Nous commençons à boucler le numéro de novembre et c’est le moment de vous rappeler que primo, Causeur n’est pas seulement un excellent site internet, mais aussi un mensuel imprimé comme dans le monde d’avant et que, secundo, vous aussi pouvez le recevoir tous les mois dans votre boîte aux lettres, si vous en avez une, et si vous vous abonnez, ce que vous pouvez faire illico du bout du doigt. Sinon, vous pouvez aussi acheter Causeur au numéro en cliquant ici. Ceux qui préfèrent toucher la marchandise avant de passer à la caisse sont cordialement invités à le faire à la librairie Kléber à Strasbourg ou au Seuil du Jardin chez l’excellent Michel Kessler à Metz. Je n’ai rien oublié ? Et bien alors, tout va bien, je peux signer et aller regarder le match.
Féminisme anti-fromager

L’ami blogueur Max-la-Terreur au détour d’un article m’a appris l’existence du dernier communiqué des fameuses Chiennes de garde. On se souvient qu’il y a quelques années, une crème[1. Alimentaire. Pas une crème de beauté.] avait fait l’objet d’une protestation vigoureuse de la part de la même association, toujours prête à traquer la publicité sexiste. Il me semble qu’on y vantait sur des affiches et dans des spots la possibilité de la battre, de la fouetter et de la passer à la casserole. Les chiennes de garde, Isabelle Alonso en tête, avaient fustigé la pub, laquelle pouvait banaliser la violence conjugale. Cette dernière, nous ne le nions pas, fait des victimes chaque année au point qu’une femme meurt tous les deux jours des coups de son compagnon.
Déjà à l’époque, j’avais trouvé que l’association féministe pouvait avoir un léger problème avec le second degré. On ne voit pas en quoi un homme pourrait être incité par cette publicité à frapper sa compagne. Cette violence conjugale semble davantage provoquée par l’alcoolisme ou les gros connards, et assez souvent les deux à la fois. On m’objectera que les mots « battre » et « fouetter » peuvent tout de même prêter à confusion. Admettons.
Mais pour les spots du Comité interprofessionnel du Cantal, rien ne prête à confusion. Les situations – abandonner Chantal au bord de la route, lui dire non devant monsieur le maire, ou se désolidariser d’elle dans une escalade, parce qu’elle a, à chaque fois, oublié le Cantal – sont volontairement irréalistes. Le second degré, l’humour, c’est marqué dessus, comme pour un autre fromage. Je me souviens d’avoir été agoni d’injures lorsque j’avais commis au mois de janvier dernier un texte, très second degré aussi, sur la fille de Rachida Dati. Et je m’étais aperçu alors combien certaines féministes pouvaient manquer d’humour en certaines occasions. Avec cette histoire de fromage du Cantal, qu’elles appellent d’ailleurs à boycotter, on atteint des sommets assurément plus hauts que ceux du Massif Central.
À quand l’interdiction totale, sous peine de tribunal correctionnel, des blagues sur les blondes[2. Ces histoires, qui viennent du Québec, concernent toutes les femmes. Au pays de Gilles Vigneault, une “blonde”, c’est une femme, quelle que soit sa couleur de cheveux.] ? Peut-on continuer à tolérer des titres de journaux ainsi écrits les lendemains d’élections : « 3e circonscription du Loir-et-Cher : Gisèle Dugenou battue » ? Les publicités pour les sites sado-masochistes ont-elles encore leur place dans les journaux de petites annonces ? Si on n’a plus le droit de plaisanter sur tel ou tel sujet à partir du moment où existent des victimes, si on ne peut plus citer certains mots quel que soit le contexte, on n’a pas fini. J’ai revu récemment Le dîner de cons[3. Au passage, ce film ne respecte guère la parité puisque tous les cons sont des hommes. Très sexiste, ce film.] et je connais des amateurs de boomerangs et de maquettes qui auraient pu, à bon droit, faire interdire le film ou demander des dommages et intérêts pour être ainsi honteusement stigmatisés.
En mesure de rétorsion contre les chiennes de garde qui, je le sais, ne représentent qu’une minorité de femmes non dotées d’humour et de recul, j’incite tous mes lectrices et lecteurs à consommer sans modération ce produit du terroir fort excellent que constitue le fromage du Cantal.
Castration : on n’y coupera pas

Triste suite française que celle que nous venons de vivre avec son lot d’intensités et ressacs, qui, de Polanski à Frédéric Mitterrand en passant par Jean Sarkozy, égrène ses séquences sulfureuses pour s’achever – juste avant l’hymne à la castration physique de Mme Alliot-Marie par la béatification de Dame Royal, sacre télévisuel de la vacuité.
Le lien entre ces deux séquences mettant en jeu deux femmes politiques d’envergure, a été peu perçu par les commentateurs.
Il est vrai qu’il est difficile, a priori, d’associer ces deux estimables figures de la vie politique française tant leurs styles divergent.
L’une confesse un féminisme provincial relooké en un singulier composé de mère courage et de grande prêtresse glamour. L’autre qui se fait appeler Madame le Ministre et arbore de sages tailleurs s’est imposée comme un pur chef d’œuvre de rectitude dépouillée et de sens du labeur et semble peu encline aux illuminations ou aux débordements extatiques, contrairement à sa consœur poitevine qui allie à une sophistication chichiteuse un talent de prédicatrice ambulante assez proche de celui des télévangélistes étatsuniens.
Et pourtant, l’une et l’autre ont en commun, quoique de manière fort différente de raviver en nous l’angoisse de la castration, l’une de manière métaphorique, l’autre-fidèle à son style de façon beaucoup plus cash, voire dans le cas qui nous (pré)-occupe nettement trash.
Revêtue de sa tenue de lin d’une blancheur immaculée, la reine thaumaturge du Poitou semble en, effet toujours prompte à en découdre avec la rouerie et la perversité – attributs d’une vile masculinité assujettie aux caprices de la pulsion et de la cupidité et à porter ainsi l’ultime estocade au politique au nom de la supériorité d’une morale résolument sexuée.
Ségolène surgit tel un agent purificateur très concentré qui nous lave des péchés d’une masculinité cynique et dominatrice.
Armée d’un sourire immuable, nous l’avons vu se faire l’exégète de ses propres gloires et de ses déconvenues avec cette pudeur de femme blessée dans sa vie de couple, bafouée dans sa vie publique par des hiérarques socialistes ventripotents et infidèles, mauvais pères et mauvais maris.
Bravoure d’une féminitude mère de toutes les rébellions.
Cette fièvre éradicatrice doit être rapprochée des propos ébouriffants récemment tenus par Mme le Garde des Sceaux, considérant dans un entretien au Figaro Magazine, que la castration physique, « ablation des testicules par chirurgie » courtoisement réclamée en ces termes cliniques au président de la République pour lui-même par le pédophile Francis Evrard, « peut se poser et être débattue, y compris au Parlement ».
N’est-ce pas là le point d’orgue de la séquence ? Si le pervers ou cliniquement supposé tel – qui, dans le cas présent, serait atteint de troubles de l’érection, le conduisant à violer ses victimes à l’aide d’objets de substitution – fait la demande d’une castration réelle, il conviendrait que le souverain songe à lui donner satisfaction. Si la loi de la castration n’a pas été symbolisée, si s’est opéré ce que Freud appelait la Verleugnung, le démenti ou désaveu de la castration, qu’Octave Mannoni a explicité sous la formule « je sais bien, mais quand même », Michèle Alliot-Marie nous invite sans délai à convoquer ladite castration dans le réel. Le garde des Sceaux prend ainsi la demande de castration physique, adressée par le titulaire de la supposée perversion à une version du Père – pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du présidentiel destinataire de la missive – au pied de la lettre.
Or, ce que nous savons du pervers, outre que le mécanisme fondateur de l’inconscient est pour lui la dénégation qui commande et maintient le refoulement, c’est qu’à la différence du psychotique, il reconnaît parfaitement le Père en tant qu’instance symbolique, dépositaire en titre de la loi.
C’est dans l’ordre du réel que le pervers destitue le père. Exilé par le discours maternel, celui-ci est un monarque tenu en échec dans son propre palais, d’où une destitution de l’interdit ramené à une convention de façade. Ce qu’entend démontrer le pervers, ce n’est pas seulement l’existence der la jouissance, c’est sa prédominance sur le désir.
Si le pervers met la loi des hommes au défi, c’est au nom d’une autre loi bien plus tyrannique que celle de la société, une loi par essence non-humaine puisqu’elle prescrit l’obligation de jouir.
Nul doute qu’un passage à l’acte aussi tranchant en réponse à la demande complexe énoncée par M. Francis Evrard consacrerait la défaite du symbolique en rase campagne. Si l’auteur de la requête n’est pas psychotique, cette sorte d’acquiescement du Garde des Sceaux à l’idée d’une possible castration physique ne peut qu’avoir pour lui un effet de jouissance non négligeable.
Lacan nous a posé la loi comme ce qui barre la jouissance incestueuse et permet l’instauration du désir.
Il a défini le phallus comme signifiant d’une jouissance mythique impossible et d’une loi qui en interdit l’accès y inscrivant une perte.
Même si le complexe de castration évoque l’idée d’une mutilation ou d’une menace liée à la découverte de la différence anatomique des sexes, il doit d’abord être entendu comme une limite imposée par la société à la jouissance de l’individu. Et c’est parce que la jouissance absolue est impossible, que toute satisfaction laisse un manque-à-jouir, qu’il y aura là un espace possible pour le désir.
Digression lacanienne ? Ca vous paraît jargonnant, daté, ésotérique. Peut-être, mais faites un effort.
Je résume. La castration correspond au renoncement du sujet à s’assurer en l’Autre la garantie d’une jouissance, car celle-ci est réservée au père, en raison de sa préséance symbolique auprès de la mère. C’est pourquoi le père symbolique est réputé être l’agent de la castration dont l’objet serait le phallus imaginaire. En clair, la castration, c’est du symbolique, et ça doit le rester. Si elle fait irruption dans le réel, sachez qu’on entre dans la psychose. Et c’est grave, surtout quand celle qui sonne le clairon délirant en proposant d’inscrire à l’agenda de la nation la pulpectomie testiculaire est supposée soutenir la fonction symbolique, en sa qualité de Garde des Sceaux – gardienne des symboles vous entendez !
En France, donc, on ne couperait plus les têtes, mais on pourrait délester le pervers, à sa « demande », de ses attributs, – ce qui dénote convenons-en un louable sens du service public – tout en continuant à condamner pénalement l’excision. À ce point d’affolement, de déraison, le retour au symbolique s’impose et d’urgence, un article 16 devrait être invoqué, afin de former sans tarder un comité de salut psychique. Car là, il y a vraiment malaise dans la civilisation, et si le Garde des Sceaux fait défaut, il convient de recruter en urgence un garde-fou.
Digression dites-vous. Oui, mille fois oui, mais reconnaissez chers causeuses et causeurs, que c’est une digression qui s’impose, après cette folle semaine qui s’achève de la pire des manières.
Peut-on critiquer la critique des médias ?
D’habitude, quand on manque à la solidarité professionnelle entre journalistes (bien connue de tous ceux qui fréquentent les rédactions concrètes), on est au mieux caricaturé, le plus souvent purement et simplement ignoré. La « critique des médias », ce truc de procureurs et de gens qui crachent dans la soupe, a mauvaise réputation dans les médias. Il est rarissime que les gens concernés y répondent et plus rare encore qu’un média fasse état de celles qui lui sont adressées. J’avoue donc avoir été déçue en bien comme on dit en Suisse par Jean-Michel Aphatie[1. Un commentateur me dit que c’est raciste de l’appeler éditorialiste-cassoulet. Franchement, c’était plutôt affectueux et j’espère qu’il ne l’a pas pris autrement. J’adore son accent…et le cassoulet !] qui m’a répondu (pas mal d’ailleurs) en direct sur RTL avant de le faire sur son blog, puis par Bruno Duvic qui a cité jeudi dans sa revue de presse sur France Inter mon article sur « l’affaire Lefebvre ». Que l’un et l’autre en soient remerciés – rien n’est plus agréable que le désaccord intelligent. Duvic, cependant, remarque que France Inter « en prend plein la figure ». C’est un peu exagéré, cher confrère. Il est vrai que je cite très souvent France Inter et qu’elle m’énerve souvent, mais c’est pas de ma faute : le matin, je n’écoute que ça. C’est ma dose d’adrénaline.
Le coup de vice électoral de Sarkozy

À première vue, la réforme des collectivités territoriales présentée en cette fin octobre par Nicolas Sarkozy semble frappée au coin du bon sens : pour la première fois depuis la création de la Ve République, on essaie de mettre un peu d’ordre et de rationalité dans l’empilement séculaire des structures de la démocratie locale. Communes, intercommunalités, cantons, communautés urbaines, départements, régions, tout cela avait un urgent besoin d’être simplifié et adapté à l’évolution démographique et sociologique de notre beau pays.
La méthode pour faire avancer le schmilblick était aussi respectable qu’habile : on envoie tout d’abord un chevau-léger, en l’occurrence Jacques Attali, à l’assaut des conservatismes provinciaux. L’ancien conseiller de François Mitterrand, missionné par l’Elysée pour imaginer des réformes permettant de relancer la croissance économique, propose, entre autres, la suppression des départements.
Tollé dans les campagnes, car ce rejeton administratif de la Révolution française est plutôt aimé par le peuple, surtout celui qui vit hors des grandes villes, comme on a pu le constater lors de la modification des immatriculations des automobiles. Le conseiller général est un élu de proximité, qui cajole les petits maires et pratique la bobologie sociale avec les électeurs de son canton.
Pour calmer le jeu, on réunit une commission de « sages », présidée par Edouard Balladur, à laquelle participent d’éminents membres de l’opposition socialiste, Pierre Mauroy et André Vallini. Ses travaux aboutissent à la formulation de vingt propositions dont les plus importantes – suppression de la taxe professionnelle et création de « conseillers territoriaux » remplaçant les actuels conseillers régionaux et généraux pour siéger tout à la fois à l’assemblée départementale et régionale – sont reprises par Nicolas Sarkozy. C’est la « fusion douce » des départements et des régions.
Présentée ainsi, et moyennant quelques ajustements pour amadouer les sénateurs et les notables locaux, cette réforme aurait pu faire l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques, car elle répond aux préoccupations des élus locaux de toutes tendances. Elle pourrait mettre fin à l’enchevêtrement des structures, aux conflits de compétences et aux coûts inutiles engendrés par la multiplication des syndicats intercommunaux et de leurs exécutifs pléthoriques.
Mais on l’aura peut-être déjà remarqué, Nicolas Sarkozy n’est pas un homme qui recherche systématiquement l’harmonie générale, dans une République apaisée où les décisions importantes pour l’avenir de la nation sont élaborées dans un esprit de coopération avec ceux qui pensent autrement.
Il a donc fallu qu’il introduise dans la belle construction signée Balladur et Mauroy un élément qui déclenche une castagne de grande ampleur avec les socialistes : l’élection au scrutin uninominal à un tour, en 2014, de 80 % des conseillers territoriaux, les 20 % restants étant élus au scrutin de liste départemental.
Et alors, qu’est ce que ça change ? Eh bien, beaucoup de choses, car ce mode de scrutin, qui est celui des élections législatives au Royaume Uni, assure l’élection dès le premier tour du candidat ayant obtenu le plus de voix dans sa circonscription, même s’il n’a pas atteint la majorité absolue. Il favorise donc la famille politique qui est parvenue à rassembler au sein d’un même parti le plus large éventail des sensibilités existant en son sein. Le système « au premier tour on se compte, au second on se rassemble », alpha et oméga de la stratégie politique hexagonale, est balayé. C’est avant les élections qu’il faut se rassembler et non pas dans de chaleureuses retrouvailles d’entre deux tours. Dans la conjoncture politique actuelle, ce mode de scrutin favorise indubitablement la droite de gouvernement. Nicolas Sarkozy a rassemblé presque toute la droite au sein de l’UMP ou dans son orbite, alors que la gauche a beaucoup plus de mal à réunir toutes ses composantes dans un cartel électoral, surtout depuis la montée en puissance des Verts. De plus, la réduction de moitié des élus locaux provoque un assèchement notable du vivier où le PS recrute une bonne partie de ses militants…
Le coup tactique est habile, mais est-il pour autant de nature à purifier les mœurs politiques de notre pays, où le fair-play est encore insuffisamment pratiqué, comme on a pu le constater à l’occasion du procès Clearstream ? Ce mode de scrutin fonctionne à la satisfaction des Britanniques, car le bipartisme est profondément ancré dans le pays depuis très longtemps : conservateurs et travaillistes rassemblent au sein de leurs formations respectives toutes les nuances de la droite et de la gauche.
Il suppose aussi que le combat électoral se fasse à la loyale, sans manœuvres ni coup tordus : ce n’est pas en Angleterre que l’on verrait, par exemple, les conservateurs susciter en sous-main un candidat prétendument de gauche pour piquer des voix aux travaillistes, ou vice-versa. En revanche, pour qui connait un peu les pratiques politiques de notre belle démocratie, il n’est pas exclu que de subtils marchandages, manœuvres de coulisses, passages de rhubarbe et de séné viennent donner à ces élections un délicieux fumet de magouille généralisée.
Le bipartisme n’est pas dans les gènes des Français, pas plus à droite qu’à gauche. Dans la période que nous vivons, la gauche apparaît plus fractionnée qu’une droite tenue d’une main ferme à partir de l’Elysée. Mais, comme dirait Claude François, « ça s’en va et ça revient… », et il n’est pas sûr que le coup de vice électoral de Nicolas Sarkozy ne lui revienne pas, un jour, dans les gencives.
Somalie : des militaires pas très civils
Au moins 17 civils ont été tués hier matin à Mogadiscio dans des combats à distance entre insurgés islamistes et soldats de la force de paix de l’Union africaine (l’Amisom, African Union Mission to Somalia). Selon les agences de presse, des tirs d’artillerie lourde ont visé des quartiers populaires, notamment le marché de Baraka. Les insurgés ont d’abord tiré au mortier sur l’aéroport alors que le président cheikh Sharif Ahmed prenait l’avion pour se rendre en Ouganda , et les troupes de l’Amisom ont riposté par d’intenses tirs d’artillerie lourde. S’agit-il d’un massacre d’intimidation délibérément perpétré par les militaires de la « force de paix » de l’Union africaine ? On ne saura probablement jamais la réponse pour une raison simple: l’Amisom est composée de soldats ougandais, burundais, nigérians et malawites et tout le monde s’en contrefout. Je vous laisse imaginer les commentaires de la presse occidentale avec un scénario similaire, mais, avec dans le rôle des méchants, des casques bleus Européens ou des troupes de l’OTAN…
Educ’nat point com

« L’éducation nationale doit basculer totalement dans l’ère du numérique », a déclaré récemment le tout nouveau tout beau ministre de l’Education nationale, qui voit enfin les choses en grand. Il était temps. Depuis trop longtemps les profs, ces archaïques, tournent autour du pot numérique sans oser s’y plonger tout à fait. Le journal Les Echos s’en lamentait encore cet été, Mamy éducation nationale fait de la résistance. Serait-ce une conséquence regrettable de son grand âge, elle se fait désirer avant de s’abandonner à la totale bascule que son ardent ministre lui promet. « La France ne dispose que d’un ordinateur pour 12,5 écoliers, se plaçant ainsi au 12e rang européen. » À peine passable. Et même très médiocre. D’autant plus que pour ce qui concerne l’usage des high tech (ordinateur, vidéoprojecteur, connexion Internet) la France fait carrément figure de cancre du fond de laclasse.com, puisqu’elle pointe à une piteuse 21e place européenne, selon une « enquête » de la Commission de Bruxelles, toujours d’attaque quant à elle lorsqu’il s’agit de dénoncer les obsolescences françaises. C’est la honte. Vite, vite, connectons nos têtes blondes, avant qu’elles ne se voient contraintes de redoubler en compagnie des jeunes Bulgares pour obtenir enfin leur B2i.
Comment, vous ne connaissez pas le B2i ?
Le B2i, pour Brevet Informatique et Internet, « valide les compétences informatiques acquises dans toutes les disciplines [même le sport ? Oui, même le sport] et diverses circonstances ». Bon, personnellement, j’ai deux collégiens à la maison, et je peux vous dire que ce B2i, ça les fait bien rigoler. Sans même interrompre leur session msn, les voilà qui « valident les items constitutifs des compétences attendues » sur l’ordinateur de papa-maman ! C’est ainsi qu’on prétend réduire la fracture numérique au ministère : l’ordinateur partout, tout le temps, et pour faire n’importe quoi ! Ne dites surtout pas à nos néo-pédagogues qui pensent enfin avoir trouvé l’arme fatale contre les inégalités sociales, que dans les milieux les plus culturellement favorisés on limite, ou même interdit, l’usage de l’ordinateur aux enfants ! Comment ? Certains mauvais esprits osent suggérer que les facilités de l’informatique pourraient entraver le développement des facultés de concentration et, in fine, l’accès intelligent à la culture des enfants et des adolescents? Laissons ces rabat-joies à leur obsolète « support papier » que plus personne ne lit, et hâtons tous ensemble l’avènement du grand basculement vers la « société numérique ».
Mais peut-être après tout est-ce moi le naïf, et nos néo-pédagogues sont-ils parfaitement conscients des dégâts opérés sur la culture des collégiens par le culte du tout numérique. Peut-être visent-ils, en rendant obligatoire et permanent l’usage de l’ordinateur non seulement à l’école mais aussi à la maison, à niveler par le bas. Ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire en interdisant les devoirs à la maison, peut-être y parviendront-ils enfin en faisant basculer totalement l’éducation dans le dépotoir numérique. Tous ensembles et qu’aucune tête ne dépasse ! Au nom, bien sûr, de l’égalité des chances.
Ne cédons pas trop vite aux douces sirènes de la théorie du complot : les intentions de nos néo-pédagogues sont certainement pures. Je suis prêt à parier mon Apple 2 contre votre iPhone qu’ils croient malheureusement dur comme fer aux vertus pédagogiques du basculement numérique total. D’ailleurs, le mouvement s’est engagé de longues années avant que le ministre ne le décrète total et obligatoire. Avec un enthousiasme terrifiant, sous la pression inquiète des parents et sur les fonds des collectivités territoriales, les collèges et lycées, et même parfois les écoles, tous soucieux d’apparaître plus modernes et performants les uns que les autres, se sont dotés à la vitesse de la lumière de multiples ordinateurs plus ou moins à la page sur lesquels élèves et professeurs de conserve passent dorénavant des cours entiers de mathématiques et de français à se « loguer sur leur compte utilisateur », afin de tracer des cercles au compas virtuel sur le site mathenpoche, ou analyser un conte africain à l’aide d’indispensables outils informatiques dispensés par un « espace numérique de travail ». C’est une merveille de constater à quel point, dans ce domaine, la contrainte budgétaire disparaît comme par magie. S’il s’agit de réduire la fracture numérique, la facture, même astronomique, sera toujours acquittée. Un prof sans « support numérique » sera bientôt le dernier des ringards, et la « pensée PowerPoint« , qui se contente de « lister des items », c’est-à-dire d’empiler des phrases ou même seulement des « mots-clés », aura bientôt raison partout de la vieille pensée analytique et discursive.
Ce n’est pas seulement pour être moderne et performant qu’il faut se hâter de basculer. C’est aussi une question urgente de santé publique. Ainsi, les cartables, qui ont depuis des lustres transformés de façon humiliante notre précieuse progéniture en portefaix, ont heureusement fait leur temps. Numérisés eux-aussi ! Transformés d’un coup de baguette numérique en clés USB de quelques grammes. Bien fait pour eux ! Et que redressent le dos, et que relèvent la tête nos marmots affranchis du poids exténuant du vieux savoir !
Il faut, dit-on encore au ministère, « inventer une nouvelle pratique numérique ». Plus interactive, plus proche de l’élève qui conquerra ainsi la terre promise de son « autonomie ». Une nouvelle pratique qui permettra à nos chers bambins de s’épanouir enfin « au centre ». Cliquant en classe comme à la maison sur son ordinateur, l’apprenant pourra royalement ignorer l’enseignant, comme le rejeton ignore déjà royalement ses géniteurs qui osent l’interrompre pour lui demander brutalement de venir mettre la table alors qu’il se livre à un paisible massacre simultané de l’orthographe, de la syntaxe, et d’autres monstrueux ennemis sur son écran. C’est que, voyez-vous, l’ordinateur c’est beaucoup moins fasciste que les gens. Moins perturbant pour les enfants. Comme le souligne un de nos néo-pédagogues parmi les plus autorisés, « l’ordinateur n’est pas perçu comme celui qui juge et qui sanctionne ». Grâce à l’ordinateur, poursuit notre technopédagogue, l’erreur disparaît « comme par enchantement », et « les contraintes « bassement matérielles » d’opérations intellectuelles essentielles » sont supprimées. Plus de vilaines ratures, plus d’écriture imparfaite. D’un doigt léger sur mon clavier je m’affranchis de mon surmoi traumatisant. Paradisiaque, vraiment ! La bascule numérique est notre chemin d’accès vers le rose paradis virtuel des lendemains qui chantent ! Exit l’autorité ! Out les corrections au stylo rouge!
Vite ! Que tout ça bascule, et qu’on n’en parle plus !
Séance de suspension
Revenant sur le viril réquisitoire du procureur Marin, Dominique de Villepin y a vu, une fois de plus, l’ombre portée de la main présidentielle, celle qui voulait dit-il « le suspendre à un croc de boucher ». L’expression – goûteuse, il est vrai – n’en finit pas d’être colportée partout. Et, à mon avis, à tort. Je veux bien qu’elle ait été proférée, mais pas par celui des deux à qui on l’attribue : je vois mal l’actuel locataire de l’Elysée suspendre qui que soit à quoi que ce soit – hormis un plus petit que lui, comme moi-même. On n’imagine Sarkozy faire une telle promesse sans avoir les moyens de sa politique. J’en déduis donc que, mathématiquement, du haut de ses 2,25 m sans talonnettes, seul DDV peut être le véritable auteur de cette menace de mort. Un nouveau procès en perspective ?
Journalistes, sarkozystes, même combat!

On devrait toujours écouter Jean-Michel Aphatie. L’autre soir, notre éditorialiste-cassoulet national a en effet émis sur le plateau de Michel Denisot une pensée qui devrait être méditée dans toutes les écoles de journalisme de France. Le genre de propos qui n’admet pas la moindre réplique. « La critique des médias, quand elle est faite en général, est toujours stupide, voire dangereuse, elle est irrespectueuse de l’esprit démocratique. » Au panier (pour rester poli) Karl Kraus, Mac Luhan, Baudrillard, Bourdieu (c’est pas que ça me chagrine tant que ça pour ce dernier mais bon). J’aurais aimé pouvoir dire que j’étais visée parce que l’une des ambitions du « Premier Pouvoir » sur France Culture ou du livre que j’ai commis avec mon ami Philippe Cohen sur le journalisme était bien de se livrer à une critique générale du système médiatique – et du journalisme. Mais bon, je crains que Jean-Michel Aphatie n’ait pensé ni à l’une (l’émission) ni à l’autre (le livre) ni même à mon aimable personne lorsqu’il a fait cette sortie. D’accord, j’ai pas le genre Canal, et croyez bien que je le déplore[1. Cela dit, Jean-Michel Aphatie a eu la courtoisie d’appeler RTL hier pour me répondre en direct. Dans la profession, ceux qui acceptent le principe même du débat et ne récusent pas un interlocuteur au motif qu’il ne pense pas comme eux ne sont pas si nombreux. Dont acte.].
Qu’on ne se méprenne pas. L’ennemi d’Aphatie, ce n’est pas la critique, c’est la généralité. Il admet volontiers que « la critique d’un média en particulier, des journalistes qui ne font pas leur travail ou qui racontent des choses fausses est nécessaire». On ne saurait pas plus parler des médias en général (sauf pour affirmer qu’ils sont, en général, nécessaires à la démocratie) que des élites, de la classe politique ou des jeunes. Je croyais jusque-là que la pensée avait justement quelque chose à voir avec la capacité de généraliser, d’extrapoler, de chercher l’universel derrière le particulier, le général derrière le singulier, et aussi que le journalisme avait partie liée avec la pensée. Je dois avoir faux sur au moins un point. Le journaliste selon Aphatie ne doit pas généraliser pas, ce qui signifie, je le répète, qu’il ne doit pas penser. Il est un expert en faits. Et l’avantage des faits, c’est qu’ils sont vrais ou faux. La vie est simple.
Aphatie me pardonnera d’ignorer son conseil ou sa consigne et de parler de la musique générale des médias au risque, effectivement, de passer sous silence ceux qui récalcitrent dans leur coin – et ceux que j’ai ratés. L’amusant, dans le film Sarkozy contre les journalistes, c’est l’effet de miroir. Après que les petits soldats du sarkozysme ont consciencieusement lâché leur salve l’un après l’autre, c’est donc au tour des journalistes de riposter à la queue-leu-leu. À peine Frédéric Lefebvre a-t-il lâché sa bourde (j’y reviendrai) que la contre-offensive se met en place. Certes, elle est bien moins coordonnée que l’attaque en escadrille des godillots. D’ailleurs, elle n’a pas besoin de l’être. Dans les rédactions, on a tendance à penser pareil, surtout sur ce genre de sujets. Et spontanément avec ça. Ne cherchez pas là l’effet d’une quelconque pression.
En 24 heures, la contre-mayonnaise (pour filer la métaphore de mes camarades Cohen et Joubert) prend solidement. La ligne est simple : c’est la liberté qu’on assassine. Tout le monde (ou presque, d’accord Jean-Michel), reprend cette antienne avec entrain. Les humoristes se joignent au chœur. Au lendemain de la raffarinade de Sarkozy (« les commentateurs commentent, les acteurs agissent »), l’incorruptible Guillon, symbole à lui tout seul de la rebellitude consensuelle, évoque la Birmanie, la Corée du Nord, la Russie de Poutine. Nous sommes tous des Anna Politovskaïa. Grand défenseur des libertés et nouvel arbitre des élégances humoristiques, Guillon en profite pour en remettre une louche sur l’âge des amants de Frédéric Mitterrand et sur Brice Hortefeux, le ministre qui fait des blagues racistes. C’est que contrairement à ses petits camarades, Guillon ne chasse pas un clou pour l’autre. Il tape sur tous les clous en même temps. J’attends maintenant la « une » de mes amis de Marianne qui ont déjà annoncé la semaine dernière que la République était abolie pour cause d’accession de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD.
L’indignation enfle d’une antenne à l’autre, l’ivresse résistante s’empare des esprits. « Ça craint », lâche Pascale Clarke, plutôt sobre pour l’occasion mais dont le ton accablé laisse penser qu’elle redoute d’être arrêtée à la sortie du studio. « C’est une réflexion qui fleure bon le Alain Peyrefitte d’antan et montre que nous sommes toujours sous l’empire de cette vieille façon de faire de la politique, très XXe siècle », affirme Thomas Legrand, le talentueux éditorialiste de France Inter – il faudra qu’il nous explique ce qu’est la politique façon XXIe siècle : la transparence et l’amour du prochain ? Aphatie se cauchemarde embastillé par les forces noires du sarkozysme. Mais cet extrémiste de la modération qui refuse tout autant d’être traité de journaliste-opposant que d’être taxé de journaliste-soumis s’imagine aussi pendu à un réverbère par les bolcheviks de la corporation qui ont, il y a quelques mois, lancé un appel pour la liberté de la presse (ou quelque chose dans ce goût-là) au cours d’un grand raout intello-mondain au théâtre du Châtelet.
Bien sûr, il y a des nuances, peut-être même quelques vagues désaccords, mais pour l’essentiel, le Parti des Médias est en bon ordre de marche. Le résultat, c’est que l’affaire Lefevbre a provisoirement chassé de la « une » le scandale Jean Sarkozy[2. Au cas où ma position sur la question aurait un intérêt quelconque, oui ce n’est ni moral ni élégant d’obtenir un poste ou une position par son nom et quand on est président, on devrait s’abstenir de ce genre d’exemple déplorable. Mais il est assez rigolo de voir s’indigner ceux qui trouvent parfaitement normal de décrocher leur téléphone pour obtenir un job (souvent dans les médias) à leur progéniture. D’accord, ce n’est pas pariel, mais c’est un peu pareil tout de même.]. Chers Aimée et Marc, la ficelle « c’est la faute aux médias » est peut-être usée mais c’est la preuve qu’elle marche encore.
Dans ce festival de grands principes et de phrases ronflantes, on ose à peine s’interroger sur le fond de ce qu’a dit Lefebvre. Puisqu’il est décrété par avance qu’un proche du président ne saurait proférer que des âneries ou des mensonges.
Les journalistes, et en particulier ceux qui passent leur temps à proclamer qu’ils sont le dernier bastion de la résistance dans un pays livré au pouvoir de l’hyper-président, devraient pourtant remercier le porte-parole de l’UMP de les introniser officiellement à ce poste prestigieux – l’opposition réelle, ce n’est pas rien, surtout quand l’opposition légale s’embourbe.
Il n’y a rien d’infâmant à ce que les journalistes aient des opinions – c’est même le contraire qui serait inquiétant. Mais pourquoi diable passent-ils leur temps à s’en défendre ? Il est difficile d’allumer une radio ou une télévision sans entendre une critique, fondée ou non, de du président et de sa politique. Même le Figaro renâcle. Sur France Inter, par exemple, l’anti-sarkozysme n’est pas une opinion (parfaitement respectable au demeurant) mais une vérité incontestable, qui n’a plus besoin de se démontrer ou de s’argumenter. Les journalistes du Service public peuvent se rengorger : eux, salariés des médias d’Etat (et pour un bon paquet d’entre eux, délicieusement inamovibles), ne sont-ils pas la pointe avancée du combat démocratique ? Merci qui ? Merci Sarkozy ! Et ils font leurs chochottes : opposant moi, jamais ! Comme si l’opposition était une maladie honteuse. Mais non les gars, faut y aller ! Ton injure sera mon nom. Assumez, camarades : oui, nous sommes les seuls et les vrais opposants. Et nous en sommes fiers.
On me dira qu’opposition et contre-pouvoir, ce n’est pas pareil. Chez Montesquieu peut-être mais il faut admettre que dans la vraie vie, la nuance est parfois faible. Et quoi qu’en pensent mes estimables confrères, la différence entre pouvoir et contre-pouvoir ne saute pas aux yeux non plus. « Le pouvoir, dit Thomas Legrand, n’admet pas les contre-pouvoirs. » Il s’agit bien sûr du pouvoir politique. L’affaire Lefebvre révèle, pour ceux qui en doutaient, que le pouvoir médiatique ne les tolère pas plus.
Bonne nouvelle
Tous les enfants ne sont pas des cons. Cet après-midi même, un signe d’espérance, dans le Xème arrondissement de Paris, aux abords de la rue Cail…
Deux groupes d’enfants de huit à dix ans s’interpellent d’une extrémité à l’autre d’un carrefour. Le caïd de la première bande crie à tue-tête : « Il nous a donné des bonbons gratuit ! Venez ! ». A quoi le chef de la seconde bande rétorque à pleins poumons, avec une mimique et une intonation clownesques : « C’est un pédophile ! ». Les trois enfants autour de lui éclatent de rire. Si ces désopilantes têtes blondes deviennent un jour magistrats ou journalistes, il est peut-être permis d’espérer un monde meilleur…
Causeur mis en boite!
Nous commençons à boucler le numéro de novembre et c’est le moment de vous rappeler que primo, Causeur n’est pas seulement un excellent site internet, mais aussi un mensuel imprimé comme dans le monde d’avant et que, secundo, vous aussi pouvez le recevoir tous les mois dans votre boîte aux lettres, si vous en avez une, et si vous vous abonnez, ce que vous pouvez faire illico du bout du doigt. Sinon, vous pouvez aussi acheter Causeur au numéro en cliquant ici. Ceux qui préfèrent toucher la marchandise avant de passer à la caisse sont cordialement invités à le faire à la librairie Kléber à Strasbourg ou au Seuil du Jardin chez l’excellent Michel Kessler à Metz. Je n’ai rien oublié ? Et bien alors, tout va bien, je peux signer et aller regarder le match.
Féminisme anti-fromager

L’ami blogueur Max-la-Terreur au détour d’un article m’a appris l’existence du dernier communiqué des fameuses Chiennes de garde. On se souvient qu’il y a quelques années, une crème[1. Alimentaire. Pas une crème de beauté.] avait fait l’objet d’une protestation vigoureuse de la part de la même association, toujours prête à traquer la publicité sexiste. Il me semble qu’on y vantait sur des affiches et dans des spots la possibilité de la battre, de la fouetter et de la passer à la casserole. Les chiennes de garde, Isabelle Alonso en tête, avaient fustigé la pub, laquelle pouvait banaliser la violence conjugale. Cette dernière, nous ne le nions pas, fait des victimes chaque année au point qu’une femme meurt tous les deux jours des coups de son compagnon.
Déjà à l’époque, j’avais trouvé que l’association féministe pouvait avoir un léger problème avec le second degré. On ne voit pas en quoi un homme pourrait être incité par cette publicité à frapper sa compagne. Cette violence conjugale semble davantage provoquée par l’alcoolisme ou les gros connards, et assez souvent les deux à la fois. On m’objectera que les mots « battre » et « fouetter » peuvent tout de même prêter à confusion. Admettons.
Mais pour les spots du Comité interprofessionnel du Cantal, rien ne prête à confusion. Les situations – abandonner Chantal au bord de la route, lui dire non devant monsieur le maire, ou se désolidariser d’elle dans une escalade, parce qu’elle a, à chaque fois, oublié le Cantal – sont volontairement irréalistes. Le second degré, l’humour, c’est marqué dessus, comme pour un autre fromage. Je me souviens d’avoir été agoni d’injures lorsque j’avais commis au mois de janvier dernier un texte, très second degré aussi, sur la fille de Rachida Dati. Et je m’étais aperçu alors combien certaines féministes pouvaient manquer d’humour en certaines occasions. Avec cette histoire de fromage du Cantal, qu’elles appellent d’ailleurs à boycotter, on atteint des sommets assurément plus hauts que ceux du Massif Central.
À quand l’interdiction totale, sous peine de tribunal correctionnel, des blagues sur les blondes[2. Ces histoires, qui viennent du Québec, concernent toutes les femmes. Au pays de Gilles Vigneault, une “blonde”, c’est une femme, quelle que soit sa couleur de cheveux.] ? Peut-on continuer à tolérer des titres de journaux ainsi écrits les lendemains d’élections : « 3e circonscription du Loir-et-Cher : Gisèle Dugenou battue » ? Les publicités pour les sites sado-masochistes ont-elles encore leur place dans les journaux de petites annonces ? Si on n’a plus le droit de plaisanter sur tel ou tel sujet à partir du moment où existent des victimes, si on ne peut plus citer certains mots quel que soit le contexte, on n’a pas fini. J’ai revu récemment Le dîner de cons[3. Au passage, ce film ne respecte guère la parité puisque tous les cons sont des hommes. Très sexiste, ce film.] et je connais des amateurs de boomerangs et de maquettes qui auraient pu, à bon droit, faire interdire le film ou demander des dommages et intérêts pour être ainsi honteusement stigmatisés.
En mesure de rétorsion contre les chiennes de garde qui, je le sais, ne représentent qu’une minorité de femmes non dotées d’humour et de recul, j’incite tous mes lectrices et lecteurs à consommer sans modération ce produit du terroir fort excellent que constitue le fromage du Cantal.
Castration : on n’y coupera pas

Triste suite française que celle que nous venons de vivre avec son lot d’intensités et ressacs, qui, de Polanski à Frédéric Mitterrand en passant par Jean Sarkozy, égrène ses séquences sulfureuses pour s’achever – juste avant l’hymne à la castration physique de Mme Alliot-Marie par la béatification de Dame Royal, sacre télévisuel de la vacuité.
Le lien entre ces deux séquences mettant en jeu deux femmes politiques d’envergure, a été peu perçu par les commentateurs.
Il est vrai qu’il est difficile, a priori, d’associer ces deux estimables figures de la vie politique française tant leurs styles divergent.
L’une confesse un féminisme provincial relooké en un singulier composé de mère courage et de grande prêtresse glamour. L’autre qui se fait appeler Madame le Ministre et arbore de sages tailleurs s’est imposée comme un pur chef d’œuvre de rectitude dépouillée et de sens du labeur et semble peu encline aux illuminations ou aux débordements extatiques, contrairement à sa consœur poitevine qui allie à une sophistication chichiteuse un talent de prédicatrice ambulante assez proche de celui des télévangélistes étatsuniens.
Et pourtant, l’une et l’autre ont en commun, quoique de manière fort différente de raviver en nous l’angoisse de la castration, l’une de manière métaphorique, l’autre-fidèle à son style de façon beaucoup plus cash, voire dans le cas qui nous (pré)-occupe nettement trash.
Revêtue de sa tenue de lin d’une blancheur immaculée, la reine thaumaturge du Poitou semble en, effet toujours prompte à en découdre avec la rouerie et la perversité – attributs d’une vile masculinité assujettie aux caprices de la pulsion et de la cupidité et à porter ainsi l’ultime estocade au politique au nom de la supériorité d’une morale résolument sexuée.
Ségolène surgit tel un agent purificateur très concentré qui nous lave des péchés d’une masculinité cynique et dominatrice.
Armée d’un sourire immuable, nous l’avons vu se faire l’exégète de ses propres gloires et de ses déconvenues avec cette pudeur de femme blessée dans sa vie de couple, bafouée dans sa vie publique par des hiérarques socialistes ventripotents et infidèles, mauvais pères et mauvais maris.
Bravoure d’une féminitude mère de toutes les rébellions.
Cette fièvre éradicatrice doit être rapprochée des propos ébouriffants récemment tenus par Mme le Garde des Sceaux, considérant dans un entretien au Figaro Magazine, que la castration physique, « ablation des testicules par chirurgie » courtoisement réclamée en ces termes cliniques au président de la République pour lui-même par le pédophile Francis Evrard, « peut se poser et être débattue, y compris au Parlement ».
N’est-ce pas là le point d’orgue de la séquence ? Si le pervers ou cliniquement supposé tel – qui, dans le cas présent, serait atteint de troubles de l’érection, le conduisant à violer ses victimes à l’aide d’objets de substitution – fait la demande d’une castration réelle, il conviendrait que le souverain songe à lui donner satisfaction. Si la loi de la castration n’a pas été symbolisée, si s’est opéré ce que Freud appelait la Verleugnung, le démenti ou désaveu de la castration, qu’Octave Mannoni a explicité sous la formule « je sais bien, mais quand même », Michèle Alliot-Marie nous invite sans délai à convoquer ladite castration dans le réel. Le garde des Sceaux prend ainsi la demande de castration physique, adressée par le titulaire de la supposée perversion à une version du Père – pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du présidentiel destinataire de la missive – au pied de la lettre.
Or, ce que nous savons du pervers, outre que le mécanisme fondateur de l’inconscient est pour lui la dénégation qui commande et maintient le refoulement, c’est qu’à la différence du psychotique, il reconnaît parfaitement le Père en tant qu’instance symbolique, dépositaire en titre de la loi.
C’est dans l’ordre du réel que le pervers destitue le père. Exilé par le discours maternel, celui-ci est un monarque tenu en échec dans son propre palais, d’où une destitution de l’interdit ramené à une convention de façade. Ce qu’entend démontrer le pervers, ce n’est pas seulement l’existence der la jouissance, c’est sa prédominance sur le désir.
Si le pervers met la loi des hommes au défi, c’est au nom d’une autre loi bien plus tyrannique que celle de la société, une loi par essence non-humaine puisqu’elle prescrit l’obligation de jouir.
Nul doute qu’un passage à l’acte aussi tranchant en réponse à la demande complexe énoncée par M. Francis Evrard consacrerait la défaite du symbolique en rase campagne. Si l’auteur de la requête n’est pas psychotique, cette sorte d’acquiescement du Garde des Sceaux à l’idée d’une possible castration physique ne peut qu’avoir pour lui un effet de jouissance non négligeable.
Lacan nous a posé la loi comme ce qui barre la jouissance incestueuse et permet l’instauration du désir.
Il a défini le phallus comme signifiant d’une jouissance mythique impossible et d’une loi qui en interdit l’accès y inscrivant une perte.
Même si le complexe de castration évoque l’idée d’une mutilation ou d’une menace liée à la découverte de la différence anatomique des sexes, il doit d’abord être entendu comme une limite imposée par la société à la jouissance de l’individu. Et c’est parce que la jouissance absolue est impossible, que toute satisfaction laisse un manque-à-jouir, qu’il y aura là un espace possible pour le désir.
Digression lacanienne ? Ca vous paraît jargonnant, daté, ésotérique. Peut-être, mais faites un effort.
Je résume. La castration correspond au renoncement du sujet à s’assurer en l’Autre la garantie d’une jouissance, car celle-ci est réservée au père, en raison de sa préséance symbolique auprès de la mère. C’est pourquoi le père symbolique est réputé être l’agent de la castration dont l’objet serait le phallus imaginaire. En clair, la castration, c’est du symbolique, et ça doit le rester. Si elle fait irruption dans le réel, sachez qu’on entre dans la psychose. Et c’est grave, surtout quand celle qui sonne le clairon délirant en proposant d’inscrire à l’agenda de la nation la pulpectomie testiculaire est supposée soutenir la fonction symbolique, en sa qualité de Garde des Sceaux – gardienne des symboles vous entendez !
En France, donc, on ne couperait plus les têtes, mais on pourrait délester le pervers, à sa « demande », de ses attributs, – ce qui dénote convenons-en un louable sens du service public – tout en continuant à condamner pénalement l’excision. À ce point d’affolement, de déraison, le retour au symbolique s’impose et d’urgence, un article 16 devrait être invoqué, afin de former sans tarder un comité de salut psychique. Car là, il y a vraiment malaise dans la civilisation, et si le Garde des Sceaux fait défaut, il convient de recruter en urgence un garde-fou.
Digression dites-vous. Oui, mille fois oui, mais reconnaissez chers causeuses et causeurs, que c’est une digression qui s’impose, après cette folle semaine qui s’achève de la pire des manières.
Peut-on critiquer la critique des médias ?
D’habitude, quand on manque à la solidarité professionnelle entre journalistes (bien connue de tous ceux qui fréquentent les rédactions concrètes), on est au mieux caricaturé, le plus souvent purement et simplement ignoré. La « critique des médias », ce truc de procureurs et de gens qui crachent dans la soupe, a mauvaise réputation dans les médias. Il est rarissime que les gens concernés y répondent et plus rare encore qu’un média fasse état de celles qui lui sont adressées. J’avoue donc avoir été déçue en bien comme on dit en Suisse par Jean-Michel Aphatie[1. Un commentateur me dit que c’est raciste de l’appeler éditorialiste-cassoulet. Franchement, c’était plutôt affectueux et j’espère qu’il ne l’a pas pris autrement. J’adore son accent…et le cassoulet !] qui m’a répondu (pas mal d’ailleurs) en direct sur RTL avant de le faire sur son blog, puis par Bruno Duvic qui a cité jeudi dans sa revue de presse sur France Inter mon article sur « l’affaire Lefebvre ». Que l’un et l’autre en soient remerciés – rien n’est plus agréable que le désaccord intelligent. Duvic, cependant, remarque que France Inter « en prend plein la figure ». C’est un peu exagéré, cher confrère. Il est vrai que je cite très souvent France Inter et qu’elle m’énerve souvent, mais c’est pas de ma faute : le matin, je n’écoute que ça. C’est ma dose d’adrénaline.
Le coup de vice électoral de Sarkozy

À première vue, la réforme des collectivités territoriales présentée en cette fin octobre par Nicolas Sarkozy semble frappée au coin du bon sens : pour la première fois depuis la création de la Ve République, on essaie de mettre un peu d’ordre et de rationalité dans l’empilement séculaire des structures de la démocratie locale. Communes, intercommunalités, cantons, communautés urbaines, départements, régions, tout cela avait un urgent besoin d’être simplifié et adapté à l’évolution démographique et sociologique de notre beau pays.
La méthode pour faire avancer le schmilblick était aussi respectable qu’habile : on envoie tout d’abord un chevau-léger, en l’occurrence Jacques Attali, à l’assaut des conservatismes provinciaux. L’ancien conseiller de François Mitterrand, missionné par l’Elysée pour imaginer des réformes permettant de relancer la croissance économique, propose, entre autres, la suppression des départements.
Tollé dans les campagnes, car ce rejeton administratif de la Révolution française est plutôt aimé par le peuple, surtout celui qui vit hors des grandes villes, comme on a pu le constater lors de la modification des immatriculations des automobiles. Le conseiller général est un élu de proximité, qui cajole les petits maires et pratique la bobologie sociale avec les électeurs de son canton.
Pour calmer le jeu, on réunit une commission de « sages », présidée par Edouard Balladur, à laquelle participent d’éminents membres de l’opposition socialiste, Pierre Mauroy et André Vallini. Ses travaux aboutissent à la formulation de vingt propositions dont les plus importantes – suppression de la taxe professionnelle et création de « conseillers territoriaux » remplaçant les actuels conseillers régionaux et généraux pour siéger tout à la fois à l’assemblée départementale et régionale – sont reprises par Nicolas Sarkozy. C’est la « fusion douce » des départements et des régions.
Présentée ainsi, et moyennant quelques ajustements pour amadouer les sénateurs et les notables locaux, cette réforme aurait pu faire l’objet d’un consensus dépassant les clivages politiques, car elle répond aux préoccupations des élus locaux de toutes tendances. Elle pourrait mettre fin à l’enchevêtrement des structures, aux conflits de compétences et aux coûts inutiles engendrés par la multiplication des syndicats intercommunaux et de leurs exécutifs pléthoriques.
Mais on l’aura peut-être déjà remarqué, Nicolas Sarkozy n’est pas un homme qui recherche systématiquement l’harmonie générale, dans une République apaisée où les décisions importantes pour l’avenir de la nation sont élaborées dans un esprit de coopération avec ceux qui pensent autrement.
Il a donc fallu qu’il introduise dans la belle construction signée Balladur et Mauroy un élément qui déclenche une castagne de grande ampleur avec les socialistes : l’élection au scrutin uninominal à un tour, en 2014, de 80 % des conseillers territoriaux, les 20 % restants étant élus au scrutin de liste départemental.
Et alors, qu’est ce que ça change ? Eh bien, beaucoup de choses, car ce mode de scrutin, qui est celui des élections législatives au Royaume Uni, assure l’élection dès le premier tour du candidat ayant obtenu le plus de voix dans sa circonscription, même s’il n’a pas atteint la majorité absolue. Il favorise donc la famille politique qui est parvenue à rassembler au sein d’un même parti le plus large éventail des sensibilités existant en son sein. Le système « au premier tour on se compte, au second on se rassemble », alpha et oméga de la stratégie politique hexagonale, est balayé. C’est avant les élections qu’il faut se rassembler et non pas dans de chaleureuses retrouvailles d’entre deux tours. Dans la conjoncture politique actuelle, ce mode de scrutin favorise indubitablement la droite de gouvernement. Nicolas Sarkozy a rassemblé presque toute la droite au sein de l’UMP ou dans son orbite, alors que la gauche a beaucoup plus de mal à réunir toutes ses composantes dans un cartel électoral, surtout depuis la montée en puissance des Verts. De plus, la réduction de moitié des élus locaux provoque un assèchement notable du vivier où le PS recrute une bonne partie de ses militants…
Le coup tactique est habile, mais est-il pour autant de nature à purifier les mœurs politiques de notre pays, où le fair-play est encore insuffisamment pratiqué, comme on a pu le constater à l’occasion du procès Clearstream ? Ce mode de scrutin fonctionne à la satisfaction des Britanniques, car le bipartisme est profondément ancré dans le pays depuis très longtemps : conservateurs et travaillistes rassemblent au sein de leurs formations respectives toutes les nuances de la droite et de la gauche.
Il suppose aussi que le combat électoral se fasse à la loyale, sans manœuvres ni coup tordus : ce n’est pas en Angleterre que l’on verrait, par exemple, les conservateurs susciter en sous-main un candidat prétendument de gauche pour piquer des voix aux travaillistes, ou vice-versa. En revanche, pour qui connait un peu les pratiques politiques de notre belle démocratie, il n’est pas exclu que de subtils marchandages, manœuvres de coulisses, passages de rhubarbe et de séné viennent donner à ces élections un délicieux fumet de magouille généralisée.
Le bipartisme n’est pas dans les gènes des Français, pas plus à droite qu’à gauche. Dans la période que nous vivons, la gauche apparaît plus fractionnée qu’une droite tenue d’une main ferme à partir de l’Elysée. Mais, comme dirait Claude François, « ça s’en va et ça revient… », et il n’est pas sûr que le coup de vice électoral de Nicolas Sarkozy ne lui revienne pas, un jour, dans les gencives.
Somalie : des militaires pas très civils
Au moins 17 civils ont été tués hier matin à Mogadiscio dans des combats à distance entre insurgés islamistes et soldats de la force de paix de l’Union africaine (l’Amisom, African Union Mission to Somalia). Selon les agences de presse, des tirs d’artillerie lourde ont visé des quartiers populaires, notamment le marché de Baraka. Les insurgés ont d’abord tiré au mortier sur l’aéroport alors que le président cheikh Sharif Ahmed prenait l’avion pour se rendre en Ouganda , et les troupes de l’Amisom ont riposté par d’intenses tirs d’artillerie lourde. S’agit-il d’un massacre d’intimidation délibérément perpétré par les militaires de la « force de paix » de l’Union africaine ? On ne saura probablement jamais la réponse pour une raison simple: l’Amisom est composée de soldats ougandais, burundais, nigérians et malawites et tout le monde s’en contrefout. Je vous laisse imaginer les commentaires de la presse occidentale avec un scénario similaire, mais, avec dans le rôle des méchants, des casques bleus Européens ou des troupes de l’OTAN…
Educ’nat point com

« L’éducation nationale doit basculer totalement dans l’ère du numérique », a déclaré récemment le tout nouveau tout beau ministre de l’Education nationale, qui voit enfin les choses en grand. Il était temps. Depuis trop longtemps les profs, ces archaïques, tournent autour du pot numérique sans oser s’y plonger tout à fait. Le journal Les Echos s’en lamentait encore cet été, Mamy éducation nationale fait de la résistance. Serait-ce une conséquence regrettable de son grand âge, elle se fait désirer avant de s’abandonner à la totale bascule que son ardent ministre lui promet. « La France ne dispose que d’un ordinateur pour 12,5 écoliers, se plaçant ainsi au 12e rang européen. » À peine passable. Et même très médiocre. D’autant plus que pour ce qui concerne l’usage des high tech (ordinateur, vidéoprojecteur, connexion Internet) la France fait carrément figure de cancre du fond de laclasse.com, puisqu’elle pointe à une piteuse 21e place européenne, selon une « enquête » de la Commission de Bruxelles, toujours d’attaque quant à elle lorsqu’il s’agit de dénoncer les obsolescences françaises. C’est la honte. Vite, vite, connectons nos têtes blondes, avant qu’elles ne se voient contraintes de redoubler en compagnie des jeunes Bulgares pour obtenir enfin leur B2i.
Comment, vous ne connaissez pas le B2i ?
Le B2i, pour Brevet Informatique et Internet, « valide les compétences informatiques acquises dans toutes les disciplines [même le sport ? Oui, même le sport] et diverses circonstances ». Bon, personnellement, j’ai deux collégiens à la maison, et je peux vous dire que ce B2i, ça les fait bien rigoler. Sans même interrompre leur session msn, les voilà qui « valident les items constitutifs des compétences attendues » sur l’ordinateur de papa-maman ! C’est ainsi qu’on prétend réduire la fracture numérique au ministère : l’ordinateur partout, tout le temps, et pour faire n’importe quoi ! Ne dites surtout pas à nos néo-pédagogues qui pensent enfin avoir trouvé l’arme fatale contre les inégalités sociales, que dans les milieux les plus culturellement favorisés on limite, ou même interdit, l’usage de l’ordinateur aux enfants ! Comment ? Certains mauvais esprits osent suggérer que les facilités de l’informatique pourraient entraver le développement des facultés de concentration et, in fine, l’accès intelligent à la culture des enfants et des adolescents? Laissons ces rabat-joies à leur obsolète « support papier » que plus personne ne lit, et hâtons tous ensemble l’avènement du grand basculement vers la « société numérique ».
Mais peut-être après tout est-ce moi le naïf, et nos néo-pédagogues sont-ils parfaitement conscients des dégâts opérés sur la culture des collégiens par le culte du tout numérique. Peut-être visent-ils, en rendant obligatoire et permanent l’usage de l’ordinateur non seulement à l’école mais aussi à la maison, à niveler par le bas. Ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire en interdisant les devoirs à la maison, peut-être y parviendront-ils enfin en faisant basculer totalement l’éducation dans le dépotoir numérique. Tous ensembles et qu’aucune tête ne dépasse ! Au nom, bien sûr, de l’égalité des chances.
Ne cédons pas trop vite aux douces sirènes de la théorie du complot : les intentions de nos néo-pédagogues sont certainement pures. Je suis prêt à parier mon Apple 2 contre votre iPhone qu’ils croient malheureusement dur comme fer aux vertus pédagogiques du basculement numérique total. D’ailleurs, le mouvement s’est engagé de longues années avant que le ministre ne le décrète total et obligatoire. Avec un enthousiasme terrifiant, sous la pression inquiète des parents et sur les fonds des collectivités territoriales, les collèges et lycées, et même parfois les écoles, tous soucieux d’apparaître plus modernes et performants les uns que les autres, se sont dotés à la vitesse de la lumière de multiples ordinateurs plus ou moins à la page sur lesquels élèves et professeurs de conserve passent dorénavant des cours entiers de mathématiques et de français à se « loguer sur leur compte utilisateur », afin de tracer des cercles au compas virtuel sur le site mathenpoche, ou analyser un conte africain à l’aide d’indispensables outils informatiques dispensés par un « espace numérique de travail ». C’est une merveille de constater à quel point, dans ce domaine, la contrainte budgétaire disparaît comme par magie. S’il s’agit de réduire la fracture numérique, la facture, même astronomique, sera toujours acquittée. Un prof sans « support numérique » sera bientôt le dernier des ringards, et la « pensée PowerPoint« , qui se contente de « lister des items », c’est-à-dire d’empiler des phrases ou même seulement des « mots-clés », aura bientôt raison partout de la vieille pensée analytique et discursive.
Ce n’est pas seulement pour être moderne et performant qu’il faut se hâter de basculer. C’est aussi une question urgente de santé publique. Ainsi, les cartables, qui ont depuis des lustres transformés de façon humiliante notre précieuse progéniture en portefaix, ont heureusement fait leur temps. Numérisés eux-aussi ! Transformés d’un coup de baguette numérique en clés USB de quelques grammes. Bien fait pour eux ! Et que redressent le dos, et que relèvent la tête nos marmots affranchis du poids exténuant du vieux savoir !
Il faut, dit-on encore au ministère, « inventer une nouvelle pratique numérique ». Plus interactive, plus proche de l’élève qui conquerra ainsi la terre promise de son « autonomie ». Une nouvelle pratique qui permettra à nos chers bambins de s’épanouir enfin « au centre ». Cliquant en classe comme à la maison sur son ordinateur, l’apprenant pourra royalement ignorer l’enseignant, comme le rejeton ignore déjà royalement ses géniteurs qui osent l’interrompre pour lui demander brutalement de venir mettre la table alors qu’il se livre à un paisible massacre simultané de l’orthographe, de la syntaxe, et d’autres monstrueux ennemis sur son écran. C’est que, voyez-vous, l’ordinateur c’est beaucoup moins fasciste que les gens. Moins perturbant pour les enfants. Comme le souligne un de nos néo-pédagogues parmi les plus autorisés, « l’ordinateur n’est pas perçu comme celui qui juge et qui sanctionne ». Grâce à l’ordinateur, poursuit notre technopédagogue, l’erreur disparaît « comme par enchantement », et « les contraintes « bassement matérielles » d’opérations intellectuelles essentielles » sont supprimées. Plus de vilaines ratures, plus d’écriture imparfaite. D’un doigt léger sur mon clavier je m’affranchis de mon surmoi traumatisant. Paradisiaque, vraiment ! La bascule numérique est notre chemin d’accès vers le rose paradis virtuel des lendemains qui chantent ! Exit l’autorité ! Out les corrections au stylo rouge!
Vite ! Que tout ça bascule, et qu’on n’en parle plus !
Séance de suspension
Revenant sur le viril réquisitoire du procureur Marin, Dominique de Villepin y a vu, une fois de plus, l’ombre portée de la main présidentielle, celle qui voulait dit-il « le suspendre à un croc de boucher ». L’expression – goûteuse, il est vrai – n’en finit pas d’être colportée partout. Et, à mon avis, à tort. Je veux bien qu’elle ait été proférée, mais pas par celui des deux à qui on l’attribue : je vois mal l’actuel locataire de l’Elysée suspendre qui que soit à quoi que ce soit – hormis un plus petit que lui, comme moi-même. On n’imagine Sarkozy faire une telle promesse sans avoir les moyens de sa politique. J’en déduis donc que, mathématiquement, du haut de ses 2,25 m sans talonnettes, seul DDV peut être le véritable auteur de cette menace de mort. Un nouveau procès en perspective ?
Journalistes, sarkozystes, même combat!

On devrait toujours écouter Jean-Michel Aphatie. L’autre soir, notre éditorialiste-cassoulet national a en effet émis sur le plateau de Michel Denisot une pensée qui devrait être méditée dans toutes les écoles de journalisme de France. Le genre de propos qui n’admet pas la moindre réplique. « La critique des médias, quand elle est faite en général, est toujours stupide, voire dangereuse, elle est irrespectueuse de l’esprit démocratique. » Au panier (pour rester poli) Karl Kraus, Mac Luhan, Baudrillard, Bourdieu (c’est pas que ça me chagrine tant que ça pour ce dernier mais bon). J’aurais aimé pouvoir dire que j’étais visée parce que l’une des ambitions du « Premier Pouvoir » sur France Culture ou du livre que j’ai commis avec mon ami Philippe Cohen sur le journalisme était bien de se livrer à une critique générale du système médiatique – et du journalisme. Mais bon, je crains que Jean-Michel Aphatie n’ait pensé ni à l’une (l’émission) ni à l’autre (le livre) ni même à mon aimable personne lorsqu’il a fait cette sortie. D’accord, j’ai pas le genre Canal, et croyez bien que je le déplore[1. Cela dit, Jean-Michel Aphatie a eu la courtoisie d’appeler RTL hier pour me répondre en direct. Dans la profession, ceux qui acceptent le principe même du débat et ne récusent pas un interlocuteur au motif qu’il ne pense pas comme eux ne sont pas si nombreux. Dont acte.].
Qu’on ne se méprenne pas. L’ennemi d’Aphatie, ce n’est pas la critique, c’est la généralité. Il admet volontiers que « la critique d’un média en particulier, des journalistes qui ne font pas leur travail ou qui racontent des choses fausses est nécessaire». On ne saurait pas plus parler des médias en général (sauf pour affirmer qu’ils sont, en général, nécessaires à la démocratie) que des élites, de la classe politique ou des jeunes. Je croyais jusque-là que la pensée avait justement quelque chose à voir avec la capacité de généraliser, d’extrapoler, de chercher l’universel derrière le particulier, le général derrière le singulier, et aussi que le journalisme avait partie liée avec la pensée. Je dois avoir faux sur au moins un point. Le journaliste selon Aphatie ne doit pas généraliser pas, ce qui signifie, je le répète, qu’il ne doit pas penser. Il est un expert en faits. Et l’avantage des faits, c’est qu’ils sont vrais ou faux. La vie est simple.
Aphatie me pardonnera d’ignorer son conseil ou sa consigne et de parler de la musique générale des médias au risque, effectivement, de passer sous silence ceux qui récalcitrent dans leur coin – et ceux que j’ai ratés. L’amusant, dans le film Sarkozy contre les journalistes, c’est l’effet de miroir. Après que les petits soldats du sarkozysme ont consciencieusement lâché leur salve l’un après l’autre, c’est donc au tour des journalistes de riposter à la queue-leu-leu. À peine Frédéric Lefebvre a-t-il lâché sa bourde (j’y reviendrai) que la contre-offensive se met en place. Certes, elle est bien moins coordonnée que l’attaque en escadrille des godillots. D’ailleurs, elle n’a pas besoin de l’être. Dans les rédactions, on a tendance à penser pareil, surtout sur ce genre de sujets. Et spontanément avec ça. Ne cherchez pas là l’effet d’une quelconque pression.
En 24 heures, la contre-mayonnaise (pour filer la métaphore de mes camarades Cohen et Joubert) prend solidement. La ligne est simple : c’est la liberté qu’on assassine. Tout le monde (ou presque, d’accord Jean-Michel), reprend cette antienne avec entrain. Les humoristes se joignent au chœur. Au lendemain de la raffarinade de Sarkozy (« les commentateurs commentent, les acteurs agissent »), l’incorruptible Guillon, symbole à lui tout seul de la rebellitude consensuelle, évoque la Birmanie, la Corée du Nord, la Russie de Poutine. Nous sommes tous des Anna Politovskaïa. Grand défenseur des libertés et nouvel arbitre des élégances humoristiques, Guillon en profite pour en remettre une louche sur l’âge des amants de Frédéric Mitterrand et sur Brice Hortefeux, le ministre qui fait des blagues racistes. C’est que contrairement à ses petits camarades, Guillon ne chasse pas un clou pour l’autre. Il tape sur tous les clous en même temps. J’attends maintenant la « une » de mes amis de Marianne qui ont déjà annoncé la semaine dernière que la République était abolie pour cause d’accession de Jean Sarkozy à la tête de l’EPAD.
L’indignation enfle d’une antenne à l’autre, l’ivresse résistante s’empare des esprits. « Ça craint », lâche Pascale Clarke, plutôt sobre pour l’occasion mais dont le ton accablé laisse penser qu’elle redoute d’être arrêtée à la sortie du studio. « C’est une réflexion qui fleure bon le Alain Peyrefitte d’antan et montre que nous sommes toujours sous l’empire de cette vieille façon de faire de la politique, très XXe siècle », affirme Thomas Legrand, le talentueux éditorialiste de France Inter – il faudra qu’il nous explique ce qu’est la politique façon XXIe siècle : la transparence et l’amour du prochain ? Aphatie se cauchemarde embastillé par les forces noires du sarkozysme. Mais cet extrémiste de la modération qui refuse tout autant d’être traité de journaliste-opposant que d’être taxé de journaliste-soumis s’imagine aussi pendu à un réverbère par les bolcheviks de la corporation qui ont, il y a quelques mois, lancé un appel pour la liberté de la presse (ou quelque chose dans ce goût-là) au cours d’un grand raout intello-mondain au théâtre du Châtelet.
Bien sûr, il y a des nuances, peut-être même quelques vagues désaccords, mais pour l’essentiel, le Parti des Médias est en bon ordre de marche. Le résultat, c’est que l’affaire Lefevbre a provisoirement chassé de la « une » le scandale Jean Sarkozy[2. Au cas où ma position sur la question aurait un intérêt quelconque, oui ce n’est ni moral ni élégant d’obtenir un poste ou une position par son nom et quand on est président, on devrait s’abstenir de ce genre d’exemple déplorable. Mais il est assez rigolo de voir s’indigner ceux qui trouvent parfaitement normal de décrocher leur téléphone pour obtenir un job (souvent dans les médias) à leur progéniture. D’accord, ce n’est pas pariel, mais c’est un peu pareil tout de même.]. Chers Aimée et Marc, la ficelle « c’est la faute aux médias » est peut-être usée mais c’est la preuve qu’elle marche encore.
Dans ce festival de grands principes et de phrases ronflantes, on ose à peine s’interroger sur le fond de ce qu’a dit Lefebvre. Puisqu’il est décrété par avance qu’un proche du président ne saurait proférer que des âneries ou des mensonges.
Les journalistes, et en particulier ceux qui passent leur temps à proclamer qu’ils sont le dernier bastion de la résistance dans un pays livré au pouvoir de l’hyper-président, devraient pourtant remercier le porte-parole de l’UMP de les introniser officiellement à ce poste prestigieux – l’opposition réelle, ce n’est pas rien, surtout quand l’opposition légale s’embourbe.
Il n’y a rien d’infâmant à ce que les journalistes aient des opinions – c’est même le contraire qui serait inquiétant. Mais pourquoi diable passent-ils leur temps à s’en défendre ? Il est difficile d’allumer une radio ou une télévision sans entendre une critique, fondée ou non, de du président et de sa politique. Même le Figaro renâcle. Sur France Inter, par exemple, l’anti-sarkozysme n’est pas une opinion (parfaitement respectable au demeurant) mais une vérité incontestable, qui n’a plus besoin de se démontrer ou de s’argumenter. Les journalistes du Service public peuvent se rengorger : eux, salariés des médias d’Etat (et pour un bon paquet d’entre eux, délicieusement inamovibles), ne sont-ils pas la pointe avancée du combat démocratique ? Merci qui ? Merci Sarkozy ! Et ils font leurs chochottes : opposant moi, jamais ! Comme si l’opposition était une maladie honteuse. Mais non les gars, faut y aller ! Ton injure sera mon nom. Assumez, camarades : oui, nous sommes les seuls et les vrais opposants. Et nous en sommes fiers.
On me dira qu’opposition et contre-pouvoir, ce n’est pas pareil. Chez Montesquieu peut-être mais il faut admettre que dans la vraie vie, la nuance est parfois faible. Et quoi qu’en pensent mes estimables confrères, la différence entre pouvoir et contre-pouvoir ne saute pas aux yeux non plus. « Le pouvoir, dit Thomas Legrand, n’admet pas les contre-pouvoirs. » Il s’agit bien sûr du pouvoir politique. L’affaire Lefebvre révèle, pour ceux qui en doutaient, que le pouvoir médiatique ne les tolère pas plus.
Bonne nouvelle
Tous les enfants ne sont pas des cons. Cet après-midi même, un signe d’espérance, dans le Xème arrondissement de Paris, aux abords de la rue Cail…
Deux groupes d’enfants de huit à dix ans s’interpellent d’une extrémité à l’autre d’un carrefour. Le caïd de la première bande crie à tue-tête : « Il nous a donné des bonbons gratuit ! Venez ! ». A quoi le chef de la seconde bande rétorque à pleins poumons, avec une mimique et une intonation clownesques : « C’est un pédophile ! ». Les trois enfants autour de lui éclatent de rire. Si ces désopilantes têtes blondes deviennent un jour magistrats ou journalistes, il est peut-être permis d’espérer un monde meilleur…

