Vous aimez les films de John Carpenter, George Romero ou Dario Argento ? Voire, pour les plus pervers d’entre vous ceux de Mario Bava, Lucio Fulci, Wes Craven ou Tobe Hooper ? Vous tenez La colline a des yeux et La nuit des morts vivants pour de grands films ? Vous achetez Mad movies en cachette tous les mois ? Rassurez-vous, nous aussi. Et pourtant l’information donnée sur le blog de l’écrivain et amateur de chevaux Christophe Donner a été la plus terrifiante de l’été dans son genre et a donné le « la » d’une mobilisation écologico-politico-médiatique sans précédent au point que le premier ministre (veuillez nous excuser, on oublie toujours son nom et personne ne peut jamais nous renseigner) s’est senti obligé après plusieurs semaines de polémiques sur la dangerosité du phénomène aux allures extra terrestres, d’y aller d’une mâle déclaration, très Robert Duvall dans Apocalyse Now : « On va nettoyer les plages. »
A l’origine de tout cela, donc, l’histoire suivante : un vétérinaire qui chevauchait tranquillement sur une plage des Côtes d’Armor s’est enlisé avec sa monture dans une mare d’algues vertes parasitaires qui envahissent les côtes bretonnes depuis plusieurs années. Celles-ci, mouvantes et en décomposition, ont tué l’animal en quelques secondes alors que le cavalier s’évanouissait sous l’effet des vapeurs délétères. Il ne dut son salut qu’à la présence miraculeuse d’un tractopelle secourable. Comme le chantait un célèbre poète, véritable Rimbaud de l’évasion fiscale : « Quand mon corps sur ton corps, lourd comme un cheval mort… »
Algues attaquent !
Forfaiture !
Soucieux de réduire mon budget téléphone portable et de relancer l’économie française avec les fonds ainsi dégagés, je me suis intéressé au contenu de la noria de mails promotionnels que je poubellise recta d’ordinaire.
Comme il y a un bon dieu pour les apprentis radins, j’ai fini par dénicher une offre réellement valable, au moins sur le papier, ce qui est une façon de parler s’agissant d’un courrier dématérialisé. Il s’agit du forfait Paradyse de Virgin Mobile, qui propose les appels illimités vers tous les opérateurs et le surf idoine, pour seulement 90 euros par mois, sans restriction de tranche horaire ou autre, genre obligation d’appeler à moins de 20 centimètres de sa box internet. Ce qui dans le paysage français n’est pas une simple nouveauté, mais une véritable bombe : jamais aucun des trois opérateurs historiques n’a osé s’aventurer – sauf par erreur vite corrigée – sur le terrain du véritable forfait illimité, exception faite des forfaits groupés d’entreprises.
Quand chez Orange, Bouygues ou SFR on parle d’ »illimité », c’est en général les restrictions qui sont illimitées. Selon les cas, vous pourrez envoyer une infinité de SMS entre minuit et huit heures du mat’, ce qui est préjudiciable au travail du lendemain au lycée. Ou bien téléphoner autant que vous voudrez à trois correspondants choisis, ce qui finira à terme par vexer tous vos autres amis. Rien de tout cela chez Virgin, si ce n’est qu’on n’a le droit d’appeler que 99 numéros différents et de surfer à hauteur de 500 Mo maximum par mois, ce qui à première vue ne relève pas du vice caché, mais du garde-fou visant à garantir une utilisation dudit forfait en bon père de famille.
Néanmoins, comme je ne suis pas expert en clauses restrictives dissimulées, tout juste un amateur éclairé par les déconvenues, j’ai pensé à aller voir ce que la presse m’en disait : compte tenu de l’ampleur de cette révolution marketing, je m’attendais à voir une flopée d’articles en googlisant « Paradyse » à la rubrique Actualités.
Résultat ? Néant. Pas de flopée mais un flop intégral ! En tout cas, rien de rien du côté de la grande presse : le Paradyse n’est pas de ce monde. Les quelques liens qui apparaissent renvoient sur des sites spécialisés en téléphonie mobile, lesquels, en général s’y contentent de signaler l’apparition du nouveau forfait, point barre.
Ce qui me plonge dans une certaine perplexité. Moi j’avais comme l’impression qu’au mois d’août, les médias étaient en manque d’infos. 95 % des Français ont un portable et 95 % de ceux-ci râlent en recevant leur facture. Comment expliquer dans ces conditions que l’apparition d’un forfait très innovant n’ait pas pu se frayer sa place dans le Sahara informatif de l’été quelque part entre les dangers de l’insolation et la renaissance des cahiers de vacances ?
La première explication est cruelle : les trois opérateurs historiques figurent tous dans la short-list des plus gros annonceurs publicitaires. Ce qui pourrait peut-être expliquer un certain manque de curiosité des médias sur leurs pratiques commerciales. Un exemple me vient en tête : en voyage à New York l’an dernier, j’ai remarqué qu’en achetant pour 20 $ chez Radio Shack un téléphone basique avec une carte SIM d’ATT (le plus gros opérateur local), j’avais droit non seulement à un numéro valable 6 mois, mais en plus d’appeler gratuitement tous les numéros ATT, fixes et mobiles, durant la même période. J’imagine donc que je dois être le seul journaliste français à m’être rendu aux USA ces dernières années. Sinon, il se serait sûrement trouvé quelqu’un pour se demander pourquoi en France une telle offre est inconcevable. Même pas en rêve.
Mais après tout, la presse écrite va mal : déjà qu’elle n’a plus des masses de lecteurs, si en plus, elle n’a plus d’annonceurs, il va y avoir du Molex en vue dans les rédactions. On pardonnera donc ce pêché véniel …
Hélas, ma deuxième explication (qui n’invalide pas la première, moi aussi je fais des offres all inclusive) est encore plus cruelle : notre presse en est encore à l’époque de la machine à vapeur, ou presque. Pas dans ces éditos, où l’on a que le mot internet au bout du bic, mais plus banalement dans les faits, dans ses centres d’intérêt.
La baguette de pain qui augmente de cinq centimes, et vous êtes sûr que tous les JT en feront leur ouverture. Orange qui profite du mois d’août pour faire passer des centaines de milliers de forfaits ADSL 512k ancienne génération de 20 à 25 euros (NB : dans ce papier tous les prix se terminant par 99 cts ont été arrondis, non mais !), voire dans certains cas de 10 à 25 euros, et là, tout le monde s’en fout. Un micro-défaut sur n’importe quelle bagnole qui vient de sortir, et la presse en fait des tonnes sur le rappel des modèles pour cause de troisième vitesse d’essuie-glaces qui déconne. En revanche, aucune de nos gazettes ne se passionne pour ces des dizaines de milliers de clients qui ont acheté au prix du caviar des abonnements pour clé 3G pour pouvoir surfer en paix depuis leur location à Trouville ou à Palavas, et qui passent leurs vacances à tenter de joindre la hotline saturée du fournisseur ou à faire le pied de grue dans l’agence Orange du coin (quand elle a le bon goût d’exister), parce que dans la vraie vie, suffit pas de la brancher et hop, comme dans la pub.
En vérité, la presse – la remarque vaut aussi pour les politiques – en est restée aux fondamentaux des Trente glorieuses: le prix de la baguette, du petit noir, de l’essence, du gaz ou de l’électricité. Quand elle parle de téléphonie mobile ou d’internet, c’est le plus souvent pour évoquer les sujets de société à la con : « Les antennes relais menacent-elles notre santé ? », « Facebook viole-t-il la vie privée ? » On pourrait d’ailleurs étendre cette réflexion aux jeux vidéos, dont le chiffre d’affaires mondial a dépassé celui du cinéma, mais qu’on n’évoque le plus souvent à chaque fois qu’un ado dézingue le reste de sa famille.
Pour que notre presse s’intéresse à ces choses-là, peut-être faudrait-il que les attachés de presse de Virgin Mobile suggèrent aux journalistes aoûtiens, qu’avec un forfait illimité, on peut surveiller ses marmots H 24, et ainsi empêcher bien des noyades et insolations, voire quelques incendies de forêts…
Communisme, pour mémoire…
Je me suis délecté, au mois d’août, à écouter, sur France Culture, la série d’émissions « Vents d’Est », réalisée par Jean-Pierre Thibaudat et Laetitia Cordonnier. Anticipant de quelques mois la déferlante des célébrations médiatiques du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette série revisitait le « socialisme réellement existant », grâce à des documents d’archives et des entretiens avec des témoins, célèbres ou non, de la période 1945-1989 en Pologne, Hongrie, République Tchèque et ex RDA.
La vie quotidienne des « vraies gens » au temps du communisme – on devrait dire, d’ailleurs, des communismes, tant les régimes qui s’en réclamaient furent divers, dans l’espace et dans le temps, fut un continuel aller-retour entre le tragique et le cocasse, l’espoir et la déprime, le repli sur soi et la quête de l’autre.
Il ne manquait à cette évocation sonore que l’âcre odeur du chou bouilli des cantines se mêlant, dans l’hiver embrumé, à la puanteur soufrée des fumées du lignite enfourné dans les chaudières par des alcooliques affectés à cette tâche pour l’éternité.
Cette mémoire du communisme réel appartient, certes, au premier chef à ceux qui ont vécu tout ou partie de leur vie dans les pays qui y furent soumis, mais pas uniquement.
Il existe, aussi, une mémoire occidentale de cette période pour ceux que les circonstances amenèrent à partager, pendant un temps significatif, le quotidien des citoyens des pays situés de « l’autre côté du rideau de fer », comme on disait à l’époque.
Il ne s’agit pas, bien sûr, des touristes ordinaires ou de luxe, ni des invités de marque choyés par les gouvernements à des fins propagandistes, ni même des diplomates contraints, par leur fonctions, d’évoluer dans des ghettos dorés étroitement surveillés. Tous ceux-là n’ont pu avoir qu’une vision furtive, ou déformée d’une réalité sociale dont ni les statistiques, ni la presse, ni la littérature officielle ne rendaient compte.
Une exception notable, cependant, à cette impossibilité consentie d’aller regarder derrière le décor planté par le pouvoir à l’intention de ses « amis » occidentaux nous été offerte par l’émouvant petit livre de Paul Thorez, le fils de Maurice, Les Enfants modèles qui raconte l’enfance et l’adolescence des rejetons du secrétaire général du PCF lors de l’exil familial à Moscou. C’est la Russie stalinienne vu du côté des enfants de la nomenklatura avec ses écoles réservées, ses camps de pionniers au bord de la Mer noire, qui conduira peu à peu, dans une démarche empreinte de culpabilité, le jeune Thorez à s’éloigner sans bruit mais dans la douleur, de l’idéal communiste incarné par ses parents.
Le « petit peuple » des Occidentaux passés à l’Est pour une période relativement longue, plusieurs mois ou plusieurs années, est composé de personnes très diverses : étudiants venus compléter leur formation linguistique, universitaires et chercheurs, techniciens et ingénieurs expatriés dans le cadre des échanges économiques et quelques exilé(e)s par amour ayant choisi de vivre leur idylle à la mode socialiste. Ceux-là, dont je fis partie comme étudiant germaniste dans un temps que les moins de quarante-cinq ans ne peuvent pas connaître, étaient lâchés, sous surveillance discrète bien sûr, dans le pays réel, partageant le sort commun de leurs homologues du cru, avec cependant, la liberté de mouvement illimitée conférée par la possession d’un passeport émis dans un pays capitaliste.
Je me dois d’avouer aujourd’hui que cette situation était plutôt confortable. Nous subissions le rationnement des denrées de base, comme le beurre ou la viande, qui était encore la règle dans la RDA des années soixante, mais en quelques heures de train (trois pour parcourir 150 km !) on se retrouvait au KDW, le grand magasin de Berlin-Ouest, au rayon gastronomie qui n’a rien à envier à celui du Bon Marché de Paris, pour dépenser le mandat en devises convertibles adressé par des parents inquiets pour la bonne santé de leur descendance dans ces pays de pénuries…
Oserais-je dire que certains de ces « sauteurs de mur » profitaient de cette absence de bonnes choses, ou même de produits banalement courants, comme le café soluble, dans les tristes supermarchés orientaux pour ramener le « petit plus » susceptible de vaincre les dernières résistances de la blonde convoitée…
Les Français bénéficiaient d’un avantage non négligeable pour leur adaptation dans une société où les codes n’étaient pas aussi simples que la propagande officielle le proclamait. Ils profitaient de la présence importante d’étudiants africains ou maghrébins francophones qui recevaient des bourses pour qu’ils deviennent les propagateurs du communisme dans leur pays d’origine. Il va sans dire que la plupart d’entre eux ont empoché leur diplôme et sont allés le monnayer dans des contrées où le communisme est un gros mot, comme les Etats-Unis, le Canada ou les pays du Golfe… Ceux-là vous mettaient bien vite au parfum des petites combines permettant de contourner la bêtise bureaucratique à front de taureau. Bientôt, comme partout dans le monde où ils sont plongés dans une culture étrangère, ex-colonisateurs et ex-colonisés se retrouvent dans une commune aversion mêlée de cynisme vis-à-vis des mœurs et comportement des gens du pays qui les a accueillis. Un communiste allemand est d’abord un Allemand, sinon que le communisme accentue quelques uns des traits les plus caricaturaux de la germanité : dogmatisme, absence d’humour, propension à pontifier sur tous les sujets, même les plus triviaux. Quant aux anticommunistes allemands restés coincés par la construction du Mur, mieux valait s’en méfier ! Leur sollicitude à votre égard ne pouvait que les conduire tôt ou tard à solliciter votre aide pour un plan foireux visant à les faire passer à l’Ouest…
Vivre à l’Est vous permettait également d’éprouver quelques émotions esthétiques à prix cassés : une mise en scène de Brecht par Benno Besson au Berliner Ensemble ou La Dame de pique de Tchaïkovski à l’opéra comique de Berlin-Est au temps où Walter Felsenstein en était le directeur…
Il fut un temps ou, pour quelques expatriés privilégiés ou peu scrupuleux, un passage par Moscou ou Varsovie vous permettait d’accumuler un petit pécule de nature à vous faciliter la vie au retour en France. Trois ans au siège de l’AFP à Moscou suffisaient pour s’acheter un appartement à Paris au temps de Brejnev et des notes de frais dépensées au cours du rouble « au noir » mais remboursées au cours officiel dix fois supérieur. Un petit tour au marché de la rue Polna, à Varsovie, avant de revenir pour les vacances payait une bonne partie du crédit, grâce au bénéfice effectué sur quelques boites de caviar revendues à ceux que l’on n’appelait pas encore les bobos.
C’était le bon temps du communisme dont profitèrent ceux qui étaient nés trop tard pour avoir pu connaître le bon temps des colonies.
Je t’Omsk, je te tue
Les relations entre la Russie et Israël n’ont jamais été un modèle de tendresse diplomatique. Est-ce pour cela qu’un jeune Israélien s’enticha d’une jeune Russe, espérant sans doute prouver que les méfiances géostratégiques pourraient s’effacer dans la sagesse des corps amoureux. Las, la Russe tiqua et quitta le tendre fils de Sion. Egaré, tout entier à sa proie attaché, il décida de se venger et, les 6 et 7 août, lança deux alertes à la bombe à l’aéroport d’Omsk (Sibérie). Il les revendiqua par des mèles qu’il signa du nom de la cruelle indifférente. La police russe ayant mis hors de cause la jeune fille, l’enquête fut confiée par Interpol aux unités israéliennes spécialisées dans la traque aux cybercriminels. Elles retrouvèrent promptement le hacoeur brisé.
Billet vert, poudre blanche
On ne remerciera jamais assez l’association des chimistes américains. Grâce à eux, la forte addiction à l’argent qui semble être l’une des caractéristiques les plus étonnamment mortifères du néo-capitalisme en phase terminale vient d’être enfin élucidée.
Pourquoi Madoff ? Pourquoi Kerviel ? Pourquoi les parachutes dorés ? Pourquoi les staukopcheunes ? Pourquoi les annonces simultanées de plans sociaux et de profits record ? Tout cela finalement était aussi mystérieux que l’Atlantide, la part des anges dans les caves de Cognac, le charme d’une contre-rime de Toulet.
Des hommes apparemment normaux ont en effet précipité le monde dans une crise sans précédent en adoptant le cri de ralliement des ouvriers autonomes des usines Fiat pendant les grandes grèves insurrectionnelles de 69 à Turin : « Nous voulons tout ! »
Au début, on croyait que c’était de l’indécence, de la provocation, l’idée d’une lutte des classes poussée à son point d’incandescence orgasmique par une clique de financiers autistes certains de leur impunité, jouissant de leur toute-puissance tels des enchanteurs qui varient les métamorphoses.
On se disait qu’il y avait quelque chose de complètement irrationnel, tellement loin des calculs raisonnables d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat.
On se trompait.
Inutile de lire, désormais, L’Avare de Molière, La maison Nucingen de Balzac, La Curée de Zola, La grosse galette de Dos Passos ou même L’argent de Péguy dont nous avions naguère parlé ici. Les clés ne sont pas dans la littérature.
Ni chez Freud, ni chez Marx d’ailleurs. Vous n’allez tout de même pas croire ces absurdités sur l’équivalence entre fric et pulsion de mort, entre thésaurisation et rétention des excréments ou sur on ne sait quelle accumulation primitive du capital, plus-value, valeur d’échange, caractère fétiche la marchandise et autres billevesées communisantes ou rouges coquecigrues.
Non, l’amour de l’artiche, du flouze, des picaillons, du blé, du pognon, de la thune a une cause bien plus prosaïque comme nous l’expliquent les chimistes américains et leur association qui ne sont pas des têtes folles mais des scientifiques sérieux, des gars qui préféraient potasser la table des éléments de Mendeleïev plutôt que de perdre hâtivement leur pucelage sur la banquette arrière d’une Studebaker Hawk Gran Turismo au bal de fin d’année de leur aillescoule de Boulder (Colorado).
Pendant que leurs copains de promo devenaient tueurs en série ou intellectuels néocons, les chimistes américains, eux, palliaient leur manque de fantaisie par une certaine rigueur et remplaçaient les délires idéologiques par des expériences en laboratoire. Des types rassurants, on vous dit, les chimistes américains.
Imaginons-les, un dimanche matin, quelque part dans la chaleur de l’été louisianais où ne chantera plus le regretté et irremplaçable Mink Deville mort dans l’indifférence médiatique d’un mois d’août 2009, mais c’est une autre histoire. Nos chimistes s’accordent un mint julep, feuillettent les deux kilos de leur journal du dimanche et l’un dit soudain à l’autre :
– Sam, c’est quand même délirant, non, cette frénésie pour les dollars. Les gens sont devenus fous ou quoi ?
– Sincèrement, je ne sais pas, Jack, à croire qu’il y a quelque chose sur les biftons, du beurre de cacahuète ou du sirop d’érable.
Et là, pour rigoler, Sam et Jack passent dans leur labo et commencent à tester des réactifs sur une coupure de cinq.
C’est comme cela, pas autrement, que la vérité apparaît, nue et simple, sortant du puits des interprétations fumeuses pour se révéler dans son évidence scientifique : si les dirigeants de BNP Paribas, pour prendre un exemple parmi d’autres, ont provisionné un milliard d’euros pour verser des bonis à leurs traders, ce n’est pas parce qu’ils sont d’un égoïsme monstrueux, d’une inconséquence blessante ou d’une arrogance stupide, non, c’est tout simplement parce qu’ils sont accros, défoncés, déchirés, explosés par une substance illicite.
On dit que l’argent n’a pas d’odeur. On a bien tort. Sam et Jack, et tous leurs copains de l’association des chimistes américains viennent de publier les résultats d’une enquête très sérieuse. Cela tient en quelques chiffres : 90% des billets américains contiennent des traces de cocaïne allant de 0,006 microgrammes à 1,24 microgrammes soit l’équivalent, comme nous le signalent obligeamment les gazettes, de plus de cinquante grains de sable. Vous croyez être un banquier honnête, qui compte son argent et vous voilà, sans le savoir, à sniffer ligne sur ligne comme un romancier français jet-setter à la mode.
Il faudra s’en souvenir quand le temps de rendre des comptes sera venu. Et penser pour tous ces gens-là qui sont devenus spéculateurs malgré eux à des produits de substitution, un peu comme la méthadone pour l’héroïne.
La nationalisation, par exemple. Avec obligation de soins. Sinon, évidemment, ce sera la taule.
On veut bien être gentil, mais la culture de l’excuse, avec les drogués, c’est un peu facile.
Flic et voyou
C’est encore et toujours de la France qu’il sera question ici, de son peuple imprévisible, d’où sortirent le meilleur et le pire : les héros amusés qui sourient quand on les fusille, les délateurs tranquilles, les épiciers du raisonnement et leurs grossistes, les enfants perdus, les intellectuels engagés, les mondains contristés, les flics à pèlerine, les commissaires de police obstinés. Longtemps, notre nation aima se représenter en mauvais garçon, en fille aimable et en milord mélancolique. Elle appréciait que Jean Gabin posât une main vigoureuse sur sa chute de reins et l’entraînât au milieu de la piste de danse. Elle se lassa, se trouva même odieuse, et ne s’installa devant sa psyché que pour tourner en grimaces ses postures coquines d’autrefois.
Examinons d’abord le CV de l’auteur. Il sent le soufre ; l’Algérie française, l’extrême droite, les réprouvés, les insoumis. Lorsque j’étais étudiant, il figurait parmi nos détestations. Il se disait chanteur de l’Occident. Il n’était ni vieux ni de notre génération. Il était résolu, grave, il avait l’air impitoyable, alors que nous nous posions une seule question : « Y-a-t-il une vie après le rock’n’roll ? ». Si je n’ai pas oublié son nom, ce fut grâce à son… prénom. Jean-Pax, cela me plaisait. Or, cet homme de fidélité, journaliste compétent, enquêteur honnête, est un excellent écrivain. Il est d’Afrique par ses racines et ses rêves, il est de France par sa langue. Son dernier livre, dédié à son père, Noël-Ange, né et mort à Marseille, agent secret de l’OSS, X2 branch sous l’Occupation, manifeste une très grande maîtrise : il tient de la biographie, du polar, du récit de guerre et d’Histoire.
Un flic chez les voyous nous accompagne dans la longue dérive d’une personne de tempérament, Robert Blémant. Elle commence à son entrée dans la police nationale, en 1931, comme «inspecteur provisoire» à Reims, elle se poursuit avec ses actions d’éclat dans le service du contre-espionnage, à Paris, avant puis pendant la guerre, et s’achève dans le banditisme, en 1965, à Marseille. Sur une photographie, il a de beaux yeux ombrés, qui lui font un regard levantin (il est né à Lille, mais il a séjourné six mois en Syrie, avec son régiment de Spahi), une physionomie ardente, dénuée de toute bonhomie malgré des joues pleines, des épaules puissantes, un je-ne-sais-quoi de pressé, de brutal. C’est une «présence», avec une aura saturée d’hormones mâles : un mec à l’ancienne. On le sent gouverné par un principe impérieux : il doit combattre, maîtriser, dominer. Robert l’élégant voulait être affranchi ou n’être pas. De policier d’élite, il devint voyou supérieur – rien de commun avec la racaille, les psychopathes et les analphabètes à front de bœuf qui peuplent la pègre. Le musculeux Blémant, jeune policier « pratiquant la boxe et l’équitation, gradué en Droit de la faculté de Lille, [parlant] l’idiome nord-africain », incarne la séduction qu’exerce le monde interdit sur certains représentants de l’ordre républicain. Il prend, à la fréquentation des pégriots et autres rusés du Milieu, un vrai plaisir et des manières : la mise impeccable, le chapeau sur l’œil, les amitiés viriles.
Patriote sincère sous l’Occupation, à la DST, il débusque les agents double, et court tous les risques. Résistant de l’intérieur, condamné à mort par la Gestapo, il doit fuir.
L’auteur suit toutes les traces laissées par son « héros » fascinant à Lille, Paris, Marseille, en Afrique du nord. Il est à ses côtés dans ses traques et dans ses planques, il est avec lui lorsqu’il interroge sans ménagement les ennemis de la France. Il le voit glisser imperceptiblement vers la zone du risque, y pénétrer, revenir de ses premiers périples chez les «durs», s’imprégner des mœurs et des codes de ses futurs alliés. Il le sent prêt à basculer de l’autre côté du mur, où l’attend un second destin, celui-ci fondé sur ses contradictions, ses espoirs déçus et ses tentations. Blémant a fait depuis toujours le choix de la vie dangereuse, il goûte la rivalité, le péril. Il a vaincu les Allemands, il veut encore survivre aux truands, les humilier sur leur propre terrain. Il les défie, il continue à les combattre. Mais il est devenu l’un d’entre eux, le meilleur de tous.
Quel défilé d’employés du crépuscule que ce livre ! Stipendiés de l’Abwehr, faufilés des barrières, marlous, maquereaux en costume rayé et chaussures bicolores, blafards des ruelles sombres, silhouettes imprécises au service des uns et des autres, dans la grande confusion des genres et des personnels. Voici Henri Lafont, qui « roule dans Paris en Bentley blanche ». Il loge, avec sa bande, au 93, rue Lauriston : tous parfumés de crapulerie ! Et voici les séides de Robert Blémant, grâce auxquels le jeune commissaire espère infiltrer les « lauristoniens » : Alsfasser, par exemple, a cambriolé en compagnie de Charles Cazauba, dit Charlot le Fébrile ou le Manchot, recrutés par M. Henri. Ou encore Albert Pin « en relation d’affaires avec Robert Gourari et le recycleur de cadavres Jean Bartel, alias Jean le Chauve, premiers couteaux » de Lafont. Ou ce Raggio, qui fut si proche de Carbone, lié à Émile Buisson et à Albert Danos « flingueurs patentés, qui hésitent encore entre la Résistance et la collaboration ».
Blémant assume tout : les recrues douteuses, les bavures, les éliminations : on ne lutte pas contre les espions nazis avec des enfants de chœur !
On croise également des hommes honorables, tel Roger Wibot, patron de la DST très active dans les premiers moments de la Libération ; des politiciens ambitieux, comme Gaston Deferre, vigoureux conquérant de la mairie de Marseille, la ville où Robert Blémant, « commissaire de police de 1re classe, 1er échelon, est nommé chef de la Brigade de surveillance du territoire », le 13 décembre 1944. Gaston devient maire en 1953.
Marseille ! La ville, aux mains de la pègre, règle les comptes des années terribles. Au-dessus du lot de l’ordinaire voyoucratie, deux frêres : Antoine et Barhélémy, dit Mémé, Guérini. Ils ont toujours été proches du Parti socialiste. Pendant la guerre, Mémé s’est engagé auprès des résistants, alors qu’Antoine semblait plus effacé. Mais enfin, sur le Vieux Port, leur réputation n’a rien à craindre de l’épuration. Les Guérini sont d’habiles hommes d’affaires. Ils achètent des bars, des clubs, les rénovent, en font des lieux chics peuplés de jolies filles peu farouches.
Pour le commissaire Blémant, c’est le début du grand virage. Le 5 avril 1949, il remet sa démission des cadres de la Sûreté nationale. Patron du cabaret « Le drap d’or », à Paris, il y accueille des membres éminents de la grande truanderie à qui il fournit éventuellement des alibis. Il lui arrive aussi d’effectuer des missions pour le SDECE et la Sécurité militaire, comme à Tanger où l’appellent ses propres affaires. En 1956, il est enfin décoré de la Légion d’honneur au titre de la Résistance, à laquelle s’ajoutent trois croix de guerre. Roger Wibot, qui le retrouve après douze années, lui ouvre les bras : « J’aime, je l’avoue, ces montreurs d’ombre, ces âmes de clair-obscur. »
Mais Antoine Guérini veut éliminer ce rival insolent. Un contrat est lancé sur sa tête. Il n’en a cure : « Il sait […] que la mort d’un homme est inéluctable lorsqu’elle a été décidée par des gens sérieux. » En effet : deux rafales de pistolet-mitrailleur Mat 49 l’expédient ad patres le 5 mais 1965, alors qu’il conduit sa Mercedes toute neuve, près de Marseille. Mémé Guérini avait prédit une « catastrophe » à ceux qui tueraient « le commissaire ». Elle vint rapidement. Les tueurs de Blémant furent systématiquement éliminés, Antoine périt assassiné dans son automobile « bleu-nuit, ornée à ses initiale ». Peu après, Mémé était arrêté, condamné à vingt ans de prison pour la mort du petit malfrat qui avait eu l’impudence de cambrioler la maison de son frère le jour de ses obsèques…
Ainsi s’achève l’itinéraire d’un enfant de France, flic et voyou, un homme parmi les autres, qui exigea de la vie plus que sa part d’apparences, et finit par traverser le miroir où se reflétait un petit César républicain.
Little Caesar (1930), film de Mervyn LeRoy, avec Edward G. Robinson, Douglas Fairbanks, Glenda Farrell. L’ascension et la chute d’un homme qui veut régner sur les gangsters de Chicago.
Mieux que Ségolène !
Pour Hans–Rudolf Merz, président de la Confédération helvétique, autrement dit le plus ancien dans le grade le plus élevé de la suisserie, Canossa s’appelle Tripoli. Il vient d’aller baiser la babouche de Mouammar Kadhafi en battant sa coulpe comme un malade à propos des désagréments subis il y quelque mois à Genève par Hannibal, un des fils du raïs libyen. Ce dernier fut mené au poste menotté par les pandores de la cité de Calvin, après une plainte d’un couple de domestiques pour mauvais traitements. Furieux, Kadhafi retire alors cinq milliards de dollars planqués dans les coffres helvétiques, et embastille deux ressortissants suisses par mesure de rétorsion. Sont pas fiers, les Suisses, et surtout définitivement radins : il préfèrent payer une « rançon morale » que de perdre un bon client de leurs banques.
Burqa : j’ai changé d’avis !
Me serais-je emballé trop vite en proposant ici même qu’on légifère fissa contre la burqa ? Je m’interroge.
On me l’a répété tout l’été : pourquoi stigmatiser ces femmes qui, si on ne les montrait pas du doigt, passeraient totalement inaperçues? Cet argument, qu’il soit rabâché par Eric Besson ou par Marie-George Buffet, n’est pas dénué de logique formelle : après tout, rendre les femmes invisibles est bel et bien l’objet social de ladite burqa. Mais d’autres événements estivaux sont venus étayer mes velléités de virage de cuti sur la question.
Tout d’abord, alors que le pays redécouvre les dangers de la canicule, force est de constater que les porteuses de voile intégral sont moins exposées que leurs sœurs impies aux misères de l’insolation et donc des cancers cutanés afférents. Depuis des décennies, les multinationales cosmétiques s’escrimaient à inventer le véritable écran total : vous bilez plus, les mecs, on l’a trouvé ! Désormais, il ne restera plus qu’à régler quelques petits problèmes liés à l’hypersudation…
Toujours dans l’optique du principe de précaution, un autre argument plaide en faveur de l’autorisation du port de la burqa, voire de son caractère obligatoire : l’épidémie de grippe A. Non seulement la burqa fait office de masque antiviral, mais en outre, le code moral qui va avec, guère propice au frotti-frotta – même le plus prétendument innocent – est un rempart phénoménal contre la contamination par contact direct. Laver ses mains cinq fois par jour, c’est bien, ne jamais s’en servir, c’est mieux !
Enfin l’actualité nous sert un dernier argument en faveur d’une tolérance bien pensée. Car ce vêtement que j’ai moi-même fautivement qualifié d’archaïsme peut se révéler d’une totale modernité. Comme vous, j’ai été ému par ses images télévisées de femmes afghanes votant pour la première fois de leur vie, malgré les menaces des talibans. Mais auraient-elles pu le faire si on n’avait pas mis à leur disposition ces magnifiques isoloirs individuels et portatifs ?
Zemmour 2012
Ce matin, j’ai eu le plaisir d’écouter Eric Zemmour dans mon poste. Il était l’invité d’Alexandre Ruiz dans une émission estivale sur l’humour. Et, au détour d’une phrase, Eric nous la joue « Caliméro » en témoignant de son découragement[1. Il a failli quitter « On n’est pas couché » et on doit à Eric Naulleau d’avoir échappé à cette catastrophe. Que ce dernier en soit remercié chaleureusement. Mon salut est sur lui, comme il aime l’écrire lui-même.]. Il a passé une année difficile et Internet, où il est insulté constamment, n’est pas pour rien dans son état d’esprit.
Et c’est là que je me suis décidé à prendre mon clavier. Pour le rassurer. Non, il n’y a pas que des gens qui le détestent sur le ouaibe ! Un blog, dont l’objet semble de lui vouer un culte, reprend toutes ses interventions télévisées et radiophoniques. Moi-même, je l’ai nommé à mes Antidotes d’Or (plus précisément, il s’agit de l’Antidote du courage politique) de décembre dernier et ai intitulé un autre trophée « Antidote zemmourien ». Je vais donc faire mieux que tout cela et appeler officiellement aujourd’hui à une candidature Zemmour aux prochaines élections présidentielles[2. D’ailleurs depuis quelque temps un groupe s’est constitué, pas à mon initiative, précisé-je, sur Faissebouque.].
On peut s’étonner d’un tel appel pour une personnalité de la presse et de la télé, lesquelles ne sont pas ménagées ici, mais il faut bien voir les choses en face. Zemmour, comme le disait un jour Paul-Marie Couteaux, nous amène à l’humilité, nous qui défendons un certain nombre de valeurs, et qui furent affublés par un célèbre quotidien véspéral du nom, qui se voulait peu aimable, de nationaux-républicains. Humilité, parce qu’en une émission du samedi soir, il est beaucoup plus efficace que nous autres avec nos tracts pendant une année pour faire passer certains messages. C’est pourquoi aujourd’hui, il se pourrait bien qu’il soit ce dénominateur commun qu’attendent souverainistes perdus et mendiant Xavier Bertrand, gaullistes authentiques dans un parti sans moyen, républicains che-vainement-tristes, et communistes auldescoules[3. Comme dirait Jérôme Leroy qui en est, justement.]. Ceux qui regrettent un temps où le Politique avait vraiment la volonté de décider, qu’il n’abandonnait pas ses responsabilités à des instances irresponsables et extra-nationales.
Eric Zemmour serait victime d’un tropisme trop droitier ? Rien n’est plus faux, même s’il cède lui-même parfois à la caricature sans doute dans un but louable de simplifier le message. Pourtant, je n’entends pas si souvent des journalistes reprendre à leur compte des analystes marxistes de l’économie comme il le fait fréquemment. Et si on l’écoute bien, on s’aperçoit qu’il pioche davantage chez Chevènement que chez Villiers. Sans doute, d’ailleurs, son admiration pour celui que certains villiéristes doivent encore surnommer l’Usurpateur, doit y être pour quelque chose.
Alors, faisons un peu – beaucoup ? – de politique-fiction. Imaginons qu’Eric Zemmour m’écoute et se porte candidat. Les parrainages ? Une formalité pour quelqu’un de cette notoriété. Les maires regardent la télé. Pas besoin de piquer Guaino à Sarko. Là, le candidat saurait écrire. Ecrire des discours républicains, bien sûr. Et écrire dans un bon français.
Allons plus loin dans la fiction. Il est élu. Chevènement, un vieux sage connaissant bien l’Etat, est appelé à Matignon par le nouveau président. Séguin est au Quai d’Orsay, André Gérin à l’Intérieur, Dupont-Aignan à Bercy. Mais on trouve aussi dans le gouvernement Maxime Gremetz et Philippe de Villiers, qui a fini par claquer la porte du comité Théodule Sarko au bout de trois réunions[4. Je vous ai dit que c’était de la fiction.]. Cela n’aurait pas de la gueule ? Allez, Zemmour ! Débarrassez-nous de Sarkozy ! Vos détracteurs n’ont pas compris que vous étiez l’anti-Sarko le plus intelligent de France. Il n’y a qu’ainsi que vous pouvez vraiment leur démontrer.
A La Mecque, y a pas un pèlerin !
Ainsi les autorités sanitaires viennent-elles de déconseiller formellement aux aspirants hadjs le pèlerinage à La Mecque, pour cause de pandémie mondiale de grippe A (qu’on appellera surtout pas porcine en la circonstance). Choper la grippe dans le désert arabique en plein mois d’août, faut quand même le faire, mais le lieu est, paraît-il, propice aux miracles. Et puis, après tout, ce ne serait pas plus bizarroïde que les nombreux cas déjà avérés ces jours-ci d’insolation du côté du Tréport ou de Gérardmer.
Algues attaquent !
Vous aimez les films de John Carpenter, George Romero ou Dario Argento ? Voire, pour les plus pervers d’entre vous ceux de Mario Bava, Lucio Fulci, Wes Craven ou Tobe Hooper ? Vous tenez La colline a des yeux et La nuit des morts vivants pour de grands films ? Vous achetez Mad movies en cachette tous les mois ? Rassurez-vous, nous aussi. Et pourtant l’information donnée sur le blog de l’écrivain et amateur de chevaux Christophe Donner a été la plus terrifiante de l’été dans son genre et a donné le « la » d’une mobilisation écologico-politico-médiatique sans précédent au point que le premier ministre (veuillez nous excuser, on oublie toujours son nom et personne ne peut jamais nous renseigner) s’est senti obligé après plusieurs semaines de polémiques sur la dangerosité du phénomène aux allures extra terrestres, d’y aller d’une mâle déclaration, très Robert Duvall dans Apocalyse Now : « On va nettoyer les plages. »
A l’origine de tout cela, donc, l’histoire suivante : un vétérinaire qui chevauchait tranquillement sur une plage des Côtes d’Armor s’est enlisé avec sa monture dans une mare d’algues vertes parasitaires qui envahissent les côtes bretonnes depuis plusieurs années. Celles-ci, mouvantes et en décomposition, ont tué l’animal en quelques secondes alors que le cavalier s’évanouissait sous l’effet des vapeurs délétères. Il ne dut son salut qu’à la présence miraculeuse d’un tractopelle secourable. Comme le chantait un célèbre poète, véritable Rimbaud de l’évasion fiscale : « Quand mon corps sur ton corps, lourd comme un cheval mort… »
Forfaiture !
Soucieux de réduire mon budget téléphone portable et de relancer l’économie française avec les fonds ainsi dégagés, je me suis intéressé au contenu de la noria de mails promotionnels que je poubellise recta d’ordinaire.
Comme il y a un bon dieu pour les apprentis radins, j’ai fini par dénicher une offre réellement valable, au moins sur le papier, ce qui est une façon de parler s’agissant d’un courrier dématérialisé. Il s’agit du forfait Paradyse de Virgin Mobile, qui propose les appels illimités vers tous les opérateurs et le surf idoine, pour seulement 90 euros par mois, sans restriction de tranche horaire ou autre, genre obligation d’appeler à moins de 20 centimètres de sa box internet. Ce qui dans le paysage français n’est pas une simple nouveauté, mais une véritable bombe : jamais aucun des trois opérateurs historiques n’a osé s’aventurer – sauf par erreur vite corrigée – sur le terrain du véritable forfait illimité, exception faite des forfaits groupés d’entreprises.
Quand chez Orange, Bouygues ou SFR on parle d’ »illimité », c’est en général les restrictions qui sont illimitées. Selon les cas, vous pourrez envoyer une infinité de SMS entre minuit et huit heures du mat’, ce qui est préjudiciable au travail du lendemain au lycée. Ou bien téléphoner autant que vous voudrez à trois correspondants choisis, ce qui finira à terme par vexer tous vos autres amis. Rien de tout cela chez Virgin, si ce n’est qu’on n’a le droit d’appeler que 99 numéros différents et de surfer à hauteur de 500 Mo maximum par mois, ce qui à première vue ne relève pas du vice caché, mais du garde-fou visant à garantir une utilisation dudit forfait en bon père de famille.
Néanmoins, comme je ne suis pas expert en clauses restrictives dissimulées, tout juste un amateur éclairé par les déconvenues, j’ai pensé à aller voir ce que la presse m’en disait : compte tenu de l’ampleur de cette révolution marketing, je m’attendais à voir une flopée d’articles en googlisant « Paradyse » à la rubrique Actualités.
Résultat ? Néant. Pas de flopée mais un flop intégral ! En tout cas, rien de rien du côté de la grande presse : le Paradyse n’est pas de ce monde. Les quelques liens qui apparaissent renvoient sur des sites spécialisés en téléphonie mobile, lesquels, en général s’y contentent de signaler l’apparition du nouveau forfait, point barre.
Ce qui me plonge dans une certaine perplexité. Moi j’avais comme l’impression qu’au mois d’août, les médias étaient en manque d’infos. 95 % des Français ont un portable et 95 % de ceux-ci râlent en recevant leur facture. Comment expliquer dans ces conditions que l’apparition d’un forfait très innovant n’ait pas pu se frayer sa place dans le Sahara informatif de l’été quelque part entre les dangers de l’insolation et la renaissance des cahiers de vacances ?
La première explication est cruelle : les trois opérateurs historiques figurent tous dans la short-list des plus gros annonceurs publicitaires. Ce qui pourrait peut-être expliquer un certain manque de curiosité des médias sur leurs pratiques commerciales. Un exemple me vient en tête : en voyage à New York l’an dernier, j’ai remarqué qu’en achetant pour 20 $ chez Radio Shack un téléphone basique avec une carte SIM d’ATT (le plus gros opérateur local), j’avais droit non seulement à un numéro valable 6 mois, mais en plus d’appeler gratuitement tous les numéros ATT, fixes et mobiles, durant la même période. J’imagine donc que je dois être le seul journaliste français à m’être rendu aux USA ces dernières années. Sinon, il se serait sûrement trouvé quelqu’un pour se demander pourquoi en France une telle offre est inconcevable. Même pas en rêve.
Mais après tout, la presse écrite va mal : déjà qu’elle n’a plus des masses de lecteurs, si en plus, elle n’a plus d’annonceurs, il va y avoir du Molex en vue dans les rédactions. On pardonnera donc ce pêché véniel …
Hélas, ma deuxième explication (qui n’invalide pas la première, moi aussi je fais des offres all inclusive) est encore plus cruelle : notre presse en est encore à l’époque de la machine à vapeur, ou presque. Pas dans ces éditos, où l’on a que le mot internet au bout du bic, mais plus banalement dans les faits, dans ses centres d’intérêt.
La baguette de pain qui augmente de cinq centimes, et vous êtes sûr que tous les JT en feront leur ouverture. Orange qui profite du mois d’août pour faire passer des centaines de milliers de forfaits ADSL 512k ancienne génération de 20 à 25 euros (NB : dans ce papier tous les prix se terminant par 99 cts ont été arrondis, non mais !), voire dans certains cas de 10 à 25 euros, et là, tout le monde s’en fout. Un micro-défaut sur n’importe quelle bagnole qui vient de sortir, et la presse en fait des tonnes sur le rappel des modèles pour cause de troisième vitesse d’essuie-glaces qui déconne. En revanche, aucune de nos gazettes ne se passionne pour ces des dizaines de milliers de clients qui ont acheté au prix du caviar des abonnements pour clé 3G pour pouvoir surfer en paix depuis leur location à Trouville ou à Palavas, et qui passent leurs vacances à tenter de joindre la hotline saturée du fournisseur ou à faire le pied de grue dans l’agence Orange du coin (quand elle a le bon goût d’exister), parce que dans la vraie vie, suffit pas de la brancher et hop, comme dans la pub.
En vérité, la presse – la remarque vaut aussi pour les politiques – en est restée aux fondamentaux des Trente glorieuses: le prix de la baguette, du petit noir, de l’essence, du gaz ou de l’électricité. Quand elle parle de téléphonie mobile ou d’internet, c’est le plus souvent pour évoquer les sujets de société à la con : « Les antennes relais menacent-elles notre santé ? », « Facebook viole-t-il la vie privée ? » On pourrait d’ailleurs étendre cette réflexion aux jeux vidéos, dont le chiffre d’affaires mondial a dépassé celui du cinéma, mais qu’on n’évoque le plus souvent à chaque fois qu’un ado dézingue le reste de sa famille.
Pour que notre presse s’intéresse à ces choses-là, peut-être faudrait-il que les attachés de presse de Virgin Mobile suggèrent aux journalistes aoûtiens, qu’avec un forfait illimité, on peut surveiller ses marmots H 24, et ainsi empêcher bien des noyades et insolations, voire quelques incendies de forêts…
Communisme, pour mémoire…
Je me suis délecté, au mois d’août, à écouter, sur France Culture, la série d’émissions « Vents d’Est », réalisée par Jean-Pierre Thibaudat et Laetitia Cordonnier. Anticipant de quelques mois la déferlante des célébrations médiatiques du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette série revisitait le « socialisme réellement existant », grâce à des documents d’archives et des entretiens avec des témoins, célèbres ou non, de la période 1945-1989 en Pologne, Hongrie, République Tchèque et ex RDA.
La vie quotidienne des « vraies gens » au temps du communisme – on devrait dire, d’ailleurs, des communismes, tant les régimes qui s’en réclamaient furent divers, dans l’espace et dans le temps, fut un continuel aller-retour entre le tragique et le cocasse, l’espoir et la déprime, le repli sur soi et la quête de l’autre.
Il ne manquait à cette évocation sonore que l’âcre odeur du chou bouilli des cantines se mêlant, dans l’hiver embrumé, à la puanteur soufrée des fumées du lignite enfourné dans les chaudières par des alcooliques affectés à cette tâche pour l’éternité.
Cette mémoire du communisme réel appartient, certes, au premier chef à ceux qui ont vécu tout ou partie de leur vie dans les pays qui y furent soumis, mais pas uniquement.
Il existe, aussi, une mémoire occidentale de cette période pour ceux que les circonstances amenèrent à partager, pendant un temps significatif, le quotidien des citoyens des pays situés de « l’autre côté du rideau de fer », comme on disait à l’époque.
Il ne s’agit pas, bien sûr, des touristes ordinaires ou de luxe, ni des invités de marque choyés par les gouvernements à des fins propagandistes, ni même des diplomates contraints, par leur fonctions, d’évoluer dans des ghettos dorés étroitement surveillés. Tous ceux-là n’ont pu avoir qu’une vision furtive, ou déformée d’une réalité sociale dont ni les statistiques, ni la presse, ni la littérature officielle ne rendaient compte.
Une exception notable, cependant, à cette impossibilité consentie d’aller regarder derrière le décor planté par le pouvoir à l’intention de ses « amis » occidentaux nous été offerte par l’émouvant petit livre de Paul Thorez, le fils de Maurice, Les Enfants modèles qui raconte l’enfance et l’adolescence des rejetons du secrétaire général du PCF lors de l’exil familial à Moscou. C’est la Russie stalinienne vu du côté des enfants de la nomenklatura avec ses écoles réservées, ses camps de pionniers au bord de la Mer noire, qui conduira peu à peu, dans une démarche empreinte de culpabilité, le jeune Thorez à s’éloigner sans bruit mais dans la douleur, de l’idéal communiste incarné par ses parents.
Le « petit peuple » des Occidentaux passés à l’Est pour une période relativement longue, plusieurs mois ou plusieurs années, est composé de personnes très diverses : étudiants venus compléter leur formation linguistique, universitaires et chercheurs, techniciens et ingénieurs expatriés dans le cadre des échanges économiques et quelques exilé(e)s par amour ayant choisi de vivre leur idylle à la mode socialiste. Ceux-là, dont je fis partie comme étudiant germaniste dans un temps que les moins de quarante-cinq ans ne peuvent pas connaître, étaient lâchés, sous surveillance discrète bien sûr, dans le pays réel, partageant le sort commun de leurs homologues du cru, avec cependant, la liberté de mouvement illimitée conférée par la possession d’un passeport émis dans un pays capitaliste.
Je me dois d’avouer aujourd’hui que cette situation était plutôt confortable. Nous subissions le rationnement des denrées de base, comme le beurre ou la viande, qui était encore la règle dans la RDA des années soixante, mais en quelques heures de train (trois pour parcourir 150 km !) on se retrouvait au KDW, le grand magasin de Berlin-Ouest, au rayon gastronomie qui n’a rien à envier à celui du Bon Marché de Paris, pour dépenser le mandat en devises convertibles adressé par des parents inquiets pour la bonne santé de leur descendance dans ces pays de pénuries…
Oserais-je dire que certains de ces « sauteurs de mur » profitaient de cette absence de bonnes choses, ou même de produits banalement courants, comme le café soluble, dans les tristes supermarchés orientaux pour ramener le « petit plus » susceptible de vaincre les dernières résistances de la blonde convoitée…
Les Français bénéficiaient d’un avantage non négligeable pour leur adaptation dans une société où les codes n’étaient pas aussi simples que la propagande officielle le proclamait. Ils profitaient de la présence importante d’étudiants africains ou maghrébins francophones qui recevaient des bourses pour qu’ils deviennent les propagateurs du communisme dans leur pays d’origine. Il va sans dire que la plupart d’entre eux ont empoché leur diplôme et sont allés le monnayer dans des contrées où le communisme est un gros mot, comme les Etats-Unis, le Canada ou les pays du Golfe… Ceux-là vous mettaient bien vite au parfum des petites combines permettant de contourner la bêtise bureaucratique à front de taureau. Bientôt, comme partout dans le monde où ils sont plongés dans une culture étrangère, ex-colonisateurs et ex-colonisés se retrouvent dans une commune aversion mêlée de cynisme vis-à-vis des mœurs et comportement des gens du pays qui les a accueillis. Un communiste allemand est d’abord un Allemand, sinon que le communisme accentue quelques uns des traits les plus caricaturaux de la germanité : dogmatisme, absence d’humour, propension à pontifier sur tous les sujets, même les plus triviaux. Quant aux anticommunistes allemands restés coincés par la construction du Mur, mieux valait s’en méfier ! Leur sollicitude à votre égard ne pouvait que les conduire tôt ou tard à solliciter votre aide pour un plan foireux visant à les faire passer à l’Ouest…
Vivre à l’Est vous permettait également d’éprouver quelques émotions esthétiques à prix cassés : une mise en scène de Brecht par Benno Besson au Berliner Ensemble ou La Dame de pique de Tchaïkovski à l’opéra comique de Berlin-Est au temps où Walter Felsenstein en était le directeur…
Il fut un temps ou, pour quelques expatriés privilégiés ou peu scrupuleux, un passage par Moscou ou Varsovie vous permettait d’accumuler un petit pécule de nature à vous faciliter la vie au retour en France. Trois ans au siège de l’AFP à Moscou suffisaient pour s’acheter un appartement à Paris au temps de Brejnev et des notes de frais dépensées au cours du rouble « au noir » mais remboursées au cours officiel dix fois supérieur. Un petit tour au marché de la rue Polna, à Varsovie, avant de revenir pour les vacances payait une bonne partie du crédit, grâce au bénéfice effectué sur quelques boites de caviar revendues à ceux que l’on n’appelait pas encore les bobos.
C’était le bon temps du communisme dont profitèrent ceux qui étaient nés trop tard pour avoir pu connaître le bon temps des colonies.
Je t’Omsk, je te tue
Les relations entre la Russie et Israël n’ont jamais été un modèle de tendresse diplomatique. Est-ce pour cela qu’un jeune Israélien s’enticha d’une jeune Russe, espérant sans doute prouver que les méfiances géostratégiques pourraient s’effacer dans la sagesse des corps amoureux. Las, la Russe tiqua et quitta le tendre fils de Sion. Egaré, tout entier à sa proie attaché, il décida de se venger et, les 6 et 7 août, lança deux alertes à la bombe à l’aéroport d’Omsk (Sibérie). Il les revendiqua par des mèles qu’il signa du nom de la cruelle indifférente. La police russe ayant mis hors de cause la jeune fille, l’enquête fut confiée par Interpol aux unités israéliennes spécialisées dans la traque aux cybercriminels. Elles retrouvèrent promptement le hacoeur brisé.
Billet vert, poudre blanche
On ne remerciera jamais assez l’association des chimistes américains. Grâce à eux, la forte addiction à l’argent qui semble être l’une des caractéristiques les plus étonnamment mortifères du néo-capitalisme en phase terminale vient d’être enfin élucidée.
Pourquoi Madoff ? Pourquoi Kerviel ? Pourquoi les parachutes dorés ? Pourquoi les staukopcheunes ? Pourquoi les annonces simultanées de plans sociaux et de profits record ? Tout cela finalement était aussi mystérieux que l’Atlantide, la part des anges dans les caves de Cognac, le charme d’une contre-rime de Toulet.
Des hommes apparemment normaux ont en effet précipité le monde dans une crise sans précédent en adoptant le cri de ralliement des ouvriers autonomes des usines Fiat pendant les grandes grèves insurrectionnelles de 69 à Turin : « Nous voulons tout ! »
Au début, on croyait que c’était de l’indécence, de la provocation, l’idée d’une lutte des classes poussée à son point d’incandescence orgasmique par une clique de financiers autistes certains de leur impunité, jouissant de leur toute-puissance tels des enchanteurs qui varient les métamorphoses.
On se disait qu’il y avait quelque chose de complètement irrationnel, tellement loin des calculs raisonnables d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat.
On se trompait.
Inutile de lire, désormais, L’Avare de Molière, La maison Nucingen de Balzac, La Curée de Zola, La grosse galette de Dos Passos ou même L’argent de Péguy dont nous avions naguère parlé ici. Les clés ne sont pas dans la littérature.
Ni chez Freud, ni chez Marx d’ailleurs. Vous n’allez tout de même pas croire ces absurdités sur l’équivalence entre fric et pulsion de mort, entre thésaurisation et rétention des excréments ou sur on ne sait quelle accumulation primitive du capital, plus-value, valeur d’échange, caractère fétiche la marchandise et autres billevesées communisantes ou rouges coquecigrues.
Non, l’amour de l’artiche, du flouze, des picaillons, du blé, du pognon, de la thune a une cause bien plus prosaïque comme nous l’expliquent les chimistes américains et leur association qui ne sont pas des têtes folles mais des scientifiques sérieux, des gars qui préféraient potasser la table des éléments de Mendeleïev plutôt que de perdre hâtivement leur pucelage sur la banquette arrière d’une Studebaker Hawk Gran Turismo au bal de fin d’année de leur aillescoule de Boulder (Colorado).
Pendant que leurs copains de promo devenaient tueurs en série ou intellectuels néocons, les chimistes américains, eux, palliaient leur manque de fantaisie par une certaine rigueur et remplaçaient les délires idéologiques par des expériences en laboratoire. Des types rassurants, on vous dit, les chimistes américains.
Imaginons-les, un dimanche matin, quelque part dans la chaleur de l’été louisianais où ne chantera plus le regretté et irremplaçable Mink Deville mort dans l’indifférence médiatique d’un mois d’août 2009, mais c’est une autre histoire. Nos chimistes s’accordent un mint julep, feuillettent les deux kilos de leur journal du dimanche et l’un dit soudain à l’autre :
– Sam, c’est quand même délirant, non, cette frénésie pour les dollars. Les gens sont devenus fous ou quoi ?
– Sincèrement, je ne sais pas, Jack, à croire qu’il y a quelque chose sur les biftons, du beurre de cacahuète ou du sirop d’érable.
Et là, pour rigoler, Sam et Jack passent dans leur labo et commencent à tester des réactifs sur une coupure de cinq.
C’est comme cela, pas autrement, que la vérité apparaît, nue et simple, sortant du puits des interprétations fumeuses pour se révéler dans son évidence scientifique : si les dirigeants de BNP Paribas, pour prendre un exemple parmi d’autres, ont provisionné un milliard d’euros pour verser des bonis à leurs traders, ce n’est pas parce qu’ils sont d’un égoïsme monstrueux, d’une inconséquence blessante ou d’une arrogance stupide, non, c’est tout simplement parce qu’ils sont accros, défoncés, déchirés, explosés par une substance illicite.
On dit que l’argent n’a pas d’odeur. On a bien tort. Sam et Jack, et tous leurs copains de l’association des chimistes américains viennent de publier les résultats d’une enquête très sérieuse. Cela tient en quelques chiffres : 90% des billets américains contiennent des traces de cocaïne allant de 0,006 microgrammes à 1,24 microgrammes soit l’équivalent, comme nous le signalent obligeamment les gazettes, de plus de cinquante grains de sable. Vous croyez être un banquier honnête, qui compte son argent et vous voilà, sans le savoir, à sniffer ligne sur ligne comme un romancier français jet-setter à la mode.
Il faudra s’en souvenir quand le temps de rendre des comptes sera venu. Et penser pour tous ces gens-là qui sont devenus spéculateurs malgré eux à des produits de substitution, un peu comme la méthadone pour l’héroïne.
La nationalisation, par exemple. Avec obligation de soins. Sinon, évidemment, ce sera la taule.
On veut bien être gentil, mais la culture de l’excuse, avec les drogués, c’est un peu facile.
Flic et voyou
C’est encore et toujours de la France qu’il sera question ici, de son peuple imprévisible, d’où sortirent le meilleur et le pire : les héros amusés qui sourient quand on les fusille, les délateurs tranquilles, les épiciers du raisonnement et leurs grossistes, les enfants perdus, les intellectuels engagés, les mondains contristés, les flics à pèlerine, les commissaires de police obstinés. Longtemps, notre nation aima se représenter en mauvais garçon, en fille aimable et en milord mélancolique. Elle appréciait que Jean Gabin posât une main vigoureuse sur sa chute de reins et l’entraînât au milieu de la piste de danse. Elle se lassa, se trouva même odieuse, et ne s’installa devant sa psyché que pour tourner en grimaces ses postures coquines d’autrefois.
Examinons d’abord le CV de l’auteur. Il sent le soufre ; l’Algérie française, l’extrême droite, les réprouvés, les insoumis. Lorsque j’étais étudiant, il figurait parmi nos détestations. Il se disait chanteur de l’Occident. Il n’était ni vieux ni de notre génération. Il était résolu, grave, il avait l’air impitoyable, alors que nous nous posions une seule question : « Y-a-t-il une vie après le rock’n’roll ? ». Si je n’ai pas oublié son nom, ce fut grâce à son… prénom. Jean-Pax, cela me plaisait. Or, cet homme de fidélité, journaliste compétent, enquêteur honnête, est un excellent écrivain. Il est d’Afrique par ses racines et ses rêves, il est de France par sa langue. Son dernier livre, dédié à son père, Noël-Ange, né et mort à Marseille, agent secret de l’OSS, X2 branch sous l’Occupation, manifeste une très grande maîtrise : il tient de la biographie, du polar, du récit de guerre et d’Histoire.
Un flic chez les voyous nous accompagne dans la longue dérive d’une personne de tempérament, Robert Blémant. Elle commence à son entrée dans la police nationale, en 1931, comme «inspecteur provisoire» à Reims, elle se poursuit avec ses actions d’éclat dans le service du contre-espionnage, à Paris, avant puis pendant la guerre, et s’achève dans le banditisme, en 1965, à Marseille. Sur une photographie, il a de beaux yeux ombrés, qui lui font un regard levantin (il est né à Lille, mais il a séjourné six mois en Syrie, avec son régiment de Spahi), une physionomie ardente, dénuée de toute bonhomie malgré des joues pleines, des épaules puissantes, un je-ne-sais-quoi de pressé, de brutal. C’est une «présence», avec une aura saturée d’hormones mâles : un mec à l’ancienne. On le sent gouverné par un principe impérieux : il doit combattre, maîtriser, dominer. Robert l’élégant voulait être affranchi ou n’être pas. De policier d’élite, il devint voyou supérieur – rien de commun avec la racaille, les psychopathes et les analphabètes à front de bœuf qui peuplent la pègre. Le musculeux Blémant, jeune policier « pratiquant la boxe et l’équitation, gradué en Droit de la faculté de Lille, [parlant] l’idiome nord-africain », incarne la séduction qu’exerce le monde interdit sur certains représentants de l’ordre républicain. Il prend, à la fréquentation des pégriots et autres rusés du Milieu, un vrai plaisir et des manières : la mise impeccable, le chapeau sur l’œil, les amitiés viriles.
Patriote sincère sous l’Occupation, à la DST, il débusque les agents double, et court tous les risques. Résistant de l’intérieur, condamné à mort par la Gestapo, il doit fuir.
L’auteur suit toutes les traces laissées par son « héros » fascinant à Lille, Paris, Marseille, en Afrique du nord. Il est à ses côtés dans ses traques et dans ses planques, il est avec lui lorsqu’il interroge sans ménagement les ennemis de la France. Il le voit glisser imperceptiblement vers la zone du risque, y pénétrer, revenir de ses premiers périples chez les «durs», s’imprégner des mœurs et des codes de ses futurs alliés. Il le sent prêt à basculer de l’autre côté du mur, où l’attend un second destin, celui-ci fondé sur ses contradictions, ses espoirs déçus et ses tentations. Blémant a fait depuis toujours le choix de la vie dangereuse, il goûte la rivalité, le péril. Il a vaincu les Allemands, il veut encore survivre aux truands, les humilier sur leur propre terrain. Il les défie, il continue à les combattre. Mais il est devenu l’un d’entre eux, le meilleur de tous.
Quel défilé d’employés du crépuscule que ce livre ! Stipendiés de l’Abwehr, faufilés des barrières, marlous, maquereaux en costume rayé et chaussures bicolores, blafards des ruelles sombres, silhouettes imprécises au service des uns et des autres, dans la grande confusion des genres et des personnels. Voici Henri Lafont, qui « roule dans Paris en Bentley blanche ». Il loge, avec sa bande, au 93, rue Lauriston : tous parfumés de crapulerie ! Et voici les séides de Robert Blémant, grâce auxquels le jeune commissaire espère infiltrer les « lauristoniens » : Alsfasser, par exemple, a cambriolé en compagnie de Charles Cazauba, dit Charlot le Fébrile ou le Manchot, recrutés par M. Henri. Ou encore Albert Pin « en relation d’affaires avec Robert Gourari et le recycleur de cadavres Jean Bartel, alias Jean le Chauve, premiers couteaux » de Lafont. Ou ce Raggio, qui fut si proche de Carbone, lié à Émile Buisson et à Albert Danos « flingueurs patentés, qui hésitent encore entre la Résistance et la collaboration ».
Blémant assume tout : les recrues douteuses, les bavures, les éliminations : on ne lutte pas contre les espions nazis avec des enfants de chœur !
On croise également des hommes honorables, tel Roger Wibot, patron de la DST très active dans les premiers moments de la Libération ; des politiciens ambitieux, comme Gaston Deferre, vigoureux conquérant de la mairie de Marseille, la ville où Robert Blémant, « commissaire de police de 1re classe, 1er échelon, est nommé chef de la Brigade de surveillance du territoire », le 13 décembre 1944. Gaston devient maire en 1953.
Marseille ! La ville, aux mains de la pègre, règle les comptes des années terribles. Au-dessus du lot de l’ordinaire voyoucratie, deux frêres : Antoine et Barhélémy, dit Mémé, Guérini. Ils ont toujours été proches du Parti socialiste. Pendant la guerre, Mémé s’est engagé auprès des résistants, alors qu’Antoine semblait plus effacé. Mais enfin, sur le Vieux Port, leur réputation n’a rien à craindre de l’épuration. Les Guérini sont d’habiles hommes d’affaires. Ils achètent des bars, des clubs, les rénovent, en font des lieux chics peuplés de jolies filles peu farouches.
Pour le commissaire Blémant, c’est le début du grand virage. Le 5 avril 1949, il remet sa démission des cadres de la Sûreté nationale. Patron du cabaret « Le drap d’or », à Paris, il y accueille des membres éminents de la grande truanderie à qui il fournit éventuellement des alibis. Il lui arrive aussi d’effectuer des missions pour le SDECE et la Sécurité militaire, comme à Tanger où l’appellent ses propres affaires. En 1956, il est enfin décoré de la Légion d’honneur au titre de la Résistance, à laquelle s’ajoutent trois croix de guerre. Roger Wibot, qui le retrouve après douze années, lui ouvre les bras : « J’aime, je l’avoue, ces montreurs d’ombre, ces âmes de clair-obscur. »
Mais Antoine Guérini veut éliminer ce rival insolent. Un contrat est lancé sur sa tête. Il n’en a cure : « Il sait […] que la mort d’un homme est inéluctable lorsqu’elle a été décidée par des gens sérieux. » En effet : deux rafales de pistolet-mitrailleur Mat 49 l’expédient ad patres le 5 mais 1965, alors qu’il conduit sa Mercedes toute neuve, près de Marseille. Mémé Guérini avait prédit une « catastrophe » à ceux qui tueraient « le commissaire ». Elle vint rapidement. Les tueurs de Blémant furent systématiquement éliminés, Antoine périt assassiné dans son automobile « bleu-nuit, ornée à ses initiale ». Peu après, Mémé était arrêté, condamné à vingt ans de prison pour la mort du petit malfrat qui avait eu l’impudence de cambrioler la maison de son frère le jour de ses obsèques…
Ainsi s’achève l’itinéraire d’un enfant de France, flic et voyou, un homme parmi les autres, qui exigea de la vie plus que sa part d’apparences, et finit par traverser le miroir où se reflétait un petit César républicain.
Little Caesar (1930), film de Mervyn LeRoy, avec Edward G. Robinson, Douglas Fairbanks, Glenda Farrell. L’ascension et la chute d’un homme qui veut régner sur les gangsters de Chicago.
Mieux que Ségolène !
Pour Hans–Rudolf Merz, président de la Confédération helvétique, autrement dit le plus ancien dans le grade le plus élevé de la suisserie, Canossa s’appelle Tripoli. Il vient d’aller baiser la babouche de Mouammar Kadhafi en battant sa coulpe comme un malade à propos des désagréments subis il y quelque mois à Genève par Hannibal, un des fils du raïs libyen. Ce dernier fut mené au poste menotté par les pandores de la cité de Calvin, après une plainte d’un couple de domestiques pour mauvais traitements. Furieux, Kadhafi retire alors cinq milliards de dollars planqués dans les coffres helvétiques, et embastille deux ressortissants suisses par mesure de rétorsion. Sont pas fiers, les Suisses, et surtout définitivement radins : il préfèrent payer une « rançon morale » que de perdre un bon client de leurs banques.
Burqa : j’ai changé d’avis !
Me serais-je emballé trop vite en proposant ici même qu’on légifère fissa contre la burqa ? Je m’interroge.
On me l’a répété tout l’été : pourquoi stigmatiser ces femmes qui, si on ne les montrait pas du doigt, passeraient totalement inaperçues? Cet argument, qu’il soit rabâché par Eric Besson ou par Marie-George Buffet, n’est pas dénué de logique formelle : après tout, rendre les femmes invisibles est bel et bien l’objet social de ladite burqa. Mais d’autres événements estivaux sont venus étayer mes velléités de virage de cuti sur la question.
Tout d’abord, alors que le pays redécouvre les dangers de la canicule, force est de constater que les porteuses de voile intégral sont moins exposées que leurs sœurs impies aux misères de l’insolation et donc des cancers cutanés afférents. Depuis des décennies, les multinationales cosmétiques s’escrimaient à inventer le véritable écran total : vous bilez plus, les mecs, on l’a trouvé ! Désormais, il ne restera plus qu’à régler quelques petits problèmes liés à l’hypersudation…
Toujours dans l’optique du principe de précaution, un autre argument plaide en faveur de l’autorisation du port de la burqa, voire de son caractère obligatoire : l’épidémie de grippe A. Non seulement la burqa fait office de masque antiviral, mais en outre, le code moral qui va avec, guère propice au frotti-frotta – même le plus prétendument innocent – est un rempart phénoménal contre la contamination par contact direct. Laver ses mains cinq fois par jour, c’est bien, ne jamais s’en servir, c’est mieux !
Enfin l’actualité nous sert un dernier argument en faveur d’une tolérance bien pensée. Car ce vêtement que j’ai moi-même fautivement qualifié d’archaïsme peut se révéler d’une totale modernité. Comme vous, j’ai été ému par ses images télévisées de femmes afghanes votant pour la première fois de leur vie, malgré les menaces des talibans. Mais auraient-elles pu le faire si on n’avait pas mis à leur disposition ces magnifiques isoloirs individuels et portatifs ?
Zemmour 2012
Ce matin, j’ai eu le plaisir d’écouter Eric Zemmour dans mon poste. Il était l’invité d’Alexandre Ruiz dans une émission estivale sur l’humour. Et, au détour d’une phrase, Eric nous la joue « Caliméro » en témoignant de son découragement[1. Il a failli quitter « On n’est pas couché » et on doit à Eric Naulleau d’avoir échappé à cette catastrophe. Que ce dernier en soit remercié chaleureusement. Mon salut est sur lui, comme il aime l’écrire lui-même.]. Il a passé une année difficile et Internet, où il est insulté constamment, n’est pas pour rien dans son état d’esprit.
Et c’est là que je me suis décidé à prendre mon clavier. Pour le rassurer. Non, il n’y a pas que des gens qui le détestent sur le ouaibe ! Un blog, dont l’objet semble de lui vouer un culte, reprend toutes ses interventions télévisées et radiophoniques. Moi-même, je l’ai nommé à mes Antidotes d’Or (plus précisément, il s’agit de l’Antidote du courage politique) de décembre dernier et ai intitulé un autre trophée « Antidote zemmourien ». Je vais donc faire mieux que tout cela et appeler officiellement aujourd’hui à une candidature Zemmour aux prochaines élections présidentielles[2. D’ailleurs depuis quelque temps un groupe s’est constitué, pas à mon initiative, précisé-je, sur Faissebouque.].
On peut s’étonner d’un tel appel pour une personnalité de la presse et de la télé, lesquelles ne sont pas ménagées ici, mais il faut bien voir les choses en face. Zemmour, comme le disait un jour Paul-Marie Couteaux, nous amène à l’humilité, nous qui défendons un certain nombre de valeurs, et qui furent affublés par un célèbre quotidien véspéral du nom, qui se voulait peu aimable, de nationaux-républicains. Humilité, parce qu’en une émission du samedi soir, il est beaucoup plus efficace que nous autres avec nos tracts pendant une année pour faire passer certains messages. C’est pourquoi aujourd’hui, il se pourrait bien qu’il soit ce dénominateur commun qu’attendent souverainistes perdus et mendiant Xavier Bertrand, gaullistes authentiques dans un parti sans moyen, républicains che-vainement-tristes, et communistes auldescoules[3. Comme dirait Jérôme Leroy qui en est, justement.]. Ceux qui regrettent un temps où le Politique avait vraiment la volonté de décider, qu’il n’abandonnait pas ses responsabilités à des instances irresponsables et extra-nationales.
Eric Zemmour serait victime d’un tropisme trop droitier ? Rien n’est plus faux, même s’il cède lui-même parfois à la caricature sans doute dans un but louable de simplifier le message. Pourtant, je n’entends pas si souvent des journalistes reprendre à leur compte des analystes marxistes de l’économie comme il le fait fréquemment. Et si on l’écoute bien, on s’aperçoit qu’il pioche davantage chez Chevènement que chez Villiers. Sans doute, d’ailleurs, son admiration pour celui que certains villiéristes doivent encore surnommer l’Usurpateur, doit y être pour quelque chose.
Alors, faisons un peu – beaucoup ? – de politique-fiction. Imaginons qu’Eric Zemmour m’écoute et se porte candidat. Les parrainages ? Une formalité pour quelqu’un de cette notoriété. Les maires regardent la télé. Pas besoin de piquer Guaino à Sarko. Là, le candidat saurait écrire. Ecrire des discours républicains, bien sûr. Et écrire dans un bon français.
Allons plus loin dans la fiction. Il est élu. Chevènement, un vieux sage connaissant bien l’Etat, est appelé à Matignon par le nouveau président. Séguin est au Quai d’Orsay, André Gérin à l’Intérieur, Dupont-Aignan à Bercy. Mais on trouve aussi dans le gouvernement Maxime Gremetz et Philippe de Villiers, qui a fini par claquer la porte du comité Théodule Sarko au bout de trois réunions[4. Je vous ai dit que c’était de la fiction.]. Cela n’aurait pas de la gueule ? Allez, Zemmour ! Débarrassez-nous de Sarkozy ! Vos détracteurs n’ont pas compris que vous étiez l’anti-Sarko le plus intelligent de France. Il n’y a qu’ainsi que vous pouvez vraiment leur démontrer.
A La Mecque, y a pas un pèlerin !
Ainsi les autorités sanitaires viennent-elles de déconseiller formellement aux aspirants hadjs le pèlerinage à La Mecque, pour cause de pandémie mondiale de grippe A (qu’on appellera surtout pas porcine en la circonstance). Choper la grippe dans le désert arabique en plein mois d’août, faut quand même le faire, mais le lieu est, paraît-il, propice aux miracles. Et puis, après tout, ce ne serait pas plus bizarroïde que les nombreux cas déjà avérés ces jours-ci d’insolation du côté du Tréport ou de Gérardmer.

