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De la misère en milieu journalistique

Retenez bien ces deux noms : Guillaume Chauvin et Rémi Hubert. Ces deux étudiants des Arts déco de Strasbourg, nous rapporte Le Monde du 25 juin, ont réussi un coup fumant : berner un jury de professionnels du photojournalisme réuni sous la houlette d’Olivier Royant, directeur artistique de Paris Match pour décerner le prix annuel du photoreportage, qui récompense des jeunes désireux de se lancer dans cette estimable activité. En ces temps de crise de la presse, recevoir 5000 € et voir ses œuvres publiées dans ce prestigieux hebdomadaire constitue déjà en soi un exploit que les jeunes admirateurs des Robert Capa, Marc Riboud ou Henri Cartier-Bresson rêvent d’accomplir.

Mais tel n’était pas l’objectif des sieurs Chauvin et Hubert. Ils se proposaient d’accomplir un « geste artistique retentissant » à l’occasion de la remise de ce prix, en participant au concours avec un reportage bidonné de A à Z, mais réalisé « dans l’esprit de Paris Match » comme le stipule le règlement. Ils choisissent alors un sujet : la misère en milieu étudiant, et les moyens de survie économique de celles et ceux qui la subissent. Ils trouvent un titre accrocheur « Des étudiants option précarité », et réunissent quelques copains et copines qui sont censés raconter une vie propre à susciter l’indignation et la compassion des braves gens lecteurs de Paris-Match. Ainsi, une étudiante en philosophie, qui se prostitue pour subvenir à ses besoins déclare : « Pour pouvoir étudier le jour, je me sers de mon cul la nuit… De temps en temps je reviens à l’appart entre midi et deux pour dormir. C’est dingue d’en être arrivée là. Heureusement j’arrive encore à le cacher. » Lamentable, mais totalement bidon, comme tous les autres « témoignages » rapportés dans le dossier présenté au prestigieux jury. Nos deux lascars ne se font pas trop d’illusions : « On trouvait ça un peu caricatural, on pensait que ça ne passerait jamais ! » Raté ! C’est passé et même très bien passé puisque les jurés n’y ont vu que du feu et ont décerné le prix aux faussaires.

Ces derniers auraient pu la boucler, empocher leur chèque, frimer devant leurs copains en leur montrant le reportage publié dans Paris Match, et réfléchir au bidonnage suivant susceptible d’alimenter leur compte en banque. Mais on oublie que, parfois, des jeunes peuvent se comporter autrement que comme les voyous cyniques qu’ils ne manqueront pas de devenir par la suite. Ils ont mangé le morceau lors de la remise du prix, le 24 juin, transformant cette cérémonie en un « geste artistique retentissant », qui laissa le jury sans voix et désemparé, au point qu’il laissa les récipiendaires partir avec le chèque de 5000 €. Cette magnanimité ne dura cependant que le temps, pour la direction de Paris Match de reprendre ses esprits et de faire opposition sur le chèque, qui abondera l’édition 2010 du prix. Cela laisse un an aux impétrants pour réaliser un double bidonnage qui recevra une double ration de pépètes…

On pourrait profiter de cette fable pour faire, une fois de plus, le procès de cette presse à sensation, pour qui un bon gros mensonge bien saignant est préférable à une grise vérité, se gausser, comme Coluche, du « choc des mots et du poids des photos », et stigmatiser le coupable aveuglement des responsables de ces publications… C’est oublier que reportage et bidonnage sont aussi unis que les lèvres et les dents, comme aurait dit le président Mao.

Pour avoir quelque peu fréquenté ces milieux, je puis témoigner que personne n’est dupe de ces « reportages » de la presse écrite ou audiovisuelle dont le caractère sensationnel n’a d’égal que le rapport très lointain qu’ils entretiennent avec la réalité. Les exemples de falsifications patentes qui parviennent jusqu’à la publication ou la diffusion, et dont on apprend par la suite la vraie nature sont suffisamment nombreux pour le prouver. Comme ce documentaire télé sur les trafics d’organes, en l’occurrence des yeux volés à des enfants sud-américains, qui reçut le prix Albert Londres en 1995 et où les pauvres petits, examinés par des spécialistes français, se révélèrent aveugles à cause d’une maladie infantile. La « bidonneuse » conserva son prix et poursuivit une carrière brillante et prolifique dans le monde du documentaire de télévision. Cette dérive ne concerne pas que la presse dite « de caniveau ». J’ai souvenir d’une page entière du Monde consacrée, au début des années 2000, à une bouleversifiante histoire d’espions du Mossad infiltrés aux Etats-Unis sous couvert de venir étudier les beaux-arts. Ces faux étudiants mais vrais espions étaient supposés avoir eu vent des préparatifs de l’attentat du 11 septembre et conservé par devers eux ces précieuses informations. Cette « meyssannerie » passa sans encombre tous les filtres mis en place par le « quotidien de référence » et reçut in fine le bon à tirer d’un grand moraliste de la profession, l’excellent Edwy Plenel. Jamais le journal ne présenta les moindres excuses à ses lecteurs et l’auteur de ce morceau d’anthologie forgeronne poursuit une brillante carrière au sein de la rédaction du Monde.

Ceux qui affirmeront que jamais, au grand jamais, de telles pratiques ne se sont produites dans l’organe de presse dont ils ont la responsabilité sont soit des imbéciles, soit des menteurs. La vérité est que les histoires bidonnées sont mille fois plus excitantes, donc vendeuses, que la complexe et triste vérité et que la loi non écrite du milieu veut qu’un bidonnage qui ne trahit pas trop la réalité en lui donnant le surcroît de peps dont elle manque est tout à fait moralement acceptable.

C’est ce qu’ont découvert tous seuls, comme des grands, les jeunes Chauvin et Hubert. Ils pourront se consoler d’avoir perdu, avec panache, les 5000 € qui auraient pu ensoleiller leurs vacances, en sollicitant un stage au bureau de Jérusalem de France 2, où ils seront, j’en suis certain, accueillis à bras ouverts.

Photo de une : «  »Il ne faut pas se fier aux apparences : ce n’est pas forcément ceux que l’on croit qui souffrent de la précarité. Quand j’ai vu par hasard une de mes élèves faire le trottoir, j’ai eu un choc. » Pierre, membre du corps enseignant. » © Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, 2009.

Iran : qui a vraiment perdu les élections ?

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À court et moyen terme, nul ne sait qui va gagner le bras de fer engagé en Iran depuis les élections présidentielles du 12 juin. Mais même si le régime arrive à réduire ses opposants au silence et à se maintenir, les mollahs vont devoir réviser à la baisse leurs prétentions à ce que l’Iran accède au statut de puissance régionale. Dans la région comme dans le reste du monde, et malgré la lourde censure, on a vu les images venues de Téhéran. Même ceux qui croient et souhaitent dur comme fer à la victoire d’Ahmadinejad et de Khamenei sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le régime peut basculer du jour au lendemain. Comme les conseillers et les princes après le premier malaise d’un roi craint et vieillissant, tous les protagonistes internationaux raisonnables doivent maintenant envisager ce scénario, qualifié il y a quelques semaines de wishful thinking.

Pendant les premiers jours de la crise, on pouvait encore croire à une querelle de famille entre les enfants de la révolution. Ahmadinejad aurait pu jouer le rôle d’un Premier ministre de la Ve République, celui du fusible qui protège le chef de l’Etat, mais la décision de Khamenei d’abandonner sa position d’arbitre non-partisan a compromis le régime tout entier.

Le mouvement de contestation a donc déjà marqué un premier point, non seulement contre le gouvernement, mais contre le régime lui-même, touché là où ça fait le plus mal : l’image et le prestige international. Les piètres performances de l’économie et l’incapacité du gouvernement à faire face aux problèmes d’emploi et de logement ont été longtemps contrebalancés par une politique militaire et extérieure ambitieuse. Comme au temps de l’Union soviétique, le prestige de l’Empire avec les défilés de missiles et autres armements à la pointe de la technologie étaient là pour détourner l’attention du peuple de son quotidien misérable.

Depuis la guerre contre l’Irak, le pays a su se reconstruire et se positionner comme une puissance régionale de premier plan. Jouant à fond la carte chiite, l’Iran a habillement tissé sa toile de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Les mollahs ont aussi compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un soutien aux Palestiniens les plus intransigeants. Etre les champions de la lutte contre Israël et les Etats-Unis les qualifiait pour le leadership de l’ancien camp des non-alignés.

Cette stratégie de puissance a parfaitement fonctionné et l’Iran a savamment enterré deux mines que lui seul peut neutraliser ou faire exploser : d’une part, avec ses alliés libanais (le Hezbollah) et Palestiniens (le Hamas), Téhéran verrouille le conflit israélo-palestinien, d’autre part, sa puissance nucléaire lui confère une capacité de nuisance qui lui procure une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des puissances mondiales. Dans le Golfe, après trente ans d’absence, Téhéran s’impose et certains, comme le Qatar, en ont déjà tiré les conclusions, au grand dam de l’Arabie Saoudite.

Cet édifice sophistiqué n’est pas en train de s’écrouler mais il est incontestablement fissuré. Et ça se voit. Le Hezbollah dont le financement, le poids politique et militaire, dépendent de Téhéran, doit élaborer un « plan B », car les jours difficiles peuvent arriver sans sommation. De même, le Hamas pourrait être amené à réviser sa ligne dure face à Jérusalem et Ramallah et peut-être à chercher de nouveaux alliés. Quant à la Syrie, Assad doit sans doute se rappeler son père, qui au moment de la chute brutale de l’Union soviétique, s’est trouvé presque du jour au lendemain dépourvu d’appui stratégique majeur.

Autre revers pour le régime, la carte nucléaire n’a pas fonctionné autant qu’espéré : en faisant du « droit au nucléaire » un argument de politique intérieure, il espérait que la fierté nationale, réelle, jouerait pour lui. La contestation montre que les rêves de puissance n’ont pas étouffé l’aspiration à la liberté tout de suite. La bombe n’est plus un projet national mais le projet du régime. On ne peut plus dire que « malgré tout, c’est une démocratie ».

En bref, et même si la contestation actuelle connaît le même sort que celui des étudiants en 1999, la légitimité de l’actuel gouvernement est entamée et le rayonnement du régime est terni pour longtemps. Et on peut ajouter qu’avec lui, c’est « l’Islam politique » tout entier qui perd son élan triomphaliste car de toute évidence pour beaucoup d’Iraniens, Islam is not the solution.

Farrah s’en va

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La main droite, ou gauche, de tous les garçons ayant eu entre 12 et 16 ans en France, en 1978, est en deuil. Nous venons en effet d’apprendre le décès d’un cancer de Farrah Fawcett Major à l’age de 62 ans. Farrah Fawcett Major, qui fut à la ville la femme de L’Homme qui valait trois milliards, déclencha une véritable épidémie onaniste dans notre pays. Ceux qui découvrirent, en même temps que le deuxième choc pétrolier, la silhouette blonde et les yeux bleus de Farrah, alias Jill Monroe qui devait enchanter de sa présence lumineuse la série Drôles de Dames sur Antenne 2, ne manquèrent plus ce rendez-vous aussi sacré que la parution mensuelle de Lui. Seule une minorité d’intellectuels lui préférait la brune Jaclyn Smith quant à Kate Jackon et son allure d’institutrice, ses fans se limitaient à quelques pervers se destinant à l’éducation nationale. La gigantesque Farrah Fawcett Major, elle, aura eu une influence décisive, encore mal évaluée par les historiens et les sociologues, dans la création d’une libido masculine fantasmant sur les brushings à la lionne et les souitecheurtes rouges. Cela méritait d’être salué. Avec elle, c’est tout l’érotisme post-psychédélique de l’Amérique démocrate-cartérienne qui disparaît. Et notre jeunesse masturbatoire aussi.

Il n’y aura pas de loi sur la burqa

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Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.

Sarkozy, j’achète pas !

Comme l’avait souligné Donald Rumsfeld en son temps, nous sommes un « vieux pays ». C’était l’époque où nous refusions l’idée d’aller mourir pour les actionnaires de messieurs Bush et Cheney du côté de la capitale de Shéhérazade que ces amoureux de la démocratie voulaient raser à coup de missiles thermoguidés. Dominique de Villepin, (décidément la France avait encore une certaine allure) lui avait répondu que c’était justement le fait d’être un vieux pays qui nous rendait un rien circonspect quand on nous invitait à participer à un carnage. Nous en avions trop connu, de départs gare de l’Est la fleur au fusil. « Demain à Bagdad ! » graffité à la craie sur les fourgons militaires, cela avait déjà des airs de déjà-vu…

Être un vieux pays, cela signifie aussi, que nous attachons beaucoup d’importance à la forme, au paraître. Renaud Camus a écrit un Eloge du paraître, dans lequel il nous dit à quel point le « naturel » est haïssable, le « ce qui va de soi », le relâchement dans la tenue, le langage, le rapport à l’autre. Ce genre de choses a toujours paru à nos amis Américains au pire superficiel, au mieux folklorique. Cet attachement aux manières, dans les discours amoureux, politique, artistique, par exemple. Nous aimons, nous Français, la bathmologie, chère à Roland Barthes et, encore lui, à Renaud Camus. La bathmologie est une science plus ou moins amusée des degrés, du contexte dans lequel sont prononcées des paroles, émises des opinions et qui rend la vérité relative, invite à la nuance, la courtoisie, la tolérance, toutes choses qui font par ailleurs de Causeur un lieu français par excellence, comme chacun le sait.

Or, à notre grand étonnement, notre rédactrice en chef, sur le discours de Sarkozy, n’a voulu réagir que sur le fond, écartant dans un geste charmant de désinvolture la question formelle, comme si cette dernière était négligeable. Que le président de la République s’appuyant sur une nouvelle mouture de la Constitution, votée l’année dernière à une voix de majorité, celle du futur ministre d’ouverture Lang, se soit adressé directement aux représentants du peuple réunis en Congrès, et ce pour la première fois depuis 1875, ne l’a pas choquée plus que ça.

Elisabeth Lévy a été prise, oh très brièvement, comment dire, d’un accès de bovarysme politique : elle a voulu y croire, elle a pris ses désirs pour des réalités. Comme Emma à Yonville tombant amoureuse d’un clerc de notaire qui lit de la poésie, comme Emma qui voulait oublier la laideur de sa petite ville, la bêtise de Homais, la vulgarité un peu veule de son mari, elle a voulu oublier tout le reste, les députés et sénateurs au garde à vous, le gouvernement muet, le Premier ministre vidé de toute substance, comme victime d’un sortilège vaudou qui l’aurait transformé en mort-vivant sous nos yeux, pratiquement en direct. Elle a écouté de jolis mots et elle n’a pas eu tout de suite le très sain réflexe de Dalida, dans Paroles, paroles répondant à Alain Delon qui lui sussure des menteries à l’oreille : « Caramels, bonbons et chocolats ».

Heureusement, Elisabeth Lévy, comme dans n’importe quelle bonne série B, s’est réveillée juste à la fin de l’article et, à l’instar des héros de Body Snatchers, a arraché in extremis les plantes parasites qui voulaient prendre possession d’elle et la transformer en UMPiste convaincue.

On a eu chaud, vraiment chaud : quand on connaît un peu Elisabeth, qui n’est pas du genre à se laisser hypnotiser, on commence à trembler devant la force de persuasion du sarkozysme qui n’est pourtant jamais que celle d’un marketing enseigné dans une école de commerce de seconde division mais démultiplié par les ors de la République et la majesté de la fonction présidentielle. C’est là que l’on voit la force de la forme, encore une fois : cette fonction présidentielle, elle a résisté à l’insupportable pipolisation du régime, aux « casse-toi pauvre con », et même au fait que le roi n’ait plus deux corps, un privé, un public, ce qui, selon Kantorowicz, permet au pouvoir de se légitimer, voire de se sacraliser.

Nous, le fond, quand il s’agit de l’actuel président, nous pensons qu’il ne signifie rien. Ce que d’aucuns appellent son pragmatisme, c’est une navigation plus ou moins habile, dans l’intérêt du groupe qui a voulu le voir arriver au pouvoir et dont les historiens pourront retrouver les noms sur la liste des invités du Fouquet’s.

Là, il faut néanmoins reconnaître qu’il a franchi un pas. Nous savions que Sarko l’Américain adorait faire du jogging avec des tee-shirts du NYPD, nous ignorions que cette manie d’adolescent gavé de séries policières le pousserait à vouloir faire son Discours sur l’Etat de l’Union comme un Roosevelt ou un Obama. La prochaine étape, ce sera quoi ? Un architecte d’intérieur à l’Elysée pour transformer le bureau de De Gaulle en salon ovale ?

Finalement, Sarkozy ressemble à ceux qu’il veut transformer en classe dangereuse, son imaginaire est totalement colonisé par l’Amérique. Demandez à n’importe quel éducateur de la PJJ comment un jeune de banlieue passant en comparution directe va appeler le juge. Neuf fois sur dix, il dit « Votre Honneur » et il cherche des yeux une bible pour prêter serment quand bien même il serait musulman.

En parlant devant le Congrès, Nicolas Sarkozy n’a effectivement pas mis en danger la République, même si je suis assez heureux à titre personnel que les députés et sénateurs communistes n’aient pas cautionné la mascarade.

Non, ce qu’il a fait est beaucoup plus triste. Il s’est servi de la République pour satisfaire une obscure pulsion de mise en scène permanente de sa vie comme un film dont le réalisateur ne serait pas le Visconti du Guépard ou le Capra de Monsieur Smith au Sénat, mais plutôt, on a les goûts qui vont avec la gourmette, les tâcherons hollywoodiens qui pondent annuellement des daubes comme Independance Day ou Air Force One, quand le président sous les traits d’Harrison Ford, dézingue des terroristes qui ont pris son bel avion en otage parce que décidément, quand on est hyper-président, il faut vraiment tout faire soi-même.

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À louer, villa en plein cœur de Rome

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Il n’y a pas qu’avec les soldes qu’on fait de bonnes affaires. Parfois, ça vaut la peine d’attendre les offres de dernière minute, notamment en matière de locations. Un peu plus d’un an après le feuilleton qui a accompagné la sélection de son futur ex-locataire et un peu moins de dix mois après que celui-ci s’y soit installé, la villa Médicis est de nouveau sur le marché. Mais ce jeu de chaises musicales à rythme accéléré ne présente pas que des inconvénients. Cela nous permet de vous renvoyer à nos conseils – qui ont gardé toute leur fraicheur – à la fois pour la question du bien immobilier directement concerné et pour celle, plus générale, de remaniement. À part ça, plus sérieusement, si je suis nommé à la Villa Médicis, j’inviterai tous les lecteurs à passer quelques jours de vacances en pension complète cet été, sur simple présentation de leur justificatif d’abonnement.

Tout ça pour ça ?

« C’est un remaniement ? – Non, Sire, un déménagement. » Depuis plusieurs semaines, Paris bruissait des rumeurs les plus folles. Certains nous annonçaient la nomination imminente d’Alain Juppé à Matignon, d’autres se réjouissaient de celle de Philippe Séguin place Vendôme. Les plus clairvoyants confiaient, à demi-mot, que la place Beauvau brûlait d’accueillir Manuel Valls et la rue de Valois Jack Lang. Claude Allègre se voyait bien à la tête d’un grand ministère de l’Industrie et de la Technologie – à défaut les Anciens combattants ou le Patinage artistique. Quant à Hubert Védrine, il occupait déjà le fauteuil de Bernard Kouchner que ce dernier y était encore assis.

Rien de tout cela ne s’est passé. Car rien ne s’est passé. Nicolas Sarkozy s’est contenté, pour tout remaniement, de sacrifier au jeu habituel des chaises musicales. Pourquoi aurait-il fait autrement ? Le résultat des élections européennes ne lui imposait pas d’en faire des tonnes. On prend donc les mêmes et on recommence. Certes, quelques nouvelles têtes font leur apparition. Mais, hormis Benoist Apparu (Logement et Urbanisme), Marie-Luce Penchard (Outre-Mer) et Nora Berra (aux Vieux, pardon aux Aînés), il faut revenir d’un long voyage aux Antipodes pour voir en Pierre Lellouche (Affaires européennes), Henri de Raincourt (relations avec le Parlement) et Christian Estrosi (Industrie) des perdreaux de l’année.

Evidemment, nul n’aura manqué de remarquer les deux trophées qui rejoignent, à la faveur de ce remaniement, les lambris élyséens : Michel Mercier et Frédéric Mitterrand.

Michel Mercier, c’est, dit-on, le coup de grâce porté à François Bayrou. Un ami de trente ans qui rejoint le gouvernement : le Béarnais est au plus mal. C’en est fini de lui. Pas sûr : le sénateur du Rhône a beau être trésorier du Modem, il ne siège plus dans les instances dirigeantes depuis plus d’un an et s’est positionné à de multiples reprises pour une alliance tactique avec l’UMP. Un rallié qui se rallie, belle prise de guerre !

L’arrivée de Frédéric Mitterrand rue de Valois est d’un tout autre genre. On en vient presque à regretter qu’Ava Gardner soit déjà morte : le nouveau ministre en aurait prononcé une nécrologie tout à fait convenable. C’est qu’il est doué, Frédéric Mitterrand, pour tenir les cordons du poêle, raconter l’histoire, le cinéma et les obsèques princières. Il a l’allure et la distinction pour aller à Cannes et à la Biennale de Venise, peut-être pas le métier suffisant pour porter le fer devant le Parlement. Qu’à cela ne tienne : ce n’est pas pour cela que Nicolas Sarkozy l’a choisi. Le président de la République a voulu se payer un menu plaisir : s’offrir un Mitterrand. Chacun a les fétichismes qu’il peut. Au Parti socialiste, on est visiblement gêné aux entournures pour dire quoi que ce soit de désobligeant de celui qui porte le nom de la statue du commandeur. On sait aussi que Frédéric a la rancune tenace et qu’il n’a toujours pas digéré le « droit d’inventaire » que Lionel Jospin invoquait le 9 avril 1995 pour déposer le bilan des années Mitterrand. Le premier socialiste qui l’ouvre est un homme mort : qu’on se le dise.

D’ailleurs, les socialistes n’ont pas vu passer le train. Benoît Hamon en tête, ils ont consacré leurs réactions à relativiser le remaniement : « Les ministres ne servent à rien. C’est le président de la République qui contrôle tout. » Au PS, on ne change pas une stratégie qui perd : les socialistes vont continuer à tirer sur Nicolas Sarkozy pendant les deux ans et demi qui viennent, sans toutefois jamais l’atteindre… Ils seront bien inspirés un jour de porter leurs critiques sur le gouvernement et ses membres, afin d’adopter une tactique éprouvée depuis longtemps : décrédibiliser les ministres et leur action, isoler le chef de l’Etat et l’affronter, le moment venu, d’homme à homme.

Rien de nouveau, donc, sous les ors de la République. Rien ? C’est vite dit. André Santini n’est plus ministre ! Le secrétaire d’Etat à la Fonction publique ne rempile pas. Est-il à la rue ? Non. L’heureux homme est sur le point de recouvrer son mandat de député de la dixième circonscription des Hauts-de-Seine. C’est son suppléant qui n’est pas jouasse. Il s’appelle Frédéric Lefebvre et il vient de se faire hacker son siège à l’Assemblée nationale. Maudits pirates !

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Lâchez-leur la burqa

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Elisabeth ! Mon Elisabeth ! Comment peux-tu dire des choses pareilles ? On reprend à zéro. Réponds-moi simplement à cette question : la loi peut-elle dicter les modes vestimentaires ? Tous les Etats de droit au monde ont tranché sans même s’interroger : les gens ont le droit de s’habiller comme ils l’entendent. Est-il interdit de porter une cagoule dans la rue ? On en trouve dans les défilés de mode ! Cette semaine seulement, un décret ministériel vient de prohiber le port de la cagoule « aux abords immédiats des manifestations », c’est dire qu’il est permis ailleurs.

Une burqa en cache une autre. Si des bouddhistes dissimulaient leur visage, on trouverait ça pittoresque. Tu ne parles pas de burqa, tu parles de l’Islam, des musulmans, de cinq, dix pour cent de la population avec qui le reste du pays est en bisbilles. À ces musulmans (la fraction la plus misérable en France), tu dis : cessez d’être musulmans ou cassez-vous. On ne veut plus vous voir. Pas de musulmans dans mon pays. Tu leur envoies ce mollard à la gueule au moment même où ils sont absolument déterminés à devenir plus musulmans que jamais. Rien que pour te faire chier. Rien que pour ça. Ah, tu veux pas que je sois musulman, eh ben tu vas voir. La burqa, je vais te mettre. Et va me l’interdire, voyons un peu si tu tiens autant à ton Etat de droit que tu le prétends, sale occupante d’Irak et d’ailleurs.

Je t’entends hurler d’ici. Moi, contre les musulmans en France ? Sitbon ! Où as-tu été chercher ça ? Qu’ils prient nuit et jour, qu’ils jeûnent jusqu’à plus soif, qu’ils se laissent pousser la barbe jusqu’aux baskets, j’en n’ai rien à cirer, c’est leur affaire. S’ils sont cons, qu’ils le restent. D’ailleurs, j’en pense autant des autres religieux. Mais la burqa, non. Tout, oui. La burqa, non. Elisabeth, tu te racontes des histoires. C’est à l’Islam que tu en veux, pas à la cagoule. D’abord, on a eu les odeurs de Chirac et puis les moutons de l’Aïd, et puis les mosquées, l’excision, la polygamie, les écoles musulmanes, la délinquance, le terrorisme, les banlieues, le voile, maintenant la burqa. Demain, on va découvrir que chaque année au Ramadan, vingt-deux vieillards et enfants meurent d’inanition. Sais-tu qu’un chrétien sur dix et un juif sur trois fréquentent des écoles religieuses sans que ça n’intéresse personne ? Mais les deux cents gamins des trois écoles islamiques, ça, c’est grave.

Tu veux la vérité, Elisabeth ? On a peur des musulmans. On, je, tu, il ou elle a peur des musulmans. Pourquoi on a peur ? Si tu m’accordes un papier de six milliards de signes, je te l’expliquerai pour te faire comprendre ce que je ne comprends pas moi-même. La chrétienté, on dit aujourd’hui l’Occident, est brouillée avec l’Islam depuis toujours. Dès que les musulmans ont franchi les frontières de la péninsule arabique (vers 637), ils se sont heurtés aux chrétiens. Tu sais, quand ils sont arrivés chez toi et moi, au Maghreb (vers 650), ils ont butté sur nos ancêtres vivant dans des Etats chrétiens (saint Augustin). Conquista, Reconquista, chute de Byzance, Lépante, piraterie, toute l’Europe de l’Est musulmane jusqu’à hier (fin du XIXe siècle), colonisation, décolonisation, Israël, tours jumelles, treize siècles, ça n’a pas cessé un jour. L’ennemi pour la chrétienté, pour l’Occident, c’est le Maure, le Sarrazin, le barbaresque, l’Arabe, le Chleu. Le chrétien a colonisé leur pays, ça c’est mal passé. Maintenant, ils colonisent (au sens propre) l’Occident, ça se passe mal. Normal.

Pas si normal que ça. Treize siècles durant, ce fut querelle territoriale. Aujourd’hui, hormis trois colonies en Cisjordanie, personne ne veut étendre sa souveraineté chez le voisin. Entre l’Occident et l’Islam, il n’y a plus d’enjeu qui vaille une guerre. Sauf un. Il concerne les musulmans, pas les autres.

Tu te promènes au Caire, à Casa : sorti de deux vieux quartiers touristiques, le reste de la ville est occidental. Les villes arabes disparaissent. Ils ont tout adopté de l’Occident : l’avion, le parfum Chanel, le jean’s et même les élections. Ils n’ont gardé de leur civilisation matérielle que la baklawa et le couscous. Ils écrivent des romans et font des films comme nous. Ils n’ont presque plus rien en propre ou qu’ils aient créé. Ils sont en voie de se métamorphoser, de leur propre gré, en Occidentaux. Ils ont été avalés, dévorés par leur ennemi. Ils deviennent leur ennemi. Il ne leur reste plus qu’un refuge avant de se fondre totalement en nous et de s’anéantir : la religion, l’Islam. On peut tout christianiser, occidentaliser, jamais on ne christianisera l’Islam. C’est une question de vie ou de mort. Quel peuple a envie de disparaître ? Ou tu t’abrites dans l’Islam ou tu disparais. Alors bien sûr, la burqa. Rien que pour te faire un peu chier. Pour ne pas mourir ce matin.

Tu vois, Elisabeth, ils ne te veulent pas du mal les musulmans. Ils sont dans une mauvaise passe. Aide-les à la traverser. Ça ne durera pas longtemps, un siècle ou deux à tout casser. Après, tu verras, tout ira bien dans une France sans chrétiens, sans musulmans et, enfin, sans juifs.

De la misère en milieu journalistique

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Retenez bien ces deux noms : Guillaume Chauvin et Rémi Hubert. Ces deux étudiants des Arts déco de Strasbourg, nous rapporte Le Monde du 25 juin, ont réussi un coup fumant : berner un jury de professionnels du photojournalisme réuni sous la houlette d’Olivier Royant, directeur artistique de Paris Match pour décerner le prix annuel du photoreportage, qui récompense des jeunes désireux de se lancer dans cette estimable activité. En ces temps de crise de la presse, recevoir 5000 € et voir ses œuvres publiées dans ce prestigieux hebdomadaire constitue déjà en soi un exploit que les jeunes admirateurs des Robert Capa, Marc Riboud ou Henri Cartier-Bresson rêvent d’accomplir.

Mais tel n’était pas l’objectif des sieurs Chauvin et Hubert. Ils se proposaient d’accomplir un « geste artistique retentissant » à l’occasion de la remise de ce prix, en participant au concours avec un reportage bidonné de A à Z, mais réalisé « dans l’esprit de Paris Match » comme le stipule le règlement. Ils choisissent alors un sujet : la misère en milieu étudiant, et les moyens de survie économique de celles et ceux qui la subissent. Ils trouvent un titre accrocheur « Des étudiants option précarité », et réunissent quelques copains et copines qui sont censés raconter une vie propre à susciter l’indignation et la compassion des braves gens lecteurs de Paris-Match. Ainsi, une étudiante en philosophie, qui se prostitue pour subvenir à ses besoins déclare : « Pour pouvoir étudier le jour, je me sers de mon cul la nuit… De temps en temps je reviens à l’appart entre midi et deux pour dormir. C’est dingue d’en être arrivée là. Heureusement j’arrive encore à le cacher. » Lamentable, mais totalement bidon, comme tous les autres « témoignages » rapportés dans le dossier présenté au prestigieux jury. Nos deux lascars ne se font pas trop d’illusions : « On trouvait ça un peu caricatural, on pensait que ça ne passerait jamais ! » Raté ! C’est passé et même très bien passé puisque les jurés n’y ont vu que du feu et ont décerné le prix aux faussaires.

Ces derniers auraient pu la boucler, empocher leur chèque, frimer devant leurs copains en leur montrant le reportage publié dans Paris Match, et réfléchir au bidonnage suivant susceptible d’alimenter leur compte en banque. Mais on oublie que, parfois, des jeunes peuvent se comporter autrement que comme les voyous cyniques qu’ils ne manqueront pas de devenir par la suite. Ils ont mangé le morceau lors de la remise du prix, le 24 juin, transformant cette cérémonie en un « geste artistique retentissant », qui laissa le jury sans voix et désemparé, au point qu’il laissa les récipiendaires partir avec le chèque de 5000 €. Cette magnanimité ne dura cependant que le temps, pour la direction de Paris Match de reprendre ses esprits et de faire opposition sur le chèque, qui abondera l’édition 2010 du prix. Cela laisse un an aux impétrants pour réaliser un double bidonnage qui recevra une double ration de pépètes…

On pourrait profiter de cette fable pour faire, une fois de plus, le procès de cette presse à sensation, pour qui un bon gros mensonge bien saignant est préférable à une grise vérité, se gausser, comme Coluche, du « choc des mots et du poids des photos », et stigmatiser le coupable aveuglement des responsables de ces publications… C’est oublier que reportage et bidonnage sont aussi unis que les lèvres et les dents, comme aurait dit le président Mao.

Pour avoir quelque peu fréquenté ces milieux, je puis témoigner que personne n’est dupe de ces « reportages » de la presse écrite ou audiovisuelle dont le caractère sensationnel n’a d’égal que le rapport très lointain qu’ils entretiennent avec la réalité. Les exemples de falsifications patentes qui parviennent jusqu’à la publication ou la diffusion, et dont on apprend par la suite la vraie nature sont suffisamment nombreux pour le prouver. Comme ce documentaire télé sur les trafics d’organes, en l’occurrence des yeux volés à des enfants sud-américains, qui reçut le prix Albert Londres en 1995 et où les pauvres petits, examinés par des spécialistes français, se révélèrent aveugles à cause d’une maladie infantile. La « bidonneuse » conserva son prix et poursuivit une carrière brillante et prolifique dans le monde du documentaire de télévision. Cette dérive ne concerne pas que la presse dite « de caniveau ». J’ai souvenir d’une page entière du Monde consacrée, au début des années 2000, à une bouleversifiante histoire d’espions du Mossad infiltrés aux Etats-Unis sous couvert de venir étudier les beaux-arts. Ces faux étudiants mais vrais espions étaient supposés avoir eu vent des préparatifs de l’attentat du 11 septembre et conservé par devers eux ces précieuses informations. Cette « meyssannerie » passa sans encombre tous les filtres mis en place par le « quotidien de référence » et reçut in fine le bon à tirer d’un grand moraliste de la profession, l’excellent Edwy Plenel. Jamais le journal ne présenta les moindres excuses à ses lecteurs et l’auteur de ce morceau d’anthologie forgeronne poursuit une brillante carrière au sein de la rédaction du Monde.

Ceux qui affirmeront que jamais, au grand jamais, de telles pratiques ne se sont produites dans l’organe de presse dont ils ont la responsabilité sont soit des imbéciles, soit des menteurs. La vérité est que les histoires bidonnées sont mille fois plus excitantes, donc vendeuses, que la complexe et triste vérité et que la loi non écrite du milieu veut qu’un bidonnage qui ne trahit pas trop la réalité en lui donnant le surcroît de peps dont elle manque est tout à fait moralement acceptable.

C’est ce qu’ont découvert tous seuls, comme des grands, les jeunes Chauvin et Hubert. Ils pourront se consoler d’avoir perdu, avec panache, les 5000 € qui auraient pu ensoleiller leurs vacances, en sollicitant un stage au bureau de Jérusalem de France 2, où ils seront, j’en suis certain, accueillis à bras ouverts.

Photo de une : «  »Il ne faut pas se fier aux apparences : ce n’est pas forcément ceux que l’on croit qui souffrent de la précarité. Quand j’ai vu par hasard une de mes élèves faire le trottoir, j’ai eu un choc. » Pierre, membre du corps enseignant. » © Guillaume Chauvin et Rémi Hubert, 2009.

Iran : qui a vraiment perdu les élections ?

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À court et moyen terme, nul ne sait qui va gagner le bras de fer engagé en Iran depuis les élections présidentielles du 12 juin. Mais même si le régime arrive à réduire ses opposants au silence et à se maintenir, les mollahs vont devoir réviser à la baisse leurs prétentions à ce que l’Iran accède au statut de puissance régionale. Dans la région comme dans le reste du monde, et malgré la lourde censure, on a vu les images venues de Téhéran. Même ceux qui croient et souhaitent dur comme fer à la victoire d’Ahmadinejad et de Khamenei sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le régime peut basculer du jour au lendemain. Comme les conseillers et les princes après le premier malaise d’un roi craint et vieillissant, tous les protagonistes internationaux raisonnables doivent maintenant envisager ce scénario, qualifié il y a quelques semaines de wishful thinking.

Pendant les premiers jours de la crise, on pouvait encore croire à une querelle de famille entre les enfants de la révolution. Ahmadinejad aurait pu jouer le rôle d’un Premier ministre de la Ve République, celui du fusible qui protège le chef de l’Etat, mais la décision de Khamenei d’abandonner sa position d’arbitre non-partisan a compromis le régime tout entier.

Le mouvement de contestation a donc déjà marqué un premier point, non seulement contre le gouvernement, mais contre le régime lui-même, touché là où ça fait le plus mal : l’image et le prestige international. Les piètres performances de l’économie et l’incapacité du gouvernement à faire face aux problèmes d’emploi et de logement ont été longtemps contrebalancés par une politique militaire et extérieure ambitieuse. Comme au temps de l’Union soviétique, le prestige de l’Empire avec les défilés de missiles et autres armements à la pointe de la technologie étaient là pour détourner l’attention du peuple de son quotidien misérable.

Depuis la guerre contre l’Irak, le pays a su se reconstruire et se positionner comme une puissance régionale de premier plan. Jouant à fond la carte chiite, l’Iran a habillement tissé sa toile de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas. Les mollahs ont aussi compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer d’un soutien aux Palestiniens les plus intransigeants. Etre les champions de la lutte contre Israël et les Etats-Unis les qualifiait pour le leadership de l’ancien camp des non-alignés.

Cette stratégie de puissance a parfaitement fonctionné et l’Iran a savamment enterré deux mines que lui seul peut neutraliser ou faire exploser : d’une part, avec ses alliés libanais (le Hezbollah) et Palestiniens (le Hamas), Téhéran verrouille le conflit israélo-palestinien, d’autre part, sa puissance nucléaire lui confère une capacité de nuisance qui lui procure une marge de manœuvre confortable vis-à-vis des puissances mondiales. Dans le Golfe, après trente ans d’absence, Téhéran s’impose et certains, comme le Qatar, en ont déjà tiré les conclusions, au grand dam de l’Arabie Saoudite.

Cet édifice sophistiqué n’est pas en train de s’écrouler mais il est incontestablement fissuré. Et ça se voit. Le Hezbollah dont le financement, le poids politique et militaire, dépendent de Téhéran, doit élaborer un « plan B », car les jours difficiles peuvent arriver sans sommation. De même, le Hamas pourrait être amené à réviser sa ligne dure face à Jérusalem et Ramallah et peut-être à chercher de nouveaux alliés. Quant à la Syrie, Assad doit sans doute se rappeler son père, qui au moment de la chute brutale de l’Union soviétique, s’est trouvé presque du jour au lendemain dépourvu d’appui stratégique majeur.

Autre revers pour le régime, la carte nucléaire n’a pas fonctionné autant qu’espéré : en faisant du « droit au nucléaire » un argument de politique intérieure, il espérait que la fierté nationale, réelle, jouerait pour lui. La contestation montre que les rêves de puissance n’ont pas étouffé l’aspiration à la liberté tout de suite. La bombe n’est plus un projet national mais le projet du régime. On ne peut plus dire que « malgré tout, c’est une démocratie ».

En bref, et même si la contestation actuelle connaît le même sort que celui des étudiants en 1999, la légitimité de l’actuel gouvernement est entamée et le rayonnement du régime est terni pour longtemps. Et on peut ajouter qu’avec lui, c’est « l’Islam politique » tout entier qui perd son élan triomphaliste car de toute évidence pour beaucoup d’Iraniens, Islam is not the solution.

Farrah s’en va

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La main droite, ou gauche, de tous les garçons ayant eu entre 12 et 16 ans en France, en 1978, est en deuil. Nous venons en effet d’apprendre le décès d’un cancer de Farrah Fawcett Major à l’age de 62 ans. Farrah Fawcett Major, qui fut à la ville la femme de L’Homme qui valait trois milliards, déclencha une véritable épidémie onaniste dans notre pays. Ceux qui découvrirent, en même temps que le deuxième choc pétrolier, la silhouette blonde et les yeux bleus de Farrah, alias Jill Monroe qui devait enchanter de sa présence lumineuse la série Drôles de Dames sur Antenne 2, ne manquèrent plus ce rendez-vous aussi sacré que la parution mensuelle de Lui. Seule une minorité d’intellectuels lui préférait la brune Jaclyn Smith quant à Kate Jackon et son allure d’institutrice, ses fans se limitaient à quelques pervers se destinant à l’éducation nationale. La gigantesque Farrah Fawcett Major, elle, aura eu une influence décisive, encore mal évaluée par les historiens et les sociologues, dans la création d’une libido masculine fantasmant sur les brushings à la lionne et les souitecheurtes rouges. Cela méritait d’être salué. Avec elle, c’est tout l’érotisme post-psychédélique de l’Amérique démocrate-cartérienne qui disparaît. Et notre jeunesse masturbatoire aussi.

Il n’y aura pas de loi sur la burqa

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Les journalistes politiques sont-ils tous couchés après 10 heures ? Aucun d’eux ne reçoit les chaînes de la TNT ? Toujours est-il qu’aucun quotidien n’a jugé utile de répercuter l’interview donnée sur BFM à Karl Zéro par Eric Besson, mardi dernier à 22 h 30. Que nous a donc dit ce soir-là le ministre de l’Immigration, qui venait à peine d’être reconduit dans ses fonctions ? Qu’il était opposé à une loi sur le port de la burqa, parce qu’il jugeait un tel texte techniquement inapplicable et politiquement inopportun. Il n’y aurait pas de quoi réveiller un mort, ni même un rubricard de l’AFP, si ce baratin capitulard nous avait été servi par un quelconque islamologue expert agréé par les Frères Musulmans ou par le sociologue de service payé avec nos impôts pour légitimer en France cet immondice.

Mais non, c’est un ministre qui parle, un ministre-clé de l’équipe Fillon IV, et pas le plus idiot du lot – personnellement je le trouve même extrêmement doué, et pour tout dire, brillant – et, accessoirement, le ministre en charge du ministère que l’on sait. On me dira que le même Eric Besson était déjà monté au créneau à maintes reprises et sur le même registre depuis la proposition de commission d’enquête lancée par le député communiste André Gerin et ses 57 collègues – dont la presse de gauche ne cesse de nous rappeler tout en lourdeur qu’ils sont très majoritairement issus de l’UMP. Le 18 juin dernier, Besson déclarait déjà sur Europe 1 : « Il n’est pas opportun de relancer une polémique. La loi a déjà énoncé un certain nombre de règles du vivre ensemble, elle dit qu’on ne peut pas porter le voile dans un certain nombre d’administrations, de services publics ainsi qu’à l’école. Un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause. » Une attitude que mes confrères du Parisien jugent « similaire » à celle du président du CCFM, on ne saurait mieux dire. On notera aussi avec amusement que le « traître » en charge de l’identité nationale, habituellement marqué à la culotte par le lobby du Bien et criblé de balles dès qu’il ouvre la bouche a échappé cette fois à la traditionnelle séance de Besson-bashing, y compris dans les colonnes du Monde ou de Libé : j’ai comme une puce qui me gratte l’oreille, là.

Reprenons le film : le 18 juin, Eric Besson explique à tous les micros que la moucharabieh portable est soluble dans les valeurs de la République. Le 23, il redit la même chose à Karl Zéro. C’est logique ; sauf que.

Sauf qu’entre ces deux déclarations, il s’est passé des trucs à Versailles. Nicolas Sarkozy y a entre autres déclaré, sous les applaudissements : « Je veux le dire solennellement, elle ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter, dans notre pays, des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. Ce n’est pas l’idée que la République française se fait de la dignité des femmes. » Ce que d’aucuns, dont moi, ont perçu comme une prise de position en faveur d’une loi anti-burqa. Eh bien d’aucuns, dont moi, ont pris leur désirs pour des réalités. En fait, le président s’est dit favorable à ce que les parlementaires causent du sujet, alors qu’en vrai, ces grands garçons n’ont pas besoin de son feu vert pour le faire. Et, si le cri d’indignation sonne juste, il aurait, à la réflexion, gagné à être étayé par un truc simple, dans la meilleure tradition des blitzkrieg sarkozystes, du style : « Le gouvernement proposera un projet de loi dans les plus brefs délais, il en va de l’honneur du Parlement que vous le votiez tous. » Bref, un truc façon paquet fiscal ou Hadopi. Mais, non en vrai, Nicolas Sarkozy ne nous a pas dit qu’il irait chercher la Loi anti-burqa avec les dents. Il a juste dit que la burqa, c’était très mal, étourdissant au passage avec force moulinets d’aucuns dont moi.

Que dès le lendemain, le ministre de l’Immigration explique qu’il est défavorable non seulement à cette loi, mais à ce qu’on en parle, et ce dans un gouvernement où il n’est pas d’usage, et c’est peu de le dire, de prendre le contrepied des engagements présidentiels ne signifie qu’une seule chose : il n’y aura pas, et au moins du vivant de ce quinquennat, de loi sur la burqa. En vérité, le président n’en veut pas, pas plus que ses futurs opposants « de gauche » à la prochaine présidentielle. Cinq millions ou genre d’électeurs supposés musulmans, ça donne à réfléchir. Rideau !

Rendez-vous en 2017 !

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Une séquence politique vient de s’achever avec le remaniement du gouvernement. Elle couvre la période qui s’étend des élections municipales de mars 2006 (médiocres pour la majorité) jusqu’aux élections européennes, catastrophiques pour les socialistes et encourageantes pour l’UMP sarkozienne.

Il faut donc lire ce remaniement à travers le prisme de l’élection présidentielle du printemps 2012 (c’est demain !). Le premier gouvernement Fillon, celui de l’ouverture aux Kouchner, Bockel, Amara, Yade, se situait dans le sillage d’un second tour d’élection présidentielle, où l’on cherche à séduire au-delà de sa famille politique. Cette ouverture ayant été actée dans la mémoire des Français, et la situation politique et sociale ne présentant pas de danger majeur de déstabilisation du pouvoir, il n’y avait aucune raison de la poursuivre. La marginalisation de François Bayrou est en bonne voie, sinon définitive, et la promotion de Michel Mercier, déjà fort éloigné du Béarnais, doit être considérée comme une bonne manière faite au Sénat, dont Sarkozy a besoin de l’appui dans la mise en œuvre de la réforme des collectivités territoriales. On me permettra – et même si on ne me permet pas, je persiste et signe – d’interpréter l’arrivée de Fred Mitterrand rue de Valois comme un signe en direction de la communauté gay, privée depuis deux ans d’un ministère qu’elle considérait comme son apanage depuis, au moins, deux décennies. Cette arrivée vient compenser le départ de Roger Karoutchi, qui n’a pas réussi, malgré son coming out, à faire oublier son fiasco dans l’affaire de la loi Hadopi.

Pour le reste, ce gouvernement est celui d’un classique rassemblement des droites, à l’exception de sa composante juppéo-villepiniste, que Sarkozy poursuit de sa vindicte impitoyable, sur le terrain politique comme sur le terrain judiciaire. La nomination de Pierre Lellouche, réputé atlantiste pur et dur et proche des néo-cons américains, au secrétariat d’Etat aux affaires européennes, est un de ces petits plaisirs pervers dont on aurait tort de se priver lorsque l’on est au pouvoir. Elle témoigne aussi de l’évolution de la pensée européenne du président de la République: de l’euro-enthousiaste Jouyet à “ l’américain” Lellouche, il semble que l’OTAN prenne le pas sur l’UE dans la perception sarkozienne de la situation de la planète…

Ce gouvernement se situe donc dans la perspective du premier tour de la prochaine élection présidentielle : d’abord rassembler son camp, et semer le doute chez l’adversaire, pour aborder le second tour dans une position confortable.

Les meilleures stratégies, pourtant, peuvent se heurter aux impondérables de la vie, à ce que le regretté premier ministre conservateur britannique Harold McMillan redoutait par-dessus tout dans l’exercice du pouvoir : “events”, ces événements qui nous dépassent et nous réduisent à feindre d’en être les organisateurs.

Dans ce domaine, Nicolas Sarkozy a montré une étonnante capacité de réaction face à un événement qui aurait pu déclencher une spirale de désaffection à son égard : la crise économique. Les licenciements, l’angoisse du lendemain de nombreux Français, tout cela aurait du, normalement, susciter une vague de contestation politique et sociale. Or celle-ci s’est manifestée dans un ordre si dispersé, en dépit de cette fiction pseudo-unificatrice de “L’Appel des appels” (que sont-ils devenus, d’ailleurs ?), qu’elle n’a pas pu masquer le contenu lourdement corporatiste de la plupart de ces mouvements. Bien sûr, la grogne universitaire peut reprendre à tout moment, comme celle des mandarins de la médecine ou des pilotes d’Air France, mais il y a peu de risques que ces mouvements se coagulent dans une révolte générale, manière française bien connue de procéder à des réformes politiques et sociales.

Avant le premier tour de la présidentielle, il y aura, en mars 2010, les élections régionales, que l’on estime généralement favorables à l’opposition, et qui peuvent donner à cette dernière une dynamique pour le scrutin-roi, l’élection du président de la République, elle-même déterminante pour celle des députés. Cette fois-ci, pourtant, les socialistes triomphants des régionales de 2004 seront sur la défensive et devront, très vraisemblement, céder à la droite quelques-unes des 22 régions conquises lors de ce scrutin.

Plus l’élection présidentielle approchera, moins on verra se manifester l’esprit frondeur des députés de la majorité, car leur retour en nombre au Palais-Bourbon dépendra de l’ampleur de la victoire de leur champion dans la course à l’Elysée. Ils avaleront la potion amère de la réforme des collectivités locales – qui implique une réductions notable du nombre des élus locaux – et par conséquent de celui des fromages à distribuer à sa clientèle dans les provinces…

A droite, donc, les couteaux s’affûtent pour la manche suivante, celle qui désignera le successeur d’un Sarkozy qui a eu la sagesse de limiter à deux mandats consécutifs la présidence de la République, à la manière de ces joueurs compulsifs qui se font interdire de casino. La démonétisation de la fonction de premier ministre excluant, de fait, François Fillon de cette course, c’est un quarteron de quadras qui se tirent actuellement la bourre pour accéder à la pole-position autour de 2014, année charnière du prochain mandat présidentiel. Les premiers partis sont bien connus, ils se rasent tous les matins en y pensant et ne manquent pas de le faire savoir alentour : Jean-François Copé la joue “lui c’est lui, et moi c’est moi” (normal pour un Roumain face à un Hongrois !), Xavier Bertrand excelle dans le genre bon gros zélé, faux gentil et vrai tueur. Mais il ne sont pas seuls. On négligera Galouzeau, dont l’unique chance de retour aux affaires serait d’être ministre d’ouverture d’un gouvernement de gauche, à la grande joie de son ami Edwy Plenel. On fera également l’impasse sur Michel Barnier, qui ne conçoit son retour à Bruxelles que comme une étape vers ce destin plus glorieux, dont il n’a jamais douté qu’il était digne. Nous aurons la charité de ne pas lui ôter brutalement ses illusions. Mais on gardera un œil sur quelques purs-sangs de l’écurie sarkozienne, Luc Chatel, par exemple, ou Bruno Le Maire. Leur ascension discrète, mais régulière dans la hiérarchie gouvernementale, à des postes maintenant exposés (Education nationale et Agriculture) va leur donner l’occasion de se montrer à leur avantage ou, au contraire, de révéler leurs limites. Comme nous n’avons pas (pas encore ?) de Noir ou de métis en position de devenir le Obama français, la grande rupture politico-sociétale pourrait être portée, à droite, par une femme, peut-être Valérie Pécresse si elle parvient à ravir la région Ile-de-France à Jean-Paul Huchon…

Nicolas Sarkozy dispose d’un joker pour éliminer celui d’entre les prétendants qu’il ne souhaite surtout pas voir lui succéder : le nommer en 2012 à Matignon ! Un refus est impossible dans l’état actuel de nos mœurs politiques et une acceptation équivaut à un lourd handicap dans la course à la présidence. Dans leurs cauchemars, les personnalités évoquées plus haut se voient refiler le mistigri par un Nicolas Sarkozy à l’apparence méphistophélique.

A gauche, les plus lucides ont déjà fait leur deuil de la présidentielle de 2012. Les Valls, Montebourg, Peillon, Moscovici se positionnent pour 2017, laissant les Aubry, Royal, Strauss-Kahn, Delanoë, Fabius et Hollande se déchirer dans leur bagarres de sérail pour être celui ou celle que Nicolas Sarkozy se fera une joie de terrasser. La lecture du projet de “primaires populaires” concoctée par Arnaud Montebourg est, à cet égard, révélatrice. S’il est adopté par l’ensemble du PS – ce qui, en l’état actuel des choses est peu probable –, il ne pourrait qu’aboutir à la nomination de Ségolène Royal, celle qui dispose d’un réseau militant important chez les sympathisants socialistes et d’une notoriété nationale indéniable. Mais ces primaires pourraient aussi faire émerger, au sein de la “jeune garde”, celui ou celle qui serait en mesure de récupérer la mise après un deuxième échec de Ségolène. Montebourg est un gros malin : il est celui d’entre eux dont, pour l’instant, la présence médiatique et la visibilité dans le champ politique sont les plus grandes…

Il reste cependant que les calamiteuses élections européennes ont introduit un personnage extérieur dans l’équation présidentielle socialiste : Dany Cohn-Bendit. Non-candidat déclaré et crédible, à moins qu’il ne se décide à se faire naturaliser français, il va peser de tout son poids pour que le candidat socialiste de 2012 soit celui auquel il aura accordé son onction, contre une alliance historique, à égalité de puissance, entre les Verts et le PS. Pour cela, il faut faire aussi bien lors des régionales, avec des listes autonomes, qu’aux européennes, ce qui n’est pas encore dans la poche, mais pas exclu si les socialistes persistent à faire tourner à plein régime la machine à perdre.

Dany Cohn-Bendit est peut-être le seul qui croit encore que 2012 n’est pas fichu, et qu’il peut répéter, à l’échelle de la gauche tout entière, le bon coup réalisé avec l’unification sous sa houlette de la mouvance écologique et altermondialiste. Il a donc besoin d’un candidat PS capable de porter une dynamique d’union et de victoire. Dany va donc faire l’objet, dans les mois qui viennent, de cajoleries insistantes de quelques éléphant(e)s. J’ai comme une petite idée que sa préférence à lui, ce sera François Hollande.

Crisse de remaniement

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Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, le remaniement ministériel du 23 juin n’a pas été un simple jeu de chaises musicales organisé avant l’été par qui vous savez… Il marque un virage important dans la politique du gouvernement : à droite toute ! Est-ce vraiment bien raisonnable de jouer les libéraux par gros temps ? L’avenir le dira. Pour l’heure, une seule chose est acquise : fort des derniers succès électoraux de sa majorité, le Premier ministre a laissé parler son libéralisme grand teint… Et le signal le plus fort de ce nouveau cap est, évidemment, le changement de ministre de l’Economie, une décision qui n’a échappé à personne, sauf à ceux qui n’ont pas voulu prendre cette nouvelle réalité en compte. On souhaite d’ailleurs beaucoup de succès à Clément Gignac, que Jean Charest, Premier ministre du Québec, vient d’installer à la tête du ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Remaniement en-deçà de l’Atlantique, remaniement au-delà.

Sarkozy, j’achète pas !

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Comme l’avait souligné Donald Rumsfeld en son temps, nous sommes un « vieux pays ». C’était l’époque où nous refusions l’idée d’aller mourir pour les actionnaires de messieurs Bush et Cheney du côté de la capitale de Shéhérazade que ces amoureux de la démocratie voulaient raser à coup de missiles thermoguidés. Dominique de Villepin, (décidément la France avait encore une certaine allure) lui avait répondu que c’était justement le fait d’être un vieux pays qui nous rendait un rien circonspect quand on nous invitait à participer à un carnage. Nous en avions trop connu, de départs gare de l’Est la fleur au fusil. « Demain à Bagdad ! » graffité à la craie sur les fourgons militaires, cela avait déjà des airs de déjà-vu…

Être un vieux pays, cela signifie aussi, que nous attachons beaucoup d’importance à la forme, au paraître. Renaud Camus a écrit un Eloge du paraître, dans lequel il nous dit à quel point le « naturel » est haïssable, le « ce qui va de soi », le relâchement dans la tenue, le langage, le rapport à l’autre. Ce genre de choses a toujours paru à nos amis Américains au pire superficiel, au mieux folklorique. Cet attachement aux manières, dans les discours amoureux, politique, artistique, par exemple. Nous aimons, nous Français, la bathmologie, chère à Roland Barthes et, encore lui, à Renaud Camus. La bathmologie est une science plus ou moins amusée des degrés, du contexte dans lequel sont prononcées des paroles, émises des opinions et qui rend la vérité relative, invite à la nuance, la courtoisie, la tolérance, toutes choses qui font par ailleurs de Causeur un lieu français par excellence, comme chacun le sait.

Or, à notre grand étonnement, notre rédactrice en chef, sur le discours de Sarkozy, n’a voulu réagir que sur le fond, écartant dans un geste charmant de désinvolture la question formelle, comme si cette dernière était négligeable. Que le président de la République s’appuyant sur une nouvelle mouture de la Constitution, votée l’année dernière à une voix de majorité, celle du futur ministre d’ouverture Lang, se soit adressé directement aux représentants du peuple réunis en Congrès, et ce pour la première fois depuis 1875, ne l’a pas choquée plus que ça.

Elisabeth Lévy a été prise, oh très brièvement, comment dire, d’un accès de bovarysme politique : elle a voulu y croire, elle a pris ses désirs pour des réalités. Comme Emma à Yonville tombant amoureuse d’un clerc de notaire qui lit de la poésie, comme Emma qui voulait oublier la laideur de sa petite ville, la bêtise de Homais, la vulgarité un peu veule de son mari, elle a voulu oublier tout le reste, les députés et sénateurs au garde à vous, le gouvernement muet, le Premier ministre vidé de toute substance, comme victime d’un sortilège vaudou qui l’aurait transformé en mort-vivant sous nos yeux, pratiquement en direct. Elle a écouté de jolis mots et elle n’a pas eu tout de suite le très sain réflexe de Dalida, dans Paroles, paroles répondant à Alain Delon qui lui sussure des menteries à l’oreille : « Caramels, bonbons et chocolats ».

Heureusement, Elisabeth Lévy, comme dans n’importe quelle bonne série B, s’est réveillée juste à la fin de l’article et, à l’instar des héros de Body Snatchers, a arraché in extremis les plantes parasites qui voulaient prendre possession d’elle et la transformer en UMPiste convaincue.

On a eu chaud, vraiment chaud : quand on connaît un peu Elisabeth, qui n’est pas du genre à se laisser hypnotiser, on commence à trembler devant la force de persuasion du sarkozysme qui n’est pourtant jamais que celle d’un marketing enseigné dans une école de commerce de seconde division mais démultiplié par les ors de la République et la majesté de la fonction présidentielle. C’est là que l’on voit la force de la forme, encore une fois : cette fonction présidentielle, elle a résisté à l’insupportable pipolisation du régime, aux « casse-toi pauvre con », et même au fait que le roi n’ait plus deux corps, un privé, un public, ce qui, selon Kantorowicz, permet au pouvoir de se légitimer, voire de se sacraliser.

Nous, le fond, quand il s’agit de l’actuel président, nous pensons qu’il ne signifie rien. Ce que d’aucuns appellent son pragmatisme, c’est une navigation plus ou moins habile, dans l’intérêt du groupe qui a voulu le voir arriver au pouvoir et dont les historiens pourront retrouver les noms sur la liste des invités du Fouquet’s.

Là, il faut néanmoins reconnaître qu’il a franchi un pas. Nous savions que Sarko l’Américain adorait faire du jogging avec des tee-shirts du NYPD, nous ignorions que cette manie d’adolescent gavé de séries policières le pousserait à vouloir faire son Discours sur l’Etat de l’Union comme un Roosevelt ou un Obama. La prochaine étape, ce sera quoi ? Un architecte d’intérieur à l’Elysée pour transformer le bureau de De Gaulle en salon ovale ?

Finalement, Sarkozy ressemble à ceux qu’il veut transformer en classe dangereuse, son imaginaire est totalement colonisé par l’Amérique. Demandez à n’importe quel éducateur de la PJJ comment un jeune de banlieue passant en comparution directe va appeler le juge. Neuf fois sur dix, il dit « Votre Honneur » et il cherche des yeux une bible pour prêter serment quand bien même il serait musulman.

En parlant devant le Congrès, Nicolas Sarkozy n’a effectivement pas mis en danger la République, même si je suis assez heureux à titre personnel que les députés et sénateurs communistes n’aient pas cautionné la mascarade.

Non, ce qu’il a fait est beaucoup plus triste. Il s’est servi de la République pour satisfaire une obscure pulsion de mise en scène permanente de sa vie comme un film dont le réalisateur ne serait pas le Visconti du Guépard ou le Capra de Monsieur Smith au Sénat, mais plutôt, on a les goûts qui vont avec la gourmette, les tâcherons hollywoodiens qui pondent annuellement des daubes comme Independance Day ou Air Force One, quand le président sous les traits d’Harrison Ford, dézingue des terroristes qui ont pris son bel avion en otage parce que décidément, quand on est hyper-président, il faut vraiment tout faire soi-même.

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À louer, villa en plein cœur de Rome

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Il n’y a pas qu’avec les soldes qu’on fait de bonnes affaires. Parfois, ça vaut la peine d’attendre les offres de dernière minute, notamment en matière de locations. Un peu plus d’un an après le feuilleton qui a accompagné la sélection de son futur ex-locataire et un peu moins de dix mois après que celui-ci s’y soit installé, la villa Médicis est de nouveau sur le marché. Mais ce jeu de chaises musicales à rythme accéléré ne présente pas que des inconvénients. Cela nous permet de vous renvoyer à nos conseils – qui ont gardé toute leur fraicheur – à la fois pour la question du bien immobilier directement concerné et pour celle, plus générale, de remaniement. À part ça, plus sérieusement, si je suis nommé à la Villa Médicis, j’inviterai tous les lecteurs à passer quelques jours de vacances en pension complète cet été, sur simple présentation de leur justificatif d’abonnement.

Tout ça pour ça ?

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« C’est un remaniement ? – Non, Sire, un déménagement. » Depuis plusieurs semaines, Paris bruissait des rumeurs les plus folles. Certains nous annonçaient la nomination imminente d’Alain Juppé à Matignon, d’autres se réjouissaient de celle de Philippe Séguin place Vendôme. Les plus clairvoyants confiaient, à demi-mot, que la place Beauvau brûlait d’accueillir Manuel Valls et la rue de Valois Jack Lang. Claude Allègre se voyait bien à la tête d’un grand ministère de l’Industrie et de la Technologie – à défaut les Anciens combattants ou le Patinage artistique. Quant à Hubert Védrine, il occupait déjà le fauteuil de Bernard Kouchner que ce dernier y était encore assis.

Rien de tout cela ne s’est passé. Car rien ne s’est passé. Nicolas Sarkozy s’est contenté, pour tout remaniement, de sacrifier au jeu habituel des chaises musicales. Pourquoi aurait-il fait autrement ? Le résultat des élections européennes ne lui imposait pas d’en faire des tonnes. On prend donc les mêmes et on recommence. Certes, quelques nouvelles têtes font leur apparition. Mais, hormis Benoist Apparu (Logement et Urbanisme), Marie-Luce Penchard (Outre-Mer) et Nora Berra (aux Vieux, pardon aux Aînés), il faut revenir d’un long voyage aux Antipodes pour voir en Pierre Lellouche (Affaires européennes), Henri de Raincourt (relations avec le Parlement) et Christian Estrosi (Industrie) des perdreaux de l’année.

Evidemment, nul n’aura manqué de remarquer les deux trophées qui rejoignent, à la faveur de ce remaniement, les lambris élyséens : Michel Mercier et Frédéric Mitterrand.

Michel Mercier, c’est, dit-on, le coup de grâce porté à François Bayrou. Un ami de trente ans qui rejoint le gouvernement : le Béarnais est au plus mal. C’en est fini de lui. Pas sûr : le sénateur du Rhône a beau être trésorier du Modem, il ne siège plus dans les instances dirigeantes depuis plus d’un an et s’est positionné à de multiples reprises pour une alliance tactique avec l’UMP. Un rallié qui se rallie, belle prise de guerre !

L’arrivée de Frédéric Mitterrand rue de Valois est d’un tout autre genre. On en vient presque à regretter qu’Ava Gardner soit déjà morte : le nouveau ministre en aurait prononcé une nécrologie tout à fait convenable. C’est qu’il est doué, Frédéric Mitterrand, pour tenir les cordons du poêle, raconter l’histoire, le cinéma et les obsèques princières. Il a l’allure et la distinction pour aller à Cannes et à la Biennale de Venise, peut-être pas le métier suffisant pour porter le fer devant le Parlement. Qu’à cela ne tienne : ce n’est pas pour cela que Nicolas Sarkozy l’a choisi. Le président de la République a voulu se payer un menu plaisir : s’offrir un Mitterrand. Chacun a les fétichismes qu’il peut. Au Parti socialiste, on est visiblement gêné aux entournures pour dire quoi que ce soit de désobligeant de celui qui porte le nom de la statue du commandeur. On sait aussi que Frédéric a la rancune tenace et qu’il n’a toujours pas digéré le « droit d’inventaire » que Lionel Jospin invoquait le 9 avril 1995 pour déposer le bilan des années Mitterrand. Le premier socialiste qui l’ouvre est un homme mort : qu’on se le dise.

D’ailleurs, les socialistes n’ont pas vu passer le train. Benoît Hamon en tête, ils ont consacré leurs réactions à relativiser le remaniement : « Les ministres ne servent à rien. C’est le président de la République qui contrôle tout. » Au PS, on ne change pas une stratégie qui perd : les socialistes vont continuer à tirer sur Nicolas Sarkozy pendant les deux ans et demi qui viennent, sans toutefois jamais l’atteindre… Ils seront bien inspirés un jour de porter leurs critiques sur le gouvernement et ses membres, afin d’adopter une tactique éprouvée depuis longtemps : décrédibiliser les ministres et leur action, isoler le chef de l’Etat et l’affronter, le moment venu, d’homme à homme.

Rien de nouveau, donc, sous les ors de la République. Rien ? C’est vite dit. André Santini n’est plus ministre ! Le secrétaire d’Etat à la Fonction publique ne rempile pas. Est-il à la rue ? Non. L’heureux homme est sur le point de recouvrer son mandat de député de la dixième circonscription des Hauts-de-Seine. C’est son suppléant qui n’est pas jouasse. Il s’appelle Frédéric Lefebvre et il vient de se faire hacker son siège à l’Assemblée nationale. Maudits pirates !

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Lâchez-leur la burqa

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Elisabeth ! Mon Elisabeth ! Comment peux-tu dire des choses pareilles ? On reprend à zéro. Réponds-moi simplement à cette question : la loi peut-elle dicter les modes vestimentaires ? Tous les Etats de droit au monde ont tranché sans même s’interroger : les gens ont le droit de s’habiller comme ils l’entendent. Est-il interdit de porter une cagoule dans la rue ? On en trouve dans les défilés de mode ! Cette semaine seulement, un décret ministériel vient de prohiber le port de la cagoule « aux abords immédiats des manifestations », c’est dire qu’il est permis ailleurs.

Une burqa en cache une autre. Si des bouddhistes dissimulaient leur visage, on trouverait ça pittoresque. Tu ne parles pas de burqa, tu parles de l’Islam, des musulmans, de cinq, dix pour cent de la population avec qui le reste du pays est en bisbilles. À ces musulmans (la fraction la plus misérable en France), tu dis : cessez d’être musulmans ou cassez-vous. On ne veut plus vous voir. Pas de musulmans dans mon pays. Tu leur envoies ce mollard à la gueule au moment même où ils sont absolument déterminés à devenir plus musulmans que jamais. Rien que pour te faire chier. Rien que pour ça. Ah, tu veux pas que je sois musulman, eh ben tu vas voir. La burqa, je vais te mettre. Et va me l’interdire, voyons un peu si tu tiens autant à ton Etat de droit que tu le prétends, sale occupante d’Irak et d’ailleurs.

Je t’entends hurler d’ici. Moi, contre les musulmans en France ? Sitbon ! Où as-tu été chercher ça ? Qu’ils prient nuit et jour, qu’ils jeûnent jusqu’à plus soif, qu’ils se laissent pousser la barbe jusqu’aux baskets, j’en n’ai rien à cirer, c’est leur affaire. S’ils sont cons, qu’ils le restent. D’ailleurs, j’en pense autant des autres religieux. Mais la burqa, non. Tout, oui. La burqa, non. Elisabeth, tu te racontes des histoires. C’est à l’Islam que tu en veux, pas à la cagoule. D’abord, on a eu les odeurs de Chirac et puis les moutons de l’Aïd, et puis les mosquées, l’excision, la polygamie, les écoles musulmanes, la délinquance, le terrorisme, les banlieues, le voile, maintenant la burqa. Demain, on va découvrir que chaque année au Ramadan, vingt-deux vieillards et enfants meurent d’inanition. Sais-tu qu’un chrétien sur dix et un juif sur trois fréquentent des écoles religieuses sans que ça n’intéresse personne ? Mais les deux cents gamins des trois écoles islamiques, ça, c’est grave.

Tu veux la vérité, Elisabeth ? On a peur des musulmans. On, je, tu, il ou elle a peur des musulmans. Pourquoi on a peur ? Si tu m’accordes un papier de six milliards de signes, je te l’expliquerai pour te faire comprendre ce que je ne comprends pas moi-même. La chrétienté, on dit aujourd’hui l’Occident, est brouillée avec l’Islam depuis toujours. Dès que les musulmans ont franchi les frontières de la péninsule arabique (vers 637), ils se sont heurtés aux chrétiens. Tu sais, quand ils sont arrivés chez toi et moi, au Maghreb (vers 650), ils ont butté sur nos ancêtres vivant dans des Etats chrétiens (saint Augustin). Conquista, Reconquista, chute de Byzance, Lépante, piraterie, toute l’Europe de l’Est musulmane jusqu’à hier (fin du XIXe siècle), colonisation, décolonisation, Israël, tours jumelles, treize siècles, ça n’a pas cessé un jour. L’ennemi pour la chrétienté, pour l’Occident, c’est le Maure, le Sarrazin, le barbaresque, l’Arabe, le Chleu. Le chrétien a colonisé leur pays, ça c’est mal passé. Maintenant, ils colonisent (au sens propre) l’Occident, ça se passe mal. Normal.

Pas si normal que ça. Treize siècles durant, ce fut querelle territoriale. Aujourd’hui, hormis trois colonies en Cisjordanie, personne ne veut étendre sa souveraineté chez le voisin. Entre l’Occident et l’Islam, il n’y a plus d’enjeu qui vaille une guerre. Sauf un. Il concerne les musulmans, pas les autres.

Tu te promènes au Caire, à Casa : sorti de deux vieux quartiers touristiques, le reste de la ville est occidental. Les villes arabes disparaissent. Ils ont tout adopté de l’Occident : l’avion, le parfum Chanel, le jean’s et même les élections. Ils n’ont gardé de leur civilisation matérielle que la baklawa et le couscous. Ils écrivent des romans et font des films comme nous. Ils n’ont presque plus rien en propre ou qu’ils aient créé. Ils sont en voie de se métamorphoser, de leur propre gré, en Occidentaux. Ils ont été avalés, dévorés par leur ennemi. Ils deviennent leur ennemi. Il ne leur reste plus qu’un refuge avant de se fondre totalement en nous et de s’anéantir : la religion, l’Islam. On peut tout christianiser, occidentaliser, jamais on ne christianisera l’Islam. C’est une question de vie ou de mort. Quel peuple a envie de disparaître ? Ou tu t’abrites dans l’Islam ou tu disparais. Alors bien sûr, la burqa. Rien que pour te faire un peu chier. Pour ne pas mourir ce matin.

Tu vois, Elisabeth, ils ne te veulent pas du mal les musulmans. Ils sont dans une mauvaise passe. Aide-les à la traverser. Ça ne durera pas longtemps, un siècle ou deux à tout casser. Après, tu verras, tout ira bien dans une France sans chrétiens, sans musulmans et, enfin, sans juifs.