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Causons boutique !

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Hortefeux et les boutefeux

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Brice Hortefeux

L’ex-Préfet Girot de Langlade aurait eu tort de s’en priver. Il aurait fallu être un saint pour ne pas se réjouir, dans sa situation, des mésaventures arrivées à son ex-ministre de tutelle, Brice Hortefeux. Lesquelles devraient, entre autres leçons, montrer à tous que l’accusation de racisme doit être brandie avec parcimonie et circonspection car elle a tendance à se retourner promptement contre ceux qui en usent pour faire les avantageux.

J’avais défendu ici même pour le préfet le droit à bénéficier d’un débat contradictoire. On me dira que le ministre y a eu droit et qu’il a fort mal plaidé sa cause. Pour autant, comme l’a souligné Philippe Cohen dans Marianne2, la délectation avec laquelle tout ce qui compte dans la France de gauche s’est jetée dans la « chasse au raciste » a quelque chose de particulièrement déplaisant. Et même d’inquiétant. Vendredi après-midi, une copine m’annonçait fièrement :  « J’ai signé, et toi ? » « T’as signé quoi ? » « La pétition pour la démission d’Hortefeux, pardi ! » « Mais vous êtes tous devenus dingues ou quoi ? » Au silence qui a suivi, j’ai compris qu’il allait être sacrément difficile d’avoir sur la question une discussion raisonnable.

Branle-bas de combat ! À la Bastille ! Sur Médiapart, Edwy Plenel est l’un des premiers à renifler l’odeur du sang et à exiger la démission du raciste[1. Si Plenel me permet un conseil confraternel, il ferait mieux de s’économiser car, dans les semaines à venir, il trouvera certainement l’occasion de réclamer des têtes encore plus prestigieuses pour défendre l’honneur de son ami Villepin.]. De la Licra au MRAP, du PS au Parti de Gauche, de SOS Racisme au PRG, c’est un festival de communiqués rivalisant dans l’indignation. Le Monde en appelle aux « valeurs », l’Humanité relooke Hortefeux en « porte-flingue du pétainisme revisité » – rien que ça. C’est qu’un ministre, c’est encore plus chouette qu’un préfet. Avec un peu de chance, on défilera dimanche prochain. À l’heure où Le Pen passe la main, ça nous rappellera le bon vieux temps.

Il faut être honnête, l’émotion suscitée par les supposés propos du ministre semble aller au-delà des habituelles glousseuses. Les optimistes y verront la preuve que la société française est en vérité immunisée contre le racisme, les pleureuses en déduiront que le peuple qui n’a pas de pain (c’est une image) se console avec les Jeux. Quelques heures après la publication de l’article de Cohen, qui n’était pourtant pas tendre pour le ministre, certains de ses lecteurs, enragés, demandaient sa démission de Marianne2. Et après avoir abordé le sujet sur RTL, j’ai reçu des messages outrés, notamment celui de monsieur Capel (il n’a pas précisé son prénom). « Un ministre d’Etat, qui plus est chargé de la sécurité et des cultes, s’autorise une sortie raciste, la seule issue possible me semble la démission », écrit-il. Mais c’est une autre phrase qui m’a fait sursauter : « En tant que penseuse indépendante et rigoureuse, poursuit mon auditeur, vous auriez dû avoir la même opinion que moi, la situation ne souffrait pas la moindre hésitation. » Ah ? Donc, j’ai le droit de réfléchir à condition d’aboutir à la bonne conclusion. Hortefeux, démission !

Il est vrai que si le sarkozysme est aussi une grande machine de com’, le « meilleur ami » du président vient de lui faire connaître de sérieux ratés.

L’Elysée et le gouvernement sont montés au créneau sur le front le plus facile, celui de la société de surveillance, que l’on appelle dans les bons jours société de communication. En général, certains collègues de Brice Hortefeux ne manquent pas une occasion de s’enthousiasmer sur le monde merveilleux d’internet et de la transparence, au point qu’ils s’estiment obligés de faire part de leurs pensées les plus banales à leurs électeurs-lecteurs-twitteurs. À l’inverse, il est amusant d’entendre tous ceux qui, il y a peu, partaient en guerre contre Edvige, se faire une fois de plus les avocats du droit de tous à surveiller tout le monde tout le temps. Sauf que ce n’est pas, ce n’est plus, une excuse. Si les politiques ne savent pas dans quel monde ils vivent, qu’ils changent de métier. Oui, tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous. Donnez-moi deux mots de la bouche d’un homme et je le fais lyncher, on ne vous a rien appris à l’ENA ?

Il faut bien cependant, s’aventurer sur le terrain glissant des propos prêtés au ministre et de leur éventuelle gravité. Autant vous le dire, j’ai la trouille. Je sais qu’un mot mal compris, volontairement ou pas, peut vous conduire en un tournemain sur la prochaine charrette. D’abord, j’ai, comme tout le monde, réécouté de nombreuses fois la « vidéo censurée ». J’ai choqué beaucoup de gens en affirmant que je ne l’aurais sans doute pas diffusée. Ce n’est pas seulement parce que je suis payée par l’Elysée (si seulement…), c’est que je n’aurais pas vu le scoop. Si Hortefeux a dit quelque chose comme « un Arabe ça va, quand ils sont beaucoup bonjour les dégâts » et qu’il l’a dit devant l’Arabe concerné, j’ai beau faire appel à toutes mes fibres humanistes, je n’arrive pas à entendre autre chose que du second degré. C’est le genre de blagues idiotes qu’on fait à causeur quand on en a assez de se disputer sur la taxe carbone ou la taille du président : pourquoi y a-t-il chez nous tant de juifs, de pédés, ou d’alsaciens ? Et franchement, chers lecteurs outrés, c’est le genre de blague que vous entendez ou que vous racontez dans les dîners avec vos copains arabes, noirs et juifs et ça fait marrer tout le monde. Je vous concède que Brice Hortefeux n’a pas le profil de Ludvik, le héros de La Plaisanterie et qu’il a en plus une tête d’Aryen. Et pourtant, si on y réfléchit, ça y ressemble un peu. On ne déconne pas avec la vraie foi. Cette mobilisation d’une meute surchauffée pour une blague me fait penser que, derrière le triomphe des chauffeurs de salle que sont les humoristes appointés, l’esprit de sérieux a gagné. Si plaisanter sur les arabes, les noirs, les juifs ou les nains, c’est être raciste, antisémite ou petitophobe, il faut cesser de plaisanter. Et aussi de rigoler. À moins, évidemment, que vous vouliez tous finir dans la « cage aux phobes » inventée par Muray[2. J’ai récemment employé son « mutins de Panurge » sans guillemets et sans citation parce qu’il me semblait que c’était désormais aussi estampillé Muray que « Rodrigue as-tu du cœur ? » appartient à Corneille, mais j’ai sans doute été un peu optimiste. Il faudra sans doute une ou deux générations pour que la France et la littérature sachent ce qu’elles doivent à Philippe.].

D’accord, me direz-vous, chers lecteurs outrés, et si c’était du premier degré ? Ou, plus exactement, si le second degré ne faisait que révéler les arrière-pensées de Brice Hortefeux ? Si je traduis les propos présumés, cela donne quelque chose comme « des Arabes en France, aucun problème, ce qui peut poser problème, c’est la concentration ». D’accord, ce n’est pas très divers-friendly de penser cela mais que nous disent à longueur de temps les habitants des cités ? Qu’ils ne veulent pas vivre dans des ghettos, c’est-à-dire dans des quartiers où plus de la moitié de la population vient de la même culture qu’eux. Pas parce qu’ils sont racistes, parce qu’ils veulent participer à la promesse française, parce qu’ils veulent voir leurs femmes et leurs filles en robes légères, parce qu’ils veulent que leurs enfants apprennent « nos ancêtres les Gaulois », parce qu’ils veulent parfois manger pendant le ramadan et boire un coup à l’occasion. Au risque de me faire, une fois de plus, traiter de juive honteuse, je trouverais ça un peu étrange qu’un gamin se retrouve, à l’école publique, avec 25 condisciples juifs. Je vous vois venir. Suis-je choquée par les classes de 30 têtes blondes aux noms bien de chez nous ? Suis-je gênée que certains de nos centres-villes soient un peu trop blancs ? Pas vraiment. J’aimerais que l’intégration et même l’assimilation d’autrefois fonctionne, que nos classes et nos rues soient ethniquement mélangées sans même qu’on y prenne garde. J’aimerais qu’Harry Roselmack présente le JT sans qu’on me précise qu’il est noir. J’aimerais que Fadela Amara et Rama Yade soient des ministres, pas des symboles.

Je crois que le racisme, le vrai, le racial, n’a plus cours en France. Qui oserait encore penser que les Arabes ou les Noirs sont « inférieurs » ? En adoptant la religion de l’Humanité, nous avons heureusement banni ces idées (pour le coup) moisies ; ceux qui continuent à croire en elles doivent le faire honteusement et encourent les foudres de la Loi. Tant mieux Seulement, il me semble qu’on qualifie aujourd’hui de raciste toute prétention à considérer qu’il existe une culture française (laquelle se nourrit évidemment depuis toujours d’apports extérieurs) et que ceux qui arrivent doivent s’adapter à elle et à son biorythme au lieu de réclamer qu’elle s’adapte à eux. In Rome, do as the romans do. Non, je n’arrive pas à trouver cette maxime scandaleuse. Je sais qu’elle est difficile à mettre en œuvre, j’admets volontiers qu’elle est discutable. Seulement, il semblerait qu’on n’ait plus vraiment le droit de discuter.

Pour qui sont ces sifflets ?

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Frédéric Mitterrand

Autant vous le dire de suite, les sifflets dont a été l’objet Frédéric Mitterrand ce samedi à la Fête de l’Huma m’ont profondément attristé.

Vous me connaissez, loin de moi l’idée qu’une personnalité officielle soit, es qualités, intouchable. Le lazzi est une forme de communication politique ancestrale, il appartient à notre patrimoine politique, il nous renvoie, bienheureusement, au temps d’avant les dircom. J’aime qu’on dise leur fait à tous, y compris aux plus puissants, et en retour, je ne suis pas de ceux qui s’étouffent quand le président de la République, offensé, réplique sur le même ton, même si en vrai, j’aurai attendu, dans un monde idéal, une riposte plus empreinte de second degré que de langage de cour de récré.

Pour aller au bout, je ne suis pas forcément bégueule quand l’encolère joint le geste à la parole, saccage une préfecture, séquestre un médiateur, ou envoie un œuf pourri sur le minois d’un ministre de l’Agriculture. On est dans le champ naturel de la démocratie. On y est borderline, mais on y est. On rappellera au plus distraits que nos institutions républicaines en marbre froid sont filles de l’Emeute. Des émeutes où ils n’y avaient pas que des horions ou des boulons qui volaient, mais aussi des balles, voire des têtes.

Mais ce qui s’est passé à la Courneuve, n’était pas borderline mais hors limites, quoiqu’il n’y ait pas eu d’agression autre que verbale : « Social-traître ! », « Vendu ! » et autres indigences chansonnières du style « Casse-toi pauvre con ! ». Ces injures étaient intolérables pour une raison simple, mais nodale : Frédéric Mitterrand était invité par le PCF à la Fête de l’Huma.

Que des militants jugent qu’il est inopportun d’accueillir dans le Saint des Saints un ministre sarkozyste en exercice, fût-il bonasse et cultivé, c’est leur droit le plus absolu – après tout leur direction ne leur répète-t-elle pas tous les jours que l’Autre est le mal incarné – mais le cas échéant, c’est leurs propres chefaillons qu’ils eussent dû engueuler pour l’avoir convié. Ils s’en sont bien gardés, et c’est leur problème à eux s’ils respectent maladivement des dirigeants qui les ont menés avec tant de constance à la cata. M’est avis qu’un de ces jours, le PC risque de crever de n’avoir pas su tuer le père, mais c’est une autre histoire…

En attendant, manquer de respect à un invité est impardonnable, c’est une violation des codes humains. Attention, je ne parle pas là de loi républicaine ou de morale prolétarienne, mais de quelque chose qui est bien au-dessus de tout cela et que nous sommes donc supposés tous partager, du guerrier papou au syndicaliste breton et qui, normalement, devrait fédérer, c’est le cas de le dire, l’Humanité.

Sévèrement urné !

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Après le remous provoqué par la publication de Hold-uPS, arnaques et trahisons, le livre, qui affirme que les cent et quelques voix d’avance qui ont hissé Martine Aubry à la tête du PS étaient le résultat d’un bourrage d’urnes massifs, une autre affaire, similaire, pourrait bientôt éclabousser les collègues d’en face. Selon nos informations, les élections internes du 28 novembre 2004 qui avaient porté Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP (par 85,09 % des voix contre 9,10 % à Nicolas Dupont-Aignan et 5,82 % à Christine Boutin) ont elles aussi été honteusement magouillées. En vrai, il avait obtenu plus de 100% des suffrages exprimés!

Non aux licenciements secs !

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Les salariés de « Culture bière », un resto-musée-concept store consacré à la mousse et sis au 65 Champs-Elysées, sont en grève illimitée avec occupation du lieu de travail. Et pour cause : la direction de l’établissement – propriété du groupe Heineken – a, en effet, décidé de fermer la boutique et de licencier tout le personnel. Si vous passez dans le quartier, n’hésitez pas à aller les soutenir. Ils ont d’autant plus besoin de votre solidarité active qu’ils ne peuvent pas avoir recours aux méthodes traditionnelles : ça ne fera pas peur à grand monde s’ils menacent de faire péter leurs bonbonnes…

Surtout, n’approchez pas !

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Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.

Amateurs de sensations fortes, de films d’horreurs ou de scènes de réalité trash et sanglantes filmées au téléphone portable et diffusées sur la Toile, cet article est pour vous.

J’ose espérer qu’à partir de là plus personne ne lit.

Pour les deux pervers qui restent encore en ligne, je retranscris ici, sans commentaire ni jugement de valeurs petits bourgeois mon entretien avec une sériale killeuse (non pédophile cependant, on a sa fierté), ou plutôt son interminable introspection :

« Je sème sur mes pas la mort et la désolation, mon pouvoir est immense, mon souffle est dévastateur. Je connais la jouissance du partouzeur séropositif ou du kamikaze Al Qaïdesque au moment d’appuyer sur la détente. Ma métamorphose est récente, il y a quelques jours encore, j’étais une citoyenne lambda, puis tout a basculé. J’ai ressenti un léger mal de tête, suivi d’une poussée de température fulgurante (un incroyable 37°6), et d’un impitoyable éternuement suivi d’un deuxième… Mon destin était scellé ! J’étais l’une des actrices de la pandémie ! Et là, ma conscience m’a totalement fait défaut. Ai-je précipitamment interrompu mon face-à-face avec un client innocent pour lui sauver la vie ? Non. Ai-je fui dans un couvent ou le sanatorium le plus proche ? Non. Ai-je annulé mes rendez-vous ? Pas plus. Ai-je acheté les masques ? Vous connaissez la réponse. Ai-je contacté les autorités pour me dénoncer ? Je ne vous fais pas un dessin. Ai-je passé à l’alcool mes stylos et le bouton grande tasse de la machine à café (je ne fais pas de café petite tasse) ? Pas davantage. Ai-je arrêté de serrer la main de mes collaborateurs ? Oui évidemment ! Je poursuis avec passion ma nouvelle vocation de meurtrière, mais je ne vais quand même pas risquer de diminuer mes revenus en causant une série d’arrêts-maladie au sein de mon personnel !
Rien. Je n’ai rien fait pour épargner mon prochain. Et pourtant ! J’ai vécu cet enfer. Je sais ce qu’il risque ! Il lui faudra au moins un paquet de kleenex de poche et deux dolipranes pour venir à bout du fléau.
Mais déjà, à peine arrivée au sommet de ma puissance assassine, mes pouvoirs s’estompent un à un. Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé. Aurais-je vécu dans l’illusion ? N’ai-je attrapé qu’un vulgaire rhume ? Cette pensée m’afflige en me remplissant d’espoir…. Si c’était le cas, j’aurais encore une chance de l’attraper, et de revivre ces moments d’extase où j’ai semé l’apocalypse ! Vivement la grippe aviaire ! Je suis la bombe humaine ! »

À ce moment-là, vous le comprendrez aisément, j’ai pris mes jambes à mon cou car elle a commencé à me regarder bizarrement, et, tous les chasseurs vous le diront, quand la bête fauve commence à vous regarder intensément, deux options : vous lui tirez une balle dans la tête ou vous courez vous mettre à l’abri. L’option une m’est apparue difficile a réaliser, n’étant armée que de mon bloc-notes et mon stylo, j’ai donc opté pour la fuite.

Partagée entre le besoin d’épargner de futures victimes et le devoir de protéger mes sources, je ne vous révèlerai qu’une partie de son identité, qui vous permettra si vous la croisez de fuir au plus vite. Son prénom est Dominique et elle a un nom de terroriste.

J’en profite pour faire mes adieux, j’ai réussi à obtenir un programme de relocalisation des témoins. Bonne chance à vous. Moi, je file.

Plutôt Stone que Moore

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moore

Prêcher des convaincus est sans doute intellectuellement la chose la plus stérile qui soit. On peut comprendre le besoin, surtout quand on est minoritaire, de se retrouver entre soi mais ne pas sortir du cercle condamne à la ratiocination inefficace.

Ce qu’on a appelé du nom si générique et flou d’altermondialisme et qui a redonné, dès le mitan des années 1990, un regain d’espoir à tous ceux qui ne se satisfaisaient pas du nouvel ordre mondial capitaliste et du présent perpétuel promis par Fukuyama après la chute du Mur, risque néanmoins à tout instant cette impasse théorique. En se limitant à des constats renouvelés de forums sociaux en forums sociaux, de contre-sommets du G8 en contre sommets comme celui, meurtrier, de Gênes en 2001, cette mouvance prend le risque de tourner en rond dans la nuit et de se brûler à son feu, pour paraphraser Debord qui savait que toute critique du Spectacle prend le risque d’être elle-même spectaculaire.

En son temps, déjà, Marcuse dans L’homme unidimensionnel avait lui aussi montré la capacité des sociétés capitalistes ou des démocraties bourgeoises, comme on voudra, à intégrer leur propre contestation en leur sein et à gérer ses marginaux comme fausse preuve de sa tolérance.

Michaël Moore et d’Oliver Stone, deux cinéastes américains, que l’on peut qualifier d’adversaire du système et dont verra prochainement les films, illustrent ce paradoxe. L’un d’entre eux a réussi à le surmonter, et pas celui qu’on croit.

Michaël Moore, anticapitaliste de choc, est de tous les bons combats. Avec sa dégaine de working class hero américain, son surpoids popu, il a successivement dénoncé les ravages de la restructuration du secteur automobile (Roger et moi), une société fondée sur la violence et le culte des armes à feu (Bowling for colombine), la présidence Bush (Farheneit 911), j’en passe et des meilleures et, tout récemment, à la Mostra de Venise, Capitalism : a love story, appelant à la destruction de l’économie de marché. Soyons honnête, le programme ne nous déplait pas.

Seulement voilà, Michael Moore, non seulement semble de plus en plus caricatural de film en film, non seulement il flirte avec un certain cynisme (les interviews du grand homme coûtent 2000 euros en moyenne) mais surtout, il ne convainc personne en dehors d’un public acquis, et encore il semblerait à voir les critiques dans les journaux que même ce public commence à s’apercevoir que les ficelles sont un peu grosses, et certains plans franchement obscènes quand caméra à l’épaule, on filme une expulsée en gros plan en la plaignant en voix off pour en rajouter.

Quitte à surprendre certains Causeurs, j’aime profondément l’Amérique et sa capacité à secréter ses propres anticorps quand elle va trop loin ou est sur le point de se renier et je n’aime pas, ou plus Michael Moore.

D’abord parce qu’il est inefficace : sa palme d’or très politique au festival de Cannes n’a pas empêché une réélection triomphale de Bush en 2004 et si la preuve du pudding, c’est qu’il se mange, comme disait Engels, alors Moore n’a rien cuisiné du tout ou un gâteau qui n’existe pas.

Il est intéressant de le comparer avec Oliver Stone, lui aussi présent à la Mostra de Venise pour un documentaire, South of the border, consacré à Chavez et montrant le décalage entre l’image donnée par les médias « foxisés » et la réalité du terrain. À Venise, il a même eu le droit à la visite du président bolivarien en tournée sur le Vieux continent.

Oliver Stone tourne en général des films commerciaux. On le lui reproche souvent. Et pourtant au bout du compte, il aura beaucoup plus fait, en adaptant les canons hollywoodiens, pour une critique intelligente de l’Amérique comme société capitaliste, parfois belliciste et impérialiste, que Moore avec son humour à deux balles.

Je manque peut-être de conscience politique ou de sérieux mais je me suis rendu compte pour la première fois de la mutation financière du capitalisme avec l’inoubliable Wall Street (1987) où Michael Douglas en trader annonçait ceux de Fanny Mae ou Freddy Mac. Un film comme Tueurs nés, que les fines bouches de la critique du Bloc Central avaient trouvé tellement complaisant, était la plus belle dénonciation de l’ultra-violence et de l’absence de repères d’une certaine jeunesse américaine. Et son biopic sur Nixon reste un monument difficilement dépassable sur les risques de dérive autoritaire à la Maison Blanche mais aussi les moyens de la combattre.

En fait, cette différence entre Moore et Stone, cette efficacité tellement plus durable, moins journalistique de Stone, sont dues au fait qu’il refuse l’idée d’avoir un public ou un auditoire conquis d’avance et qu’il n’a pas ce mépris intellectualiste pour la fiction.

Et finalement, cette honnêteté intellectuelle, cette modestie ouvrent non seulement la possibilité de débats mais aussi, encore plus importante, celle, qui sait, de convaincre.

Je vous remets un petit coup ?

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Connaissez-vous le Female Sexual Function Index ? Cette échelle très sérieuse, allant de 2 à 36, est utilisée par les médecins pour mesurer l’épanouissement sexuel de la femme, de l’excitation simple à la fréquence et l’intensité des orgasmes. Des chercheurs de l’université de Florence, sans doute lassés de tripoter des virus grippaux et de tester des vaccins, ont décidé de se changer les idées et d’interroger huit cents transalpines entre dix huit et cinquante ans. Les résultats sont sans appel : tout âge confondu, les femmes buvant plus de deux verres de vin par jour atteignent une moyenne de 27,3 sur l’échelle du FSFI. On descend à 25,9 pour les petites joueuses qui refusent de rhabiller les orphelins et se contentent d’un seul gorgeon quotidien. Quant aux abstèmes en jupons, le score devient digne d’une équipe de Ligue 1 reléguable. Montaigne disait que c’était « la boiteuse qui le faisait le mieux ». On peut désormais penser, même si on s’en doutait un peu, que la buveuse n’a rien à lui envier.

Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite

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ankara

Ankara revient aujourd’hui en force là où Constantinople avait été pourchassé en 1918. Le ci-devant « homme malade de l’Europe » est un acteur majeur dans ce qui formait jadis les possessions de l’Empire ottoman, devenues depuis « le monde arabe ». Il est vrai que les divisions et tensions dans la région offrent à la Turquie des occasions d’avancer ses potions comme le montre la toute récente crise irako-syrienne.

Tout a commencé avec l’attentat du 19 août qui a tué une centaine de personnes à Bagdad. Les Irakiens soupçonnent deux membres du parti Baas, l’ancien parti de Saddam Hussein, de l’avoir commandité depuis la Syrie où ils se seraient alliés avec des membres d’Al-Qaïda. Or, la veille, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait passé la journée à Damas, justement pour évoquer avec les dirigeants syriens le problème des infiltrations de terroristes à travers leur frontière commune. Parfaitement conscient que les bonnes manières de Damas ne sont pas gratuites, al-Maliki avait amené non seulement son ministre de la Sécurité mais aussi celui du Pétrole.
Quand moins de 24 heures plus tard, les Irakiens découvrent que l’attentat qui visait les ministères des Affaires étrangères et des Finances porte une signature syrienne, ils n’apprécient guère. Al-Maliki, furieux, demande au président syrien l’extradition des deux commanditaires présumés.

Assad ne peut guère s’y opposer sur le principe. Mais il exige des preuves. « Lorsque les accusations ne reposent sur aucune preuve, cela veut dire qu’elles sont irrecevables au regard de la loi », déclare-t-il à la presse. C’est bien normal : depuis son intervention dans l’affaire Clotilde Reiss, son combat pour la présomption d’innocence est de notoriété publique. Les Irakiens se trouvent donc dans la même situation que les Libanais depuis l’assassinat de Rafiq Hariri car un Syrien qui vous demande des preuves, c’est comme un Chinois qui dit « oui »: dans les deux cas, il s’agit d’une manière polie de vous envoyer paître.

Mais l’Irak n’est pas le Liban, et le 25 août Bagdad rappelle son ambassadeur à Damas. Les Syriens répliquent dans la journée en faisant de même. Depuis, les autorités irakiennes qui ont présenté une vidéo d’un jeune Saoudien déclarant appartenir à Al-Qaïda et avoir été entraîné par les services de renseignements syriens exigent un tribunal international et entendent trainer Damas dans une affaire Hariri-2. Bref, en quelques jours, les relations entre la Syrie et l’Irak, qui n’ont jamais été cordiales – l’armée syrienne a participé à la guerre contre Saddam Hussein en 1991 – sont devenues exécrables.

Normalement, ce genre de crise est géré en famille. Cette fois-ci, les capitales arabes et la Ligue du même métal se sont contentées de déclarer qu’il s’agissait d’un conflit « interne » entre les deux parties qui ne nécessitait pas d’intervention extérieure. La tension entre Damas et Bagdad aurait, en vérité, exigé une intervention d’urgence, sauf que personne dans le monde arabe n’est capable de la mener. Les relations entre Moubarak et Assad sont tendues à cause de l’alliance de ce dernier avec l’Iran et de son soutien au Hamas et au Hezbollah, trois ennemis stratégiques du Caire. Les Saoudiens n’ont pas non plus digéré le nouvel Irak, où les chiites jouent un rôle prééminent et dont le premier personnage de l’Etat est membre de cette communauté. Pas question pour Ryad de se porter au secours d’une succursale de l’Iran. Les autres candidats ne sont pas de taille.

Ankara s’est engouffré dans cette faille pour s’imposer comme intermédiaire. Pour ce faire, les Turcs disposent d’un levier de taille : ils tiennent les vannes de l’Euphrate, puisque le grand fleuve mésopotamien naît chez eux avant de traverser la Syrie et Irak. Et justement, il était prévu que les ministres compétents des trois pays riverains se réunissent à Ankara le 3 septembre… Voilà pourquoi depuis une grosse semaine, Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, fait la navette entre Bagdad et Damas avec escale au Caire pour consulter le vieux (81 ans) Moubarak et l’un de ses trois successeurs possibles, le plus jeune ministre des renseignements Omar Suleiman (74 ans). Pour l’instant, il semble que l’objectif principal du Turc est de convaincre les Irakiens de ne pas présenter leurs griefs devant une cour internationale, une démarche qui risquerait d’internationaliser la crise et de la transformer en dynamique incontrôlable.

Après tout, Ankara ne fait qu’appliquer une politique dictée par sa géographie et son histoire. Dans les années 1950, les Turcs avaient amorcé leur retour stratégique en s’alliant avec les pays non-arabes de la région, l’Iran du Shah et Israël. Mais depuis que le pays a retrouvé stabilité politique et envergure économique, sa réintégration au cœur même du Proche-Orient était inévitable. Son passé, son présent et surtout sa synthèse originale de l’islam politique lui promettent un grand destin régional. Et après tout, on pourrait penser à Ankara qu’il vaut mieux être leader dans la région que dernier en Europe.

Vas-y à Vaduz !

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La République Tchèque et la principauté du Liechtenstein viennent d’établir des relations diplomatiques. Voilà, enfin une bonne nouvelle pour notre continent, un rapprochement qui met fin à une trop longue ignorance réciproque entre deux nations situées au cœur de l’Europe. En fait, Prague n’avait jamais remarqué l’existence de cette principauté alpine coincée entre la Suisse et l’Autriche, et pensait qu’il s’agissait du palais Liechtenstein situé dans le quartier de Mala Strana de la capitale tchèque. Un fonctionnaire subalterne en surfant sur le net a découvert que la ministre des étrangères de la Principauté se nommait Aurélie Frick. Il vient de recevoir une prime.

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Hortefeux et les boutefeux

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Brice Hortefeux

L’ex-Préfet Girot de Langlade aurait eu tort de s’en priver. Il aurait fallu être un saint pour ne pas se réjouir, dans sa situation, des mésaventures arrivées à son ex-ministre de tutelle, Brice Hortefeux. Lesquelles devraient, entre autres leçons, montrer à tous que l’accusation de racisme doit être brandie avec parcimonie et circonspection car elle a tendance à se retourner promptement contre ceux qui en usent pour faire les avantageux.

J’avais défendu ici même pour le préfet le droit à bénéficier d’un débat contradictoire. On me dira que le ministre y a eu droit et qu’il a fort mal plaidé sa cause. Pour autant, comme l’a souligné Philippe Cohen dans Marianne2, la délectation avec laquelle tout ce qui compte dans la France de gauche s’est jetée dans la « chasse au raciste » a quelque chose de particulièrement déplaisant. Et même d’inquiétant. Vendredi après-midi, une copine m’annonçait fièrement :  « J’ai signé, et toi ? » « T’as signé quoi ? » « La pétition pour la démission d’Hortefeux, pardi ! » « Mais vous êtes tous devenus dingues ou quoi ? » Au silence qui a suivi, j’ai compris qu’il allait être sacrément difficile d’avoir sur la question une discussion raisonnable.

Branle-bas de combat ! À la Bastille ! Sur Médiapart, Edwy Plenel est l’un des premiers à renifler l’odeur du sang et à exiger la démission du raciste[1. Si Plenel me permet un conseil confraternel, il ferait mieux de s’économiser car, dans les semaines à venir, il trouvera certainement l’occasion de réclamer des têtes encore plus prestigieuses pour défendre l’honneur de son ami Villepin.]. De la Licra au MRAP, du PS au Parti de Gauche, de SOS Racisme au PRG, c’est un festival de communiqués rivalisant dans l’indignation. Le Monde en appelle aux « valeurs », l’Humanité relooke Hortefeux en « porte-flingue du pétainisme revisité » – rien que ça. C’est qu’un ministre, c’est encore plus chouette qu’un préfet. Avec un peu de chance, on défilera dimanche prochain. À l’heure où Le Pen passe la main, ça nous rappellera le bon vieux temps.

Il faut être honnête, l’émotion suscitée par les supposés propos du ministre semble aller au-delà des habituelles glousseuses. Les optimistes y verront la preuve que la société française est en vérité immunisée contre le racisme, les pleureuses en déduiront que le peuple qui n’a pas de pain (c’est une image) se console avec les Jeux. Quelques heures après la publication de l’article de Cohen, qui n’était pourtant pas tendre pour le ministre, certains de ses lecteurs, enragés, demandaient sa démission de Marianne2. Et après avoir abordé le sujet sur RTL, j’ai reçu des messages outrés, notamment celui de monsieur Capel (il n’a pas précisé son prénom). « Un ministre d’Etat, qui plus est chargé de la sécurité et des cultes, s’autorise une sortie raciste, la seule issue possible me semble la démission », écrit-il. Mais c’est une autre phrase qui m’a fait sursauter : « En tant que penseuse indépendante et rigoureuse, poursuit mon auditeur, vous auriez dû avoir la même opinion que moi, la situation ne souffrait pas la moindre hésitation. » Ah ? Donc, j’ai le droit de réfléchir à condition d’aboutir à la bonne conclusion. Hortefeux, démission !

Il est vrai que si le sarkozysme est aussi une grande machine de com’, le « meilleur ami » du président vient de lui faire connaître de sérieux ratés.

L’Elysée et le gouvernement sont montés au créneau sur le front le plus facile, celui de la société de surveillance, que l’on appelle dans les bons jours société de communication. En général, certains collègues de Brice Hortefeux ne manquent pas une occasion de s’enthousiasmer sur le monde merveilleux d’internet et de la transparence, au point qu’ils s’estiment obligés de faire part de leurs pensées les plus banales à leurs électeurs-lecteurs-twitteurs. À l’inverse, il est amusant d’entendre tous ceux qui, il y a peu, partaient en guerre contre Edvige, se faire une fois de plus les avocats du droit de tous à surveiller tout le monde tout le temps. Sauf que ce n’est pas, ce n’est plus, une excuse. Si les politiques ne savent pas dans quel monde ils vivent, qu’ils changent de métier. Oui, tout ce que vous pourrez dire pourra être retenu contre vous. Donnez-moi deux mots de la bouche d’un homme et je le fais lyncher, on ne vous a rien appris à l’ENA ?

Il faut bien cependant, s’aventurer sur le terrain glissant des propos prêtés au ministre et de leur éventuelle gravité. Autant vous le dire, j’ai la trouille. Je sais qu’un mot mal compris, volontairement ou pas, peut vous conduire en un tournemain sur la prochaine charrette. D’abord, j’ai, comme tout le monde, réécouté de nombreuses fois la « vidéo censurée ». J’ai choqué beaucoup de gens en affirmant que je ne l’aurais sans doute pas diffusée. Ce n’est pas seulement parce que je suis payée par l’Elysée (si seulement…), c’est que je n’aurais pas vu le scoop. Si Hortefeux a dit quelque chose comme « un Arabe ça va, quand ils sont beaucoup bonjour les dégâts » et qu’il l’a dit devant l’Arabe concerné, j’ai beau faire appel à toutes mes fibres humanistes, je n’arrive pas à entendre autre chose que du second degré. C’est le genre de blagues idiotes qu’on fait à causeur quand on en a assez de se disputer sur la taxe carbone ou la taille du président : pourquoi y a-t-il chez nous tant de juifs, de pédés, ou d’alsaciens ? Et franchement, chers lecteurs outrés, c’est le genre de blague que vous entendez ou que vous racontez dans les dîners avec vos copains arabes, noirs et juifs et ça fait marrer tout le monde. Je vous concède que Brice Hortefeux n’a pas le profil de Ludvik, le héros de La Plaisanterie et qu’il a en plus une tête d’Aryen. Et pourtant, si on y réfléchit, ça y ressemble un peu. On ne déconne pas avec la vraie foi. Cette mobilisation d’une meute surchauffée pour une blague me fait penser que, derrière le triomphe des chauffeurs de salle que sont les humoristes appointés, l’esprit de sérieux a gagné. Si plaisanter sur les arabes, les noirs, les juifs ou les nains, c’est être raciste, antisémite ou petitophobe, il faut cesser de plaisanter. Et aussi de rigoler. À moins, évidemment, que vous vouliez tous finir dans la « cage aux phobes » inventée par Muray[2. J’ai récemment employé son « mutins de Panurge » sans guillemets et sans citation parce qu’il me semblait que c’était désormais aussi estampillé Muray que « Rodrigue as-tu du cœur ? » appartient à Corneille, mais j’ai sans doute été un peu optimiste. Il faudra sans doute une ou deux générations pour que la France et la littérature sachent ce qu’elles doivent à Philippe.].

D’accord, me direz-vous, chers lecteurs outrés, et si c’était du premier degré ? Ou, plus exactement, si le second degré ne faisait que révéler les arrière-pensées de Brice Hortefeux ? Si je traduis les propos présumés, cela donne quelque chose comme « des Arabes en France, aucun problème, ce qui peut poser problème, c’est la concentration ». D’accord, ce n’est pas très divers-friendly de penser cela mais que nous disent à longueur de temps les habitants des cités ? Qu’ils ne veulent pas vivre dans des ghettos, c’est-à-dire dans des quartiers où plus de la moitié de la population vient de la même culture qu’eux. Pas parce qu’ils sont racistes, parce qu’ils veulent participer à la promesse française, parce qu’ils veulent voir leurs femmes et leurs filles en robes légères, parce qu’ils veulent que leurs enfants apprennent « nos ancêtres les Gaulois », parce qu’ils veulent parfois manger pendant le ramadan et boire un coup à l’occasion. Au risque de me faire, une fois de plus, traiter de juive honteuse, je trouverais ça un peu étrange qu’un gamin se retrouve, à l’école publique, avec 25 condisciples juifs. Je vous vois venir. Suis-je choquée par les classes de 30 têtes blondes aux noms bien de chez nous ? Suis-je gênée que certains de nos centres-villes soient un peu trop blancs ? Pas vraiment. J’aimerais que l’intégration et même l’assimilation d’autrefois fonctionne, que nos classes et nos rues soient ethniquement mélangées sans même qu’on y prenne garde. J’aimerais qu’Harry Roselmack présente le JT sans qu’on me précise qu’il est noir. J’aimerais que Fadela Amara et Rama Yade soient des ministres, pas des symboles.

Je crois que le racisme, le vrai, le racial, n’a plus cours en France. Qui oserait encore penser que les Arabes ou les Noirs sont « inférieurs » ? En adoptant la religion de l’Humanité, nous avons heureusement banni ces idées (pour le coup) moisies ; ceux qui continuent à croire en elles doivent le faire honteusement et encourent les foudres de la Loi. Tant mieux Seulement, il me semble qu’on qualifie aujourd’hui de raciste toute prétention à considérer qu’il existe une culture française (laquelle se nourrit évidemment depuis toujours d’apports extérieurs) et que ceux qui arrivent doivent s’adapter à elle et à son biorythme au lieu de réclamer qu’elle s’adapte à eux. In Rome, do as the romans do. Non, je n’arrive pas à trouver cette maxime scandaleuse. Je sais qu’elle est difficile à mettre en œuvre, j’admets volontiers qu’elle est discutable. Seulement, il semblerait qu’on n’ait plus vraiment le droit de discuter.

Pour qui sont ces sifflets ?

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Frédéric Mitterrand

Autant vous le dire de suite, les sifflets dont a été l’objet Frédéric Mitterrand ce samedi à la Fête de l’Huma m’ont profondément attristé.

Vous me connaissez, loin de moi l’idée qu’une personnalité officielle soit, es qualités, intouchable. Le lazzi est une forme de communication politique ancestrale, il appartient à notre patrimoine politique, il nous renvoie, bienheureusement, au temps d’avant les dircom. J’aime qu’on dise leur fait à tous, y compris aux plus puissants, et en retour, je ne suis pas de ceux qui s’étouffent quand le président de la République, offensé, réplique sur le même ton, même si en vrai, j’aurai attendu, dans un monde idéal, une riposte plus empreinte de second degré que de langage de cour de récré.

Pour aller au bout, je ne suis pas forcément bégueule quand l’encolère joint le geste à la parole, saccage une préfecture, séquestre un médiateur, ou envoie un œuf pourri sur le minois d’un ministre de l’Agriculture. On est dans le champ naturel de la démocratie. On y est borderline, mais on y est. On rappellera au plus distraits que nos institutions républicaines en marbre froid sont filles de l’Emeute. Des émeutes où ils n’y avaient pas que des horions ou des boulons qui volaient, mais aussi des balles, voire des têtes.

Mais ce qui s’est passé à la Courneuve, n’était pas borderline mais hors limites, quoiqu’il n’y ait pas eu d’agression autre que verbale : « Social-traître ! », « Vendu ! » et autres indigences chansonnières du style « Casse-toi pauvre con ! ». Ces injures étaient intolérables pour une raison simple, mais nodale : Frédéric Mitterrand était invité par le PCF à la Fête de l’Huma.

Que des militants jugent qu’il est inopportun d’accueillir dans le Saint des Saints un ministre sarkozyste en exercice, fût-il bonasse et cultivé, c’est leur droit le plus absolu – après tout leur direction ne leur répète-t-elle pas tous les jours que l’Autre est le mal incarné – mais le cas échéant, c’est leurs propres chefaillons qu’ils eussent dû engueuler pour l’avoir convié. Ils s’en sont bien gardés, et c’est leur problème à eux s’ils respectent maladivement des dirigeants qui les ont menés avec tant de constance à la cata. M’est avis qu’un de ces jours, le PC risque de crever de n’avoir pas su tuer le père, mais c’est une autre histoire…

En attendant, manquer de respect à un invité est impardonnable, c’est une violation des codes humains. Attention, je ne parle pas là de loi républicaine ou de morale prolétarienne, mais de quelque chose qui est bien au-dessus de tout cela et que nous sommes donc supposés tous partager, du guerrier papou au syndicaliste breton et qui, normalement, devrait fédérer, c’est le cas de le dire, l’Humanité.

Sévèrement urné !

9

Après le remous provoqué par la publication de Hold-uPS, arnaques et trahisons, le livre, qui affirme que les cent et quelques voix d’avance qui ont hissé Martine Aubry à la tête du PS étaient le résultat d’un bourrage d’urnes massifs, une autre affaire, similaire, pourrait bientôt éclabousser les collègues d’en face. Selon nos informations, les élections internes du 28 novembre 2004 qui avaient porté Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP (par 85,09 % des voix contre 9,10 % à Nicolas Dupont-Aignan et 5,82 % à Christine Boutin) ont elles aussi été honteusement magouillées. En vrai, il avait obtenu plus de 100% des suffrages exprimés!

Non aux licenciements secs !

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Les salariés de « Culture bière », un resto-musée-concept store consacré à la mousse et sis au 65 Champs-Elysées, sont en grève illimitée avec occupation du lieu de travail. Et pour cause : la direction de l’établissement – propriété du groupe Heineken – a, en effet, décidé de fermer la boutique et de licencier tout le personnel. Si vous passez dans le quartier, n’hésitez pas à aller les soutenir. Ils ont d’autant plus besoin de votre solidarité active qu’ils ne peuvent pas avoir recours aux méthodes traditionnelles : ça ne fera pas peur à grand monde s’ils menacent de faire péter leurs bonbonnes…

Surtout, n’approchez pas !

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Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.
Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé.

Amateurs de sensations fortes, de films d’horreurs ou de scènes de réalité trash et sanglantes filmées au téléphone portable et diffusées sur la Toile, cet article est pour vous.

J’ose espérer qu’à partir de là plus personne ne lit.

Pour les deux pervers qui restent encore en ligne, je retranscris ici, sans commentaire ni jugement de valeurs petits bourgeois mon entretien avec une sériale killeuse (non pédophile cependant, on a sa fierté), ou plutôt son interminable introspection :

« Je sème sur mes pas la mort et la désolation, mon pouvoir est immense, mon souffle est dévastateur. Je connais la jouissance du partouzeur séropositif ou du kamikaze Al Qaïdesque au moment d’appuyer sur la détente. Ma métamorphose est récente, il y a quelques jours encore, j’étais une citoyenne lambda, puis tout a basculé. J’ai ressenti un léger mal de tête, suivi d’une poussée de température fulgurante (un incroyable 37°6), et d’un impitoyable éternuement suivi d’un deuxième… Mon destin était scellé ! J’étais l’une des actrices de la pandémie ! Et là, ma conscience m’a totalement fait défaut. Ai-je précipitamment interrompu mon face-à-face avec un client innocent pour lui sauver la vie ? Non. Ai-je fui dans un couvent ou le sanatorium le plus proche ? Non. Ai-je annulé mes rendez-vous ? Pas plus. Ai-je acheté les masques ? Vous connaissez la réponse. Ai-je contacté les autorités pour me dénoncer ? Je ne vous fais pas un dessin. Ai-je passé à l’alcool mes stylos et le bouton grande tasse de la machine à café (je ne fais pas de café petite tasse) ? Pas davantage. Ai-je arrêté de serrer la main de mes collaborateurs ? Oui évidemment ! Je poursuis avec passion ma nouvelle vocation de meurtrière, mais je ne vais quand même pas risquer de diminuer mes revenus en causant une série d’arrêts-maladie au sein de mon personnel !
Rien. Je n’ai rien fait pour épargner mon prochain. Et pourtant ! J’ai vécu cet enfer. Je sais ce qu’il risque ! Il lui faudra au moins un paquet de kleenex de poche et deux dolipranes pour venir à bout du fléau.
Mais déjà, à peine arrivée au sommet de ma puissance assassine, mes pouvoirs s’estompent un à un. Avant-hier innocente, hier démoniaque, je retombe aujourd’hui parmi la plèbe des gens en bonne santé. Aurais-je vécu dans l’illusion ? N’ai-je attrapé qu’un vulgaire rhume ? Cette pensée m’afflige en me remplissant d’espoir…. Si c’était le cas, j’aurais encore une chance de l’attraper, et de revivre ces moments d’extase où j’ai semé l’apocalypse ! Vivement la grippe aviaire ! Je suis la bombe humaine ! »

À ce moment-là, vous le comprendrez aisément, j’ai pris mes jambes à mon cou car elle a commencé à me regarder bizarrement, et, tous les chasseurs vous le diront, quand la bête fauve commence à vous regarder intensément, deux options : vous lui tirez une balle dans la tête ou vous courez vous mettre à l’abri. L’option une m’est apparue difficile a réaliser, n’étant armée que de mon bloc-notes et mon stylo, j’ai donc opté pour la fuite.

Partagée entre le besoin d’épargner de futures victimes et le devoir de protéger mes sources, je ne vous révèlerai qu’une partie de son identité, qui vous permettra si vous la croisez de fuir au plus vite. Son prénom est Dominique et elle a un nom de terroriste.

J’en profite pour faire mes adieux, j’ai réussi à obtenir un programme de relocalisation des témoins. Bonne chance à vous. Moi, je file.

Plutôt Stone que Moore

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moore

Prêcher des convaincus est sans doute intellectuellement la chose la plus stérile qui soit. On peut comprendre le besoin, surtout quand on est minoritaire, de se retrouver entre soi mais ne pas sortir du cercle condamne à la ratiocination inefficace.

Ce qu’on a appelé du nom si générique et flou d’altermondialisme et qui a redonné, dès le mitan des années 1990, un regain d’espoir à tous ceux qui ne se satisfaisaient pas du nouvel ordre mondial capitaliste et du présent perpétuel promis par Fukuyama après la chute du Mur, risque néanmoins à tout instant cette impasse théorique. En se limitant à des constats renouvelés de forums sociaux en forums sociaux, de contre-sommets du G8 en contre sommets comme celui, meurtrier, de Gênes en 2001, cette mouvance prend le risque de tourner en rond dans la nuit et de se brûler à son feu, pour paraphraser Debord qui savait que toute critique du Spectacle prend le risque d’être elle-même spectaculaire.

En son temps, déjà, Marcuse dans L’homme unidimensionnel avait lui aussi montré la capacité des sociétés capitalistes ou des démocraties bourgeoises, comme on voudra, à intégrer leur propre contestation en leur sein et à gérer ses marginaux comme fausse preuve de sa tolérance.

Michaël Moore et d’Oliver Stone, deux cinéastes américains, que l’on peut qualifier d’adversaire du système et dont verra prochainement les films, illustrent ce paradoxe. L’un d’entre eux a réussi à le surmonter, et pas celui qu’on croit.

Michaël Moore, anticapitaliste de choc, est de tous les bons combats. Avec sa dégaine de working class hero américain, son surpoids popu, il a successivement dénoncé les ravages de la restructuration du secteur automobile (Roger et moi), une société fondée sur la violence et le culte des armes à feu (Bowling for colombine), la présidence Bush (Farheneit 911), j’en passe et des meilleures et, tout récemment, à la Mostra de Venise, Capitalism : a love story, appelant à la destruction de l’économie de marché. Soyons honnête, le programme ne nous déplait pas.

Seulement voilà, Michael Moore, non seulement semble de plus en plus caricatural de film en film, non seulement il flirte avec un certain cynisme (les interviews du grand homme coûtent 2000 euros en moyenne) mais surtout, il ne convainc personne en dehors d’un public acquis, et encore il semblerait à voir les critiques dans les journaux que même ce public commence à s’apercevoir que les ficelles sont un peu grosses, et certains plans franchement obscènes quand caméra à l’épaule, on filme une expulsée en gros plan en la plaignant en voix off pour en rajouter.

Quitte à surprendre certains Causeurs, j’aime profondément l’Amérique et sa capacité à secréter ses propres anticorps quand elle va trop loin ou est sur le point de se renier et je n’aime pas, ou plus Michael Moore.

D’abord parce qu’il est inefficace : sa palme d’or très politique au festival de Cannes n’a pas empêché une réélection triomphale de Bush en 2004 et si la preuve du pudding, c’est qu’il se mange, comme disait Engels, alors Moore n’a rien cuisiné du tout ou un gâteau qui n’existe pas.

Il est intéressant de le comparer avec Oliver Stone, lui aussi présent à la Mostra de Venise pour un documentaire, South of the border, consacré à Chavez et montrant le décalage entre l’image donnée par les médias « foxisés » et la réalité du terrain. À Venise, il a même eu le droit à la visite du président bolivarien en tournée sur le Vieux continent.

Oliver Stone tourne en général des films commerciaux. On le lui reproche souvent. Et pourtant au bout du compte, il aura beaucoup plus fait, en adaptant les canons hollywoodiens, pour une critique intelligente de l’Amérique comme société capitaliste, parfois belliciste et impérialiste, que Moore avec son humour à deux balles.

Je manque peut-être de conscience politique ou de sérieux mais je me suis rendu compte pour la première fois de la mutation financière du capitalisme avec l’inoubliable Wall Street (1987) où Michael Douglas en trader annonçait ceux de Fanny Mae ou Freddy Mac. Un film comme Tueurs nés, que les fines bouches de la critique du Bloc Central avaient trouvé tellement complaisant, était la plus belle dénonciation de l’ultra-violence et de l’absence de repères d’une certaine jeunesse américaine. Et son biopic sur Nixon reste un monument difficilement dépassable sur les risques de dérive autoritaire à la Maison Blanche mais aussi les moyens de la combattre.

En fait, cette différence entre Moore et Stone, cette efficacité tellement plus durable, moins journalistique de Stone, sont dues au fait qu’il refuse l’idée d’avoir un public ou un auditoire conquis d’avance et qu’il n’a pas ce mépris intellectualiste pour la fiction.

Et finalement, cette honnêteté intellectuelle, cette modestie ouvrent non seulement la possibilité de débats mais aussi, encore plus importante, celle, qui sait, de convaincre.

Je vous remets un petit coup ?

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Connaissez-vous le Female Sexual Function Index ? Cette échelle très sérieuse, allant de 2 à 36, est utilisée par les médecins pour mesurer l’épanouissement sexuel de la femme, de l’excitation simple à la fréquence et l’intensité des orgasmes. Des chercheurs de l’université de Florence, sans doute lassés de tripoter des virus grippaux et de tester des vaccins, ont décidé de se changer les idées et d’interroger huit cents transalpines entre dix huit et cinquante ans. Les résultats sont sans appel : tout âge confondu, les femmes buvant plus de deux verres de vin par jour atteignent une moyenne de 27,3 sur l’échelle du FSFI. On descend à 25,9 pour les petites joueuses qui refusent de rhabiller les orphelins et se contentent d’un seul gorgeon quotidien. Quant aux abstèmes en jupons, le score devient digne d’une équipe de Ligue 1 reléguable. Montaigne disait que c’était « la boiteuse qui le faisait le mieux ». On peut désormais penser, même si on s’en doutait un peu, que la buveuse n’a rien à lui envier.

Moyen-Orient : la Grande Porte rentre par la petite

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ankara

Ankara revient aujourd’hui en force là où Constantinople avait été pourchassé en 1918. Le ci-devant « homme malade de l’Europe » est un acteur majeur dans ce qui formait jadis les possessions de l’Empire ottoman, devenues depuis « le monde arabe ». Il est vrai que les divisions et tensions dans la région offrent à la Turquie des occasions d’avancer ses potions comme le montre la toute récente crise irako-syrienne.

Tout a commencé avec l’attentat du 19 août qui a tué une centaine de personnes à Bagdad. Les Irakiens soupçonnent deux membres du parti Baas, l’ancien parti de Saddam Hussein, de l’avoir commandité depuis la Syrie où ils se seraient alliés avec des membres d’Al-Qaïda. Or, la veille, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki avait passé la journée à Damas, justement pour évoquer avec les dirigeants syriens le problème des infiltrations de terroristes à travers leur frontière commune. Parfaitement conscient que les bonnes manières de Damas ne sont pas gratuites, al-Maliki avait amené non seulement son ministre de la Sécurité mais aussi celui du Pétrole.
Quand moins de 24 heures plus tard, les Irakiens découvrent que l’attentat qui visait les ministères des Affaires étrangères et des Finances porte une signature syrienne, ils n’apprécient guère. Al-Maliki, furieux, demande au président syrien l’extradition des deux commanditaires présumés.

Assad ne peut guère s’y opposer sur le principe. Mais il exige des preuves. « Lorsque les accusations ne reposent sur aucune preuve, cela veut dire qu’elles sont irrecevables au regard de la loi », déclare-t-il à la presse. C’est bien normal : depuis son intervention dans l’affaire Clotilde Reiss, son combat pour la présomption d’innocence est de notoriété publique. Les Irakiens se trouvent donc dans la même situation que les Libanais depuis l’assassinat de Rafiq Hariri car un Syrien qui vous demande des preuves, c’est comme un Chinois qui dit « oui »: dans les deux cas, il s’agit d’une manière polie de vous envoyer paître.

Mais l’Irak n’est pas le Liban, et le 25 août Bagdad rappelle son ambassadeur à Damas. Les Syriens répliquent dans la journée en faisant de même. Depuis, les autorités irakiennes qui ont présenté une vidéo d’un jeune Saoudien déclarant appartenir à Al-Qaïda et avoir été entraîné par les services de renseignements syriens exigent un tribunal international et entendent trainer Damas dans une affaire Hariri-2. Bref, en quelques jours, les relations entre la Syrie et l’Irak, qui n’ont jamais été cordiales – l’armée syrienne a participé à la guerre contre Saddam Hussein en 1991 – sont devenues exécrables.

Normalement, ce genre de crise est géré en famille. Cette fois-ci, les capitales arabes et la Ligue du même métal se sont contentées de déclarer qu’il s’agissait d’un conflit « interne » entre les deux parties qui ne nécessitait pas d’intervention extérieure. La tension entre Damas et Bagdad aurait, en vérité, exigé une intervention d’urgence, sauf que personne dans le monde arabe n’est capable de la mener. Les relations entre Moubarak et Assad sont tendues à cause de l’alliance de ce dernier avec l’Iran et de son soutien au Hamas et au Hezbollah, trois ennemis stratégiques du Caire. Les Saoudiens n’ont pas non plus digéré le nouvel Irak, où les chiites jouent un rôle prééminent et dont le premier personnage de l’Etat est membre de cette communauté. Pas question pour Ryad de se porter au secours d’une succursale de l’Iran. Les autres candidats ne sont pas de taille.

Ankara s’est engouffré dans cette faille pour s’imposer comme intermédiaire. Pour ce faire, les Turcs disposent d’un levier de taille : ils tiennent les vannes de l’Euphrate, puisque le grand fleuve mésopotamien naît chez eux avant de traverser la Syrie et Irak. Et justement, il était prévu que les ministres compétents des trois pays riverains se réunissent à Ankara le 3 septembre… Voilà pourquoi depuis une grosse semaine, Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, fait la navette entre Bagdad et Damas avec escale au Caire pour consulter le vieux (81 ans) Moubarak et l’un de ses trois successeurs possibles, le plus jeune ministre des renseignements Omar Suleiman (74 ans). Pour l’instant, il semble que l’objectif principal du Turc est de convaincre les Irakiens de ne pas présenter leurs griefs devant une cour internationale, une démarche qui risquerait d’internationaliser la crise et de la transformer en dynamique incontrôlable.

Après tout, Ankara ne fait qu’appliquer une politique dictée par sa géographie et son histoire. Dans les années 1950, les Turcs avaient amorcé leur retour stratégique en s’alliant avec les pays non-arabes de la région, l’Iran du Shah et Israël. Mais depuis que le pays a retrouvé stabilité politique et envergure économique, sa réintégration au cœur même du Proche-Orient était inévitable. Son passé, son présent et surtout sa synthèse originale de l’islam politique lui promettent un grand destin régional. Et après tout, on pourrait penser à Ankara qu’il vaut mieux être leader dans la région que dernier en Europe.

Vas-y à Vaduz !

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La République Tchèque et la principauté du Liechtenstein viennent d’établir des relations diplomatiques. Voilà, enfin une bonne nouvelle pour notre continent, un rapprochement qui met fin à une trop longue ignorance réciproque entre deux nations situées au cœur de l’Europe. En fait, Prague n’avait jamais remarqué l’existence de cette principauté alpine coincée entre la Suisse et l’Autriche, et pensait qu’il s’agissait du palais Liechtenstein situé dans le quartier de Mala Strana de la capitale tchèque. Un fonctionnaire subalterne en surfant sur le net a découvert que la ministre des étrangères de la Principauté se nommait Aurélie Frick. Il vient de recevoir une prime.