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Forfaiture !


Forfaiture !

Soucieux de réduire mon budget téléphone portable et de relancer l’économie française avec les fonds ainsi dégagés, je me suis intéressé au contenu de la noria de mails promotionnels que je poubellise recta d’ordinaire.

Comme il y a un bon dieu pour les apprentis radins, j’ai fini par dénicher une offre réellement valable, au moins sur le papier, ce qui est une façon de parler s’agissant d’un courrier dématérialisé. Il s’agit du forfait Paradyse de Virgin Mobile, qui propose les appels illimités vers tous les opérateurs et le surf idoine, pour seulement 90 euros par mois, sans restriction de tranche horaire ou autre, genre obligation d’appeler à moins de 20 centimètres de sa box internet. Ce qui dans le paysage français n’est pas une simple nouveauté, mais une véritable bombe : jamais aucun des trois opérateurs historiques n’a osé s’aventurer – sauf par erreur vite corrigée – sur le terrain du véritable forfait illimité, exception faite des forfaits groupés d’entreprises.

Quand chez Orange, Bouygues ou SFR on parle d’ »illimité », c’est en général les restrictions qui sont illimitées. Selon les cas, vous pourrez envoyer une infinité de SMS entre minuit et huit heures du mat’, ce qui est préjudiciable au travail du lendemain au lycée. Ou bien téléphoner autant que vous voudrez à trois correspondants choisis, ce qui finira à terme par vexer tous vos autres amis. Rien de tout cela chez Virgin, si ce n’est qu’on n’a le droit d’appeler que 99 numéros différents et de surfer à hauteur de 500 Mo maximum par mois, ce qui à première vue ne relève pas du vice caché, mais du garde-fou visant à garantir une utilisation dudit forfait en bon père de famille.

Néanmoins, comme je ne suis pas expert en clauses restrictives dissimulées, tout juste un amateur éclairé par les déconvenues, j’ai pensé à aller voir ce que la presse m’en disait : compte tenu de l’ampleur de cette révolution marketing, je m’attendais à voir une flopée d’articles en googlisant « Paradyse » à la rubrique Actualités.

Résultat ? Néant. Pas de flopée mais un flop intégral ! En tout cas, rien de rien du côté de la grande presse : le Paradyse n’est pas de ce monde. Les quelques liens qui apparaissent renvoient sur des sites spécialisés en téléphonie mobile, lesquels, en général s’y contentent de signaler l’apparition du nouveau forfait, point barre.

Ce qui me plonge dans une certaine perplexité. Moi j’avais comme l’impression qu’au mois d’août, les médias étaient en manque d’infos. 95 % des Français ont un portable et 95 % de ceux-ci râlent en recevant leur facture. Comment expliquer dans ces conditions que l’apparition d’un forfait très innovant n’ait pas pu se frayer sa place dans le Sahara informatif de l’été quelque part entre les dangers de l’insolation et la renaissance des cahiers de vacances ?

La première explication est cruelle : les trois opérateurs historiques figurent tous dans la short-list des plus gros annonceurs publicitaires. Ce qui pourrait peut-être expliquer un certain manque de curiosité des médias sur leurs pratiques commerciales. Un exemple me vient en tête : en voyage à New York l’an dernier, j’ai remarqué qu’en achetant pour 20 $ chez Radio Shack un téléphone basique avec une carte SIM d’ATT (le plus gros opérateur local), j’avais droit non seulement à un numéro valable 6 mois, mais en plus d’appeler gratuitement tous les numéros ATT, fixes et mobiles, durant la même période. J’imagine donc que je dois être le seul journaliste français à m’être rendu aux USA ces dernières années. Sinon, il se serait sûrement trouvé quelqu’un pour se demander pourquoi en France une telle offre est inconcevable. Même pas en rêve.

Mais après tout, la presse écrite va mal : déjà qu’elle n’a plus des masses de lecteurs, si en plus, elle n’a plus d’annonceurs, il va y avoir du Molex en vue dans les rédactions. On pardonnera donc ce pêché véniel …

Hélas, ma deuxième explication (qui n’invalide pas la première, moi aussi je fais des offres all inclusive) est encore plus cruelle : notre presse en est encore à l’époque de la machine à vapeur, ou presque. Pas dans ces éditos, où l’on a que le mot internet au bout du bic, mais plus banalement dans les faits, dans ses centres d’intérêt.

La baguette de pain qui augmente de cinq centimes, et vous êtes sûr que tous les JT en feront leur ouverture. Orange qui profite du mois d’août pour faire passer des centaines de milliers de forfaits ADSL 512k ancienne génération de 20 à 25 euros (NB : dans ce papier tous les prix se terminant par 99 cts ont été arrondis, non mais !), voire dans certains cas de 10 à 25 euros, et là, tout le monde s’en fout. Un micro-défaut sur n’importe quelle bagnole qui vient de sortir, et la presse en fait des tonnes sur le rappel des modèles pour cause de troisième vitesse d’essuie-glaces qui déconne. En revanche, aucune de nos gazettes ne se passionne pour ces des dizaines de milliers de clients qui ont acheté au prix du caviar des abonnements pour clé 3G pour pouvoir surfer en paix depuis leur location à Trouville ou à Palavas, et qui passent leurs vacances à tenter de joindre la hotline saturée du fournisseur ou à faire le pied de grue dans l’agence Orange du coin (quand elle a le bon goût d’exister), parce que dans la vraie vie, suffit pas de la brancher et hop, comme dans la pub.

En vérité, la presse – la remarque vaut aussi pour les politiques – en est restée aux fondamentaux des Trente glorieuses: le prix de la baguette, du petit noir, de l’essence, du gaz ou de l’électricité. Quand elle parle de téléphonie mobile ou d’internet, c’est le plus souvent pour évoquer les sujets de société à la con : « Les antennes relais menacent-elles notre santé ? », « Facebook viole-t-il la vie privée ? » On pourrait d’ailleurs étendre cette réflexion aux jeux vidéos, dont le chiffre d’affaires mondial a dépassé celui du cinéma, mais qu’on n’évoque le plus souvent à chaque fois qu’un ado dézingue le reste de sa famille.

Pour que notre presse s’intéresse à ces choses-là, peut-être faudrait-il que les attachés de presse de Virgin Mobile suggèrent aux journalistes aoûtiens, qu’avec un forfait illimité, on peut surveiller ses marmots H 24, et ainsi empêcher bien des noyades et insolations, voire quelques incendies de forêts…



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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