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Mohammad Rasoulof: et pourtant, il tourne!

La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, même si l’on peut se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant: « Les Graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof


Les Graines du figuier sauvage est l’un des titres les plus poétiques et les plus mystérieux du dernier Festival de Cannes, et le film qui se cache derrière a tenu toutes ces promesses. Le jury ne s’y est heureusement pas trompé, il a décerné son « Prix spécial » à l’œuvre écrite et réalisée par le très talentueux cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Rappelons en préambule que ce dernier ne cesse depuis 2010 de guerroyer avec les autorités de Téhéran. Cette année-là, il est arrêté avec son collègue Jafar Panahi pour « actes et propagandes hostiles à la République islamique d’Iran » et condamné à un an de prison. Neuf ans et trois films plus tard, dont le brillant Un homme intègre, il est inculpé pour des faits similaires et condamné à la même peine. En 2020, son film Le diable n’existe pas,charge implacable contre la peine de mort, remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin mais, interdit de sortie de territoire, le réalisateur ne peut aller chercher son prix en Allemagne. Son cauchemar se poursuit en juillet 2022 avec une nouvelle arrestation qui fait suite à la publication d’une tribune critiquant vertement l’attitude des forces de l’ordre dans la répression des manifestations populaires. Et en 2024, le cinéaste est condamné à huit ans de prison dont cinq ferme pour « collusion contre la sécurité nationale ». Et pourtant… il tourne ! comme l’a prouvé la sélection cannoise de ces Graines du figuier sauvage. Et c’est clandestinement, le 12 mai dernier, qu’il a quitté son pays pour rejoindre la Croisette.

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Que l’on ne s’y trompe pas : Rasoulof est un véritable cinéaste dont la carte d’identité artistique ne saurait se résumer à son seul statut de victime politique d’un régime islamiste autoritaire. Ses films précédents parlent pour lui et ce dixième long métrage en apporte une nouvelle et éclatante preuve. Rasoulof y raconte l’histoire d’Iman, avocat de formation, qui vient d’être nommé juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Sa mission est simple : approuver des condamnations à mort d’opposants politiques sans s’embarrasser de preuves. À charge pour lui de n’en rien dire à ses amis et à ses proches afin d’éviter toute pression. Le tout dans un contexte social de plus en plus explosif puisque les manifestations contre le port obligatoire du hijab se multiplient. Son fragile équilibre bascule le jour où sa femme et leurs deux filles aident un manifestant blessé…

Comme à son habitude, Rasoulof ne prend pas de gants pour décrire la situation politique, morale et sociale d’un Iran profondément déchiré. Petit à petit, le personnage principal développe à l’égard de sa propre famille une incroyable et abyssale paranoïa qui en dit long sur le régime iranien lui-même et les comportements qu’il génère chez ceux qui le servent. Implacablement, Rasoulof déploie une trame narrative au centre de laquelle il place un revolver qui disparaît. Soit un idéal « Mac Guffin », selon la terminologie en vigueur chez Hitchcock qui désignait ainsi un objet alibi et leurre à la fois, présent tout au long du film. Car Rasoulof connaît mieux que quiconque les nécessités du suspense : il tient son spectateur en haleine, là où il aurait pu se contenter d’un propos politique qui lui aurait valu toutes les récompenses. Servi par un casting impeccable, il va plus loin, alimentant sans cesse sa fiction en la confrontant à de saisissantes images d’archives prises par des manifestants durant de véritables épisodes de guérilla urbaine et de répression policière. Le cinéma ne peut assurément changer le monde, mais un film comme celui de Rasoulof redonne tout simplement confiance en la capacité des artistes à témoigner sans jamais baisser la garde de la créativité et de la subjectivité qui va avec.

Sortie ce 18 septembre

Les nègres marrons n’ont pas fini de souffrir

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Qui n’a pas envie de voir Camille Cottin camper une chasseuse d’esclaves ?


La cause est entendue : l’esclavage est – a été, sera toujours, pour les siècles des siècles – une abomination. On n’en aura jamais fini de raconter la traite des noirs, et de décrire les sévices subis par ses victimes. Que ce soit en Isle-de-France – l’ancien nom de l’Île Maurice – ou ailleurs.

Cinéaste franco-béninois, Simon Moutaïrou ne se fait pas faute d’inscrire Ni chaînes ni maîtres dans le rituel sacro-saint du « devoir de mémoire » qui habite aujourd’hui, nourri de la pureté de ses intentions, la mauvaise conscience de l’Occident. L’action se situe en 1759. La jeune Mati fuit les atrocités (viols, verges, pendaisons) perpétrées par Eugène Larcenet, le patron sadique de la plantation de cannes à sucre, sous les traits d’un Benoît Magimel épaissi, graisseux, ventru, ectoplasmique. L’acteur a définitivement abandonné toute velléité de séduction pour camper le méchant colon blanc qui, aidé de ses nervis tortionnaires, règne sur ce « camp de concentration » avant la lettre. Le mafflu Magimel ne se donne même plus la peine d’articuler les (rares) répliques que lui a confié le script.

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Résumons. Massamba, le père de Mati, n’a d’autre choix que de suivre sa progéniture en cavale, devenant ainsi un « nègre marron », comme on appelait – issu du vocable espagnol « cimarron », c’est-à-dire « vivant sur les cimes » -, les esclaves natifs d’Afrique qui, des Antilles au Brésil, rompaient leurs chaînes pour se regrouper en communautés dans la nature sauvage. Ils étaient traqués. (Sur l’avenue Louise de Bruxelles trône une sculpture monumentale en marbre datant de 1893, signée Louis Samain : «Nègres marrons surpris par les chiens » –  c’est dire !). Dans le film, les fuyards se voient pris en chasse par une professionnelle, baptisée « Madame La Victoire » ; la comédienne Camille Cottin endosse ce (mauvais) rôle.

Camille Cottin

Simon Moutaïrou, esquivant à dessein le réalisme documentaire, tend à investir l’image, nimbée de flou et de clair-obscur, de la charge mystique (à haute teneur spitituelle) dont ces proscrits seraient porteurs, et que sa caméra change en hérauts sanctifiés par l’indigénisme bien-pensant. Dans un curieux syncrétisme qui associe Yoroubas, malgaches, wolof, etc. le réalisateur a soin de valoriser positivement leur foi panthéiste, par opposition à l’effroyable idolâtrie chrétienne par quoi Madame La Victoire, en se signant, yeux au ciel et croix en sautoir, justifie ses exactions racistes. La transparence de l’intention est soulignée par cette séquence qui montre un essaim de cadavres sur une plage, marrons qui ont échoué à rejoindre Madagascar en pirogue : l’amalgame sous-entendu avec le funeste destin des migrants africains de notre temps se redouble de l’emploi quelque peu incongru de la langue wolof, alternant avec le français dans les dialogues du film. Comme s’il fallait, au forceps, ouvrir les entrailles de l’Histoire pour accoucher d’une généalogie supposée entre les esclaves de l’Ile Maurice au XVIIIème siècle et les migrants africains du XXIème siècle. N’est pas Werner Herzog qui veut.       


Ni chaînes ni maîtres. Film de Simon Moutaïrou. Avec Ibrahim Mbaye, Camille Cottin, Benoît Magimel, Anna Diakherethiandoum… France, Sénégal, couleur, 2024.
Durée : 1h38. En salles le 18 septembre.

Flemme olympique: Métro, conso, dodo

Pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française.


À entendre les commentateurs, la France n’a jamais été aussi fracturée idéologiquement. Les Français ne parlent plus le même langage. La comédie à laquelle on a assisté, avec une gauche qui, confondant « gagnant » et « premier », s’est autopersuadée qu’on lui avait volé la victoire, nourrit le sentiment vertigineux que les signifiants, affranchis de tout référent, ne signifient plus rien. Ainsi chaque bloc, comme on dit maintenant, peut-il bricoler son réel imaginaire dans son coin. Toutefois, ces réalités parallèles se rencontrent sur deux points, deux idées, ou plutôt deux croyances très largement partagées. Au point qu’elles réconcilient presque tous les journalistes, de CNews à France Inter.

Gouvernants et gouvernés

Premièrement, si la France va mal, c’est la faute à Macron. Pour une écrasante majorité des électeurs, y compris macronistes, le président est le premier responsable de l’impasse politique et du désastreux état du pays – et par association, tous les élus, une bande de fripouilles intéressées par le seul intérêt matériel. Eux sont tous des citoyens exemplaires, pétris de civisme et de souci du bien commun. Les gouvernés n’ont aucune responsabilité dans les lâchetés des gouvernants qu’ils ont choisis. « Ce n’est pas ma faute ! » : l’anaphore de Valmont dans sa cruelle tirade à sa maîtresse déshonorée est devenue une devise nationale.

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La deuxième faribole devenue une vérité à force d’être répétée, c’est que les Français travaillent trop. Hier, il fallait partager le temps de travail pour endiguer le chômage (voir l’article de Frédéric Magellan dans notre dossier du mois), aujourd’hui, il faut le réduire parce que travailler, c’est pénible. C’est le seul programme politique qui obtiendrait sans peine une majorité à l’Assemblée. Les journalistes sondagiers communient dans la conviction réconfortante que le « pouvoir d’achat » est la première préoccupation des Français. Contrairement aux angoisses identitaires, tenues pour nauséabondes, la peur de perdre du pouvoir d’achat est hautement légitime, digne d’être érigée en urgence nationale. Acheter est un droit de l’homme. À part quelques écolos lecteurs de Michéa[1], nul ne proteste contre ce vocable qui nous assigne tous à un rôle de consommateurs subventionnés. On me dira que, quand le frigo est vide, ces considérations philosophiques n’ont pas cours. Un peu quand même. L’homme ne se nourrit pas que de pain. Subvenir à ses besoins sans tout attendre de la solidarité nationale, viser une certaine autonomie, c’est aussi une façon d’être au monde. Avec le goût de l’effort et du travail bien fait, nous sommes en train de perdre l’élan, le désir de conquête qui pousse les civilisations et les nations à persévérer dans leur être.

Par ici, la sortie

On peut être indifférent à la mutation anthropologique qui a fait de nous un peuple de créanciers capricieux, on n’échappera pas éternellement aux lois d’airain de l’économie. Une nation qui cesse de produire (de la viande, des centrales nucléaires ou des idées) sort de l’Histoire. Il est vrai que les moyennes fabriquent une caricature. Si dans leur ensemble les Français ne travaillent pas assez et pas assez bien, les statistiques de la productivité en attestent, beaucoup d’autres triment sans compter. Et pas seulement des startupers. Des chauffeurs Uber ont renoncé à leurs vacances pour profiter des JO et fait le pire chiffre de leur vie. Sans parler des policiers et gendarmes payés des clopinettes pour risquer leur peau dans un banal contrôle routier. Il y a une France qui bosse et porte à bout de bras et de charges la France qu’on subventionne pour qu’elle consomme. Reste que cette répartition n’existerait pas si nous n’avions pas collectivement accepté la consommation comme ultime horizon collectif. « La dépense publique crée du bonheur », proclame Mélenchon. La France devrait être le paradis sur terre.

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Au moment où nous bouclons, la perspective d’un gouvernement NFP semble écartée. Sauf coup de théâtre d’une Assemblée farceuse, l’épisode ridicule et consternant de l’abrogation de la réforme des retraites nous sera épargné. En attendant, deux blocs ont inscrit au cœur de leur projet la promesse de détricoter une réformette qui nous a déjà valu des mois de chouinements et criailleries hors de proportion. Leur ambition pour la France, c’est de rendre quelques mois de retraite aux Français. Ça fait rêver.

Évacuée en quelques propositions lors des campagnes électorales, sempiternellement traitée sur le mode de la plainte, cette affaire de travail est centrale dans la crise française. Et dans notre éventuel sursaut. Depuis près d’un demi-siècle, nous vivons dans un monde magique où d’autres acceptent de travailler pour financer nos 35 heures. N’en déplaise à mon cher Stéphane Germain qui décrit dans notre dossier cette diabolique roue de hamster, pourquoi s’arrêterait-elle de tourner ? N’avons-nous pas toujours réussi à embobiner nos créanciers – un peu de séduction, un zeste de chantage au fascisme et/ou à l’effondrement ? À l’instar de Nicolas Baverez (interrogé par Jean-Baptiste Roques), tous les analystes répètent que ça ne peut pas durer. Et ça dure. Si ça se trouve, nous pourrions encore retarder l’heure des comptes, gratter quelques années à nous complaire dans la morne illusion de la vie à crédit. Sauf que, même dans le plus rutilant des supermarchés, on finit par s’ennuyer. Et qu’à la fin, on passe toujours à la caisse.


[1] Et Abel Quentin dans son dernier roman, Cabane, dont je parlerai plus tard.

Plaidoyer pour La Fayette

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Sacré « héros des deux mondes », La Fayette (1757- 1834) l’est surtout en Amérique. Il serait temps que la France rende l’hommage qu’il mérite au pionnier de l’indépendance et de la liberté… 


Les États-Unis commémorent le 200e anniversaire de la tournée triomphale de La Fayette, qui a eu lieu entre 1824 et 1825. À son arrivée, tout comme aujourd’hui, le pays était marqué par de profondes divisions, avec des élections présidentielles disputées, une intensification des débats entre abolitionnistes et partisans de l’esclavage, une situation internationale tendue en raison des luttes pour la libération des peuples face à des empires autoritaires, et la nécessité de défendre la démocratie libérale émergente.

Son rang en France, parmi toutes les figures illustres que compte notre roman national, n’est pas vraiment prééminent, même si son rôle l’a été pendant les premières années de la Révolution française.

À l’inverse des Etats-Unis, il est souvent présenté en France comme un aristocrate millionnaire et flamboyant, imbu de lui-même et de sa gloriole personnelle, impulsif et opportuniste, trop royaliste pour les républicains, et trop républicain pour les royalistes.

Il suffit de voir sa place au Musée de l’Armée qui expose un buste poussiéreux près de la Salle de l’Indépendance américaine (elle-même bien tristounette, alors que c’est pourtant l’une des périodes les plus glorieuses de notre armée et de notre Marine), ou au Musée Carnavalet, qui expose le célèbre tableau “Serment de La Fayette” par David, de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, sans beaucoup d’explications, sauf une étiquette attenante qui s’attarde sur la présence de son jeune fils à ses côtés, vraisemblablement pour intéresser les jeunes visiteurs et la mention: “Une clef de la Bastille a été déposée aux pieds de La Fayette, la voyez-vous?” Il n’est pas rappelé hélas qu’il fut le premier à soumettre à l’Assemblée nationale, le 11 juillet 1789, un projet de rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen.

juillet 1824-septembre 1825 : une tournée triomphale

Aux Etats-Unis, il en va tout autrement !

Depuis le 16 août, de nombreuses villes, comtés et États américains célèbrent le bicentenaire de la tournée triomphale de La Fayette – orthographié outre-Atlantique « Lafayette1 », alors qu’il était l’invité du président américain James Monroeen qualité d’ultime général encore vivant de la guerre d’indépendance américaine. Le Français fut accueilli avec tous les honneurs dus à un “hôte de la Nation”, officiellement pour célébrer le (quasi) 50e anniversaire de celle-ci, mais aussi pour insuffler à la nouvelle génération « l’esprit patriotique de 1776 ».

Son séjour devait durer trois mois, il se prolongera dix mois de plus, tant sa popularité était grande et les invitations nombreuses. Le marquis vieillissant (67 ans), qui venait d’être battu aux élections législatives, à Meaux, disposait de tout son temps. Il visita ainsi les vingt-quatre États de l’Union de l’époque, et près de deux cents villes, de l’Alabama au Connecticut, de la Géorgie au Maine, de la Pennsylvanie à Washington D.C.. Il fut accueilli en héros partout, de jour comme de nuit, souvent à la lumière des torches. Des foules immenses venaient de loin et patientaient des heures pour avoir une chance de le voir, de le toucher. Les journaux de l’époque furent unanimes pour décrire l’enthousiasme des foules. Sa tournée fut celle d’une « rockstar », et les innombrables bibelots à son effigie, tasses de café, assiettes de porcelaines, gants à son effigie, sont toujours exposés comme des reliques.

Arrival of Lafayette in New York Harbour and the first parade to City Hall, August 16, 1824

« Héros américain », La Fayette a donné son nom à des centaines de villes, comtés, statues, avenues, rues, plaques commémoratives2.

Mais un seul lieu suffirait à attester de son importance, la Chambre des Représentants, où son portrait trône, en symétrie de celui de George Washington, à la gauche du Speaker of the House, le président de la dite-assemblée. Le marquis eut en outre le rare privilège d’être le premier homme d’État étranger invité à prononcer un discours devant le Congrès réuni. Son passage sur la terre américaine a laissé d’autres traces encore. Ainsi la National Guard des 50 Etats actuels de l’Union doit-elle son nom à la Garde nationale qu’il avait commandée en France sous la Révolution et la première des désormais célèbres parades de Broadway fut organisée pour son arrivée triomphale à New York le 16 août 1824, où plus de 60 000 personnes, soit le tiers de la population, s’était pressées pour l’accueillir sur le quai de Battery Park à la pointe de Manhattan.

Portrait of Lafayette, House of Representatives US Congress DR.

Le pays fêtait en premier lieu le Général qui fit tant pour acquérir son indépendance. Loin d’être un général d’opérette, La Fayette fit preuve de courage et de sens tactique sur le champ de bataille, et nombreux furent les « vétérans » survivants de l’Armée Continentale qui l’acclamèrent.  Mais on célébra aussi sa vie entière passée à défendre la liberté et la démocratie, et son amour manifeste pour la jeune nation. Son rôle d’ardent abolitionniste, ses positions envers l’émancipation des femmes que l’on qualifierait aujourd’hui de proto-féministes, font l’objet de nombreux colloques dans les universités américaines. Il conseilla les hommes politiques des deux bords à un moment où la jeune république américaine traversait un épisode politique difficile. Toute sa vie, ses conseils furent recherchés par les dirigeants américains. Une lettre de recommandation de sa part ouvrait toutes les portes – et tous les postes!

Sa renommée ne fut pas un feu de paille, elle était appelée à durer. La première unité d’aviateurs volontaires américains en 1917 est ainsi baptisée « escadrille La Fayette ». Et lorsque le général Pershing débarque en France à Boulogne-sur-Mer à la tête des forces armées américaines, le 13 juin de cette année-là, il aurait prononcé (même s’il s’agit de son aide de camp le Colonel Stanton, au cimetière de Picpus…) le désormais fameux : « La Fayette, nous voilà ! » 

Aux Etats-Unis, La Fayette est considéré comme l’égal des Pères Fondateurs : Franklin, Washington, Adams, Jefferson… Il est vrai que ses états de service plaident pour lui. En 1777, quand il n’a pas 20 ans, le marquis achète et équipe de ses propres deniers le navire La Victoire, chargée d’armes et de fournitures militaires. Le Congrès, avisé de sa fortune et de sa proximité avec la famille royale et la Cour de Versailles, le nomme major général (général de division). George Washington, d’un caractère taciturne et rendu méfiant par les arrivées de volontaires français plus ou moins compétents, le rencontre à dîner à Philadelphie trois jours plus tard et est immédiatement séduit par la fougue et l’enthousiasme du jeune marquis, et le prend à ses côtés. La Fayette l’impressionne dès son premier engagement sur le champ de bataille à Brandywine en Pennsylvanie, où il est blessé. Après sa convalescence, il est de tous les combats, avant de revenir en France en 1779 pour convaincre Louis XVI d’envoyer le Corps expéditionnaire français sous les ordres du comte de Rochambeau. De retour aux États-Unis en mai 1780 à bord de la rapide frégate Hermione, il joue un rôle décisif lors de la campagne de Virginie pour bloquer les troupes de Cornwallis, puis participe à la victoire alliée franco-américaine de Yorktown (Virginie), le 19 octobre 1781.


Trop monarchiste pour les Républicains

Dans son propre pays, la renommée de Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, est bien plus modeste.

Certes, sa popularité fut bien réelle à la conclusion de la guerre d’Indépendance. Hélas la France ne bénéficiera pas des « dividendes de la paix », après le traité de Versailles de 1783, puisque les insurgés seront plus prompts à établir des liens commerciaux avec leur ancienne métropole, l’Angleterre, plutôt qu’avec la France qui l’avait aidée, et lorsqu’il a fallu faire les comptes, cette victoire s’avéra ruineuse pour un royaume déjà fort endetté.

Si le « héros des deux mondes », comme on l’appela de son vivant en Amérique, n’est finalement que le héros de ce monde-là, c’est qu’en France, sa modération dans la période prompte à l’extrémisme que fut la Révolution française, lui fut fatale.

Encore faut-il distinguer deux périodes. Son action du début est unanimement saluée, qu’il s’agisse de sa participation à la Société des amis des Noirs au côté de l’abbé Grégoire, Brissot et Mirabeau, de son combat en faveur de l’émancipation des protestants et des Juifs, et de son commandement de la Garde nationale, où sa première décision fut de démolir la Bastille, symbole de la monarchie honnie.  

Mais à partir de 1790, La Fayette réprime les désordres des meneurs révolutionnaires, que ce soit à Vincennes, au faubourg Saint-Antoine et aux Tuileries, et à chaque fois que le roi est menacé. Pourtant, la Cour l’exècre pour s’être engagé en faveur du nouvel ordre constitutionnel… Plus grave, il est accusé par les jacobins d’être responsable de la fusillade et des cinquante morts du Champ-de-Mars (17 juillet 1791), où s’étaient réunis les partisans de la déchéance du roi, après la fuite de ce dernier à Varennes. À chaque nouvel épisode de radicalisation de la Révolution, La Fayette, par sa modération et son souci de l’ordre, se voit accuser de traîtrise.

Lorsque la guerre éclate face aux monarchies coalisées, en avril 1792, il est nommé à la tête d’un régiment près de Maubeuge. De là, il écrit une lettre à l’Assemblée législative où il dénonce l’action des jacobins et des clubs tout en exigeant le respect de l’intégrité royale. Le 19 août 1792, il est déclaré par l’Assemblée « traître à la nation ». Il n’a désormais d’autre choix que l’exil. Passant les lignes autrichiennes, il est arrêté et… emprisonné pour cinq ans. Libéré grâce à Bonaparte, il se résout à une opposition libérale, que ce soit sous le Consulat et l’Empire, avant de réclamer l’abdication de l’Empereur à Waterloo, sous la Restauration. En 1830, élu par acclamation à nouveau à la tête de la Garde nationale, il facilite la victoire de Louis-Philippe : au détriment des Républicains, une fois de plus, lui sera-t-il reproché. Aussi, lorsque fut évoquée en 2007 son entrée au Panthéon, à laquelle le président de la République Nicolas Sarkozy semblait favorable, l’historien Jean-Noël Jeanneney se fendit d’une tribune cinglante dans Le Monde : « Imagine-t-on (au côté des révolutionnaires) un général en chef qui n’a jamais été républicain et qui a abandonné son armée en pleine guerre pour passer chez l’ennemi ? » 

« Traître », l’a-t-il été vraiment, ce combattant condamné par son propre camp, qui ne se mit pas au service de l’ennemi ?

Écoutons plutôt un autre historien, Guy Chaussinand-Nogaret : « La Fayette fut vite débordé par la tempête qu’il avait contribué à déchaîner. Incapable de modérer les impatiences, emporté par l’engrenage de la liberté au-delà de ses espérances et de ses calculs, il fit couler le sang du peuple dont il n’avait su ni prévenir les déceptions, ni contenir les excès. Apprenti sorcier, héros d’un jour, La Fayette dut assumer un rôle trop lourd pour ses épaules. Mais grâce à sa glorieuse participation à la Révolution américaine, il échappe au jugement défavorable de ceux qui se révèlent inférieurs aux espoirs qu’ils ont suscités. Pour l’Amérique, comme pour la France, il reste le pionnier et le héros de l’indépendance et de la liberté3  ».


  1. Même l’orthographe diffère entre la France et les Etats-Unis, où l’on utilise plutôt Lafayette en un seul mot (ce qui correspond du reste à la signature que Lafayette utilisait lui-même) ↩︎
  2. L’association “The American Society of Le Souvenir Français, Inc.” a publié une compilation exhaustive des sites mémoriels français aux Etats-Unis (plus de deux mille répertoriés et catalogués, dont plus de 200 ont trait à Lafayette, avec photo, géolocalisation, et reproduction des textes inscrits sur ces monuments et plaques. ↩︎
  3. « La Fayette , nous voilà ! », L’Histoire, n° 91, juillet-août 1986. ↩︎

La résurrection d’un pionnier du jazz, Jelly Roll Morton

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En des temps point si lointains, les ondes de France-Musique servaient de véhicule à la voix d’Alain Gerber. Une voix à la fois chaleureuse et distanciée. Un ton mi-sérieux, mi-badin, parfois teinté d’ironie. L’émission quotidienne de cet éminent spécialiste mobilisait, en fin d’après-midi, des milliers d’auditeurs assidus, fidèles, passionnés. Avides de suivre les péripéties d’une manière de feuilleton que venaient illustrer des morceaux musicaux soigneusement choisis. Une façon hautement originale de découvrir le jazz à travers les musiciens phares de son histoire. Ou, pour les amateurs chevronnés, d’approfondir la connaissance de celle-ci grâce à des témoignages et anecdotes.

Le titre de cette émission devenue culte était révélateur: Le jazz est un roman. Autrement dit, rien de commun avec un cours ex cathedra ou un docte exposé de musicologie. À l’inverse, un mélange étonnant, et détonnant, où la psychologie, la fantaisie, l’imagination, l’humour faisaient bon ménage avec les données historiques avérées et l’analyse savante.

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Ce que l’on pourrait nommer « la patte Gerber » se retrouve aussi dans ses écrits, romans, nouvelles et essais. Un art unique de donner vie à ses personnages sans qu’il soit possible de tracer une ligne de démarcation nette entre réalité et fiction. Les deux sont, en effet, étroitement imbriquées.

Dans l’athanor de l’alchimiste

C’est le cas de ce roman inclassable inspiré par un célèbre musicien, Jelly Roll Morton, pseudonyme de Ferdinand Joseph Lamothe (et non LaMenthe, comme on l’a longtemps cru), musicien créole né en 1890 à La Nouvelle-Orléans, mort en 1941 à Los Angeles. Étrange personnage que ce pianiste, chanteur et chef d’orchestre. Un modèle d’hybris qui se prétendait « inventeur du jazz, créateur du stomp et du swing », formule qu’il avait fait graver sur ses cartes de visite. Il en fut, certes, l’un des pionniers dans les années 1920 et contribua, à la tête de ses Red Hot Peppers, à la renommée de sa ville natale, considérée comme le berceau du jazz. Sinon un inventeur, du moins un jalon non négligeable. Comme King Oliver, champion de l’improvisation collective, avant que Louis Armstrong ne consacre avec le génie que l’on sait l’émergence du soliste.

Un véritable héros de roman

Outre la valeur du musicien, son importance dans l’histoire du jazz est attestée par nombre d’enregistrements et aussi par la biographie que lui a consacrée Alan Lomax, Mister Jelly Roll, fruit de longs entretiens enregistrés pour la bibliothèque du Congrès.

En outre, nombre de légendes, de faits divers, de détails plus ou moins controuvés courent sur ce hâbleur haut en couleurs. Ces données, nul mieux qu’Alain Gerber n’en avait connaissance et elles ont, à n’en pas douter, largement inspiré son récit.

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L’auteur est, du reste, coutumier du fait, comme en témoigne, outre les émissions radiophoniques citées plus haut, Une année sabbatique, roman paru chez de Fallois et dont le héros est le saxophoniste Sonny Rollins. Dans Un Noël de Jelly Roll Morton, une fois encore, la magie du conteur opère. Sous sa plume, son héros prend corps et âme. Il séduit le lecteur dès les premières pages, l’entraîne dans un tourbillon – tout comme la voix du producteur de radio le menait sur les pas de Chet Baker ou de Jack Teagarden. La magie qui transportait naguère l’auditeur opère aussi sur le lecteur qui se trouve projeté dans l’univers de Ferdinand Lamothe. Lequel, à l’instar de ceux qui l’entourent, Alan ou Mabel, laquelle valait mieux qu’un cadeau de Noël de quelques dollars, revit dans ce récit. Ainsi la plume prend-elle le relais de la voix. Avec le même bonheur.

Alain Gerber, Un Noël de Jelly Roll Morton, Une aventure de l’inventeur autoproclamé du jazz Frémeaux & Associés, 132 pages

Un Noël de Jelly Roll Morton: Une histoire de Ferdinand Joseph Lamothe

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Cio-cio San ne sera jamais Américaine

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Alors que l’on célèbre en 2024 le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra Bastille donne « Madame Butterfly » jusqu’au 25 octobre, le Théâtre du Châtelet propose un concert «Viva Puccini ! » le 9 octobre, et le ténor allemand Jonas Kaufmann sort un disque compilant les plus grands duos amoureux du compositeur.


Faut-il encore présenter Madame Butterfly, must absolu de la scène lyrique ? Pinkerton, un vaniteux officier de marine yankee fraîchement débarqué au Pays du Soleil levant, épouse Cio-cio San, une geisha âgée de 15 ans qu’il a levée grâce à l’entremetteur Goro, avant de se réembarquer en jurant de revenir. En poste à Nagasaki, le consul des États-Unis a prévenu Pinkerton : elle croit dur comme fer à cette fausse promesse ! Passent trois ans ; « Mrs Butterfly » attend toujours son Pinkerton. Lequel, au passage, l’a engrossée d’un fils. Convertie au catholicisme, elle est désormais bannie de la société nipponne. Le consul tente d’annoncer à Cio-cio-Sian le retour soudain de Pinkerton, mais flanqué, cette fois, de Kate, sa jeune femme américaine. Lâchement, ce dernier esquive la rencontre avec Cio-cio San. Refusant obstinément les avances du riche prince Yamatori qui l’aurait tirée de la misère, elle choisit d’abandonner son petit enfant au couple occidental, et se suicide.

C’est que, comme l’exprime Pinkerton au seuil du premier tableau de l’opéra : «  partout dans le monde, le Yankee vagabond s’amuse et se débrouille (…) il jette l’ancre à l’aventure (…) La vie ne le satisfait pas s’il ne s’approprie les étoiles de tous les ciels, les fleurs de tous les pays, l’amour de toutes les belles »… L’impérialisme américain ne fera pas pour autant de Cio-cio San la compatriote de son cynique et couard séducteur !   

Puccini a la quarantaine quand, fort des triomphes de Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), et Tosca (1900), le compositeur désormais très en vue sur la scène internationale se lance, avec ses librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, dans l’adaptation d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même tout juste adaptée au théâtre par David Belasco. La création de Madame Butterfly à la Scala, le 17 février 1904, se solde pourtant par un fiasco retentissant. À plus d’un siècle de distance, la suavité cristalline de la partition, les langueurs mélodiques du chant, la luxuriance, le lyrisme teinté d’exotisme de l’orchestration ravissent l’oreille la moins avertie. Immortel chef d’œuvre !

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C’est en 1993, alors au faîte de sa célébrité, que Robert Wilson (1941-…) a monté la production redonnée à présent par l’Opéra-Bastille ; elle y avait été reprise pour la dernière fois en 2019. Autant dire que cette régie porte la marque de son époque : le XXème siècle finissant et ses épures abstraites – jusqu’à la frigidité. De fait, avec « Bob », on sait à quoi s’attendre : toute espèce de couleur locale évacuée, l’austérité formaliste impose aux chanteurs, chorégraphiée au millimètre, une gestuelle lente, hiératique, robotisée, leurs déplacements s’articulant de façon mécanique sur un plateau sciemment vidé de tout accessoire, un immense écran rectangulaire et uni occupant tout le fond de scène, selon une incessante variation chromatique qui accompagnera l’action de part en part. Ce maniérisme glacé eut son heure de gloire ; il apparaît aujourd’hui cruellement daté. Et surtout tellement, tellement américain !

Cela dit, reconnaissons qu’au cœur de cette régie aseptisée l’apparition archangélique du bambin aux boucles dorées, nu sinon vêtu, mais vraiment à peine, d’un minuscule pagne ceignant ses hanches et se mouvant avec une grâce infinie, imprime au deuxième tableau une poésie pleine de délicatesse. (Par les temps qui courent, d’ailleurs, on en vient à se demander quand les ligues de vertu du parti woke s’aviseront – j’en fais le pari –  de proscrire l’exhibition sur scène de la nudité enfantine, insoutenable atteinte aux droits désormais genrés de l’enfant…).

© Chloé Bellemere / Opéra National de Paris

Fort heureusement, la « tragédie japonaise » de Puccini est ici servie par une direction d’orchestre pleine de nuances, sous la baguette de la cheffe transalpine Speranza Scappucci, et par l’excellent ténor Stefan Pop dans le rôle de Pinkerton. Si la mezzo Aude Extrémo campe Suzuki, la fidèle servante de Cio-Cio-San, avec une belle rondeur dans les graves, on découvrait dans le rôle-titre, au soir de la première, la soprano Eleonora Buratto, lestée d’un vibrato un peu large et d’aigus parfois stridents (elle est en alternance avec la Russe Elena Stikhina), tandis que Sharpless, le consul, se voit quant à lui souverainement campé par le baryton Christopher Maltman. Carlo Bosi (Goro), Andres Cascante (Yamadori), Vartan Gabrielian (le bonze) et enfin l’Ukrainienne Sofia Anisimova (Kate Pinkerton) complètent cette distribution d’assez haut vol tout de même.  

Pour les amateurs de comparaisons, on pouvait voir encore, ces tous derniers jours, en accès libre sur Arte-Concert, la Madame Butterfly du festival d’Aix-en-Provence édition 2024, dans la mise-en-scène remarquablement sobre et dégraissée d’Andrea Breth, sous la direction de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rusconi, avec la soprano albanaise Ermonela Jaho, celle-là même qui incarnait Cio-Cio-San sur la scène de la Bastille en 2015.

Et pour compléter les nouvelles du front, comme on fête cette année le centenaire de la mort du compositeur transalpin, rendez-vous le 9 octobre prochain au Théâtre du Châtelet pour un concert exceptionnel réunissant les voix de l’immense ténor Jonas Kaufmann et de la soprano Valeria Sepe, avec Jochen Rieder au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat (Deutsche Staatphilharmonie Rheinland-Pfalz) : des extraits du répertoire puccinien (Tosca, La Bohème, Madame Butterfly), emballé sous l’engageant intitulé : Viva Puccini !  

Concert « Viva Puccini ! », mercredi 9 octobre à 20h, au Théâtre du Châtelet à Paris. Jonas Kaufmann, ténor et Valeria Sepe, soprano.

En parallèle, Kaufman sort, ce mois de septembre, un CD réunissant des duos amoureux tirés de Tosca, Manon Lescaut, La Fanciulla del West. Lui donnent la réplique un panel de divas, d’Anna Netrebko à Pretty Yende…

Puccini est au podium.


Madame Butterfly, « tragédie japonaise » en trois actes de Giacomo Puccini (1904). Direction: Speranza Scappucci. Mise en scene: Robert Wilson. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  Avec Eleonora Buratto/Elena Stikhina (Cio-Cio-San), Stetan Pop (Pinkerton), Christopher Maltman (Sharpless), Aude Extrémo (Suzuki)…
Durée: 2h45
Opéra-Bastille, les 17, 25, 28 septembre, 1, 10, 16, 19, 22, 25 octobre à 19h30; les 22 septembre, 6 et 13 octobre à 14h30.

Et également :

A voir sur Arte Concert, Madame Butterfly, production Festival d’Aix-en-Provence 2024.
Concert «Viva Puccini ! », Théâtre du Châtelet, Paris. Le mercredi 9 octobre, 20h.

CD « Love Affaires », album Puccini, par Jonas Kaufmann. Sony Classical.

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La France est-elle vraiment de droite?

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Sans convaincre, le sociologue Vincent Tiberj réfute la droitisation du pays dans son dernier bouquin. L’opinion du citoyen français moyen est vraisemblablement plus proche d’un Michel Barnier que d’une Lucie Castets, constate la journaliste du Figaro Eugénie Bastié. Nos années Macron, avec leur « en même temps » inopérant, ont paradoxalement contribué à la polarisation du débat et accentué le raidissement de la gauche comme de la droite dans leurs positions, observe notre chroniqueur.


J’emprunte ce titre à Eugénie Bastié qui a écrit un article passionnant et critique sur un livre du sociologue Vincent Tiberj, La droitisation française – Mythe et Réalités dans Le Figaro du 12 septembre. Ce dernier propose le paradoxe, pire, l’incongruité, de soutenir qu’en réalité « les Français seraient secrètement de gauche mais influencés par des discours politiques et médiatiques imposant certains thèmes dans le débat ». On voit bien ceux qu’il vise et incrimine. Mais son outrance, son excès même, nous contraint à une réflexion que nous n’abordons jamais volontiers parce que beaucoup détesteraient retrouver en eux des traces de positions politiques antagonistes, qu’ils récusent dans leurs tréfonds. Parce qu’ils se sentiraient moins nets, moins tout d’une pièce, trop complexes, gangrenés par une déplorable ambiguïté. Cette répugnance concerne également la gauche et même l’extrême gauche alors que de récentes enquêtes d’opinion démontrent qu’une part importante de leur électorat est devenue très sensible par exemple aux exigences de sécurité et de justice dans leur sens conservateur. Ce constat sans doute entrave encore davantage les directions des partis du Nouveau Front populaire, il l’oblige à se cadenasser pour éviter la corruption intellectuelle et politique par l’adversaire ! Il me semble cependant que c’est encore plus vrai à droite une fois qu’on a dépassé le caractère délibérément provocateur d’une analyse plus idéologique que sociologique.

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Peut-être ai-je tort d’induire de mon propre exemple une généralité qui pourra être perçue comme abusive. Pourtant nous sommes nombreux à ne pas nous sentir clivés, radicaux, à être partagés, intermittents, « souples » selon une expression de Ségolène Royal. Pas toujours « vraiment de droite », pas toujours « de droite », parcourus par des élans divers et parfois contrastés.

Pourquoi nous cédons de plus en plus à la radicalisation du débat

Pourquoi éprouve-t-on tant de mal à l’admettre comme s’il y avait le risque d’une trahison capitale ? Parce que d’abord l’acceptation d’une telle plénitude reviendrait pour certains à tomber dans la caricature d’un centrisme qui n’a que trop sévi et qui par opportunisme picorerait à droite comme à gauche. Cependant il est facile de dénoncer cette dérive tout en maintenant la rectitude d’une position politique qui ne s’enferme pas dans un sectarisme militant.

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Ensuite, parce que nous sommes aujourd’hui, à cause des outrances et parfois des délires du camp prétendu progressiste, conduits à nous priver des quelques évidences de ce dernier à cause de ses excès. Nous aurions honte même d’afficher une vague familiarité avec une gauche qui est dénaturée, dégradée par certains députés qui ne cherchent pas à donner d’elle la plus belle impression possible. Nous sommes détournés de la tentation de nous laisser influencer si peu que ce soit parce que nous préférons demeurer dans une droite close sur elle-même plutôt qu’ouverte sur un autre paysage antagoniste.

Un effet pervers de plus du « en même temps »

Enfin, le « en même temps » macroniste a été le fossoyeur, par les catastrophes qu’il a engendrées, d’une volonté apaisée de tenir les deux bouts d’une chaîne. En effet, pour l’action et la réactivité politiques, le « en même temps » a créé de l’échec puisque là où elles imposaient l’urgence, le sacrifice, des choix, des exclusions obligatoires, cette simultanéité apparente a favorisé lenteur, indécision et déception. Alors que, sur le plan intellectuel et civique, la plénitude du « en même temps », signe éclatant d’une intelligence capable d’épouser toutes les facettes d’une réalité, de s’attacher à l’essentiel sans répudier la richesse d’une autre vision, de s’affirmer de droite sans répudier les idées de gauche raisonnables, constituerait une indéniable richesse. Pourquoi l’égalité, qui est la notion centrale de la gauche, serait-elle forcément aux antipodes, sur tous les registres, de la liberté qui est le cœur battant de la droite ?

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Il ne faut pas surtout pas omettre un point capital si j’ose induire de mon exemple personnel une généralité sans doute à discuter. Pour ma part, si je me sens profondément inspiré par une conception de l’humain, de la responsabilité, de la société et de la culture relevant de la droite conservatrice, par des valeurs et des principes me structurant depuis que citoyen je me détermine dans l’existence, cela ne signifie en aucun cas que la conjoncture politique, les aléas partisans, la gestion au jour le jour, les mille difficultés liées à l’affrontement avec un réel qui répugne parfois à ressembler à ce que la droite attendrait de lui, ne puissent jamais faire naître chez l’homme de droite des tentations de gauche. Et réciproquement, je l’espère. Quand l’une et l’autre sont débarrassées de ce qui les constitue comme solutions exclusives, telles des idéologies, au lieu d’être des compléments pour ce qu’on a privilégié prioritairement. Une droite ne se trahit pas quand une gauche honorable vient au moins partiellement la tenter. Une gauche ne devrait pas refuser d’être irriguée par le meilleur de la droite : changer et réformer seulement quand il convient, conserver s’il le faut. Au fond, j’aspire à une France entière.

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Nicolas Baverez: «Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance»

Le diagnostic de l’essayiste est accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays a suffisamment d’atouts pour sortir de la spirale du déclin.


Voilà au moins trente ans que Nicolas Baverez sonne l’alarme. Qu’il dissèque « l’impuissance publique » (du nom de son premier livre, publié en 1994 avec Denis Olivennes), qu’il déplore « la France qui tombe » (2003), qu’il chronique « le déni français » (2017). À se demander parfois si la noirceur n’est pas son fonds de commerce… Sauf que les faits lui donnent obstinément raison. Aujourd’hui, le pays est à plat, les indicateurs économiques sont au plus bas et la comédie politique tourne à la farce. Pourtant, Baverez pense que nous ne sommes pas fichus. Si, si ! Et il ne dit pas cela par politesse, ni par amour des compositions en deux parties. Pour lui, notre pays, qui a raté dès les années 1980 le train de la mondialisation économique, pourrait bien, à la faveur du nouveau cycle qui s’ouvre, plus multipolaire et géopolitique, renouer avec le dynamisme, l’ambition et même l’innovation. Et si nous étions sortis de l’Histoire tout simplement parce que nous attendions qu’elle redevienne passionnante ?


Causeur. Notre pays est-il à bout de souffle ?

Nicolas Baverez. La France se trouve dans une situation paradoxale. Les JO de Paris 2024 ont été une réussite remarquable, qui a montré le meilleur de notre pays et souligné qu’il est capable de rivaliser avec les meilleurs quand il se rassemble et se mobilise. Mais, simultanément, l’interminable spirale de déclin dans laquelle il s’est enfermé depuis plus de quatre décennies s’emballe. La situation est aujourd’hui critique. La croissance est atone et les faillites explosent. Le chômage remonte. Le carcan du double déficit des comptes publics et de la balance commerciale se resserre. Du fait de la paupérisation de la population – le revenu annuel d’un Français est désormais inférieur de 15 % à celui d’un Allemand – et de l’éclatement de la classe moyenne, la France accumule les mouvements sociaux insurrectionnels : gilets jaunes, manifestations contre les retraites, émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, jacquerie des agriculteurs, guerre civile de Nouvelle-Calédonie (qui se poursuit dans l’indifférence générale). Quatre changements majeurs sont intervenus qui font que notre pays, nonobstant la fête olympique, approche d’un point de rupture. L’accélération de la crise financière avec une dette de 3,15 milliards d’euros qui est sortie de tout contrôle. Le blocage des institutions qui découle de la dissolution insensée décidée par Emmanuel Macron. La paralysie de l’État, notamment dans ses fonctions régaliennes, illustrée par la plongée de la Nouvelle-Calédonie dans un chaos qui interdit toute reconstruction. Enfin, le changement du regard que le monde porte sur la France. Les images sublimes des JO n’ont qu’un temps. Elles ne peuvent occulter la défiance croissante des marchés financiers, de nos partenaires européens et de nos alliés. Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance.

Le cas de la Nouvelle-Calédonie est toutefois difficile à transposer à la métropole…

Oui bien sûr, la Nouvelle-Calédonie n’est pas la France. Mais la logique de la guerre civile n’est pas le monopole du Caillou. Voyez l’anarchie qui règne à Mayotte. Voyez surtout la montée du niveau et de l’intensité de la violence dans la société, illustrée par la forte hausse de la délinquance et des agressions contre les personnes, mais surtout par la multiplication des attentats et des actes antisémites, avec pour dernière illustration la tentative d’incendie de la synagogue de La Grande-Motte. L’État, qui absorbe 58 % du PIB, a répondu aux défis de la sécurité et des transports durant les Jeux olympiques. Mais il se montre incapable d’assurer aux Français dans leur vie quotidienne les services de base : éducation, santé, transports, logement, police, justice. L’impasse politique actuelle ne va pas contribuer à améliorer la situation, au moment où le gouvernement de Gabriel Attal vient de battre le record de durée d’un gouvernement démissionnaire depuis 1945. Un comble pour la Ve République qui a été conçue par le général de Gaulle pour assurer en toute circonstance la liberté d’action du pouvoir exécutif et restaurer le pouvoir de l’État. La corruption de nos institutions par celui qui est censé être leur garant est illustrée par l’usage irresponsable de la dissolution : elle est devenue le détonateur d’une crise politique qu’elle a été prévue pour désarmer. Il est grand temps de cesser de déconstruire nos institutions et l’État.

Emmanuel Macron remercie les professionnels mobilisés pour des Jeux olympiques de Paris lors d’une cérémonie dans le jardin de l’Élysée, 12 août 2024. Eric Tschaen/SIPA

Emmanuel Macron n’a-t-il pas cependant pris certaines bonnes mesures, notamment en matière de travail ?

Emmanuel Macron a incontestablement réalisé des réformes utiles en direction des entreprises : la flexibilité du marché du travail ; la stabilisation de la fiscalité sur le capital ; l’investissement en direction des start-up ; l’amélioration de l’attractivité de notre pays – avant la dissolution. Mais il a échoué dans la modernisation du modèle économique et social, qui constituait le cœur du mandat que lui ont confié les Français en 2017. Il a même fait pire. Il a poussé à ses limites, jusqu’à le faire exploser, le mode de croissance à crédit (devenue dans les faits une décroissance à crédit), en accumulant 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, qu’il a dilapidés en subventionnant la consommation au lieu d’investir. L’absence de toute stratégie de long terme indissociable du « en même temps » a mis le pays à l’arrêt. La concentration extrême du pouvoir, la destruction du système politique et le mépris envers les citoyens ont ouvert un vaste espace aux extrémistes qui sont désormais majoritaires. Enfin, sur le plan stratégique, la France s’est fourvoyée en manquant le tournant de la grande confrontation lancée par les empires autoritaires aux démocraties, tout en offrant ensuite à l’Ukraine, à la Grèce ou à la Moldavie des garanties de sécurité qu’elle ne peut honorer faute d’avoir réarmé.

La France continue pourtant d’attirer les capitaux étrangers, n’est-ce pas ?

Malgré un niveau très élevé de normes et de taxes, qui représentent un véritable handicap pour l’économie, notre pays a vu ces dernières années affluer les investisseurs étrangers, séduits par la partie de sa main-d’œuvre hautement qualifiée, sa situation géographique exceptionnelle, la qualité de ses infrastructures. À quoi se sont ajoutés deux autres points forts qui sont à mettre au crédit d’Emmanuel Macron : d’une part, l’ambition affichée de relancer l’industrie, à travers une politique de l’offre ; d’autre part, une relative stabilité normative et fiscale. La dissolution a remis en cause ces deux acquis et débouche sur une fuite des investissements et des entreprises, des talents et des capitaux. Déjà, la City, forte du renouveau d’une social-démocratie responsable avec l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer, est repassée devant la place de Paris. Les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, qui dominent l’Assemblée, ont en commun la relance de la consommation par la dépense et la dette publiques, ainsi qu’une hausse de la fiscalité la plus élevée du monde développé. Soit très exactement les conditions qui maximisent le risque d’une crise financière comparable à celle subie par le Royaume-Uni en 2022, en raison du projet de budget insensé de Liz Truss. Désormais, qu’on le veuille ou non, les marchés ont placé la France sous surveillance. Et, à la fin, ce sont toujours eux qui gagnent.

Que faudrait-il faire ?

Mobiliser les Français autour d’un nouveau modèle national, nouant un pacte et répartissant les efforts entre l’État, les entreprises et les citoyens. En s’inspirant des pays développés qui se sont adaptés à la nouvelle donne du XXIe siècle. L’Europe du Nord notamment s’est profondément remise en question pour allier compétitivité et solidarité, innovation et intégration, transition écologique et réarmement. Ce qui prouve bien que l’on nous trompe quand on prétend qu’il faut choisir entre la décroissance ou la catastrophe climatique, les services publics ou le marché, la protection sociale ou l’investissement productif.

Mais nos concitoyens en ont-ils encore l’envie ?

Raymond Aron exposait les termes du même dilemme en juin 1939 quand il affirmait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. » Pour ma part, je conserve l’espoir que le redressement de la France est possible. Notre pays dispose de formidables atouts. Surtout, les Français sont humiliés par le déclassement de la France et n’ont pas encore renoncé à la relever. Ils l’ont montré lors des élections législatives de 2024, en s’opposant in extremis à l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite – au prix certes de l’ingouvernabilité du pays. Ils ont aussi prouvé lors des JO qu’ils étaient capables de s’unir, de s’enthousiasmer, d’incarner l’actualité des valeurs de la République, de figurer parmi les peuples le plus performants, innovants et ouverts de la planète.

Ce succès ne s’explique-t-il pas aussi par les allègements de contraintes administratives dont ont bénéficié les organisateurs, qui ont pour ainsi dire été exemptés du droit commun ? Le système D à la française ne devrait-il pas être réhabilité ?

Sans doute. Mais le succès a surtout été construit sur le travail dans le temps long et l’alignement des parties prenantes au service d’un objectif commun. Il a rappelé que le fonctionnement efficace de l’État régalien reste la condition première du bien-être des citoyens, de la prospérité des entreprises et de la continuité de la vie nationale. Pendant quinze jours, Paris, par une sorte de miracle, est redevenue une ville agréable, joyeuse, paisible, sûre et presque propre. Il ne faut pas laisser perdre cet héritage. Mais c’est avant tout une question de volonté politique.

La volonté politique ne s’est-elle pas enfuie sitôt la flamme olympique éteinte ?

Peut-être pas. Nous entrons dans une nouvelle ère qui peut nous offrir une chance de remettre la France debout. Tout dépendra des Français.

Comment cela ?

Quand on prend du recul, on constate que notre pays est passé à côté du cycle de la mondialisation. Cela a commencé en 1981, avec la calamiteuse relance dans un seul pays voulue par François Mitterrand, qui mit la France aux portes du FMI en 1983. Puis nous avons ignoré la réunification de l’Europe et de l’Allemagne, refusé les efforts qu’impliquait le passage à l’euro, sous-estimé les conséquences de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, manqué la révolution numérique, puis entrepris la transition climatique par le seul angle des taxes et des normes, laissant la production et l’innovation à la Chine et aux États-Unis. Or ce moment de la mondialisation vient de se refermer définitivement. Ébranlé par le krach de 2008, fissuré par la pandémie de Covid, il s’est clos le 24 février 2022, date de l’entrée des troupes russes en Ukraine. Ce jour-là, nous avons changé de monde. Désormais, la géopolitique prime sur l’économie, l’État sur le marché, la souveraineté sur le libre-échange, la sécurité sur l’optimisation de la chaîne de valeur. Dans ce nouveau contexte, les Français, dont la conscience nationale a, au cours des siècles, été façonnée par l’État, et qui sont jaloux de leur indépendance, ont de sérieux atouts à faire valoir. Mais ils ne doivent pas laisser perdre cette ultime occasion qui se présente à eux.

Qu’est-ce qui pourrait les en empêcher ?

L’enfermement dans le malthusianisme, le défaitisme et l’institutionnalisation des mensonges qui ont ruiné notre pays au cours des dernières décennies. Acceptons de faire la vérité sur nos problèmes et rassemblons-nous pour les traiter. Nous disposons de nombreux atouts pour relever la France. Il ne nous manque que l’essentiel : la volonté, le courage et l’espoir. À nous de renouer avec eux et de les faire vivre !

Dernier ouvrage paru : Démocraties contre empires autoritaires (L’Observatoire, 2023).

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Pour notre bonheur, le réalisateur Laurent Firode est sur tous les fronts

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Après avoir aidé à la révélation des manigances de l’industrie cinématographique française dans un livre d’entretiens avec des gens du métier, Laurent Firode a réalisé une merveilleuse comédie poétique.  


Dernièrement, sur le plateau de Quotidien, le député corrézien François Hollande a expliqué comment son actrice de femme, Julie Gayet, lui avait ouvert les yeux sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans le cinéma : « Les actrices, c’est comme s’il y avait une limite, notamment à 50 ans. On remarque qu’elles deviennent tout de suite des mères et des grand-mères. » C’est bien triste ! Durant cette émission, la chroniqueuse Ambre Chalumeau a évoqué la « placardisation des actrices de plus de 50 ans ». Sur la radio publique, Julie Gayet s’émouvait déjà, il y a un an, du fait que « les femmes de plus de 50 ans sont sous-représentées sur nos écrans ». Et patati, et patata.

Les fables de la grande famille du cinéma

Pour Main basse sur le cinématographe, livre paru aux éditions de La Mouette de Minerve, l’écrivain Bruno Lafourcade et le réalisateur Laurent Firode ont réuni quatre professionnels du cinéma – une comédienne, un technicien, une scénariste également documentariste et un cinéaste – et ont soumis à leur réflexion les lieux communs, les fables et les histoires qui encombrent le milieu cinématographique ou télévisuel, à partir de déclarations d’acteurs et de producteurs. Entre autres drôleries, celles-ci : « Même si mes parents sont des stars, ils ne m’ont pas aidé à percer ». « Les films ne bénéficient pas d’argent public. » « Le cinéma est une grande famille. » « Les acteurs sont fragiles. » « Les actrices ne trouvent plus de rôle après 40 ans. » Comme les précédentes, cette dernière assertion a beaucoup amusé les invités de Lafourcade et Firode, en particulier le cinéaste Camille D. : « Ça, c’est vraiment hilarant, parce que c’est exactement le contraire. Toutes les vedettes refusent de jouer des femmes de leur âge, et même de leur génération. Elles veulent toutes un rôle où elles paraissent plus jeunes : elles ne veulent pas se voir en femmes âgées, parce que la vieillesse, dans leur esprit bourré de préjugés imbéciles, est une déchéance. La ségrégation par l’âge, c’est elles qui le pratiquent. » Cette hantise de l’âge fait le bonheur des chirurgiens esthétiques et, souvent, le malheur des visages déformés par le Botox et les liftings jusqu’à devenir, au dire d’un réalisateur, « infilmables ». Des actrices de 60 ans refusent de jouer les mères d’actrices de 40, au prétexte qu’elles font « plus jeunes » que ces dernières, ou désirent jouer des rôles de femmes enceintes d’hommes de trente ans. « La vieillesse n’est pas dans mes projets », affirme l’une d’elles. 

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Main basse sur le cinématographe massacre avec beaucoup d’humour les fables colportées par les professionnels du cinéma industriel. En plus de celles sur ces pauvres actrices soi-disant ostracisées à cause de leur âge, il y a celles sur les « fils de » et les « filles de » – il n’y en a jamais eu autant que ces vingt dernières années – qui se sont soi-disant faits tout seuls. La seule citation de la néantissime Léa Seydoux, fille, petite-fille et petite-nièce de personnes issues de deux des plus grandes familles de la bourgeoisie d’affaires françaises, dont certaines extrêmement influentes dans le cinéma, éclaire sur l’indécence et la bêtise de ces nantis qui aimeraient faire croire qu’ils ont du talent et qu’ils ont dû surmonter les plus grandes difficultés pour en faire profiter les spectateurs : « C’est la rue qui m’a éduquée. D’une certaine manière, je me suis élevée moi-même. J’avais toujours l’impression d’être orpheline. Je n’avais aucune structure. J’étais mal fagotée avec des chaussures trop petites. Et j’avais des poux. » Dans un autre genre, on se souviendra, ou pas, de la réalisatrice de Seize Printemps, navet vu par… 13 000 spectateurs. Comment se nomme la très jeune réalisatrice et actrice principale de cette daube narcissique que même Télérama a éreintée en s’interrogeant sur sa mystérieuse sélection à Cannes, en 2020, en compétition officielle ? Suzanne Lindon, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kiberlain.

Version 1.0.0

J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire le numéro du CNC

De nombreux passages de ce livre sont également consacrés à l’argent public déversé sur l’industrie du cinéma par les départements, les régions, les ministères, la télévision publique et, bien sûr, le CNC et ses… cinquante commissions qui sont autant de robinets à fric – aides à l’écriture de scénarios, aides sélectives à la production, aides à l’écriture du jeu vidéo, aides à l’innovation en documentaire, aides à la fiction et à l’animation, aides “Images de la diversité”, etc. – et qui sont toutes présidées par des écrivains, réalisateurs, acteurs ou journalistes ayant pignon sur rue et favorisant parfois, sans aucune gêne, les projets des propres membres des commissions en question. Au nom de « l’exception culturelle », BHL, Rokhaya Diallo et de nombreux réalisateurs de bides retentissants sur les migrants, les banlieues ou le racisme dans la police, ont ainsi profité des largesses des institutions publiques, du CNC et même d’entreprises privées qui bénéficient alors d’une réduction d’impôts. Camille D. : « On ne cherche pas d’argent pour monter un film, on cherche une idée de film pour obtenir de l’argent. […] Donc, un producteur consulte les aides du CNC, des régions, etc., puis il appelle un cinéaste : “J’ai besoin d’un pitch de dix lignes sur la mixité dans les territoires avec dans le rôle principal une racisée amoureuse d’un djihadiste blanc : j’envoie le projet à la région Nord-Pas-de-Calais, à la fondation Benetton et à la commission Images de la diversité”. » Et peu importe que le film soit nul et ne soit vu par personne, puisque tout le monde a déjà été payé, des producteurs au réalisateur, de la star aux petites mains, ces fameux intermittents du spectacle exploités par un système industriel profitant abusivement des aides financières publiques.

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Quant au mythe de « l’artiste fragile et torturé », le réalisateur Camille D. le brise d’une phrase : « Je n’ai jamais connu d’acteurs fragiles, je n’en ai connu que des féroces. » Féroces, surtout, au moment d’obtenir un rôle, d’écarter un concurrent, de négocier le montant de la prestation puis de demander des aménagements particuliers pendant le tournage. Les mêmes sont pourtant particulièrement émotifs devant les journalistes. La misère du monde les concerne. Ils sont solidaires (des pauvres, des migrants, des femmes, des victimes du Covid, des SDF, etc.). « Je passe ma vie à écouter les autres », déclare Sophie Marceau au magazine Vogue. Et puis, ils veulent « sauver la planète », comme de bien entendu. Durant la crise du Covid, pendant une promenade « dans la nature » qui l’a visiblement chamboulée, l’actrice Audrey Dana s’est filmée en pleurs et tenant des propos hallucinants de niaiserie mais caractéristiques des faibles d’esprit adeptes de cette nouvelle religion de bazar qu’est l’écologie : « J’essaie d’envoyer de la lumière partout, le plus possible. Moi, j’ai personne qui meurt du coronavirus dans mon entourage. Mais j’ai mal à ma Terre. J’ai mal à ma Terre ! Je prie pour notre Terre, si fort, si fort, si fort  ! » Il y a des gens qui n’ont honte de rien : Audrey Dana a osé poster ce bredouillis insane sur son compte Instagram !


Changement radical de décor. Après sa formidable trilogie sur Le Monde d’après, Laurent Firode a réalisé une très réjouissante comédie poétique intitulée Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Budget riquiqui mais imagination débordante, savoir-faire total, acteurs et actrices formidables. Résultat : une création qui nous enchante et nous fait oublier les entreprises d’abrutissement ou de propagande du cinéma industriel. En exergue de ce film, une citation de G.K. Chesterton : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement. » Émerveillés, tous les personnages de ce poème cinématographique le seront, d’une manière ou d’une autre. Et les spectateurs avec eux. Dès le début, la magie opère : le charme puissant d’une vieille dame rencontrée par hasard sur le banc d’un square à Montmartre embarque une mère et sa fille trentenaire vers un monde mystérieux. Au gré des vicissitudes ordinaires de la vie, d’autres personnages découvrent le monde invisible qui les entoure ainsi que celui que chacun porte en soi, l’immense continent des rêves, des sentiments réfrénés, des émotions enfouies et des terreurs enfantines. Faire redécouvrir le caractère extraordinaire des choses ordinaires, telle était l’ambition de Chesterton. Telle est celle de Laurent Firode qui, dans son film, prête à de simples objets des destins singuliers – un pendule, un singe en peluche, une boîte d’allumettes servent ainsi de jalons dans le dédale d’existences où le visible et l’invisible, le connu et l’inconnu, le réel et le rêve se mêlent. Les motifs d’émerveillement sont innombrables. Envoûtants ou insondables, ils illuminent miraculeusement de fugaces événements qui changent le cours de notre vie sans que nous le sachions toujours. Car il y a ce qui se voit mais aussi ce qui ne se voit pas et ne se laisse parfois deviner qu’à travers ces furtifs et merveilleux ou déroutants instants. Laurent Firode a imaginé quelques-uns de ces instants magiques et réalisé un film délicat, surprenant, tendre et parfois cruel, comme le sont souvent les contes, teinté d’humour et de poésie – un film idéal, donc, pour tenter de réenchanter le monde.  


Main basse sur le cinématographe

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Info : Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas n’est visible pour le moment qu’à l’espace Saint Michel, 7 place Saint Michel, Paris 7.

Le DVD de ce film ainsi que celui de la trilogie Le Monde d’après sont en vente ici :

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Le réveil des peuples maltraités affole les mondialistes

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En Allemagne, la gauche rétablit pour six mois les frontières. En France, elle siffle François Ruffin qui a osé rompre avec la vision politique racialiste de Jean-Luc Mélenchon.


Dès ce lundi, l’Allemagne va rétablir pour six mois renouvelables des contrôles sur ses neuf frontières, dont celle avec la France (voir mon billet précédent). Ce week-end, à la Fête de L’Humanité, le député de la Somme, François Ruffin (ex-LFI), a été pour sa part sifflé par des ultras pour avoir rompu avec Jean-Luc Mélenchon et sa vision racialiste d’une société « créolisée » écartant les prolétaires blancs, assimilés de surcroit à des ploucs avinés et adipeux par le leader insoumis. Ces deux faits apparemment disparates ont un même lien : ils remettent en question la révolution cosmopolite construite sur le démantèlement des frontières et l’obsession du métissage. Ce changement civilisationnel, conduit depuis un demi-siècle dans l’entre soi des cercles mondialistes, vise à la constitution d’un monde consummériste indifférencié et remplaçable, y compris sexuellement. Ludovic Greiling, qui a été à la source de cette mutation en cours[1], croit ce bouleversement inexorable tant ses mécanismes semblent réfléchis, implacables. Il écrit : « Il nous semble (…) que la révolution se fait et ne se débat pas. Il y a quelque chose de trop vigoureux dans ces esprits ». L’auteur oublie néanmoins que ces choix impérieux n’ont jamais reçu l’aval des peuples concernés. Même si Greiling note : « Tout ou presque a été fait en sous-main, en tout cas avec une information inexistante auprès du grand public », il n’en tire pas la conséquence prévisible : la révolte des peuples trahis. C’est parce que les oubliés et les parias se réveillent, en Allemagne comme en France et ailleurs, que les mondialistes s’affolent.

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Observer les sociaux-démocrates allemands rétablir leurs frontières revient à constater l’échec de Maastricht, de Schengen et de la vision sans-frontièriste de l’Union européenne déracinée. Le « repli sur soi », tant fustigé par Emmanuel Macron dans ses odes à la société ouverte, est une réaction protectrice partout répandue. Les Français se disent à 77% pour de semblables contrôles (sondage CNews, dimanche). Michel Barnier serait d’ailleurs bien inspiré de les restaurer s’il veut répondre aux inquiétudes existentielles de « ceux d’en bas ». Quant à Ruffin, sa tentative de renouer avec la classe moyenne des périphéries, abandonnée par la gauche, révèle un sursaut tardif mais lucide. La dérive communautariste de LFI pousse ce mouvement à épouser sans retenue les combats de l’islam révolutionnaire et universaliste, vu comme un nouveau communisme pour tous (Allah en plus). Or les fanatiques du « village global » partagent avec l’extrême gauche une même fascination pour cette idéologie de conquête qui entend enrégimenter le monde grâce au djihad. À Rezé (Loire-Atlantique), jeudi, un élève se réclamant de l’État islamique a menacé de poignarder une enseignante. En France, près de 70% des jeunes musulmans placent l’islam au-dessus des lois de la République. C’est vers eux qui se tourne Mélenchon, qui refuse d’admettre, comme l’a révélé l’écrivain Arturo Perez-Reverte (Le Figaro, 1 er septembre[2]), qu’une partie de l’immigration musulmane souffre d’oikophobie, c’est-à-dire d’une haine de l’endroit où l’on vit. Les peuples maltraités sont aujourd’hui aux aguets. C’est une bonne nouvelle.


[1] Le monde qu’ils veulent. Lire et écouter nos élites pour comprendre l’évolution en cours. L’Artilleur.

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/arturo-perez-reverte-une-partie-de-l-immigration-musulmane-en-europe-souffre-d-oikophobie-la-haine-de-l-endroit-ou-l-on-vit-20240901

Mohammad Rasoulof: et pourtant, il tourne!

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© Pyramide Distribution

La mort d’Alain Delon a clôturé un été cinématographique plutôt morose, même si l’on peut se réjouir du succès de Monte-Cristo. Heureusement que la rentrée se place sous les bons auspices d’un film iranien décapant: « Les Graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof


Les Graines du figuier sauvage est l’un des titres les plus poétiques et les plus mystérieux du dernier Festival de Cannes, et le film qui se cache derrière a tenu toutes ces promesses. Le jury ne s’y est heureusement pas trompé, il a décerné son « Prix spécial » à l’œuvre écrite et réalisée par le très talentueux cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Rappelons en préambule que ce dernier ne cesse depuis 2010 de guerroyer avec les autorités de Téhéran. Cette année-là, il est arrêté avec son collègue Jafar Panahi pour « actes et propagandes hostiles à la République islamique d’Iran » et condamné à un an de prison. Neuf ans et trois films plus tard, dont le brillant Un homme intègre, il est inculpé pour des faits similaires et condamné à la même peine. En 2020, son film Le diable n’existe pas,charge implacable contre la peine de mort, remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin mais, interdit de sortie de territoire, le réalisateur ne peut aller chercher son prix en Allemagne. Son cauchemar se poursuit en juillet 2022 avec une nouvelle arrestation qui fait suite à la publication d’une tribune critiquant vertement l’attitude des forces de l’ordre dans la répression des manifestations populaires. Et en 2024, le cinéaste est condamné à huit ans de prison dont cinq ferme pour « collusion contre la sécurité nationale ». Et pourtant… il tourne ! comme l’a prouvé la sélection cannoise de ces Graines du figuier sauvage. Et c’est clandestinement, le 12 mai dernier, qu’il a quitté son pays pour rejoindre la Croisette.

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Que l’on ne s’y trompe pas : Rasoulof est un véritable cinéaste dont la carte d’identité artistique ne saurait se résumer à son seul statut de victime politique d’un régime islamiste autoritaire. Ses films précédents parlent pour lui et ce dixième long métrage en apporte une nouvelle et éclatante preuve. Rasoulof y raconte l’histoire d’Iman, avocat de formation, qui vient d’être nommé juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Sa mission est simple : approuver des condamnations à mort d’opposants politiques sans s’embarrasser de preuves. À charge pour lui de n’en rien dire à ses amis et à ses proches afin d’éviter toute pression. Le tout dans un contexte social de plus en plus explosif puisque les manifestations contre le port obligatoire du hijab se multiplient. Son fragile équilibre bascule le jour où sa femme et leurs deux filles aident un manifestant blessé…

Comme à son habitude, Rasoulof ne prend pas de gants pour décrire la situation politique, morale et sociale d’un Iran profondément déchiré. Petit à petit, le personnage principal développe à l’égard de sa propre famille une incroyable et abyssale paranoïa qui en dit long sur le régime iranien lui-même et les comportements qu’il génère chez ceux qui le servent. Implacablement, Rasoulof déploie une trame narrative au centre de laquelle il place un revolver qui disparaît. Soit un idéal « Mac Guffin », selon la terminologie en vigueur chez Hitchcock qui désignait ainsi un objet alibi et leurre à la fois, présent tout au long du film. Car Rasoulof connaît mieux que quiconque les nécessités du suspense : il tient son spectateur en haleine, là où il aurait pu se contenter d’un propos politique qui lui aurait valu toutes les récompenses. Servi par un casting impeccable, il va plus loin, alimentant sans cesse sa fiction en la confrontant à de saisissantes images d’archives prises par des manifestants durant de véritables épisodes de guérilla urbaine et de répression policière. Le cinéma ne peut assurément changer le monde, mais un film comme celui de Rasoulof redonne tout simplement confiance en la capacité des artistes à témoigner sans jamais baisser la garde de la créativité et de la subjectivité qui va avec.

Sortie ce 18 septembre

Les nègres marrons n’ont pas fini de souffrir

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Ni chaînes ni maîtres - © Chi-Fou-Mi Productions - Les Autres Films - STUDIOCANAL - France 2 Cinéma

Qui n’a pas envie de voir Camille Cottin camper une chasseuse d’esclaves ?


La cause est entendue : l’esclavage est – a été, sera toujours, pour les siècles des siècles – une abomination. On n’en aura jamais fini de raconter la traite des noirs, et de décrire les sévices subis par ses victimes. Que ce soit en Isle-de-France – l’ancien nom de l’Île Maurice – ou ailleurs.

Cinéaste franco-béninois, Simon Moutaïrou ne se fait pas faute d’inscrire Ni chaînes ni maîtres dans le rituel sacro-saint du « devoir de mémoire » qui habite aujourd’hui, nourri de la pureté de ses intentions, la mauvaise conscience de l’Occident. L’action se situe en 1759. La jeune Mati fuit les atrocités (viols, verges, pendaisons) perpétrées par Eugène Larcenet, le patron sadique de la plantation de cannes à sucre, sous les traits d’un Benoît Magimel épaissi, graisseux, ventru, ectoplasmique. L’acteur a définitivement abandonné toute velléité de séduction pour camper le méchant colon blanc qui, aidé de ses nervis tortionnaires, règne sur ce « camp de concentration » avant la lettre. Le mafflu Magimel ne se donne même plus la peine d’articuler les (rares) répliques que lui a confié le script.

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Résumons. Massamba, le père de Mati, n’a d’autre choix que de suivre sa progéniture en cavale, devenant ainsi un « nègre marron », comme on appelait – issu du vocable espagnol « cimarron », c’est-à-dire « vivant sur les cimes » -, les esclaves natifs d’Afrique qui, des Antilles au Brésil, rompaient leurs chaînes pour se regrouper en communautés dans la nature sauvage. Ils étaient traqués. (Sur l’avenue Louise de Bruxelles trône une sculpture monumentale en marbre datant de 1893, signée Louis Samain : «Nègres marrons surpris par les chiens » –  c’est dire !). Dans le film, les fuyards se voient pris en chasse par une professionnelle, baptisée « Madame La Victoire » ; la comédienne Camille Cottin endosse ce (mauvais) rôle.

Camille Cottin

Simon Moutaïrou, esquivant à dessein le réalisme documentaire, tend à investir l’image, nimbée de flou et de clair-obscur, de la charge mystique (à haute teneur spitituelle) dont ces proscrits seraient porteurs, et que sa caméra change en hérauts sanctifiés par l’indigénisme bien-pensant. Dans un curieux syncrétisme qui associe Yoroubas, malgaches, wolof, etc. le réalisateur a soin de valoriser positivement leur foi panthéiste, par opposition à l’effroyable idolâtrie chrétienne par quoi Madame La Victoire, en se signant, yeux au ciel et croix en sautoir, justifie ses exactions racistes. La transparence de l’intention est soulignée par cette séquence qui montre un essaim de cadavres sur une plage, marrons qui ont échoué à rejoindre Madagascar en pirogue : l’amalgame sous-entendu avec le funeste destin des migrants africains de notre temps se redouble de l’emploi quelque peu incongru de la langue wolof, alternant avec le français dans les dialogues du film. Comme s’il fallait, au forceps, ouvrir les entrailles de l’Histoire pour accoucher d’une généalogie supposée entre les esclaves de l’Ile Maurice au XVIIIème siècle et les migrants africains du XXIème siècle. N’est pas Werner Herzog qui veut.       


Ni chaînes ni maîtres. Film de Simon Moutaïrou. Avec Ibrahim Mbaye, Camille Cottin, Benoît Magimel, Anna Diakherethiandoum… France, Sénégal, couleur, 2024.
Durée : 1h38. En salles le 18 septembre.

Flemme olympique: Métro, conso, dodo

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Des manifestants contre la réforme des retraites occupent la terrasse de l’Arc de Triomphe à Paris, 5 avril 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Pour beaucoup de Français, le travail est un mal qui n’est plus nécessaire. Le culte de l’effort a laissé place à celui de la consommation, et l’État veille – à crédit – au « pouvoir d’achat » d’une nation qui produit de moins en moins. Ce modèle magique est au cœur de la crise française.


À entendre les commentateurs, la France n’a jamais été aussi fracturée idéologiquement. Les Français ne parlent plus le même langage. La comédie à laquelle on a assisté, avec une gauche qui, confondant « gagnant » et « premier », s’est autopersuadée qu’on lui avait volé la victoire, nourrit le sentiment vertigineux que les signifiants, affranchis de tout référent, ne signifient plus rien. Ainsi chaque bloc, comme on dit maintenant, peut-il bricoler son réel imaginaire dans son coin. Toutefois, ces réalités parallèles se rencontrent sur deux points, deux idées, ou plutôt deux croyances très largement partagées. Au point qu’elles réconcilient presque tous les journalistes, de CNews à France Inter.

Gouvernants et gouvernés

Premièrement, si la France va mal, c’est la faute à Macron. Pour une écrasante majorité des électeurs, y compris macronistes, le président est le premier responsable de l’impasse politique et du désastreux état du pays – et par association, tous les élus, une bande de fripouilles intéressées par le seul intérêt matériel. Eux sont tous des citoyens exemplaires, pétris de civisme et de souci du bien commun. Les gouvernés n’ont aucune responsabilité dans les lâchetés des gouvernants qu’ils ont choisis. « Ce n’est pas ma faute ! » : l’anaphore de Valmont dans sa cruelle tirade à sa maîtresse déshonorée est devenue une devise nationale.

A lire aussi: Nicolas Baverez: «Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance»

La deuxième faribole devenue une vérité à force d’être répétée, c’est que les Français travaillent trop. Hier, il fallait partager le temps de travail pour endiguer le chômage (voir l’article de Frédéric Magellan dans notre dossier du mois), aujourd’hui, il faut le réduire parce que travailler, c’est pénible. C’est le seul programme politique qui obtiendrait sans peine une majorité à l’Assemblée. Les journalistes sondagiers communient dans la conviction réconfortante que le « pouvoir d’achat » est la première préoccupation des Français. Contrairement aux angoisses identitaires, tenues pour nauséabondes, la peur de perdre du pouvoir d’achat est hautement légitime, digne d’être érigée en urgence nationale. Acheter est un droit de l’homme. À part quelques écolos lecteurs de Michéa[1], nul ne proteste contre ce vocable qui nous assigne tous à un rôle de consommateurs subventionnés. On me dira que, quand le frigo est vide, ces considérations philosophiques n’ont pas cours. Un peu quand même. L’homme ne se nourrit pas que de pain. Subvenir à ses besoins sans tout attendre de la solidarité nationale, viser une certaine autonomie, c’est aussi une façon d’être au monde. Avec le goût de l’effort et du travail bien fait, nous sommes en train de perdre l’élan, le désir de conquête qui pousse les civilisations et les nations à persévérer dans leur être.

Par ici, la sortie

On peut être indifférent à la mutation anthropologique qui a fait de nous un peuple de créanciers capricieux, on n’échappera pas éternellement aux lois d’airain de l’économie. Une nation qui cesse de produire (de la viande, des centrales nucléaires ou des idées) sort de l’Histoire. Il est vrai que les moyennes fabriquent une caricature. Si dans leur ensemble les Français ne travaillent pas assez et pas assez bien, les statistiques de la productivité en attestent, beaucoup d’autres triment sans compter. Et pas seulement des startupers. Des chauffeurs Uber ont renoncé à leurs vacances pour profiter des JO et fait le pire chiffre de leur vie. Sans parler des policiers et gendarmes payés des clopinettes pour risquer leur peau dans un banal contrôle routier. Il y a une France qui bosse et porte à bout de bras et de charges la France qu’on subventionne pour qu’elle consomme. Reste que cette répartition n’existerait pas si nous n’avions pas collectivement accepté la consommation comme ultime horizon collectif. « La dépense publique crée du bonheur », proclame Mélenchon. La France devrait être le paradis sur terre.

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Au moment où nous bouclons, la perspective d’un gouvernement NFP semble écartée. Sauf coup de théâtre d’une Assemblée farceuse, l’épisode ridicule et consternant de l’abrogation de la réforme des retraites nous sera épargné. En attendant, deux blocs ont inscrit au cœur de leur projet la promesse de détricoter une réformette qui nous a déjà valu des mois de chouinements et criailleries hors de proportion. Leur ambition pour la France, c’est de rendre quelques mois de retraite aux Français. Ça fait rêver.

Évacuée en quelques propositions lors des campagnes électorales, sempiternellement traitée sur le mode de la plainte, cette affaire de travail est centrale dans la crise française. Et dans notre éventuel sursaut. Depuis près d’un demi-siècle, nous vivons dans un monde magique où d’autres acceptent de travailler pour financer nos 35 heures. N’en déplaise à mon cher Stéphane Germain qui décrit dans notre dossier cette diabolique roue de hamster, pourquoi s’arrêterait-elle de tourner ? N’avons-nous pas toujours réussi à embobiner nos créanciers – un peu de séduction, un zeste de chantage au fascisme et/ou à l’effondrement ? À l’instar de Nicolas Baverez (interrogé par Jean-Baptiste Roques), tous les analystes répètent que ça ne peut pas durer. Et ça dure. Si ça se trouve, nous pourrions encore retarder l’heure des comptes, gratter quelques années à nous complaire dans la morne illusion de la vie à crédit. Sauf que, même dans le plus rutilant des supermarchés, on finit par s’ennuyer. Et qu’à la fin, on passe toujours à la caisse.


[1] Et Abel Quentin dans son dernier roman, Cabane, dont je parlerai plus tard.

Plaidoyer pour La Fayette

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Portrait of Lafayette, House of Representatives US Congress. DR.

Sacré « héros des deux mondes », La Fayette (1757- 1834) l’est surtout en Amérique. Il serait temps que la France rende l’hommage qu’il mérite au pionnier de l’indépendance et de la liberté… 


Les États-Unis commémorent le 200e anniversaire de la tournée triomphale de La Fayette, qui a eu lieu entre 1824 et 1825. À son arrivée, tout comme aujourd’hui, le pays était marqué par de profondes divisions, avec des élections présidentielles disputées, une intensification des débats entre abolitionnistes et partisans de l’esclavage, une situation internationale tendue en raison des luttes pour la libération des peuples face à des empires autoritaires, et la nécessité de défendre la démocratie libérale émergente.

Son rang en France, parmi toutes les figures illustres que compte notre roman national, n’est pas vraiment prééminent, même si son rôle l’a été pendant les premières années de la Révolution française.

À l’inverse des Etats-Unis, il est souvent présenté en France comme un aristocrate millionnaire et flamboyant, imbu de lui-même et de sa gloriole personnelle, impulsif et opportuniste, trop royaliste pour les républicains, et trop républicain pour les royalistes.

Il suffit de voir sa place au Musée de l’Armée qui expose un buste poussiéreux près de la Salle de l’Indépendance américaine (elle-même bien tristounette, alors que c’est pourtant l’une des périodes les plus glorieuses de notre armée et de notre Marine), ou au Musée Carnavalet, qui expose le célèbre tableau “Serment de La Fayette” par David, de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, sans beaucoup d’explications, sauf une étiquette attenante qui s’attarde sur la présence de son jeune fils à ses côtés, vraisemblablement pour intéresser les jeunes visiteurs et la mention: “Une clef de la Bastille a été déposée aux pieds de La Fayette, la voyez-vous?” Il n’est pas rappelé hélas qu’il fut le premier à soumettre à l’Assemblée nationale, le 11 juillet 1789, un projet de rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen.

juillet 1824-septembre 1825 : une tournée triomphale

Aux Etats-Unis, il en va tout autrement !

Depuis le 16 août, de nombreuses villes, comtés et États américains célèbrent le bicentenaire de la tournée triomphale de La Fayette – orthographié outre-Atlantique « Lafayette1 », alors qu’il était l’invité du président américain James Monroeen qualité d’ultime général encore vivant de la guerre d’indépendance américaine. Le Français fut accueilli avec tous les honneurs dus à un “hôte de la Nation”, officiellement pour célébrer le (quasi) 50e anniversaire de celle-ci, mais aussi pour insuffler à la nouvelle génération « l’esprit patriotique de 1776 ».

Son séjour devait durer trois mois, il se prolongera dix mois de plus, tant sa popularité était grande et les invitations nombreuses. Le marquis vieillissant (67 ans), qui venait d’être battu aux élections législatives, à Meaux, disposait de tout son temps. Il visita ainsi les vingt-quatre États de l’Union de l’époque, et près de deux cents villes, de l’Alabama au Connecticut, de la Géorgie au Maine, de la Pennsylvanie à Washington D.C.. Il fut accueilli en héros partout, de jour comme de nuit, souvent à la lumière des torches. Des foules immenses venaient de loin et patientaient des heures pour avoir une chance de le voir, de le toucher. Les journaux de l’époque furent unanimes pour décrire l’enthousiasme des foules. Sa tournée fut celle d’une « rockstar », et les innombrables bibelots à son effigie, tasses de café, assiettes de porcelaines, gants à son effigie, sont toujours exposés comme des reliques.

Arrival of Lafayette in New York Harbour and the first parade to City Hall, August 16, 1824

« Héros américain », La Fayette a donné son nom à des centaines de villes, comtés, statues, avenues, rues, plaques commémoratives2.

Mais un seul lieu suffirait à attester de son importance, la Chambre des Représentants, où son portrait trône, en symétrie de celui de George Washington, à la gauche du Speaker of the House, le président de la dite-assemblée. Le marquis eut en outre le rare privilège d’être le premier homme d’État étranger invité à prononcer un discours devant le Congrès réuni. Son passage sur la terre américaine a laissé d’autres traces encore. Ainsi la National Guard des 50 Etats actuels de l’Union doit-elle son nom à la Garde nationale qu’il avait commandée en France sous la Révolution et la première des désormais célèbres parades de Broadway fut organisée pour son arrivée triomphale à New York le 16 août 1824, où plus de 60 000 personnes, soit le tiers de la population, s’était pressées pour l’accueillir sur le quai de Battery Park à la pointe de Manhattan.

Portrait of Lafayette, House of Representatives US Congress DR.

Le pays fêtait en premier lieu le Général qui fit tant pour acquérir son indépendance. Loin d’être un général d’opérette, La Fayette fit preuve de courage et de sens tactique sur le champ de bataille, et nombreux furent les « vétérans » survivants de l’Armée Continentale qui l’acclamèrent.  Mais on célébra aussi sa vie entière passée à défendre la liberté et la démocratie, et son amour manifeste pour la jeune nation. Son rôle d’ardent abolitionniste, ses positions envers l’émancipation des femmes que l’on qualifierait aujourd’hui de proto-féministes, font l’objet de nombreux colloques dans les universités américaines. Il conseilla les hommes politiques des deux bords à un moment où la jeune république américaine traversait un épisode politique difficile. Toute sa vie, ses conseils furent recherchés par les dirigeants américains. Une lettre de recommandation de sa part ouvrait toutes les portes – et tous les postes!

Sa renommée ne fut pas un feu de paille, elle était appelée à durer. La première unité d’aviateurs volontaires américains en 1917 est ainsi baptisée « escadrille La Fayette ». Et lorsque le général Pershing débarque en France à Boulogne-sur-Mer à la tête des forces armées américaines, le 13 juin de cette année-là, il aurait prononcé (même s’il s’agit de son aide de camp le Colonel Stanton, au cimetière de Picpus…) le désormais fameux : « La Fayette, nous voilà ! » 

Aux Etats-Unis, La Fayette est considéré comme l’égal des Pères Fondateurs : Franklin, Washington, Adams, Jefferson… Il est vrai que ses états de service plaident pour lui. En 1777, quand il n’a pas 20 ans, le marquis achète et équipe de ses propres deniers le navire La Victoire, chargée d’armes et de fournitures militaires. Le Congrès, avisé de sa fortune et de sa proximité avec la famille royale et la Cour de Versailles, le nomme major général (général de division). George Washington, d’un caractère taciturne et rendu méfiant par les arrivées de volontaires français plus ou moins compétents, le rencontre à dîner à Philadelphie trois jours plus tard et est immédiatement séduit par la fougue et l’enthousiasme du jeune marquis, et le prend à ses côtés. La Fayette l’impressionne dès son premier engagement sur le champ de bataille à Brandywine en Pennsylvanie, où il est blessé. Après sa convalescence, il est de tous les combats, avant de revenir en France en 1779 pour convaincre Louis XVI d’envoyer le Corps expéditionnaire français sous les ordres du comte de Rochambeau. De retour aux États-Unis en mai 1780 à bord de la rapide frégate Hermione, il joue un rôle décisif lors de la campagne de Virginie pour bloquer les troupes de Cornwallis, puis participe à la victoire alliée franco-américaine de Yorktown (Virginie), le 19 octobre 1781.


Trop monarchiste pour les Républicains

Dans son propre pays, la renommée de Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, est bien plus modeste.

Certes, sa popularité fut bien réelle à la conclusion de la guerre d’Indépendance. Hélas la France ne bénéficiera pas des « dividendes de la paix », après le traité de Versailles de 1783, puisque les insurgés seront plus prompts à établir des liens commerciaux avec leur ancienne métropole, l’Angleterre, plutôt qu’avec la France qui l’avait aidée, et lorsqu’il a fallu faire les comptes, cette victoire s’avéra ruineuse pour un royaume déjà fort endetté.

Si le « héros des deux mondes », comme on l’appela de son vivant en Amérique, n’est finalement que le héros de ce monde-là, c’est qu’en France, sa modération dans la période prompte à l’extrémisme que fut la Révolution française, lui fut fatale.

Encore faut-il distinguer deux périodes. Son action du début est unanimement saluée, qu’il s’agisse de sa participation à la Société des amis des Noirs au côté de l’abbé Grégoire, Brissot et Mirabeau, de son combat en faveur de l’émancipation des protestants et des Juifs, et de son commandement de la Garde nationale, où sa première décision fut de démolir la Bastille, symbole de la monarchie honnie.  

Mais à partir de 1790, La Fayette réprime les désordres des meneurs révolutionnaires, que ce soit à Vincennes, au faubourg Saint-Antoine et aux Tuileries, et à chaque fois que le roi est menacé. Pourtant, la Cour l’exècre pour s’être engagé en faveur du nouvel ordre constitutionnel… Plus grave, il est accusé par les jacobins d’être responsable de la fusillade et des cinquante morts du Champ-de-Mars (17 juillet 1791), où s’étaient réunis les partisans de la déchéance du roi, après la fuite de ce dernier à Varennes. À chaque nouvel épisode de radicalisation de la Révolution, La Fayette, par sa modération et son souci de l’ordre, se voit accuser de traîtrise.

Lorsque la guerre éclate face aux monarchies coalisées, en avril 1792, il est nommé à la tête d’un régiment près de Maubeuge. De là, il écrit une lettre à l’Assemblée législative où il dénonce l’action des jacobins et des clubs tout en exigeant le respect de l’intégrité royale. Le 19 août 1792, il est déclaré par l’Assemblée « traître à la nation ». Il n’a désormais d’autre choix que l’exil. Passant les lignes autrichiennes, il est arrêté et… emprisonné pour cinq ans. Libéré grâce à Bonaparte, il se résout à une opposition libérale, que ce soit sous le Consulat et l’Empire, avant de réclamer l’abdication de l’Empereur à Waterloo, sous la Restauration. En 1830, élu par acclamation à nouveau à la tête de la Garde nationale, il facilite la victoire de Louis-Philippe : au détriment des Républicains, une fois de plus, lui sera-t-il reproché. Aussi, lorsque fut évoquée en 2007 son entrée au Panthéon, à laquelle le président de la République Nicolas Sarkozy semblait favorable, l’historien Jean-Noël Jeanneney se fendit d’une tribune cinglante dans Le Monde : « Imagine-t-on (au côté des révolutionnaires) un général en chef qui n’a jamais été républicain et qui a abandonné son armée en pleine guerre pour passer chez l’ennemi ? » 

« Traître », l’a-t-il été vraiment, ce combattant condamné par son propre camp, qui ne se mit pas au service de l’ennemi ?

Écoutons plutôt un autre historien, Guy Chaussinand-Nogaret : « La Fayette fut vite débordé par la tempête qu’il avait contribué à déchaîner. Incapable de modérer les impatiences, emporté par l’engrenage de la liberté au-delà de ses espérances et de ses calculs, il fit couler le sang du peuple dont il n’avait su ni prévenir les déceptions, ni contenir les excès. Apprenti sorcier, héros d’un jour, La Fayette dut assumer un rôle trop lourd pour ses épaules. Mais grâce à sa glorieuse participation à la Révolution américaine, il échappe au jugement défavorable de ceux qui se révèlent inférieurs aux espoirs qu’ils ont suscités. Pour l’Amérique, comme pour la France, il reste le pionnier et le héros de l’indépendance et de la liberté3  ».


  1. Même l’orthographe diffère entre la France et les Etats-Unis, où l’on utilise plutôt Lafayette en un seul mot (ce qui correspond du reste à la signature que Lafayette utilisait lui-même) ↩︎
  2. L’association “The American Society of Le Souvenir Français, Inc.” a publié une compilation exhaustive des sites mémoriels français aux Etats-Unis (plus de deux mille répertoriés et catalogués, dont plus de 200 ont trait à Lafayette, avec photo, géolocalisation, et reproduction des textes inscrits sur ces monuments et plaques. ↩︎
  3. « La Fayette , nous voilà ! », L’Histoire, n° 91, juillet-août 1986. ↩︎

La résurrection d’un pionnier du jazz, Jelly Roll Morton

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Jelly Roll Morton, Washington D.C., 1938 © AP/SIPA

En des temps point si lointains, les ondes de France-Musique servaient de véhicule à la voix d’Alain Gerber. Une voix à la fois chaleureuse et distanciée. Un ton mi-sérieux, mi-badin, parfois teinté d’ironie. L’émission quotidienne de cet éminent spécialiste mobilisait, en fin d’après-midi, des milliers d’auditeurs assidus, fidèles, passionnés. Avides de suivre les péripéties d’une manière de feuilleton que venaient illustrer des morceaux musicaux soigneusement choisis. Une façon hautement originale de découvrir le jazz à travers les musiciens phares de son histoire. Ou, pour les amateurs chevronnés, d’approfondir la connaissance de celle-ci grâce à des témoignages et anecdotes.

Le titre de cette émission devenue culte était révélateur: Le jazz est un roman. Autrement dit, rien de commun avec un cours ex cathedra ou un docte exposé de musicologie. À l’inverse, un mélange étonnant, et détonnant, où la psychologie, la fantaisie, l’imagination, l’humour faisaient bon ménage avec les données historiques avérées et l’analyse savante.

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Ce que l’on pourrait nommer « la patte Gerber » se retrouve aussi dans ses écrits, romans, nouvelles et essais. Un art unique de donner vie à ses personnages sans qu’il soit possible de tracer une ligne de démarcation nette entre réalité et fiction. Les deux sont, en effet, étroitement imbriquées.

Dans l’athanor de l’alchimiste

C’est le cas de ce roman inclassable inspiré par un célèbre musicien, Jelly Roll Morton, pseudonyme de Ferdinand Joseph Lamothe (et non LaMenthe, comme on l’a longtemps cru), musicien créole né en 1890 à La Nouvelle-Orléans, mort en 1941 à Los Angeles. Étrange personnage que ce pianiste, chanteur et chef d’orchestre. Un modèle d’hybris qui se prétendait « inventeur du jazz, créateur du stomp et du swing », formule qu’il avait fait graver sur ses cartes de visite. Il en fut, certes, l’un des pionniers dans les années 1920 et contribua, à la tête de ses Red Hot Peppers, à la renommée de sa ville natale, considérée comme le berceau du jazz. Sinon un inventeur, du moins un jalon non négligeable. Comme King Oliver, champion de l’improvisation collective, avant que Louis Armstrong ne consacre avec le génie que l’on sait l’émergence du soliste.

Un véritable héros de roman

Outre la valeur du musicien, son importance dans l’histoire du jazz est attestée par nombre d’enregistrements et aussi par la biographie que lui a consacrée Alan Lomax, Mister Jelly Roll, fruit de longs entretiens enregistrés pour la bibliothèque du Congrès.

En outre, nombre de légendes, de faits divers, de détails plus ou moins controuvés courent sur ce hâbleur haut en couleurs. Ces données, nul mieux qu’Alain Gerber n’en avait connaissance et elles ont, à n’en pas douter, largement inspiré son récit.

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L’auteur est, du reste, coutumier du fait, comme en témoigne, outre les émissions radiophoniques citées plus haut, Une année sabbatique, roman paru chez de Fallois et dont le héros est le saxophoniste Sonny Rollins. Dans Un Noël de Jelly Roll Morton, une fois encore, la magie du conteur opère. Sous sa plume, son héros prend corps et âme. Il séduit le lecteur dès les premières pages, l’entraîne dans un tourbillon – tout comme la voix du producteur de radio le menait sur les pas de Chet Baker ou de Jack Teagarden. La magie qui transportait naguère l’auditeur opère aussi sur le lecteur qui se trouve projeté dans l’univers de Ferdinand Lamothe. Lequel, à l’instar de ceux qui l’entourent, Alan ou Mabel, laquelle valait mieux qu’un cadeau de Noël de quelques dollars, revit dans ce récit. Ainsi la plume prend-elle le relais de la voix. Avec le même bonheur.

Alain Gerber, Un Noël de Jelly Roll Morton, Une aventure de l’inventeur autoproclamé du jazz Frémeaux & Associés, 132 pages

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Cio-cio San ne sera jamais Américaine

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Eleonora Buratto "Mme Butterfly", opéra de Paris © Chloé Bellemere

Alors que l’on célèbre en 2024 le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, l’Opéra Bastille donne « Madame Butterfly » jusqu’au 25 octobre, le Théâtre du Châtelet propose un concert «Viva Puccini ! » le 9 octobre, et le ténor allemand Jonas Kaufmann sort un disque compilant les plus grands duos amoureux du compositeur.


Faut-il encore présenter Madame Butterfly, must absolu de la scène lyrique ? Pinkerton, un vaniteux officier de marine yankee fraîchement débarqué au Pays du Soleil levant, épouse Cio-cio San, une geisha âgée de 15 ans qu’il a levée grâce à l’entremetteur Goro, avant de se réembarquer en jurant de revenir. En poste à Nagasaki, le consul des États-Unis a prévenu Pinkerton : elle croit dur comme fer à cette fausse promesse ! Passent trois ans ; « Mrs Butterfly » attend toujours son Pinkerton. Lequel, au passage, l’a engrossée d’un fils. Convertie au catholicisme, elle est désormais bannie de la société nipponne. Le consul tente d’annoncer à Cio-cio-Sian le retour soudain de Pinkerton, mais flanqué, cette fois, de Kate, sa jeune femme américaine. Lâchement, ce dernier esquive la rencontre avec Cio-cio San. Refusant obstinément les avances du riche prince Yamatori qui l’aurait tirée de la misère, elle choisit d’abandonner son petit enfant au couple occidental, et se suicide.

C’est que, comme l’exprime Pinkerton au seuil du premier tableau de l’opéra : «  partout dans le monde, le Yankee vagabond s’amuse et se débrouille (…) il jette l’ancre à l’aventure (…) La vie ne le satisfait pas s’il ne s’approprie les étoiles de tous les ciels, les fleurs de tous les pays, l’amour de toutes les belles »… L’impérialisme américain ne fera pas pour autant de Cio-cio San la compatriote de son cynique et couard séducteur !   

Puccini a la quarantaine quand, fort des triomphes de Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), et Tosca (1900), le compositeur désormais très en vue sur la scène internationale se lance, avec ses librettistes Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, dans l’adaptation d’une nouvelle de John Luther Long, elle-même tout juste adaptée au théâtre par David Belasco. La création de Madame Butterfly à la Scala, le 17 février 1904, se solde pourtant par un fiasco retentissant. À plus d’un siècle de distance, la suavité cristalline de la partition, les langueurs mélodiques du chant, la luxuriance, le lyrisme teinté d’exotisme de l’orchestration ravissent l’oreille la moins avertie. Immortel chef d’œuvre !

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C’est en 1993, alors au faîte de sa célébrité, que Robert Wilson (1941-…) a monté la production redonnée à présent par l’Opéra-Bastille ; elle y avait été reprise pour la dernière fois en 2019. Autant dire que cette régie porte la marque de son époque : le XXème siècle finissant et ses épures abstraites – jusqu’à la frigidité. De fait, avec « Bob », on sait à quoi s’attendre : toute espèce de couleur locale évacuée, l’austérité formaliste impose aux chanteurs, chorégraphiée au millimètre, une gestuelle lente, hiératique, robotisée, leurs déplacements s’articulant de façon mécanique sur un plateau sciemment vidé de tout accessoire, un immense écran rectangulaire et uni occupant tout le fond de scène, selon une incessante variation chromatique qui accompagnera l’action de part en part. Ce maniérisme glacé eut son heure de gloire ; il apparaît aujourd’hui cruellement daté. Et surtout tellement, tellement américain !

Cela dit, reconnaissons qu’au cœur de cette régie aseptisée l’apparition archangélique du bambin aux boucles dorées, nu sinon vêtu, mais vraiment à peine, d’un minuscule pagne ceignant ses hanches et se mouvant avec une grâce infinie, imprime au deuxième tableau une poésie pleine de délicatesse. (Par les temps qui courent, d’ailleurs, on en vient à se demander quand les ligues de vertu du parti woke s’aviseront – j’en fais le pari –  de proscrire l’exhibition sur scène de la nudité enfantine, insoutenable atteinte aux droits désormais genrés de l’enfant…).

© Chloé Bellemere / Opéra National de Paris

Fort heureusement, la « tragédie japonaise » de Puccini est ici servie par une direction d’orchestre pleine de nuances, sous la baguette de la cheffe transalpine Speranza Scappucci, et par l’excellent ténor Stefan Pop dans le rôle de Pinkerton. Si la mezzo Aude Extrémo campe Suzuki, la fidèle servante de Cio-Cio-San, avec une belle rondeur dans les graves, on découvrait dans le rôle-titre, au soir de la première, la soprano Eleonora Buratto, lestée d’un vibrato un peu large et d’aigus parfois stridents (elle est en alternance avec la Russe Elena Stikhina), tandis que Sharpless, le consul, se voit quant à lui souverainement campé par le baryton Christopher Maltman. Carlo Bosi (Goro), Andres Cascante (Yamadori), Vartan Gabrielian (le bonze) et enfin l’Ukrainienne Sofia Anisimova (Kate Pinkerton) complètent cette distribution d’assez haut vol tout de même.  

Pour les amateurs de comparaisons, on pouvait voir encore, ces tous derniers jours, en accès libre sur Arte-Concert, la Madame Butterfly du festival d’Aix-en-Provence édition 2024, dans la mise-en-scène remarquablement sobre et dégraissée d’Andrea Breth, sous la direction de l’actuel directeur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rusconi, avec la soprano albanaise Ermonela Jaho, celle-là même qui incarnait Cio-Cio-San sur la scène de la Bastille en 2015.

Et pour compléter les nouvelles du front, comme on fête cette année le centenaire de la mort du compositeur transalpin, rendez-vous le 9 octobre prochain au Théâtre du Châtelet pour un concert exceptionnel réunissant les voix de l’immense ténor Jonas Kaufmann et de la soprano Valeria Sepe, avec Jochen Rieder au pupitre de l’Orchestre philharmonique de Rhénanie-Palatinat (Deutsche Staatphilharmonie Rheinland-Pfalz) : des extraits du répertoire puccinien (Tosca, La Bohème, Madame Butterfly), emballé sous l’engageant intitulé : Viva Puccini !  

Concert « Viva Puccini ! », mercredi 9 octobre à 20h, au Théâtre du Châtelet à Paris. Jonas Kaufmann, ténor et Valeria Sepe, soprano.

En parallèle, Kaufman sort, ce mois de septembre, un CD réunissant des duos amoureux tirés de Tosca, Manon Lescaut, La Fanciulla del West. Lui donnent la réplique un panel de divas, d’Anna Netrebko à Pretty Yende…

Puccini est au podium.


Madame Butterfly, « tragédie japonaise » en trois actes de Giacomo Puccini (1904). Direction: Speranza Scappucci. Mise en scene: Robert Wilson. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris.  Avec Eleonora Buratto/Elena Stikhina (Cio-Cio-San), Stetan Pop (Pinkerton), Christopher Maltman (Sharpless), Aude Extrémo (Suzuki)…
Durée: 2h45
Opéra-Bastille, les 17, 25, 28 septembre, 1, 10, 16, 19, 22, 25 octobre à 19h30; les 22 septembre, 6 et 13 octobre à 14h30.

Et également :

A voir sur Arte Concert, Madame Butterfly, production Festival d’Aix-en-Provence 2024.
Concert «Viva Puccini ! », Théâtre du Châtelet, Paris. Le mercredi 9 octobre, 20h.

CD « Love Affaires », album Puccini, par Jonas Kaufmann. Sony Classical.

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La France est-elle vraiment de droite?

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L'enseignant et essayiste Vincent Tiberj, la journaliste Eugénie Bastié. Photos : DR / Guillaume Brunet-Lentz

Sans convaincre, le sociologue Vincent Tiberj réfute la droitisation du pays dans son dernier bouquin. L’opinion du citoyen français moyen est vraisemblablement plus proche d’un Michel Barnier que d’une Lucie Castets, constate la journaliste du Figaro Eugénie Bastié. Nos années Macron, avec leur « en même temps » inopérant, ont paradoxalement contribué à la polarisation du débat et accentué le raidissement de la gauche comme de la droite dans leurs positions, observe notre chroniqueur.


J’emprunte ce titre à Eugénie Bastié qui a écrit un article passionnant et critique sur un livre du sociologue Vincent Tiberj, La droitisation française – Mythe et Réalités dans Le Figaro du 12 septembre. Ce dernier propose le paradoxe, pire, l’incongruité, de soutenir qu’en réalité « les Français seraient secrètement de gauche mais influencés par des discours politiques et médiatiques imposant certains thèmes dans le débat ». On voit bien ceux qu’il vise et incrimine. Mais son outrance, son excès même, nous contraint à une réflexion que nous n’abordons jamais volontiers parce que beaucoup détesteraient retrouver en eux des traces de positions politiques antagonistes, qu’ils récusent dans leurs tréfonds. Parce qu’ils se sentiraient moins nets, moins tout d’une pièce, trop complexes, gangrenés par une déplorable ambiguïté. Cette répugnance concerne également la gauche et même l’extrême gauche alors que de récentes enquêtes d’opinion démontrent qu’une part importante de leur électorat est devenue très sensible par exemple aux exigences de sécurité et de justice dans leur sens conservateur. Ce constat sans doute entrave encore davantage les directions des partis du Nouveau Front populaire, il l’oblige à se cadenasser pour éviter la corruption intellectuelle et politique par l’adversaire ! Il me semble cependant que c’est encore plus vrai à droite une fois qu’on a dépassé le caractère délibérément provocateur d’une analyse plus idéologique que sociologique.

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Peut-être ai-je tort d’induire de mon propre exemple une généralité qui pourra être perçue comme abusive. Pourtant nous sommes nombreux à ne pas nous sentir clivés, radicaux, à être partagés, intermittents, « souples » selon une expression de Ségolène Royal. Pas toujours « vraiment de droite », pas toujours « de droite », parcourus par des élans divers et parfois contrastés.

Pourquoi nous cédons de plus en plus à la radicalisation du débat

Pourquoi éprouve-t-on tant de mal à l’admettre comme s’il y avait le risque d’une trahison capitale ? Parce que d’abord l’acceptation d’une telle plénitude reviendrait pour certains à tomber dans la caricature d’un centrisme qui n’a que trop sévi et qui par opportunisme picorerait à droite comme à gauche. Cependant il est facile de dénoncer cette dérive tout en maintenant la rectitude d’une position politique qui ne s’enferme pas dans un sectarisme militant.

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Ensuite, parce que nous sommes aujourd’hui, à cause des outrances et parfois des délires du camp prétendu progressiste, conduits à nous priver des quelques évidences de ce dernier à cause de ses excès. Nous aurions honte même d’afficher une vague familiarité avec une gauche qui est dénaturée, dégradée par certains députés qui ne cherchent pas à donner d’elle la plus belle impression possible. Nous sommes détournés de la tentation de nous laisser influencer si peu que ce soit parce que nous préférons demeurer dans une droite close sur elle-même plutôt qu’ouverte sur un autre paysage antagoniste.

Un effet pervers de plus du « en même temps »

Enfin, le « en même temps » macroniste a été le fossoyeur, par les catastrophes qu’il a engendrées, d’une volonté apaisée de tenir les deux bouts d’une chaîne. En effet, pour l’action et la réactivité politiques, le « en même temps » a créé de l’échec puisque là où elles imposaient l’urgence, le sacrifice, des choix, des exclusions obligatoires, cette simultanéité apparente a favorisé lenteur, indécision et déception. Alors que, sur le plan intellectuel et civique, la plénitude du « en même temps », signe éclatant d’une intelligence capable d’épouser toutes les facettes d’une réalité, de s’attacher à l’essentiel sans répudier la richesse d’une autre vision, de s’affirmer de droite sans répudier les idées de gauche raisonnables, constituerait une indéniable richesse. Pourquoi l’égalité, qui est la notion centrale de la gauche, serait-elle forcément aux antipodes, sur tous les registres, de la liberté qui est le cœur battant de la droite ?

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Il ne faut pas surtout pas omettre un point capital si j’ose induire de mon exemple personnel une généralité sans doute à discuter. Pour ma part, si je me sens profondément inspiré par une conception de l’humain, de la responsabilité, de la société et de la culture relevant de la droite conservatrice, par des valeurs et des principes me structurant depuis que citoyen je me détermine dans l’existence, cela ne signifie en aucun cas que la conjoncture politique, les aléas partisans, la gestion au jour le jour, les mille difficultés liées à l’affrontement avec un réel qui répugne parfois à ressembler à ce que la droite attendrait de lui, ne puissent jamais faire naître chez l’homme de droite des tentations de gauche. Et réciproquement, je l’espère. Quand l’une et l’autre sont débarrassées de ce qui les constitue comme solutions exclusives, telles des idéologies, au lieu d’être des compléments pour ce qu’on a privilégié prioritairement. Une droite ne se trahit pas quand une gauche honorable vient au moins partiellement la tenter. Une gauche ne devrait pas refuser d’être irriguée par le meilleur de la droite : changer et réformer seulement quand il convient, conserver s’il le faut. Au fond, j’aspire à une France entière.

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Nicolas Baverez: «Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance»

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Nicolas Baverez © Hannah Assouline

Le diagnostic de l’essayiste est accablant : la France a raté le train de la mondialisation économique, la croissance est à plat, les faillites explosent, et l’État est incapable d’assurer aux Français les services de base de leur vie quotidienne. Pour autant, le pays a suffisamment d’atouts pour sortir de la spirale du déclin.


Voilà au moins trente ans que Nicolas Baverez sonne l’alarme. Qu’il dissèque « l’impuissance publique » (du nom de son premier livre, publié en 1994 avec Denis Olivennes), qu’il déplore « la France qui tombe » (2003), qu’il chronique « le déni français » (2017). À se demander parfois si la noirceur n’est pas son fonds de commerce… Sauf que les faits lui donnent obstinément raison. Aujourd’hui, le pays est à plat, les indicateurs économiques sont au plus bas et la comédie politique tourne à la farce. Pourtant, Baverez pense que nous ne sommes pas fichus. Si, si ! Et il ne dit pas cela par politesse, ni par amour des compositions en deux parties. Pour lui, notre pays, qui a raté dès les années 1980 le train de la mondialisation économique, pourrait bien, à la faveur du nouveau cycle qui s’ouvre, plus multipolaire et géopolitique, renouer avec le dynamisme, l’ambition et même l’innovation. Et si nous étions sortis de l’Histoire tout simplement parce que nous attendions qu’elle redevienne passionnante ?


Causeur. Notre pays est-il à bout de souffle ?

Nicolas Baverez. La France se trouve dans une situation paradoxale. Les JO de Paris 2024 ont été une réussite remarquable, qui a montré le meilleur de notre pays et souligné qu’il est capable de rivaliser avec les meilleurs quand il se rassemble et se mobilise. Mais, simultanément, l’interminable spirale de déclin dans laquelle il s’est enfermé depuis plus de quatre décennies s’emballe. La situation est aujourd’hui critique. La croissance est atone et les faillites explosent. Le chômage remonte. Le carcan du double déficit des comptes publics et de la balance commerciale se resserre. Du fait de la paupérisation de la population – le revenu annuel d’un Français est désormais inférieur de 15 % à celui d’un Allemand – et de l’éclatement de la classe moyenne, la France accumule les mouvements sociaux insurrectionnels : gilets jaunes, manifestations contre les retraites, émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, jacquerie des agriculteurs, guerre civile de Nouvelle-Calédonie (qui se poursuit dans l’indifférence générale). Quatre changements majeurs sont intervenus qui font que notre pays, nonobstant la fête olympique, approche d’un point de rupture. L’accélération de la crise financière avec une dette de 3,15 milliards d’euros qui est sortie de tout contrôle. Le blocage des institutions qui découle de la dissolution insensée décidée par Emmanuel Macron. La paralysie de l’État, notamment dans ses fonctions régaliennes, illustrée par la plongée de la Nouvelle-Calédonie dans un chaos qui interdit toute reconstruction. Enfin, le changement du regard que le monde porte sur la France. Les images sublimes des JO n’ont qu’un temps. Elles ne peuvent occulter la défiance croissante des marchés financiers, de nos partenaires européens et de nos alliés. Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance.

Le cas de la Nouvelle-Calédonie est toutefois difficile à transposer à la métropole…

Oui bien sûr, la Nouvelle-Calédonie n’est pas la France. Mais la logique de la guerre civile n’est pas le monopole du Caillou. Voyez l’anarchie qui règne à Mayotte. Voyez surtout la montée du niveau et de l’intensité de la violence dans la société, illustrée par la forte hausse de la délinquance et des agressions contre les personnes, mais surtout par la multiplication des attentats et des actes antisémites, avec pour dernière illustration la tentative d’incendie de la synagogue de La Grande-Motte. L’État, qui absorbe 58 % du PIB, a répondu aux défis de la sécurité et des transports durant les Jeux olympiques. Mais il se montre incapable d’assurer aux Français dans leur vie quotidienne les services de base : éducation, santé, transports, logement, police, justice. L’impasse politique actuelle ne va pas contribuer à améliorer la situation, au moment où le gouvernement de Gabriel Attal vient de battre le record de durée d’un gouvernement démissionnaire depuis 1945. Un comble pour la Ve République qui a été conçue par le général de Gaulle pour assurer en toute circonstance la liberté d’action du pouvoir exécutif et restaurer le pouvoir de l’État. La corruption de nos institutions par celui qui est censé être leur garant est illustrée par l’usage irresponsable de la dissolution : elle est devenue le détonateur d’une crise politique qu’elle a été prévue pour désarmer. Il est grand temps de cesser de déconstruire nos institutions et l’État.

Emmanuel Macron remercie les professionnels mobilisés pour des Jeux olympiques de Paris lors d’une cérémonie dans le jardin de l’Élysée, 12 août 2024. Eric Tschaen/SIPA

Emmanuel Macron n’a-t-il pas cependant pris certaines bonnes mesures, notamment en matière de travail ?

Emmanuel Macron a incontestablement réalisé des réformes utiles en direction des entreprises : la flexibilité du marché du travail ; la stabilisation de la fiscalité sur le capital ; l’investissement en direction des start-up ; l’amélioration de l’attractivité de notre pays – avant la dissolution. Mais il a échoué dans la modernisation du modèle économique et social, qui constituait le cœur du mandat que lui ont confié les Français en 2017. Il a même fait pire. Il a poussé à ses limites, jusqu’à le faire exploser, le mode de croissance à crédit (devenue dans les faits une décroissance à crédit), en accumulant 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, qu’il a dilapidés en subventionnant la consommation au lieu d’investir. L’absence de toute stratégie de long terme indissociable du « en même temps » a mis le pays à l’arrêt. La concentration extrême du pouvoir, la destruction du système politique et le mépris envers les citoyens ont ouvert un vaste espace aux extrémistes qui sont désormais majoritaires. Enfin, sur le plan stratégique, la France s’est fourvoyée en manquant le tournant de la grande confrontation lancée par les empires autoritaires aux démocraties, tout en offrant ensuite à l’Ukraine, à la Grèce ou à la Moldavie des garanties de sécurité qu’elle ne peut honorer faute d’avoir réarmé.

La France continue pourtant d’attirer les capitaux étrangers, n’est-ce pas ?

Malgré un niveau très élevé de normes et de taxes, qui représentent un véritable handicap pour l’économie, notre pays a vu ces dernières années affluer les investisseurs étrangers, séduits par la partie de sa main-d’œuvre hautement qualifiée, sa situation géographique exceptionnelle, la qualité de ses infrastructures. À quoi se sont ajoutés deux autres points forts qui sont à mettre au crédit d’Emmanuel Macron : d’une part, l’ambition affichée de relancer l’industrie, à travers une politique de l’offre ; d’autre part, une relative stabilité normative et fiscale. La dissolution a remis en cause ces deux acquis et débouche sur une fuite des investissements et des entreprises, des talents et des capitaux. Déjà, la City, forte du renouveau d’une social-démocratie responsable avec l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer, est repassée devant la place de Paris. Les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national, qui dominent l’Assemblée, ont en commun la relance de la consommation par la dépense et la dette publiques, ainsi qu’une hausse de la fiscalité la plus élevée du monde développé. Soit très exactement les conditions qui maximisent le risque d’une crise financière comparable à celle subie par le Royaume-Uni en 2022, en raison du projet de budget insensé de Liz Truss. Désormais, qu’on le veuille ou non, les marchés ont placé la France sous surveillance. Et, à la fin, ce sont toujours eux qui gagnent.

Que faudrait-il faire ?

Mobiliser les Français autour d’un nouveau modèle national, nouant un pacte et répartissant les efforts entre l’État, les entreprises et les citoyens. En s’inspirant des pays développés qui se sont adaptés à la nouvelle donne du XXIe siècle. L’Europe du Nord notamment s’est profondément remise en question pour allier compétitivité et solidarité, innovation et intégration, transition écologique et réarmement. Ce qui prouve bien que l’on nous trompe quand on prétend qu’il faut choisir entre la décroissance ou la catastrophe climatique, les services publics ou le marché, la protection sociale ou l’investissement productif.

Mais nos concitoyens en ont-ils encore l’envie ?

Raymond Aron exposait les termes du même dilemme en juin 1939 quand il affirmait : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition, c’est qu’elles le veuillent. » Pour ma part, je conserve l’espoir que le redressement de la France est possible. Notre pays dispose de formidables atouts. Surtout, les Français sont humiliés par le déclassement de la France et n’ont pas encore renoncé à la relever. Ils l’ont montré lors des élections législatives de 2024, en s’opposant in extremis à l’arrivée au gouvernement de l’extrême droite – au prix certes de l’ingouvernabilité du pays. Ils ont aussi prouvé lors des JO qu’ils étaient capables de s’unir, de s’enthousiasmer, d’incarner l’actualité des valeurs de la République, de figurer parmi les peuples le plus performants, innovants et ouverts de la planète.

Ce succès ne s’explique-t-il pas aussi par les allègements de contraintes administratives dont ont bénéficié les organisateurs, qui ont pour ainsi dire été exemptés du droit commun ? Le système D à la française ne devrait-il pas être réhabilité ?

Sans doute. Mais le succès a surtout été construit sur le travail dans le temps long et l’alignement des parties prenantes au service d’un objectif commun. Il a rappelé que le fonctionnement efficace de l’État régalien reste la condition première du bien-être des citoyens, de la prospérité des entreprises et de la continuité de la vie nationale. Pendant quinze jours, Paris, par une sorte de miracle, est redevenue une ville agréable, joyeuse, paisible, sûre et presque propre. Il ne faut pas laisser perdre cet héritage. Mais c’est avant tout une question de volonté politique.

La volonté politique ne s’est-elle pas enfuie sitôt la flamme olympique éteinte ?

Peut-être pas. Nous entrons dans une nouvelle ère qui peut nous offrir une chance de remettre la France debout. Tout dépendra des Français.

Comment cela ?

Quand on prend du recul, on constate que notre pays est passé à côté du cycle de la mondialisation. Cela a commencé en 1981, avec la calamiteuse relance dans un seul pays voulue par François Mitterrand, qui mit la France aux portes du FMI en 1983. Puis nous avons ignoré la réunification de l’Europe et de l’Allemagne, refusé les efforts qu’impliquait le passage à l’euro, sous-estimé les conséquences de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, manqué la révolution numérique, puis entrepris la transition climatique par le seul angle des taxes et des normes, laissant la production et l’innovation à la Chine et aux États-Unis. Or ce moment de la mondialisation vient de se refermer définitivement. Ébranlé par le krach de 2008, fissuré par la pandémie de Covid, il s’est clos le 24 février 2022, date de l’entrée des troupes russes en Ukraine. Ce jour-là, nous avons changé de monde. Désormais, la géopolitique prime sur l’économie, l’État sur le marché, la souveraineté sur le libre-échange, la sécurité sur l’optimisation de la chaîne de valeur. Dans ce nouveau contexte, les Français, dont la conscience nationale a, au cours des siècles, été façonnée par l’État, et qui sont jaloux de leur indépendance, ont de sérieux atouts à faire valoir. Mais ils ne doivent pas laisser perdre cette ultime occasion qui se présente à eux.

Qu’est-ce qui pourrait les en empêcher ?

L’enfermement dans le malthusianisme, le défaitisme et l’institutionnalisation des mensonges qui ont ruiné notre pays au cours des dernières décennies. Acceptons de faire la vérité sur nos problèmes et rassemblons-nous pour les traiter. Nous disposons de nombreux atouts pour relever la France. Il ne nous manque que l’essentiel : la volonté, le courage et l’espoir. À nous de renouer avec eux et de les faire vivre !

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Pour notre bonheur, le réalisateur Laurent Firode est sur tous les fronts

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Laurent Firode D.R.

Après avoir aidé à la révélation des manigances de l’industrie cinématographique française dans un livre d’entretiens avec des gens du métier, Laurent Firode a réalisé une merveilleuse comédie poétique.  


Dernièrement, sur le plateau de Quotidien, le député corrézien François Hollande a expliqué comment son actrice de femme, Julie Gayet, lui avait ouvert les yeux sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans le cinéma : « Les actrices, c’est comme s’il y avait une limite, notamment à 50 ans. On remarque qu’elles deviennent tout de suite des mères et des grand-mères. » C’est bien triste ! Durant cette émission, la chroniqueuse Ambre Chalumeau a évoqué la « placardisation des actrices de plus de 50 ans ». Sur la radio publique, Julie Gayet s’émouvait déjà, il y a un an, du fait que « les femmes de plus de 50 ans sont sous-représentées sur nos écrans ». Et patati, et patata.

Les fables de la grande famille du cinéma

Pour Main basse sur le cinématographe, livre paru aux éditions de La Mouette de Minerve, l’écrivain Bruno Lafourcade et le réalisateur Laurent Firode ont réuni quatre professionnels du cinéma – une comédienne, un technicien, une scénariste également documentariste et un cinéaste – et ont soumis à leur réflexion les lieux communs, les fables et les histoires qui encombrent le milieu cinématographique ou télévisuel, à partir de déclarations d’acteurs et de producteurs. Entre autres drôleries, celles-ci : « Même si mes parents sont des stars, ils ne m’ont pas aidé à percer ». « Les films ne bénéficient pas d’argent public. » « Le cinéma est une grande famille. » « Les acteurs sont fragiles. » « Les actrices ne trouvent plus de rôle après 40 ans. » Comme les précédentes, cette dernière assertion a beaucoup amusé les invités de Lafourcade et Firode, en particulier le cinéaste Camille D. : « Ça, c’est vraiment hilarant, parce que c’est exactement le contraire. Toutes les vedettes refusent de jouer des femmes de leur âge, et même de leur génération. Elles veulent toutes un rôle où elles paraissent plus jeunes : elles ne veulent pas se voir en femmes âgées, parce que la vieillesse, dans leur esprit bourré de préjugés imbéciles, est une déchéance. La ségrégation par l’âge, c’est elles qui le pratiquent. » Cette hantise de l’âge fait le bonheur des chirurgiens esthétiques et, souvent, le malheur des visages déformés par le Botox et les liftings jusqu’à devenir, au dire d’un réalisateur, « infilmables ». Des actrices de 60 ans refusent de jouer les mères d’actrices de 40, au prétexte qu’elles font « plus jeunes » que ces dernières, ou désirent jouer des rôles de femmes enceintes d’hommes de trente ans. « La vieillesse n’est pas dans mes projets », affirme l’une d’elles. 

A lire aussi: Julie Gayet aurait apprécié qu’on la prépare à… la ménopause!

Main basse sur le cinématographe massacre avec beaucoup d’humour les fables colportées par les professionnels du cinéma industriel. En plus de celles sur ces pauvres actrices soi-disant ostracisées à cause de leur âge, il y a celles sur les « fils de » et les « filles de » – il n’y en a jamais eu autant que ces vingt dernières années – qui se sont soi-disant faits tout seuls. La seule citation de la néantissime Léa Seydoux, fille, petite-fille et petite-nièce de personnes issues de deux des plus grandes familles de la bourgeoisie d’affaires françaises, dont certaines extrêmement influentes dans le cinéma, éclaire sur l’indécence et la bêtise de ces nantis qui aimeraient faire croire qu’ils ont du talent et qu’ils ont dû surmonter les plus grandes difficultés pour en faire profiter les spectateurs : « C’est la rue qui m’a éduquée. D’une certaine manière, je me suis élevée moi-même. J’avais toujours l’impression d’être orpheline. Je n’avais aucune structure. J’étais mal fagotée avec des chaussures trop petites. Et j’avais des poux. » Dans un autre genre, on se souviendra, ou pas, de la réalisatrice de Seize Printemps, navet vu par… 13 000 spectateurs. Comment se nomme la très jeune réalisatrice et actrice principale de cette daube narcissique que même Télérama a éreintée en s’interrogeant sur sa mystérieuse sélection à Cannes, en 2020, en compétition officielle ? Suzanne Lindon, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kiberlain.

Version 1.0.0

J’aurais voulu être un artiste, pour pouvoir faire le numéro du CNC

De nombreux passages de ce livre sont également consacrés à l’argent public déversé sur l’industrie du cinéma par les départements, les régions, les ministères, la télévision publique et, bien sûr, le CNC et ses… cinquante commissions qui sont autant de robinets à fric – aides à l’écriture de scénarios, aides sélectives à la production, aides à l’écriture du jeu vidéo, aides à l’innovation en documentaire, aides à la fiction et à l’animation, aides “Images de la diversité”, etc. – et qui sont toutes présidées par des écrivains, réalisateurs, acteurs ou journalistes ayant pignon sur rue et favorisant parfois, sans aucune gêne, les projets des propres membres des commissions en question. Au nom de « l’exception culturelle », BHL, Rokhaya Diallo et de nombreux réalisateurs de bides retentissants sur les migrants, les banlieues ou le racisme dans la police, ont ainsi profité des largesses des institutions publiques, du CNC et même d’entreprises privées qui bénéficient alors d’une réduction d’impôts. Camille D. : « On ne cherche pas d’argent pour monter un film, on cherche une idée de film pour obtenir de l’argent. […] Donc, un producteur consulte les aides du CNC, des régions, etc., puis il appelle un cinéaste : “J’ai besoin d’un pitch de dix lignes sur la mixité dans les territoires avec dans le rôle principal une racisée amoureuse d’un djihadiste blanc : j’envoie le projet à la région Nord-Pas-de-Calais, à la fondation Benetton et à la commission Images de la diversité”. » Et peu importe que le film soit nul et ne soit vu par personne, puisque tout le monde a déjà été payé, des producteurs au réalisateur, de la star aux petites mains, ces fameux intermittents du spectacle exploités par un système industriel profitant abusivement des aides financières publiques.

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Quant au mythe de « l’artiste fragile et torturé », le réalisateur Camille D. le brise d’une phrase : « Je n’ai jamais connu d’acteurs fragiles, je n’en ai connu que des féroces. » Féroces, surtout, au moment d’obtenir un rôle, d’écarter un concurrent, de négocier le montant de la prestation puis de demander des aménagements particuliers pendant le tournage. Les mêmes sont pourtant particulièrement émotifs devant les journalistes. La misère du monde les concerne. Ils sont solidaires (des pauvres, des migrants, des femmes, des victimes du Covid, des SDF, etc.). « Je passe ma vie à écouter les autres », déclare Sophie Marceau au magazine Vogue. Et puis, ils veulent « sauver la planète », comme de bien entendu. Durant la crise du Covid, pendant une promenade « dans la nature » qui l’a visiblement chamboulée, l’actrice Audrey Dana s’est filmée en pleurs et tenant des propos hallucinants de niaiserie mais caractéristiques des faibles d’esprit adeptes de cette nouvelle religion de bazar qu’est l’écologie : « J’essaie d’envoyer de la lumière partout, le plus possible. Moi, j’ai personne qui meurt du coronavirus dans mon entourage. Mais j’ai mal à ma Terre. J’ai mal à ma Terre ! Je prie pour notre Terre, si fort, si fort, si fort  ! » Il y a des gens qui n’ont honte de rien : Audrey Dana a osé poster ce bredouillis insane sur son compte Instagram !


Changement radical de décor. Après sa formidable trilogie sur Le Monde d’après, Laurent Firode a réalisé une très réjouissante comédie poétique intitulée Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. Budget riquiqui mais imagination débordante, savoir-faire total, acteurs et actrices formidables. Résultat : une création qui nous enchante et nous fait oublier les entreprises d’abrutissement ou de propagande du cinéma industriel. En exergue de ce film, une citation de G.K. Chesterton : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais uniquement par manque d’émerveillement. » Émerveillés, tous les personnages de ce poème cinématographique le seront, d’une manière ou d’une autre. Et les spectateurs avec eux. Dès le début, la magie opère : le charme puissant d’une vieille dame rencontrée par hasard sur le banc d’un square à Montmartre embarque une mère et sa fille trentenaire vers un monde mystérieux. Au gré des vicissitudes ordinaires de la vie, d’autres personnages découvrent le monde invisible qui les entoure ainsi que celui que chacun porte en soi, l’immense continent des rêves, des sentiments réfrénés, des émotions enfouies et des terreurs enfantines. Faire redécouvrir le caractère extraordinaire des choses ordinaires, telle était l’ambition de Chesterton. Telle est celle de Laurent Firode qui, dans son film, prête à de simples objets des destins singuliers – un pendule, un singe en peluche, une boîte d’allumettes servent ainsi de jalons dans le dédale d’existences où le visible et l’invisible, le connu et l’inconnu, le réel et le rêve se mêlent. Les motifs d’émerveillement sont innombrables. Envoûtants ou insondables, ils illuminent miraculeusement de fugaces événements qui changent le cours de notre vie sans que nous le sachions toujours. Car il y a ce qui se voit mais aussi ce qui ne se voit pas et ne se laisse parfois deviner qu’à travers ces furtifs et merveilleux ou déroutants instants. Laurent Firode a imaginé quelques-uns de ces instants magiques et réalisé un film délicat, surprenant, tendre et parfois cruel, comme le sont souvent les contes, teinté d’humour et de poésie – un film idéal, donc, pour tenter de réenchanter le monde.  


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Info : Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas n’est visible pour le moment qu’à l’espace Saint Michel, 7 place Saint Michel, Paris 7.

Le DVD de ce film ainsi que celui de la trilogie Le Monde d’après sont en vente ici :

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Le réveil des peuples maltraités affole les mondialistes

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François Ruffin en campagne pour les législatives à Camon (80), 2 juillet 2024 © Charles Bury/SIPA

En Allemagne, la gauche rétablit pour six mois les frontières. En France, elle siffle François Ruffin qui a osé rompre avec la vision politique racialiste de Jean-Luc Mélenchon.


Dès ce lundi, l’Allemagne va rétablir pour six mois renouvelables des contrôles sur ses neuf frontières, dont celle avec la France (voir mon billet précédent). Ce week-end, à la Fête de L’Humanité, le député de la Somme, François Ruffin (ex-LFI), a été pour sa part sifflé par des ultras pour avoir rompu avec Jean-Luc Mélenchon et sa vision racialiste d’une société « créolisée » écartant les prolétaires blancs, assimilés de surcroit à des ploucs avinés et adipeux par le leader insoumis. Ces deux faits apparemment disparates ont un même lien : ils remettent en question la révolution cosmopolite construite sur le démantèlement des frontières et l’obsession du métissage. Ce changement civilisationnel, conduit depuis un demi-siècle dans l’entre soi des cercles mondialistes, vise à la constitution d’un monde consummériste indifférencié et remplaçable, y compris sexuellement. Ludovic Greiling, qui a été à la source de cette mutation en cours[1], croit ce bouleversement inexorable tant ses mécanismes semblent réfléchis, implacables. Il écrit : « Il nous semble (…) que la révolution se fait et ne se débat pas. Il y a quelque chose de trop vigoureux dans ces esprits ». L’auteur oublie néanmoins que ces choix impérieux n’ont jamais reçu l’aval des peuples concernés. Même si Greiling note : « Tout ou presque a été fait en sous-main, en tout cas avec une information inexistante auprès du grand public », il n’en tire pas la conséquence prévisible : la révolte des peuples trahis. C’est parce que les oubliés et les parias se réveillent, en Allemagne comme en France et ailleurs, que les mondialistes s’affolent.

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Observer les sociaux-démocrates allemands rétablir leurs frontières revient à constater l’échec de Maastricht, de Schengen et de la vision sans-frontièriste de l’Union européenne déracinée. Le « repli sur soi », tant fustigé par Emmanuel Macron dans ses odes à la société ouverte, est une réaction protectrice partout répandue. Les Français se disent à 77% pour de semblables contrôles (sondage CNews, dimanche). Michel Barnier serait d’ailleurs bien inspiré de les restaurer s’il veut répondre aux inquiétudes existentielles de « ceux d’en bas ». Quant à Ruffin, sa tentative de renouer avec la classe moyenne des périphéries, abandonnée par la gauche, révèle un sursaut tardif mais lucide. La dérive communautariste de LFI pousse ce mouvement à épouser sans retenue les combats de l’islam révolutionnaire et universaliste, vu comme un nouveau communisme pour tous (Allah en plus). Or les fanatiques du « village global » partagent avec l’extrême gauche une même fascination pour cette idéologie de conquête qui entend enrégimenter le monde grâce au djihad. À Rezé (Loire-Atlantique), jeudi, un élève se réclamant de l’État islamique a menacé de poignarder une enseignante. En France, près de 70% des jeunes musulmans placent l’islam au-dessus des lois de la République. C’est vers eux qui se tourne Mélenchon, qui refuse d’admettre, comme l’a révélé l’écrivain Arturo Perez-Reverte (Le Figaro, 1 er septembre[2]), qu’une partie de l’immigration musulmane souffre d’oikophobie, c’est-à-dire d’une haine de l’endroit où l’on vit. Les peuples maltraités sont aujourd’hui aux aguets. C’est une bonne nouvelle.


[1] Le monde qu’ils veulent. Lire et écouter nos élites pour comprendre l’évolution en cours. L’Artilleur.

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/arturo-perez-reverte-une-partie-de-l-immigration-musulmane-en-europe-souffre-d-oikophobie-la-haine-de-l-endroit-ou-l-on-vit-20240901