conséquent vous donnera l’idée d’acheter votre propre girafe et de la peigner, en fonctionnaire ou en rentier, à domicile. Ah ! malheureux, cancrelat, peste noire ! N’avez-vous donc pas appris que jamais il ne faut prendre sur ses loisirs pour peigner la girafe ? La tache est rude. Elle est noble. Elle suppose une dextérité hors du lot, une maîtrise, une abnégation qui contredisent ce que ce jeanfoutre (paix à son âme) de Roger Martin du Gard écrivait dans Les Thibaut : « D’ailleurs, je m’en fous… On verra bien… Faire ça, ou peigner la girafe ! »

Eh bien, social-traître, quand on est français, la girafe, on la peigne bien. Et on y passe tout son temps. On massacre un troupeau d’éléphants pour se tailler dans leurs défenses un instrument digne de ce nom. Et on le fait. Avec entrain. Dans le sens du poil. Car, voyez-vous, Chinois, Indiens ou Brésiliens, eux, peuples tout dévoués au labeur dégradant, ne connaissent ni girafe ni peigne.[/access]

Il faut sauver l’Opinel !

Opinel

Non loin de chez moi, à Cognin, près de Chambéry, se trouve une entreprise qui fait rarement parler d’elle, communique peu et n’envisage pas de se délocaliser dans quelque pays exotique. Elle appartient à la même famille depuis sa fondation, en 1890, et, dans le monde entier, son nom est connu de tous ceux qui se sentent mieux avec un bon couteau au fond de la poche : je parle d’Opinel. C’est la main couronnée, la virole, le manche en hêtre blond verni et la lame pointue fine et tranchante qui se prête à une multitude de fonctions, des plus élémentaires, comme le partage du pain, aux plus sophistiquées, comme la gravure sur bois.

[access capability= »lire_inedits »]L’hystérie sécuritaire qui s’est emparée du monde de l’éducation après quelques agressions dramatiques dans des établissements scolaires risque de bannir ce couteau aussi utile que chargé d’histoire de l’équipement des collégiens et des lycéens. Quelle erreur ! Quel manque de psychologie ! Quelle vision stupide qui veut que ce soient les couteaux qui tuent et non les gens qui les tiennent ! Au contraire, on devrait offrir un Opinel à chaque élève entrant en 6e, avec un accompagnement pédagogique indiquant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas avec un couteau. Ne vaut-il pas mieux que l’élève frustré par une mauvaise note grave sur sa table « La prof de maths est une tepu ! », au lieu de remâcher sa rancœur jusqu’au passage à l’acte ?

Il existe un potentiel de violence chez les jeunes, particulièrement les jeunes garçons – de toutes classes sociales – devant lequel la communauté éducative d’aujourd’hui, nourrie de sciences humaines frelatées, se voile la face. Jadis, on savait la canaliser dans des exercices producteurs de plaies et de bosses strictement réglementés par les adultes : c’est ainsi que les Anglais ont inventé le rugby, et que son équivalent rustique et hexagonal, la soule, était pratiqué dans les villes et les villages. Et chacun, son Opinel en poche pouvait alors se sentir le roi du monde.[/access]

Ô pub, suspends ton vol !

Je ne voudrais pas vous affoler, mais il faut vraiment faire gaffe à ce qu’on dit. Parce qu’en plus de ne pas vexer les juifs, les arabes, les goys, les pédés et tous les autres, victimisés par l’histoire et par la France, il convient aussi de ménager en toute heure et en tout lieu la sensibilité du téléspectateur qui sommeille en chacun de nous. On veut bien communier dans l’horreur et la compassion trois fois par jour – voire plus pour les adeptes de la torture moderne appelée information continue – mais pas faire des heures sups. En dehors des heures de boulot, nous apprécions d’être protégés contre le réel et souhaitons que nous soit épargné le rappel douloureux de notre condition de mortels. Sinon, à quoi ça servirait que les cellules d’aide psychologiques se décarcassent ?

Mardi dernier, jour de la catastrophe du vol 447, Gil Mihaely et moi-même nous attablons à la terrasse de nos copains Sélim et Daddy, le principal quartier général de Causeur. Comme tout le monde, nous échangeons des banalités compassionnelles et convenons qu’on est bien peu de choses. Je raconte à Gil l’histoire, entendue à la radio, de cette jeune fille qui, moyennant 200 €, a laissé sa place dans le vol précédent à un passager pressé. Bref, nous sommes contents d’être en vie, vaguement tristes pour ceux qui ne le sont plus et rétrospectivement effrayés à l’idée que l’un de nos proches aurait pu se trouver dans l’Airbus. Une vraie conversation de café du Commerce, ponctuée par les salutations des habitués.

Soudain, Gil éclate de rire. Vous connaissez Gil, c’est pas le genre cynique, mais la publicité qui recouvre les tables du bistrot aiguise son sens de l’humour noir. Il s’agit d’une campagne anti-tabac qui compare les risques pris par un individu sain et par un fumeur. La version que nous avons sous les yeux nous apprend, je vous le donne en mille, qu’ »un homme a une 1 chance sur 1,5 millions de mourir foudroyé », alors qu’ »un fumeur a 1 chance sur 2 de mourir du tabac ».

foudre

Statistique imparable qui devrait effrayer les fumeurs. Sauf qu’à ce moment-là, les experts qui ne savent rien mais doivent tout dire, ont à peu près convaincu tout le monde que la foudre était responsable de l’accident de l’A 330. « Publicité mensongère, lâche Gil. Enlevez ça tout de suite, c’est honteux. » On rigole un peu et, c’est pas pour me vanter mais, animée d’un vrai réflexe de grand-reporter en veste à poches, je prends la pub en photo (en vrai, c’est pour l’envoyer aux copains). Après quelques commentaires, dont j’admets qu’ils ne sont pas tous de la première finesse, et après avoir répété deux ou trois fois ce que nous avons déjà entendu une dizaine de fois, nous passons à autre chose parce que tout ça est bien triste et que la vie est courte, même quand on ne fume pas.

Le lendemain, passant devant le café avec un autre camarade, l’épisode me revient en mémoire. « Viens, je te montre un truc marrant », dis-je. Pendant quelques secondes, j’ai une sorte de vertige : la publicité foudroyante a disparu. Le napperon de carton est blanc. Aurais-je rêvé ? Sélim et Daddy ont-ils été pris d’un accès de pudibonderie compassionnelle ? Ont-ils eu peur de chagriner leurs clients avec l’évocation de la méchante foudre qui viendra frapper leur avion s’ils ne sont pas sages ? Renseignement pris, ce n’est pas ça du tout. Ces salauds se fichaient bien des ravages psychologiques qu’aurait pu faire leur réclame.

Le fin mot de l’affaire est bien plus rigolo. Figurez-vous, affectionnés lecteurs, que la société qui gère ce petit business de napperons publicitaires avait débarqué le matin même pour faire disparaître la publicité si criminellement évocatrice des malheurs du monde. Mais le plus comique est qu’elle l’a fait sur ordre de la Préfecture. Comme je vous le dis. Quelque part sur l’Île de la Cité, un fonctionnaire a jugé qu’en ces jours de deuil il n’était pas convenable que quelque chose rappelle aux populations éplorées l’existence de la foudre – depuis, la foudre a été innocentée, mais tant pis pour elle. Il faudrait le décorer, ce Bouvard et Pécuchet à lui tout seul, pour avoir inventé le droit de l’homme à rester un enfant. Comment ne pas être pleins de gratitude quand nos gouvernants s’emploient ainsi à nous épargner le rappel des tragédies de la vie en particulier de la dernière d’entre elles ? Le mot « mort » ne tue peut-être pas, mais il fatigue grave.

Seulement, il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin. Il sera difficile de soustraire à notre vue tous les sujets d’affliction produits par une réalité bien contrariante. Repeindre la vie en rose, c’est un boulot à plein temps – généralement exécuté, d’ailleurs, par les publicitaires. Je suggère cependant de s’attaquer à la racine du mal et de lancer la bataille pour l’assainissement du réel par l’interdiction du roman, cette invention diabolique hantée par le négatif.

Cela dit, je suis peut-être injuste avec le fonctionnaire au grand cœur. Après tout, il ne manque pas d’humour. En effet, s’il a ordonné la disparition de la foudre, il n’a pas jugé nécessaire de réclamer l’élimination du deuxième visuel de la campagne anti-tabac.

requin

Un petit marrant, je vous dis. Je ne sais pas si ça vous fait le même effet, mais moi, ça m’a donné furieusement envie de fumer une clope.

Daniel Cordier, la Résistance à voix basse

Caracalla ! C’est sous ce nom que Roger Vailland, dans son roman Drôle de jeu, masque l’un de ses amis, Daniel Cordier. Né à Bordeaux, en 1920, celui-ci rencontra Jean Moulin, et le cours de sa vie en fut bouleversé. Le premier volume de ses mémoires, Alias Caracalla, vient de paraître. On est à mille lieux des témoignages à mâchoire serrée, des humeurs d’ancien combattant moralisateur. En hôte d’une ancienne politesse, il nous ouvre les portes de sa mémoire et retrouve, pour nous accompagner dans cet « immense édifice », la grâce d’un « adolescent d’autrefois », féru d’idées et de littérature.

Le récit porte sur sa période de « formation », c’est-à-dire le temps précédent sa rencontre avec Jean Moulin, puis sur celle de sa « conversion » auprès de ce guerrier silencieux. Où l’on voit comment un grand jeune homme d’Action française fut attiré par la lumière qu’irradiait Jean Moulin, comment il le servit et, avec lui, de Gaulle et la France. Daniel Cordier avait consacré une véritable somme à l’action de Jean Moulin. Toute sa « manière » était d’un historien, il exposait les faits, analysait les situations, reformait la perspective des lignes fuyantes. Il révélait les affrontements souvent très durs, les conflits d’analyses et de personnalités, et fracassait ainsi le mythe d’une Résistance unie. Et, surtout, il répondait aux accusations d’Henri Fresnay, d’après lesquelles Jean Moulin était le représentant du parti communiste dans la Résistance, l’agent actif de Moscou, le stipendié tout à la fois de Staline et des vieux partis de la IIIe République.

Alias Caracalla n’est pas écrit avec la même encre. C’est de mémoire qu’il s’agit ici, de l’effort que font les âmes claires pour ramener vers elles l’immense filet où sont mêlées les émotions lointaines mais toujours vives.

Le beau-père de Daniel, professeur de philosophie, l’initie au maurrassisme et lui enseigne en même temps les quatre piliers de sa sagesse : dégoût de la République, de la banque protestante, des métèques et des juifs. Ce bagage encombrant fut commun à bien des jeunes gens de l’entre-deux guerres. Il conduisit certains à collaborer, il n’empêcha pas d’autres de résister. Le jeune Cordier se persuade sans état d’âme que Dreyfus est coupable. Il crie « Vive le Roi » dans les manifestations, mais voit sans déplaisir les trois « usurpateurs » à vocation fasciste, Salazar, Franco et Mussolini, s’installer durablement dans le paysage européen. Maurras vilipende l’hédonisme et la célébration du moi, mais Daniel ne s’interdit pas de lire André Gide, dont « l’amoralisme d’esthète » le séduit au delà de tout, et ne le dissuade évidemment pas d’éprouver un trouble presque brutal dans la compagnie des garçons, ni d’envisager des fiançailles avec une charmante jeune fille…

Arrive la guerre. Il la voit comme une épreuve nécessaire, un rite d’initiation qui transforme un jeune adulte en citoyen. Révolté par le discours du maréchal Pétain, le 17 juin 1940, il embarque, le 21 juin, à Bayonne, à bord du Léopold II, vers Londres. En Angleterre, il suit une dure préparation militaire. Jeune nationaliste, il a la tête épique, le patriotisme à fleur de peau et veut connaître le feu. Il rêve d’affrontements dans les paysages de France, de commando infiltré derrière les lignes ennemies, enfin, de bouter le « Boche » hors du royaume. Convoqué par le colonel Passy, le 13 juillet 1941, il apprend qu’on lui confie des missions d’un genre très différent : « La guerre clandestine que nous menons en métropole n’est pas celle pour laquelle vous avez été préparé. Elle se vit seul et sans uniforme. […] la police et la Gestapo vous traqueront jour et nuit. […] votre mission aggrave l’isolement puisque vous serez en exil dans votre pays. » On lui remet une ampoule de cyanure, dans le cas où il serait arrêté… Il a 21 ans.

Le 25 juillet 1942, vers 2 heures du matin, il saute en parachute quelque part dans la campagne de Montluçon. Il n’a pas touché terre, qu’il est déjà pris en charge par un réseau : des filles, des garçons banals, des couples paisibles, des gens ordinaires, tranquillement héroïques. Trente mille personnes au début, trois cent mille à la fin, trente mille morts, cent mille emprisonnés composent le peuple obscur, la minorité vigilante de la France fidèle à tous les serments qui l’ont rendue unique, universelle, et qu’on oublie injustement…

Quelques jours après, il est à Lyon, recueilli par le directeur du service étranger de la Société générale, M. Moret, sa femme et sa fille, à la taille si bien prise que Caracalla en est ému. Contraints d’abandonner leur bel appartement du boulevard Malesherbes, à Paris, ils vivent dans un deux-pièces sans confort, et n’oublient pas, ces grands bourgeois, d’être patriotes et de courir des risques. La France fidèle…

On lui a désigné son patron : Georges Bidault, dont il doit devenir le secrétaire. Mais voici que s’avance Rex, en veste de tweed, pantalon de flanelle, et le visage hâlé, si charmeur. De Rex, il ne connaîtra l’état civil qu’à la Libération : Jean Moulin. Auprès de lui, il accomplira chaque jour les menus faits et gestes qui permettent la circulation des hommes, des ordres et des fonds jusqu’au plus lointain maquis, malgré les innombrables difficultés, malgré l’hostilité de presque tous à de Gaulle.

Rex disposait du pouvoir de l’argent, qu’il distribuait aux trois principaux réseaux : la plus grosse part à Combat, une moindre portion à Libération, et le reste à Franc-Tireur. C’était d’ailleurs son unique sceptre, car son autorité était âprement combattue. L’entreprise d’unification des forces tient du travail herculéen, et le contraint, lui et Cordier, à une routine harassante, où l’on s’en remet souvent à « l’imprudence et à la chance ». Pour mieux comprendre l’extravagante entreprise que représente l’Armée secrète, il suffit d’évoquer la première conversation entre ces deux hommes. Cela se passe dans un restaurant de Lyon, le 13 juillet 1942. Le chef de « l’armée des ombres » n’en impose pas seulement par l’âge (43 ans ; les légionnaires gaullistes avaient entre 18 et, comme Raymond Aron que Cordier a bien connu à Londres, 35 ans), mais aussi par l’aspect : le regard perçant, les lèvres pleines, le beau visage immortalisé par la fameuse photographie de Marcel Bernard (hiver 1940). Avec cela, des attitudes de félin guettant non sa proie mais ses chasseurs : la séduction masculine incarnée ! Face à lui, notre jeune homme est d’Action française, antisémite, il vitupère la « gueuse », fréquentait naguère les banquets où éructaient Philippe Henriot et Darquier de Pellepoix ! Moulin, toujours à voix basse, lui oppose son enfance républicaine, évoque l’affaire d’un certain capitaine condamné à tort pour haute trahison, sa fierté d’avoir assister à sa réhabilitation. Notre maurrassien écoute, et pense à part lui : « C’est curieux, il n’a pas l’air de savoir que Dreyfus est un traître ! » Peut-on imaginer plus différents que ces deux là, en cet été lyonnais torride, dans une France si occupée ? Quel génie malicieux souffla son inspiration au roi des Ombres ? Après le dîner, avant de disparaître dans la nuit, Jean Moulin, pressé, déclare : « Je vous garde avec moi : vous serez mon secrétaire. Bonsoir. »

L’intérêt du livre ne tient pas seulement au magnétisme de Rex. On y trouvera la chronique minutieuse des heures et des jours de la Résistance, la rude besogne quotidienne ; agir en tout avec une méfiance de chat, espérer, se désoler au gré des informations, des humeurs. De Gaulle pourra-t-il maintenir sa « légitimité républicaine », contre Fresnay et d’Astier-de-la-Vigerie (plein d’une morgue déplaisante) ? Au passage, Caracalla balaye les médisances : Jean Moulin naquit républicain par son père, artiste par sa mère, devint gaulliste par conviction, et demeura hétérosexuel par nature. C’est Henri Fresnay qui fit courir la rumeur de l’homosexualité de Jean Moulin, se fondant sur celle, assumée, de Daniel Cordier. Au reste, homo, nul ne lui en eût tenu rigueur. En revanche, il ne lui sera pas pardonné d’avoir été gaulliste…

Daniel Cordier nous livre le « récit secret » de la puissante séduction qu’exerça sur lui un « homme pour l’éternité », auprès duquel il accepta la modestie du courage dissimulé. Voici ce que fut la guerre souterraine : le sentiment de vivre, la routine du courage simple et organisé, et, au final, la suprême élégance d’un seigneur de la République, trahi, martyrisé, son beau visage abominablement déformé sous les coups, les poumons noyés de sang, puis consentant à une longue agonie mutique. Jusqu’à ce funeste 22 juin 1943, où, par l’un de ses « correspondants », sur le quai de la station de métro Saint-Michel, il apprit que Rex avait été arrêté.

Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, lorsqu’il évoque cette tragédie, des larmes viennent brouiller les traits pourtant pacifiés du secrétaire Caracalla.

En amour, faut jouer serré !

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Alors que nos journaux conjecturent en boucle sur les conséquences des élections européennes et s’interrogent à n’en plus finir sur l’avenir de Martine Aubry ou de François Bayrou, les Américains, eux, se posent de vraies questions intéressantes sur l’actu. Nos confrères de Slate reviennent sur le récent décès de David Carradine et posent la question qui tue : existe-t-il un moyen sur de pratiquer l’AAE (Auto-asphyxie érotique). Hélas, la réponse est non. Aucun praticien patenté ne pense que ce soit une bonne chose que de réduire brutalement la quantité de sang et donc d’oxygène qui arrive dans le cerveau. Néanmoins, si c’est vraiment votre truc Slate suggère une solution de repli : jouez-y plutôt avec un partenaire, expérimenté de préférence, et convenez auparavant d’un signal d’alerte qui signifie « fini de jouer, relâche le nœud ! ». On évitera aussi, précise Slate – avec un sens du détail qui honorerait la presse française –, de ne pas prendre d’alcool ou de drogue durant ce genre d’exercice. Dernier conseil pour les amateurs, même quand toutes les précautions sont prises : ne serrez pas trop fort… Et on est prié de ne pas rigoler trop fort : le FBI estime qu’aux USA, le nombre de décès annuel dûs à l’AAE se chiffre entre 500 et 1 000.

Pas de divine surprise pour le Hezbollah

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Est-ce parce que le scrutin avait lieu un dimanche ? En tout cas, le 7 juin, le Hezbollah n’a pas bénéficié d’une intervention divine : la majorité sortante, anti-syrienne et pro-occidentale (c’est-à-dire anti-Hezbollah et anti-iranienne), a été reconduite. Compte tenu des efforts déployés par le parti chiite ces dernières années pour s’emparer du pouvoir et notamment sa stratégie coûteuse de résistance contre Israël, il ne s’agit pas d’un « non succès » mais carrément d’un échec.

Pour essayer de comprendre le vote libanais, un petit détour par la presse économique du pays du Cèdre n’est pas inutile. On pouvait y lire ces dernières semaines que durant les quatre premiers mois de 2009, un total de 8 671 nouvelles voitures ont été vendues, soit une hausse de 6,21 % par rapport à la même période en 2008. Et le boom ne s’arrête pas aux bagnoles : les données publiées par les autorités portuaires de Beyrouth indiquent que les revenus du port pour les quatre premiers mois de 2009 ont enregistré une hausse de 34 % par rapport à la même période de 2008. Inutile de rappeler que partout ailleurs dans le monde, la tendance est à l’opposé. Grâce à cette activité accrue, le gouvernement libanais a récemment décidé de relancer de l’expansion du port de Tripoli, le deuxième du pays, gelée depuis deux ans. Bref, trois ans après la guerre avec Israël, l’économie du pays semble avoir retrouvé son dynamisme et une majorité des libanais en ont tiré les conséquences politiques : le vote de dimanche est d’abord un vote pour la stabilité et la prospérité.

La stratégie de résistance du Hezbollah a donc atteint ses limites. La lutte armée contre Israël était un formidable moyen de mobilisation et un alibi parfait pour construire et maintenir une milice dont on pouvait aussi se servir sans états d’âme contre « l’ennemi de l’intérieur », comme l’avait fait le Hezbollah l’année dernière. Cette stratégie a aussi permis au mouvement chiite de forger une alliance avec Damas et Téhéran, aussi bien qu’avec l’opposition palestinienne la plus intransigeante. Enfin, Nassrallah, chef du Hezbollah, a pu, en tirant sur cette corde facile à actionner, galvaniser une partie de l’opinion publique musulmane au Moyen-Orient – ainsi que certaines de nos banlieues.

Pour autant, la guerre de l’été 2006, qui semblait alors marquer l’apogée du mouvement chiite et de son leader, apparaît de plus en plus comme une erreur stratégique majeure. La résistance est peut-être une stratégie efficace d’opposition mais elle pose de sérieux problèmes quand on prétend former une majorité de gouvernement.

Le Hezbollah, mouvement libanais authentique, joue un rôle historique important au Liban, car il a opéré l’ajustement du système politique aux réalités démographiques. Il n’est pas inutile de rappeler que les Libanais votent par communauté et que les Chiites ont droit à 27 des 127 sièges au Parlement, bien que leur poids réel dans la société soit deux voire trois fois plus important. En recrutant parmi l’électorat non chiite, il rétablit en quelque sorte un équilibre politique. Désormais, son véritable défi est de réussir sa transformation en acteur majeur de la politique libanaise, capable de garantir l’intérêt général et de rassurer l’ensemble du corps politique.

Nassrallah a démontré sa capacité de paralyser quelques jours durant le port de Haïfa, principal port israélien, ce qui constitue un énorme succès pour une milice issue de la communauté libanaise la plus pauvre. Ce haut fait d’armes a probablement été une source de fierté pour beaucoup de Libanais appartenant à d’autres communautés. Sauf que dimanche dernier, les électeurs libanais ont dit à Nassrallah que le port de Beyrouth les intéressait plus que celui de Haïfa.

Ecce homo

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T'as de belles phéromones, tu sais ?
T'as de belles phéromones, tu sais ?
T'as de belles phéromones, tu sais ?
T'as de belles phéromones, tu sais ?

Il y a des vérités qui dérangent, il y en a d’autres qui m’arrangent. Par exemple, je partage avec mes compatriotes les plus lucides l’idée que l’atlanto-libéralisme est l’avenir de l’homme. Seules quelques sectes marxistes qui se maintiennent sur les béquilles de leur mauvaise foi refusent encore de voir la lumière. Mais ce n’est qu’une question de temps.

Si, en politique, la franchise est jubilatoire, en amour la prudence s’impose. Dans la conquête des femmes, toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire et la séduction exige une subtile maîtrise du mensonge ou, au moins, de la dissimulation. Il est vivement conseillé dès la première rencontre de laisser dans l’ombre ses arrière-pensées les plus arriérées et les moins pensées. On vous pardonnera d’être un hypocrite, pas d’être une brute (sauf dans le feu de l’action).

[access capability= »lire_inedits »]Il faut bien le reconnaître, le mensonge est le compagnon de route de l’homme dans sa vie sentimentalo-sexuelle. On ment pour séduire une femme, on ment pour la garder et on finit par mentir pour abréger la conversation. Evidemment, de telles pratiques finissent par faire naître dans les cerveaux mâles les plus fragiles un sentiment connu de tous : la culpabilité.

Difficile de vivre avec, deux solutions permettent de s’en délivrer : l’ablation sans anesthésie – « Même pas mal ! » – et l’expiation par le mariage. Pourtant, jusqu’à une époque assez récente, la volatilité du sentiment amoureux masculin demeurait plutôt mal vécue (par les femmes) et très peu assumée (par les hommes). Mais peut-on reprocher à l’individu le comportement de l’espèce ?

Heureusement, les progrès de la science, dont l’objectif est de nous faciliter la vie, notamment ceux de la neurobiologie, sont venus réparer une grande injustice. Les sciences les plus exactes, les expériences les plus incontestables l’affirment : nous sommes innocents des turpitudes que nous commettons. La mort prématurée du sentiment, la pratique de l’adultère, nous n’y sommes pour rien ou presque. Nous sommes programmés pour : c’est chimique, neuronal, moléculaire, et même génétique.

De la naissance du désir par les phéromones à l’amour qui dure trente mois, tout devient clair. Tout rentre dans l’ordre naturel des choses, des hommes et des femmes. Les expériences sur l’attraction des sexes sont troublantes. Dans une salle d’attente, plusieurs chaises vides. Sur l’une d’elles, une odeur mâle a été pulvérisée. Des femmes se succèdent et préfèrent invariablement la chaise mâle aux chaises asexuées. On n’est pas dans un roman de Marc Lévy : la science, elle, ne ment pas.

Pour l’amour, cette religion qui dure trente mois, l’explication est désarmante de simplicité. Lors d’une rencontre amoureuse, le corps libère je ne sais quelle molécule qui laisse des traces visibles dans le sang pendant trente mois. Quand je pense à tout ce qu’on a entendu, les uns et les autres, sur l’air de « T’as pas de cœur » ou « Tu t’es bien foutu de moi ! », les questions en avalanche au moment de rompre pour lesquelles nous n’avons pas la queue d’une réponse, je me dis que nous pouvons rendre hommage aux chercheurs pour cette issue de secours inespérée. Nous sommes esclaves de nos chairs, aux ordres de l’infiniment petit qui circule dans nos veines.

Le discours amoureux, de Julien Sorel à Julien Clerc, est renvoyé aux contes et légendes de la mythologie féminine par un cours de physique-chimie. Une fois admises par les esprits traditionnellement accrochés au mythe de l’amour-toujours, ces découvertes prodigieuses seront à l’origine d’un homme nouveau, décomplexé, déculpabilisé, qui pourra enfin vivre une sexualité libre et épanouie.

Il nous faut répandre la bonne nouvelle. Je m’y emploie.[/access]

Rien de général chez Kléber

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Tout le monde peut s’abonner à la nouvelle formule du mensuel Causeur d’un simple clic, mais ces veinards de Strasbourgeois — l’Alsace bénéficie déjà de tant de dérogations aux usages nationaux — peuvent désormais acheter notre mensuel à la librairie Kléber, où, grâce à Eric Kribs et François Wolfermann, il est en vente depuis mai, au prix de 4,5 €. Si vous n’avez pas de domicile, si vous souhaitez conserver l’anonymat ou, tout simplement, payer en espèces, passez chez Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois à Strasbourg – ça leur fera plaisir et nous économisera un timbre. Si vous êtes libraire et intéressé par la mise en vente du mensuel Causeur chez vous, contactez-nous.

Pourquoi je défends Choc

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Même quand Causeur ne partage (malheureusement) pas totalement mes opinions, il reste sans conteste, le site d’information le plus pertinent que je connaisse. Il m’a donc semblé naturel de contribuer, sur ce site, au débat qui s’est engagé sur la légitimité de la publication, par Choc, des photographies d’Ilan Halimi. Il va de soi qu’au regard de ma qualité d’avocat du magazine concerné, cette contribution est subjective mais, pour autant, il m’a semblé souhaitable d’exposer certaines observations alors qu’excepté sur ce site, les arguments que nous avons développés en défense n’ont été que bien peu évoqués.

Vendredi 22 mai 2009 à 14 h, le magazine Choc était retiré de la vente sur décision de justice. Cette mesure radicale, rarissime dans notre pays, était fondée sur l’atteinte à la dignité humaine découlant de la publication, en « une » du journal, de la photographie d’Ilan Halimi masqué par un ruban adhésif, un pistolet sur la tempe, preuve de vie terrifiante dont on peut comprendre que la diffusion ait révulsé aussi bien la famille de la victime qu’une grande partie de nos concitoyens. L’émotion était légitime, la réprobation parfaitement compréhensible, le débat sur les procédés de Choc ouvert. Néanmoins, la mesure ordonnée apparaît singulièrement préoccupante.

Préoccupante, parce que les principes en cause transcendent de très loin le seul cas du magazine Choc et de la famille Halimi. Préoccupante parce que le retrait ordonné est devenu effectif avant même que la Cour d’appel ait pu statuer sur cette mesure, ce qui permettra, à l’avenir, le prononcé d’une interdiction de publication n’importe où sur le territoire, par un juge unique, sans même qu’une Cour d’appel puisse exercer un quelconque contrôle.

En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris a infirmé le retrait. Toutefois, elle a ordonné l’occultation des photographies litigieuses, en « une » mais aussi en pages intérieures du journal, ce qui aboutissait pratiquement au même résultat qu’une mesure de retrait. De toute façon, pour le journal, il était déjà trop tard.

Préoccupante surtout parce que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qui, en réalité, a été sanctionné : est-ce vraiment l’image publiée ou est-ce la réputation du journal concerné ? Autrement dit, aurait-on été jusqu’à retirer des kiosques, des magazines tels que Le Nouvel Observateur ou L’Express si ces publications avaient diffusé la même photographie d’Ilan en argumentant sur la contribution de ce document à l’information du public ? À défaut, cela voudrait dire que, selon son positionnement et la considération dont il jouit, un organe de presse disposerait de plus ou moins de droits, pourrait être interdit ou autorisé. Le problème c’est que personne n’a la même appréciation des qualités intrinsèques d’un organe de presse et qu’à ce jeu-là, tous les médias risquent d’être finalement perdants.

Prenons garde, à cet égard, à ne pas considérer qu’un document est inutile à l’information sans nous poser préalablement la question de savoir si, pour d’autres que nous, plus jeunes, ayant un autre rapport aux médias et une autre culture de l’information, la publication d’un tel document serait pertinente.

Evidemment, certains répondront qu’une presse plus « convenable » n’aurait jamais publié une telle photographie et ils auraient tort. Le 18 novembre 1986, Libération consacrait sa « une » à la photographie de Georges Besse baignant dans son sang, assassiné par des membres d’Action Directe. Fallait-il interdire cette photographie au prétexte de la dignité humaine de la famille de Georges Besse ? Cette publication, aussi choquante qu’elle ait été, certainement « indécente » comme l’a retenu la Cour d’appel de Paris pour la photographie d’Ilan Halimi, n’a-t-elle pas contribué à discréditer la radicalité terroriste d’Action Directe ? Refuser d’incarner le mal, interdire de montrer la barbarie, est-ce vraiment le meilleur moyen de combattre la haine, la bêtise et la violence ?

Et les photographies d’Abou Ghraib, prises par des tortionnaires, comme celles d’Ilan Halimi ? Et celles de Daniel Pearl et celles d’Aldo Moro, mort dans le coffre de sa voiture ? Doit-on admettre qu’à chaque fois, la publication de ces photographies devait être soumise à l’accord des familles ? L’information du public n’aurait rien à y gagner, pas plus, en définitive, que la dignité humaine.

On retiendra également que, quelques jours avant Choc, le magazine Tribune Juive consacrait lui aussi sa « une » à une photographie d’Ilan Halimi souriant. Cette photographie bien qu’évidemment moins dérangeante, avait-elle une valeur informative supérieure à celle publiée par Choc ?

De quelle photographie se souviendra t-on dans quelques années, quelle photographie aura marqué les esprits, quel document incarnera la barbarie dont Ilan Halimi a été victime ? Et qu’aurait-on dit si Tribune Juive avait publié en « une » la même photographie que Choc ? Est-on vraiment sûr que le débat se serait posé dans les mêmes termes et n’aurait-on pas vu là, une volonté de marquer et de couper court au délire de l’accusé principal et aux tentations de relativiser ce crime, ce qui est déjà à l’oeuvre sur certains sites ? Est-on vraiment certain qu’il n’y avait aucune utilité à diffuser cette photographie auprès d’un public jeune dont le dernier lien avec la presse papier est peut-être constitué par le magazine poursuivi, quoi qu’on pense de celui-ci ?

Les questionnements posés par le retrait des kiosques de Choc sont d’ailleurs d’autant plus aigus que le procès du gang des barbares a lieu à huis clos, ce que l’avocat de la famille de la victime regrettait lui-même vivement. Ainsi, la presse qui n’a déjà pas le droit de parler d’un procès pourtant symbolique et qui d’ailleurs, n’en parle que très peu, se voit en plus interdite lorsqu’elle évoque, par l’image, la barbarie du crime commis. Cela aussi est préoccupant. Je note d’ailleurs que, sur six semaines de procès, la presse n’a jamais tant évoqué Ilan Halimi qu’à l’occasion de la couverture de Choc. Et c’est Choc qui doit être condamné très lourdement, coupable, peut-être, d’avoir été le vecteur d’une catharsis générale.

Quant à l’avenir, quel journal, quel éditeur prendra le risque de publier une photographie un tant soit peu dérangeante et susceptible d’être qualifiée d’atteinte à la dignité humaine ? De quelle photographie le public sera-t-il privé si, compte tenu des conséquences financières considérables d’un retrait des kiosques, outre les dommages et intérêts conséquents auxquels Choc a été condamné, personne n’ose plus publier de photographies comportant le moindre risque de ce type ?

La crainte d’un retrait sera suffisante pour dissuader toute publication d’images éventuellement choquantes comme si la photographie était le crime, comme si le journalisme, l’information du public et la société elle-même avaient quoi que ce soit à gagner à dissimuler la brutalité du monde. C’est ainsi toute la question du journalisme par l’image qui est posée.

Au demeurant, ne faudrait-il pas aussi s’interroger sur l’atteinte à la dignité humaine que constituerait la description écrite des tortures subies par des victimes de crime ? Ne devrait-on pas l’épargner aux familles ? Où s’arrêtera-t-on sur ce terrain et comment hiérarchiser, à l’avenir, entre les douleurs et les souffrances des familles pour décider celles qui justifient une mesure aussi grave qu’une interdiction de publier et celles qui ne seraient pas assez aigües pour que l’on aille aussi loin ?

Encore se déduit-il de la décision de la Cour d’appel que de telles photographies seront à l’avenir interdites de publication y compris en pages intérieures des journaux, ce qui n’est pas le moins inquiétant quant aux restrictions apportées à l’information du public alors que sur ce point, l’argument du « sensationnalisme » recherché ne peut plus être invoqué.

Prendre en considération le sentiment d’affliction des familles est légitime, mais sur bien des sujets sensibles, il n’y aurait plus d’information possible si ce critère devait primer sur l’intérêt général. Alors oui, compte tenu des enjeux en cause, la défense de Choc me semble essentielle.

Sans histoire ?

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Colombe Schneck
Colombe Schneck.
Colombe Schneck
Colombe Schneck.

Que faire d’une enfance heureuse ? Surtout pas un livre, a-t-on envie de répondre. L’étouffoir familial, les cadavres planqués de génération en génération, les haines recuites : depuis la tragédie grecque, voilà ce qui fait de la bonne littérature.

Certes, Proust fait naître le monde d’un baiser maternel qui tarde à venir mais qui, quand il arrive, charrie l’éternité. Et dans Ada ou l’ardeur, roman de l’enfance perverse et délicieuse, Nabokov a enchaîné quelque chose de la sienne dans une famille qui habitait toute la culture et les beautés d’Europe.

[access capability= »lire_inedits »]Colombe Schneck n’est pas Nabokov ni Proust. D’ailleurs, elle s’en fout, elle n’a pas lu Ada. Son problème, c’est d’être Colombe Schneck. Pas simple, quand on part avec une telle hérédité. Des parents aimants et joyeux, une maison pleine d’amis, de rires et de livres, la certitude que le monde est un cadeau qui vous est destiné – tout cela, se dit-on, devrait aider à vivre. Mais à écrire ? Pour ce qui est de vivre, ça la regarde. Ceux qui l’écoutent sur France Inter, partagés entre agacement et sympathie, penseront qu’elle cache bien son jeu. C’est son droit. En lisant Val de Grâce, on découvre, derrière le personnage d’étourdie légèrement gaffeuse, un écrivain.

Il y a une ruse. On n’est pas dans la Bibliothèque rose. Ce n’est pas le bonheur qui inspire Colombe Schneck, mais le sentiment de sa perte irréparable. Si elle revient errer, et nous à sa suite, au Val de Grâce, l’appartement biscornu et chargé de sa jeunesse qu’elle appelle ainsi comme s’il s’agissait d’un village secret connu de quelques privilégiés, c’est pour se convaincre qu’il n’est plus. Alors, elle vient une dernière fois, pour laisser courir ses doigts sur des meubles recouverts de poussière, faire jouer avec une science précise un tiroir récalcitrant, exercer l’exacte pression nécessaire pour obliger la porte d’une armoire à céder, recenser le fouillis immuable d’une commode. On voit défiler le film de l’enfance qui passe, puis la mort et son appareillage moderne.

Enfants juifs de la guerre, « jetés du monde de l’enfance », les parents de la narratrice se sont vengés. « Pour nous, leurs enfants, ils ont exigé davantage qu’une enfance. » On imagine difficilement cadeau plus empoisonné. Comment survivre quand tant de bontés et de beautés vous ont été données d’emblée ? Comment devenir adulte quand on a toujours gagné « le concours de la petite fille la plus heureuse du monde » ?

Colombe Schneck se demande si on lui pardonnera « d’avoir été aimée à ce point ». Peut-être pas. J’ai envie de dire, en paraphrasant une formule de Friedrich Dürrenmatt, que « ce n’est pas un sujet de honte ni de gloire : c’est un avertissement ». Cet avertissement qui est une invitation, résonne longtemps après qu’on a quitté Val de Grâce.[/access]

Comment peigner une girafe ?

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Girafe

Girafe

Dans sa célèbre fable, La Grenouille, qui finira dans la poêle, que les enfants des écoles ânonnent avec entrain depuis plus de trois cents ans, Jean de La Fontaine nous dépeint, comme chacun sait, un batracien qui veut se faire aussi grand qu’une girafe. Pauvre animal, ignorant que le mammifère qu’il veut singer est l’avenir de l’Humanité – le truc de nases, pas le journal. Lorsque les prédictions d’Al Gore, de Nicolas Hulot et de Nostradamus se réaliseront et que les flots auront recouvert la surface de la Terre sans que Charles Trenet soit là pour chanter leur magie au long des golfes clairs, seule surnagera la tête cornée et fière de la girafe.

[access capability= »lire_inedits »]Et nous serons bien contents, nous autres, pauvres humains, de grimper sur ses frêles épaules, pour la caresser et la peigner, en nous exclamant, tel Mac Mahon sur les bords de la Loire : « Ah ! que d’eau, que d’eau ! ». Courts sur pattes et doutant de la puissance de la girafe, les hommes de la race suspicieuse des Claude Allègre seront vite submergés. Mais nous, qui depuis le berceau n’avons poursuivi d’autre but que de peigner la girafe par goût et par amour de la philosophie, du genre humain et de toutes choses qui persistent dans l’être, surnagerons entre tous.

S’exprimant dans un français somme toute assez approximatif pour un Onassis, Aristote écrit tout cela très bien, au livre II de son Histoire des animaux : « L’animal appelé antilope a une crinière au garrot, ainsi que l’animal sauvage qu’on nomme girafe, qui tous deux ont une légère toison, s’étendant de la tête au garrot. » Encore que l’on pourrait se fier à Heidegger qui, quant à lui, traduit ce passage par un plus élégant : « Waouh, waouh, waouh ! C’est quoi ce machin dans le jardin ? Une grosse taupe métaphysique ! Elfride, vite, le fusil ! »

La voilà donc, la belle affaire de l’humanité, la chose cachée depuis la fondation du monde. Alors que ce poids plume d’antilope ne nourrit que cent ou cent vingt types même pas affamés, la girafe, elle, en rassasie deux ou deux mille cinq cents. Son simple steak vaut pour trente. Certes, tout dépend de l’appétit de vos convives et de ce que vous leur aurez fait manger avant. Mais je suppose votre pingrerie telle que vous leur aurez servi un apéritif léger.

Et, d’ailleurs, qui parle de bouffer la girafe quand il suffit de la peigner ? De la peigner, et non de la peindre. Certains n’ont pas su faire de leur chevalet un bouclier suffisant contre l’atrocité du coup de sabot girafier. La girafe vous prend de haut, c’est là son moindre défaut. Elle ne souffre pas d’être peinte, mais tolère d’être peignée. Sous nos latitudes, il est bien hasardeux de trouver une girafe, voire même un girafon, se prêtant librement à l’exercice – le réchauffement climatique et la déforestation amazonienne ont eu raison de l’écosystème girafier dans l’Hexagone. C’est donc dans les zoos qu’il faut se rendre pour répéter inlassablement l’ancestral geste du peigneur.

Certes, un pouvoir d’achat conséquent vous donnera l’idée d’acheter votre propre girafe et de la peigner, en fonctionnaire ou en rentier, à domicile. Ah ! malheureux, cancrelat, peste noire ! N’avez-vous donc pas appris que jamais il ne faut prendre sur ses loisirs pour peigner la girafe ? La tache est rude. Elle est noble. Elle suppose une dextérité hors du lot, une maîtrise, une abnégation qui contredisent ce que ce jeanfoutre (paix à son âme) de Roger Martin du Gard écrivait dans Les Thibaut : « D’ailleurs, je m’en fous… On verra bien… Faire ça, ou peigner la girafe ! »

Eh bien, social-traître, quand on est français, la girafe, on la peigne bien. Et on y passe tout son temps. On massacre un troupeau d’éléphants pour se tailler dans leurs défenses un instrument digne de ce nom. Et on le fait. Avec entrain. Dans le sens du poil. Car, voyez-vous, Chinois, Indiens ou Brésiliens, eux, peuples tout dévoués au labeur dégradant, ne connaissent ni girafe ni peigne.[/access]

Il faut sauver l’Opinel !

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Opinel

Opinel

Non loin de chez moi, à Cognin, près de Chambéry, se trouve une entreprise qui fait rarement parler d’elle, communique peu et n’envisage pas de se délocaliser dans quelque pays exotique. Elle appartient à la même famille depuis sa fondation, en 1890, et, dans le monde entier, son nom est connu de tous ceux qui se sentent mieux avec un bon couteau au fond de la poche : je parle d’Opinel. C’est la main couronnée, la virole, le manche en hêtre blond verni et la lame pointue fine et tranchante qui se prête à une multitude de fonctions, des plus élémentaires, comme le partage du pain, aux plus sophistiquées, comme la gravure sur bois.

[access capability= »lire_inedits »]L’hystérie sécuritaire qui s’est emparée du monde de l’éducation après quelques agressions dramatiques dans des établissements scolaires risque de bannir ce couteau aussi utile que chargé d’histoire de l’équipement des collégiens et des lycéens. Quelle erreur ! Quel manque de psychologie ! Quelle vision stupide qui veut que ce soient les couteaux qui tuent et non les gens qui les tiennent ! Au contraire, on devrait offrir un Opinel à chaque élève entrant en 6e, avec un accompagnement pédagogique indiquant ce qui se fait et ce qui ne se fait pas avec un couteau. Ne vaut-il pas mieux que l’élève frustré par une mauvaise note grave sur sa table « La prof de maths est une tepu ! », au lieu de remâcher sa rancœur jusqu’au passage à l’acte ?

Il existe un potentiel de violence chez les jeunes, particulièrement les jeunes garçons – de toutes classes sociales – devant lequel la communauté éducative d’aujourd’hui, nourrie de sciences humaines frelatées, se voile la face. Jadis, on savait la canaliser dans des exercices producteurs de plaies et de bosses strictement réglementés par les adultes : c’est ainsi que les Anglais ont inventé le rugby, et que son équivalent rustique et hexagonal, la soule, était pratiqué dans les villes et les villages. Et chacun, son Opinel en poche pouvait alors se sentir le roi du monde.[/access]

Ô pub, suspends ton vol !

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Je ne voudrais pas vous affoler, mais il faut vraiment faire gaffe à ce qu’on dit. Parce qu’en plus de ne pas vexer les juifs, les arabes, les goys, les pédés et tous les autres, victimisés par l’histoire et par la France, il convient aussi de ménager en toute heure et en tout lieu la sensibilité du téléspectateur qui sommeille en chacun de nous. On veut bien communier dans l’horreur et la compassion trois fois par jour – voire plus pour les adeptes de la torture moderne appelée information continue – mais pas faire des heures sups. En dehors des heures de boulot, nous apprécions d’être protégés contre le réel et souhaitons que nous soit épargné le rappel douloureux de notre condition de mortels. Sinon, à quoi ça servirait que les cellules d’aide psychologiques se décarcassent ?

Mardi dernier, jour de la catastrophe du vol 447, Gil Mihaely et moi-même nous attablons à la terrasse de nos copains Sélim et Daddy, le principal quartier général de Causeur. Comme tout le monde, nous échangeons des banalités compassionnelles et convenons qu’on est bien peu de choses. Je raconte à Gil l’histoire, entendue à la radio, de cette jeune fille qui, moyennant 200 €, a laissé sa place dans le vol précédent à un passager pressé. Bref, nous sommes contents d’être en vie, vaguement tristes pour ceux qui ne le sont plus et rétrospectivement effrayés à l’idée que l’un de nos proches aurait pu se trouver dans l’Airbus. Une vraie conversation de café du Commerce, ponctuée par les salutations des habitués.

Soudain, Gil éclate de rire. Vous connaissez Gil, c’est pas le genre cynique, mais la publicité qui recouvre les tables du bistrot aiguise son sens de l’humour noir. Il s’agit d’une campagne anti-tabac qui compare les risques pris par un individu sain et par un fumeur. La version que nous avons sous les yeux nous apprend, je vous le donne en mille, qu’ »un homme a une 1 chance sur 1,5 millions de mourir foudroyé », alors qu’ »un fumeur a 1 chance sur 2 de mourir du tabac ».

foudre

Statistique imparable qui devrait effrayer les fumeurs. Sauf qu’à ce moment-là, les experts qui ne savent rien mais doivent tout dire, ont à peu près convaincu tout le monde que la foudre était responsable de l’accident de l’A 330. « Publicité mensongère, lâche Gil. Enlevez ça tout de suite, c’est honteux. » On rigole un peu et, c’est pas pour me vanter mais, animée d’un vrai réflexe de grand-reporter en veste à poches, je prends la pub en photo (en vrai, c’est pour l’envoyer aux copains). Après quelques commentaires, dont j’admets qu’ils ne sont pas tous de la première finesse, et après avoir répété deux ou trois fois ce que nous avons déjà entendu une dizaine de fois, nous passons à autre chose parce que tout ça est bien triste et que la vie est courte, même quand on ne fume pas.

Le lendemain, passant devant le café avec un autre camarade, l’épisode me revient en mémoire. « Viens, je te montre un truc marrant », dis-je. Pendant quelques secondes, j’ai une sorte de vertige : la publicité foudroyante a disparu. Le napperon de carton est blanc. Aurais-je rêvé ? Sélim et Daddy ont-ils été pris d’un accès de pudibonderie compassionnelle ? Ont-ils eu peur de chagriner leurs clients avec l’évocation de la méchante foudre qui viendra frapper leur avion s’ils ne sont pas sages ? Renseignement pris, ce n’est pas ça du tout. Ces salauds se fichaient bien des ravages psychologiques qu’aurait pu faire leur réclame.

Le fin mot de l’affaire est bien plus rigolo. Figurez-vous, affectionnés lecteurs, que la société qui gère ce petit business de napperons publicitaires avait débarqué le matin même pour faire disparaître la publicité si criminellement évocatrice des malheurs du monde. Mais le plus comique est qu’elle l’a fait sur ordre de la Préfecture. Comme je vous le dis. Quelque part sur l’Île de la Cité, un fonctionnaire a jugé qu’en ces jours de deuil il n’était pas convenable que quelque chose rappelle aux populations éplorées l’existence de la foudre – depuis, la foudre a été innocentée, mais tant pis pour elle. Il faudrait le décorer, ce Bouvard et Pécuchet à lui tout seul, pour avoir inventé le droit de l’homme à rester un enfant. Comment ne pas être pleins de gratitude quand nos gouvernants s’emploient ainsi à nous épargner le rappel des tragédies de la vie en particulier de la dernière d’entre elles ? Le mot « mort » ne tue peut-être pas, mais il fatigue grave.

Seulement, il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin. Il sera difficile de soustraire à notre vue tous les sujets d’affliction produits par une réalité bien contrariante. Repeindre la vie en rose, c’est un boulot à plein temps – généralement exécuté, d’ailleurs, par les publicitaires. Je suggère cependant de s’attaquer à la racine du mal et de lancer la bataille pour l’assainissement du réel par l’interdiction du roman, cette invention diabolique hantée par le négatif.

Cela dit, je suis peut-être injuste avec le fonctionnaire au grand cœur. Après tout, il ne manque pas d’humour. En effet, s’il a ordonné la disparition de la foudre, il n’a pas jugé nécessaire de réclamer l’élimination du deuxième visuel de la campagne anti-tabac.

requin

Un petit marrant, je vous dis. Je ne sais pas si ça vous fait le même effet, mais moi, ça m’a donné furieusement envie de fumer une clope.

Daniel Cordier, la Résistance à voix basse

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Caracalla ! C’est sous ce nom que Roger Vailland, dans son roman Drôle de jeu, masque l’un de ses amis, Daniel Cordier. Né à Bordeaux, en 1920, celui-ci rencontra Jean Moulin, et le cours de sa vie en fut bouleversé. Le premier volume de ses mémoires, Alias Caracalla, vient de paraître. On est à mille lieux des témoignages à mâchoire serrée, des humeurs d’ancien combattant moralisateur. En hôte d’une ancienne politesse, il nous ouvre les portes de sa mémoire et retrouve, pour nous accompagner dans cet « immense édifice », la grâce d’un « adolescent d’autrefois », féru d’idées et de littérature.

Le récit porte sur sa période de « formation », c’est-à-dire le temps précédent sa rencontre avec Jean Moulin, puis sur celle de sa « conversion » auprès de ce guerrier silencieux. Où l’on voit comment un grand jeune homme d’Action française fut attiré par la lumière qu’irradiait Jean Moulin, comment il le servit et, avec lui, de Gaulle et la France. Daniel Cordier avait consacré une véritable somme à l’action de Jean Moulin. Toute sa « manière » était d’un historien, il exposait les faits, analysait les situations, reformait la perspective des lignes fuyantes. Il révélait les affrontements souvent très durs, les conflits d’analyses et de personnalités, et fracassait ainsi le mythe d’une Résistance unie. Et, surtout, il répondait aux accusations d’Henri Fresnay, d’après lesquelles Jean Moulin était le représentant du parti communiste dans la Résistance, l’agent actif de Moscou, le stipendié tout à la fois de Staline et des vieux partis de la IIIe République.

Alias Caracalla n’est pas écrit avec la même encre. C’est de mémoire qu’il s’agit ici, de l’effort que font les âmes claires pour ramener vers elles l’immense filet où sont mêlées les émotions lointaines mais toujours vives.

Le beau-père de Daniel, professeur de philosophie, l’initie au maurrassisme et lui enseigne en même temps les quatre piliers de sa sagesse : dégoût de la République, de la banque protestante, des métèques et des juifs. Ce bagage encombrant fut commun à bien des jeunes gens de l’entre-deux guerres. Il conduisit certains à collaborer, il n’empêcha pas d’autres de résister. Le jeune Cordier se persuade sans état d’âme que Dreyfus est coupable. Il crie « Vive le Roi » dans les manifestations, mais voit sans déplaisir les trois « usurpateurs » à vocation fasciste, Salazar, Franco et Mussolini, s’installer durablement dans le paysage européen. Maurras vilipende l’hédonisme et la célébration du moi, mais Daniel ne s’interdit pas de lire André Gide, dont « l’amoralisme d’esthète » le séduit au delà de tout, et ne le dissuade évidemment pas d’éprouver un trouble presque brutal dans la compagnie des garçons, ni d’envisager des fiançailles avec une charmante jeune fille…

Arrive la guerre. Il la voit comme une épreuve nécessaire, un rite d’initiation qui transforme un jeune adulte en citoyen. Révolté par le discours du maréchal Pétain, le 17 juin 1940, il embarque, le 21 juin, à Bayonne, à bord du Léopold II, vers Londres. En Angleterre, il suit une dure préparation militaire. Jeune nationaliste, il a la tête épique, le patriotisme à fleur de peau et veut connaître le feu. Il rêve d’affrontements dans les paysages de France, de commando infiltré derrière les lignes ennemies, enfin, de bouter le « Boche » hors du royaume. Convoqué par le colonel Passy, le 13 juillet 1941, il apprend qu’on lui confie des missions d’un genre très différent : « La guerre clandestine que nous menons en métropole n’est pas celle pour laquelle vous avez été préparé. Elle se vit seul et sans uniforme. […] la police et la Gestapo vous traqueront jour et nuit. […] votre mission aggrave l’isolement puisque vous serez en exil dans votre pays. » On lui remet une ampoule de cyanure, dans le cas où il serait arrêté… Il a 21 ans.

Le 25 juillet 1942, vers 2 heures du matin, il saute en parachute quelque part dans la campagne de Montluçon. Il n’a pas touché terre, qu’il est déjà pris en charge par un réseau : des filles, des garçons banals, des couples paisibles, des gens ordinaires, tranquillement héroïques. Trente mille personnes au début, trois cent mille à la fin, trente mille morts, cent mille emprisonnés composent le peuple obscur, la minorité vigilante de la France fidèle à tous les serments qui l’ont rendue unique, universelle, et qu’on oublie injustement…

Quelques jours après, il est à Lyon, recueilli par le directeur du service étranger de la Société générale, M. Moret, sa femme et sa fille, à la taille si bien prise que Caracalla en est ému. Contraints d’abandonner leur bel appartement du boulevard Malesherbes, à Paris, ils vivent dans un deux-pièces sans confort, et n’oublient pas, ces grands bourgeois, d’être patriotes et de courir des risques. La France fidèle…

On lui a désigné son patron : Georges Bidault, dont il doit devenir le secrétaire. Mais voici que s’avance Rex, en veste de tweed, pantalon de flanelle, et le visage hâlé, si charmeur. De Rex, il ne connaîtra l’état civil qu’à la Libération : Jean Moulin. Auprès de lui, il accomplira chaque jour les menus faits et gestes qui permettent la circulation des hommes, des ordres et des fonds jusqu’au plus lointain maquis, malgré les innombrables difficultés, malgré l’hostilité de presque tous à de Gaulle.

Rex disposait du pouvoir de l’argent, qu’il distribuait aux trois principaux réseaux : la plus grosse part à Combat, une moindre portion à Libération, et le reste à Franc-Tireur. C’était d’ailleurs son unique sceptre, car son autorité était âprement combattue. L’entreprise d’unification des forces tient du travail herculéen, et le contraint, lui et Cordier, à une routine harassante, où l’on s’en remet souvent à « l’imprudence et à la chance ». Pour mieux comprendre l’extravagante entreprise que représente l’Armée secrète, il suffit d’évoquer la première conversation entre ces deux hommes. Cela se passe dans un restaurant de Lyon, le 13 juillet 1942. Le chef de « l’armée des ombres » n’en impose pas seulement par l’âge (43 ans ; les légionnaires gaullistes avaient entre 18 et, comme Raymond Aron que Cordier a bien connu à Londres, 35 ans), mais aussi par l’aspect : le regard perçant, les lèvres pleines, le beau visage immortalisé par la fameuse photographie de Marcel Bernard (hiver 1940). Avec cela, des attitudes de félin guettant non sa proie mais ses chasseurs : la séduction masculine incarnée ! Face à lui, notre jeune homme est d’Action française, antisémite, il vitupère la « gueuse », fréquentait naguère les banquets où éructaient Philippe Henriot et Darquier de Pellepoix ! Moulin, toujours à voix basse, lui oppose son enfance républicaine, évoque l’affaire d’un certain capitaine condamné à tort pour haute trahison, sa fierté d’avoir assister à sa réhabilitation. Notre maurrassien écoute, et pense à part lui : « C’est curieux, il n’a pas l’air de savoir que Dreyfus est un traître ! » Peut-on imaginer plus différents que ces deux là, en cet été lyonnais torride, dans une France si occupée ? Quel génie malicieux souffla son inspiration au roi des Ombres ? Après le dîner, avant de disparaître dans la nuit, Jean Moulin, pressé, déclare : « Je vous garde avec moi : vous serez mon secrétaire. Bonsoir. »

L’intérêt du livre ne tient pas seulement au magnétisme de Rex. On y trouvera la chronique minutieuse des heures et des jours de la Résistance, la rude besogne quotidienne ; agir en tout avec une méfiance de chat, espérer, se désoler au gré des informations, des humeurs. De Gaulle pourra-t-il maintenir sa « légitimité républicaine », contre Fresnay et d’Astier-de-la-Vigerie (plein d’une morgue déplaisante) ? Au passage, Caracalla balaye les médisances : Jean Moulin naquit républicain par son père, artiste par sa mère, devint gaulliste par conviction, et demeura hétérosexuel par nature. C’est Henri Fresnay qui fit courir la rumeur de l’homosexualité de Jean Moulin, se fondant sur celle, assumée, de Daniel Cordier. Au reste, homo, nul ne lui en eût tenu rigueur. En revanche, il ne lui sera pas pardonné d’avoir été gaulliste…

Daniel Cordier nous livre le « récit secret » de la puissante séduction qu’exerça sur lui un « homme pour l’éternité », auprès duquel il accepta la modestie du courage dissimulé. Voici ce que fut la guerre souterraine : le sentiment de vivre, la routine du courage simple et organisé, et, au final, la suprême élégance d’un seigneur de la République, trahi, martyrisé, son beau visage abominablement déformé sous les coups, les poumons noyés de sang, puis consentant à une longue agonie mutique. Jusqu’à ce funeste 22 juin 1943, où, par l’un de ses « correspondants », sur le quai de la station de métro Saint-Michel, il apprit que Rex avait été arrêté.

Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, lorsqu’il évoque cette tragédie, des larmes viennent brouiller les traits pourtant pacifiés du secrétaire Caracalla.

Alias Caracalla

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En amour, faut jouer serré !

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Alors que nos journaux conjecturent en boucle sur les conséquences des élections européennes et s’interrogent à n’en plus finir sur l’avenir de Martine Aubry ou de François Bayrou, les Américains, eux, se posent de vraies questions intéressantes sur l’actu. Nos confrères de Slate reviennent sur le récent décès de David Carradine et posent la question qui tue : existe-t-il un moyen sur de pratiquer l’AAE (Auto-asphyxie érotique). Hélas, la réponse est non. Aucun praticien patenté ne pense que ce soit une bonne chose que de réduire brutalement la quantité de sang et donc d’oxygène qui arrive dans le cerveau. Néanmoins, si c’est vraiment votre truc Slate suggère une solution de repli : jouez-y plutôt avec un partenaire, expérimenté de préférence, et convenez auparavant d’un signal d’alerte qui signifie « fini de jouer, relâche le nœud ! ». On évitera aussi, précise Slate – avec un sens du détail qui honorerait la presse française –, de ne pas prendre d’alcool ou de drogue durant ce genre d’exercice. Dernier conseil pour les amateurs, même quand toutes les précautions sont prises : ne serrez pas trop fort… Et on est prié de ne pas rigoler trop fort : le FBI estime qu’aux USA, le nombre de décès annuel dûs à l’AAE se chiffre entre 500 et 1 000.

Pas de divine surprise pour le Hezbollah

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Est-ce parce que le scrutin avait lieu un dimanche ? En tout cas, le 7 juin, le Hezbollah n’a pas bénéficié d’une intervention divine : la majorité sortante, anti-syrienne et pro-occidentale (c’est-à-dire anti-Hezbollah et anti-iranienne), a été reconduite. Compte tenu des efforts déployés par le parti chiite ces dernières années pour s’emparer du pouvoir et notamment sa stratégie coûteuse de résistance contre Israël, il ne s’agit pas d’un « non succès » mais carrément d’un échec.

Pour essayer de comprendre le vote libanais, un petit détour par la presse économique du pays du Cèdre n’est pas inutile. On pouvait y lire ces dernières semaines que durant les quatre premiers mois de 2009, un total de 8 671 nouvelles voitures ont été vendues, soit une hausse de 6,21 % par rapport à la même période en 2008. Et le boom ne s’arrête pas aux bagnoles : les données publiées par les autorités portuaires de Beyrouth indiquent que les revenus du port pour les quatre premiers mois de 2009 ont enregistré une hausse de 34 % par rapport à la même période de 2008. Inutile de rappeler que partout ailleurs dans le monde, la tendance est à l’opposé. Grâce à cette activité accrue, le gouvernement libanais a récemment décidé de relancer de l’expansion du port de Tripoli, le deuxième du pays, gelée depuis deux ans. Bref, trois ans après la guerre avec Israël, l’économie du pays semble avoir retrouvé son dynamisme et une majorité des libanais en ont tiré les conséquences politiques : le vote de dimanche est d’abord un vote pour la stabilité et la prospérité.

La stratégie de résistance du Hezbollah a donc atteint ses limites. La lutte armée contre Israël était un formidable moyen de mobilisation et un alibi parfait pour construire et maintenir une milice dont on pouvait aussi se servir sans états d’âme contre « l’ennemi de l’intérieur », comme l’avait fait le Hezbollah l’année dernière. Cette stratégie a aussi permis au mouvement chiite de forger une alliance avec Damas et Téhéran, aussi bien qu’avec l’opposition palestinienne la plus intransigeante. Enfin, Nassrallah, chef du Hezbollah, a pu, en tirant sur cette corde facile à actionner, galvaniser une partie de l’opinion publique musulmane au Moyen-Orient – ainsi que certaines de nos banlieues.

Pour autant, la guerre de l’été 2006, qui semblait alors marquer l’apogée du mouvement chiite et de son leader, apparaît de plus en plus comme une erreur stratégique majeure. La résistance est peut-être une stratégie efficace d’opposition mais elle pose de sérieux problèmes quand on prétend former une majorité de gouvernement.

Le Hezbollah, mouvement libanais authentique, joue un rôle historique important au Liban, car il a opéré l’ajustement du système politique aux réalités démographiques. Il n’est pas inutile de rappeler que les Libanais votent par communauté et que les Chiites ont droit à 27 des 127 sièges au Parlement, bien que leur poids réel dans la société soit deux voire trois fois plus important. En recrutant parmi l’électorat non chiite, il rétablit en quelque sorte un équilibre politique. Désormais, son véritable défi est de réussir sa transformation en acteur majeur de la politique libanaise, capable de garantir l’intérêt général et de rassurer l’ensemble du corps politique.

Nassrallah a démontré sa capacité de paralyser quelques jours durant le port de Haïfa, principal port israélien, ce qui constitue un énorme succès pour une milice issue de la communauté libanaise la plus pauvre. Ce haut fait d’armes a probablement été une source de fierté pour beaucoup de Libanais appartenant à d’autres communautés. Sauf que dimanche dernier, les électeurs libanais ont dit à Nassrallah que le port de Beyrouth les intéressait plus que celui de Haïfa.