Accueil Politique Faire campagne sur les chiffres, un mauvais calcul pour le PS

Faire campagne sur les chiffres, un mauvais calcul pour le PS


Couverture de Paris-Match 17 mars 2005

Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pierre Haski débattent du programme du PS.

Six mois avant l’élection présidentielle, une chose est déjà certaine : pour le PS, c’est raté. Si Nicolas Sarkozy n’est pas assuré d’être réélu − tant s’en faut −, le Parti socialiste a en tout cas raté l’occasion de proposer un véritable choix aux électeurs. Certes, François Hollande pourrait être le prochain président de la République, mais s’il est élu, ce ne sera pas pour son « programme ».

Sur les questions de fond, c’est-à-dire l’Europe et la dette, les propositions de François Hollande ne diffèrent guère de celles de Sarkozy. Tous deux entendent accélérer l’intégration européenne d’un côté, réduire la dette sans casser la croissance de l’autre. En clair, ils proposent d’avancer vers un ministère européen des Finances qui disposerait d’un droit de regard sur les budgets des États-membres, afin de pouvoir réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts. Tout cela, bien sûr, sans casser une croissance déjà moribonde.

Au lieu d’une véritable alternative politique, le PS a concocté un paquet de « mesures concrètes ». Tellement concrètes qu’à l’instar des 60 000 postes dans l’enseignement et des 300 000 emplois jeunes/seniors, elles ont été sérieusement déplumées par le feu croisé des candidats aux primaires. Mais les socialistes ne se sont pas contentés d’être concrets ; ils ont aussi voulu paraître sérieux. Ils ont donc chiffré leurs projets, offrant ainsi une cible facile à leurs adversaires. Un projet doit certes être crédible, mais avant tout défendre une vision du monde au lieu de présenter des tableaux Excel en guise de manifeste politique.

Le lâchage pur et simple du projet par Jérôme Cahuzac, président PS de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, révèle les limites de ce « programme ». Adopté en mai sur la base d’une prévision de croissance fantaisiste, le projet PS ne pouvait qu’être caduc quelques mois plus tard. Du coup, les dirigeants du parti doivent admettre que leur programme est irréaliste et qu’ils n’en appliqueront qu’une partie, sans préciser quelles mesures seront privilégiées. Mais ce n’est pas tout. Au lieu de s’assumer et de proposer une réforme fiscale digne de ce nom qui augmenterait les impôts dans le but de réduire massivement les écarts de richesse, le PS cherche à financer son budget fantôme et tombe dans un deuxième piège : les niches fiscales et sociales. Voilà où se cacheraient les milliards ! Raté : les niches sont un mirage financier !

Commençons par les niches sociales. Ces allègements du coût du travail − comme la réduction des charges sociales sur les bas salaires, qui représente à elle seule un manque à gagner annuel de 21 milliards − sont jugées (très) efficaces par la Cour des comptes. Leur suppression coûtera donc plus cher que leur maintien… Quant aux niches fiscales, elles agissent comme des opérations de discount. Vous vendez un produit 20 euros avec 50% de remise, vous en écoulez 10 exemplaires et votre chiffre d’affaires atteint 100 euros. Comme vous subissez un manque à gagner théorique de 100 euros, vous décidez de mettre fin au scandale en rétablissant le prix d’origine. Sauf qu’à 20 euros le produit, vous en vendez moins et votre chiffre d’affaires s’effondre. Or, dans son projet, le PS a compté les 100 euros de manque à gagner comme de l’argent frais qui entrera en caisse dès que la remise sera annulée. Ainsi, la suppression de la niche la plus décriée, dite « Copé », qui aurait coûté 22 milliards d’euros à l’État en trois ans, ne rapportera pas 22 milliards, ni même 9 ou 10 (le coût de cette niche selon la Cour des comptes). Et voilà que s’évanouissent les moyens qui devaient financer les « mesures concrètes »…

Mais le pire est le fiasco de la « règle d’or ». Dans leur obsession de garder leur « triple A », les socialistes se sont joints à une initiative absurde de l’UMP : interdire la dette par la Constitution ou, a minima, par la Loi. Quelle absurdité ! S’il en a la volonté politique, rien n’empêche en effet un gouvernement démocratiquement élu d’abaisser le niveau de la dette. Dans le cas contraire, rien ne l’empêchera de s’endetter jusqu’au cou. Ne serait-ce que pour cette faute politique, les socialistes méritent de perdre l’AOC « Gauche ».

Niveau calendrier, le PS a mis la charrue avant les bœufs, l’élaboration du programme ayant précédé le choix du candidat. Pas fou, le vainqueur des primaires s’est débarrassé de la camisole du projet socialiste sans même laisser aux militants le temps de faire leur deuil. Enfin, il faut se rendre à l’évidence : durant les primaires, les électeurs de gauche ont massivement voté pour le candidat qui, après Valls, était perçu comme le moins à gauche (on exclura du champ le fantôme Baylet) et le plus pragmatique, bref, le plus capable, comme son modèle François Mitterrand, de faire une chose et son contraire. Autrement dit, ils ont privilégié la personnalité du candidat au détriment des idées. Puisqu’on reproche à Sarkozy son comportement pendant la première moitié de son mandat, les électeurs socialistes ont choisi un autre homme − à défaut d’une autre voie. De ce point de vue, François Hollande représente bel et bien une alternative au Président de la République : difficile de trouver une personnalité plus différente de celle de l’homme du Fouquet’s et du bouclier fiscal que celle du député de Corrèze. C’est un choix légitime qu’il faut tout simplement avouer et assumer au lieu de faire semblant d’avoir un « programme ».

En face, Nicolas Sarkozy a intériorisé ces critiques et joue désormais l’homme d’État pragmatique, discret et pédagogue. L’ennui, c’est que, grâce aux socialistes, les deux candidats majeurs à l’élection présidentielle de 2012 se font réellement concurrence non pas sur des idées et des projets mais sur une seule et unique question : qui ressemble le moins au Nicolas Sarkozy de 2007 ?

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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