Accueil Site Page 3012

Gouvernement : deuxième démarque

28

Jamais on ne m’a refusé un seul article. Sauf une fois. J’avais fait un reportage sur l’industrie agro-alimentaire et ses rapports avec les militants de la cause animale. Comme le lobby agro-alimentaire veille scrupuleusement sur tout et que les amis des bêtes font le reste, mon rédacteur en chef me convoqua.

– Ton papier ne passera pas. Tu ne peux pas écrire noir sur blanc que « le yorkshire entre dans la composition des confiseries industrielles et qu’on y retrouve aussi du hamster ». Ce n’est pas crédible, Trudi.

Il caressa d’une main son tout nouveau chat persan, puis croqua dans une barre chocolatée, avant de conclure : « Et je tiens à souligner qu’il n’y a eu aucune pression. » Je n’en ai pas fait tout un fromage. Pour la bonne raison que je n’avais aucune preuve à l’époque que le beauceron et l’épagneul breton étaient des ingrédients prisés pour le camembert. Et je suis retournée à mon bureau écrire un énième papier sur un sujet dont je sais mes lecteurs allemands friands : « Hitler pétomane. »

La semaine dernière, pour la deuxième fois de ma carrière, je viens de me voir refuser un article. Il portait sur le remaniement du gouvernement français, celui auquel l’Elysée envisage de procéder après le 14 juillet. Je ne faisais que répéter ce que j’avais lu dans la presse française : Nicolas Sarkozy entendrait ajuster le tir en nommant cinq ou six nouveaux ministres et secrétaires d’Etat pour compléter le remaniement du 23 juin. Les noms de Frédéric Lefebvre, Maurice Leroy (qui est le père de Jérôme Leroy, c’est marqué dessus, ça ne peut pas tromper) ou Claude Allègre sont évoqués.

Pour expliquer à mes lecteurs allemands cette manœuvre un peu inédite où des ministres viennent s’ajouter à d’autres tous les quinze jours, je filai tout au long de mon article la métaphore des soldes : première démarque, deuxième démarque… Puis, emportée dans mon élan, j’en vins à poser la question qui tue : la hauteur du rabais consenti n’emporte-t-elle pas avec elle la qualité des biens soldés ?

Essayez de vous acheter une jupe soldée en deuxième démarque. Certes, le prix sera au rendez-vous et vous aurez encore le choix de la taille : soit 36, soit 72. Mais la coupe, on la croirait réalisée par une petite main parkinsonienne. Quant à la couleur de l’imprimé, même un daltonien ne serait pas assez débile pour en vouloir. Enfin, il faut relativiser. J’ai moi-même acheté en juillet 1982 un chemisier soldé trois fois rien rue de Rivoli : découpé en carrés, je n’ai jamais trouvé mieux pour faire mes vitres.

Dans la fringue comme en politique, je vous déconseille la deuxième démarque. La troisième, je ne vous en parle même pas.

On m’informe justement que Michel Rocard n’a pas rejoint le gouvernement, mais que ce serait tout comme. Il travaillerait – mais l’information mériterait d’être vraiment vérifiée – à un plan de relance… Vu la façon dont il a relancé l’économie française lorsqu’il était Premier ministre, ça devrait être grandiose : on ne peut pas se planter aussi magistralement deux fois.

Mon rédacteur en chef m’a donc refusé l’article. Contemplant d’un œil ému la Rolex qui rutilait neuve à son poignet, il m’a dit : « Non, Trudi, ce n’est pas crédible, cette affaire de remaniements à répétition. Et, crois-moi, je n’ai subi aucune pression. »

Ségolène féodale

384

Philippe Muray avait, hier après-midi, l’humeur rigolarde. Il a ri si fort que sa gorge déployée a chassé en un souffle les nuages que la Météorologie nationale avait installés sur Paris. Il fit beau. Avoir raison post mortem mérite bien un petit miracle.

Lorsqu’il publia Le Sourire à visage humain, on s’était dit que Philippe Muray y était allé un peu fort. Le pamphlet a beau avoir sa loi propre, toujours celle de l’hyperbole et de l’exagération, il faut tirer la réalité par les cheveux pour consacrer un livre entier à un objet aussi anodin que le sourire de Ségolène Royal. Elle ne rit pas, nous disait Muray, mais sourit : « C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout. Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu. »

Or, lefigaro.fr publie dimanche après-midi un article de Flore Galaud nous apprenant que Ségolène Royal aurait tout fait pour que le rappeur Orelsan soit déprogrammé des Francofolies de La Rochelle. C’est Jean-Louis Foulquier qui a vendu la mèche : « Ségolène Royal s’est positionnée en maître-chanteuse : ou il arrêtait la programmation, ou il n’avait plus de subventions. »

L’affaire se corse quand on apprend que le chanteur Cali, supporter number one de la présidente de Poitou-Charente, poussait quelques jours auparavant des cries d’orfraie et criait à la censure honteuse. Pas de bol, c’est son ex-future présidente de copine qui a fait le coup. Condoléances.

Cali vient de découvrir ce que Philippe Muray avait décelé avant tout le monde : Ségolène Royal ne rit pas. On ne rit pas avec Ségolène Royal. Quand elle veut censurer, elle censure, et adopte des pratiques qui relèvent du pire féodalisme politique : le chantage aux subventions.

En bref, les heures les plus sombres de notre histoire sont revenues. À Orange et Vitrolles, le Front national voulait contrôler la culture et menaçait les structures culturelles de suspendre leurs subsides. On avait vu alors cent mille comités vigilants et citoyens éclore partout en France. Où sont aujourd’hui les Fronts républicains pour défendre la Culture en danger ? Quand est-ce qu’on signe la pétition ?

Ne pas aimer Orelsan est une chose. Le faire déprogrammer d’un festival en agissant en douce en est une autre. En matière culturelle, c’est la doctrine Malraux qui jusqu’alors avait largement prévalu en République : ni les pouvoirs publics ni les élus n’ont à intervenir dans la programmation d’un festival ou d’une institution culturelle. C’est un pacte tacite qui prévalait, des hautes sphères de la rue de Valois jusqu’au plus petit festival d’été du plus reculé village de France.

Dont acte. Ségolène Royal sait ce qui est bon pour le pays – et on le lui concède volontiers, puisque les socialistes l’ont choisie comme candidate en 2007. Elle sait également ce qui est aimable ou méprisable en matière artistique. Elle n’a pas été élue présidente : la voilà disc jockey. On a, de Charybde en Scylla, les compensations qu’on peut.

Le sourire à visage humain: Suivi de Citoyen, citoyenneté et Encore plus de plus

Price: 17,03 €

11 used & new available from 4,04 €

Du bois dont on fait les pipes

21

L’écologie, et encore plus la décroissance, ont toujours eu un petit côté curé puritain assez désagréable et l’idée de devoir vivre selon les préceptes de Thoreau pourrait même assez vite virer au cauchemar. La simplicité volontaire, si elle signifie un monde couvert de villages où l’on fait ses besoins dans des toilettes sèches, où l’on doit porter des pulls qui grattent et ne jamais manger de viande, on s’en passera très bien. Ceci étant dit, une association norvégienne, Fuck for the forest (FFF, à ne pas confondre avec Fédération Française de Foutebaule), pourrait nous faire changer d’avis. Ce site Internet propose en effet un contenu gentiment pornographique (amateurs cabriolant joyeusement dans les bois) mais payant. Les profits engendrés par ce voyeurisme vert sont reversés intégralement à diverses associations s’occupant de reboisement dans des pays comme l’Equateur ou le Costa Rica. Quand la zone protégée se confond avec la zone érogène, on ne peut qu’adhérer au slogan de Fuck for the forest, premier site d’environmental porn : « Sauver la planète est sexy ! »

Toubibs or not toubibs ?

267

Pendant plusieurs jours, en ce début juillet, les auditeurs de France Info, les lecteurs de diverses publications, dont Le Canard Enchaîné, ont été invités à s’indigner à propos du traitement infâme infligé à une équipe chirurgicale française par les soldats israéliens postés au point de passage d’Erez vers la bande de Gaza.

Conduite par le professeur Christophe Oberlin, cette équipe est restée bloquée quatre jours avant de pouvoir pénétrer sur le territoire et se livrer à ses activités humanitaires dans les hôpitaux de Gaza : interventions chirurgicales, notamment sur des enfants victime de l’opération « Plomb durci » de décembre 2008, et formation des praticiens locaux.

On a laissé poireauter les valeureux french doctors pendant presque cent heures sous un soleil de plomb sans leur donner la moindre explication ni le moindre verre d’eau, alors que cette mission était labélisée Quai d’Orsay par l’intermédiaire du Consulat général de France à Jérusalem.

Racontée comme cela, l’histoire peut en effet paraître scandaleuse et provoquer des réactions pour le moins défavorables au comportement des responsables israéliens et à leurs exécutants en uniforme. J’ai moi-même, en plein de mois de juillet été naguère bloqué quelques heures à Erez – par les garde-frontières palestiniens – et je pourrais aisément compatir devant ces blouses blanches forcées de mijoter sous un cagnard implacable et de subir une loi appliquée brutalement par de tout jeunes soldats et soldates.

Personne, parmi les journalistes qui ont rapporté cette histoire, enregistré et diffusé les propos de Christophe Oberlin n’a pris la peine de rappeler les exploits passés de ce professeur de chirurgie dans les territoires palestiniens, et ses activités politiques dans l’Hexagone. Ces rappels auraient pu expliquer, sinon justifier, que les autorités israéliennes montrent une certaine mauvaise humeur à le voir revenir à Gaza, avec une couverture diplomatique cette foi-ci, pratiquer ce qu’il faut bien qualifier d’action propagandiste à visage humanitaire.

Christophe Oberlin a, en 2004, a conduit la liste Europalestine lors des élections européennes, une liste si extrémiste qu’elle fut condamnée par Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, qui lui demanda, sans succès, de se retirer au profit d’autres « amis » de la Palestine moins sulfureux.

Comme on peut le constater sur cette vidéo diffusée sur le site oumma.tv, cet homme à la voix douce, à qui l’on donnerait le bon dieu humanitaire sans confession, pratique, certes, la chirurgie réparatrice lors de ses nombreuses missions à Gaza.

En France, les toubibs qui se consacrent aux malheurs des populations civiles victimes d’exactions militaires jouissent d’un prestige et d’une crédibilité sans égale. Mieux que l’ENA, cela peut conduire à des positions enviables au sommet de la République. Oberlin, lui, se sert de son aura médicale pour faire passer auprès d’un public attendri les messages des islamistes radicaux, dont il manie admirablement la langue de bois.

En effet, une fois qu’il en a terminé de son numéro de chirurgien réparateur des dégâts provoqué par Tsahal, Oberlin se livre à un exercice, ma foi plutôt réussi, de propagande en faveur des thèses du Hamas, dont il est l’un des plus actifs défenseurs en France. On notera avec intérêt que notre chirurgien qualifie de « menace psychologique » les roquettes lancées pendant des années par ses amis sur le sud d’Israël, sous-entendant que le cas des habitants de Sderot relève de la psychiatrie plutôt que de la chirurgie. Il est un grand ami du Dr Mohamed Al-Rantissi, le frère du fondateur du Hamas exécuté par l’aviation israélienne.

Ce cv chargé n’aurait pas, cependant, empêché la vaillante équipe d’Oberlin d’entrer sans encombres à Gaza, pour autant qu’elle eût daigné, avant son départ de Paris, se faire connaître auprès de l’ambassade d’Israël en France, qui aurait alors fait le nécessaire auprès du comité de coordination assurant la liaison entre les organisations humanitaires œuvrant à Gaza et les autorités israéliennes.

En se présentant de manière impromptue au poste de contrôle, sans respecter les procédures habituelles dans ces circonstances, le groupe était assuré de se voir refuser l’entrée du territoire pendant tout le temps nécessaire aux vérifications de leurs accréditations. Il suffit alors d’ameuter les médias pour que la fable des méchants Israéliens empêchant de généreux toubibs de soulager les misères des Gazaouis se répande dans l’Hexagone.

Mission accomplie donc : il ne suffit pas que les Palestiniens soient mieux soignés, encore faut-il que les Israéliens passent pour des barbares.

Martine Billard par la bande

7

Chose assez étrange et plus rare qu’une espèce en voie de disparition, il faut bien le reconnaître, Martine Billard, députée de Paris, tout en étant inscrite chez les Verts, était de gauche. Oui, de gauche. Il semblerait qu’elle ait été, pour le moins, très moyennement convaincue par la plate-forme libérale libertaire d’Europe Ecologie dont le chef, un ancien étudiant roux anarchiste devenu évangéliste du marché, a cru bon de déclarer qu’il trouvait que François Fillon – dont certains témoins dignes de foi disent qu’il serait premier ministre du gouvernement de la France –, ferait un bon successeur à Manuel Barroso, président de la Commission Européenne en exercice, persuadé que le périmètre du marché doit s’étendre jusqu’au génome humain et la réglementation jusqu’au vin naturel. Martine Billard a donc décidé de rejoindre le Parti de Gauche de Jean-Luc Melenchon. Madame Billard, par la bande, a donc également rejoint le Front de Gauche.

La copine de Cassidy est revenue

62

Dans le monde plutôt encombré du polar en librairie, il nous faut signaler les éditions Moisson Rouge. Dès le choix du nom, on sent le goût des amateurs éclairés et, en l’occurrence de l’amatrice éclairée, Judith Vernant, qui assure depuis dix huit mois bientôt une direction littéraire audacieuse, de cette audace joyeuse des chevau-légers qui savent se faufiler avec grâce et virtuosité entre les régiments de cavalerie lourde des maisons historiques, Rivages, la Série Noire ou Le Masque. Moisson Rouge, donc, a été baptisée ainsi en hommage à celui qui est reconnu, avec ce titre, comme le fondateur du roman noir moderne, autour de 1929, l’année terrible, à savoir le grand Dashiell Hammett[1. Moisson Rouge de Hammett vient de ressortir dans une nouvelle traduction à la Série Noire. Les lecteurs du mensuel Causeur de juin en auront entendu parler par votre serviteur.].

Cette maison, qui nous à fait découvrir Nathan Singer et Carlos Salem, nous propose pour l’été une réédition, Cassidy’s Girl de David Goodis, préfacé par James Sallis[2. C’est une préface inédite. Et James Sallis est non indispensable de la littérature noire et de la littérature tout court aujourd’hui. Il est publié chez Gallimard. On vous conseillera de commencer par La mort aura tes yeux (Gallimard/La Noire).]

David Goodis fait partie de la génération des Jim Thompson, des Charles Williams, des Willima Irish ou encore du trop oublié Mickey Spillane dont l’anticommunisme délirant de son héros, le célèbre privé Mike Hammer, ne l’a pas empêché de donner à la narration noire une manière de violence crue et décomplexée qui n’a pas trompé Budd Boetticher quand celui-ci adapta Kiss me Deadly en 1955, un des chefs-d’œuvre du film noirs, de ceux qui nous faisaient rester à des heures impossibles, (c’était avant le câble), à regarder le Ciné-club de la 3 alors qu’une version latine nous attendait, et dieu sait que nous aimions Salluste dont la Conjuration de Catilina est déjà un vrai roman noir à la Ellroy.

Mais revenons à Goodis.

Goodis, dans l’étrange taxinomie de l’histoire littéraire nationale, appartient à ces écrivains américains qui furent connus et appréciés, en France, et parfois même traduits, avant même que leur pays d’origine s’avise de leur existence. Goodis, mais aussi Chester Himes qui vivait grâce aux subsides de Marcel Duhamel, premier et mythique directeur de la « Série Noire », ou plus tard, Bukowski, et dans le domaine de la littérature d’anticipation, des écrivains comme K.Dick et Spinrad. Comme quoi, nul n’est prophète en son pays, surtout aux Etats-Unis d’Amérique où celui qui ne respecte pas le conseil donné par le père d’Edgar Poe à son fils : « Make money. Make money, my son, honestly if you can, but make money », se retrouve dans la peau d’un dissident infréquentable.

Goodis est un écrivain maudit et pousse cette définition jusqu’à l’archétype. Né en 1917 à Philadelphie, devenu journaliste, il écrit dès 1938 son premier roman Retreat from oblivion, récit d’apprentissages où tous les thèmes de la génération perdue des Fizgerald et des Hemingway se déploient sur fond d’événements internationaux et notamment celui qui fut l’exercice du grand partage dans les années trente du siècle précédent : la Guerre d’Espagne.

Comme la plupart des écrivains d’après-guerre, Goodis bosse comme scénariste et comme la plupart il se met à boire jusqu’à plus soif. Et puis on perd plus ou moins sa trace, à ce romantique du roman noir, et lui-même se perd de vue, finissant dans les cellules de dégrisement de Philly, mettant plusieurs jours à retrouver la mémoire. C’est le Nerval du roman noir, Goodis, obsédé par un monde onirique, celui d’une ville vue avec les yeux d’un enfant. Son Valois peuplé de filles de feu, c’est la Grande Ville et les femmes fatales. Il ne sait plus trop, Goodis, entre Cauchemars, La Nuit Tombe ou Les pieds dans les nuages, si la femme fatale est la brune ou si c’est la blonde au coin de la rue qui sauve, ou le contraire. Et on ne vous parle pas des rousses.

Cassidy’s Girl, que l’on pourra retrouver ici avec une belle couverture due au grand Romain Slocombe (photographe habituel de la maison de Judith Vernant) est l’un des romans les plus emblématiques de Goodis, et l’un des rares, d’ailleurs qui valut, pour une fois, quelque succès à ce seigneur de la scoumoune, en 1951

Le romantisme désespéré d’un homme, Cassidy, en est le principal moteur narratif. Il fut un pilote de guerre héroïque (vieux rêve goodisien, ses premiers récits pour des pulps sont des histoires d’aviateur), un grand joueur de foutebaule américain et, pour finir chauffeur de car mal marié à une vilaine fille.

Chez Goodis, c’est souvent votre propre femme, la femme fatale. Et la jolie ivrognesse rencontrée au bar Chez Lundy qui pourrait vous rédimer.

Comme quoi, Goodis était un romancier lucide malgré le réalisme fantastique urbain des quartiers excentrés où se déroulent les fatalités inévitables de ce Sophocle du bitume, quand on ne sait plus si le halo du réverbère est dû à une ingestion exagérée de gin ou à la brume qui monte du fleuve.

Et l’espoir, dans tout ça, et la vie ?
– Allez, vas-y, dit Cassidy, chante-moi ta petite sérénade.

Cassidy's Girl

Price: 11,35 €

16 used & new available from 3,98 €

Lectures

0
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.

L’écrivain et son turbin

Comment vit un écrivain professionnel quand il n’a pas la chance de voir un de ses romans adaptés pour la télévision ou quand il ne reçoit pas des piges somptuaires de Causeur ? Il lui reste cette invention récente : l’atelier d’écriture.
L’atelier d’écriture consiste à être invité par une collectivité quelconque, en général à vocation sociale ou éducative (écoles, collèges, centres fermés pour mineur, prisons) et à faire écrire un groupe donné sur un sujet donné. Il ne faut surtout pas confondre l’atelier d’écriture avec le cours de français. Il s’agit plutôt d’un moment qui oscille entre la thérapie de groupe, le grand n’importe quoi et, parfois, la poésie pure.

[access capability= »lire_inedits »]Chefdeville, (pseudonyme d’un auteur connu de polar), raconte dans L’Atelier d’écriture, sur un mode ironique et rabelaisien, ses tribulations autobiographiques d’écrivain dans la dèche, auteur d’un unique polar paru à la Scierie noire (!), qui survit en faisant écrire à des apprentis boulangers et autres élèves de chaudronnerie des histoires aussi noires que sa vie et que la leur. L’Atelier d’écriture est pourtant un des livres les plus franchement drôles du moment et, l’air de rien, photographie sous un angle inédit une France des périphéries un brin désorientée.

L’été sera chaud

André Pieyre de Mandiargues aurait eu cent ans cette année. La collection Quarto, qui est chez Gallimard une manière d’antichambre de La Pléiade, réédite pour l’occasion un bon nombre de textes les plus représentatifs d’une œuvre qui est, avec celle de Gracq dont il était l’exact contemporain, un des plus beaux surgeons du Surréalisme. Quand Gracq explorait le rivage des Syrtes, Mandiargues, lui, préférait se perdre dans une autre géographie, celle des corps dont il rendit compte avec une sensualité hautaine et une écriture lancinante comme le plaisir. Sous le parrainage assumé du théâtre élisabéthain, des romantiques allemands, de Poe et d’un certain sadomasochisme nippon, Mandiargues est peut-être tout entier dans la nouvelle intitulée Le Passage Pommeraye, lieu dont on connaît l’importance pour Breton, Vaché et les surréalistes. C’est une des premières qu’il a publiée, en 1946, dans le recueil Le Musée noir. On y voit les noces entre la monstruosité, le sexe et la mort dans un climat pourtant étrangement attirant.

André Pieyre de Mandiargues avait eu le Goncourt en 1967 pour La Marge, roman d’une errance dans la Barcelone des années franquistes où un homme décidait de se perdre après avoir appris, presque par hasard, la mort de sa femme. Si ce roman ne figure pas dans cette édition, on pourra néanmoins retrouver Le Lis de mer, récit balnéaire et sicilien de l’initiation sexuelle programmée d’une jeune fille ou encore La Marée, une nouvelle du recueil Mascaret, adaptée par Walerian Borowicz dans ses Contes immoraux (1974) et qui raconte comment un jeune homme initie une camarade de jeu à la fellation dans les rochers et attendra, pour se répandre dans sa bouche, que la marée soit complètement haute. Un écrivain, comme on le voit, hautement recommandable.

[/access]

Bac en AOF : la catastrophe

110

Luc Chatel va-t-il devoir présenter sa démission, à peine entré au Ministère de l’éducation nationale ? Il semblerait en effet que les résultats du bac soient catastrophiques au Sénégal. En effet, à l’issue du premier tour d’épreuves, on en serait pour ne citer que les résultats les plus significatifs à moins de 30 % de réussite dans les centres d’examen de Dakar et dans la région de Diourbel, moins de 0,5 % au pour le lycée Djignabo de Ziguinchor, le plus grand centre de la région. On déplorera aussi le chiffre ridicule de cinq admis d’office sur 169 candidats dans le seul centre de la région de Kédougou. Et, horreur, 5,10 % de taux de réussite à Sédhiou (38 admis d’office et 163 admissibles sur 744 candidats). Arrêtons-là ces chiffres démoralisants. Ah, mais on me signale dans l’oreillette que le Sénégal ne fait plus partie de l’AOF depuis 1960 et que toute responsabilité française est dégagée. Ouf ! Ces gens-là ne prennent vraiment pas le baccalauréat au sérieux. Ce n’est pas comme chez nous avec nos 80 % de réussite, grâce aux jurys d’harmonisation et des moyennes de 20,90 chez certains élèves par le jeu des options.

Des juifs indéfendables

617

Le comble de l’antisémitisme serait de croire qu’il n’y a pas chez les juifs une proportion raisonnable de brutes écervelées et de jeunes crétins. Ou encore de considérer que les auteurs de violences commises au nom d’une improbable « défense juive » sont excusables parce qu’ils sont pauvres, incultes ou traumatisés par les souvenirs d’une guerre qu’ils n’ont pas vécue.

À Causeur, l’antisémitisme, on n’est pas trop pour. En conséquence nous pensons que quand des juifs sont coupables de délits ou de crimes, ils ont le droit, comme n’importe quels Français, d’être coffrés par la police de leur pays et jugés par la justice de leur pays. Peu me chaut qu’ils invoquent Israël, la Torah, la pensée du président Mao ou leur enfance malheureuse.

On peut donc se féliciter que les auteurs présumés du saccage d’une librairie parisienne vouée à la défense de la cause palestinienne aient été interpelés et placés en garde à vue mercredi. Les idées, ça se combat avec des idées. Autrement dit, quand on n’est pas d’accord, on cause, mieux que l’adversaire, plus fort et plus malin que lui. On lui explose la tête intellectuellement. Mais on n’attaque pas une librairie. Pas chez nous les Français. Pas chez nous les juifs.

Je n’ai jamais mis les pieds dans la librairie « Résistances » sise à Paris XVIIème et je ne pense pas pallier ce manque dans un avenir proche. Ses responsables Olivia Zemor et Nicolas Shahshahani animent ou animèrent le CAPJIPO, dont une partie du sigle signifie « Pour une paix juste au Proche Orient », ce qui pour eux, passe plus ou moins clairement par la disparition d’Israël comme Etat juif – un Etat juif, c’est déjà fasciste, non ? Ces deux braves pacifistes qui furent également fort actifs dans la liste Euro-Palestine en 2004 ont une tendance marquée à « comprendre » (attention, je n’ai pas dit justifier), les « résistants » du Hezbollah et autres organisations également très pacifiques. Le genre à condamner les attentats-suicides, mais.

Pour être honnête, il faut préciser qu’ils semblent s’être arrêtés à la porte du dieudonnisme. Je n’irais ni passer des vacances avec eux ni chercher dans leur librairie de quoi lire pendant les miennes. Mais je suis prête à me battre pour qu’ils puissent continuer à vendre leur propagande anti-israélienne en toute quiétude.

Or, vendredi dernier, apprend-on par les agences de presse, « cinq hommes cagoulés et en jogging sombre sont entrés dans la librairie armés de bâtons et de bouteilles d’huile. Ils ont cassé la caisse et les ordinateurs, jeté les livres par terre et vidé leurs bouteilles d’huile sur le sol ». En prime, ils ont, sinon brutalisé au moins bousculé et effrayé les personnes qui se trouvaient là. Les agresseurs se sont réclamés de la « Ligue de défense juive » – qui nie sur son site « toute participation aux dégradations de la Librairie Résistances ». La police tranchera. Mais si la survie du peuple juif dépend d’aussi sombres abrutis, l’avenir n’est pas tout rose.

Alors, ça me fait tout drôle mais voilà : je suis d’accord avec Pascal Boniface. Dans une tribune publiée sur son blog, il exprime son « indignation à la fois par rapport à l’attaque qu’ils ont subie, et l’absence de réactions qu’elle a suscitée ». Eh bien moi aussi, je suis indignée par l’attaque et indignée par l’absence de réactions. Pour tout dire, j’aurais apprécié un communiqué du CRIF ou de la LICRA. Et puisque c’est mon jour, je ne suis pas loin d’être d’accord avec le MRAP qui demande l’interdiction de la LDJ. S’il y a de quoi, dans la loi, interdire cette association, il faut que force reste à la loi.

Et puis s’attaquer à des livres devrait être une circonstance aggravante, en particulier quand on appartient à un peuple du Livre.

Arthur Russell, icône de rien

0
Arthur Russell
Arthur Russell.

William Socolov repose son verre. Le boss du label Sleeping Bag est, cette nuit de 1979, un homme heureux. Il est 2 heures et tout le Loft est en transe ; le mythique night-club de New York se déchaîne sur la démo qu’il vient de passer au disc-jockey : Go Bang, d’Arthur Russell. Il faut en féliciter l’auteur. Où est-il passé ? Le producteur se fraie un passage parmi les clubbers, se fait claquer une bise par Lola Love, la choriste de James Brown : « So funky, Will, so funky », et peine à mettre la main sur Arthur Russell, dont le public vient de tomber raide dingue sans même le connaître.

Arthur est prostré dans un coin. Elle a une drôle de dégaine, la nouvelle star du disco : à 26 ans, son visage conserve des stigmates prononcés d’acné juvénile et ses chemisettes à carreaux lui donnent des allures de fermier de la Corn Belt. Pour le glitter et le glamour, on repassera.

[access capability= »lire_inedits »]« Arthur ! Tu as vu : les gens adorent !
– La démo est à chier. »

Russell tourne les talons. C’est, chez lui, une seconde nature. Quand vient le succès, ne pas trop y croire, signer ses disques sous pseudo (il en aura beaucoup) et passer très vite à autre chose – on n’est jamais trop prudent.

Le lendemain, Russell assure une performance au Kitchen, une scène avant-gardiste située dans Chelsea. Ce n’est pas une scène, ni un conservatoire, ni une école, mais une boîte de Pétri de la musique expérimentale : ça bouillonne. On y croise des jeunes gens doués comme Lauren Anderson et Brian Eno. Généralement, Arthur y chante, s’accompagnant au violoncelle et bidouillant avec une boîte à effets. C’est toujours étrange de retourner au Kitchen : il en a été directeur musical quelques mois. Il a été beaucoup de choses pendant quelques mois.

Arthur aura à peine le temps de quitter le Kitchen pour passer au home studio qu’il a aménagé dans l’appartement de l’East Village, où il vit avec son compagnon, Tom. Il y passe des heures, accumule les enregistrements et emprunte le ferry vers Staten Island pour réécouter ses morceaux sur son walkman.

La nuit le verra partout où New York vit en underground. Il fréquente les « places to be » et s’y produit : la Danceteria pour la new wave et la pop, la Gallery et le Paradise Garage pour le disco, le Roxy pour le hip-hop, le Lower Manhattan Ocean Club pour la folk. Des opportunités, il en a, bien sûr. Mais, immanquablement, ça coince. On lui propose d’écrire la partition d’une adaptation de Médée, il s’embrouille avec le metteur en scène. Quand il rencontre David Byrne, qui lui propose de rejoindre les Talking Heads, un petit groupe qu’il est en train de monter, ça ne colle pas.

Il n’est pas facile de travailler avec Arthur. Perfectionniste, il revient plusieurs fois sur l’ouvrage, réécrit, révise, réenregistre. La plupart du temps, il laisse ses chansons inachevées. Sa voix diaphane, ses compositions à la croisée de la pop, la new-wave, la folk et le disco, sont à la fois accessibles et déconcertantes. En 1986, son album World of Echo connaît un succès d’estime. Il tombe malade et entreprend un nouvel album, Corn, qu’il n’achèvera pas. Là, ce n’est pas sa faute, mais celle de la mort – bonne excuse. Arthur Russell décède en 1992, laissant plusieurs centaines de bandes d’enregistrement, avec parfois plusieurs dizaines de versions d’une même chanson.

Depuis quelques années, la critique redécouvre Arthur Russell et le transforme en icône pop et gay. À tout prendre, Russell aurait certainement préféré être tenu pour une icône transgenre. Non pas qu’il enfilait en douce les robes de maman, mais, dans ces années 1980 où la loi des genres commençait à segmenter la musique pour mieux la commercialiser, il refusait les étiquettes et les styles imposés par les producteurs et les disquaires. Un doux anarchiste expérimental, qui avait substitué au classique « Ni dieu ni maître » un « Ni pop, ni rock, ni folk, ni disco ». De la musique avant toute chose, et de l’exploration. Peut-être Arthur Russell n’est-il jamais parvenu à une version définitive de quoi que ce soit, mais ses ébauches surpassent bien des œuvres achevées.

Audika Records réédite certains albums et publie des inédits d’Arthur Russell. Calling Out Of Context (AU-1001-2) et World Of Echo (AU-1002-2). Le réalisateur Matt Wolf lui a consacré un documentaire, Wild Combination, a portrait of Arthur Russell, disponible en DVD distribué par Plexifilm.
[/access]

Gouvernement : deuxième démarque

28

Jamais on ne m’a refusé un seul article. Sauf une fois. J’avais fait un reportage sur l’industrie agro-alimentaire et ses rapports avec les militants de la cause animale. Comme le lobby agro-alimentaire veille scrupuleusement sur tout et que les amis des bêtes font le reste, mon rédacteur en chef me convoqua.

– Ton papier ne passera pas. Tu ne peux pas écrire noir sur blanc que « le yorkshire entre dans la composition des confiseries industrielles et qu’on y retrouve aussi du hamster ». Ce n’est pas crédible, Trudi.

Il caressa d’une main son tout nouveau chat persan, puis croqua dans une barre chocolatée, avant de conclure : « Et je tiens à souligner qu’il n’y a eu aucune pression. » Je n’en ai pas fait tout un fromage. Pour la bonne raison que je n’avais aucune preuve à l’époque que le beauceron et l’épagneul breton étaient des ingrédients prisés pour le camembert. Et je suis retournée à mon bureau écrire un énième papier sur un sujet dont je sais mes lecteurs allemands friands : « Hitler pétomane. »

La semaine dernière, pour la deuxième fois de ma carrière, je viens de me voir refuser un article. Il portait sur le remaniement du gouvernement français, celui auquel l’Elysée envisage de procéder après le 14 juillet. Je ne faisais que répéter ce que j’avais lu dans la presse française : Nicolas Sarkozy entendrait ajuster le tir en nommant cinq ou six nouveaux ministres et secrétaires d’Etat pour compléter le remaniement du 23 juin. Les noms de Frédéric Lefebvre, Maurice Leroy (qui est le père de Jérôme Leroy, c’est marqué dessus, ça ne peut pas tromper) ou Claude Allègre sont évoqués.

Pour expliquer à mes lecteurs allemands cette manœuvre un peu inédite où des ministres viennent s’ajouter à d’autres tous les quinze jours, je filai tout au long de mon article la métaphore des soldes : première démarque, deuxième démarque… Puis, emportée dans mon élan, j’en vins à poser la question qui tue : la hauteur du rabais consenti n’emporte-t-elle pas avec elle la qualité des biens soldés ?

Essayez de vous acheter une jupe soldée en deuxième démarque. Certes, le prix sera au rendez-vous et vous aurez encore le choix de la taille : soit 36, soit 72. Mais la coupe, on la croirait réalisée par une petite main parkinsonienne. Quant à la couleur de l’imprimé, même un daltonien ne serait pas assez débile pour en vouloir. Enfin, il faut relativiser. J’ai moi-même acheté en juillet 1982 un chemisier soldé trois fois rien rue de Rivoli : découpé en carrés, je n’ai jamais trouvé mieux pour faire mes vitres.

Dans la fringue comme en politique, je vous déconseille la deuxième démarque. La troisième, je ne vous en parle même pas.

On m’informe justement que Michel Rocard n’a pas rejoint le gouvernement, mais que ce serait tout comme. Il travaillerait – mais l’information mériterait d’être vraiment vérifiée – à un plan de relance… Vu la façon dont il a relancé l’économie française lorsqu’il était Premier ministre, ça devrait être grandiose : on ne peut pas se planter aussi magistralement deux fois.

Mon rédacteur en chef m’a donc refusé l’article. Contemplant d’un œil ému la Rolex qui rutilait neuve à son poignet, il m’a dit : « Non, Trudi, ce n’est pas crédible, cette affaire de remaniements à répétition. Et, crois-moi, je n’ai subi aucune pression. »

Ségolène féodale

384

Philippe Muray avait, hier après-midi, l’humeur rigolarde. Il a ri si fort que sa gorge déployée a chassé en un souffle les nuages que la Météorologie nationale avait installés sur Paris. Il fit beau. Avoir raison post mortem mérite bien un petit miracle.

Lorsqu’il publia Le Sourire à visage humain, on s’était dit que Philippe Muray y était allé un peu fort. Le pamphlet a beau avoir sa loi propre, toujours celle de l’hyperbole et de l’exagération, il faut tirer la réalité par les cheveux pour consacrer un livre entier à un objet aussi anodin que le sourire de Ségolène Royal. Elle ne rit pas, nous disait Muray, mais sourit : « C’est un sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom. C’est évidemment le contraire d’un rire. Ce sourire-là n’a jamais ri et ne rira jamais, il n’est pas là pour ça. Ce n’est pas le sourire de la joie, c’est celui qui se lève après la fin du deuil de tout. Les thanatopracteurs l’imitent très bien quand ils font la toilette d’un cher disparu. »

Or, lefigaro.fr publie dimanche après-midi un article de Flore Galaud nous apprenant que Ségolène Royal aurait tout fait pour que le rappeur Orelsan soit déprogrammé des Francofolies de La Rochelle. C’est Jean-Louis Foulquier qui a vendu la mèche : « Ségolène Royal s’est positionnée en maître-chanteuse : ou il arrêtait la programmation, ou il n’avait plus de subventions. »

L’affaire se corse quand on apprend que le chanteur Cali, supporter number one de la présidente de Poitou-Charente, poussait quelques jours auparavant des cries d’orfraie et criait à la censure honteuse. Pas de bol, c’est son ex-future présidente de copine qui a fait le coup. Condoléances.

Cali vient de découvrir ce que Philippe Muray avait décelé avant tout le monde : Ségolène Royal ne rit pas. On ne rit pas avec Ségolène Royal. Quand elle veut censurer, elle censure, et adopte des pratiques qui relèvent du pire féodalisme politique : le chantage aux subventions.

En bref, les heures les plus sombres de notre histoire sont revenues. À Orange et Vitrolles, le Front national voulait contrôler la culture et menaçait les structures culturelles de suspendre leurs subsides. On avait vu alors cent mille comités vigilants et citoyens éclore partout en France. Où sont aujourd’hui les Fronts républicains pour défendre la Culture en danger ? Quand est-ce qu’on signe la pétition ?

Ne pas aimer Orelsan est une chose. Le faire déprogrammer d’un festival en agissant en douce en est une autre. En matière culturelle, c’est la doctrine Malraux qui jusqu’alors avait largement prévalu en République : ni les pouvoirs publics ni les élus n’ont à intervenir dans la programmation d’un festival ou d’une institution culturelle. C’est un pacte tacite qui prévalait, des hautes sphères de la rue de Valois jusqu’au plus petit festival d’été du plus reculé village de France.

Dont acte. Ségolène Royal sait ce qui est bon pour le pays – et on le lui concède volontiers, puisque les socialistes l’ont choisie comme candidate en 2007. Elle sait également ce qui est aimable ou méprisable en matière artistique. Elle n’a pas été élue présidente : la voilà disc jockey. On a, de Charybde en Scylla, les compensations qu’on peut.

Le sourire à visage humain: Suivi de Citoyen, citoyenneté et Encore plus de plus

Price: 17,03 €

11 used & new available from 4,04 €

Du bois dont on fait les pipes

21

L’écologie, et encore plus la décroissance, ont toujours eu un petit côté curé puritain assez désagréable et l’idée de devoir vivre selon les préceptes de Thoreau pourrait même assez vite virer au cauchemar. La simplicité volontaire, si elle signifie un monde couvert de villages où l’on fait ses besoins dans des toilettes sèches, où l’on doit porter des pulls qui grattent et ne jamais manger de viande, on s’en passera très bien. Ceci étant dit, une association norvégienne, Fuck for the forest (FFF, à ne pas confondre avec Fédération Française de Foutebaule), pourrait nous faire changer d’avis. Ce site Internet propose en effet un contenu gentiment pornographique (amateurs cabriolant joyeusement dans les bois) mais payant. Les profits engendrés par ce voyeurisme vert sont reversés intégralement à diverses associations s’occupant de reboisement dans des pays comme l’Equateur ou le Costa Rica. Quand la zone protégée se confond avec la zone érogène, on ne peut qu’adhérer au slogan de Fuck for the forest, premier site d’environmental porn : « Sauver la planète est sexy ! »

Toubibs or not toubibs ?

267

Pendant plusieurs jours, en ce début juillet, les auditeurs de France Info, les lecteurs de diverses publications, dont Le Canard Enchaîné, ont été invités à s’indigner à propos du traitement infâme infligé à une équipe chirurgicale française par les soldats israéliens postés au point de passage d’Erez vers la bande de Gaza.

Conduite par le professeur Christophe Oberlin, cette équipe est restée bloquée quatre jours avant de pouvoir pénétrer sur le territoire et se livrer à ses activités humanitaires dans les hôpitaux de Gaza : interventions chirurgicales, notamment sur des enfants victime de l’opération « Plomb durci » de décembre 2008, et formation des praticiens locaux.

On a laissé poireauter les valeureux french doctors pendant presque cent heures sous un soleil de plomb sans leur donner la moindre explication ni le moindre verre d’eau, alors que cette mission était labélisée Quai d’Orsay par l’intermédiaire du Consulat général de France à Jérusalem.

Racontée comme cela, l’histoire peut en effet paraître scandaleuse et provoquer des réactions pour le moins défavorables au comportement des responsables israéliens et à leurs exécutants en uniforme. J’ai moi-même, en plein de mois de juillet été naguère bloqué quelques heures à Erez – par les garde-frontières palestiniens – et je pourrais aisément compatir devant ces blouses blanches forcées de mijoter sous un cagnard implacable et de subir une loi appliquée brutalement par de tout jeunes soldats et soldates.

Personne, parmi les journalistes qui ont rapporté cette histoire, enregistré et diffusé les propos de Christophe Oberlin n’a pris la peine de rappeler les exploits passés de ce professeur de chirurgie dans les territoires palestiniens, et ses activités politiques dans l’Hexagone. Ces rappels auraient pu expliquer, sinon justifier, que les autorités israéliennes montrent une certaine mauvaise humeur à le voir revenir à Gaza, avec une couverture diplomatique cette foi-ci, pratiquer ce qu’il faut bien qualifier d’action propagandiste à visage humanitaire.

Christophe Oberlin a, en 2004, a conduit la liste Europalestine lors des élections européennes, une liste si extrémiste qu’elle fut condamnée par Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, qui lui demanda, sans succès, de se retirer au profit d’autres « amis » de la Palestine moins sulfureux.

Comme on peut le constater sur cette vidéo diffusée sur le site oumma.tv, cet homme à la voix douce, à qui l’on donnerait le bon dieu humanitaire sans confession, pratique, certes, la chirurgie réparatrice lors de ses nombreuses missions à Gaza.

En France, les toubibs qui se consacrent aux malheurs des populations civiles victimes d’exactions militaires jouissent d’un prestige et d’une crédibilité sans égale. Mieux que l’ENA, cela peut conduire à des positions enviables au sommet de la République. Oberlin, lui, se sert de son aura médicale pour faire passer auprès d’un public attendri les messages des islamistes radicaux, dont il manie admirablement la langue de bois.

En effet, une fois qu’il en a terminé de son numéro de chirurgien réparateur des dégâts provoqué par Tsahal, Oberlin se livre à un exercice, ma foi plutôt réussi, de propagande en faveur des thèses du Hamas, dont il est l’un des plus actifs défenseurs en France. On notera avec intérêt que notre chirurgien qualifie de « menace psychologique » les roquettes lancées pendant des années par ses amis sur le sud d’Israël, sous-entendant que le cas des habitants de Sderot relève de la psychiatrie plutôt que de la chirurgie. Il est un grand ami du Dr Mohamed Al-Rantissi, le frère du fondateur du Hamas exécuté par l’aviation israélienne.

Ce cv chargé n’aurait pas, cependant, empêché la vaillante équipe d’Oberlin d’entrer sans encombres à Gaza, pour autant qu’elle eût daigné, avant son départ de Paris, se faire connaître auprès de l’ambassade d’Israël en France, qui aurait alors fait le nécessaire auprès du comité de coordination assurant la liaison entre les organisations humanitaires œuvrant à Gaza et les autorités israéliennes.

En se présentant de manière impromptue au poste de contrôle, sans respecter les procédures habituelles dans ces circonstances, le groupe était assuré de se voir refuser l’entrée du territoire pendant tout le temps nécessaire aux vérifications de leurs accréditations. Il suffit alors d’ameuter les médias pour que la fable des méchants Israéliens empêchant de généreux toubibs de soulager les misères des Gazaouis se répande dans l’Hexagone.

Mission accomplie donc : il ne suffit pas que les Palestiniens soient mieux soignés, encore faut-il que les Israéliens passent pour des barbares.

Martine Billard par la bande

7

Chose assez étrange et plus rare qu’une espèce en voie de disparition, il faut bien le reconnaître, Martine Billard, députée de Paris, tout en étant inscrite chez les Verts, était de gauche. Oui, de gauche. Il semblerait qu’elle ait été, pour le moins, très moyennement convaincue par la plate-forme libérale libertaire d’Europe Ecologie dont le chef, un ancien étudiant roux anarchiste devenu évangéliste du marché, a cru bon de déclarer qu’il trouvait que François Fillon – dont certains témoins dignes de foi disent qu’il serait premier ministre du gouvernement de la France –, ferait un bon successeur à Manuel Barroso, président de la Commission Européenne en exercice, persuadé que le périmètre du marché doit s’étendre jusqu’au génome humain et la réglementation jusqu’au vin naturel. Martine Billard a donc décidé de rejoindre le Parti de Gauche de Jean-Luc Melenchon. Madame Billard, par la bande, a donc également rejoint le Front de Gauche.

La copine de Cassidy est revenue

62

Dans le monde plutôt encombré du polar en librairie, il nous faut signaler les éditions Moisson Rouge. Dès le choix du nom, on sent le goût des amateurs éclairés et, en l’occurrence de l’amatrice éclairée, Judith Vernant, qui assure depuis dix huit mois bientôt une direction littéraire audacieuse, de cette audace joyeuse des chevau-légers qui savent se faufiler avec grâce et virtuosité entre les régiments de cavalerie lourde des maisons historiques, Rivages, la Série Noire ou Le Masque. Moisson Rouge, donc, a été baptisée ainsi en hommage à celui qui est reconnu, avec ce titre, comme le fondateur du roman noir moderne, autour de 1929, l’année terrible, à savoir le grand Dashiell Hammett[1. Moisson Rouge de Hammett vient de ressortir dans une nouvelle traduction à la Série Noire. Les lecteurs du mensuel Causeur de juin en auront entendu parler par votre serviteur.].

Cette maison, qui nous à fait découvrir Nathan Singer et Carlos Salem, nous propose pour l’été une réédition, Cassidy’s Girl de David Goodis, préfacé par James Sallis[2. C’est une préface inédite. Et James Sallis est non indispensable de la littérature noire et de la littérature tout court aujourd’hui. Il est publié chez Gallimard. On vous conseillera de commencer par La mort aura tes yeux (Gallimard/La Noire).]

David Goodis fait partie de la génération des Jim Thompson, des Charles Williams, des Willima Irish ou encore du trop oublié Mickey Spillane dont l’anticommunisme délirant de son héros, le célèbre privé Mike Hammer, ne l’a pas empêché de donner à la narration noire une manière de violence crue et décomplexée qui n’a pas trompé Budd Boetticher quand celui-ci adapta Kiss me Deadly en 1955, un des chefs-d’œuvre du film noirs, de ceux qui nous faisaient rester à des heures impossibles, (c’était avant le câble), à regarder le Ciné-club de la 3 alors qu’une version latine nous attendait, et dieu sait que nous aimions Salluste dont la Conjuration de Catilina est déjà un vrai roman noir à la Ellroy.

Mais revenons à Goodis.

Goodis, dans l’étrange taxinomie de l’histoire littéraire nationale, appartient à ces écrivains américains qui furent connus et appréciés, en France, et parfois même traduits, avant même que leur pays d’origine s’avise de leur existence. Goodis, mais aussi Chester Himes qui vivait grâce aux subsides de Marcel Duhamel, premier et mythique directeur de la « Série Noire », ou plus tard, Bukowski, et dans le domaine de la littérature d’anticipation, des écrivains comme K.Dick et Spinrad. Comme quoi, nul n’est prophète en son pays, surtout aux Etats-Unis d’Amérique où celui qui ne respecte pas le conseil donné par le père d’Edgar Poe à son fils : « Make money. Make money, my son, honestly if you can, but make money », se retrouve dans la peau d’un dissident infréquentable.

Goodis est un écrivain maudit et pousse cette définition jusqu’à l’archétype. Né en 1917 à Philadelphie, devenu journaliste, il écrit dès 1938 son premier roman Retreat from oblivion, récit d’apprentissages où tous les thèmes de la génération perdue des Fizgerald et des Hemingway se déploient sur fond d’événements internationaux et notamment celui qui fut l’exercice du grand partage dans les années trente du siècle précédent : la Guerre d’Espagne.

Comme la plupart des écrivains d’après-guerre, Goodis bosse comme scénariste et comme la plupart il se met à boire jusqu’à plus soif. Et puis on perd plus ou moins sa trace, à ce romantique du roman noir, et lui-même se perd de vue, finissant dans les cellules de dégrisement de Philly, mettant plusieurs jours à retrouver la mémoire. C’est le Nerval du roman noir, Goodis, obsédé par un monde onirique, celui d’une ville vue avec les yeux d’un enfant. Son Valois peuplé de filles de feu, c’est la Grande Ville et les femmes fatales. Il ne sait plus trop, Goodis, entre Cauchemars, La Nuit Tombe ou Les pieds dans les nuages, si la femme fatale est la brune ou si c’est la blonde au coin de la rue qui sauve, ou le contraire. Et on ne vous parle pas des rousses.

Cassidy’s Girl, que l’on pourra retrouver ici avec une belle couverture due au grand Romain Slocombe (photographe habituel de la maison de Judith Vernant) est l’un des romans les plus emblématiques de Goodis, et l’un des rares, d’ailleurs qui valut, pour une fois, quelque succès à ce seigneur de la scoumoune, en 1951

Le romantisme désespéré d’un homme, Cassidy, en est le principal moteur narratif. Il fut un pilote de guerre héroïque (vieux rêve goodisien, ses premiers récits pour des pulps sont des histoires d’aviateur), un grand joueur de foutebaule américain et, pour finir chauffeur de car mal marié à une vilaine fille.

Chez Goodis, c’est souvent votre propre femme, la femme fatale. Et la jolie ivrognesse rencontrée au bar Chez Lundy qui pourrait vous rédimer.

Comme quoi, Goodis était un romancier lucide malgré le réalisme fantastique urbain des quartiers excentrés où se déroulent les fatalités inévitables de ce Sophocle du bitume, quand on ne sait plus si le halo du réverbère est dû à une ingestion exagérée de gin ou à la brume qui monte du fleuve.

Et l’espoir, dans tout ça, et la vie ?
– Allez, vas-y, dit Cassidy, chante-moi ta petite sérénade.

Cassidy's Girl

Price: 11,35 €

16 used & new available from 3,98 €

Lectures

0
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.
Eros, statue de Pompéï, musée archéologique de Naples.

L’écrivain et son turbin

Comment vit un écrivain professionnel quand il n’a pas la chance de voir un de ses romans adaptés pour la télévision ou quand il ne reçoit pas des piges somptuaires de Causeur ? Il lui reste cette invention récente : l’atelier d’écriture.
L’atelier d’écriture consiste à être invité par une collectivité quelconque, en général à vocation sociale ou éducative (écoles, collèges, centres fermés pour mineur, prisons) et à faire écrire un groupe donné sur un sujet donné. Il ne faut surtout pas confondre l’atelier d’écriture avec le cours de français. Il s’agit plutôt d’un moment qui oscille entre la thérapie de groupe, le grand n’importe quoi et, parfois, la poésie pure.

[access capability= »lire_inedits »]Chefdeville, (pseudonyme d’un auteur connu de polar), raconte dans L’Atelier d’écriture, sur un mode ironique et rabelaisien, ses tribulations autobiographiques d’écrivain dans la dèche, auteur d’un unique polar paru à la Scierie noire (!), qui survit en faisant écrire à des apprentis boulangers et autres élèves de chaudronnerie des histoires aussi noires que sa vie et que la leur. L’Atelier d’écriture est pourtant un des livres les plus franchement drôles du moment et, l’air de rien, photographie sous un angle inédit une France des périphéries un brin désorientée.

L'Atelier d'écriture

Price: 17,00 €

19 used & new available from 3,75 €

L’été sera chaud

André Pieyre de Mandiargues aurait eu cent ans cette année. La collection Quarto, qui est chez Gallimard une manière d’antichambre de La Pléiade, réédite pour l’occasion un bon nombre de textes les plus représentatifs d’une œuvre qui est, avec celle de Gracq dont il était l’exact contemporain, un des plus beaux surgeons du Surréalisme. Quand Gracq explorait le rivage des Syrtes, Mandiargues, lui, préférait se perdre dans une autre géographie, celle des corps dont il rendit compte avec une sensualité hautaine et une écriture lancinante comme le plaisir. Sous le parrainage assumé du théâtre élisabéthain, des romantiques allemands, de Poe et d’un certain sadomasochisme nippon, Mandiargues est peut-être tout entier dans la nouvelle intitulée Le Passage Pommeraye, lieu dont on connaît l’importance pour Breton, Vaché et les surréalistes. C’est une des premières qu’il a publiée, en 1946, dans le recueil Le Musée noir. On y voit les noces entre la monstruosité, le sexe et la mort dans un climat pourtant étrangement attirant.

André Pieyre de Mandiargues avait eu le Goncourt en 1967 pour La Marge, roman d’une errance dans la Barcelone des années franquistes où un homme décidait de se perdre après avoir appris, presque par hasard, la mort de sa femme. Si ce roman ne figure pas dans cette édition, on pourra néanmoins retrouver Le Lis de mer, récit balnéaire et sicilien de l’initiation sexuelle programmée d’une jeune fille ou encore La Marée, une nouvelle du recueil Mascaret, adaptée par Walerian Borowicz dans ses Contes immoraux (1974) et qui raconte comment un jeune homme initie une camarade de jeu à la fellation dans les rochers et attendra, pour se répandre dans sa bouche, que la marée soit complètement haute. Un écrivain, comme on le voit, hautement recommandable.

[/access]

Bac en AOF : la catastrophe

110

Luc Chatel va-t-il devoir présenter sa démission, à peine entré au Ministère de l’éducation nationale ? Il semblerait en effet que les résultats du bac soient catastrophiques au Sénégal. En effet, à l’issue du premier tour d’épreuves, on en serait pour ne citer que les résultats les plus significatifs à moins de 30 % de réussite dans les centres d’examen de Dakar et dans la région de Diourbel, moins de 0,5 % au pour le lycée Djignabo de Ziguinchor, le plus grand centre de la région. On déplorera aussi le chiffre ridicule de cinq admis d’office sur 169 candidats dans le seul centre de la région de Kédougou. Et, horreur, 5,10 % de taux de réussite à Sédhiou (38 admis d’office et 163 admissibles sur 744 candidats). Arrêtons-là ces chiffres démoralisants. Ah, mais on me signale dans l’oreillette que le Sénégal ne fait plus partie de l’AOF depuis 1960 et que toute responsabilité française est dégagée. Ouf ! Ces gens-là ne prennent vraiment pas le baccalauréat au sérieux. Ce n’est pas comme chez nous avec nos 80 % de réussite, grâce aux jurys d’harmonisation et des moyennes de 20,90 chez certains élèves par le jeu des options.

Des juifs indéfendables

617

Le comble de l’antisémitisme serait de croire qu’il n’y a pas chez les juifs une proportion raisonnable de brutes écervelées et de jeunes crétins. Ou encore de considérer que les auteurs de violences commises au nom d’une improbable « défense juive » sont excusables parce qu’ils sont pauvres, incultes ou traumatisés par les souvenirs d’une guerre qu’ils n’ont pas vécue.

À Causeur, l’antisémitisme, on n’est pas trop pour. En conséquence nous pensons que quand des juifs sont coupables de délits ou de crimes, ils ont le droit, comme n’importe quels Français, d’être coffrés par la police de leur pays et jugés par la justice de leur pays. Peu me chaut qu’ils invoquent Israël, la Torah, la pensée du président Mao ou leur enfance malheureuse.

On peut donc se féliciter que les auteurs présumés du saccage d’une librairie parisienne vouée à la défense de la cause palestinienne aient été interpelés et placés en garde à vue mercredi. Les idées, ça se combat avec des idées. Autrement dit, quand on n’est pas d’accord, on cause, mieux que l’adversaire, plus fort et plus malin que lui. On lui explose la tête intellectuellement. Mais on n’attaque pas une librairie. Pas chez nous les Français. Pas chez nous les juifs.

Je n’ai jamais mis les pieds dans la librairie « Résistances » sise à Paris XVIIème et je ne pense pas pallier ce manque dans un avenir proche. Ses responsables Olivia Zemor et Nicolas Shahshahani animent ou animèrent le CAPJIPO, dont une partie du sigle signifie « Pour une paix juste au Proche Orient », ce qui pour eux, passe plus ou moins clairement par la disparition d’Israël comme Etat juif – un Etat juif, c’est déjà fasciste, non ? Ces deux braves pacifistes qui furent également fort actifs dans la liste Euro-Palestine en 2004 ont une tendance marquée à « comprendre » (attention, je n’ai pas dit justifier), les « résistants » du Hezbollah et autres organisations également très pacifiques. Le genre à condamner les attentats-suicides, mais.

Pour être honnête, il faut préciser qu’ils semblent s’être arrêtés à la porte du dieudonnisme. Je n’irais ni passer des vacances avec eux ni chercher dans leur librairie de quoi lire pendant les miennes. Mais je suis prête à me battre pour qu’ils puissent continuer à vendre leur propagande anti-israélienne en toute quiétude.

Or, vendredi dernier, apprend-on par les agences de presse, « cinq hommes cagoulés et en jogging sombre sont entrés dans la librairie armés de bâtons et de bouteilles d’huile. Ils ont cassé la caisse et les ordinateurs, jeté les livres par terre et vidé leurs bouteilles d’huile sur le sol ». En prime, ils ont, sinon brutalisé au moins bousculé et effrayé les personnes qui se trouvaient là. Les agresseurs se sont réclamés de la « Ligue de défense juive » – qui nie sur son site « toute participation aux dégradations de la Librairie Résistances ». La police tranchera. Mais si la survie du peuple juif dépend d’aussi sombres abrutis, l’avenir n’est pas tout rose.

Alors, ça me fait tout drôle mais voilà : je suis d’accord avec Pascal Boniface. Dans une tribune publiée sur son blog, il exprime son « indignation à la fois par rapport à l’attaque qu’ils ont subie, et l’absence de réactions qu’elle a suscitée ». Eh bien moi aussi, je suis indignée par l’attaque et indignée par l’absence de réactions. Pour tout dire, j’aurais apprécié un communiqué du CRIF ou de la LICRA. Et puisque c’est mon jour, je ne suis pas loin d’être d’accord avec le MRAP qui demande l’interdiction de la LDJ. S’il y a de quoi, dans la loi, interdire cette association, il faut que force reste à la loi.

Et puis s’attaquer à des livres devrait être une circonstance aggravante, en particulier quand on appartient à un peuple du Livre.

Arthur Russell, icône de rien

0
Arthur Russell
Arthur Russell.
Arthur Russell
Arthur Russell.

William Socolov repose son verre. Le boss du label Sleeping Bag est, cette nuit de 1979, un homme heureux. Il est 2 heures et tout le Loft est en transe ; le mythique night-club de New York se déchaîne sur la démo qu’il vient de passer au disc-jockey : Go Bang, d’Arthur Russell. Il faut en féliciter l’auteur. Où est-il passé ? Le producteur se fraie un passage parmi les clubbers, se fait claquer une bise par Lola Love, la choriste de James Brown : « So funky, Will, so funky », et peine à mettre la main sur Arthur Russell, dont le public vient de tomber raide dingue sans même le connaître.

Arthur est prostré dans un coin. Elle a une drôle de dégaine, la nouvelle star du disco : à 26 ans, son visage conserve des stigmates prononcés d’acné juvénile et ses chemisettes à carreaux lui donnent des allures de fermier de la Corn Belt. Pour le glitter et le glamour, on repassera.

[access capability= »lire_inedits »]« Arthur ! Tu as vu : les gens adorent !
– La démo est à chier. »

Russell tourne les talons. C’est, chez lui, une seconde nature. Quand vient le succès, ne pas trop y croire, signer ses disques sous pseudo (il en aura beaucoup) et passer très vite à autre chose – on n’est jamais trop prudent.

Le lendemain, Russell assure une performance au Kitchen, une scène avant-gardiste située dans Chelsea. Ce n’est pas une scène, ni un conservatoire, ni une école, mais une boîte de Pétri de la musique expérimentale : ça bouillonne. On y croise des jeunes gens doués comme Lauren Anderson et Brian Eno. Généralement, Arthur y chante, s’accompagnant au violoncelle et bidouillant avec une boîte à effets. C’est toujours étrange de retourner au Kitchen : il en a été directeur musical quelques mois. Il a été beaucoup de choses pendant quelques mois.

Arthur aura à peine le temps de quitter le Kitchen pour passer au home studio qu’il a aménagé dans l’appartement de l’East Village, où il vit avec son compagnon, Tom. Il y passe des heures, accumule les enregistrements et emprunte le ferry vers Staten Island pour réécouter ses morceaux sur son walkman.

La nuit le verra partout où New York vit en underground. Il fréquente les « places to be » et s’y produit : la Danceteria pour la new wave et la pop, la Gallery et le Paradise Garage pour le disco, le Roxy pour le hip-hop, le Lower Manhattan Ocean Club pour la folk. Des opportunités, il en a, bien sûr. Mais, immanquablement, ça coince. On lui propose d’écrire la partition d’une adaptation de Médée, il s’embrouille avec le metteur en scène. Quand il rencontre David Byrne, qui lui propose de rejoindre les Talking Heads, un petit groupe qu’il est en train de monter, ça ne colle pas.

Il n’est pas facile de travailler avec Arthur. Perfectionniste, il revient plusieurs fois sur l’ouvrage, réécrit, révise, réenregistre. La plupart du temps, il laisse ses chansons inachevées. Sa voix diaphane, ses compositions à la croisée de la pop, la new-wave, la folk et le disco, sont à la fois accessibles et déconcertantes. En 1986, son album World of Echo connaît un succès d’estime. Il tombe malade et entreprend un nouvel album, Corn, qu’il n’achèvera pas. Là, ce n’est pas sa faute, mais celle de la mort – bonne excuse. Arthur Russell décède en 1992, laissant plusieurs centaines de bandes d’enregistrement, avec parfois plusieurs dizaines de versions d’une même chanson.

Depuis quelques années, la critique redécouvre Arthur Russell et le transforme en icône pop et gay. À tout prendre, Russell aurait certainement préféré être tenu pour une icône transgenre. Non pas qu’il enfilait en douce les robes de maman, mais, dans ces années 1980 où la loi des genres commençait à segmenter la musique pour mieux la commercialiser, il refusait les étiquettes et les styles imposés par les producteurs et les disquaires. Un doux anarchiste expérimental, qui avait substitué au classique « Ni dieu ni maître » un « Ni pop, ni rock, ni folk, ni disco ». De la musique avant toute chose, et de l’exploration. Peut-être Arthur Russell n’est-il jamais parvenu à une version définitive de quoi que ce soit, mais ses ébauches surpassent bien des œuvres achevées.

Calling Out of Context

Price: 29,61 €

3 used & new available from

Audika Records réédite certains albums et publie des inédits d’Arthur Russell. Calling Out Of Context (AU-1001-2) et World Of Echo (AU-1002-2). Le réalisateur Matt Wolf lui a consacré un documentaire, Wild Combination, a portrait of Arthur Russell, disponible en DVD distribué par Plexifilm.
[/access]