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Iran : la carotte sans le bâton

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teheran

« Speak softly and carry a big stick », disait le président américain Theodore Roosevelt. Avec les Iraniens, Barack Obama a clairement changé de ton : il leur parle avec douceur. On attend qu’il s’empare d’un gros bâton.

Quand un nouveau cycle de négociations s’engage entre l’Iran et les « 5+1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne), nous sommes toujours face à la même question : que veulent vraiment les Iraniens, ou plus exactement le régime et ses soutiens – Gardiens de la révolution, nomenklatura de fonctionnaires et autres bénéficiaires du système actuel ? Depuis juin dernier, le régime est plus que jamais dans une logique de survie, et ses intérêts, y compris géopolitiques, ne sont plus ceux de la nation. Si le « parler doux » d’Obama a certainement quelque chose à voir avec l’émergence récente d’un autre Iran, un bâton gros et crédible reste toujours de mise. Malheureusement, vu de Téhéran, c’est loin d’être le cas.

Vis-à-vis de ce qu’on a l’habitude d’appeler « la communauté internationale », le parti de Khamenei, le guide suprême n’a pas grand-chose à craindre. Les derniers signaux adressés à Téhéran lui laissent une marge de manœuvre considérable. Premier message : le rapprochement moyennement réussi entre Washington et Moscou. Déjà, quelques semaines après son installation à la Maison Blanche, Obama avait proposé à Medvedev le marché suivant : l’arrêt du programme de bouclier antimissile en Europe, en échange de l’appui de Moscou dans le dossier nucléaire iranien. Le marché est conclu le 18 septembre. La Maison Blanche annonce l’arrêt de l’implantation du radar à longue portée en république Tchèque ainsi que de la batterie de missiles intercepteurs en Pologne, et Dimitri Medvedev estime publiquement que les sanctions contre l’Iran sont « inévitables dans certains cas ». Les Iraniens peuvent se délecter de cette magnifique formule qui, tout en se donnant l’air de la fermeté avec l’adjectif « inévitable », se dégonfle avec « en certains cas ».

Le deuxième message a été tout aussi ambigu. En plein milieu du G20, Obama, Brown et Sarkozy, l’air grave, rendent publique dans une conférence de presse improvisée, l’existence d’un site nucléaire iranien non déclaré à Qom. Suit un discours musclé dénonçant le double jeu de Téhéran. Sauf que l’effet conjugué de la fermeté du discours et de la dramatisation de la mise en scène de cette conférence de presse était fortement atténué par des absences très remarquées. Les dirigeants de la Russie, de la Chine et de l’Allemagne, tous présents à Pittsburg, avaient mieux à faire. On peut comprendre Angela Merkel, qui, à quelques jours des élections législatives, n’avait pas intérêt à fâcher qui que ce soit, l’absence de Medvedev est facheuse. Quant aux Chinois, ils ont réitéré jeudi – jour de l’ouverture de négociations – leur opposition à des sanctions contre l’Iran. Pour eux, tout vaut mieux qu’une crise qui fera envoler le prix du baril, mettant ainsi en péril la croissance et la stabilité en Chine. De plus, la Chine vend à l’Iran entre 30 000 et 40 000 barils d’essence par jour, soit un tiers de ses besoins en carburants (l’Iran manque de raffineries) : on voit mal pourquoi elle adhèrerait à un nouveau volet de sanctions contre Téhéran. Bref, l’Iran peut raisonnablement considérer qu’un durcissement des sanctions, notamment sur le commerce d’ hydrocarbures, n’est pas à l’ordre du jour.

La carotte proposée aux Iraniens consiste essentiellement en la reconnaissance de leur pays comme une puissance au seuil du nucléaire militaire. Peu importent les détails techniques, les « 5+1 » sont aujourd’hui prêts à accepter un gel en l’état actuel des choses si Téhéran s’engage à jouer franc-jeu. Mais après l’affaire du site nucléaire de Qom, dernière d’une longue liste de tricheries, peut-on avoir confiance ? La réponse est non, tout simplement parce que Téhéran se sait déjà capable de déjouer pendant de longues années encore chaque tentative pour lui imposer le respect de ses propres engagements. Le régime pourrait donc encaisser à Genève les bénéfices d’une promesse de devenir raisonnables devenir sage et jouer « la vérité si je mens » avec l’AIEA.

Côté bâton, les Occidentaux n’ont qu’un méchant flic : Israël. Quoi que l’on pense de cette option militaire israélienne, de ses conséquences terribles et ses objectifs possibles (pas plus qu’un retard de quelques années du programme nucléaire iranien), son principal mérite est de d’être crédible. Les dirigeants iraniens sont donc obligés d’en tenir compte dans leurs calculs. Ils savent aussi qu’une frappe peut en cacher une autre : peu importent les couleurs peintes sur les ailes des avions d’une première frappe, la deuxième vague sera américaine. Contrairement à la destruction du réacteur irakien en 1981, dans le cas iranien, une opération 100 % ou même 80 % israélienne est impossible. Israël ne peut être que le déclencheur, par le jeu d’alliances et des ripostes, de quelque chose de beaucoup plus terrible et dangereux pour le régime.

Si la crise nucléaire devenue durable et la défiance de la communauté internationale ont rapporté à Khamenei des dividendes, les manifestations de juin lui ont montré que cette politique de brinkmenship – au bord du précipice – a aussi un prix. Cette fissure de la cohésion nationale iranienne a dévoilé le « ventre mou » du régime qui s’appuie désormais sur ses forces de l’ordre plutôt que sur sa légitimité. Or, si les bombardiers ne peuvent rien contre la légitimité (on l’a vue en Serbie), ils peuvent amoindrir la capacité d’un régime de faire face à une insurrection. En clair, les dirigeants iraniens doivent comprendre qu’une « option militaire » peut s’élargir pour inclure les points névralgiques de leur pouvoir, et risque d’ouvrir un boulevard aux forces susceptibles de remplacer les hommes en place. L’armée, menacée d’être engloutie et digérée par les Gardiens de la révolution, est une candidate évidente pour s’emparer d’une telle occasion.

Sexe, vérité et vidéo

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C’est l’histoire d’un animateur-vedette de la télé obligé de confesser en direct live devant des millions de téléspectateurs qu’il a couché avec des femmes de son équipe. Tout ça alors que le public présent dans la salle est plié en quatre à cause de ce qu’il croit être un pastiche de mea culpa d’un sénateur évangéliste englué dans un scandale politico-sexuel avec une girl-scout, alors que non. C’est la stricte vérité et le roi du rire prend à témoin son audience pour expliquer pourquoi il a dû, le matin-même, aller raconter exactement la même bonne histoire chez un juge puisqu’il était menacé par un maître chanteur.

Séance un peu trash de Vivement dimanche prochain de Michel Drucker ? Confession ultime de Michel Denisot ou de PPDA à l’heure du mercato des animateurs ? Non, qu’on se rassure, nous sommes aux Etats-Unis, le présentateur est l’horriblement drôle David Letterman. C’est l’homme le mieux payé de la télévision US et il l’a bien mérité : c’est non seulement un gagman de très haute volée mais aussi un intervieweur hors pair, allez donc voir sur Youtube ses entretiens avec Barack ou Madonna. C’est donc cet homme qui a été obligé de confesser qu’il a couché avec des employées de son show pour court-circuiter son maitre-chanteur (un de ses collègues de CBS) qui lui réclamait deux millions de dollars.

Affaire close en apparence, mais l’éventualité d’un procès en harcèlement de la collaboratrice, voire des collaboratrices qui ont passé du bon temps avec lui n’est en rien écartée. Certes le règlement intérieur de CBS n’interdit pas –contrairement à d’autres chaînes – les galipettes corporate. Mais rien ne nous dit que la «victime» n’ira au pénal pour venger sa vertu et renflouer son PEA malmené par la faillite de Lehmann.

On a vu des vidéos de la dame, des photos. Les sites internet US se sont lancés à ses trousses comme ils ont traqué la maîtresse de DSK, au moment de l’affaire avec la subalterne magyare qui a failli déboulonner le social-démocrate le mieux payé des Etats-Unis.

Reste alors une question : doit-on blâmer Letterman d’avoir fauté dans son diocèse, alors que, comme disait monsieur l’évêque, il vaut toujours mieux faire ça dans celui d’à côté ? Est-il moins drôle pour autant ? Est-ce un horrible salaud qui mérite qu’on lui retire son émission et qu’on l’envoie faire des conférences de repentance libidinale dans les écoles de journalisme au titre des travaux d’intérêt général. La réponse à cette épineuse question, nous la laisserons à Philippe Roth. En vrai, dans la jubilatoire interview qu’il a donnée à Nelly Kaprièlian des Inrocks, il ne parlait pas de David Letterman et de sa collègue, mais de la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsnki. Sauf que comme toujours chez Roth, le cas particulier dégénère illico en problématique universelle : « Je lui en veux de ne pas s’être méfié de ses ennemis, qui le guettaient. Mais il est vrai qu’il faut beaucoup de grandeur d’âme à un homme pour ne pas profiter de la possibilité d’une fellation… »

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Suppos de Satan

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Je vous le disais la semaine dernière, plutôt que de vous engluer dans les benêteries de Villepin, Lahoud, Plenel et Rondot, lisez plutôt de vrais bons romans – américains, of course – avec de vraies belles manips dedans. Je ne saurais donc trop féliciter le staff d’Al Qaida, d’avoir suivi à la lettre ce conseil. Tout le monde a l’air stupéfait par la dernière trouvaille des benladenistes, le suppositoire explosif pour kamikaze, qui déjoue les portiques de sécurité (à moins qu’on décide de traiter tous les passagers à l’huile de ricin deux heures avant l’embarquement). Eh bien, ce procédé était décrit noir sur blanc il y a déjà dix ans par Nick Tosches dans Trinités, un des plus fabuleux romans noirs jamais écrits – à ceci près que les bombes humaines y étaient semtexisées à leur insu. On vous conseillerait donc volontiers de l’acheter. Hélas, il est épuisé depuis quelques années et la maison Gallimard semble peu pressée de le rééditer, on y est sans doute trop occupé par la promo du denier chef d’œuvre de David Foenkinos.

Déficit, y a comme un problème

Le ministre du Budget, Eric Woerth, serait-il nul en maths ? (photo Medef/flickr.com)
Le ministre du Budget, Eric Woerth, serait-il nul en maths ? (photo Medef/flickr.com)

Soucieuse de participer aux efforts conjugués de l’Education nationale et de l’Etat pour remonter le niveau scolaire de nos chères têtes blondes, brunes, rousses ou de toute autre couleur, je propose un cours de rattrapage express en mathématiques du niveau CE1.

Aujourd’hui, nous allons étudier deux opérations fondamentales : la multiplication et la division. Les allergiques aux maths pourront se contenter de lire la première phrase de l’énoncé et la conclusion de l’article, mais ils rateront sans doute leur passage en CE2.

L’énoncé du problème.
Un ministre (nous l’appellerons Eric) ayant perdu malencontreusement 2 % de sa masse salariale peut-il se retrouver (fort) dépourvu de 12 milliards de recettes URSAFF ? Les variables du problème (chiffres disponibles sur le site de l’URSAFF) : nombre de cotisants, salariés du secteur privé = 17,7 millions. Salaire annuel brut moyen : 26580 Euros. Taux moyen de cotisations URSAFF : 44 % du salaire brut.

On retient son souffle pour la première question : quel est le montant global des cotisations annuelles ? La réponse : 26 580 x 17 700 000 x 0.44 = 207 milliards

Nous attaquons maintenant la deuxième question : si la masse salariale (et donc les cotisations) baisse de 2 % , quel est le montant de la baisse de cotisation ? La réponse : 207 x 2 / 100 = 4,14 milliards

Je vous sens épuisés par l’effort, donc nous terminons par une soustraction : 12 milliards de manque à gagner annoncé – 4,14 milliards de baisse de revenus trouvés en effectuant les calculs = 7,86 milliards.

Eric aurait-il besoin de participer à nos sessions de rattrapage ou aurait-il escamoté 7,86 milliards dans des dépenses inavouables ? J’offre dès à présent un cours gratuit à nos camarades du Monde et de Libé (entre autres), qui, sans doute stressés par les cadences de travail infernales (gare au suicide) n’ont pas eu le temps de vérifier les calculs et ont reproduit les chiffres sans aucune analyse.

Si nos amis allergiques aux maths nous ont rejoint, je pourrai conclure par une jolie citation également trouvée sur le site de l’URSAFF : « La masse salariale est restée stable au 2e trimestre 2009 car la baisse de l’emploi de 1.2 % a été compensée par une hausse du salaire moyen de 1.3 % » (la suite des données montre une stabilité sur 12 mois).

Eric n’a donc pas escamoté 7.86 milliards mais bien 12 ! Ne serait-il pas légèrement mythomane ? Ou mal conseillé ?

Pour les polars et les fayots, je vous donne la suite de l’exercice à me rendre sans faute la semaine prochaine. Là on attaque carrément la règle de trois, niveau CM2. Eric nous annonce qu’en 2010 (je sais, on ne le croit plus, mais faisons comme si…) une nouvelle perte de 0.4% nous amènera un déficit de recettes supplémentaires de 9 milliards.
Si 2 % de baisse de recette génère 12 milliards de manque à gagner, une baisse de 0.4 % peut-elle, à elle seule, justifier la perte de 9 milliards ? Nous précisons ici que nous n’avons parlé que du manque à gagner et non pas du déficit qui est estimé à 23 milliards.

Dernière question pour la route.
Combien de jours d’arrêt-maladie et de boites de Valium a-t-on financé avec ce joli magot ? C’est tout pour aujourd’hui, sortez en rang sans bousculer vos petits camarades…

Quand je dis non, c’est oui

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On se souvient de Clara Morgane, ex-star du porno, mobilisée dans un clip citoyen contre le viol. Elle recevait un plombier sculpté comme un Apollon, scène dont on sait qu’elle est grand classique du film X. Et alors que l’honnête travailleur, même pas polonais, avait des idées derrière la clef à molette et songeait à d’autres tuyauteries, la jeune femme lui signifiait un refus ferme et aimable. « Quand je dis non, c’est non ! » Il semblerait que le peuple irlandais, qui avait voté non au referendum sur le TCE l’année dernière, n’ait pas été entendu. On lui a dit que ça comptait pour du beurre. Donc, quand une fille dit non, c’est non. Mais quand il s’agit d’un peuple, qu’il soit danois, irlandais ou français qui dit non, apparemment c’est oui.
Plombiers de tous pays, unissez-vous pour violer les démocraties ! Ces salopes ne savent pas ce qu’elles veulent.

Nicolas est petit

Le pPetit Nicolas

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.

Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.

Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !

Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.

Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.

Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?

La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?

Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…

On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…

Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.

Je veux mon Causeur !

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Causeur ne donne pas uniquement dans la virtualité d’Internet : c’est aussi un mensuel, imprimé sur du vrai papier. L’odeur de l’encre fraîche vous attire ? Précipitez-vous ! Il n’y en aura pas pour tout le monde : le numéro 16 du magazine Causeur vient de paraître. Douze articles inédits, des chroniques, un dossier haut en couleurs consacré à une question d’actualité : « La France est-elle raciste ? » Le magazine Causeur est disponible sur abonnement ou au numéro. Les Strasbourgeois ont également la chance de pouvoir se le procurer à la Librairie Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois). N’hésitez plus !

Demain, la gauche

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SPD

Finalement, je serais presque d’accord avec Luc Rosenzweig : le revival socialo-communiste n’a aucun avenir. Et pour cause, dans un couple, il faut être deux et si le communisme en tant qu’hypothèse est toujours une idée neuve en Europe, le socialisme, lui, n’existe plus. De Bad Godesberg à Manuel Valls, en passant par le tournant français de la rigueur en 1983, l’histoire des partis socialistes en Europe est celle d’une lente atrophie de l’idéal, d’une soumission à l’ordre marchand, d’une manière de fatalisme économique, de signatures répétées de Munich sociaux pour prendre ou garder un pouvoir politique dont le primat n’était plus qu’une fiction. Parfois, avec de très bonnes intentions, celles qui pavent l’enfer, sur l’air du « si ce n’est pas nous qui le faisons, ce sera pire avec les autres. » Le temps où « la gauche essayait » comme disait Halimi a cédé la place au temps de « la gauche sans le peuple » pour paraphraser Eric Conan. Le résultat est sans appel : trois élections présidentielles perdues dont une dès le premier tour. Et, aux dernières élections européennes, 16% des voix. Cela, seulement pour la France…

Le Labour anglais, lui, qui avait cette culture du mouvement social et de l’association avec des syndicats, qui était un parti de la société autant qu’un parti socialiste, est devenu ce que l’on sait avec Tony Blair, qui l’a affublé de l’adjectif new, ce qui est toujours mauvais signe. Pas besoin d’être lecteur de Nietzsche ou amateur d’ortolan pour savoir que la nouvelle philosophie ou la nouvelle cuisine n’ont rien de commun avec la philosophie ou la cuisine. L’histoire du blairisme est une poursuite à peine maquillée du thatchérisme, guerres impérialistes comprises, avec en plus, ce petit côté zèle du converti qui pousse à en rajouter dans la télésurveillance, la criminalisation de la misère, la jeunesse considérée comme une classe dangereuse. Le résultat de tout cela, c’est que l’ectoplasmique Gordon Brown va probablement prendre en juin une dérouillée historique et que le groupe travailliste va se résumer à un Fort Alamo aux Communes.

Les socialistes ont cru masquer leur désertion du social en se réfugiant dans le sociétal. Oublions les 35 heures, et même la CMU et occupons nous du PACS, histoire de faire passer la pilule des privatisations rhabillées en « ouvertures du capital » et aussi nombreuses que sous un gouvernement de droite classique.

Le problème, c’est que pour le sociétal, il y a mieux qu’eux : les écolos, enfin entendons-nous, ces écolos persuadés que l’on peut conjuguer marché et environnement et convaincus que la culpabilisation du prolo fortement carboné suffira à sauver la planète. Résultat des courses, lors de la dernière partielle dans l’ancienne circonscription de Christine Boutin, les socialistes se font doubler par les Verts qui échouent à cinq voix au deuxième tour, nous faisant par la même occasion découvrir une nouvelle catégorie socio-politique – la gauche vallée de Chevreuse.

Résumons-nous, les socialistes, un peu partout, ont espéré garder les classes moyennes en adoptant la langue de l’adversaire. Avant, quand un socialiste parlait de « réforme », on pouvait entendre « progrès social ». Aujourd’hui, quand DSK prononce le mot « réforme », j’ai envie de mettre un casque lourd et de relire Que faire ? de Lénine. Seulement, on a beau être président du Fonds monétaire international, on n’en est pas forcément entendu par ceux qui n’ont plus rien de monétaire dans le fond du porte-monnaie. Quand bien même l’appareil médiatique du Bloc Central aurait décidé que DSK était le meilleur opposant, comme en d’autres temps il décida que c’était Ségolène Royal et encore avant Rocard, autrement dit les donneurs les plus compatibles pour continuer à transfuser l’économie de marché.

La situation est encore plus sombre quand les socialistes tentent de survivre dans une grande coalition comme le SPD qui vient de le payer très cher. Il y avait pourtant lors de la précédente législature, la possibilité d’une majorité SPD-Verts-Die Linke. Mais Oskar Lafontaine devait trop sentir la sueur. Quant à Socrates au Portugal, il a fait du Blair tendance vinho verde pour se retrouver, en fin de compte, obligé de s’allier avec la droite pour continuer à gouverner.

Alors, oui, effectivement, il n’y aura pas de revival socialo-communiste. Le PS français est mort depuis le référendum européen de 2005, quand son électorat historique a voté « non » alors que le parti votait « oui ». Pour le coup, il y avait là un vrai choix de société.

Il n’est pas du tout certain que la droite libérale profite de cet effondrement idéologique et électoral. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite de n’avoir plus en face d’elle, une fois les petites recompositions d’appareils achevées, qu’un conglomérat de centre gauche composé d’un mélange de PS résiduel, de Modem et de verts Chevreuse.
Car partout en Europe, une gauche de la gauche voit le jour. Une gauche nouvelle et pas new. Je n’ai pas oublié ce que disait le vieux prophète de la vieille – l’histoire ne se répète pas ou alors sous forme de farce. Les excellents scores de Die Linke en Allemagne, de l’alliance rouge-verte et de l’extrême gauche au Portugal indiquent que 15 à 20 % des électeurs deux choses croient encore à une révolution par les urnes. Et à chaque scrutin, ils gagnent du terrain.

En France, on n’a pas encore mesuré la nouveauté du Front de Gauche, l’alchimie entre l’ancrage républicain et ouvrier traditionnel du PCF et l’électorat plus jeune d’un Parti de Gauche dont l’un des penseurs majeurs, André Gorz, défend une écologie réellement sociale et la réorientation de la croissance plutôt que la décroissance tendance khmer vert. Sans compter l’apport des anciens chevènementistes en gènes nation/émancipation et celui de la Gauche Unitaire, dissidents du NPA, mais surtout indispensable passerelle avec ce parti et ces militants qui valent beaucoup mieux qu’une direction autiste (de moins en moins d’ailleurs) et une figure instrumentalisée médiatiquement de manière de moins en moins efficace comme l’a prouvé son score calamiteux aux européennes.

Seul l’optimisme est révolutionnaire et il semble bien que cette fameuse crise de la social-démocratie dont ont nous rebat les oreilles soit en fait l’ultime ruse d’un système à bout de souffle pour masquer la naissance en France, mais aussi en Europe, d’une gauche sociale, républicaine, en mesure d’exercer le pouvoir et qui n’a pas peur d’annoncer la couleur : il faut rompre avec le capitalisme, cette idéologie du désastre planétaire en cours.

Le peuple contre les pipoles

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Roman Polanski

Le tir rapide de Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand, dégainant plus vite que leur ombre leur déclaration indignée à propos de l’arrestation à Zurich de Roman Polanski, a profondément choqué les Français. Grâce à la Toile, on a pu voir en temps réel le rejet profond provoqué dans le pays par la mobilisation, en faveur du cinéaste franco-polonais, du ban et de l’arrière-ban des élites culturelles françaises. Quel que soit le média répercutant la nouvelle et faisant état des réactions officielles, les commentaires postés étaient, dans leur écrasante majorité, empreints de colère, voire de dégoût : comment peut-on ainsi réclamer que la justice soit entravée au motif que le justiciable est un artiste de grand talent ? Roman Polanski est peut-être un génie, mais ce génie a abusé d’une fille de treize ans en la faisant boire et en la droguant, tels étaient les principaux arguments de ces commentaires.

Les modérateurs du Point.fr n’avaient jamais vu cela, et se sont fendus, sur le site de l’hebdomadaire, d’une analyse de contenu des 482 messages reçus sur cette affaire en l’espace d’une seule journée, celle du 28 septembre, dont 97% étaient défavorables à Polanski et ses soutiens. On y fustige « la meute germanopratine », la « crypto intelligentsia de notre pays », « l’élite politico-bobo-culturelle » qui a pris la défense du cinéaste.

Ceux qui, comme Marine Le Pen et Dany Cohn-Bendit, ont attendu de sentir d’où venait le vent pour s’exprimer à ce sujet n’ont eu qu’à se laisser porter par l’aquilon des protestations pour se livrer à leur numéro habituel de démagogie.

On aurait tort, pourtant, de ne voir dans ce soulèvement moral de la France d’en bas qu’une nouvelle et désolante manifestation d’un anti-intellectualisme proto-fasciste, résultat de la fascination-répulsion qu’exerce sur la foule la contemplation quotidienne des riches et célèbres.
Dans le cas Polanski, même l’anti-américanisme instinctif des Français n’a pu lui attirer la compassion d’un public qui ne voit dans son affaire que celle d’un homme qui a fui la justice, et qui demande aujourd’hui qu’on le dispense de rendre des comptes dans le cadre d’un procès équitable.

On peut discuter de l’imprescriptibilité en matière de crimes sexuels, résultat de la sensibilité de l’époque face à ce type de criminalité, dont les mouvements féministes et de protection de l’enfance n’ont de cesse de demander un châtiment toujours plus rigoureux. Le droit à l’oubli, sauf en matière de crime contre l’humanité, est un acquis de la civilisation qui permet de vivre ensemble et ne devrait exclure aucune des formes de la sauvagerie humaine.

Mais on ne peut pas demander que cette loi, qui est celle qui s’applique à tous, puisse souffrir d’exception, fût-elle culturelle. Ce message là devrait être entendu par ceux qui ont la charge et l’honneur de parler au nom du peuple qu’ils représentent.

On peut être certain, en revanche, que Roman Polanski pourra retrouver le chemin du cœur du public s’il comparait devant un tribunal de Los Angeles. Sa vie ne se résume pas à cet épisode condamnable. Evadé à neuf ans du ghetto de Cracovie, alors que ses parents étaient déportés et que sa mère ne reviendra pas d’Auschwitz, il ne supporta pas de voir son père refaire sa vie avec une autre femme. Laissé à lui même dès sa première adolescence, il se découvre cinéaste dans la Pologne communiste, et révèle très tôt un talent qui sera internationalement reconnu. A 29 ans il devient célèbre avec son premier long métrage Le couteau dans l’eau, ce qui lui permet de mener une carrière internationale entre Paris, Londres et Los Angeles.
C’est dans cette ville qu’un nouveau drame s’abat sur lui : le sauvage assassinat, en 1969, de son épouse Sharon Tate, enceinte de huit mois, par les membres d’une secte sous l’emprise de Charles Manson.

En dépit de sa notoriété mondiale, Polanski connaît des hauts et des bas dans sa carrière, alternant de grands succès, comme Rosemary’s Baby ou Chinatown avec des échecs retentissants. Sa vie privée, qui n’avait jamais été un long fleuve tranquille, connaît alors des débordements mieux acceptés à l’époque qu’aujourd’hui[1. C’était le temps où la police et la justice française fermaient les yeux sur le comportement sexuel d’un Charles Trénet pas trop regardant sur l’état civil des jeunes gens qu’il fréquentait, et où un Jean-François Revel pouvait se vanter, dans ses Mémoires, d’avoir, par un faux témoignage, sauvé la mise d’un de ses condisciples de Normale sup traîné en justice pour pédophilie…]. Son attirance pour les femmes très jeunes a été une constante que les psys renvoient au traumatisme de la perte de la mère dont l’image idéalisée s’était fixée en lui alors qu’elle avait trente ans. Tous ceux qui ont côtoyé Polanski, comme l’actrice Mia Farrow, on noté son mal-être avec les femmes qui avaient dépassé le seuil de l’adolescence…

Pendant près de trente ans il aura été un fugitif, de luxe, certes, mais un fugitif tout de même. Un destin tragique, sublimé dans une activité artistique que le malheur nourrit et féconde. Cela se plaide, pour autant que l’on accepte de rendre des comptes à une justice rendue par des hommes qui ont eu la chance de mener des vies ordinaires.

Déshabillez-moi

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Depuis plus d’un an, les jaloux et les ignorants accusent la prodigieuse popeuse new-yorkaise Lady GaGa d’avoir construit son succès planétaire sur son seul look déjanté. Certes, ses tenues rockissimes ravalent Carla Bruni au rang de Bernadette Chirac, mais Lady G semble en avoir marre de passer pour un dressing room chantant. Du coup, elle a décidé d’apparaître entièrement nue pour le clip de promo de sa prochaine tournée, qu’elle effectuera avec Kanye West. On en est jalouses, mais ravies, et on espère que ça ne donnera pas des idées similaires à Céline Dion ou à Cali.

Iran : la carotte sans le bâton

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teheran

« Speak softly and carry a big stick », disait le président américain Theodore Roosevelt. Avec les Iraniens, Barack Obama a clairement changé de ton : il leur parle avec douceur. On attend qu’il s’empare d’un gros bâton.

Quand un nouveau cycle de négociations s’engage entre l’Iran et les « 5+1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne), nous sommes toujours face à la même question : que veulent vraiment les Iraniens, ou plus exactement le régime et ses soutiens – Gardiens de la révolution, nomenklatura de fonctionnaires et autres bénéficiaires du système actuel ? Depuis juin dernier, le régime est plus que jamais dans une logique de survie, et ses intérêts, y compris géopolitiques, ne sont plus ceux de la nation. Si le « parler doux » d’Obama a certainement quelque chose à voir avec l’émergence récente d’un autre Iran, un bâton gros et crédible reste toujours de mise. Malheureusement, vu de Téhéran, c’est loin d’être le cas.

Vis-à-vis de ce qu’on a l’habitude d’appeler « la communauté internationale », le parti de Khamenei, le guide suprême n’a pas grand-chose à craindre. Les derniers signaux adressés à Téhéran lui laissent une marge de manœuvre considérable. Premier message : le rapprochement moyennement réussi entre Washington et Moscou. Déjà, quelques semaines après son installation à la Maison Blanche, Obama avait proposé à Medvedev le marché suivant : l’arrêt du programme de bouclier antimissile en Europe, en échange de l’appui de Moscou dans le dossier nucléaire iranien. Le marché est conclu le 18 septembre. La Maison Blanche annonce l’arrêt de l’implantation du radar à longue portée en république Tchèque ainsi que de la batterie de missiles intercepteurs en Pologne, et Dimitri Medvedev estime publiquement que les sanctions contre l’Iran sont « inévitables dans certains cas ». Les Iraniens peuvent se délecter de cette magnifique formule qui, tout en se donnant l’air de la fermeté avec l’adjectif « inévitable », se dégonfle avec « en certains cas ».

Le deuxième message a été tout aussi ambigu. En plein milieu du G20, Obama, Brown et Sarkozy, l’air grave, rendent publique dans une conférence de presse improvisée, l’existence d’un site nucléaire iranien non déclaré à Qom. Suit un discours musclé dénonçant le double jeu de Téhéran. Sauf que l’effet conjugué de la fermeté du discours et de la dramatisation de la mise en scène de cette conférence de presse était fortement atténué par des absences très remarquées. Les dirigeants de la Russie, de la Chine et de l’Allemagne, tous présents à Pittsburg, avaient mieux à faire. On peut comprendre Angela Merkel, qui, à quelques jours des élections législatives, n’avait pas intérêt à fâcher qui que ce soit, l’absence de Medvedev est facheuse. Quant aux Chinois, ils ont réitéré jeudi – jour de l’ouverture de négociations – leur opposition à des sanctions contre l’Iran. Pour eux, tout vaut mieux qu’une crise qui fera envoler le prix du baril, mettant ainsi en péril la croissance et la stabilité en Chine. De plus, la Chine vend à l’Iran entre 30 000 et 40 000 barils d’essence par jour, soit un tiers de ses besoins en carburants (l’Iran manque de raffineries) : on voit mal pourquoi elle adhèrerait à un nouveau volet de sanctions contre Téhéran. Bref, l’Iran peut raisonnablement considérer qu’un durcissement des sanctions, notamment sur le commerce d’ hydrocarbures, n’est pas à l’ordre du jour.

La carotte proposée aux Iraniens consiste essentiellement en la reconnaissance de leur pays comme une puissance au seuil du nucléaire militaire. Peu importent les détails techniques, les « 5+1 » sont aujourd’hui prêts à accepter un gel en l’état actuel des choses si Téhéran s’engage à jouer franc-jeu. Mais après l’affaire du site nucléaire de Qom, dernière d’une longue liste de tricheries, peut-on avoir confiance ? La réponse est non, tout simplement parce que Téhéran se sait déjà capable de déjouer pendant de longues années encore chaque tentative pour lui imposer le respect de ses propres engagements. Le régime pourrait donc encaisser à Genève les bénéfices d’une promesse de devenir raisonnables devenir sage et jouer « la vérité si je mens » avec l’AIEA.

Côté bâton, les Occidentaux n’ont qu’un méchant flic : Israël. Quoi que l’on pense de cette option militaire israélienne, de ses conséquences terribles et ses objectifs possibles (pas plus qu’un retard de quelques années du programme nucléaire iranien), son principal mérite est de d’être crédible. Les dirigeants iraniens sont donc obligés d’en tenir compte dans leurs calculs. Ils savent aussi qu’une frappe peut en cacher une autre : peu importent les couleurs peintes sur les ailes des avions d’une première frappe, la deuxième vague sera américaine. Contrairement à la destruction du réacteur irakien en 1981, dans le cas iranien, une opération 100 % ou même 80 % israélienne est impossible. Israël ne peut être que le déclencheur, par le jeu d’alliances et des ripostes, de quelque chose de beaucoup plus terrible et dangereux pour le régime.

Si la crise nucléaire devenue durable et la défiance de la communauté internationale ont rapporté à Khamenei des dividendes, les manifestations de juin lui ont montré que cette politique de brinkmenship – au bord du précipice – a aussi un prix. Cette fissure de la cohésion nationale iranienne a dévoilé le « ventre mou » du régime qui s’appuie désormais sur ses forces de l’ordre plutôt que sur sa légitimité. Or, si les bombardiers ne peuvent rien contre la légitimité (on l’a vue en Serbie), ils peuvent amoindrir la capacité d’un régime de faire face à une insurrection. En clair, les dirigeants iraniens doivent comprendre qu’une « option militaire » peut s’élargir pour inclure les points névralgiques de leur pouvoir, et risque d’ouvrir un boulevard aux forces susceptibles de remplacer les hommes en place. L’armée, menacée d’être engloutie et digérée par les Gardiens de la révolution, est une candidate évidente pour s’emparer d’une telle occasion.

Sexe, vérité et vidéo

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letterman

C’est l’histoire d’un animateur-vedette de la télé obligé de confesser en direct live devant des millions de téléspectateurs qu’il a couché avec des femmes de son équipe. Tout ça alors que le public présent dans la salle est plié en quatre à cause de ce qu’il croit être un pastiche de mea culpa d’un sénateur évangéliste englué dans un scandale politico-sexuel avec une girl-scout, alors que non. C’est la stricte vérité et le roi du rire prend à témoin son audience pour expliquer pourquoi il a dû, le matin-même, aller raconter exactement la même bonne histoire chez un juge puisqu’il était menacé par un maître chanteur.

Séance un peu trash de Vivement dimanche prochain de Michel Drucker ? Confession ultime de Michel Denisot ou de PPDA à l’heure du mercato des animateurs ? Non, qu’on se rassure, nous sommes aux Etats-Unis, le présentateur est l’horriblement drôle David Letterman. C’est l’homme le mieux payé de la télévision US et il l’a bien mérité : c’est non seulement un gagman de très haute volée mais aussi un intervieweur hors pair, allez donc voir sur Youtube ses entretiens avec Barack ou Madonna. C’est donc cet homme qui a été obligé de confesser qu’il a couché avec des employées de son show pour court-circuiter son maitre-chanteur (un de ses collègues de CBS) qui lui réclamait deux millions de dollars.

Affaire close en apparence, mais l’éventualité d’un procès en harcèlement de la collaboratrice, voire des collaboratrices qui ont passé du bon temps avec lui n’est en rien écartée. Certes le règlement intérieur de CBS n’interdit pas –contrairement à d’autres chaînes – les galipettes corporate. Mais rien ne nous dit que la «victime» n’ira au pénal pour venger sa vertu et renflouer son PEA malmené par la faillite de Lehmann.

On a vu des vidéos de la dame, des photos. Les sites internet US se sont lancés à ses trousses comme ils ont traqué la maîtresse de DSK, au moment de l’affaire avec la subalterne magyare qui a failli déboulonner le social-démocrate le mieux payé des Etats-Unis.

Reste alors une question : doit-on blâmer Letterman d’avoir fauté dans son diocèse, alors que, comme disait monsieur l’évêque, il vaut toujours mieux faire ça dans celui d’à côté ? Est-il moins drôle pour autant ? Est-ce un horrible salaud qui mérite qu’on lui retire son émission et qu’on l’envoie faire des conférences de repentance libidinale dans les écoles de journalisme au titre des travaux d’intérêt général. La réponse à cette épineuse question, nous la laisserons à Philippe Roth. En vrai, dans la jubilatoire interview qu’il a donnée à Nelly Kaprièlian des Inrocks, il ne parlait pas de David Letterman et de sa collègue, mais de la relation de Bill Clinton avec Monica Lewinsnki. Sauf que comme toujours chez Roth, le cas particulier dégénère illico en problématique universelle : « Je lui en veux de ne pas s’être méfié de ses ennemis, qui le guettaient. Mais il est vrai qu’il faut beaucoup de grandeur d’âme à un homme pour ne pas profiter de la possibilité d’une fellation… »

Les livres de Zuckerman : Exit le fantôme

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Suppos de Satan

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Je vous le disais la semaine dernière, plutôt que de vous engluer dans les benêteries de Villepin, Lahoud, Plenel et Rondot, lisez plutôt de vrais bons romans – américains, of course – avec de vraies belles manips dedans. Je ne saurais donc trop féliciter le staff d’Al Qaida, d’avoir suivi à la lettre ce conseil. Tout le monde a l’air stupéfait par la dernière trouvaille des benladenistes, le suppositoire explosif pour kamikaze, qui déjoue les portiques de sécurité (à moins qu’on décide de traiter tous les passagers à l’huile de ricin deux heures avant l’embarquement). Eh bien, ce procédé était décrit noir sur blanc il y a déjà dix ans par Nick Tosches dans Trinités, un des plus fabuleux romans noirs jamais écrits – à ceci près que les bombes humaines y étaient semtexisées à leur insu. On vous conseillerait donc volontiers de l’acheter. Hélas, il est épuisé depuis quelques années et la maison Gallimard semble peu pressée de le rééditer, on y est sans doute trop occupé par la promo du denier chef d’œuvre de David Foenkinos.

Déficit, y a comme un problème

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Le ministre du Budget, Eric Woerth, serait-il nul en maths ? (photo Medef/flickr.com)
Le ministre du Budget, Eric Woerth, serait-il nul en maths ? (photo Medef/flickr.com)
Le ministre du Budget, Eric Woerth, serait-il nul en maths ? (photo Medef/flickr.com)

Soucieuse de participer aux efforts conjugués de l’Education nationale et de l’Etat pour remonter le niveau scolaire de nos chères têtes blondes, brunes, rousses ou de toute autre couleur, je propose un cours de rattrapage express en mathématiques du niveau CE1.

Aujourd’hui, nous allons étudier deux opérations fondamentales : la multiplication et la division. Les allergiques aux maths pourront se contenter de lire la première phrase de l’énoncé et la conclusion de l’article, mais ils rateront sans doute leur passage en CE2.

L’énoncé du problème.
Un ministre (nous l’appellerons Eric) ayant perdu malencontreusement 2 % de sa masse salariale peut-il se retrouver (fort) dépourvu de 12 milliards de recettes URSAFF ? Les variables du problème (chiffres disponibles sur le site de l’URSAFF) : nombre de cotisants, salariés du secteur privé = 17,7 millions. Salaire annuel brut moyen : 26580 Euros. Taux moyen de cotisations URSAFF : 44 % du salaire brut.

On retient son souffle pour la première question : quel est le montant global des cotisations annuelles ? La réponse : 26 580 x 17 700 000 x 0.44 = 207 milliards

Nous attaquons maintenant la deuxième question : si la masse salariale (et donc les cotisations) baisse de 2 % , quel est le montant de la baisse de cotisation ? La réponse : 207 x 2 / 100 = 4,14 milliards

Je vous sens épuisés par l’effort, donc nous terminons par une soustraction : 12 milliards de manque à gagner annoncé – 4,14 milliards de baisse de revenus trouvés en effectuant les calculs = 7,86 milliards.

Eric aurait-il besoin de participer à nos sessions de rattrapage ou aurait-il escamoté 7,86 milliards dans des dépenses inavouables ? J’offre dès à présent un cours gratuit à nos camarades du Monde et de Libé (entre autres), qui, sans doute stressés par les cadences de travail infernales (gare au suicide) n’ont pas eu le temps de vérifier les calculs et ont reproduit les chiffres sans aucune analyse.

Si nos amis allergiques aux maths nous ont rejoint, je pourrai conclure par une jolie citation également trouvée sur le site de l’URSAFF : « La masse salariale est restée stable au 2e trimestre 2009 car la baisse de l’emploi de 1.2 % a été compensée par une hausse du salaire moyen de 1.3 % » (la suite des données montre une stabilité sur 12 mois).

Eric n’a donc pas escamoté 7.86 milliards mais bien 12 ! Ne serait-il pas légèrement mythomane ? Ou mal conseillé ?

Pour les polars et les fayots, je vous donne la suite de l’exercice à me rendre sans faute la semaine prochaine. Là on attaque carrément la règle de trois, niveau CM2. Eric nous annonce qu’en 2010 (je sais, on ne le croit plus, mais faisons comme si…) une nouvelle perte de 0.4% nous amènera un déficit de recettes supplémentaires de 9 milliards.
Si 2 % de baisse de recette génère 12 milliards de manque à gagner, une baisse de 0.4 % peut-elle, à elle seule, justifier la perte de 9 milliards ? Nous précisons ici que nous n’avons parlé que du manque à gagner et non pas du déficit qui est estimé à 23 milliards.

Dernière question pour la route.
Combien de jours d’arrêt-maladie et de boites de Valium a-t-on financé avec ce joli magot ? C’est tout pour aujourd’hui, sortez en rang sans bousculer vos petits camarades…

Quand je dis non, c’est oui

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On se souvient de Clara Morgane, ex-star du porno, mobilisée dans un clip citoyen contre le viol. Elle recevait un plombier sculpté comme un Apollon, scène dont on sait qu’elle est grand classique du film X. Et alors que l’honnête travailleur, même pas polonais, avait des idées derrière la clef à molette et songeait à d’autres tuyauteries, la jeune femme lui signifiait un refus ferme et aimable. « Quand je dis non, c’est non ! » Il semblerait que le peuple irlandais, qui avait voté non au referendum sur le TCE l’année dernière, n’ait pas été entendu. On lui a dit que ça comptait pour du beurre. Donc, quand une fille dit non, c’est non. Mais quand il s’agit d’un peuple, qu’il soit danois, irlandais ou français qui dit non, apparemment c’est oui.
Plombiers de tous pays, unissez-vous pour violer les démocraties ! Ces salopes ne savent pas ce qu’elles veulent.

Nicolas est petit

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Le pPetit Nicolas

Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.

Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.

Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !

Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.

Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.

Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?

La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?

Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…

On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…

Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.

LA RENTREE DU PETIT NICOLAS

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Je veux mon Causeur !

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Causeur ne donne pas uniquement dans la virtualité d’Internet : c’est aussi un mensuel, imprimé sur du vrai papier. L’odeur de l’encre fraîche vous attire ? Précipitez-vous ! Il n’y en aura pas pour tout le monde : le numéro 16 du magazine Causeur vient de paraître. Douze articles inédits, des chroniques, un dossier haut en couleurs consacré à une question d’actualité : « La France est-elle raciste ? » Le magazine Causeur est disponible sur abonnement ou au numéro. Les Strasbourgeois ont également la chance de pouvoir se le procurer à la Librairie Kléber, 1 rue des Francs-Bourgeois). N’hésitez plus !

Demain, la gauche

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SPD

Finalement, je serais presque d’accord avec Luc Rosenzweig : le revival socialo-communiste n’a aucun avenir. Et pour cause, dans un couple, il faut être deux et si le communisme en tant qu’hypothèse est toujours une idée neuve en Europe, le socialisme, lui, n’existe plus. De Bad Godesberg à Manuel Valls, en passant par le tournant français de la rigueur en 1983, l’histoire des partis socialistes en Europe est celle d’une lente atrophie de l’idéal, d’une soumission à l’ordre marchand, d’une manière de fatalisme économique, de signatures répétées de Munich sociaux pour prendre ou garder un pouvoir politique dont le primat n’était plus qu’une fiction. Parfois, avec de très bonnes intentions, celles qui pavent l’enfer, sur l’air du « si ce n’est pas nous qui le faisons, ce sera pire avec les autres. » Le temps où « la gauche essayait » comme disait Halimi a cédé la place au temps de « la gauche sans le peuple » pour paraphraser Eric Conan. Le résultat est sans appel : trois élections présidentielles perdues dont une dès le premier tour. Et, aux dernières élections européennes, 16% des voix. Cela, seulement pour la France…

Le Labour anglais, lui, qui avait cette culture du mouvement social et de l’association avec des syndicats, qui était un parti de la société autant qu’un parti socialiste, est devenu ce que l’on sait avec Tony Blair, qui l’a affublé de l’adjectif new, ce qui est toujours mauvais signe. Pas besoin d’être lecteur de Nietzsche ou amateur d’ortolan pour savoir que la nouvelle philosophie ou la nouvelle cuisine n’ont rien de commun avec la philosophie ou la cuisine. L’histoire du blairisme est une poursuite à peine maquillée du thatchérisme, guerres impérialistes comprises, avec en plus, ce petit côté zèle du converti qui pousse à en rajouter dans la télésurveillance, la criminalisation de la misère, la jeunesse considérée comme une classe dangereuse. Le résultat de tout cela, c’est que l’ectoplasmique Gordon Brown va probablement prendre en juin une dérouillée historique et que le groupe travailliste va se résumer à un Fort Alamo aux Communes.

Les socialistes ont cru masquer leur désertion du social en se réfugiant dans le sociétal. Oublions les 35 heures, et même la CMU et occupons nous du PACS, histoire de faire passer la pilule des privatisations rhabillées en « ouvertures du capital » et aussi nombreuses que sous un gouvernement de droite classique.

Le problème, c’est que pour le sociétal, il y a mieux qu’eux : les écolos, enfin entendons-nous, ces écolos persuadés que l’on peut conjuguer marché et environnement et convaincus que la culpabilisation du prolo fortement carboné suffira à sauver la planète. Résultat des courses, lors de la dernière partielle dans l’ancienne circonscription de Christine Boutin, les socialistes se font doubler par les Verts qui échouent à cinq voix au deuxième tour, nous faisant par la même occasion découvrir une nouvelle catégorie socio-politique – la gauche vallée de Chevreuse.

Résumons-nous, les socialistes, un peu partout, ont espéré garder les classes moyennes en adoptant la langue de l’adversaire. Avant, quand un socialiste parlait de « réforme », on pouvait entendre « progrès social ». Aujourd’hui, quand DSK prononce le mot « réforme », j’ai envie de mettre un casque lourd et de relire Que faire ? de Lénine. Seulement, on a beau être président du Fonds monétaire international, on n’en est pas forcément entendu par ceux qui n’ont plus rien de monétaire dans le fond du porte-monnaie. Quand bien même l’appareil médiatique du Bloc Central aurait décidé que DSK était le meilleur opposant, comme en d’autres temps il décida que c’était Ségolène Royal et encore avant Rocard, autrement dit les donneurs les plus compatibles pour continuer à transfuser l’économie de marché.

La situation est encore plus sombre quand les socialistes tentent de survivre dans une grande coalition comme le SPD qui vient de le payer très cher. Il y avait pourtant lors de la précédente législature, la possibilité d’une majorité SPD-Verts-Die Linke. Mais Oskar Lafontaine devait trop sentir la sueur. Quant à Socrates au Portugal, il a fait du Blair tendance vinho verde pour se retrouver, en fin de compte, obligé de s’allier avec la droite pour continuer à gouverner.

Alors, oui, effectivement, il n’y aura pas de revival socialo-communiste. Le PS français est mort depuis le référendum européen de 2005, quand son électorat historique a voté « non » alors que le parti votait « oui ». Pour le coup, il y avait là un vrai choix de société.

Il n’est pas du tout certain que la droite libérale profite de cet effondrement idéologique et électoral. Qu’elle ne se réjouisse pas trop vite de n’avoir plus en face d’elle, une fois les petites recompositions d’appareils achevées, qu’un conglomérat de centre gauche composé d’un mélange de PS résiduel, de Modem et de verts Chevreuse.
Car partout en Europe, une gauche de la gauche voit le jour. Une gauche nouvelle et pas new. Je n’ai pas oublié ce que disait le vieux prophète de la vieille – l’histoire ne se répète pas ou alors sous forme de farce. Les excellents scores de Die Linke en Allemagne, de l’alliance rouge-verte et de l’extrême gauche au Portugal indiquent que 15 à 20 % des électeurs deux choses croient encore à une révolution par les urnes. Et à chaque scrutin, ils gagnent du terrain.

En France, on n’a pas encore mesuré la nouveauté du Front de Gauche, l’alchimie entre l’ancrage républicain et ouvrier traditionnel du PCF et l’électorat plus jeune d’un Parti de Gauche dont l’un des penseurs majeurs, André Gorz, défend une écologie réellement sociale et la réorientation de la croissance plutôt que la décroissance tendance khmer vert. Sans compter l’apport des anciens chevènementistes en gènes nation/émancipation et celui de la Gauche Unitaire, dissidents du NPA, mais surtout indispensable passerelle avec ce parti et ces militants qui valent beaucoup mieux qu’une direction autiste (de moins en moins d’ailleurs) et une figure instrumentalisée médiatiquement de manière de moins en moins efficace comme l’a prouvé son score calamiteux aux européennes.

Seul l’optimisme est révolutionnaire et il semble bien que cette fameuse crise de la social-démocratie dont ont nous rebat les oreilles soit en fait l’ultime ruse d’un système à bout de souffle pour masquer la naissance en France, mais aussi en Europe, d’une gauche sociale, républicaine, en mesure d’exercer le pouvoir et qui n’a pas peur d’annoncer la couleur : il faut rompre avec le capitalisme, cette idéologie du désastre planétaire en cours.

Le peuple contre les pipoles

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Roman Polanski

Le tir rapide de Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand, dégainant plus vite que leur ombre leur déclaration indignée à propos de l’arrestation à Zurich de Roman Polanski, a profondément choqué les Français. Grâce à la Toile, on a pu voir en temps réel le rejet profond provoqué dans le pays par la mobilisation, en faveur du cinéaste franco-polonais, du ban et de l’arrière-ban des élites culturelles françaises. Quel que soit le média répercutant la nouvelle et faisant état des réactions officielles, les commentaires postés étaient, dans leur écrasante majorité, empreints de colère, voire de dégoût : comment peut-on ainsi réclamer que la justice soit entravée au motif que le justiciable est un artiste de grand talent ? Roman Polanski est peut-être un génie, mais ce génie a abusé d’une fille de treize ans en la faisant boire et en la droguant, tels étaient les principaux arguments de ces commentaires.

Les modérateurs du Point.fr n’avaient jamais vu cela, et se sont fendus, sur le site de l’hebdomadaire, d’une analyse de contenu des 482 messages reçus sur cette affaire en l’espace d’une seule journée, celle du 28 septembre, dont 97% étaient défavorables à Polanski et ses soutiens. On y fustige « la meute germanopratine », la « crypto intelligentsia de notre pays », « l’élite politico-bobo-culturelle » qui a pris la défense du cinéaste.

Ceux qui, comme Marine Le Pen et Dany Cohn-Bendit, ont attendu de sentir d’où venait le vent pour s’exprimer à ce sujet n’ont eu qu’à se laisser porter par l’aquilon des protestations pour se livrer à leur numéro habituel de démagogie.

On aurait tort, pourtant, de ne voir dans ce soulèvement moral de la France d’en bas qu’une nouvelle et désolante manifestation d’un anti-intellectualisme proto-fasciste, résultat de la fascination-répulsion qu’exerce sur la foule la contemplation quotidienne des riches et célèbres.
Dans le cas Polanski, même l’anti-américanisme instinctif des Français n’a pu lui attirer la compassion d’un public qui ne voit dans son affaire que celle d’un homme qui a fui la justice, et qui demande aujourd’hui qu’on le dispense de rendre des comptes dans le cadre d’un procès équitable.

On peut discuter de l’imprescriptibilité en matière de crimes sexuels, résultat de la sensibilité de l’époque face à ce type de criminalité, dont les mouvements féministes et de protection de l’enfance n’ont de cesse de demander un châtiment toujours plus rigoureux. Le droit à l’oubli, sauf en matière de crime contre l’humanité, est un acquis de la civilisation qui permet de vivre ensemble et ne devrait exclure aucune des formes de la sauvagerie humaine.

Mais on ne peut pas demander que cette loi, qui est celle qui s’applique à tous, puisse souffrir d’exception, fût-elle culturelle. Ce message là devrait être entendu par ceux qui ont la charge et l’honneur de parler au nom du peuple qu’ils représentent.

On peut être certain, en revanche, que Roman Polanski pourra retrouver le chemin du cœur du public s’il comparait devant un tribunal de Los Angeles. Sa vie ne se résume pas à cet épisode condamnable. Evadé à neuf ans du ghetto de Cracovie, alors que ses parents étaient déportés et que sa mère ne reviendra pas d’Auschwitz, il ne supporta pas de voir son père refaire sa vie avec une autre femme. Laissé à lui même dès sa première adolescence, il se découvre cinéaste dans la Pologne communiste, et révèle très tôt un talent qui sera internationalement reconnu. A 29 ans il devient célèbre avec son premier long métrage Le couteau dans l’eau, ce qui lui permet de mener une carrière internationale entre Paris, Londres et Los Angeles.
C’est dans cette ville qu’un nouveau drame s’abat sur lui : le sauvage assassinat, en 1969, de son épouse Sharon Tate, enceinte de huit mois, par les membres d’une secte sous l’emprise de Charles Manson.

En dépit de sa notoriété mondiale, Polanski connaît des hauts et des bas dans sa carrière, alternant de grands succès, comme Rosemary’s Baby ou Chinatown avec des échecs retentissants. Sa vie privée, qui n’avait jamais été un long fleuve tranquille, connaît alors des débordements mieux acceptés à l’époque qu’aujourd’hui[1. C’était le temps où la police et la justice française fermaient les yeux sur le comportement sexuel d’un Charles Trénet pas trop regardant sur l’état civil des jeunes gens qu’il fréquentait, et où un Jean-François Revel pouvait se vanter, dans ses Mémoires, d’avoir, par un faux témoignage, sauvé la mise d’un de ses condisciples de Normale sup traîné en justice pour pédophilie…]. Son attirance pour les femmes très jeunes a été une constante que les psys renvoient au traumatisme de la perte de la mère dont l’image idéalisée s’était fixée en lui alors qu’elle avait trente ans. Tous ceux qui ont côtoyé Polanski, comme l’actrice Mia Farrow, on noté son mal-être avec les femmes qui avaient dépassé le seuil de l’adolescence…

Pendant près de trente ans il aura été un fugitif, de luxe, certes, mais un fugitif tout de même. Un destin tragique, sublimé dans une activité artistique que le malheur nourrit et féconde. Cela se plaide, pour autant que l’on accepte de rendre des comptes à une justice rendue par des hommes qui ont eu la chance de mener des vies ordinaires.

Déshabillez-moi

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Depuis plus d’un an, les jaloux et les ignorants accusent la prodigieuse popeuse new-yorkaise Lady GaGa d’avoir construit son succès planétaire sur son seul look déjanté. Certes, ses tenues rockissimes ravalent Carla Bruni au rang de Bernadette Chirac, mais Lady G semble en avoir marre de passer pour un dressing room chantant. Du coup, elle a décidé d’apparaître entièrement nue pour le clip de promo de sa prochaine tournée, qu’elle effectuera avec Kanye West. On en est jalouses, mais ravies, et on espère que ça ne donnera pas des idées similaires à Céline Dion ou à Cali.