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Oui, c’était mieux avant!

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente Glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires.


« Avec lui, nous étions des interlocuteurs crédibles. Il nous hissait vers l’âge adulte sans minorer notre minorité », écrit Thomas Morales à propos de Roald Dahl, lu au cours de l’enfance. Il écrit encore : « Des étés paresseux aux automnes giboyeux, des sous-préfectures ébréchées à cette capitale grisonnante tant désirée, des saints fêtés dans une église romane aux plaisirs anodins d’un baiser consenti à l’arrière d’un préau, tout ce corpus a disparu. » Un écrivain capable de concocter de telles phrases relève de l’excellence. Thomas Morales, qui publie Les Bouquinistes et Tendre est la province, deux succulents recueils de chroniques, offre depuis une quinzaine d’années et une vingtaine d’ouvrages une littérature d’exception. Et, fait notoire, celle-ci évolue avec grâce, élégance et aisance, dans les sous-bois d’une création originale, hors norme et hors mode, si loin des sentiers battus, frappés, broyés, anéantis par le wokisme et le politiquement correct. Il y a tout dans les deux phrases citées : une grande nostalgie, une mélancolie acidulée comme une mélodie de Nick Drake, un style époustouflant de vivacité. Thomas Morales nous comble.

Du Berry au Finistère

Lorsqu’on lui demande la genèse de ces deux opus, il répond : « Les Bouquinistes constitue le troisième volet de mon travail sur la nostalgie aux éditions Héliopoles. Il était programmé de longue date. Je creuse ce sillon-là avec un bonheur que j’espère faire partager. J’essaie d’en capter les éclats à travers différentes figures, le plus souvent artistiques. Le monde d’avant m’émeut. Tendre est la province, aux Équateurs, est différent car il a été écrit dans le feu de l’action. C’est sans aucun doute mon livre le plus personnel depuis quinze ans. C’est une déambulation, comme souvent chez moi, buissonnière, de mon enfance villageoise à mes premiers pas dans le journalisme. Pour la première fois, je distille des souvenirs, des ambiances, des décors de ma province, et même de mes provinces car je file du Berry au Finistère. »

Thomas Morales excelle dans le genre de la chronique ; il adore s’y adonner et s’en explique : « La chronique est, selon moi, un art majeur que je place au même rang que le roman. Elle exige, par son format réduit, de la densité et une explosivité remarquable si elle veut atteindre son but. C’est-à-dire toucher le lecteur à l’uppercut. Elle ne permet pas l’à-peu-près. »

A relire, Thomas Morales: «Je place la chronique au même rang littéraire que le roman!»

Chantre de la France des Trente Glorieuses, il ne cesse de se souvenir de son enfance, de son adolescence, des paysages, des odeurs. Des images télévisuelles (en noir et blanc) et cinématographiques lui reviennent, telles des bulles de savon aux reflets pastel. « J’ai coutume de dire que cette France-là était et reste mon biotope culturel et mon décor mental », reconnaît-il. J’aime son allure, son second degré, sa pudeur, ses artistes disparus, ses vieilles fraternités, ses automobiles de caractère et ses plats en sauce. Les Trente Glorieuses sont mon refuge identitaire, alors oui, je les fantasme un peu, je les fais entrer dans mon moule, mais je trouve à cette période une fraîcheur et une dignité qui nous manquent cruellement aujourd’hui. Pourtant, c’était une période historiquement rude et tendue, mais les Français y furent heureux, pleins d’espoir, ils croyaient en un avenir meilleur pour leurs enfants. »

On l’a compris : la France d’aujourd’hui n’est pas sa tasse de thé – et encore moins le verre de sancerre – de notre Berrichon ; il la trouve « plus terne, plus clivée, plus enfermée dans des logiques victimaires, plus rétive à la liberté d’expression, plus inquiète sur son avenir. Moins libre, moins délurée, moins rieuse, moins charmeuse. En un mot, manquant d’espoir et de panache. Je souhaiterais que l’on retrouve l’esprit français, celui qui court de Villon à Choron, de Dumas à Guitry. Du style, de l’humour, de la légèreté, des fidélités à une terre et des emballements sincères. »

La qualité de plume de Denis Tillinac

Villon, Choron, Dumas et Guitry. Des références littéraires, il en pleut comme sur la Bretagne de Caradec, dans la prose de Morales. « Mes maîtres en chroniques, mes sprinters de l’écrit, sont nombreux. On apprend toujours de ses aînés, écrire est une école de haute lutte. Pour s’améliorer, il faut être humble. Je pense, par exemple, à Kléber Haedens pour sa fluidité, ses papiers coulent comme l’eau vive, ils sont d’une érudition à hauteur d’homme, jamais prétentieux, toujours chargés d’une onde bénéfique ; j’ai beaucoup appris de ses enthousiasmes et de ses dégoûts. Il avait la dent dure contre certains écrivains intouchables. J’ai un faible aussi pour Jacques Perret, quelle plume virtuose ! Et un Italien qui est moins connu en France et dont je fais sans cesse la réclame : Ennio Flaiano (1910-1972), c’est l’esprit romain incarné, la Dolce Vita et sa férocité jouissive. Comment ne pas citer également Vialatte, le prince d’Auvergne ! » Il réhabilite aussi de grands oubliés, de talentueux « désemparés », comme les qualifiait Patrice Delbourg dans le bel essai du même nom paru en 1996. Kléber Haedens, Robert Giraud, Emmanuel Bove, Antoine Blondin, Jean-Claude Pirotte, André Hardellet, Henri Calet, René Fallet… sont remis à l’honneur dans les chroniques de Morales. Il n’oublie pas le regretté et délicieux Denis Tillinac qui a donné son nom à un prix qui, en 2022, a récompensé notre auteur. « Ce fut un grand honneur car il y a quelques similitudes dans nos parcours. Le mien reste bien timide par rapport au sien. Cette fraternité s’illustre par l’attachement à la province, l’apprentissage du journalisme dans une rédaction locale, notre amour pour la Presse Quotidienne Régionale qui demeure la meilleure école pour sentir les aspirations populaires d’un pays et aussi pour une fidélité aux écrivains hussards et, plus généralement, aux réprouvés des cénacles. Et ce qu’on oublie souvent, lorsque l’on parle de Tillinac, c’est sa qualité de plume. » Thomas Morales détient aussi une grande qualité : il possède la mémoire du cœur.


À lire

Les Bouquinistes, Thomas Morales, Héliopoles, 2024.

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Tendre est la province, Thomas Morales, 2024.

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Hidalgo home

Le bilan de la maire socialiste de Paris, sur le départ, est diversement apprécié.


Les jeux sont faits, la messe est dite et Madame Hidalgo, à l’en croire, tiendrait là son bilan. Les jeux, ce sont les olympiques, bien sûr. La messe, celle solennelle, inaugurale, qui sera célébrée à Notre Dame ce samedi 7 décembre en présence d’une forte affluence de très hautes personnalités françaises et étrangères des mondes religieux, politique, culturel, à l’exception notable de Sa Sainteté le pape François, celui-ci ayant préféré l’Île de Beauté à l’île de sainteté que sera, ce jour-là au moins, celle où se dresse la cathédrale phare de sa propre religion et qui, de plus, se trouve être dédiée à Saint-Louis.

Il n’en reste pas moins que, en ces deux circonstances, les jeux olympiques et la restauration si flamboyante de Notre Dame, Paris aura été aux yeux du monde à son plus beau. L’entourage, la cour de Madame Hidalgo sur le départ, dans leur message d’amitié et de congratulation, ne semblent vouloir retenir de sa décennie municipale que ces parenthèses enchantées, notamment celle des jeux.

Sans doute la Maire de Paris a-t-elle sa part dans ces réussites. Sans doute les a-t-elle accompagnées avec entrain. On ne discutera pas ce point, naturellement.

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Mais Paris n’est pas que l’embellie des jeux et la prouesse d’un formidable chantier de résurrection. Il y a le reste, tout le reste. Les effets de la frénésie cyclophile de l’édile qui entend manifestement que tout dans sa ville, aller, venir, se déplacer, se fasse désormais au mollet. Avec, en agrément, un gymkhana perpétuel entre les barrières de travaux, les trous, les bosses, éventuellement les poubelles, etc. Pour le provincial que je suis, entrer dans Paris en voiture est devenu l’aventure suprême. Je n’oublie pas d’emporter des vivres avec moi et de me munir de pilules anti-stress. Je sais pertinemment que je pourrais m’adresser pour ce genre de produit à l’un de ces commerçants à la sauvette qui sont de plus en nombre dans la cité hidalgienne, mais on me dit que la qualité n’est ni suivie ni sûre. Un troisième mandat aurait sans doute permis à madame Hidalgo de s’occuper de la question. À suivre… Les vivres que j’ai emportés, j’évite de les consommer sur un banc des Tuileries ou ailleurs. Rapport aux rats, vous voyez. Ils ne vendent rien à la sauvette mais ils sont encore plus nombreux que ces marchands. C’est dire… Ici, on use à présent de leur nom officiel, surmulot. C’est tout aussi dégoûtant, redoutable, porteur de saloperies, mais c’est plus noble et surtout davantage marqué de bienveillance envers l’espèce animale. Le surmulot, donc, trouve à se loger et proliférer à son aise à travers Paris. Tel n’est pas le lot du foyer aux revenus moyens, voire moyens supérieurs. Pour celui-là, habiter Paris est encore un peu plus irréalisable que voilà dix ans, à l’arrivée de la dame. En fait, il faut bien comprendre qu’une forme de progrès s’amorce ainsi. Lorsque Paris ne sera plus peuplé que de gens ayant vraiment les moyens, pour qui l’automobile sera devenue une bizarrerie ringarde bonne à laisser aux culs-terreux et aux prolos végétant hors les murs, la capitale de la France ne sera pas loin d’être devenue le Paradis dont rêve madame la maire en partance. Autre traduction dans les faits du beau souci écologique et hygiéniste de l’élue, le camping de plein air ne cesse de se développer, en particulier dans les quartiers, nord nord-ouest. On notera, détail digne d’intérêt, voire d’éloge, la forte ouverture à l’international de la pratique. On y vient d’au-delà des mers, ce qui ne participe pas peu à la prospérité du commerce ambulant évoqué ci-dessus. Des agents du complotisme le plus réactionnaire feraient courir le bruit qu’une esquisse de commencement de délinquance serait liée à tout cela. Or, les études extrêmement scientifiques diligentées par les services de la maire sont encore hésitants dans l’interprétation des courbes et des statistiques obligeamment mises à leur disposition. Bouger ses fesses pour aller voir dans la rue ce qu’on y voit, ce qu’on y constate étant tout ce que l’on veut, sauf scientifique, bien entendu, ils s’en abstiennent. Dormez bonnes, gens !

Donc madame Hidalgo s’en va. Nul doute qu’elle ne trouve rapidement un autre lieu de pouvoir, d’influence où exercer ses remarquables talents. Un boulot pas trop loin, pour pouvoir y aller à vélo. Puis quelqu’un d’autre s’installera dans son fauteuil. Elle a désigné un successeur, lui aussi, nous dit-on, cyclophile impétinent. Normal pour ces gens. L’actuelle élue est arrivée là sur le porte-bagage de Bertrand Delanoë, le potentiel successeur y débarquerait sur le sien. Tout cela est d’une logique admirable. On verra bien. Et puis, comme on dit depuis des lustres et des lustres, Paris sera toujours Paris. Dont acte. Mais en un peu plus propre, ce ne serait déjà pas si mal.

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La crapule sous l’Occupation


Si La Carlingue était un roman, il mériterait d’être adapté illico à l’écran, pour une série sur Netflix.

Mais hélas, ce n’en est pas un. David Alliot, de longue date spécialiste de Louis-Ferdinand Céline et de cette sombre-période-de-notre-histoire, selon la formule consacrée – cf. Arletti, si mon cœur est français… ; Le festin des loups. Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation (tous ouvrages parus chez Tallandier) – se penche ici sur l’histoire de La Gestapo française du 93 rue Lauriston – sous-titre du livre.

Galerie de portraits hauts en couleur : de 1940 à 1944, malfrats, filous, crapules, affairistes, arrivistes, souteneurs, marlous gravitent dans cet hôtel particulier du XVIème arrondissement de Paris réquisitionné par l’Occupant. L’édifice abritera la plus monstrueuse de ces « Gestapo françaises » collaborationnistes : de sinistre mémoire, la rue Lauriston demeure, quoiqu’on fasse, hantée par le spectre des exactions qui s’y commirent, sous la houlette de deux personnages sordides : Henri Chamberlain, alias Lafont, et Pierre Bonny.

L’armée des sombres

Le premier est un petit escroc analphabète féru de chiffres ; il fera fortune, entre autres rapines, par le biais de ces « bureaux d’achats », officines parallèles qui prolifèrent alors (rue Flandrin ou avenue Henri-Martin, à Paris, ou encore bd Maurice Barrès à Neuilly, mais aussi dans nombre de villes de province) et dont « La Carlingue », ainsi que se surnommera elle-même l’adresse du 93 de la rue, sera entre toutes la plus puissante et redoutée. Une fois la police française mise au pas, la pègre directement employée par l’Occupant s’y livre, en toute impunité, à la traque des juifs, au pillage des biens, au trafic des ressources (vol, racket, extorsion…) et à leur revente au marché noir.

Chef de bande, Lafont a recruté dans le Milieu : Villaplana, Louis Pagnon dit « Eddy », Abel Danos dit « Le Mammouth », Raymond Monange dit « La Soubrette », Jeans Sartore, Alex Bowing, plus toute une série de tueurs, de petites mains et de transfuges : ils forment sa meute. Plus le petit personnel d’intendance (féminin)… « Naturalisé allemand et officier SS, [Lafont] parade régulièrement en uniforme ferldgrau pour impressionner ses visiteurs ». S’affichant dans des voitures de luxe, lui-même propriétaire d’un bel hôtel particulier, le patron de la Carlingue mène grand train.

Pierre Bonny, l’autre voyou est, lui, un fils de bonne famille. Inspecteur de police véreux et révoqué comme tel en 1935, le filou reprend du service en devenant, à partir de 1942, le grand administrateur de la Carlingue. La présentation extraordinairement documentée de cette « armée des sombres » (sic) occupe le bon premier tiers du livre de David Alliot. Suit la description détaillée de son fonctionnement – des cambriolages aux séances de torture, en passant par la spoliation des Juifs et les escroqueries en tous genres. Les aigrefins du 93 et leurs hommes de main se spécialisent dans la terreur, la traque des résistants, tout en étendant leur réseau vers les personnages influents, s’assurant par exemple du soutien et de l’amitié d’un Jean Luchaire, « l’omniscient directeur des Nouveaux temps et tout puissant patron de la Corporation de la presse », ou du journaliste et homme politique Georges Prade, ou encore du faux aristo et mondain Lionel de Wiet…  

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Quelques créatures pittoresques agrémentent ce paysage, « nombreuses à graviter autour de la rue Lauriston et des autres Gestapos françaises, comme Evanne Euphrosine, princesse Mourousi, née à Moscou le 15 mars 1907 (…) Personnage fantasque, cocaïnomane, mégalomane, bisexuelle aux mœurs dissolues, [elle accouchera] par césarienne de son fils unique Yves Mourousi (1942-1998), futur journaliste et présentateur star du JT de TF1 dans les années 1970-1980. (…) Arrêtée à la Libération, son procès n’aura lieu qu’en 1950 où elle sera condamnée à trois ans de prison (…).  Ruinée, rejetée par tous et sans domicile fixe, elle est accueillie par l’abbé Pierre à sa sortie de prison (…). Parmi les autres aristocrates compromises avec les gestapistes, on peut citer Ilde von Seckenforff  (noblesse rhénane) ; Sonia Olinska ; Antoinette Hugues, comtesse de Bernardi (…) ; Madame Hubert, comtesse de Thucé… Que du beau monde »…  

Il y a aussi les gens du spectacle, les filles de cabaret (Marthe Kissling, alias « Esmeralda), les acteurs et actrices de cinéma, telle Gerdad Kornstädt dite « Dita Parlo » (vedette de l’Atalante, de Jean Vigo, puis de La Grande illusion, le chef-d’œuvre de Jean Renoir)… Tout du même tonneau. Et Alliot de poursuivre son récit hallucinant par l’évocation de la comtesse de Palmyre, « autre aventurière à particule qui fréquenta la rue Lauriston et qui sera une éphémère maîtresse de Lafont, la comtesse Magra d’Andurain »…

Luxe puis déroute

David Alliot restitue dans un luxe de détails impressionnant l’univers de cette cour des miracles faisant bombance dans un pays rationné. De fait, l’époque est si trouble qu’à deux pas de la Carlingue, dans sa clinique privée de la rue Le Sueur un certain Marcel Petiot gaze, dépèce et dépouille ses victimes par dizaines sans éveiller le moindre soupçon…

L’horrible Lafont n’en restera pas à ses seules activités parisiennes : s’improvisant chef de guerre, le mégalo furieux, gradé Haupsturführer SS (capitaine) se lance bientôt dans une croisade en province. Il s’est lié avec Mohamed al-Maadi, jeune activiste algérien qui « prône ni plus ni moins que le jihad contre les colons français » (…) « alliance a priori contre-nature entre le nationaliste et les partis d’extrême-droite collaborationnistes français ». Son journal, Er Rachid, « publie en une la photographie du grand mufti de Jérusalem conversant avec les caciques nazis, Adolf Hitler en tête » (…) « C’est cette carte que vont jouer les dignitaires nazis » (…) « l’objectif [étant] de se servir du terreau antisémite pour rallier les populations arabes au IIIème Reich ».

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Lafont a présenté al-Maadi à Jean Luchaire, le tout-puissant patron de la Corporation de la Presse, qui soutient le développement du titre Er Rachid. À son nouvel ami, Lafont fera don de 300 000 francs [somme énorme à l’époque], l’aidera à ouvrir une cantine pour les « pauvres » au 40 rue Lauriston ! Et ne voilà-t-il pas que Er Rachid, en 1944, c’est-à-dire en pleine débâcle de l’armée allemande, lance une campagne de recrutement pour créer, sous la houlette du duo Lafont & al-Maadi, une « Brigade nord-africaine » de supplétifs maghrébins sous uniforme boche ! Cinq sections de quarante soldats chacune sèmeront ainsi la terreur de Montbéliard à Limoges, jusqu’à Périgueux, Tulle et Mussidan, multipliant les massacres au moment même la Wehrmacht évacue la Corrèze et où les maquisards embrasent la campagne.

Pour les malfrats de la Carlingue en pleine déroute, la cavale se terminera mal : ils n’échapperont pas aux « soubresauts de l’Epuration ». « Avec l’arrestation des chefs de la rue Lauriston, de leurs lieutenants, et les perquisitions qui s’ensuivirent, une question reste en suspens : qu’est-il advenu du trésor de la Carlingue, et à combien se montait-il ?, s’interroge l’auteur, au dénouement de cet authentique thriller, dont l’épilogue retrace le déroulement des procès intentés, à la Libération, contre cette engeance particulièrement infecte.

Scrupuleux dans ses sources, précis dans sa relation des faits, mais moins historien au style boutonné que conteur à la plume acide, David Alliot aime à émailler ses intertitres de calembours : après qu’il a évoqué Modiano – « La Carlingue, prix Nobel de littérature ? » -, son paragraphe suivant, baptisé Sclérose en plaques, rappelle que le 93 rue Lauriston abritera jusqu’en 2009 la… Chambre de commerce franco-arabe (!)… Et qu’en 2024, une plaque infiniment discrète rappelle tout de même à quel sinistre emploi fut vouée cette adresse, il y a moins de quatre-vingts ans.     

La carlingue. La Gestapo française du 93 rue Lauriston, par David Alliot. 555 p. Tallandier.

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Faut-il canoniser Charles de Gaulle?

Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.


À Bruxelles le pape François a annoncé qu’il engagerait un processus pour canoniser Baudoin, ex-roi des Belges, qui préféra abdiquer plutôt que de promulguer une loi autorisant l’avortement. Preuve que désormais, le Vatican fait son emblème du refus strict des « droits sociétaux », en même temps d’ailleurs que de la défense de l’immigration, peu importe d’où elle vienne et comment elle vient. Selon ce que le pape donne à voir de sa vision du monde, l’humanité est faite d’individus qui en sont membres directement, dès la conception et avant d’être rattachés à aucune société et à aucune nation. Cet irréalisme dogmatique contribue à la marginalisation du catholicisme, voire à son effacement.

Le pape actuel s’est montré ouvert à la reconnaissance des couples hors norme (homosexuels, ou engageant des divorcés). Il admet des évolutions sociales si elles n’offensent pas la nature, mais il voit aussitôt le meurtre derrière l’avortement. Il n’est pas surprenant qu’il hésite davantage à propos de la condition des femmes. Difficile en effet de rapporter la différence des sexes uniquement à la nature ou seulement à la société, aux mœurs et aux institutions.

Il est vrai que l’avortement peut être jugé comme un meurtre, puisque c’est l’interruption d’une vie qui, pour n’être qu’esquissée, est celle d’un nouvel individu. Mais les choses se compliquent si l’on se rappelle que dans aucun pays, la vie humaine n’est intouchable. En Europe, la peine de mort a été abolie récemment mais nulle part, et selon la morale chrétienne elle-même, la légitime défense n’est proscrite, même si son usage est contrôlé par les tribunaux. Un certain réalisme s’oppose à l’absolutisation des principes, donc à leur rattachement direct à la nature : l’avortement quand on l’a vraiment empêché, a entraîné des abandons d’enfants et leur enrôlement dans des institutions autoritaires et intéressées.

L’annonce de la canonisation royale ne semble pas avoir été reçue favorablement, ni en Belgique ni ailleurs, comme si l’institution n’arrivait plus à communiquer avec le monde ambiant, à produire de l’exemplarité. De cela on voit un signe, une preuve même, dans les canonisations en série de souverains pontifes récemment décédés : on ne sort pas du cercle. Mais c’est le sens même de la canonisation qui est en cause : ne peut-elle pas être autre chose que la désignation par l’autorité d’un modèle pour le peuple chrétien, puis l’implantation de ce modèle, comme un greffon, dans la culture commune ?

D’un fonctionnement différent et même opposé on a un exemple dans le cas de Jeanne d’Arc. Celle-ci a été reconnue et célébrée en dehors de l’Église bien avant d’être béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Condamnée par un tribunal ecclésiastique aux ordres en 1431 « la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen » (François Villon) a été réhabilitée en 1456, après que Charles VII l’eut emporté, puis oubliée par la monarchie. C’est un historien de la Révolution, Michelet, qui dans les années 1840 en a fait une héroïne nationale dans son Histoire de France. Et c’est Péguy qui, à la veille de la Guerre, l’érigea en sainte en méditant sur son action, sur « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc ». Le « succès » de cette canonisation, d’abord laïque puis chrétienne, d’abord externe puis interne à l’institution, tient évidemment à une certaine pertinence historique de cette vie et de cette mort où beaucoup de Français lisaient le sens de leur histoire.

La canonisation de Jeanne d’Arc n’a sans doute pas été beaucoup plus qu’un peu d’eau bénite au bout d’un processus essentiellement national. Il est révélateur que, dans ce cas, l’autorité romaine n’ait pas fait dépendre sa décision, comme c’est en principe la règle, d’un nombre de miracles reconnus, comme si le sens de l’événement Jeanne d’Arc lui échappait, celui d’avoir illustré le rapprochement des deux France et aidé le pays à faire face aux épreuves du « premier xxe siècle ».

La « canonisation à plusieurs voix » de Jeanne d’Arc participait de ce que l’on a appelé la « catho-laïcité » française. Mais, l’ancien conflit étant terminé, il s’agit aujourd’hui, non pas de surmonter une division séculaire, mais de prendre de front une question lancinante : l’hésitation du pays entre l’universalité économique, politique et morale, à quoi il participe et veut participer, et le besoin pour la nation d’avoir non seulement un espace mais aussi une action qui lui soit propre, dont elle détermine elle-même l’orientation, désespérant souvent d’y parvenir. Dans ces conditions, il s’agit, si l’on veut canoniser, moins de célébrer un exploit que de présenter un modèle d’exigence. Dans un monde sécularisé peut s’engager un changement de sens du mot canonisation : il consacrait une fidélité active à la règle, il peut désigner le courage d’affronter la question ultime, celle que pose l’existence même de l’humanité et du monde, en particulier à un de ses points d’émergence, l’appartenance à un peuple, à une nation en même temps qu’à l’humanité en général.

Un personnage peut incarner cette exigence inquiète, Charles de Gaulle que tout le monde invoque rituellement avec plus de nostalgie que de conviction. L’épiscopat français pourrait demander à Rome qu’un « procès informatif » soit engagé qui pourrait aboutir à une béatification. De Gaulle étant le personnage central de notre xxe siècle, il s’agirait d’interroger sa vie et en même temps de nous interroger nous-mêmes. La canonisation à l’horizon du processus ne saurait évoquer une mise au pinacle, la fabrication d’une effigie, d’un fétiche, mais un mouvement vers une représentation plus exigeante de nous-mêmes. La référence chrétienne qui sous-tend le mot canonisation ne peut dans ces conditions renvoyer à une affiliation, mais indiquer qu’il faut aller au bout des questions posées, de l’interrogation à entreprendre sur l’objet historique à quoi nous participons, grâce aux questions sur la vie du héros qui l’a dirigé et qui l’incarne.

Israël, Netanyahou et le harcèlement organisé: quand les ennemis d’Israël jubilent

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Alors que les combats reprennent de plus belle en Syrie, où la seconde ville du pays, Alep, vient d’être reprise par les rebelles, et alors que le cessez-le-feu est déclaré au Liban, les grandes instances internationales comme l’ONU ou la CPI semblent s’acharner à faire de l’État hébreu un paria.


La condamnation judiciaire de Benjamin Netanyahou a offert un prétexte rêvé aux relais des mouvements islamistes en Occident pour afficher une joie triomphante. Mais derrière cette apparente satisfaction, se cache une détermination renouvelée à attaquer Israël et son droit à se défendre et à exister. Cette situation s’inscrit dans un contexte où Israël, seul au monde à devoir justifier sa légitime défense, fait face à des accusations démesurées et à une focalisation injuste, notamment de la part de la Cour pénale internationale.

Une justice à géométrie variable

Alors qu’Israël vient de réduire significativement les capacités militaires de nuisance des mouvements islamistes comme le Hamas, le Hezbollah, et des régimes qui les soutiennent, tels que l’Iran, c’est paradoxalement l’État hébreu qui devient la cible privilégiée des instances internationales.

La CPI, qui n’a jamais condamné les crimes de Bashar el-Assad en Syrie, les exactions des mollahs iraniens, ni celles des talibans afghans, concentre pourtant ses efforts sur Israël. Ce même Israël qui, face à des ennemis jurés prônant sa destruction, s’efforce depuis toujours de limiter les pertes civiles dans des situations de guerre.

Comment expliquer ce traitement à part ? Les actions d’Israël, pourtant justifiées par son droit à la légitime défense, sont systématiquement scrutées, jugées et dénoncées par une coalition informelle composée d’organisations internationales, d’ONG, de personnalités influentes et de mouvements politiques de la gauche extrémiste.

Pendant ce temps, les crimes massifs commis ailleurs, souvent avec une violence inouïe et sans retenue, restent dans l’ombre.

La stratégie des mouvements islamistes : instrumentaliser la justice internationale

Les mouvements islamistes et leurs relais occidentaux exploitent ces condamnations pour alimenter leur propagande. Leur objectif n’est pas la justice ou la défense des droits de l’homme, mais bien de délégitimer Israël et de renforcer l’idée qu’il est un « État paria ».

L’acharnement contre Netanyahou devient alors un moyen de stigmatiser tout un peuple, tout un État, et, par extension, le droit des Juifs à se défendre. Cette campagne est orchestrée avec une efficacité redoutable, combinant des narratifs émotionnels, des appels à la justice sélective et une rhétorique de victimisation manipulée.

L’ONU et les « humanistes » : des complices volontaires ?

L’Organisation des Nations Unies, certaines associations dites « humanitaires », ainsi que de nombreuses personnalités artistiques ou politiques, jouent un rôle actif dans ce harcèlement organisé. Leurs discours et leurs actions, sous couvert de défense des droits humains, servent en réalité une cause idéologique bien précise : celle de l’affaiblissement d’Israël sur la scène internationale. Ces acteurs ignorent délibérément les efforts continus d’Israël pour épargner les civils lors de ses opérations militaires. Ils ferment les yeux sur le fait qu’Israël affronte des adversaires qui, eux, utilisent délibérément des populations civiles comme boucliers humains, violant ainsi toutes les conventions internationales.

Un harcèlement coordonné

Ce que nous observons, c’est une campagne globale, presque une forme de harcèlement en bande organisée. Israël, Benjamin Netanyahou et, par extension, tous les Juifs deviennent des cibles d’une coalition idéologique unie par son opposition à l’État hébreu. Cette campagne associe des institutions internationales, des ONG, des artistes, et des militants politiques, tous alignés pour délégitimer Israël.

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Et pourtant, cette focalisation est tout sauf normale. Elle révèle une dérive profonde dans l’ordre moral et juridique mondial. Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, se voit traité comme un État voyou, tandis que les régimes autoritaires les plus violents bénéficient d’une relative impunité.

Refuser la normalisation de l’acharnement

Il est temps de dire non à cette normalisation d’un traitement injuste et discriminatoire. Non, il n’est pas acceptable que des institutions internationales soient instrumentalisées pour stigmatiser Israël. Non, il n’est pas acceptable que des personnalités publiques et des organisations prétendument humanistes alimentent une rhétorique de haine déguisée en combat pour la justice.

Ce harcèlement organisé ne vise pas seulement Netanyahou ou Israël. Il attaque les principes mêmes de justice et d’égalité devant le droit. Si nous acceptons ce ciblage systématique, nous abandonnons les valeurs fondamentales de vérité, d’équité et de défense des droits universels.

Israël continuera à se défendre, non seulement sur le champ de bataille, mais aussi sur celui des idées. Et nous devons, à notre tour, dénoncer cette hypocrisie et ce deux poids, deux mesures qui affaiblissent la cause de la paix et de la justice.

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Au cabaret de la chance

Éric Poindron publie Au cabaret des oiseaux et des songes. Cet écrivain sensible nous rappelle que les oiseaux annoncent le soleil, la pluie, et parfois le vent mauvais


En lisant le singulier livre d’Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, édité par Le Passeur, je me suis mis à fredonner la chanson d’Yves Montand, « Au cabaret de la dernière chance » (paroles de Pierre Barouh / musique d’Anita Vallejo) qui commence ainsi : « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts / Et ceux qui vivent les yeux fermés ». Poète, éditeur, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Éric Poindron n’est pas homme à vivre les yeux fermés, bien au contraire. Il ne cesse de voir, mais aussi d’écouter, toucher, goûter, sentir, et cette symphonie des sens nourrit sa réflexion buissonnière, pour notre plus grand plaisir.

Son récit, ponctué d’aphorismes, de citations et d’extraits de poèmes, nous conduisent à quitter la ville et ses acidités, comme eût dit Charles Trenet. On retrouve cette terre miraculeuse, l’enfance, peuplée de rêveries célestes, de vallons verdoyants et de gens heureux parce qu’ils refusent de croire au malheur. Avec Éric Poindron, nous ouvrons la fenêtre et l’air libre électrise nos neurones. Les paysages de France se déploient devant nos yeux d’humains fatigués par la grisaille des idéologues, « contamineurs » de mots séculaires. On finit la soirée dans ce cabaret sans toit, éclairé par les étoiles. Puis on reprend la route au petit matin, frais comme un gardon. On suit Poindron, marcheur rousseauiste infatigable, sur les chemins des Cévennes, de l’Yonne, de la Lozère, de l’Ardèche ; il ne manque aucune conversation entre les oiseaux. Car il les aime, ces oiseaux qui annoncent le soleil, la pluie, le vent parfois mauvais. Poindron note : « Alors, dès mon jeune âge, j’ai décidé d’être un oiseau. Je voulais fuir l’école, raconter des histoires à mon rythme et me baigner dans l’océan jusque tard dans la saison. J’y suis parvenu. Mes rêves sont intacts. » Nous les découvrons avec ses digressions qui irriguent le livre. Comme nous découvrons, dans la préface signée Denis Grozdanovitch, que son ami et éditeur, Jean-Yves Clément, entretient « des rapports cabalistiques avec les pies malicieuses ».

A lire aussi, Jonathan Siksou: La boîte du bouquiniste

Vous l’aurez compris, ce livre est un livre de copains, pour de futurs copains. Poindron nous fait découvrir sa bibliothèque. Les morts sont souvent plus vivants que les vivants. Il y a le mage Cocteau, Jean Marais dans son long manteau en poil de chameau, Paul Morand, homme pressé par son talent, l’énigmatique Jules Verne, à propos duquel il écrit : « Ce bourgeois d’Amiens, cet homme casanier comme une huitre et qui dérivait dans ses rêves trompait son homme. » Et d’ajouter : « Jules Verne est un mystère voyageur comme le mystère d’une île. » On rencontre les amis du premier cercle, en pleine forme : Pascal Quignard, Jérôme Leroy, Pierre Michon, ou encore Yves Simon. Poindron n’oublie pas le regretté Gilles Lapouge dont il brosse un exotique portrait. Comme il n’oublie pas Joseph Pontus, terrassé par un cancer à 42 ans, auteur d’un livre unique, À la ligne (Éditions de La Table Ronde ; encore un coup de Jérôme Leroy…). Poindron rappelle : « Un titre astucieux et invendable, À la ligne, et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. » Ce qui n’est pas rien.

Ce livre permet également de mieux connaitre son auteur. C’est un texte autobiographique en forme de puzzle. Sa reconstitution est délicate, à l’image de l’écrivain. J’aime cette phrase qui en dit long sur sa personnalité : « Sur ma table de travail, prête pour l’écriture, une image d’autrefois, esseulée. Sans personne. Seulement une petite gare. »

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des songes ; mais quand il n’y aura plus d’oiseaux, les hommes auront disparu. J’écris cela car, de mon Limousin natal, je guette le retour des hirondelles, au printemps. Or je constate, depuis plusieurs années déjà, que beaucoup de nids restent vides. C’est pour cela qu’il faut pousser la porte du cabaret du poète Poindron pour prendre conscience de la fragile symphonie du monde.

Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, préface de Denis Grozdanovitch, Le Passeur Éditeur. 349 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Avec Céline Pina, Martin Pimentel, Gil Mihaely et Jeremy Stubbs.


Censure du gouvernement, démission du président ? Les islamogauchistes à l’œuvre, en France, en Belgique et au Royaume Uni. Bilan du cessez-le-feu au Moyen Orient.

Les étranges défaites

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Marc Bloch et Boualem Sansal résistent


Mayday, SOS, coquin de sort ! Le Titanic Europe des copains d’abord a heurté l’iceberg Trump. Le présent est angoissant, le futur déprimant. Remplaçante, sur le banc de touche de l’histoire, dans la mauvaise conscience et l’auto-flagellation, la France se console en surjouant les défaites du passé : l’occupation, le vent mauvais, les bêtes immondes, la décolonisation… Pour égayer les fins de parties, les démons des éditions de minuit et les tubes des années de braise (44-54), surpassent ceux des années 80. Après les utopies, les uchronies et dystopies. Destinée… Les années noires font le buzz sur les rezzous sociaux, France Culture. Les débâcles, humiliations nationales, marronniers maléfiques, excitent les zouaves d’UFR, indigénistes indigents, tirailleurs-au-flanc, guérilléros de Collège de France, dé-constructeurs, héraults d’une histoire de France sans Histoire et sans France : la grande armée des rentiers de la repentance, compagnons de la décomposition nationale. Les incendiaires, champions du « vivre ensemble » !

Les tribus de l’émancipation intersectionnelle ont passé un accord de non-agression, un pacte (germanopratin) islamo-wokiste, contre-nature, à l’image de celui du 23 août 1939. À la recherche de la burka bio à visage humain, deux fanatismes – rose et vert – se donnent la main pour abattre l’ennemi commun, l’Occident libéral, blanc, coupable, masculin, maudit. Leur forfait accompli, les règlements de comptes à venir entre barbus et écoféministes misandres ne manqueront pas de ragoût. Sandrine Rousseau et Virginie Despentes (qui aime la kalach des assassins de l’Hyper-Casher) iront plaider la cause queer à Kaboul. Hidjab-Vie-Liberté… Annie Ernaux bientôt docteur « doloris causa » de l’université Al-Azhar ? Boualem a dit Bigeard, comme c’est Bigeard…

Deux pays à la ramasse

Boualem Sansal a été arrêté par les paras de la 10e DP du FLN et déféré au parquet antiterroriste d’Alger pour atteintes à la sûreté de l’État et à l’intégrité nationale. L’Algérie s’iranise. Dans son dernier opus (Le français, parlons-en !), l’écrivain dézingue au MAT 49 les passeurs de valises de billets, la rente mémorielle, les tabous franco-algériens.

A ne pas manquer, Causeur #128 : Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

« Au lendemain de son indépendance, l’Algérie disposait d’un patrimoine unique, moitié fourni par la nature, moitié par la colonisation qui avait bien équipé la demeure en infrastructures diverses, et jouissait d’un immense prestige dans le monde (…) Las, ses dirigeants de plus en plus médiocres et corrompus ont dilapidé le patrimoine et mis l’Algérie sur une ligne de déclin rapide qui a fait d’elle une proie facile pour l’internationale islamiste et les oligarques internationaux. Et depuis… elle s’enfonce et disparaît par petits bouts, par le séparatisme qui se développe en Kabylie et dans le Sahara et par l’émigration massive (…) ; dans le cerveau de l’Algérien on a installé deux logiciels incompatibles, un logiciel ultranationaliste construit sur une base fausse et une vision héroïque du futur, et un logiciel religieux archaïque qui porte une vision apocalyptique du monde. À qui se vouer ? » (Le Figaro).

L’essayiste est lucide sur son pays d’accueil. « La France n’est plus la France ni des Lumières, ni des Trente Glorieuses… mais celle des ennemis de la France et de son peuple… C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées ». La Bérézina aurait trois causes : « (1) L’immense, l’insupportable, la scandaleuse, l’incompréhensible médiocrité de son personnel politique ; (2) le poids gigantesque d’une immigration de très bas niveau qui refuse de s’intégrer par esprit de supériorité religieuse et parce qu’elle n’y voit aucun intérêt, que les Français eux-mêmes ne voient plus ; (3) l’enracinement sur son sol d’un islam profondément archaïque, issu en retour de bâton de ses ex-colonies, dont on ne voit pas où et comment il trouverait les moyens de se réformer et devenir cet islam des Lumières que ses chantres appellent de leurs vœux sans savoir de quoi ils parlent et sans chercher à deviner la suite » (Le Figaro).

Boualem Sansal © Hannah Assouline

Les Barbapapa de Télérama, dé-coloniaux de Sciences Po, s’étouffent. Boualem Sansal après le Goncourt de Kamel Daoud ! Gallimard, officine « Macronito-sioniste » file un mauvais coton Vichy. Les réacs, vipères lubriques, l’OAS, ne passeront pas ! Un bon Algérien ne devrait pas dire ça, ne devrait pas blesser les bons sentiments de Benjamin Stora, l’irénisme d’une gauche à l’Hamas sur l’islamisme, ses décapiteurs d’infidèles, kouffars, écrivains, professeurs, Salman Rushdie, Samuel Paty, Dominique Bernard. Le camp de l’émancipation, du progrès et de la rééducation, n’a jamais manqué de leaders éclairés : Lénine, Staline, Mao, Castro, Pol Pot, Khomeiny, Ortega, Maduro…

A lire ensuite, Dominique Labarrière: La jurisprudence Stora

Marc Bloch est sans filtre sur la déroute de mai 40 et les atavismes hexagonaux. « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par l’odeur de moisi qu’exhalent l’École, le bureau d’état-major du temps de paix ou la caserne. (…) Ce n’est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité ». L’Etrange défaite n’est pas digérée.

Qu’il s’agisse d’éducation, de défense, de finance, d’industrie, depuis trois générations, nous cabriolons dans les dénis, corporatismes, pourtousisme pipeau, une culture de l’excuse, l’idéal victimaire ; sans oublier l’individualisme, la crétinisation numérique, le séparatisme, trois derniers clous du cercueil. L’État, l’Europe, hors sols, impuissants, sans cap ni forces de propositions, bâtissent des termitières de gouvernances, lignes Maginot de trajectoires, directives, normes, règlements, à l’instar de notre état-major en 40. Les chansonnettes des sociologues de France Inter sur « l’en commun », le toutlemondisme, la verticalité élastique et les trémolos de Malraux d’opérette, place du Panthéon, n’abusent personne.  

La France en s’ébattant

La montagne Sainte-Geneviève, c’est la Roche de Solutré d’Emmanuel Macron. Tous les ans il panthéonise. Le bon filon, c’est l’occupation : Joséphine Baker, Simone Veil, Missak et Mélinée Manouchian, bientôt Marc Bloch. Auprès des grands hommes, femmes admirables, Jupiter reconnaissant cherche un deuxième souffle, une aspiration. Dans les années vingt, le Docteur Voronoff garantissait une seconde vigueur en greffant des testicules de grands singes. La Vie des autres, La Vie antérieure d’Emmanuel Macron.

« J’ai longtemps habité sous de vastes principes
Que les soleils malins teignaient de mille feux
Et que de grands piliers, droits et cotonneux,
Rendaient pareils, le soir, aux votes qu’on agrippe.
Les foules, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Mes tout-puissants raccords et sa riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes vœux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu, qui rassure, du vague, des splendeurs
Et des footballeurs nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissait le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui m’avait fait élire ».

(D’après Charles Baudelaire)                     

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Le supplice chinois du RN

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Michel Barnier et la tempête qui vient

Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

A lire aussi, Céline Pina: Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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Oui, c’était mieux avant!

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Le chroniqueur et écrivain Thomas Morales © Hannah Assouline

Au fil de ses livres et de ses articles dans Causeur, Thomas Morales célèbre la France d’hier, celle de sa jeunesse et des Trente Glorieuses. Ses deux nouveaux recueils de chroniques, Les Bouquinistes et Tendre est la province font la part belle aux souvenirs personnels et aux portraits littéraires.


« Avec lui, nous étions des interlocuteurs crédibles. Il nous hissait vers l’âge adulte sans minorer notre minorité », écrit Thomas Morales à propos de Roald Dahl, lu au cours de l’enfance. Il écrit encore : « Des étés paresseux aux automnes giboyeux, des sous-préfectures ébréchées à cette capitale grisonnante tant désirée, des saints fêtés dans une église romane aux plaisirs anodins d’un baiser consenti à l’arrière d’un préau, tout ce corpus a disparu. » Un écrivain capable de concocter de telles phrases relève de l’excellence. Thomas Morales, qui publie Les Bouquinistes et Tendre est la province, deux succulents recueils de chroniques, offre depuis une quinzaine d’années et une vingtaine d’ouvrages une littérature d’exception. Et, fait notoire, celle-ci évolue avec grâce, élégance et aisance, dans les sous-bois d’une création originale, hors norme et hors mode, si loin des sentiers battus, frappés, broyés, anéantis par le wokisme et le politiquement correct. Il y a tout dans les deux phrases citées : une grande nostalgie, une mélancolie acidulée comme une mélodie de Nick Drake, un style époustouflant de vivacité. Thomas Morales nous comble.

Du Berry au Finistère

Lorsqu’on lui demande la genèse de ces deux opus, il répond : « Les Bouquinistes constitue le troisième volet de mon travail sur la nostalgie aux éditions Héliopoles. Il était programmé de longue date. Je creuse ce sillon-là avec un bonheur que j’espère faire partager. J’essaie d’en capter les éclats à travers différentes figures, le plus souvent artistiques. Le monde d’avant m’émeut. Tendre est la province, aux Équateurs, est différent car il a été écrit dans le feu de l’action. C’est sans aucun doute mon livre le plus personnel depuis quinze ans. C’est une déambulation, comme souvent chez moi, buissonnière, de mon enfance villageoise à mes premiers pas dans le journalisme. Pour la première fois, je distille des souvenirs, des ambiances, des décors de ma province, et même de mes provinces car je file du Berry au Finistère. »

Thomas Morales excelle dans le genre de la chronique ; il adore s’y adonner et s’en explique : « La chronique est, selon moi, un art majeur que je place au même rang que le roman. Elle exige, par son format réduit, de la densité et une explosivité remarquable si elle veut atteindre son but. C’est-à-dire toucher le lecteur à l’uppercut. Elle ne permet pas l’à-peu-près. »

A relire, Thomas Morales: «Je place la chronique au même rang littéraire que le roman!»

Chantre de la France des Trente Glorieuses, il ne cesse de se souvenir de son enfance, de son adolescence, des paysages, des odeurs. Des images télévisuelles (en noir et blanc) et cinématographiques lui reviennent, telles des bulles de savon aux reflets pastel. « J’ai coutume de dire que cette France-là était et reste mon biotope culturel et mon décor mental », reconnaît-il. J’aime son allure, son second degré, sa pudeur, ses artistes disparus, ses vieilles fraternités, ses automobiles de caractère et ses plats en sauce. Les Trente Glorieuses sont mon refuge identitaire, alors oui, je les fantasme un peu, je les fais entrer dans mon moule, mais je trouve à cette période une fraîcheur et une dignité qui nous manquent cruellement aujourd’hui. Pourtant, c’était une période historiquement rude et tendue, mais les Français y furent heureux, pleins d’espoir, ils croyaient en un avenir meilleur pour leurs enfants. »

On l’a compris : la France d’aujourd’hui n’est pas sa tasse de thé – et encore moins le verre de sancerre – de notre Berrichon ; il la trouve « plus terne, plus clivée, plus enfermée dans des logiques victimaires, plus rétive à la liberté d’expression, plus inquiète sur son avenir. Moins libre, moins délurée, moins rieuse, moins charmeuse. En un mot, manquant d’espoir et de panache. Je souhaiterais que l’on retrouve l’esprit français, celui qui court de Villon à Choron, de Dumas à Guitry. Du style, de l’humour, de la légèreté, des fidélités à une terre et des emballements sincères. »

La qualité de plume de Denis Tillinac

Villon, Choron, Dumas et Guitry. Des références littéraires, il en pleut comme sur la Bretagne de Caradec, dans la prose de Morales. « Mes maîtres en chroniques, mes sprinters de l’écrit, sont nombreux. On apprend toujours de ses aînés, écrire est une école de haute lutte. Pour s’améliorer, il faut être humble. Je pense, par exemple, à Kléber Haedens pour sa fluidité, ses papiers coulent comme l’eau vive, ils sont d’une érudition à hauteur d’homme, jamais prétentieux, toujours chargés d’une onde bénéfique ; j’ai beaucoup appris de ses enthousiasmes et de ses dégoûts. Il avait la dent dure contre certains écrivains intouchables. J’ai un faible aussi pour Jacques Perret, quelle plume virtuose ! Et un Italien qui est moins connu en France et dont je fais sans cesse la réclame : Ennio Flaiano (1910-1972), c’est l’esprit romain incarné, la Dolce Vita et sa férocité jouissive. Comment ne pas citer également Vialatte, le prince d’Auvergne ! » Il réhabilite aussi de grands oubliés, de talentueux « désemparés », comme les qualifiait Patrice Delbourg dans le bel essai du même nom paru en 1996. Kléber Haedens, Robert Giraud, Emmanuel Bove, Antoine Blondin, Jean-Claude Pirotte, André Hardellet, Henri Calet, René Fallet… sont remis à l’honneur dans les chroniques de Morales. Il n’oublie pas le regretté et délicieux Denis Tillinac qui a donné son nom à un prix qui, en 2022, a récompensé notre auteur. « Ce fut un grand honneur car il y a quelques similitudes dans nos parcours. Le mien reste bien timide par rapport au sien. Cette fraternité s’illustre par l’attachement à la province, l’apprentissage du journalisme dans une rédaction locale, notre amour pour la Presse Quotidienne Régionale qui demeure la meilleure école pour sentir les aspirations populaires d’un pays et aussi pour une fidélité aux écrivains hussards et, plus généralement, aux réprouvés des cénacles. Et ce qu’on oublie souvent, lorsque l’on parle de Tillinac, c’est sa qualité de plume. » Thomas Morales détient aussi une grande qualité : il possède la mémoire du cœur.


À lire

Les Bouquinistes, Thomas Morales, Héliopoles, 2024.

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Tendre est la province, Thomas Morales, 2024.

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Hidalgo home

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© Mario FOURMY/SIPA

Le bilan de la maire socialiste de Paris, sur le départ, est diversement apprécié.


Les jeux sont faits, la messe est dite et Madame Hidalgo, à l’en croire, tiendrait là son bilan. Les jeux, ce sont les olympiques, bien sûr. La messe, celle solennelle, inaugurale, qui sera célébrée à Notre Dame ce samedi 7 décembre en présence d’une forte affluence de très hautes personnalités françaises et étrangères des mondes religieux, politique, culturel, à l’exception notable de Sa Sainteté le pape François, celui-ci ayant préféré l’Île de Beauté à l’île de sainteté que sera, ce jour-là au moins, celle où se dresse la cathédrale phare de sa propre religion et qui, de plus, se trouve être dédiée à Saint-Louis.

Il n’en reste pas moins que, en ces deux circonstances, les jeux olympiques et la restauration si flamboyante de Notre Dame, Paris aura été aux yeux du monde à son plus beau. L’entourage, la cour de Madame Hidalgo sur le départ, dans leur message d’amitié et de congratulation, ne semblent vouloir retenir de sa décennie municipale que ces parenthèses enchantées, notamment celle des jeux.

Sans doute la Maire de Paris a-t-elle sa part dans ces réussites. Sans doute les a-t-elle accompagnées avec entrain. On ne discutera pas ce point, naturellement.

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Mais Paris n’est pas que l’embellie des jeux et la prouesse d’un formidable chantier de résurrection. Il y a le reste, tout le reste. Les effets de la frénésie cyclophile de l’édile qui entend manifestement que tout dans sa ville, aller, venir, se déplacer, se fasse désormais au mollet. Avec, en agrément, un gymkhana perpétuel entre les barrières de travaux, les trous, les bosses, éventuellement les poubelles, etc. Pour le provincial que je suis, entrer dans Paris en voiture est devenu l’aventure suprême. Je n’oublie pas d’emporter des vivres avec moi et de me munir de pilules anti-stress. Je sais pertinemment que je pourrais m’adresser pour ce genre de produit à l’un de ces commerçants à la sauvette qui sont de plus en nombre dans la cité hidalgienne, mais on me dit que la qualité n’est ni suivie ni sûre. Un troisième mandat aurait sans doute permis à madame Hidalgo de s’occuper de la question. À suivre… Les vivres que j’ai emportés, j’évite de les consommer sur un banc des Tuileries ou ailleurs. Rapport aux rats, vous voyez. Ils ne vendent rien à la sauvette mais ils sont encore plus nombreux que ces marchands. C’est dire… Ici, on use à présent de leur nom officiel, surmulot. C’est tout aussi dégoûtant, redoutable, porteur de saloperies, mais c’est plus noble et surtout davantage marqué de bienveillance envers l’espèce animale. Le surmulot, donc, trouve à se loger et proliférer à son aise à travers Paris. Tel n’est pas le lot du foyer aux revenus moyens, voire moyens supérieurs. Pour celui-là, habiter Paris est encore un peu plus irréalisable que voilà dix ans, à l’arrivée de la dame. En fait, il faut bien comprendre qu’une forme de progrès s’amorce ainsi. Lorsque Paris ne sera plus peuplé que de gens ayant vraiment les moyens, pour qui l’automobile sera devenue une bizarrerie ringarde bonne à laisser aux culs-terreux et aux prolos végétant hors les murs, la capitale de la France ne sera pas loin d’être devenue le Paradis dont rêve madame la maire en partance. Autre traduction dans les faits du beau souci écologique et hygiéniste de l’élue, le camping de plein air ne cesse de se développer, en particulier dans les quartiers, nord nord-ouest. On notera, détail digne d’intérêt, voire d’éloge, la forte ouverture à l’international de la pratique. On y vient d’au-delà des mers, ce qui ne participe pas peu à la prospérité du commerce ambulant évoqué ci-dessus. Des agents du complotisme le plus réactionnaire feraient courir le bruit qu’une esquisse de commencement de délinquance serait liée à tout cela. Or, les études extrêmement scientifiques diligentées par les services de la maire sont encore hésitants dans l’interprétation des courbes et des statistiques obligeamment mises à leur disposition. Bouger ses fesses pour aller voir dans la rue ce qu’on y voit, ce qu’on y constate étant tout ce que l’on veut, sauf scientifique, bien entendu, ils s’en abstiennent. Dormez bonnes, gens !

Donc madame Hidalgo s’en va. Nul doute qu’elle ne trouve rapidement un autre lieu de pouvoir, d’influence où exercer ses remarquables talents. Un boulot pas trop loin, pour pouvoir y aller à vélo. Puis quelqu’un d’autre s’installera dans son fauteuil. Elle a désigné un successeur, lui aussi, nous dit-on, cyclophile impétinent. Normal pour ces gens. L’actuelle élue est arrivée là sur le porte-bagage de Bertrand Delanoë, le potentiel successeur y débarquerait sur le sien. Tout cela est d’une logique admirable. On verra bien. Et puis, comme on dit depuis des lustres et des lustres, Paris sera toujours Paris. Dont acte. Mais en un peu plus propre, ce ne serait déjà pas si mal.

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La crapule sous l’Occupation

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93, rue Lauriston, à Paris. DR.

Si La Carlingue était un roman, il mériterait d’être adapté illico à l’écran, pour une série sur Netflix.

Mais hélas, ce n’en est pas un. David Alliot, de longue date spécialiste de Louis-Ferdinand Céline et de cette sombre-période-de-notre-histoire, selon la formule consacrée – cf. Arletti, si mon cœur est français… ; Le festin des loups. Collabos, profiteurs et opportunistes sous l’Occupation (tous ouvrages parus chez Tallandier) – se penche ici sur l’histoire de La Gestapo française du 93 rue Lauriston – sous-titre du livre.

Galerie de portraits hauts en couleur : de 1940 à 1944, malfrats, filous, crapules, affairistes, arrivistes, souteneurs, marlous gravitent dans cet hôtel particulier du XVIème arrondissement de Paris réquisitionné par l’Occupant. L’édifice abritera la plus monstrueuse de ces « Gestapo françaises » collaborationnistes : de sinistre mémoire, la rue Lauriston demeure, quoiqu’on fasse, hantée par le spectre des exactions qui s’y commirent, sous la houlette de deux personnages sordides : Henri Chamberlain, alias Lafont, et Pierre Bonny.

L’armée des sombres

Le premier est un petit escroc analphabète féru de chiffres ; il fera fortune, entre autres rapines, par le biais de ces « bureaux d’achats », officines parallèles qui prolifèrent alors (rue Flandrin ou avenue Henri-Martin, à Paris, ou encore bd Maurice Barrès à Neuilly, mais aussi dans nombre de villes de province) et dont « La Carlingue », ainsi que se surnommera elle-même l’adresse du 93 de la rue, sera entre toutes la plus puissante et redoutée. Une fois la police française mise au pas, la pègre directement employée par l’Occupant s’y livre, en toute impunité, à la traque des juifs, au pillage des biens, au trafic des ressources (vol, racket, extorsion…) et à leur revente au marché noir.

Chef de bande, Lafont a recruté dans le Milieu : Villaplana, Louis Pagnon dit « Eddy », Abel Danos dit « Le Mammouth », Raymond Monange dit « La Soubrette », Jeans Sartore, Alex Bowing, plus toute une série de tueurs, de petites mains et de transfuges : ils forment sa meute. Plus le petit personnel d’intendance (féminin)… « Naturalisé allemand et officier SS, [Lafont] parade régulièrement en uniforme ferldgrau pour impressionner ses visiteurs ». S’affichant dans des voitures de luxe, lui-même propriétaire d’un bel hôtel particulier, le patron de la Carlingue mène grand train.

Pierre Bonny, l’autre voyou est, lui, un fils de bonne famille. Inspecteur de police véreux et révoqué comme tel en 1935, le filou reprend du service en devenant, à partir de 1942, le grand administrateur de la Carlingue. La présentation extraordinairement documentée de cette « armée des sombres » (sic) occupe le bon premier tiers du livre de David Alliot. Suit la description détaillée de son fonctionnement – des cambriolages aux séances de torture, en passant par la spoliation des Juifs et les escroqueries en tous genres. Les aigrefins du 93 et leurs hommes de main se spécialisent dans la terreur, la traque des résistants, tout en étendant leur réseau vers les personnages influents, s’assurant par exemple du soutien et de l’amitié d’un Jean Luchaire, « l’omniscient directeur des Nouveaux temps et tout puissant patron de la Corporation de la presse », ou du journaliste et homme politique Georges Prade, ou encore du faux aristo et mondain Lionel de Wiet…  

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Quelques créatures pittoresques agrémentent ce paysage, « nombreuses à graviter autour de la rue Lauriston et des autres Gestapos françaises, comme Evanne Euphrosine, princesse Mourousi, née à Moscou le 15 mars 1907 (…) Personnage fantasque, cocaïnomane, mégalomane, bisexuelle aux mœurs dissolues, [elle accouchera] par césarienne de son fils unique Yves Mourousi (1942-1998), futur journaliste et présentateur star du JT de TF1 dans les années 1970-1980. (…) Arrêtée à la Libération, son procès n’aura lieu qu’en 1950 où elle sera condamnée à trois ans de prison (…).  Ruinée, rejetée par tous et sans domicile fixe, elle est accueillie par l’abbé Pierre à sa sortie de prison (…). Parmi les autres aristocrates compromises avec les gestapistes, on peut citer Ilde von Seckenforff  (noblesse rhénane) ; Sonia Olinska ; Antoinette Hugues, comtesse de Bernardi (…) ; Madame Hubert, comtesse de Thucé… Que du beau monde »…  

Il y a aussi les gens du spectacle, les filles de cabaret (Marthe Kissling, alias « Esmeralda), les acteurs et actrices de cinéma, telle Gerdad Kornstädt dite « Dita Parlo » (vedette de l’Atalante, de Jean Vigo, puis de La Grande illusion, le chef-d’œuvre de Jean Renoir)… Tout du même tonneau. Et Alliot de poursuivre son récit hallucinant par l’évocation de la comtesse de Palmyre, « autre aventurière à particule qui fréquenta la rue Lauriston et qui sera une éphémère maîtresse de Lafont, la comtesse Magra d’Andurain »…

Luxe puis déroute

David Alliot restitue dans un luxe de détails impressionnant l’univers de cette cour des miracles faisant bombance dans un pays rationné. De fait, l’époque est si trouble qu’à deux pas de la Carlingue, dans sa clinique privée de la rue Le Sueur un certain Marcel Petiot gaze, dépèce et dépouille ses victimes par dizaines sans éveiller le moindre soupçon…

L’horrible Lafont n’en restera pas à ses seules activités parisiennes : s’improvisant chef de guerre, le mégalo furieux, gradé Haupsturführer SS (capitaine) se lance bientôt dans une croisade en province. Il s’est lié avec Mohamed al-Maadi, jeune activiste algérien qui « prône ni plus ni moins que le jihad contre les colons français » (…) « alliance a priori contre-nature entre le nationaliste et les partis d’extrême-droite collaborationnistes français ». Son journal, Er Rachid, « publie en une la photographie du grand mufti de Jérusalem conversant avec les caciques nazis, Adolf Hitler en tête » (…) « C’est cette carte que vont jouer les dignitaires nazis » (…) « l’objectif [étant] de se servir du terreau antisémite pour rallier les populations arabes au IIIème Reich ».

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Lafont a présenté al-Maadi à Jean Luchaire, le tout-puissant patron de la Corporation de la Presse, qui soutient le développement du titre Er Rachid. À son nouvel ami, Lafont fera don de 300 000 francs [somme énorme à l’époque], l’aidera à ouvrir une cantine pour les « pauvres » au 40 rue Lauriston ! Et ne voilà-t-il pas que Er Rachid, en 1944, c’est-à-dire en pleine débâcle de l’armée allemande, lance une campagne de recrutement pour créer, sous la houlette du duo Lafont & al-Maadi, une « Brigade nord-africaine » de supplétifs maghrébins sous uniforme boche ! Cinq sections de quarante soldats chacune sèmeront ainsi la terreur de Montbéliard à Limoges, jusqu’à Périgueux, Tulle et Mussidan, multipliant les massacres au moment même la Wehrmacht évacue la Corrèze et où les maquisards embrasent la campagne.

Pour les malfrats de la Carlingue en pleine déroute, la cavale se terminera mal : ils n’échapperont pas aux « soubresauts de l’Epuration ». « Avec l’arrestation des chefs de la rue Lauriston, de leurs lieutenants, et les perquisitions qui s’ensuivirent, une question reste en suspens : qu’est-il advenu du trésor de la Carlingue, et à combien se montait-il ?, s’interroge l’auteur, au dénouement de cet authentique thriller, dont l’épilogue retrace le déroulement des procès intentés, à la Libération, contre cette engeance particulièrement infecte.

Scrupuleux dans ses sources, précis dans sa relation des faits, mais moins historien au style boutonné que conteur à la plume acide, David Alliot aime à émailler ses intertitres de calembours : après qu’il a évoqué Modiano – « La Carlingue, prix Nobel de littérature ? » -, son paragraphe suivant, baptisé Sclérose en plaques, rappelle que le 93 rue Lauriston abritera jusqu’en 2009 la… Chambre de commerce franco-arabe (!)… Et qu’en 2024, une plaque infiniment discrète rappelle tout de même à quel sinistre emploi fut vouée cette adresse, il y a moins de quatre-vingts ans.     

La carlingue. La Gestapo française du 93 rue Lauriston, par David Alliot. 555 p. Tallandier.

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Faut-il canoniser Charles de Gaulle?

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Portrait colorisé de Charles de Gaulle, 1942. Wikimedia.

Le Général incarne la témérité mais n’a pas accompli de miracles. Comme Jeanne d’Arc, qui a pourtant été canonisée. L’Église pouvant faire des exceptions, elle pourrait ouvrir le « procès » en béatification de l’homme du 18-Juin, moins pour célébrer un exploit que pour défendre un modèle d’exigence.


À Bruxelles le pape François a annoncé qu’il engagerait un processus pour canoniser Baudoin, ex-roi des Belges, qui préféra abdiquer plutôt que de promulguer une loi autorisant l’avortement. Preuve que désormais, le Vatican fait son emblème du refus strict des « droits sociétaux », en même temps d’ailleurs que de la défense de l’immigration, peu importe d’où elle vienne et comment elle vient. Selon ce que le pape donne à voir de sa vision du monde, l’humanité est faite d’individus qui en sont membres directement, dès la conception et avant d’être rattachés à aucune société et à aucune nation. Cet irréalisme dogmatique contribue à la marginalisation du catholicisme, voire à son effacement.

Le pape actuel s’est montré ouvert à la reconnaissance des couples hors norme (homosexuels, ou engageant des divorcés). Il admet des évolutions sociales si elles n’offensent pas la nature, mais il voit aussitôt le meurtre derrière l’avortement. Il n’est pas surprenant qu’il hésite davantage à propos de la condition des femmes. Difficile en effet de rapporter la différence des sexes uniquement à la nature ou seulement à la société, aux mœurs et aux institutions.

Il est vrai que l’avortement peut être jugé comme un meurtre, puisque c’est l’interruption d’une vie qui, pour n’être qu’esquissée, est celle d’un nouvel individu. Mais les choses se compliquent si l’on se rappelle que dans aucun pays, la vie humaine n’est intouchable. En Europe, la peine de mort a été abolie récemment mais nulle part, et selon la morale chrétienne elle-même, la légitime défense n’est proscrite, même si son usage est contrôlé par les tribunaux. Un certain réalisme s’oppose à l’absolutisation des principes, donc à leur rattachement direct à la nature : l’avortement quand on l’a vraiment empêché, a entraîné des abandons d’enfants et leur enrôlement dans des institutions autoritaires et intéressées.

L’annonce de la canonisation royale ne semble pas avoir été reçue favorablement, ni en Belgique ni ailleurs, comme si l’institution n’arrivait plus à communiquer avec le monde ambiant, à produire de l’exemplarité. De cela on voit un signe, une preuve même, dans les canonisations en série de souverains pontifes récemment décédés : on ne sort pas du cercle. Mais c’est le sens même de la canonisation qui est en cause : ne peut-elle pas être autre chose que la désignation par l’autorité d’un modèle pour le peuple chrétien, puis l’implantation de ce modèle, comme un greffon, dans la culture commune ?

D’un fonctionnement différent et même opposé on a un exemple dans le cas de Jeanne d’Arc. Celle-ci a été reconnue et célébrée en dehors de l’Église bien avant d’être béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Condamnée par un tribunal ecclésiastique aux ordres en 1431 « la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen » (François Villon) a été réhabilitée en 1456, après que Charles VII l’eut emporté, puis oubliée par la monarchie. C’est un historien de la Révolution, Michelet, qui dans les années 1840 en a fait une héroïne nationale dans son Histoire de France. Et c’est Péguy qui, à la veille de la Guerre, l’érigea en sainte en méditant sur son action, sur « le mystère de la charité de Jeanne d’Arc ». Le « succès » de cette canonisation, d’abord laïque puis chrétienne, d’abord externe puis interne à l’institution, tient évidemment à une certaine pertinence historique de cette vie et de cette mort où beaucoup de Français lisaient le sens de leur histoire.

La canonisation de Jeanne d’Arc n’a sans doute pas été beaucoup plus qu’un peu d’eau bénite au bout d’un processus essentiellement national. Il est révélateur que, dans ce cas, l’autorité romaine n’ait pas fait dépendre sa décision, comme c’est en principe la règle, d’un nombre de miracles reconnus, comme si le sens de l’événement Jeanne d’Arc lui échappait, celui d’avoir illustré le rapprochement des deux France et aidé le pays à faire face aux épreuves du « premier xxe siècle ».

La « canonisation à plusieurs voix » de Jeanne d’Arc participait de ce que l’on a appelé la « catho-laïcité » française. Mais, l’ancien conflit étant terminé, il s’agit aujourd’hui, non pas de surmonter une division séculaire, mais de prendre de front une question lancinante : l’hésitation du pays entre l’universalité économique, politique et morale, à quoi il participe et veut participer, et le besoin pour la nation d’avoir non seulement un espace mais aussi une action qui lui soit propre, dont elle détermine elle-même l’orientation, désespérant souvent d’y parvenir. Dans ces conditions, il s’agit, si l’on veut canoniser, moins de célébrer un exploit que de présenter un modèle d’exigence. Dans un monde sécularisé peut s’engager un changement de sens du mot canonisation : il consacrait une fidélité active à la règle, il peut désigner le courage d’affronter la question ultime, celle que pose l’existence même de l’humanité et du monde, en particulier à un de ses points d’émergence, l’appartenance à un peuple, à une nation en même temps qu’à l’humanité en général.

Un personnage peut incarner cette exigence inquiète, Charles de Gaulle que tout le monde invoque rituellement avec plus de nostalgie que de conviction. L’épiscopat français pourrait demander à Rome qu’un « procès informatif » soit engagé qui pourrait aboutir à une béatification. De Gaulle étant le personnage central de notre xxe siècle, il s’agirait d’interroger sa vie et en même temps de nous interroger nous-mêmes. La canonisation à l’horizon du processus ne saurait évoquer une mise au pinacle, la fabrication d’une effigie, d’un fétiche, mais un mouvement vers une représentation plus exigeante de nous-mêmes. La référence chrétienne qui sous-tend le mot canonisation ne peut dans ces conditions renvoyer à une affiliation, mais indiquer qu’il faut aller au bout des questions posées, de l’interrogation à entreprendre sur l’objet historique à quoi nous participons, grâce aux questions sur la vie du héros qui l’a dirigé et qui l’incarne.

Israël, Netanyahou et le harcèlement organisé: quand les ennemis d’Israël jubilent

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De la fumée et des flammes jaillissent d'un bâtiment touché par une frappe aérienne israélienne à Chiyah, dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, vendredi 22 novembre 2024 © Bilal Hussein/AP/SIPA

Alors que les combats reprennent de plus belle en Syrie, où la seconde ville du pays, Alep, vient d’être reprise par les rebelles, et alors que le cessez-le-feu est déclaré au Liban, les grandes instances internationales comme l’ONU ou la CPI semblent s’acharner à faire de l’État hébreu un paria.


La condamnation judiciaire de Benjamin Netanyahou a offert un prétexte rêvé aux relais des mouvements islamistes en Occident pour afficher une joie triomphante. Mais derrière cette apparente satisfaction, se cache une détermination renouvelée à attaquer Israël et son droit à se défendre et à exister. Cette situation s’inscrit dans un contexte où Israël, seul au monde à devoir justifier sa légitime défense, fait face à des accusations démesurées et à une focalisation injuste, notamment de la part de la Cour pénale internationale.

Une justice à géométrie variable

Alors qu’Israël vient de réduire significativement les capacités militaires de nuisance des mouvements islamistes comme le Hamas, le Hezbollah, et des régimes qui les soutiennent, tels que l’Iran, c’est paradoxalement l’État hébreu qui devient la cible privilégiée des instances internationales.

La CPI, qui n’a jamais condamné les crimes de Bashar el-Assad en Syrie, les exactions des mollahs iraniens, ni celles des talibans afghans, concentre pourtant ses efforts sur Israël. Ce même Israël qui, face à des ennemis jurés prônant sa destruction, s’efforce depuis toujours de limiter les pertes civiles dans des situations de guerre.

Comment expliquer ce traitement à part ? Les actions d’Israël, pourtant justifiées par son droit à la légitime défense, sont systématiquement scrutées, jugées et dénoncées par une coalition informelle composée d’organisations internationales, d’ONG, de personnalités influentes et de mouvements politiques de la gauche extrémiste.

Pendant ce temps, les crimes massifs commis ailleurs, souvent avec une violence inouïe et sans retenue, restent dans l’ombre.

La stratégie des mouvements islamistes : instrumentaliser la justice internationale

Les mouvements islamistes et leurs relais occidentaux exploitent ces condamnations pour alimenter leur propagande. Leur objectif n’est pas la justice ou la défense des droits de l’homme, mais bien de délégitimer Israël et de renforcer l’idée qu’il est un « État paria ».

L’acharnement contre Netanyahou devient alors un moyen de stigmatiser tout un peuple, tout un État, et, par extension, le droit des Juifs à se défendre. Cette campagne est orchestrée avec une efficacité redoutable, combinant des narratifs émotionnels, des appels à la justice sélective et une rhétorique de victimisation manipulée.

L’ONU et les « humanistes » : des complices volontaires ?

L’Organisation des Nations Unies, certaines associations dites « humanitaires », ainsi que de nombreuses personnalités artistiques ou politiques, jouent un rôle actif dans ce harcèlement organisé. Leurs discours et leurs actions, sous couvert de défense des droits humains, servent en réalité une cause idéologique bien précise : celle de l’affaiblissement d’Israël sur la scène internationale. Ces acteurs ignorent délibérément les efforts continus d’Israël pour épargner les civils lors de ses opérations militaires. Ils ferment les yeux sur le fait qu’Israël affronte des adversaires qui, eux, utilisent délibérément des populations civiles comme boucliers humains, violant ainsi toutes les conventions internationales.

Un harcèlement coordonné

Ce que nous observons, c’est une campagne globale, presque une forme de harcèlement en bande organisée. Israël, Benjamin Netanyahou et, par extension, tous les Juifs deviennent des cibles d’une coalition idéologique unie par son opposition à l’État hébreu. Cette campagne associe des institutions internationales, des ONG, des artistes, et des militants politiques, tous alignés pour délégitimer Israël.

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Et pourtant, cette focalisation est tout sauf normale. Elle révèle une dérive profonde dans l’ordre moral et juridique mondial. Israël, seul État démocratique du Moyen-Orient, se voit traité comme un État voyou, tandis que les régimes autoritaires les plus violents bénéficient d’une relative impunité.

Refuser la normalisation de l’acharnement

Il est temps de dire non à cette normalisation d’un traitement injuste et discriminatoire. Non, il n’est pas acceptable que des institutions internationales soient instrumentalisées pour stigmatiser Israël. Non, il n’est pas acceptable que des personnalités publiques et des organisations prétendument humanistes alimentent une rhétorique de haine déguisée en combat pour la justice.

Ce harcèlement organisé ne vise pas seulement Netanyahou ou Israël. Il attaque les principes mêmes de justice et d’égalité devant le droit. Si nous acceptons ce ciblage systématique, nous abandonnons les valeurs fondamentales de vérité, d’équité et de défense des droits universels.

Israël continuera à se défendre, non seulement sur le champ de bataille, mais aussi sur celui des idées. Et nous devons, à notre tour, dénoncer cette hypocrisie et ce deux poids, deux mesures qui affaiblissent la cause de la paix et de la justice.

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Au cabaret de la chance

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Eric Poindron, éditeur, écrivain et critique littéraire francais © BALTEL/LAMACHERE AURELIE/SIPA

Éric Poindron publie Au cabaret des oiseaux et des songes. Cet écrivain sensible nous rappelle que les oiseaux annoncent le soleil, la pluie, et parfois le vent mauvais


En lisant le singulier livre d’Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, édité par Le Passeur, je me suis mis à fredonner la chanson d’Yves Montand, « Au cabaret de la dernière chance » (paroles de Pierre Barouh / musique d’Anita Vallejo) qui commence ainsi : « Il y a ceux qui rêvent les yeux ouverts / Et ceux qui vivent les yeux fermés ». Poète, éditeur, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Éric Poindron n’est pas homme à vivre les yeux fermés, bien au contraire. Il ne cesse de voir, mais aussi d’écouter, toucher, goûter, sentir, et cette symphonie des sens nourrit sa réflexion buissonnière, pour notre plus grand plaisir.

Son récit, ponctué d’aphorismes, de citations et d’extraits de poèmes, nous conduisent à quitter la ville et ses acidités, comme eût dit Charles Trenet. On retrouve cette terre miraculeuse, l’enfance, peuplée de rêveries célestes, de vallons verdoyants et de gens heureux parce qu’ils refusent de croire au malheur. Avec Éric Poindron, nous ouvrons la fenêtre et l’air libre électrise nos neurones. Les paysages de France se déploient devant nos yeux d’humains fatigués par la grisaille des idéologues, « contamineurs » de mots séculaires. On finit la soirée dans ce cabaret sans toit, éclairé par les étoiles. Puis on reprend la route au petit matin, frais comme un gardon. On suit Poindron, marcheur rousseauiste infatigable, sur les chemins des Cévennes, de l’Yonne, de la Lozère, de l’Ardèche ; il ne manque aucune conversation entre les oiseaux. Car il les aime, ces oiseaux qui annoncent le soleil, la pluie, le vent parfois mauvais. Poindron note : « Alors, dès mon jeune âge, j’ai décidé d’être un oiseau. Je voulais fuir l’école, raconter des histoires à mon rythme et me baigner dans l’océan jusque tard dans la saison. J’y suis parvenu. Mes rêves sont intacts. » Nous les découvrons avec ses digressions qui irriguent le livre. Comme nous découvrons, dans la préface signée Denis Grozdanovitch, que son ami et éditeur, Jean-Yves Clément, entretient « des rapports cabalistiques avec les pies malicieuses ».

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Vous l’aurez compris, ce livre est un livre de copains, pour de futurs copains. Poindron nous fait découvrir sa bibliothèque. Les morts sont souvent plus vivants que les vivants. Il y a le mage Cocteau, Jean Marais dans son long manteau en poil de chameau, Paul Morand, homme pressé par son talent, l’énigmatique Jules Verne, à propos duquel il écrit : « Ce bourgeois d’Amiens, cet homme casanier comme une huitre et qui dérivait dans ses rêves trompait son homme. » Et d’ajouter : « Jules Verne est un mystère voyageur comme le mystère d’une île. » On rencontre les amis du premier cercle, en pleine forme : Pascal Quignard, Jérôme Leroy, Pierre Michon, ou encore Yves Simon. Poindron n’oublie pas le regretté Gilles Lapouge dont il brosse un exotique portrait. Comme il n’oublie pas Joseph Pontus, terrassé par un cancer à 42 ans, auteur d’un livre unique, À la ligne (Éditions de La Table Ronde ; encore un coup de Jérôme Leroy…). Poindron rappelle : « Un titre astucieux et invendable, À la ligne, et pourtant derrière le titre un grand texte, une profession de foi et une leçon de courage ; un texte d’écrivain aussi. » Ce qui n’est pas rien.

Ce livre permet également de mieux connaitre son auteur. C’est un texte autobiographique en forme de puzzle. Sa reconstitution est délicate, à l’image de l’écrivain. J’aime cette phrase qui en dit long sur sa personnalité : « Sur ma table de travail, prête pour l’écriture, une image d’autrefois, esseulée. Sans personne. Seulement une petite gare. »

Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des songes ; mais quand il n’y aura plus d’oiseaux, les hommes auront disparu. J’écris cela car, de mon Limousin natal, je guette le retour des hirondelles, au printemps. Or je constate, depuis plusieurs années déjà, que beaucoup de nids restent vides. C’est pour cela qu’il faut pousser la porte du cabaret du poète Poindron pour prendre conscience de la fragile symphonie du monde.

Éric Poindron, Au cabaret des oiseaux et des songes, préface de Denis Grozdanovitch, Le Passeur Éditeur. 349 pages.

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Contre-manifestation lors d'une manifestation pro palestinienne à Londres, le 30/11/2024, SOPA Images/SIPA

Avec Céline Pina, Martin Pimentel, Gil Mihaely et Jeremy Stubbs.


Censure du gouvernement, démission du président ? Les islamogauchistes à l’œuvre, en France, en Belgique et au Royaume Uni. Bilan du cessez-le-feu au Moyen Orient.

Les étranges défaites

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L'historien français Marc Bloch (1886-1944) va entrer au Panthéon, a annoncé le président Macron le 23 novembre 2024. DR.

Marc Bloch et Boualem Sansal résistent


Mayday, SOS, coquin de sort ! Le Titanic Europe des copains d’abord a heurté l’iceberg Trump. Le présent est angoissant, le futur déprimant. Remplaçante, sur le banc de touche de l’histoire, dans la mauvaise conscience et l’auto-flagellation, la France se console en surjouant les défaites du passé : l’occupation, le vent mauvais, les bêtes immondes, la décolonisation… Pour égayer les fins de parties, les démons des éditions de minuit et les tubes des années de braise (44-54), surpassent ceux des années 80. Après les utopies, les uchronies et dystopies. Destinée… Les années noires font le buzz sur les rezzous sociaux, France Culture. Les débâcles, humiliations nationales, marronniers maléfiques, excitent les zouaves d’UFR, indigénistes indigents, tirailleurs-au-flanc, guérilléros de Collège de France, dé-constructeurs, héraults d’une histoire de France sans Histoire et sans France : la grande armée des rentiers de la repentance, compagnons de la décomposition nationale. Les incendiaires, champions du « vivre ensemble » !

Les tribus de l’émancipation intersectionnelle ont passé un accord de non-agression, un pacte (germanopratin) islamo-wokiste, contre-nature, à l’image de celui du 23 août 1939. À la recherche de la burka bio à visage humain, deux fanatismes – rose et vert – se donnent la main pour abattre l’ennemi commun, l’Occident libéral, blanc, coupable, masculin, maudit. Leur forfait accompli, les règlements de comptes à venir entre barbus et écoféministes misandres ne manqueront pas de ragoût. Sandrine Rousseau et Virginie Despentes (qui aime la kalach des assassins de l’Hyper-Casher) iront plaider la cause queer à Kaboul. Hidjab-Vie-Liberté… Annie Ernaux bientôt docteur « doloris causa » de l’université Al-Azhar ? Boualem a dit Bigeard, comme c’est Bigeard…

Deux pays à la ramasse

Boualem Sansal a été arrêté par les paras de la 10e DP du FLN et déféré au parquet antiterroriste d’Alger pour atteintes à la sûreté de l’État et à l’intégrité nationale. L’Algérie s’iranise. Dans son dernier opus (Le français, parlons-en !), l’écrivain dézingue au MAT 49 les passeurs de valises de billets, la rente mémorielle, les tabous franco-algériens.

A ne pas manquer, Causeur #128 : Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

« Au lendemain de son indépendance, l’Algérie disposait d’un patrimoine unique, moitié fourni par la nature, moitié par la colonisation qui avait bien équipé la demeure en infrastructures diverses, et jouissait d’un immense prestige dans le monde (…) Las, ses dirigeants de plus en plus médiocres et corrompus ont dilapidé le patrimoine et mis l’Algérie sur une ligne de déclin rapide qui a fait d’elle une proie facile pour l’internationale islamiste et les oligarques internationaux. Et depuis… elle s’enfonce et disparaît par petits bouts, par le séparatisme qui se développe en Kabylie et dans le Sahara et par l’émigration massive (…) ; dans le cerveau de l’Algérien on a installé deux logiciels incompatibles, un logiciel ultranationaliste construit sur une base fausse et une vision héroïque du futur, et un logiciel religieux archaïque qui porte une vision apocalyptique du monde. À qui se vouer ? » (Le Figaro).

L’essayiste est lucide sur son pays d’accueil. « La France n’est plus la France ni des Lumières, ni des Trente Glorieuses… mais celle des ennemis de la France et de son peuple… C’est un pays à la ramasse qui vit sur des gloires passées ». La Bérézina aurait trois causes : « (1) L’immense, l’insupportable, la scandaleuse, l’incompréhensible médiocrité de son personnel politique ; (2) le poids gigantesque d’une immigration de très bas niveau qui refuse de s’intégrer par esprit de supériorité religieuse et parce qu’elle n’y voit aucun intérêt, que les Français eux-mêmes ne voient plus ; (3) l’enracinement sur son sol d’un islam profondément archaïque, issu en retour de bâton de ses ex-colonies, dont on ne voit pas où et comment il trouverait les moyens de se réformer et devenir cet islam des Lumières que ses chantres appellent de leurs vœux sans savoir de quoi ils parlent et sans chercher à deviner la suite » (Le Figaro).

Boualem Sansal © Hannah Assouline

Les Barbapapa de Télérama, dé-coloniaux de Sciences Po, s’étouffent. Boualem Sansal après le Goncourt de Kamel Daoud ! Gallimard, officine « Macronito-sioniste » file un mauvais coton Vichy. Les réacs, vipères lubriques, l’OAS, ne passeront pas ! Un bon Algérien ne devrait pas dire ça, ne devrait pas blesser les bons sentiments de Benjamin Stora, l’irénisme d’une gauche à l’Hamas sur l’islamisme, ses décapiteurs d’infidèles, kouffars, écrivains, professeurs, Salman Rushdie, Samuel Paty, Dominique Bernard. Le camp de l’émancipation, du progrès et de la rééducation, n’a jamais manqué de leaders éclairés : Lénine, Staline, Mao, Castro, Pol Pot, Khomeiny, Ortega, Maduro…

A lire ensuite, Dominique Labarrière: La jurisprudence Stora

Marc Bloch est sans filtre sur la déroute de mai 40 et les atavismes hexagonaux. « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours : une guerre toute pénétrée par l’odeur de moisi qu’exhalent l’École, le bureau d’état-major du temps de paix ou la caserne. (…) Ce n’est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité ». L’Etrange défaite n’est pas digérée.

Qu’il s’agisse d’éducation, de défense, de finance, d’industrie, depuis trois générations, nous cabriolons dans les dénis, corporatismes, pourtousisme pipeau, une culture de l’excuse, l’idéal victimaire ; sans oublier l’individualisme, la crétinisation numérique, le séparatisme, trois derniers clous du cercueil. L’État, l’Europe, hors sols, impuissants, sans cap ni forces de propositions, bâtissent des termitières de gouvernances, lignes Maginot de trajectoires, directives, normes, règlements, à l’instar de notre état-major en 40. Les chansonnettes des sociologues de France Inter sur « l’en commun », le toutlemondisme, la verticalité élastique et les trémolos de Malraux d’opérette, place du Panthéon, n’abusent personne.  

La France en s’ébattant

La montagne Sainte-Geneviève, c’est la Roche de Solutré d’Emmanuel Macron. Tous les ans il panthéonise. Le bon filon, c’est l’occupation : Joséphine Baker, Simone Veil, Missak et Mélinée Manouchian, bientôt Marc Bloch. Auprès des grands hommes, femmes admirables, Jupiter reconnaissant cherche un deuxième souffle, une aspiration. Dans les années vingt, le Docteur Voronoff garantissait une seconde vigueur en greffant des testicules de grands singes. La Vie des autres, La Vie antérieure d’Emmanuel Macron.

« J’ai longtemps habité sous de vastes principes
Que les soleils malins teignaient de mille feux
Et que de grands piliers, droits et cotonneux,
Rendaient pareils, le soir, aux votes qu’on agrippe.
Les foules, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Mes tout-puissants raccords et sa riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes vœux.
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu, qui rassure, du vague, des splendeurs
Et des footballeurs nus, tout imprégnés d’odeurs,
Qui me rafraîchissait le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui m’avait fait élire ».

(D’après Charles Baudelaire)                     

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Le supplice chinois du RN

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Marine Le Pen à l'Assemblée nationale, 28 novembre 2024 © OLIVIER JUSZCZAK/SIPA

Pour s’attirer les faveurs de Marine Le Pen, Michel Barnier renonce à augmenter les taxes sur l’électricité, s’engage à revoir à la baisse l’AME et annonce pour le début du printemps un projet de loi visant à introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif. La chef de file des députés RN fera savoir lundi si elle revient sur sa décision de censurer le gouvernement ou non. Le RN se place au centre du jeu politique français.


Ce qui se passe entre le Premier ministre et le Rassemblement national, entre Michel Barnier et Marine Le Pen enfin sortie des débats du procès des assistants parlementaires, ne relève-t-il pas du degré zéro de la politique ? On avait cru comprendre qu’une sorte d’empathie initiale avait été exigée par Marine Le Pen et acceptée par Michel Barnier, tout au long de ces mois où le Premier ministre confronté à une tâche extrêmement difficile n’a pu compter que sur le concours irréprochable d’un ministre de l’Intérieur hors du commun. Le citoyen s’est donc étonné de l’absence totale de bienveillance politique concrète de la part du Premier ministre à l’égard du RN. Abstention regrettable dont les conséquences délétères apparaissent ces derniers jours.

Michel Barnier a eu trop de retard à l’allumage, a formulé des propositions et des adoucissements en toute dernière extrémité et Marine Le Pen s’est abandonnée avec une volupté sadique à une stratégie d’humiliation, jusqu’à poser un ultimatum qui expirera le lundi 2 décembre. Du côté du Premier ministre, sur l’électricité et l’AME, on a concédé beaucoup mais je ne suis pas sûr que ce soit jugé suffisant par le RN qui me semble abuser de la position décisive que le jeu parlementaire donne à son groupe.

A lire ensuite, Ivan Rioufol: Michel Barnier et la tempête qui vient

Même si LFI n’a véritablement aucune leçon à dispenser, Manuel Bompard n’a pas tort de mettre en cause l’étau ostentatoire dans lequel se place un Premier ministre soumis aux fluctuations et à l’humeur changeante du RN adepte du supplice chinois. Je dénonce ce vaudeville qui serait risible s’il ne se rapportait pas à un pays plongé dans une crise multiforme. Il convient d’en rappeler l’origine qui est à la fois la dissolution absurde décidée par le président et l’état dans lequel celui-ci – à l’exception du registre international où il n’a pas démérité – a laissé se dégrader la France.

J’éprouve d’autant moins de mal à regretter en même temps ce retard et ce sadisme que le premier aurait pu être évité si des mesures jugées pertinentes aujourd’hui avaient été proposées hier et que le second n’est pas digne d’un parti qui a surmonté victorieusement les billevesées sur l’arc républicain où il était sans y être, où il n’était pas tout en y étant. J’ai toujours défendu l’équité politique et parlementaire et jugé choquantes les discriminations à son égard. Mais je ne me résous pas à voir un Premier ministre payer de cette manière, en quémandant trop tard parce qu’il avait été muré avant, un rapport de force constituant le RN comme un bourreau validé par sa victime potentielle.

Face à ce paysage tellement singulier, à ces manœuvres à ciel ouvert, à ce commerce vulgaire montrant aux citoyens, comme pour les dégoûter encore plus, à quel point la politique est sale et la démocratie dévoyée, on en est presque conduit à aspirer à la netteté d’un bouleversement total. Puisque nous sommes confrontés au degré zéro de la politique, pourquoi ne pas repartir d’un bon pied républicain en remettant la politique à zéro ?

Obsession sexuelle

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Alexandre Portier et Anne Genetet, Paris, 23 septembre 2024 © J.E.E/SIPA

La théorie du genre serait-elle de retour? La presse conservatrice, et d’innombrables rumeurs, s’inquiètent du contenu du futur programme d’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école. Le Ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, Alexandre Portier, s’est emporté mercredi, à l’occasion de la séance de questions d’actualité au gouvernement du Sénat: « Ce programme, en l’état, n’est pas acceptable (…) Je m’engagerai personnellement pour que la théorie du genre ne trouve pas sa place dans nos écoles ».


Tempête en maternelle et en classe primaire. Polémique ardente autour du contenu d’un programme d’instruction sexuelle destiné aux petites têtes blondes. Rien ne presse à cet âge, font observer les plus modérés non sans raison. C’est bien tôt, en effet. D’autant plus qu’il n’est pas certain qu’on mette autant d’empressement à bien former ces élèves à la lecture, à l’écriture, au calcul et accessoirement à la civilité la plus élémentaire.

Cela dit que l’enfance et la pré-adolescence puissent disposer de davantage de connaissances en ces matières que, par exemple ma génération, pour qui le seul sujet – du moins officiel – touchant au sexe était celui des anges, on peut y souscrire. Toute la question est de savoir à qui on confie cette transmission d’informations et dans le respect de quelle approche, scientifique, clinique, idéologique cela peut et doit se faire. Là semble-t-il, est le problème. Sous couvert d’éducation sexuelle, il apparaît clairement qu’on cherche à distiller un certain nombre de remises en cause d’une réalité biologique qui a au moins pour elle d’être associée à la vie de l’humanité depuis quasiment la nuit des temps. Ne serait-ce que du fait de cette permanence, de cette pérennité, cette bonne vieille réalité ne devrait pas être contestée à la va-vite, balayée d’un revers de main pour laisser la place à la dernière lubie libertaire en vogue. Lubie de mode à qui certes on peut reconnaître le droit d’exister mais qu’on pourrait,  au prix d’un peu de courage intellectuel et moral, de fermeté politique, prier d’attendre la sortie des classes – je veux dire en âge – pour venir semer ses petites graines dont, d’ailleurs, on ne pourra juger la moisson qu’après une génération ou deux. Incertitude « scientifique » qui devrait inciter à la prudence. Et plus encore à l’humilité.

Évidemment, comme toujours, l’intention revendiquée est assez louable. On a entendu sur ce point la ministre, fraîchement assignée à ce poste à quoi pas grand-chose, apparemment, ne la prédisposait jusque-là. Il s’agit selon elle de lutter contre le harcèlement, les violences à caractère sexuel, de promouvoir la culture du consentement, du respect de l’égalité homme-femme, fille-garçon… Tout cela est bel et bon, en effet.

A lire aussi, Céline Pina: Sansal bâillonné à Alger, ses cafardeurs chouchoutés sur France 5

Mais pourquoi diable cette obsession sexuelle ? Pourquoi s’ingénier à inscrire cela dans cette seule spécificité ? Pourquoi exclusivement dans ce casier particulier : le sexe ? Or, il n’y pas qu’en matière sexuelle que harceler doit être combattu, proscrit. Il n’y a pas non plus que dans ce même domaine qu’il doit être absolument impératif de s’enquérir du consentement de la personne à qui on s’adresse. Dans mille situations de la vie courante cette démarche de courtoisie et de simple bon sens s’impose. Même constat s’agissant de la violence, inadmissible dans maintes et maintes situations de l’existence. Et identique intransigeance de commande face à tous les cas de non-respect de l’égalité garçon-fille ? L’intégralité des activités sociales doivent impérativement être régies par ces principes. Principes qui sont la base même et la richesse de ce que d’aucuns appellent le vivre ensemble, et qui, notons-le, peuvent fort bien être rassemblés sous un seul et même terme, une seule et même vertu : le respect.

Le respect qu’on doit à tous et à chacun et qu’on est en droit d’attendre de tous et de chacun. Voilà ce qu’il faut impérativement enseigner dès la maternelle. Et les moments de la vie sexuelle, le temps venu, auront tout autant de chances que les autres moments de se trouver régis par ce sain et noble principe, oui, le respect.

Mais on n’est pas dupe. On comprend très bien pourquoi à l’Éducation nationale on tient absolument à  ce que ces notions-là soient l’alibi de ce fameux programme. Cela permet de le livrer à des intervenants militants qui viennent en classe prêcher pour leur paroisse, distiller le venin du doute sur le genre de l’enfant, lui ouvrir des perspectives de pratiques plurielles pour l’avenir, etc, etc. J’ai cru comprendre que, dans un de ces documents, on donnait une description assez précise de la fellation. On y préciserait que cela, en terme courant, s’appelle une pipe (Et on se plaindra après cela qu’on n’apprenne pas assez les subtilités de la langue, pardon de la lecture, à nos enfants ! Passons). Pardonnez-moi de passer sous silence les hauts cris moralisateurs qu’on peut entendre par ailleurs. Je me contenterai seulement de prétendre que dévoiler cela à ces bambins n’est guère charitable. C’est les priver de l’émerveillement de la découverte le jour j. En un mot comme en cent, je trouve éminemment regrettable que l’Éducation nationale se permette ainsi de dépoétiser la chose, d’en vulgariser le mystère. Cette chose qui, de ce fait, risque à terme, de n’avoir pas la même saveur que si ce mystère était resté entier. On me pardonnera tant de grivoiserie. Je persiste : je me demande si, bien partis comme ces gens-là le sont, ils ne vont pas établir un programme de travaux pratiques dès la classe de sixième. Leur logique idéologique l’imposerait, me semble-t-il.

Je ne devrais pas plaisanter de la sorte avec cela. J’en ai conscience. Mais à ce degré d’indécence, d’ignominie, on se protège, on se défend comme on peut. Ignominie, oui. Car c’en est une que de chercher à abolir chez l’enfant ce qu’il a de plus précieux et de plus merveilleux, l’enfance, précisément. Et c’est bien ce qu’ils font !

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