Les éditorialistes nous disaient ces derniers jours que Marine Le Pen s’était fait hara-kiri en votant la mention de censure du gouvernement avec les LFIstes. Un sondage d’opinion effectué après le vote de la censure montre au contraire qu’elle creuse l’écart et se placerait nettement devant ses adversaires si l’élection présidentielle se tenait dimanche. Mme Le Pen a déclaré à Télématin: « Je pense que les responsables politiques et les commentateurs devraient être prudents dans leurs analyses (…) Il ne faut pas qu’ils prennent leurs rêves pour la réalité ».
Un sondage Fiducial / Sud Radio / Figaro Magazine fait après la motion de censure, place Marine Le Pen au premier tour de la future élection présidentielle, avec 36 % face à Édouard Philippe qui serait à 25 % ; et à 38 % devant un Gabriel Attal à 20 %.
Les politologues désavoués
Nous sommes encore loin de 2027 mais ce sondage est éclairant pour peu que les bouleversements et les incertitudes politiques ne conduisent pas le président de la République à jeter l’éponge avant l’heure. Même s’il l’a totalement exclu récemment, cela n’avait pas toujours été sa position.
Ce sondage semble démontrer qu’il faut davantage faire confiance aux personnalités publiques en lice pour demain qu’aux analystes et aux politologues. Il est clair qu’avec son intuition, Marine Le Pen a mieux perçu les humeurs et les désirs de son électorat que tous ceux qui, en chambre, bâtissaient des théories et concluaient péremptoirement que le vote de la motion de censure par le Rassemblement national allait lui faire perdre sa respectabilité durement conquise et décourager une part de ses militants. Apparemment c’est l’inverse, sans surestimer le caractère évidemment très ponctuel de ce sondage.
Il est facile de comprendre l’erreur assez constante des journalistes politiques dans leur approche du RN. En effet, à quelques exceptions près, ils sont enclins à confondre leurs désirs avec la réalité. Ils perçoivent mal celle-ci parce qu’elle a le grand tort de ne pas se plier à leurs vœux. C’est un mouvement subtil qui, paraissant ne pas exclure lucidité et bonne foi, les conduit pourtant souvent à faire passer leurs convictions avant les froides constatations qui devraient être les leurs.
On me pardonnera mais les émissions où les analyses les plus pertinentes ont été faites sur Marine Le Pen, le vote de la motion de censure et ses conséquences possibles, ont été celles de CNews, notamment à « l’Heure des pros », par Gérard Carreyrou.
Marine satisfaite de sa « médaille d’or de l’opposition »
Il me paraît malheureusement inéluctable que la manière étrange dont le RN est traité – il n’a pas été convié aux échanges élyséens auxquels Marine Le Pen dit qu’elle ne se serait pas rendue : la dignité affirme refuser ce qui ne lui a pas été proposé ! – va amplifier son influence et lui donner, comme sa candidate l’a affirmé, la médaille d’or de l’opposition. Quoi de mieux pour un parti qui, tout en cherchant à se normaliser – au point parfois de se banaliser – se retrouve, grâce au président de la République qui n’est plus à une volte près, gratifié du statut de dissident et d’exclu !
Ce sondage dément les analyses des spécialistes parce que les citoyens mêlent à leur adhésion une infinité de considérations (soutien au RN, hostilité à l’encontre d’Emmanuel Macron, médiocrité des autres partis, volonté éperdue de changement) qui ne sont pas appréhendées dans leur globalité. Mais il ne garantit pas que Marine Le Pen sera élue en 2027.
Si elle est remarquable tactiquement et politiquement pendant le trajet, je continue à penser que sa limite est de ne jamais l’être le jour J, arrivée à destination. Comme s’il y avait quelque chose chez elle qui la perturbait, la peur de gagner ? Non pas qu’elle ne le veuille pas, comme son père il y a des années, mais l’imminence de la victoire à portée démocratique l’entrave au lieu de la stimuler.
J’ai toujours éprouvé dans la vie intellectuelle, judiciaire, politique et médiatique une certaine méfiance à l’égard des prétendus sachants, des experts qualifiés, des doctes journalistes, de tous ceux qui prétendent nous enseigner ce que notre esprit, notre sensibilité et notre culture nous ont déjà appris. Ce n’est pas ce sondage qui me guérira…
Improductifs, profiteurs, paresseux, bien payés, bénéficiant d’une retraite dorée et d’arrêts maladie indus : par temps de crise, les fonctionnaires ont mauvaise presse. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s’érige contre les caricatures qui font porter le chapeau de la dette et de l’inertie française aux seuls agents publics.
Les boucs émissaires sont de retour. Tout le monde a le sien et chacun en a même plusieurs. Il y en a toujours eu. Ils prolifèrent particulièrement dans les pays en crise, où le besoin de trouver des responsables à ses malheurs se répand au fur et à mesure que la vie devient plus difficile pour un nombre croissant de citoyens. Cette recherche de coupables transforme les sociétés malades en creuset de rancœurs et de jalousies. C’est comme cela, c’est la nature humaine. On a beau être pétri de rationalité, on agit comme si, en se débarrassant du coupable désigné, on allait guérir de ses souffrances.
La haine du fonctionnaire est partout
Le problème c’est qu’en général le bouc émissaire est innocent. Heureusement, on ne le tue pas, sauf quand la violence collective dérape. Mais enfin l’animosité est bien là. Parmi les boucs émissaires qui pullulent de nos jours, il y a le fonctionnaire. Ah, comme nous serions heureux si nous pouvions nous en débarrasser ! C’est un vampire suçant le sang des travailleurs qui gagnent difficilement de quoi vivre à la sueur de leur front. Son salaire, c’est l’argent de nos impôts. C’est un fainéant, bardé de privilèges, toujours en arrêt maladie, qui a la garantie de l’emploi à vie avec un salaire plus élevé, une retraite plus avantageuse que tout le monde et dont la charge creuse nos déficits, alourdit notre dette et plombe l’avenir de nos enfants.
Comme si le fonctionnaire ne payait pas d’impôts, faisait toujours semblant d’être malade, nageait dans l’opulence, ne produisait rien et n’avait pas d’enfants qui devront rembourser la dette ! J’exagère ? Non. Il suffit d’écouter ce qui se raconte au café du coin et se dit sur les plateaux de télévision, à l’Assemblée nationale, dans le gouvernement, dans certains partis, de lire ce qui est écrit dans les journaux : la haine du fonctionnaire est partout, comme la haine de l’État, parmi bien d’autres haines, il est vrai. Haine qu’une partie de la classe politique nourrit pour détourner d’elle la colère populaire suscitée par ses défaillances bien réelles, s’évertuant cyniquement à diviser pour régner – ce qui est la pire des politiques qui soit. Travailleurs indépendants contre salariés, retraités contre actifs, urbains contre ruraux, banlieusards contre habitants des centres-villes, salauds de pauvres contre salauds de riches, salariés du privé contre ceux du public…
Qu’importe que les fautes du bouc émissaire soient imaginaires. Plus le mensonge est gros et mieux il passe. Que l’actualité nous livre un vrai coupable, fraudeur, tricheur, profiteur, délinquant, et tous ceux qui lui ressemblent deviennent coupables : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère! » Un fonctionnaire est coupable, ils le sont tous, car le fonctionnaire n’a pas de nom, ni de visage, il n’est qu’un statut, un statut de privilégié. On se demande pourquoi avec tous les privilèges qu’on lui prête, on peine tant à en recruter dans la plupart des métiers de la fonction publique, raison pour laquelle le nombre de candidats aux concours, donc leur sélectivité, s’est effondré.
Et si c’était parce que leurs conditions de travail se sont considérablement dégradées comme celles des policiers, des enseignants, des soignants, dans un État ravagé par les lubies du management et les cost-killers, dont les méthodes tuent les services publics autant que les entreprises ? Parce qu’à qualification égale, ils sont moins bien payés que dans le privé avec un écart qui se creuse quand on monte dans la hiérarchie des qualifications ? Parce que le point d’indice de la fonction publique a été gelé de 2010 à 2023 et que cela a considérablement amputé leur pouvoir d’achat en début de carrière ?
Un drôle de privilège
En 2023, on a fini par revaloriser le point d’indice, mais de moins que l’inflation de l’année, et beaucoup de gens ont crié au scandale et dénoncé un cadeau aux fonctionnaires. Quel cadeau ? Plus le mensonge est gros… On me dira qu’ils se rattrapent sur leur retraite avec un mode de calcul beaucoup plus favorable que celui du privé. On oublie que ce mode de calcul est destiné à compenser le fait que les primes, qui représentent une partie très importante de la rémunération, ne sont pas prises en compte et qu’en définitive, le taux de remplacement du salaire est à peu près le même. Encore un privilège qui n’existe pas. Qu’importe la vérité. Plus le mensonge est gros…
Ah, mais il y a aussi les arrêts maladie. Le fonctionnaire territorial, ce fainéant, « ce pelé, ce galeux », comme dirait La Fontaine, en prendrait beaucoup plus que le salarié du privé, qui a trois jours de carence quand l’agent public n’en a qu’un. C’est ce que dit un rapport officiel. Privilège inacceptable ! Sauf que ce rapport dit aussi que les agents de l’État et de la fonction publique hospitalière n’en prennent pas plus que les salariés du privé.
Enfin, il paraît que le fonctionnaire ne produit rien et que seuls les emplois dans les entreprises apportent de la richesse. Cela voudrait dire que l’infirmière libérale produirait de la richesse tandis que l’infirmière de l’hôpital ne serait qu’une charge; que l’agent de sécurité salarié d’une entreprise privée produirait de la richesse tandis que le policier ne serait qu’une charge; que l’enseignant du privé produirait de la richesse et que celui du public ne serait qu’une charge. Et que dire du chauffeur du bus scolaire engagé par la mairie, de plus en plus difficile à trouver, et sans lequel beaucoup d’enfants ne pourraient pas aller à l’école et de parents arriver à l’heure à leur travail ? A-t-on jamais vu un raisonnement économique plus absurde que celui qui fait de l’agent public un improductif qui se gaverait de nos impôts ? Plus le mensonge est gros…
Je conclurai ce billet d’humeur en remarquant que ceux qui tapent sans arrêt sur les agents publics passent leur temps à en réclamer davantage pour les soigner, les protéger, les secourir, faire rouler les trains, instruire leurs enfants et pour tant d’autres choses.
Ah, « mon cher et vieux pays » perdu dans ses contradictions, les mensonges de ses faux prophètes et les vieux démons des sociétés malades !
En s’attaquant au cinéma de genre, Noémie Merlant pensait-elle défendre le genre féminin ? Raté
Noémie Merlant est comédienne. Depuis peu, Noémie Merlant est cinéaste. Demain, peut-être, sera-t-elle aux côtés d’Adèle Haenel la porte-parole du féminisme au cinéma. Pour l’instant, elle nous arrive avec sa deuxième réalisation explicitement intitulée Les Femmes au balcon, une fiction marseillaise qui se veut un film de genre, en l’occurrence très genré : tous les hommes y sont des crétins décérébrés. Jusque-là tout va bien. Mais Noémie Merlant s’est-elle bien rendu compte que toutes les femmes qui leur font face ne valent pas mieux ? On nous rétorquera qu’elles prennent symboliquement le pouvoir, qu’elles deviennent les moteurs de l’histoire et de l’Histoire. Vraiment ? À la bêtise masculine succède l’imbécillité féminine… La belle affaire ! Rien ne vient sauver ces pauvres personnages qui crient, hurlent et se déchaînent pour un rien. Et pour rien.
On hésite en haut lieu quant au nom du futur Premier ministre. Notre chroniqueur prend de son côté le parti d’en rire.
1965. Année d’élections présidentielles d’importance et de conséquences historiques s’il en fut jamais. À l’issue du premier tour de scrutin, le général De Gaulle se trouve mis en ballotage par le candidat de gauche François Mitterrand. Surprise, surprise ! Le pays ne s’attendait guère à cela. Face à face pour le second tour entre deux hommes d’exception, certes, mais aussi deux programmes. Cependant, gardons-nous d’oublier que, pendant un temps, un troisième menu des réjouissances républicaines avait été proposé aux Français, porté par un candidat surgi de nulle part bien qu’il fît depuis deux décennies les délices de nombre de citoyens, toutes classes sociales et tous bords politiques confondus. Il est vrai que ce personnage officiait jusqu’alors dans un registre bien différent.
Cet inattendu troisième homme lança officiellement sa campagne le 9 février 1965 lors d’une conférence de presse à laquelle assistait le tout Paris de l’époque. On se pressait là pour entendre l’orateur développer sa vision des choses, exposer son plan pour la comète France, présenter sa formation politique. L’intitulé retenu pour le parti avait également de quoi surprendre : Mouvement Ondulatoire Unifié. C’était nouveau, cela changeait des appellations habituelles. Il faut dire que le génial inventeur de la chose sortait lui-même de l’ordinaire. Son nom, Pierre Dac, l’âme et l’esprit du regretté organe de presse l’Os à Moelle, alors la substantifique lecture des garnements de mon espèce.
Le slogan lancé ce jour-là et qui fut bientôt sur toutes les lèvres : « Les temps sont durs, votez M.O.U. »
Eh bien, ne pourrait-on pas considérer que c’est en quelque sorte cette ligne que semble vouloir suivre notre actuel président de la République, explorant à grand renfort de consultations les cinquante nuances de Mou à sa disposition ? Il n’en manque pas. Du mou extrême centre, du mou droite honteuse, du mou gauche repentie, du mou hybride carpe-lapin. Quel que soit le chanceux sorti du chapeau, on peut être sûr d’une chose : il y aura de l’ondulatoire dans le mouvement et de l’unifié de façade. En un mot comme en cent, l’intégral du troisième programme de 1965 mis en œuvre à soixante ans de distance. De quoi enchanter, notre Pierre Dac, jusqu’à ce jour indiscutablement le maître absolu de la discipline. À moins, bien sûr, qu’à force de se montrer si obstiné en loufoquerie dans sa conduite des affaires, le président ne finisse par le détrôner. On ne peut exclure que ce ne soit-là son ultime ambition. Il aime tant être le premier en tout !
Depuis des décennies, le mirage de la « solution à deux États » s’impose comme une évidence politique. Pourtant, derrière ce concept séduisant se cache une manipulation historique. Entre réécritures de l’Histoire, instrumentalisation des faits et dévoiement des idéaux, cette idée, présentée comme une réponse pacifique, s’avère être une menace existentielle pour l’État juif. Retour sur un siècle d’escroquerie intellectuelle et politique.
De Marine Le Pen à François Ruffin, en passant par les centristes et les habitués des plateaux télé, tous semblent s’abreuver depuis des années et sans retenue au doux poison de la « solution à deux États ». Ce stupéfiant, déguisé en vertu suprême, a trompé leur raison et effacé toute mémoire historique.Plus tragique encore, même certains Juifs – visiblement oubliés par la dignité – en deviennent les porteurs zélés, comme pour parachever l’absurdité du spectacle.
Un mirage touchant
Ces derniers jours, une grande nouvelle ravit les adeptes du palestinisme, le tandem Macron-Ben Salmane va « accompagner la création d’un État arabe en Palestine ». Mirage touchant qui repose sur une routine bien huilée : ignorer les faits, falsifier l’Histoire et remodeler la réalité au profit d’une cause prétendument juste.
Sur les plateaux télévisés, dans les amphithéâtres des universités et jusque dans les travées de l’Assemblée nationale, la grande réécriture bat son plein. On voudrait nous faire croire que les Juifs sont apparus ex nihilo en 1948, armés jusqu’aux dents, pour déraciner un peuple innocent et conquérir en quelques jours un « pays » qui n’aurait jamais été le leur.
Stop ! Il est temps d’interrompre ce délire et de mettre fin à cette amnésie collective volontairement entretenue.
La création d’un État arabe en Palestine n’est rien d’autre qu’un Cheval de Troie, savamment conçu au XXe siècle, pour légitimer poliment – mais sûrement – la haine du Juif. Il est donc urgent de comprendre pourquoi cet État, présenté comme une solution miracle, constitue en réalité une menace existentielle pour Israël et les Juifs de la Diaspora.
Pour mesurer l’ampleur de cette escroquerie palestinienne, il suffit de remonter à 1917. Cette année-là, la Déclaration Balfour engage la Grande-Bretagne à établir un foyer national juif en Palestine. Le mandat britannique sur la Palestine naît en 1920 : ce vaste territoire inclut ce qui deviendra plus tard Israël et la Jordanie. Cette promesse intervient après des siècles de colonisation ottomane et arabe.
Les Arabes arrivés en Palestine au VIIe siècle lors des conquêtes musulmanes étaient, pour l’immense majorité d’entre eux nomades et indistincts dans leur langue comme dans leur culture des autres tribus arabes de la région. Pourtant, malgré des siècles d’occupation de cette terre, jamais l’idée d’un « État palestinien » ne leur effleura l’esprit, ni à l’ouest ni à l’est du Jourdain. Aucun « État palestinien » n’a jamais existé…
Erreurs
Le retour des Juifs en Palestine change radicalement la donne. Ce territoire, laissé en grande partie à l’abandon, retrouve une fertilité et une prospérité économique inédites, fruits des efforts sionistes. Bien que les Arabes locaux profitent de ces exploits, ils voient d’un très mauvais œil le retour de ces Juifs exilés. Leur principal grief ? Ces derniers mettent à mal le panarabisme et refusent désormais la dhimmitude traditionnelle, ce statut de subordination imposé par la charia qui évite la mort.
Pour calmer les « tensions » – un mot si pratique pour euphémiser les violences arabes –, les Britanniques trahissent peu à peu l’esprit de la Déclaration Balfour. En 1922, ils décident même de diviser le mandat sur la Palestine. En guise de « remerciement » au roi Abdallah d’Arabie, fraîchement défait dans une guerre tribale et allié de la Triple Entente pendant la Grande guerre, les Britanniques lui offrent sur un plateau 77% du mandat palestinien. Cette portion devient la Transjordanie, qui deviendra le royaume hachémite de Jordanie en 1946.
Imaginez un instant que la Transjordanie ait conservé le nom de Palestine. Quel soulagement cela aurait été ! Aujourd’hui, toute discussion sur un « État arabe palestinien » serait définitivement classée. Mais non. Ce flou sémantique, né d’une simple décision de renommage, a permis l’émergence du grand coup de bluff contemporain : la revendication d’un État arabe supplémentaire à l’ouest du Jourdain.
La vérité, pourtant, est limpide. La Palestine fut divisée en 1922. À l’est du Jourdain, un État arabe a vu le jour : la Transjordanie, future Jordanie. À l’ouest, les Juifs du Yichouv, convaincus que ce partage mettrait fin aux revendications arabes, ont commis le péché – presque biblique – de croire aux vertus des concessions territoriales pour vivre en paix.
Mais l’avenir leur montrera qu’ils se sont lourdement trompés. Non seulement cette paix est restée une chimère, mais cette erreur sémantique – ne pas avoir conservé le nom « Palestine » pour la Transjordanie – a ouvert la voie à une invention : celle d’un nationalisme palestinien, conçu non pas pour justifier l’existence d’un nouvel État arabe, mais pour la destruction pure et simple d’Israël.
Quand le grand mufti pactisait avec les nazis
Depuis lors, Israël fait face à une campagne incessante d’hostilité : guerres, attentats, boycotts et pressions internationales. Sous le prétexte habile d’une « autodétermination palestinienne », le monde exige un deuxième partage de l’ancienne Palestine britannique, comme si celui de 1922 n’avait pas suffi à grignoter le territoire juif.
Pour obtenir une paix réelle, deux options s’offrent aux Arabes : accepter de vivre dans l’État-nation du peuple juif ou bien émigrer en Jordanie, le véritable Etat arabe palestinien.
L’autre raison qui accompagne l’illégitimité politique de l’État arabe en Palestine réside dans l’antisémitisme constant qui traverse le palestinisme. « Dis-moi qui sont tes leaders, et je te dirai qui tu es » : connaître ceux qui incarnent cette « cause » permet de faire toute la lumière sur la malhonnêteté de ce combat.
Dans les années 1930, il n’existait pas de nationalisme palestinien à proprement parler. Celui-ci se confondait avec le panarabisme porté en partie par le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini. Ce dernier rêvait d’un bloc panarabe incluant l’Irak, la Syrie, la Palestine et l’Égypte. À l’image des ambitions expansionnistes de l’Allemagne en Europe ou du Japon en Extrême-Orient, il envisageait un empire arabe au Moyen-Orient. La présence juive en Palestine représentait un obstacle majeur à ce projet. Pour y faire face, al-Husseini incitait régulièrement à la violence antisémite, comme en témoigne le terrible pogrom de 1929 à Hébron, commis par ses sbires.
Toute la politique arabe d’al-Husseini en Palestine peut se résumer par ses propos tenus le 21 janvier 1944 devant des SS bosniaques musulmans : « Les Juifs sont les pires ennemis des musulmans. Il existe des similitudes entre les principes de l’islam et ceux du national-socialisme. ».
Après 1948, l’identité arabe palestinienne demeure ambiguë et rattachée à la grande nation arabe. Contrairement à ce que prétendent les partisans de la « cause palestinienne », le conflit au Proche-Orient ne trouve pas son origine dans une aspiration des Arabes palestiniens à créer un État. Cette idée, selon laquelle le conflit découlerait d’un refus israélien d’accepter la création d’un État arabe palestinien depuis 76 ans, relève du fantasme.
En effet en 1964, seize ans après la création d’Israël, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) voit le jour. Mais curieusement, à ce moment-là, la Judée-Samarie alias Cisjordanie est sous contrôle jordanien, et Gaza, sous domination égyptienne. Alors, pourquoi créer une organisation « de libération » quand il n’y a rien à « libérer » sous contrôle israélien ? La réponse est simple : l’OLP n’a jamais eu pour objectif un État aux côtés d’Israël, mais bien à la place d’Israël : une Palestine exclusivement arabe, où les quelques Juifs autorisés à rester seraient de bons Dhimmis…
Cette volonté d’extermination n’était pas cachée. À ce propos, Ahmed Choukairy, premier président de l’OLP, déclarait joyeusement le 23 mai 1967 sur Radio Damas : « Il n’y aura pratiquement aucun survivant juif. » Une promesse ambitieuse, mais la guerre des Six Jours allait refroidir ses ardeurs.
Son successeur, le criminel Yasser Arafat, a repris la même ligne, avec un sens aigu de la duplicité. Bien qu’ayant reçu le prix Nobel de la paix, Arafat n’a jamais prononcé le mot « paix » en arabe. Il utilisait en revanche le terme houdna, désignant une trêve temporaire en islam, destinée à préparer les prochaines offensives. Après les accords de la soumission juive à Oslo, présentés en Occident comme une percée remarquable vers la paix, Arafat déclarait à Stockholm : « Nous planifions l’élimination de l’État d’Israël et l’établissement d’un État purement palestinien. Nous rendrons la vie insupportable pour les Juifs par une guerre psychologique et une explosion de population. »
Les accords d’Oslo, tout comme le don du Goush Kativ (bande de Gaza) en 2005, n’ont été qu’un piège supplémentaire pour Israël. Ces gestes de bonne volonté, salués avec naïveté en Occident, ont coûté des milliers de vies juives et affaibli la dissuasion israélienne. Le massacre génocidaire du 7-Octobre 2023 illustre tragiquement où mènent ces concessions. Mais certains continueront sans doute à dire qu’il faut encore « tendre la main » – peut-être pour mieux se la faire couper.
Pour conclure, quoi de mieux que les belles paroles de feu Hussein de Jordanie, à un quotidien arabe paraissant à Paris, An-Nhar al-Arabi w’al-Daouli, le 26 décembre 1981 : « La vérité, c’est que la Jordanie c’est la Palestine, et la Palestine c’est la Jordanie. »
Dans l’ombre de Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles du HTS désormais bien connu, Abd al-Rahim Atoun travaille depuis des années depuis Idlib au futur projet de société syrien, et à sa reconnaissance politique. C’est lui qui a pensé en premier qu’il fallait lisser l’image du mouvement islamiste pour se faire accepter à l’international, comme les Talibans ont su le faire en Afghanistan. Présentations.
La chute des Assad et le succès fulgurant des rebelles islamistes syriens de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont attiré l’attention sur cette milice – ou coalition de milices, pour être précis – et sur son chef, Abou Mohammed al-Jolani. Son parcours de jihadiste dans les rangs d’al-Qaïda et de Daech, en Irak et en Syrie, est bien documenté. On commence aussi à mieux comprendre ce qu’il a entrepris à Idlib entre la défaite de la rébellion en 2016-2017 et l’offensive lancée le 27 novembre dernier contre Alep.
Abou Mohammed al-Jolani est-il un homme d’État émergent, forgé dans le terrorisme et la guérilla, à l’image de figures historiques comme Hô Chi Minh, Mao ou Castro ? Ou bien est-il l’héritier d’Oussama Ben Laden et d’al-Baghdadi ? On ne sait pas non plus si la métamorphose du jihadiste est authentique ou bien une gigantesque « takiya » (dans la tradition islamique, une dissimulation temporaire des intentions religieuses), une opération de dissimulation le temps de prendre le pouvoir. Les événements récents semblent pencher en faveur de la première hypothèse. En témoignent une transition de pouvoir pacifique (quasiment mieux qu’aux États-Unis en 2021…), des ententes avec des communautés syriennes chrétiennes et chiites. Cependant des incertitudes subsistent et des craintes justifiées persistent. Des exécutions sommaires soient signalées à Lattaquié comme dans l’Est, où des cellules de Daech continuent d’opérer. Et on ignore encore si al-Jolani contrôle toujours l’ensemble des forces que HTS avait mobilisées pour prendre Damas. Ces interrogations s’expliquent en partie par les tensions internes et les défis logistiques que HTS pourrait rencontrer dans la coordination de ses opérations.
Atoun, figure religieuse et stratégique tutélaire
Pour mieux comprendre le fonctionnement des nouveaux maîtres de Damas – et non de la Syrie tout entière, dont une bonne moitié est sous contrôle kurde, turc ou encore sous celui de forces locales druzes et tribales –, il est essentiel de se pencher sur son entourage. Parmi les figures qui l’entourent et le conseillent, Abd al-Rahim Atoun (a.k.a. Abu Abdullah al-Shami) apparait comme le personnage central.
Atoun serait originaire de Syrie, vraisemblablement de la région d’Alep, une zone qui a été un bastion important pour les groupes rebelles au cours du conflit syrien. Son engagement dans le jihadisme semble lié à son contexte local et à la montée de mouvements islamistes dans cette région. Atoun est décrit comme un juriste islamique, ce qui implique qu’il a reçu une formation approfondie en études islamiques. Son rôle au sein du Conseil de la charia de HTS indique une expertise dans l’interprétation de la charia et des textes religieux, bien que les détails précis restent flous.
Plus qu’un simple érudit, Abd al-Rahim Atoun est devenu l’un des architectes les plus influents de la transformation de ce groupe. En tant que chef du Conseil de la charia de HTS et proche confident d’Abu Mohammad al-Jolani, le leader du groupe, Atoun a joué un rôle crucial dans la définition de la trajectoire idéologique, religieuse et politique de HTS.
L’importance d’Atoun provient de son double rôle d’autorité religieuse et de stratège. Son influence a été déterminante pour guider HTS depuis ses origines en tant que filiale d’al-Qaïda, connue sous le nom de Jabhat al-Nosra, jusqu’à son incarnation actuelle en tant que force militaire et politique assumant la maîtrise du destin de la Syrie. Sa réflexion stratégique pourrait avoir alimenté les efforts de réorientation du groupe, en mettant l’accent sur une évolution des objectifs jihadistes transnationaux vers une gouvernance localisée et une stabilité dans les territoires contrôlées, le tout toujours fondé sur un système politique fortement inspiré de l’islam sunnite radical.
C’est ainsi qu’Atoun, tout en reconnaissant l’efficacité révolutionnaire de la résistance chiite, l’écarte comme modèle à cause de sa critique sévère de la Révolution iranienne qui aurait trahi les sunnites. En revanche il voit dans le Hamas et les Talibans des mouvements dont la stratégie est non seulement de s’emparer du pouvoir mais de remodeler leurs sociétés respectives à travers des moyens politiques et militaires. Ce point est important, car il se trouve au cœur de sa vision politique : ce qu’il appelle le « modèle taliban ».
Tirant des leçons de la capacité des talibans à négocier avec les puissances occidentales et à reprendre le contrôle de l’Afghanistan, Atoun a plaidé pour que HTS poursuive une voie similaire. Cela implique de donner la priorité à la gouvernance locale, d’engager des relations diplomatiques avec des acteurs internationaux et de marginaliser les factions extrémistes susceptibles de saper les efforts de HTS pour se présenter comme un mouvement de résistance nationaliste. En même temps, comme en Afghanistan, ce qu’il identifie comme pragmatisme politique est indissocié d’un modèle de société islamiste.
A Idlib, Atoun a joué un rôle important dans l’établissement par le HTS d’un Gouvernement de Salut Syrien (SSG), un organisme administratif civil qui supervise la gouvernance dans les zones contrôlées par HTS. Le SSG a mis en place des initiatives telles que la réouverture des écoles, l’amélioration de l’accès aux soins de santé et l’entretien des infrastructures, dans le but de présenter HTS comme une autorité responsable en matière de gouvernance. Atoun a décrit ce modèle de gouvernance comme une application pratique des principes de la charia, adaptée aux besoins de la population locale.
Atoun a également joué un rôle crucial dans la consolidation du pouvoir de HTS en ciblant des factions extrémistes rivales. Des groupes tels que les restes de Daech, des affiliés d’al-Qaïda comme Hurras al-Din, et des factions dirigées par des étrangers comme Jund al-Sham ont été systématiquement marginalisés ou expulsés des zones contrôlées par HTS. Atoun a justifié ces actions comme étant nécessaires pour assurer la survie de HTS et pour éloigner le groupe de ses racines extrémistes.
Contradictions
Atoun est un partisan d’une normalisation des relations avec les pays occidentaux, affirmant que de telles étapes sont essentielles pour la reconstruction des zones contrôlées par HTS et pour retirer le groupe des listes internationales de terrorisme. Cependant, sa rhétorique révèle souvent des contradictions. Tout en plaidant pour une normalisation, Atoun a également prononcé des déclarations incendiaires contre l’Occident, reflétant la lutte du groupe pour équilibrer engagements idéologiques et objectifs pragmatiques. Ainsi, après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, Abd al-Rahim Atoun a exprimé des positions antisémites. Suite à l’assassinat du chef du Hamas, Yahya Sinwar, par les forces israéliennes en octobre, Atoun a publié sur Telegram une prière demandant à Dieu de « déshonorer les Juifs, de les opprimer et de les maudire, ainsi que ceux qui les ont soutenus ».
L’influence d’Atoun s’étend aux relations de HTS avec les puissances régionales, en particulier la Turquie. En 2017, HTS a accepté l’établissement de postes d’observation turcs le long de ses frontières, un compromis qu’Atoun a défendu comme nécessaire. Son approche pragmatique a mis l’accent sur l’importance de « plier sous la tempête » pour naviguer dans les défis et maintenir l’influence de HTS. Atoun a publiquement reconnu le rôle de la Turquie dans la protection des territoires contrôlés par HTS contre les attaques du régime, qualifiant les déploiements turcs de « parapluie protecteur ».
Rapports de bon voisinage
Les relations entre le HTS et la Turquie sont un exemple à la fois des contraintes et de l’habileté de ses dirigeants. En 2017-2020, la Turquie a renforcé sa présence militaire à Idlib pour contrer les avancées du régime syrien soutenu par la Russie. Cette situation a conduit, comme nous l’avons vu plus haut, à une coopération tacite avec HTS pour maintenir le statu quo. Cependant, des divergences sont apparues, notamment concernant le contrôle des routes stratégiques (les autoroutes M4 et M5), où la Turquie a cherché à établir des patrouilles conjointes avec la Russie, une initiative qui a fortement déplu à HTS.
Les relations se sont tendues alors que la Turquie tentait de restructurer les groupes rebelles sous son influence directe. Concrètement, Ankara a essayé de subjuguer HTS à l’Armée nationale syrienne, une milice sous son contrôle. Des affrontements ont eu lieu entre les factions soutenues par la Turquie et HTS, jusqu’à ce qu’un accord reconnaissant les intérêts et la position de ce dernier soit trouvé.
La vision d’Atoun pour HTS reflète une stratégie plus large visant à repositionner le groupe en tant qu’insurrection localisée centrée sur la Syrie plutôt qu’en tant que menace extrémiste mondiale. Cette perspective s’aligne avec les efforts visant à obtenir des financements de la part des monarchies du Golfe et à attirer l’attention des acteurs internationaux pour une reconnaissance politique.
Dans un discours prononcé en 2022, Atoun a souligné la nécessité d’un engagement pragmatique avec les puissances régionales, exhortant les membres et les partisans de HTS à comprendre les politiques d’Ankara dans leur contexte stratégique plus large.
Les contributions idéologiques et stratégiques d’Atoun ont été essentielles dans la transformation de HTS d’une milice en force politique capable de s’assurer un rôle dans l’avenir de la Syrie.
Comme al-Jolani, Atoun réfléchit d’abord en politique, c’est-à-dire en tant qu’homme de pouvoir. Sa priorité est toujours le contrôle et l’autonomie d’action. Les ruptures successives avec al-Qaïda et Daech, les tensions et le bras de fer avec la Turquie – dont, enfermé à Idlib, le HTS dépendait ! – n’ont jamais eu pour cause des questions d’idéologie mais de pouvoir et de stratégie. La question qui reste ouverte est de savoir ce que va devenir ce fameux modèle de société inspiré des Talibans. S’agira-t-il d’afghaniser la Syrie, ou bien de syrianiser les Talibans, c’est-à-dire d’adapter ce modèle à une société totalement différente ? Pour l’instant, al-Jalouni a des questions plus pressantes à régler.
BoJo était de passage à Paris à l’occasion de la publication de ses mémoires. L’ancien Premier ministre britannique a reçu Causeur pour évoquer le Brexit, la politique migratoire de ses successeurs et l’importance de la culture classique pour notre identité européenne. Sans oublier ses relations avec Emmanuel Macron et la sagesse de la reine Elizabeth…
Boris Johnson est l’homme du Brexit. Né en 1964, il fréquente l’École européenne de Bruxelles et le lycée privé très sélect d’Eton, avant de décrocher un diplôme en lettres classiques à l’université d’Oxford. Il entame ensuite une carrière de journaliste notamment comme correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles, où il donne libre cours à son euroscepticisme, et ensuite comme rédacteur en chef du prestigieux magazine The Spectator. En 2001, il est élu député conservateur pour la première fois, mandat dont il démissionne en 2008 pour devenir maire de Londres. Après deux mandats à ce poste, il est réélu député en 2015 et, l’année suivante, lors du référendum sur le Brexit, il est la figure de proue de la campagne victorieuse contre l’UE. Nommé ministre des Affaires étrangères par Theresa May, il démissionne en 2018 pour protester contre la politique de sortie de l’UE menée par cette dernière. Quand May démissionne en 2019, Johnson la remplace comme chef de parti et Premier ministre. Il réussit à négocier un accord avec l’UE et triomphe aux élections générales de décembre. Fin 2021 éclate le scandale du « Partygate », où il se voit accusé d’avoir toléré des rassemblements festifs à Downing Street et ailleurs en contravention des restrictions sanitaires imposées par son gouvernement pendant la pandémie. Après les démissions en cascade de ses ministres en juillet 2022, il est contraint d’annoncer sa propre démission. Un an plus tard, une commission parlementaire le condamne sévèrement pour avoir – selon elle – fait des déclarations trompeuses devant la Chambre des communes. Dénonçant une parodie de justice, il renonce à son mandat de député. Il vient de publier chez Stock Indomptable, où il livre sa vérité sur ses années au pouvoir.
Causeur. De nombreux citoyens, notamment dans les régions « laissées-pour-compte », qui ont voté pour quitter l’UE en 2016 et qui vous ont élu triomphalement en 2019, voulaient moins de mondialisation et plus de protectionnisme. Tandis que les politiques qui, comme vous, ont fait campagne pour le Brexit prônaient plus de mondialisation. N’y a-t-il donc pas une contradiction flagrante au cœur du Brexit ?
Boris Johnson. Ce dilemme a bien été soulevé au cours de la campagne elle-même. Mais que voulaient les gens au fond ? Reprendre le contrôle. C’est la promesse que nous leur avons faite, et cette promesse, nous l’avons tenue. Prenez l’exemple de l’immigration. Il y a eu beaucoup de plaintes au sujet de l’augmentation dramatique des arrivées légales sur le sol britannique en 2022. Mais ceux qui s’en plaignent oublient qu’il y a eu un effondrement total dans les chiffres en 2020-2021 à cause du Covid. D’ailleurs, après le confinement, beaucoup de Britanniques se sont retirés du marché de travail. Résultat : un manque de main-d’œuvre et une inflation salariale qui ont provoqué un vent de panique. Les employeurs réclamaient à tue-tête des travailleurs pour remplir les rayons des supermarchés, tenir les stations-service et changer les lits dans les maisons de soins et les Ehpad. Certes, en 2022, nous avons surcompensé, mais de manière contrôlée, et les décisions ont été prises par le gouvernement du Royaume-Uni dans l’intérêt du Royaume-Uni.
Jeremy Stubbs, Élisabeth Lévy et Boris Johnson, à l’hôtel Grand Powers, Paris, le 19 novembre 2024. DR.
Mais le commerce international ne représente-t-il pas une menace concurrentielle pour les ouvriers et les producteurs britanniques ?
Je suis profondément libre-échangiste. C’est par le commerce que le Royaume-Uni s’est enrichi. En 1846, le Premier ministre de l’époque, Robert Peel, a aboli les Corn Laws, les lois protectionnistes sur le commerce des céréales. Cette décision a non seulement signé l’acte de naissance du Parti conservateur moderne, elle a aussi consolidé notre conviction intellectuelle selon laquelle permettre le libre-échange selon les principes d’Adam Smith et David Ricardo, c’est enrichir toute la population. Certes, à l’heure actuelle, il se peut que nos agriculteurs s’inquiètent de la concurrence, par exemple, des producteurs de bœuf australiens. Mais quand le Royaume-Uni a adhéré à l’UE en 1973, nous avons réduit nos échanges avec notre ex-colonie – sur l’insistance des Français – de manière si brutale que des agriculteurs australiens se sont suicidés. Aujourd’hui, je pense que l’agriculture britannique peut se montrer suffisamment compétitive face aux produits importés, en termes aussi bien de qualité que de prix. Au lieu de craindre les importations, nous devrions être des champions de l’exportation. Un des grands problèmes de ces dernières années a été l’inflation des denrées alimentaires. Le libre-échange nous aide à baisser les prix, et le Brexit nous permet de mettre en œuvre une politique adaptée. Je serais même pour importer le bœuf aux hormones : les Canadiens en mangent beaucoup et ils vivent plus longtemps que les Britanniques. S’y opposer, c’est du mumbo jumbo (« raconter des sornettes »).
Au lendemain du référendum de 2016, quelle a été votre attitude en apprenant que vous aviez gagné ? Aviez-vous peur de votre propre victoire ?
La marge, 51,89 % contre 48,11 %, était « numériquement faible » selon le mot de Mitterrand après les élections législatives de 1986, mais j’étais ravi et très enthousiaste. À ma grande déception, tout a presque immédiatement tourné au cauchemar. Le Premier ministre, David Cameron, qui avait décidé ce référendum, n’avait pas de plan en cas de défaite de son camp, le « Remain », et il a démissionné du jour au lendemain. La grande question n’était donc plus celle de savoir comment réussir le Brexit, mais qui deviendrait Premier ministre ? J’ai tout de suite candidaté, mais mon ancien partenaire de « Vote Leave », Michael Gove, qui devait diriger ma campagne, a finalement décidé de se présenter lui aussi, ce qui a saboté nos deux candidatures. La troisième candidate, Andrea Leadsome, la ministre d’État à l’Énergie, s’est sabordée toute seule par une gaffe. Seule Theresa May, jusque-là ministre de l’Intérieur, restait en lice. Elle avait soutenu le « Remain », mais assez mollement, et les gens croyaient qu’elle s’avérerait peut-être Brexit-compatible. Leader par défaut, manquant de conviction, elle n’a pas su résister à la pression des négociateurs de l’UE.
Avec le recul, qu’est-ce que vous auriez fait différemment ?
J’aurais fait plus d’efforts pour rester Premier ministre en 2022. Quand on réalise une grande transformation comme le Brexit, il faut faire le service après-vente, pour ainsi dire. Il faut continuer à en montrer les avantages pour les citoyens, négocier de nouveaux accords commerciaux, profiter du fait de ne plus être assujetti aux règles de Bruxelles, comme je l’ai fait avec le lancement rapide du programme de vaccination pendant la pandémie. Rishi Sunak, malgré ses mérites, n’a jamais été un Brexiteur messianique. Devenu Premier ministre, il a cessé complètement de parler du Brexit.
Vous racontez que Donald Trump parlait, au sujet d’Emmanuel Macron, de « Lil’ Emmanuel, 90 pounds of fury » (« le petit Emmanuel , 50 kilos de nerfs »). Quelles étaient vos relations avec notre président ?
Lui qui a travaillé pour Rothschild & Cie a le profil classique d’un banquier londonien : très compétent, très charmant. Je crois qu’il adore la Grande-Bretagne et pour cette raison le Brexit l’a blessé et mis en colère. Il voulait nous punir, craignant que le Brexit soit contagieux en Europe. Je me cassais la tête pour trouver des initiatives de coopération anglo-française, mais il n’en voulait pas.
Derrière les émeutes cet été en Angleterre et en Irlande du Nord, suite aux assassinats de Southport, on sent une vraie frustration populaire. S’agit-il d’un jugement sur votre politique migratoire ?
Non, le vrai problème, c’est plutôt le sentiment qu’avaient beaucoup de citoyens de ne pas être écoutés, qu’on considère leurs inquiétudes comme vulgaires, racistes et illégitimes. Concernant l’affreuse tuerie de Southport, il s’avère maintenant que la motivation de l’accusé était plus trouble qu’on ne nous le laissait croire à l’époque [en octobre les autorités ont révélé qu’il possédait un manuel djihadiste]. La violence des émeutes était injustifiable, mais elle traduisait l’inquiétude générale au sujet de l’immigration illégale, et le Premier ministre travailliste, Keir Starmer, semblait dire aux gens qu’il s’en fichait. Il a laissé tomber mon projet d’envoyer les migrants clandestins au Rwanda.
Starmer a appelé à punir les émeutiers très sévèrement. Auriez-vous fait la même chose ?
Quand j’étais maire de Londres en 2011, on a puni les responsables des émeutes violentes qui ont eu lieu cette année-là. Mais sous Starmer la réaction des autorités paraît souvent disproportionnée. On jette en prison des grand-mères coupables d’avoir publié des messages provocateurs, mais dénués de lien direct avec les débordements. Et on libère des violeurs et des assassins pour faire de la place dans les prisons pour incarcérer les émeutiers. Aujourd’hui au Royaume-Uni, la police débarque – comme le faisait la Stasi – chez des journalistes et des citoyens ordinaires en annonçant : « Quelqu’un s’est senti offensé par l’un de vos posts sur les réseaux sociaux. Même si nous n’avez pas commis de crime, ce fait sera enregistré sur votre casier judiciaire comme un “incident de haine non criminel” ». La liberté d’expression est en jeu et les électeurs en ont marre de cette censure. Pourquoi Trump a-t-il gagné dans tous les États pivots ? Parce que les gens en ont ras le bol de la cancel culture et du wokisme.
Mais vous étiez au pouvoir précisément à l’époque des statues déboulonnées et de la montée du transgenrisme. Avez-vous fait assez pour contrer ces excès ?
En 2020, j’ai condamné très fermement les dégradations de nos monuments nationaux et la tentative de la BBC de marginaliser les chansons patriotiques lors du grand concert populaire de septembre (« The Last Night of the Proms »). Quant à la question des trans, j’avoue avoir été initialement dépassé. Le phénomène me semblait si minoritaire que je ne comprenais pas pourquoi on en faisait si grand cas. Quand j’étais jeune, il n’y avait pratiquement pas de transsexuels. Certains de mes propres enfants – ceux ayant la vingtaine – se mettaient en colère contre moi, me reprochant de ne pas « soutenir les trans ». Mais j’ai fini par comprendre qu’il y avait bien une érosion des libertés – celles des femmes biologiques qui, comme l’a expliqué si clairement J. K. Rowling, ont droit à leurs propres espaces et à être traitées différemment des hommes. J’ai donc commandé un rapport à une pédiatre, Hilary Cass, qui a conduit à la fermeture de la clinique londonienne spécialisée dans le traitement de la dysphorie de genre et prescrit la plus grande prudence dans l’usage des bloqueurs de puberté pour les jeunes. Le bon sens a fini par prévaloir.
Certains prétendent que, en avril 2022, vous vous êtes rendu à Kiev expressément pour persuader Volodymyr Zelensky de ne pas signer un accord de paix qui se négociait à ce moment-là avec la Russie et qui aurait pu épargner aux combattants des années de guerre.
Le but de ma visite était de rassurer Zelensky personnellement, de lui montrer que le soutien occidental à l’Ukraine serait réel et continu. Pour sa part, Zelensky n’allait en aucun cas conclure un accord avec Poutine à ce moment-là. Cette histoire est un pur mensonge, inventée par le Kremlin à des fins de propagande.
Aujourd’hui, vous êtes probablement le dernier dirigeant politique à être un homme de grande culture, formée aux lettres classiques. Vous sentez-vous seul ?
Si ce que vous dites est vrai, c’est triste. Qui est-ce qu’il y a d’autre ? Elon Musk parlait récemment du « piège de Thucydide » d’après le livre de Graham Allison[1] qui prétend que la guerre entre les États-Unis, la superpuissance établie, et la Chine, sa rivale qui monte, est aussi inévitable que celle entre Sparte et Athènes. Sauf que l’auteur se mélange les pinceaux : Athènes était la démocratie, comme l’Amérique, et non Sparte. Mon arrière-grand-père, qui était le ministre de l’Intérieur du dernier Sultan, était un grand champion de l’éducation classique et voulait relancer les grands textes latins et grecs en Turquie. J’espère que mes arrière-petits-enfants prolongeront la tradition. Mon ambition sera de trouver un successeur qui vengera les classiques. Comme le dit Didon dans l’épopée de Virgile : « Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor ! » [« Lève-toi, vengeur inconnu né de mes ossements ! » Virgile, Enéide, IV, 625]. Nous avons besoin des classiques qui constituent le fondement de notre civilisation. Les perdre serait un désastre. Sans eux, comment nous distinguer des autres ?
Comptez-vous revenir en politique un jour ?
Sa Majesté la reine Elisabeth m’a dit, au cours d’un de nos entretiens : « Il ne s’agit pas d’être populaire, il s’agit d’être utile. » J’ai déjà accompli beaucoup, je ne reviendrai que si je peux être utile.
L’écrivain franco-algérien est l’otage d’un régime totalitaire qui profite de nos lâchetés. Pour son ami Arnaud Benedetti, le soutenir est un devoir moral et une nécessité vitale.
Que dire de Boualem Sansal, si ce n’est qu’il est un esprit libre, un esprit spontanément amical, un esprit curieux qui pour être l’un de nos plus grands écrivains francophones ne joue jamais au « grand écrivain », ne pontifie jamais, ne prend jamais aucune posture. Sa simplicité est le gage de son authenticité, et cette authenticité est le signe de la seule autorité qui, dans notre monde d’artifices, fasse foi. Sansal est tellement libre dans sa tête qu’il pensait l’être jusqu’en Algérie, non pas en raison d’un régime qui ne peut l’être structurellement, mais parce qu’il estimait que sa parole, là-bas, n’avait que peu de poids. Sans doute a-t-il sous-estimé, lui ce grand modeste, ce vrai gentil, la force de ses mots. On n’écrit jamais impunément, dès lors que l’on est tout de sincérité, et que cette sincérité s’indexe sur une certaine forme de naïveté. Le paradoxe de Boualem est d’être tout à la fois trop bon et trop conscient de la charge du monde. Il se refuse à croire possibles toutes les perversités de ses contemporains, il sous-estime les dangers qui le guettent, alors qu’il ne manque pas de saisir ceux qui menacent notre époque. Cette dissonance constitue le piège qui, à tout moment, pouvait se refermer sur sa destinée. Les dieux n’oublient jamais de nous rappeler à notre condition. Ils nous soufflent…
À la fois libre et trop conscient de la charge du monde
Certains, en France, s’interrogent sur cette expression franche et lucide à laquelle Boualem Sansal s’astreint pour ne jamais renoncer à sa liberté, cette manière débonnaire d’aller à la vérité avec fatalité et décontraction ; ils sèment les graines du soupçon. Que leur dire ? Ce n’est ni le lieu et encore moins le moment, mais leur absence de générosité n’est même pas compensée par la subtile compréhension d’une situation. Ils parlent dans le confort de l’idéologie bien-pensante, assis dans les salons de leurs certitudes, celles qui ne coûtent rien et rapportent gros socialement. Ils parlent d’un homme que l’on a enfermé dans l’obscurité d’un cachot, d’un homme dont la seule richesse est d’écrire, de témoigner, de lancer des bouteilles à la mer dans un océan de quasi-indifférence occidentale, d’un homme qui, de son Orient natal, prend tous les risques pour nous alerter.
Sur la ligne de crête de l’histoire, là où grondent les rumeurs de la tragédie, il scrute, forant toujours plus loin dans les profondeurs de temps immémoriaux, pour mieux saisir ce que les civilisations ramènent, tel un ressac, à la surface de leurs obsédants imaginaires. On ne connaît bien le monde qu’en ne le réduisant pas à des abstractions. Ce que dit Sansal, c’est précisément ce qu’il voit, ce qu’il vit, ce qu’il touche au quotidien. Il a connu l’Algérie sous toutes ses coupes géologiques : celle de l’indépendance et du FLN tiers-mondiste, celle de la bureaucratie paralysée et paralysante, celle des compromissions de tous les jours avec les oligarchies militaro-policières, celle des convulsions d’une guerre civile contre l’islamisme dont il a expliqué qu’il n’était que la suite logique d’une pratique du pouvoir qui l’avait nourri… Sans doute est-ce parce qu’il a révélé ce secret de famille, cette genèse indicible, qu’il a touché là à un nerf sensible de la société algérienne. Pour vivre sans inquiétude, il ne faut pas remuer la bête dirigeante dans ses contradictions. C’est un choix que beaucoup font, la majorité même, mais d’autres, parce qu’ils ne peuvent se résoudre à un éloignement qu’ils jugeraient coupable, dès lors que leur conscience leur dicte d’affronter le réel les yeux ouverts, ont pris de ces chemins escarpés qui mènent à la plus grande mais à la plus dangereuse des lucidités.
Un veilleur
Sansal est un veilleur, et c’est ainsi qu’il faut l’imaginer dans sa cellule, continuant son combat avec la stoïque détermination de ceux que l’on ne peut véritablement enfermer. Pour autant, c’est à cette souffrance fraternelle qu’il nous faut penser, à lui l’ami, qui, dans la solitude du prisonnier, ne doit point trop savoir ce que nous, de l’autre côté de la Méditerranée, nous faisons pour lui ; lui qui a tant fait pour nous. Il est l’otage non seulement d’une relation aussi torturée que torturante dont il a saisi avec fulgurances les arcanes complexes, mais aussi des haines recuites des uns et des lâchetés persistantes des autres. À ceux qui doutent et qui savent que là-bas, comme le disait Camus, il y a « les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l’amour, pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer », un homme attend d’eux, du fond de ses doutes et de ses espoirs, que l’on ne renonce pas à lui parce que cela ne serait rien d’autre que de renoncer à nous-même et au bien le plus précieux qu’il nous soit donné de préserver : notre raison, condition de notre dignité. Oui, soutenir Boualem Sansal est non seulement un devoir moral mais une nécessité vitale. Alors soutenons-le, sans réserve et sans trembler. Sa dissidence est la nôtre.
En excluant LFI et le RN de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron se place désormais en adversaire déclaré de son peuple, estime notre chroniqueur. Sa réponse à la crise démocratique, qui marginalise une partie des citoyens, sera de l’aggraver…
Président de tous les Français, voici Emmanuel Macron instigateur d’une tambouille autour de la désignation, demain dit-on, du nouveau Premier ministre. Celui-ci aura pour mission d’ignorer près de 50% de l’électorat représenté par les deux partis parias. Jeudi dernier, Macron les a qualifiés d’« antirépublicains » parce qu’ils ont voté la censure contre Michel Barnier.
Les tractations de la honte
Hier, le spectacle offert par les 25 adoubés du Parrain, reçus à l’Élysée pour faire allégeance, a donné la mesure de l’effondrement de la classe politique, de la fonction présidentielle, de la Ve République. Présente lors de ces tractations de la honte, la droite de Laurent Wauquiez s’est laissée associer aux socialistes, aux communistes et aux écologistes, qui n’ont rien à envier aux indésirables mélenchonistes. La gauche minoritaire, PS en tête, a été priée par le chef de l’État de lui assurer sa propre survie. Mission apparemment acceptée par les pu-putschistes, au prix d’une trahison avec LFI faiseur de rois, d’une poignée de promesses et de quelques postes sans doute. Ce qui revient à admettre que le front républicain d’hier, qui a fait trébucher le RN au second tour des législatives après 217 désistements, était une mascarade, un abus de confiance. Mais qui en doutait ?
La psychologie perverse de Macron se retrouve dans ce projet illisible de gouvernement de désunion nationale. Le président aura mis son zèle diabolique, derrière des discours sur la concorde et l’apaisement, à monter les uns contre les autres pour se maintenir au centre. La fracture entre les élites et les gens ordinaires doit beaucoup au choix précoce du chef de l’État de faire taire la « foule haineuse » et les « populistes ». Reste à savoir si Bruno Retailleau, seule figure de rupture avec le conformisme progressiste, saura retrouver sa place dans cette coalition des contraires qui s’annonce. Elle n’aura comme obsession que des intérêts particuliers et des revanches à prendre. Les compromis avec la gauche et ses extrêmes ne pourront s’accorder, si Retailleau devait être reconduit à l’Intérieur, avec une politique de fermeté contre l’immigration de peuplement, une remise en question du périmètre de l’aide médicale aux clandestins ou une lutte contre les Français de papier qui menacent de reprendre le djihad contre l’Occident après la chute, le 8 décembre, du régime dictatorial syrien de Bachar el-Assad et la prise de pouvoir de l’islamiste Abou Mohammed al-Jouhani, adepte de la charia. En fait, cette droite-là est en voie de disparition. Ce ne sont pas les manœuvres de Wauquiez pour tenter d’écarter Retailleau de la lumière en vue des prochaines présidentielles qui vont rehausser cette formation en déclin, appelée ces jours-ci à cautionner la gauche. Ce mercredi matin sur RTL, Éric Ciotti a fustigé « le spectacle lamentable à l’Élysée de ceux qui ont mis la France à genoux ». Tout serait clarifié si toute la droite acceptait enfin de se retrouver, à l’image de ce que fait la gauche depuis des décennies. Cela s’appellerait l’union des droites…
Après Strasbourg en 2014 et Marseille en 2023, le pontife argentin poursuit ses visites périphériques en France. Il semble ainsi affirmer un soutien au peuple des territoires, contre des élites parisiennes qu’il accuserait de tous les maux… C’est à croire que la France représenterait à ses yeux à la fois l’esprit colonial et celui des Lumières, la laïcité en étant la synthèse emblématique. L’analyse de Renée Fregosi.
Au demeurant, il est vrai que la Corse est sans doute aujourd’hui la région française à la catholicité la plus affirmée (bien que plus ou moins fortement teintée de superstition). On y constate en effet depuis plusieurs années un regain des pratiques religieuses traditionnelles. Multiplication des confréries, participation en hausse dans les processions, les bénédictions (des rameaux ou des flots au printemps), les offices en général (pas seulement pour la messe de minuit à la Noël), mais aussi l’exorcisme contre « le mauvais œil » ou le port de scapulaires qui touchent à nouveau toutes les couches de la société insulaire. Tandis que les cloches des églises y sonnent et carillonnent régulièrement.
Or, ce catholicisme revivifié, s’il n’est pas directement induit par la poussée remarquable du nationalisme corse, y est manifestement corrélé. Que le mouvement nationaliste dans sa diversité (du corsisime à l’indépendantisme, en passant par toutes les nuances de l’autonomisme) ait fait du Dio vi salvi Regina son hymne, en est le signe le plus évident. Les nationalistes ont su instrumentaliser au profit de leur cause, le potentiel indéniablement mobilisateur exaltant de ce splendide chant marial dont la mélodie émeut jusqu’aux plus athées de ses auditeurs. La visite du pape en Corse représente donc inévitablement un soutien au moins tacite aux contempteurs de « l’État français » et de ses élites dirigeantes.
Une Eglise pauvre pour les pauvres
S’inscrivant dans la ligne de François d’Assise, ce pape militant « d’une Église pauvre pour les pauvres » se veut du côté « des petits contre les gros » et à ce titre il n’aime pas les tenants des institutions ni les « intellectuels ». Il prend ainsi systématiquement le contre-pied de son prédécesseur Benoît XVI, brillant théologien et partisan d’un traditionalisme clérical éclairé, dont le choix du nom papal était lui aussi signifiant de son orientation théologico-politique. Joseph Ratzinger pensait en effet que sans Benoît de Nursie (Saint Benoît) dont « la règle » a fondé au VIème siècle le monachisme en Occident, notre culture européenne n’était pas pensable, et que la connaissance guidée par la raison et l’ascèse religieuse se soutenaient l’une de l’autre.
Tandis que le pape Benoît XVI prenait clairement parti pour la défense de la culture occidentale et s’engageait résolument dans la poursuite du dialogue et le renforcement de « la collaboration avec les fils et les filles du peuple juif », son successeur marque résolument sa défiance à l’égard de l’Occident et son soutien aux ennemis déclarés d’Israël. Certes, le tropisme populiste du pape François trouve sans doute son origine dans le péronisme toujours si prégnant en Argentine. Toutefois, en cochant toutes les cases du Sud global, décolonial, anti-occidental, pourfendeur de tous les « privilégiés », ne mettrait-il pas plutôt ses pas dans ceux des pires autocrates manipulant cette nouvelle figure idéologique mobilisatrice ?
L’occident ne doit pas « exporter » sa démocratie…
Certes, en estimant que l’avenir de l’Église catholique se joue à présent en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et non plus en Europe, et a fortiori aux États-Unis, le vicaire du Christ fait un choix peut-être judicieux d’un point de vue quantitatif. Mais sa préférence pour ce que l’on appelait autrefois le tiers-monde, n’est pas seulement pragmatique. En affirmant comme il le fait dans son ouvrage No sei solo, paru en octobre 2023, que « l’Occident ne doit pas exporter sa démocratie », le pape tient un propos typique du néo-tiers-mondisme antidémocratique d’aujourd’hui. En clamant « retirez vos mains de l’Afrique ! Arrêtez d’étouffer l’Afrique, ce n’est pas une mine à dépouiller ou un terrain à piller ! » en 2023 lors d’une visite au Congo, le pape François ne s’adressait pas aux compagnies chinoises ou aux mercenaires russes, mais aux Occidentaux qui selon lui continueraient à bénéficier du privilège colonial.
Car les prises de positions du pape François sur la scène internationale ne penchent pas seulement en faveur des pays pauvres mais aussi des pires autocrates de la planète. Ainsi, son souci œcuménique, n’est peut-être pas seul en cause dans la poursuite du dialogue avec le très politique patriarche russe Cyrille alors que Poutine ne cède rien à sa volonté de domination de l’Ukraine. Quant à son acquiescement à l’Église officielle chinoise tandis que les persécutions des catholiques indépendants se poursuivent, il manifeste une certaine complaisance à l’égard du pouvoir de Pékin. On peut même voir dans sa visite en Corse, une convergence avec l’offensive déstabilisatrice de la France par le président à vie azerbaïdjanais Ihlam Aliev qui soutient les indépendantistes corses dans leur projet d’inscrire la Corse sur la liste des « territoires non autonomes à décoloniser » définis au chapitre XI de la charte de l’ONU.
Un Pape propalestinien ?
Par ailleurs, dans le conflit au Moyen-Orient, qu’un pape se préoccupe de la situation humanitaire des Gazaouis, cela relève de son sacerdoce. Mais après avoir estimé que l’opération israélienne à Gaza n’était pas « proportionnée », en parlant désormais de possibilité de génocide à Gaza, le pape François se range manifestement dans les rangs propalestinistes. Or, ce soutien que le chef de l’Église catholique apporte à ceux qui prônent la création d’une Palestine libre du Jourdain à la Méditerranée en rayant Israël de la carte, est aussi gravement préjudiciable aux Chrétiens d’Orient subissant à nouveau de terribles persécutions, comme aux catholiques d’Europe dont on doit mettre les églises sous protection policière, menacées qu’elles sont par le djihadisme assassin.
Alors, valoriser « la religiosité populaire en Méditerranée », en Corse et ailleurs, pourquoi pas ? Mais religiosité signifie aussi trop souvent aujourd’hui renouer avec un antijudaïsme chrétien archaïque convergeant avec la tradition anti-juive musulmane, tout en abondant au nouvel antisémitisme du « privilège juif » cher à cette religion séculière woke du décolonial. Le pape François ne risque-t-il donc pas de donner dans cette dérive ? En donnant le sentiment qu’il prend parti contre la France, c’est en tout cas l’universalisme occidental tout entier que le pape semble mettre en accusation.
Les éditorialistes nous disaient ces derniers jours que Marine Le Pen s’était fait hara-kiri en votant la mention de censure du gouvernement avec les LFIstes. Un sondage d’opinion effectué après le vote de la censure montre au contraire qu’elle creuse l’écart et se placerait nettement devant ses adversaires si l’élection présidentielle se tenait dimanche. Mme Le Pen a déclaré à Télématin: « Je pense que les responsables politiques et les commentateurs devraient être prudents dans leurs analyses (…) Il ne faut pas qu’ils prennent leurs rêves pour la réalité ».
Un sondage Fiducial / Sud Radio / Figaro Magazine fait après la motion de censure, place Marine Le Pen au premier tour de la future élection présidentielle, avec 36 % face à Édouard Philippe qui serait à 25 % ; et à 38 % devant un Gabriel Attal à 20 %.
Les politologues désavoués
Nous sommes encore loin de 2027 mais ce sondage est éclairant pour peu que les bouleversements et les incertitudes politiques ne conduisent pas le président de la République à jeter l’éponge avant l’heure. Même s’il l’a totalement exclu récemment, cela n’avait pas toujours été sa position.
Ce sondage semble démontrer qu’il faut davantage faire confiance aux personnalités publiques en lice pour demain qu’aux analystes et aux politologues. Il est clair qu’avec son intuition, Marine Le Pen a mieux perçu les humeurs et les désirs de son électorat que tous ceux qui, en chambre, bâtissaient des théories et concluaient péremptoirement que le vote de la motion de censure par le Rassemblement national allait lui faire perdre sa respectabilité durement conquise et décourager une part de ses militants. Apparemment c’est l’inverse, sans surestimer le caractère évidemment très ponctuel de ce sondage.
Il est facile de comprendre l’erreur assez constante des journalistes politiques dans leur approche du RN. En effet, à quelques exceptions près, ils sont enclins à confondre leurs désirs avec la réalité. Ils perçoivent mal celle-ci parce qu’elle a le grand tort de ne pas se plier à leurs vœux. C’est un mouvement subtil qui, paraissant ne pas exclure lucidité et bonne foi, les conduit pourtant souvent à faire passer leurs convictions avant les froides constatations qui devraient être les leurs.
On me pardonnera mais les émissions où les analyses les plus pertinentes ont été faites sur Marine Le Pen, le vote de la motion de censure et ses conséquences possibles, ont été celles de CNews, notamment à « l’Heure des pros », par Gérard Carreyrou.
Marine satisfaite de sa « médaille d’or de l’opposition »
Il me paraît malheureusement inéluctable que la manière étrange dont le RN est traité – il n’a pas été convié aux échanges élyséens auxquels Marine Le Pen dit qu’elle ne se serait pas rendue : la dignité affirme refuser ce qui ne lui a pas été proposé ! – va amplifier son influence et lui donner, comme sa candidate l’a affirmé, la médaille d’or de l’opposition. Quoi de mieux pour un parti qui, tout en cherchant à se normaliser – au point parfois de se banaliser – se retrouve, grâce au président de la République qui n’est plus à une volte près, gratifié du statut de dissident et d’exclu !
Ce sondage dément les analyses des spécialistes parce que les citoyens mêlent à leur adhésion une infinité de considérations (soutien au RN, hostilité à l’encontre d’Emmanuel Macron, médiocrité des autres partis, volonté éperdue de changement) qui ne sont pas appréhendées dans leur globalité. Mais il ne garantit pas que Marine Le Pen sera élue en 2027.
Si elle est remarquable tactiquement et politiquement pendant le trajet, je continue à penser que sa limite est de ne jamais l’être le jour J, arrivée à destination. Comme s’il y avait quelque chose chez elle qui la perturbait, la peur de gagner ? Non pas qu’elle ne le veuille pas, comme son père il y a des années, mais l’imminence de la victoire à portée démocratique l’entrave au lieu de la stimuler.
J’ai toujours éprouvé dans la vie intellectuelle, judiciaire, politique et médiatique une certaine méfiance à l’égard des prétendus sachants, des experts qualifiés, des doctes journalistes, de tous ceux qui prétendent nous enseigner ce que notre esprit, notre sensibilité et notre culture nous ont déjà appris. Ce n’est pas ce sondage qui me guérira…
Improductifs, profiteurs, paresseux, bien payés, bénéficiant d’une retraite dorée et d’arrêts maladie indus : par temps de crise, les fonctionnaires ont mauvaise presse. L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy s’érige contre les caricatures qui font porter le chapeau de la dette et de l’inertie française aux seuls agents publics.
Les boucs émissaires sont de retour. Tout le monde a le sien et chacun en a même plusieurs. Il y en a toujours eu. Ils prolifèrent particulièrement dans les pays en crise, où le besoin de trouver des responsables à ses malheurs se répand au fur et à mesure que la vie devient plus difficile pour un nombre croissant de citoyens. Cette recherche de coupables transforme les sociétés malades en creuset de rancœurs et de jalousies. C’est comme cela, c’est la nature humaine. On a beau être pétri de rationalité, on agit comme si, en se débarrassant du coupable désigné, on allait guérir de ses souffrances.
La haine du fonctionnaire est partout
Le problème c’est qu’en général le bouc émissaire est innocent. Heureusement, on ne le tue pas, sauf quand la violence collective dérape. Mais enfin l’animosité est bien là. Parmi les boucs émissaires qui pullulent de nos jours, il y a le fonctionnaire. Ah, comme nous serions heureux si nous pouvions nous en débarrasser ! C’est un vampire suçant le sang des travailleurs qui gagnent difficilement de quoi vivre à la sueur de leur front. Son salaire, c’est l’argent de nos impôts. C’est un fainéant, bardé de privilèges, toujours en arrêt maladie, qui a la garantie de l’emploi à vie avec un salaire plus élevé, une retraite plus avantageuse que tout le monde et dont la charge creuse nos déficits, alourdit notre dette et plombe l’avenir de nos enfants.
Comme si le fonctionnaire ne payait pas d’impôts, faisait toujours semblant d’être malade, nageait dans l’opulence, ne produisait rien et n’avait pas d’enfants qui devront rembourser la dette ! J’exagère ? Non. Il suffit d’écouter ce qui se raconte au café du coin et se dit sur les plateaux de télévision, à l’Assemblée nationale, dans le gouvernement, dans certains partis, de lire ce qui est écrit dans les journaux : la haine du fonctionnaire est partout, comme la haine de l’État, parmi bien d’autres haines, il est vrai. Haine qu’une partie de la classe politique nourrit pour détourner d’elle la colère populaire suscitée par ses défaillances bien réelles, s’évertuant cyniquement à diviser pour régner – ce qui est la pire des politiques qui soit. Travailleurs indépendants contre salariés, retraités contre actifs, urbains contre ruraux, banlieusards contre habitants des centres-villes, salauds de pauvres contre salauds de riches, salariés du privé contre ceux du public…
Qu’importe que les fautes du bouc émissaire soient imaginaires. Plus le mensonge est gros et mieux il passe. Que l’actualité nous livre un vrai coupable, fraudeur, tricheur, profiteur, délinquant, et tous ceux qui lui ressemblent deviennent coupables : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère! » Un fonctionnaire est coupable, ils le sont tous, car le fonctionnaire n’a pas de nom, ni de visage, il n’est qu’un statut, un statut de privilégié. On se demande pourquoi avec tous les privilèges qu’on lui prête, on peine tant à en recruter dans la plupart des métiers de la fonction publique, raison pour laquelle le nombre de candidats aux concours, donc leur sélectivité, s’est effondré.
Et si c’était parce que leurs conditions de travail se sont considérablement dégradées comme celles des policiers, des enseignants, des soignants, dans un État ravagé par les lubies du management et les cost-killers, dont les méthodes tuent les services publics autant que les entreprises ? Parce qu’à qualification égale, ils sont moins bien payés que dans le privé avec un écart qui se creuse quand on monte dans la hiérarchie des qualifications ? Parce que le point d’indice de la fonction publique a été gelé de 2010 à 2023 et que cela a considérablement amputé leur pouvoir d’achat en début de carrière ?
Un drôle de privilège
En 2023, on a fini par revaloriser le point d’indice, mais de moins que l’inflation de l’année, et beaucoup de gens ont crié au scandale et dénoncé un cadeau aux fonctionnaires. Quel cadeau ? Plus le mensonge est gros… On me dira qu’ils se rattrapent sur leur retraite avec un mode de calcul beaucoup plus favorable que celui du privé. On oublie que ce mode de calcul est destiné à compenser le fait que les primes, qui représentent une partie très importante de la rémunération, ne sont pas prises en compte et qu’en définitive, le taux de remplacement du salaire est à peu près le même. Encore un privilège qui n’existe pas. Qu’importe la vérité. Plus le mensonge est gros…
Ah, mais il y a aussi les arrêts maladie. Le fonctionnaire territorial, ce fainéant, « ce pelé, ce galeux », comme dirait La Fontaine, en prendrait beaucoup plus que le salarié du privé, qui a trois jours de carence quand l’agent public n’en a qu’un. C’est ce que dit un rapport officiel. Privilège inacceptable ! Sauf que ce rapport dit aussi que les agents de l’État et de la fonction publique hospitalière n’en prennent pas plus que les salariés du privé.
Enfin, il paraît que le fonctionnaire ne produit rien et que seuls les emplois dans les entreprises apportent de la richesse. Cela voudrait dire que l’infirmière libérale produirait de la richesse tandis que l’infirmière de l’hôpital ne serait qu’une charge; que l’agent de sécurité salarié d’une entreprise privée produirait de la richesse tandis que le policier ne serait qu’une charge; que l’enseignant du privé produirait de la richesse et que celui du public ne serait qu’une charge. Et que dire du chauffeur du bus scolaire engagé par la mairie, de plus en plus difficile à trouver, et sans lequel beaucoup d’enfants ne pourraient pas aller à l’école et de parents arriver à l’heure à leur travail ? A-t-on jamais vu un raisonnement économique plus absurde que celui qui fait de l’agent public un improductif qui se gaverait de nos impôts ? Plus le mensonge est gros…
Je conclurai ce billet d’humeur en remarquant que ceux qui tapent sans arrêt sur les agents publics passent leur temps à en réclamer davantage pour les soigner, les protéger, les secourir, faire rouler les trains, instruire leurs enfants et pour tant d’autres choses.
Ah, « mon cher et vieux pays » perdu dans ses contradictions, les mensonges de ses faux prophètes et les vieux démons des sociétés malades !
En s’attaquant au cinéma de genre, Noémie Merlant pensait-elle défendre le genre féminin ? Raté
Noémie Merlant est comédienne. Depuis peu, Noémie Merlant est cinéaste. Demain, peut-être, sera-t-elle aux côtés d’Adèle Haenel la porte-parole du féminisme au cinéma. Pour l’instant, elle nous arrive avec sa deuxième réalisation explicitement intitulée Les Femmes au balcon, une fiction marseillaise qui se veut un film de genre, en l’occurrence très genré : tous les hommes y sont des crétins décérébrés. Jusque-là tout va bien. Mais Noémie Merlant s’est-elle bien rendu compte que toutes les femmes qui leur font face ne valent pas mieux ? On nous rétorquera qu’elles prennent symboliquement le pouvoir, qu’elles deviennent les moteurs de l’histoire et de l’Histoire. Vraiment ? À la bêtise masculine succède l’imbécillité féminine… La belle affaire ! Rien ne vient sauver ces pauvres personnages qui crient, hurlent et se déchaînent pour un rien. Et pour rien.
On hésite en haut lieu quant au nom du futur Premier ministre. Notre chroniqueur prend de son côté le parti d’en rire.
1965. Année d’élections présidentielles d’importance et de conséquences historiques s’il en fut jamais. À l’issue du premier tour de scrutin, le général De Gaulle se trouve mis en ballotage par le candidat de gauche François Mitterrand. Surprise, surprise ! Le pays ne s’attendait guère à cela. Face à face pour le second tour entre deux hommes d’exception, certes, mais aussi deux programmes. Cependant, gardons-nous d’oublier que, pendant un temps, un troisième menu des réjouissances républicaines avait été proposé aux Français, porté par un candidat surgi de nulle part bien qu’il fît depuis deux décennies les délices de nombre de citoyens, toutes classes sociales et tous bords politiques confondus. Il est vrai que ce personnage officiait jusqu’alors dans un registre bien différent.
Cet inattendu troisième homme lança officiellement sa campagne le 9 février 1965 lors d’une conférence de presse à laquelle assistait le tout Paris de l’époque. On se pressait là pour entendre l’orateur développer sa vision des choses, exposer son plan pour la comète France, présenter sa formation politique. L’intitulé retenu pour le parti avait également de quoi surprendre : Mouvement Ondulatoire Unifié. C’était nouveau, cela changeait des appellations habituelles. Il faut dire que le génial inventeur de la chose sortait lui-même de l’ordinaire. Son nom, Pierre Dac, l’âme et l’esprit du regretté organe de presse l’Os à Moelle, alors la substantifique lecture des garnements de mon espèce.
Le slogan lancé ce jour-là et qui fut bientôt sur toutes les lèvres : « Les temps sont durs, votez M.O.U. »
Eh bien, ne pourrait-on pas considérer que c’est en quelque sorte cette ligne que semble vouloir suivre notre actuel président de la République, explorant à grand renfort de consultations les cinquante nuances de Mou à sa disposition ? Il n’en manque pas. Du mou extrême centre, du mou droite honteuse, du mou gauche repentie, du mou hybride carpe-lapin. Quel que soit le chanceux sorti du chapeau, on peut être sûr d’une chose : il y aura de l’ondulatoire dans le mouvement et de l’unifié de façade. En un mot comme en cent, l’intégral du troisième programme de 1965 mis en œuvre à soixante ans de distance. De quoi enchanter, notre Pierre Dac, jusqu’à ce jour indiscutablement le maître absolu de la discipline. À moins, bien sûr, qu’à force de se montrer si obstiné en loufoquerie dans sa conduite des affaires, le président ne finisse par le détrôner. On ne peut exclure que ce ne soit-là son ultime ambition. Il aime tant être le premier en tout !
Depuis des décennies, le mirage de la « solution à deux États » s’impose comme une évidence politique. Pourtant, derrière ce concept séduisant se cache une manipulation historique. Entre réécritures de l’Histoire, instrumentalisation des faits et dévoiement des idéaux, cette idée, présentée comme une réponse pacifique, s’avère être une menace existentielle pour l’État juif. Retour sur un siècle d’escroquerie intellectuelle et politique.
De Marine Le Pen à François Ruffin, en passant par les centristes et les habitués des plateaux télé, tous semblent s’abreuver depuis des années et sans retenue au doux poison de la « solution à deux États ». Ce stupéfiant, déguisé en vertu suprême, a trompé leur raison et effacé toute mémoire historique.Plus tragique encore, même certains Juifs – visiblement oubliés par la dignité – en deviennent les porteurs zélés, comme pour parachever l’absurdité du spectacle.
Un mirage touchant
Ces derniers jours, une grande nouvelle ravit les adeptes du palestinisme, le tandem Macron-Ben Salmane va « accompagner la création d’un État arabe en Palestine ». Mirage touchant qui repose sur une routine bien huilée : ignorer les faits, falsifier l’Histoire et remodeler la réalité au profit d’une cause prétendument juste.
Sur les plateaux télévisés, dans les amphithéâtres des universités et jusque dans les travées de l’Assemblée nationale, la grande réécriture bat son plein. On voudrait nous faire croire que les Juifs sont apparus ex nihilo en 1948, armés jusqu’aux dents, pour déraciner un peuple innocent et conquérir en quelques jours un « pays » qui n’aurait jamais été le leur.
Stop ! Il est temps d’interrompre ce délire et de mettre fin à cette amnésie collective volontairement entretenue.
La création d’un État arabe en Palestine n’est rien d’autre qu’un Cheval de Troie, savamment conçu au XXe siècle, pour légitimer poliment – mais sûrement – la haine du Juif. Il est donc urgent de comprendre pourquoi cet État, présenté comme une solution miracle, constitue en réalité une menace existentielle pour Israël et les Juifs de la Diaspora.
Pour mesurer l’ampleur de cette escroquerie palestinienne, il suffit de remonter à 1917. Cette année-là, la Déclaration Balfour engage la Grande-Bretagne à établir un foyer national juif en Palestine. Le mandat britannique sur la Palestine naît en 1920 : ce vaste territoire inclut ce qui deviendra plus tard Israël et la Jordanie. Cette promesse intervient après des siècles de colonisation ottomane et arabe.
Les Arabes arrivés en Palestine au VIIe siècle lors des conquêtes musulmanes étaient, pour l’immense majorité d’entre eux nomades et indistincts dans leur langue comme dans leur culture des autres tribus arabes de la région. Pourtant, malgré des siècles d’occupation de cette terre, jamais l’idée d’un « État palestinien » ne leur effleura l’esprit, ni à l’ouest ni à l’est du Jourdain. Aucun « État palestinien » n’a jamais existé…
Erreurs
Le retour des Juifs en Palestine change radicalement la donne. Ce territoire, laissé en grande partie à l’abandon, retrouve une fertilité et une prospérité économique inédites, fruits des efforts sionistes. Bien que les Arabes locaux profitent de ces exploits, ils voient d’un très mauvais œil le retour de ces Juifs exilés. Leur principal grief ? Ces derniers mettent à mal le panarabisme et refusent désormais la dhimmitude traditionnelle, ce statut de subordination imposé par la charia qui évite la mort.
Pour calmer les « tensions » – un mot si pratique pour euphémiser les violences arabes –, les Britanniques trahissent peu à peu l’esprit de la Déclaration Balfour. En 1922, ils décident même de diviser le mandat sur la Palestine. En guise de « remerciement » au roi Abdallah d’Arabie, fraîchement défait dans une guerre tribale et allié de la Triple Entente pendant la Grande guerre, les Britanniques lui offrent sur un plateau 77% du mandat palestinien. Cette portion devient la Transjordanie, qui deviendra le royaume hachémite de Jordanie en 1946.
Imaginez un instant que la Transjordanie ait conservé le nom de Palestine. Quel soulagement cela aurait été ! Aujourd’hui, toute discussion sur un « État arabe palestinien » serait définitivement classée. Mais non. Ce flou sémantique, né d’une simple décision de renommage, a permis l’émergence du grand coup de bluff contemporain : la revendication d’un État arabe supplémentaire à l’ouest du Jourdain.
La vérité, pourtant, est limpide. La Palestine fut divisée en 1922. À l’est du Jourdain, un État arabe a vu le jour : la Transjordanie, future Jordanie. À l’ouest, les Juifs du Yichouv, convaincus que ce partage mettrait fin aux revendications arabes, ont commis le péché – presque biblique – de croire aux vertus des concessions territoriales pour vivre en paix.
Mais l’avenir leur montrera qu’ils se sont lourdement trompés. Non seulement cette paix est restée une chimère, mais cette erreur sémantique – ne pas avoir conservé le nom « Palestine » pour la Transjordanie – a ouvert la voie à une invention : celle d’un nationalisme palestinien, conçu non pas pour justifier l’existence d’un nouvel État arabe, mais pour la destruction pure et simple d’Israël.
Quand le grand mufti pactisait avec les nazis
Depuis lors, Israël fait face à une campagne incessante d’hostilité : guerres, attentats, boycotts et pressions internationales. Sous le prétexte habile d’une « autodétermination palestinienne », le monde exige un deuxième partage de l’ancienne Palestine britannique, comme si celui de 1922 n’avait pas suffi à grignoter le territoire juif.
Pour obtenir une paix réelle, deux options s’offrent aux Arabes : accepter de vivre dans l’État-nation du peuple juif ou bien émigrer en Jordanie, le véritable Etat arabe palestinien.
L’autre raison qui accompagne l’illégitimité politique de l’État arabe en Palestine réside dans l’antisémitisme constant qui traverse le palestinisme. « Dis-moi qui sont tes leaders, et je te dirai qui tu es » : connaître ceux qui incarnent cette « cause » permet de faire toute la lumière sur la malhonnêteté de ce combat.
Dans les années 1930, il n’existait pas de nationalisme palestinien à proprement parler. Celui-ci se confondait avec le panarabisme porté en partie par le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini. Ce dernier rêvait d’un bloc panarabe incluant l’Irak, la Syrie, la Palestine et l’Égypte. À l’image des ambitions expansionnistes de l’Allemagne en Europe ou du Japon en Extrême-Orient, il envisageait un empire arabe au Moyen-Orient. La présence juive en Palestine représentait un obstacle majeur à ce projet. Pour y faire face, al-Husseini incitait régulièrement à la violence antisémite, comme en témoigne le terrible pogrom de 1929 à Hébron, commis par ses sbires.
Toute la politique arabe d’al-Husseini en Palestine peut se résumer par ses propos tenus le 21 janvier 1944 devant des SS bosniaques musulmans : « Les Juifs sont les pires ennemis des musulmans. Il existe des similitudes entre les principes de l’islam et ceux du national-socialisme. ».
Après 1948, l’identité arabe palestinienne demeure ambiguë et rattachée à la grande nation arabe. Contrairement à ce que prétendent les partisans de la « cause palestinienne », le conflit au Proche-Orient ne trouve pas son origine dans une aspiration des Arabes palestiniens à créer un État. Cette idée, selon laquelle le conflit découlerait d’un refus israélien d’accepter la création d’un État arabe palestinien depuis 76 ans, relève du fantasme.
En effet en 1964, seize ans après la création d’Israël, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) voit le jour. Mais curieusement, à ce moment-là, la Judée-Samarie alias Cisjordanie est sous contrôle jordanien, et Gaza, sous domination égyptienne. Alors, pourquoi créer une organisation « de libération » quand il n’y a rien à « libérer » sous contrôle israélien ? La réponse est simple : l’OLP n’a jamais eu pour objectif un État aux côtés d’Israël, mais bien à la place d’Israël : une Palestine exclusivement arabe, où les quelques Juifs autorisés à rester seraient de bons Dhimmis…
Cette volonté d’extermination n’était pas cachée. À ce propos, Ahmed Choukairy, premier président de l’OLP, déclarait joyeusement le 23 mai 1967 sur Radio Damas : « Il n’y aura pratiquement aucun survivant juif. » Une promesse ambitieuse, mais la guerre des Six Jours allait refroidir ses ardeurs.
Son successeur, le criminel Yasser Arafat, a repris la même ligne, avec un sens aigu de la duplicité. Bien qu’ayant reçu le prix Nobel de la paix, Arafat n’a jamais prononcé le mot « paix » en arabe. Il utilisait en revanche le terme houdna, désignant une trêve temporaire en islam, destinée à préparer les prochaines offensives. Après les accords de la soumission juive à Oslo, présentés en Occident comme une percée remarquable vers la paix, Arafat déclarait à Stockholm : « Nous planifions l’élimination de l’État d’Israël et l’établissement d’un État purement palestinien. Nous rendrons la vie insupportable pour les Juifs par une guerre psychologique et une explosion de population. »
Les accords d’Oslo, tout comme le don du Goush Kativ (bande de Gaza) en 2005, n’ont été qu’un piège supplémentaire pour Israël. Ces gestes de bonne volonté, salués avec naïveté en Occident, ont coûté des milliers de vies juives et affaibli la dissuasion israélienne. Le massacre génocidaire du 7-Octobre 2023 illustre tragiquement où mènent ces concessions. Mais certains continueront sans doute à dire qu’il faut encore « tendre la main » – peut-être pour mieux se la faire couper.
Pour conclure, quoi de mieux que les belles paroles de feu Hussein de Jordanie, à un quotidien arabe paraissant à Paris, An-Nhar al-Arabi w’al-Daouli, le 26 décembre 1981 : « La vérité, c’est que la Jordanie c’est la Palestine, et la Palestine c’est la Jordanie. »
Abou Mohammed al-Joulani (avec la feuille) prononçant le discours fondateur de Jabhat Fath al-Sham le 28 juillet 2016, et Abd al-Rahim Atoun sur sa gauche. DR.
Dans l’ombre de Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles du HTS désormais bien connu, Abd al-Rahim Atoun travaille depuis des années depuis Idlib au futur projet de société syrien, et à sa reconnaissance politique. C’est lui qui a pensé en premier qu’il fallait lisser l’image du mouvement islamiste pour se faire accepter à l’international, comme les Talibans ont su le faire en Afghanistan. Présentations.
La chute des Assad et le succès fulgurant des rebelles islamistes syriens de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont attiré l’attention sur cette milice – ou coalition de milices, pour être précis – et sur son chef, Abou Mohammed al-Jolani. Son parcours de jihadiste dans les rangs d’al-Qaïda et de Daech, en Irak et en Syrie, est bien documenté. On commence aussi à mieux comprendre ce qu’il a entrepris à Idlib entre la défaite de la rébellion en 2016-2017 et l’offensive lancée le 27 novembre dernier contre Alep.
Abou Mohammed al-Jolani est-il un homme d’État émergent, forgé dans le terrorisme et la guérilla, à l’image de figures historiques comme Hô Chi Minh, Mao ou Castro ? Ou bien est-il l’héritier d’Oussama Ben Laden et d’al-Baghdadi ? On ne sait pas non plus si la métamorphose du jihadiste est authentique ou bien une gigantesque « takiya » (dans la tradition islamique, une dissimulation temporaire des intentions religieuses), une opération de dissimulation le temps de prendre le pouvoir. Les événements récents semblent pencher en faveur de la première hypothèse. En témoignent une transition de pouvoir pacifique (quasiment mieux qu’aux États-Unis en 2021…), des ententes avec des communautés syriennes chrétiennes et chiites. Cependant des incertitudes subsistent et des craintes justifiées persistent. Des exécutions sommaires soient signalées à Lattaquié comme dans l’Est, où des cellules de Daech continuent d’opérer. Et on ignore encore si al-Jolani contrôle toujours l’ensemble des forces que HTS avait mobilisées pour prendre Damas. Ces interrogations s’expliquent en partie par les tensions internes et les défis logistiques que HTS pourrait rencontrer dans la coordination de ses opérations.
Atoun, figure religieuse et stratégique tutélaire
Pour mieux comprendre le fonctionnement des nouveaux maîtres de Damas – et non de la Syrie tout entière, dont une bonne moitié est sous contrôle kurde, turc ou encore sous celui de forces locales druzes et tribales –, il est essentiel de se pencher sur son entourage. Parmi les figures qui l’entourent et le conseillent, Abd al-Rahim Atoun (a.k.a. Abu Abdullah al-Shami) apparait comme le personnage central.
Atoun serait originaire de Syrie, vraisemblablement de la région d’Alep, une zone qui a été un bastion important pour les groupes rebelles au cours du conflit syrien. Son engagement dans le jihadisme semble lié à son contexte local et à la montée de mouvements islamistes dans cette région. Atoun est décrit comme un juriste islamique, ce qui implique qu’il a reçu une formation approfondie en études islamiques. Son rôle au sein du Conseil de la charia de HTS indique une expertise dans l’interprétation de la charia et des textes religieux, bien que les détails précis restent flous.
Plus qu’un simple érudit, Abd al-Rahim Atoun est devenu l’un des architectes les plus influents de la transformation de ce groupe. En tant que chef du Conseil de la charia de HTS et proche confident d’Abu Mohammad al-Jolani, le leader du groupe, Atoun a joué un rôle crucial dans la définition de la trajectoire idéologique, religieuse et politique de HTS.
L’importance d’Atoun provient de son double rôle d’autorité religieuse et de stratège. Son influence a été déterminante pour guider HTS depuis ses origines en tant que filiale d’al-Qaïda, connue sous le nom de Jabhat al-Nosra, jusqu’à son incarnation actuelle en tant que force militaire et politique assumant la maîtrise du destin de la Syrie. Sa réflexion stratégique pourrait avoir alimenté les efforts de réorientation du groupe, en mettant l’accent sur une évolution des objectifs jihadistes transnationaux vers une gouvernance localisée et une stabilité dans les territoires contrôlées, le tout toujours fondé sur un système politique fortement inspiré de l’islam sunnite radical.
C’est ainsi qu’Atoun, tout en reconnaissant l’efficacité révolutionnaire de la résistance chiite, l’écarte comme modèle à cause de sa critique sévère de la Révolution iranienne qui aurait trahi les sunnites. En revanche il voit dans le Hamas et les Talibans des mouvements dont la stratégie est non seulement de s’emparer du pouvoir mais de remodeler leurs sociétés respectives à travers des moyens politiques et militaires. Ce point est important, car il se trouve au cœur de sa vision politique : ce qu’il appelle le « modèle taliban ».
Tirant des leçons de la capacité des talibans à négocier avec les puissances occidentales et à reprendre le contrôle de l’Afghanistan, Atoun a plaidé pour que HTS poursuive une voie similaire. Cela implique de donner la priorité à la gouvernance locale, d’engager des relations diplomatiques avec des acteurs internationaux et de marginaliser les factions extrémistes susceptibles de saper les efforts de HTS pour se présenter comme un mouvement de résistance nationaliste. En même temps, comme en Afghanistan, ce qu’il identifie comme pragmatisme politique est indissocié d’un modèle de société islamiste.
A Idlib, Atoun a joué un rôle important dans l’établissement par le HTS d’un Gouvernement de Salut Syrien (SSG), un organisme administratif civil qui supervise la gouvernance dans les zones contrôlées par HTS. Le SSG a mis en place des initiatives telles que la réouverture des écoles, l’amélioration de l’accès aux soins de santé et l’entretien des infrastructures, dans le but de présenter HTS comme une autorité responsable en matière de gouvernance. Atoun a décrit ce modèle de gouvernance comme une application pratique des principes de la charia, adaptée aux besoins de la population locale.
Atoun a également joué un rôle crucial dans la consolidation du pouvoir de HTS en ciblant des factions extrémistes rivales. Des groupes tels que les restes de Daech, des affiliés d’al-Qaïda comme Hurras al-Din, et des factions dirigées par des étrangers comme Jund al-Sham ont été systématiquement marginalisés ou expulsés des zones contrôlées par HTS. Atoun a justifié ces actions comme étant nécessaires pour assurer la survie de HTS et pour éloigner le groupe de ses racines extrémistes.
Contradictions
Atoun est un partisan d’une normalisation des relations avec les pays occidentaux, affirmant que de telles étapes sont essentielles pour la reconstruction des zones contrôlées par HTS et pour retirer le groupe des listes internationales de terrorisme. Cependant, sa rhétorique révèle souvent des contradictions. Tout en plaidant pour une normalisation, Atoun a également prononcé des déclarations incendiaires contre l’Occident, reflétant la lutte du groupe pour équilibrer engagements idéologiques et objectifs pragmatiques. Ainsi, après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, Abd al-Rahim Atoun a exprimé des positions antisémites. Suite à l’assassinat du chef du Hamas, Yahya Sinwar, par les forces israéliennes en octobre, Atoun a publié sur Telegram une prière demandant à Dieu de « déshonorer les Juifs, de les opprimer et de les maudire, ainsi que ceux qui les ont soutenus ».
L’influence d’Atoun s’étend aux relations de HTS avec les puissances régionales, en particulier la Turquie. En 2017, HTS a accepté l’établissement de postes d’observation turcs le long de ses frontières, un compromis qu’Atoun a défendu comme nécessaire. Son approche pragmatique a mis l’accent sur l’importance de « plier sous la tempête » pour naviguer dans les défis et maintenir l’influence de HTS. Atoun a publiquement reconnu le rôle de la Turquie dans la protection des territoires contrôlés par HTS contre les attaques du régime, qualifiant les déploiements turcs de « parapluie protecteur ».
Rapports de bon voisinage
Les relations entre le HTS et la Turquie sont un exemple à la fois des contraintes et de l’habileté de ses dirigeants. En 2017-2020, la Turquie a renforcé sa présence militaire à Idlib pour contrer les avancées du régime syrien soutenu par la Russie. Cette situation a conduit, comme nous l’avons vu plus haut, à une coopération tacite avec HTS pour maintenir le statu quo. Cependant, des divergences sont apparues, notamment concernant le contrôle des routes stratégiques (les autoroutes M4 et M5), où la Turquie a cherché à établir des patrouilles conjointes avec la Russie, une initiative qui a fortement déplu à HTS.
Les relations se sont tendues alors que la Turquie tentait de restructurer les groupes rebelles sous son influence directe. Concrètement, Ankara a essayé de subjuguer HTS à l’Armée nationale syrienne, une milice sous son contrôle. Des affrontements ont eu lieu entre les factions soutenues par la Turquie et HTS, jusqu’à ce qu’un accord reconnaissant les intérêts et la position de ce dernier soit trouvé.
La vision d’Atoun pour HTS reflète une stratégie plus large visant à repositionner le groupe en tant qu’insurrection localisée centrée sur la Syrie plutôt qu’en tant que menace extrémiste mondiale. Cette perspective s’aligne avec les efforts visant à obtenir des financements de la part des monarchies du Golfe et à attirer l’attention des acteurs internationaux pour une reconnaissance politique.
Dans un discours prononcé en 2022, Atoun a souligné la nécessité d’un engagement pragmatique avec les puissances régionales, exhortant les membres et les partisans de HTS à comprendre les politiques d’Ankara dans leur contexte stratégique plus large.
Les contributions idéologiques et stratégiques d’Atoun ont été essentielles dans la transformation de HTS d’une milice en force politique capable de s’assurer un rôle dans l’avenir de la Syrie.
Comme al-Jolani, Atoun réfléchit d’abord en politique, c’est-à-dire en tant qu’homme de pouvoir. Sa priorité est toujours le contrôle et l’autonomie d’action. Les ruptures successives avec al-Qaïda et Daech, les tensions et le bras de fer avec la Turquie – dont, enfermé à Idlib, le HTS dépendait ! – n’ont jamais eu pour cause des questions d’idéologie mais de pouvoir et de stratégie. La question qui reste ouverte est de savoir ce que va devenir ce fameux modèle de société inspiré des Talibans. S’agira-t-il d’afghaniser la Syrie, ou bien de syrianiser les Talibans, c’est-à-dire d’adapter ce modèle à une société totalement différente ? Pour l’instant, al-Jalouni a des questions plus pressantes à régler.
BoJo était de passage à Paris à l’occasion de la publication de ses mémoires. L’ancien Premier ministre britannique a reçu Causeur pour évoquer le Brexit, la politique migratoire de ses successeurs et l’importance de la culture classique pour notre identité européenne. Sans oublier ses relations avec Emmanuel Macron et la sagesse de la reine Elizabeth…
Boris Johnson est l’homme du Brexit. Né en 1964, il fréquente l’École européenne de Bruxelles et le lycée privé très sélect d’Eton, avant de décrocher un diplôme en lettres classiques à l’université d’Oxford. Il entame ensuite une carrière de journaliste notamment comme correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles, où il donne libre cours à son euroscepticisme, et ensuite comme rédacteur en chef du prestigieux magazine The Spectator. En 2001, il est élu député conservateur pour la première fois, mandat dont il démissionne en 2008 pour devenir maire de Londres. Après deux mandats à ce poste, il est réélu député en 2015 et, l’année suivante, lors du référendum sur le Brexit, il est la figure de proue de la campagne victorieuse contre l’UE. Nommé ministre des Affaires étrangères par Theresa May, il démissionne en 2018 pour protester contre la politique de sortie de l’UE menée par cette dernière. Quand May démissionne en 2019, Johnson la remplace comme chef de parti et Premier ministre. Il réussit à négocier un accord avec l’UE et triomphe aux élections générales de décembre. Fin 2021 éclate le scandale du « Partygate », où il se voit accusé d’avoir toléré des rassemblements festifs à Downing Street et ailleurs en contravention des restrictions sanitaires imposées par son gouvernement pendant la pandémie. Après les démissions en cascade de ses ministres en juillet 2022, il est contraint d’annoncer sa propre démission. Un an plus tard, une commission parlementaire le condamne sévèrement pour avoir – selon elle – fait des déclarations trompeuses devant la Chambre des communes. Dénonçant une parodie de justice, il renonce à son mandat de député. Il vient de publier chez Stock Indomptable, où il livre sa vérité sur ses années au pouvoir.
Causeur. De nombreux citoyens, notamment dans les régions « laissées-pour-compte », qui ont voté pour quitter l’UE en 2016 et qui vous ont élu triomphalement en 2019, voulaient moins de mondialisation et plus de protectionnisme. Tandis que les politiques qui, comme vous, ont fait campagne pour le Brexit prônaient plus de mondialisation. N’y a-t-il donc pas une contradiction flagrante au cœur du Brexit ?
Boris Johnson. Ce dilemme a bien été soulevé au cours de la campagne elle-même. Mais que voulaient les gens au fond ? Reprendre le contrôle. C’est la promesse que nous leur avons faite, et cette promesse, nous l’avons tenue. Prenez l’exemple de l’immigration. Il y a eu beaucoup de plaintes au sujet de l’augmentation dramatique des arrivées légales sur le sol britannique en 2022. Mais ceux qui s’en plaignent oublient qu’il y a eu un effondrement total dans les chiffres en 2020-2021 à cause du Covid. D’ailleurs, après le confinement, beaucoup de Britanniques se sont retirés du marché de travail. Résultat : un manque de main-d’œuvre et une inflation salariale qui ont provoqué un vent de panique. Les employeurs réclamaient à tue-tête des travailleurs pour remplir les rayons des supermarchés, tenir les stations-service et changer les lits dans les maisons de soins et les Ehpad. Certes, en 2022, nous avons surcompensé, mais de manière contrôlée, et les décisions ont été prises par le gouvernement du Royaume-Uni dans l’intérêt du Royaume-Uni.
Jeremy Stubbs, Élisabeth Lévy et Boris Johnson, à l’hôtel Grand Powers, Paris, le 19 novembre 2024. DR.
Mais le commerce international ne représente-t-il pas une menace concurrentielle pour les ouvriers et les producteurs britanniques ?
Je suis profondément libre-échangiste. C’est par le commerce que le Royaume-Uni s’est enrichi. En 1846, le Premier ministre de l’époque, Robert Peel, a aboli les Corn Laws, les lois protectionnistes sur le commerce des céréales. Cette décision a non seulement signé l’acte de naissance du Parti conservateur moderne, elle a aussi consolidé notre conviction intellectuelle selon laquelle permettre le libre-échange selon les principes d’Adam Smith et David Ricardo, c’est enrichir toute la population. Certes, à l’heure actuelle, il se peut que nos agriculteurs s’inquiètent de la concurrence, par exemple, des producteurs de bœuf australiens. Mais quand le Royaume-Uni a adhéré à l’UE en 1973, nous avons réduit nos échanges avec notre ex-colonie – sur l’insistance des Français – de manière si brutale que des agriculteurs australiens se sont suicidés. Aujourd’hui, je pense que l’agriculture britannique peut se montrer suffisamment compétitive face aux produits importés, en termes aussi bien de qualité que de prix. Au lieu de craindre les importations, nous devrions être des champions de l’exportation. Un des grands problèmes de ces dernières années a été l’inflation des denrées alimentaires. Le libre-échange nous aide à baisser les prix, et le Brexit nous permet de mettre en œuvre une politique adaptée. Je serais même pour importer le bœuf aux hormones : les Canadiens en mangent beaucoup et ils vivent plus longtemps que les Britanniques. S’y opposer, c’est du mumbo jumbo (« raconter des sornettes »).
Au lendemain du référendum de 2016, quelle a été votre attitude en apprenant que vous aviez gagné ? Aviez-vous peur de votre propre victoire ?
La marge, 51,89 % contre 48,11 %, était « numériquement faible » selon le mot de Mitterrand après les élections législatives de 1986, mais j’étais ravi et très enthousiaste. À ma grande déception, tout a presque immédiatement tourné au cauchemar. Le Premier ministre, David Cameron, qui avait décidé ce référendum, n’avait pas de plan en cas de défaite de son camp, le « Remain », et il a démissionné du jour au lendemain. La grande question n’était donc plus celle de savoir comment réussir le Brexit, mais qui deviendrait Premier ministre ? J’ai tout de suite candidaté, mais mon ancien partenaire de « Vote Leave », Michael Gove, qui devait diriger ma campagne, a finalement décidé de se présenter lui aussi, ce qui a saboté nos deux candidatures. La troisième candidate, Andrea Leadsome, la ministre d’État à l’Énergie, s’est sabordée toute seule par une gaffe. Seule Theresa May, jusque-là ministre de l’Intérieur, restait en lice. Elle avait soutenu le « Remain », mais assez mollement, et les gens croyaient qu’elle s’avérerait peut-être Brexit-compatible. Leader par défaut, manquant de conviction, elle n’a pas su résister à la pression des négociateurs de l’UE.
Avec le recul, qu’est-ce que vous auriez fait différemment ?
J’aurais fait plus d’efforts pour rester Premier ministre en 2022. Quand on réalise une grande transformation comme le Brexit, il faut faire le service après-vente, pour ainsi dire. Il faut continuer à en montrer les avantages pour les citoyens, négocier de nouveaux accords commerciaux, profiter du fait de ne plus être assujetti aux règles de Bruxelles, comme je l’ai fait avec le lancement rapide du programme de vaccination pendant la pandémie. Rishi Sunak, malgré ses mérites, n’a jamais été un Brexiteur messianique. Devenu Premier ministre, il a cessé complètement de parler du Brexit.
Vous racontez que Donald Trump parlait, au sujet d’Emmanuel Macron, de « Lil’ Emmanuel, 90 pounds of fury » (« le petit Emmanuel , 50 kilos de nerfs »). Quelles étaient vos relations avec notre président ?
Lui qui a travaillé pour Rothschild & Cie a le profil classique d’un banquier londonien : très compétent, très charmant. Je crois qu’il adore la Grande-Bretagne et pour cette raison le Brexit l’a blessé et mis en colère. Il voulait nous punir, craignant que le Brexit soit contagieux en Europe. Je me cassais la tête pour trouver des initiatives de coopération anglo-française, mais il n’en voulait pas.
Derrière les émeutes cet été en Angleterre et en Irlande du Nord, suite aux assassinats de Southport, on sent une vraie frustration populaire. S’agit-il d’un jugement sur votre politique migratoire ?
Non, le vrai problème, c’est plutôt le sentiment qu’avaient beaucoup de citoyens de ne pas être écoutés, qu’on considère leurs inquiétudes comme vulgaires, racistes et illégitimes. Concernant l’affreuse tuerie de Southport, il s’avère maintenant que la motivation de l’accusé était plus trouble qu’on ne nous le laissait croire à l’époque [en octobre les autorités ont révélé qu’il possédait un manuel djihadiste]. La violence des émeutes était injustifiable, mais elle traduisait l’inquiétude générale au sujet de l’immigration illégale, et le Premier ministre travailliste, Keir Starmer, semblait dire aux gens qu’il s’en fichait. Il a laissé tomber mon projet d’envoyer les migrants clandestins au Rwanda.
Starmer a appelé à punir les émeutiers très sévèrement. Auriez-vous fait la même chose ?
Quand j’étais maire de Londres en 2011, on a puni les responsables des émeutes violentes qui ont eu lieu cette année-là. Mais sous Starmer la réaction des autorités paraît souvent disproportionnée. On jette en prison des grand-mères coupables d’avoir publié des messages provocateurs, mais dénués de lien direct avec les débordements. Et on libère des violeurs et des assassins pour faire de la place dans les prisons pour incarcérer les émeutiers. Aujourd’hui au Royaume-Uni, la police débarque – comme le faisait la Stasi – chez des journalistes et des citoyens ordinaires en annonçant : « Quelqu’un s’est senti offensé par l’un de vos posts sur les réseaux sociaux. Même si nous n’avez pas commis de crime, ce fait sera enregistré sur votre casier judiciaire comme un “incident de haine non criminel” ». La liberté d’expression est en jeu et les électeurs en ont marre de cette censure. Pourquoi Trump a-t-il gagné dans tous les États pivots ? Parce que les gens en ont ras le bol de la cancel culture et du wokisme.
Mais vous étiez au pouvoir précisément à l’époque des statues déboulonnées et de la montée du transgenrisme. Avez-vous fait assez pour contrer ces excès ?
En 2020, j’ai condamné très fermement les dégradations de nos monuments nationaux et la tentative de la BBC de marginaliser les chansons patriotiques lors du grand concert populaire de septembre (« The Last Night of the Proms »). Quant à la question des trans, j’avoue avoir été initialement dépassé. Le phénomène me semblait si minoritaire que je ne comprenais pas pourquoi on en faisait si grand cas. Quand j’étais jeune, il n’y avait pratiquement pas de transsexuels. Certains de mes propres enfants – ceux ayant la vingtaine – se mettaient en colère contre moi, me reprochant de ne pas « soutenir les trans ». Mais j’ai fini par comprendre qu’il y avait bien une érosion des libertés – celles des femmes biologiques qui, comme l’a expliqué si clairement J. K. Rowling, ont droit à leurs propres espaces et à être traitées différemment des hommes. J’ai donc commandé un rapport à une pédiatre, Hilary Cass, qui a conduit à la fermeture de la clinique londonienne spécialisée dans le traitement de la dysphorie de genre et prescrit la plus grande prudence dans l’usage des bloqueurs de puberté pour les jeunes. Le bon sens a fini par prévaloir.
Certains prétendent que, en avril 2022, vous vous êtes rendu à Kiev expressément pour persuader Volodymyr Zelensky de ne pas signer un accord de paix qui se négociait à ce moment-là avec la Russie et qui aurait pu épargner aux combattants des années de guerre.
Le but de ma visite était de rassurer Zelensky personnellement, de lui montrer que le soutien occidental à l’Ukraine serait réel et continu. Pour sa part, Zelensky n’allait en aucun cas conclure un accord avec Poutine à ce moment-là. Cette histoire est un pur mensonge, inventée par le Kremlin à des fins de propagande.
Aujourd’hui, vous êtes probablement le dernier dirigeant politique à être un homme de grande culture, formée aux lettres classiques. Vous sentez-vous seul ?
Si ce que vous dites est vrai, c’est triste. Qui est-ce qu’il y a d’autre ? Elon Musk parlait récemment du « piège de Thucydide » d’après le livre de Graham Allison[1] qui prétend que la guerre entre les États-Unis, la superpuissance établie, et la Chine, sa rivale qui monte, est aussi inévitable que celle entre Sparte et Athènes. Sauf que l’auteur se mélange les pinceaux : Athènes était la démocratie, comme l’Amérique, et non Sparte. Mon arrière-grand-père, qui était le ministre de l’Intérieur du dernier Sultan, était un grand champion de l’éducation classique et voulait relancer les grands textes latins et grecs en Turquie. J’espère que mes arrière-petits-enfants prolongeront la tradition. Mon ambition sera de trouver un successeur qui vengera les classiques. Comme le dit Didon dans l’épopée de Virgile : « Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor ! » [« Lève-toi, vengeur inconnu né de mes ossements ! » Virgile, Enéide, IV, 625]. Nous avons besoin des classiques qui constituent le fondement de notre civilisation. Les perdre serait un désastre. Sans eux, comment nous distinguer des autres ?
Comptez-vous revenir en politique un jour ?
Sa Majesté la reine Elisabeth m’a dit, au cours d’un de nos entretiens : « Il ne s’agit pas d’être populaire, il s’agit d’être utile. » J’ai déjà accompli beaucoup, je ne reviendrai que si je peux être utile.
L’écrivain franco-algérien est l’otage d’un régime totalitaire qui profite de nos lâchetés. Pour son ami Arnaud Benedetti, le soutenir est un devoir moral et une nécessité vitale.
Que dire de Boualem Sansal, si ce n’est qu’il est un esprit libre, un esprit spontanément amical, un esprit curieux qui pour être l’un de nos plus grands écrivains francophones ne joue jamais au « grand écrivain », ne pontifie jamais, ne prend jamais aucune posture. Sa simplicité est le gage de son authenticité, et cette authenticité est le signe de la seule autorité qui, dans notre monde d’artifices, fasse foi. Sansal est tellement libre dans sa tête qu’il pensait l’être jusqu’en Algérie, non pas en raison d’un régime qui ne peut l’être structurellement, mais parce qu’il estimait que sa parole, là-bas, n’avait que peu de poids. Sans doute a-t-il sous-estimé, lui ce grand modeste, ce vrai gentil, la force de ses mots. On n’écrit jamais impunément, dès lors que l’on est tout de sincérité, et que cette sincérité s’indexe sur une certaine forme de naïveté. Le paradoxe de Boualem est d’être tout à la fois trop bon et trop conscient de la charge du monde. Il se refuse à croire possibles toutes les perversités de ses contemporains, il sous-estime les dangers qui le guettent, alors qu’il ne manque pas de saisir ceux qui menacent notre époque. Cette dissonance constitue le piège qui, à tout moment, pouvait se refermer sur sa destinée. Les dieux n’oublient jamais de nous rappeler à notre condition. Ils nous soufflent…
À la fois libre et trop conscient de la charge du monde
Certains, en France, s’interrogent sur cette expression franche et lucide à laquelle Boualem Sansal s’astreint pour ne jamais renoncer à sa liberté, cette manière débonnaire d’aller à la vérité avec fatalité et décontraction ; ils sèment les graines du soupçon. Que leur dire ? Ce n’est ni le lieu et encore moins le moment, mais leur absence de générosité n’est même pas compensée par la subtile compréhension d’une situation. Ils parlent dans le confort de l’idéologie bien-pensante, assis dans les salons de leurs certitudes, celles qui ne coûtent rien et rapportent gros socialement. Ils parlent d’un homme que l’on a enfermé dans l’obscurité d’un cachot, d’un homme dont la seule richesse est d’écrire, de témoigner, de lancer des bouteilles à la mer dans un océan de quasi-indifférence occidentale, d’un homme qui, de son Orient natal, prend tous les risques pour nous alerter.
Sur la ligne de crête de l’histoire, là où grondent les rumeurs de la tragédie, il scrute, forant toujours plus loin dans les profondeurs de temps immémoriaux, pour mieux saisir ce que les civilisations ramènent, tel un ressac, à la surface de leurs obsédants imaginaires. On ne connaît bien le monde qu’en ne le réduisant pas à des abstractions. Ce que dit Sansal, c’est précisément ce qu’il voit, ce qu’il vit, ce qu’il touche au quotidien. Il a connu l’Algérie sous toutes ses coupes géologiques : celle de l’indépendance et du FLN tiers-mondiste, celle de la bureaucratie paralysée et paralysante, celle des compromissions de tous les jours avec les oligarchies militaro-policières, celle des convulsions d’une guerre civile contre l’islamisme dont il a expliqué qu’il n’était que la suite logique d’une pratique du pouvoir qui l’avait nourri… Sans doute est-ce parce qu’il a révélé ce secret de famille, cette genèse indicible, qu’il a touché là à un nerf sensible de la société algérienne. Pour vivre sans inquiétude, il ne faut pas remuer la bête dirigeante dans ses contradictions. C’est un choix que beaucoup font, la majorité même, mais d’autres, parce qu’ils ne peuvent se résoudre à un éloignement qu’ils jugeraient coupable, dès lors que leur conscience leur dicte d’affronter le réel les yeux ouverts, ont pris de ces chemins escarpés qui mènent à la plus grande mais à la plus dangereuse des lucidités.
Un veilleur
Sansal est un veilleur, et c’est ainsi qu’il faut l’imaginer dans sa cellule, continuant son combat avec la stoïque détermination de ceux que l’on ne peut véritablement enfermer. Pour autant, c’est à cette souffrance fraternelle qu’il nous faut penser, à lui l’ami, qui, dans la solitude du prisonnier, ne doit point trop savoir ce que nous, de l’autre côté de la Méditerranée, nous faisons pour lui ; lui qui a tant fait pour nous. Il est l’otage non seulement d’une relation aussi torturée que torturante dont il a saisi avec fulgurances les arcanes complexes, mais aussi des haines recuites des uns et des lâchetés persistantes des autres. À ceux qui doutent et qui savent que là-bas, comme le disait Camus, il y a « les déchirements du oui et du non, de midi et des minuits, de la révolte et de l’amour, pour ceux enfin qui aiment les bûchers devant la mer », un homme attend d’eux, du fond de ses doutes et de ses espoirs, que l’on ne renonce pas à lui parce que cela ne serait rien d’autre que de renoncer à nous-même et au bien le plus précieux qu’il nous soit donné de préserver : notre raison, condition de notre dignité. Oui, soutenir Boualem Sansal est non seulement un devoir moral mais une nécessité vitale. Alors soutenons-le, sans réserve et sans trembler. Sa dissidence est la nôtre.
En excluant LFI et le RN de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron se place désormais en adversaire déclaré de son peuple, estime notre chroniqueur. Sa réponse à la crise démocratique, qui marginalise une partie des citoyens, sera de l’aggraver…
Président de tous les Français, voici Emmanuel Macron instigateur d’une tambouille autour de la désignation, demain dit-on, du nouveau Premier ministre. Celui-ci aura pour mission d’ignorer près de 50% de l’électorat représenté par les deux partis parias. Jeudi dernier, Macron les a qualifiés d’« antirépublicains » parce qu’ils ont voté la censure contre Michel Barnier.
Les tractations de la honte
Hier, le spectacle offert par les 25 adoubés du Parrain, reçus à l’Élysée pour faire allégeance, a donné la mesure de l’effondrement de la classe politique, de la fonction présidentielle, de la Ve République. Présente lors de ces tractations de la honte, la droite de Laurent Wauquiez s’est laissée associer aux socialistes, aux communistes et aux écologistes, qui n’ont rien à envier aux indésirables mélenchonistes. La gauche minoritaire, PS en tête, a été priée par le chef de l’État de lui assurer sa propre survie. Mission apparemment acceptée par les pu-putschistes, au prix d’une trahison avec LFI faiseur de rois, d’une poignée de promesses et de quelques postes sans doute. Ce qui revient à admettre que le front républicain d’hier, qui a fait trébucher le RN au second tour des législatives après 217 désistements, était une mascarade, un abus de confiance. Mais qui en doutait ?
La psychologie perverse de Macron se retrouve dans ce projet illisible de gouvernement de désunion nationale. Le président aura mis son zèle diabolique, derrière des discours sur la concorde et l’apaisement, à monter les uns contre les autres pour se maintenir au centre. La fracture entre les élites et les gens ordinaires doit beaucoup au choix précoce du chef de l’État de faire taire la « foule haineuse » et les « populistes ». Reste à savoir si Bruno Retailleau, seule figure de rupture avec le conformisme progressiste, saura retrouver sa place dans cette coalition des contraires qui s’annonce. Elle n’aura comme obsession que des intérêts particuliers et des revanches à prendre. Les compromis avec la gauche et ses extrêmes ne pourront s’accorder, si Retailleau devait être reconduit à l’Intérieur, avec une politique de fermeté contre l’immigration de peuplement, une remise en question du périmètre de l’aide médicale aux clandestins ou une lutte contre les Français de papier qui menacent de reprendre le djihad contre l’Occident après la chute, le 8 décembre, du régime dictatorial syrien de Bachar el-Assad et la prise de pouvoir de l’islamiste Abou Mohammed al-Jouhani, adepte de la charia. En fait, cette droite-là est en voie de disparition. Ce ne sont pas les manœuvres de Wauquiez pour tenter d’écarter Retailleau de la lumière en vue des prochaines présidentielles qui vont rehausser cette formation en déclin, appelée ces jours-ci à cautionner la gauche. Ce mercredi matin sur RTL, Éric Ciotti a fustigé « le spectacle lamentable à l’Élysée de ceux qui ont mis la France à genoux ». Tout serait clarifié si toute la droite acceptait enfin de se retrouver, à l’image de ce que fait la gauche depuis des décennies. Cela s’appellerait l’union des droites…
Après Strasbourg en 2014 et Marseille en 2023, le pontife argentin poursuit ses visites périphériques en France. Il semble ainsi affirmer un soutien au peuple des territoires, contre des élites parisiennes qu’il accuserait de tous les maux… C’est à croire que la France représenterait à ses yeux à la fois l’esprit colonial et celui des Lumières, la laïcité en étant la synthèse emblématique. L’analyse de Renée Fregosi.
Au demeurant, il est vrai que la Corse est sans doute aujourd’hui la région française à la catholicité la plus affirmée (bien que plus ou moins fortement teintée de superstition). On y constate en effet depuis plusieurs années un regain des pratiques religieuses traditionnelles. Multiplication des confréries, participation en hausse dans les processions, les bénédictions (des rameaux ou des flots au printemps), les offices en général (pas seulement pour la messe de minuit à la Noël), mais aussi l’exorcisme contre « le mauvais œil » ou le port de scapulaires qui touchent à nouveau toutes les couches de la société insulaire. Tandis que les cloches des églises y sonnent et carillonnent régulièrement.
Or, ce catholicisme revivifié, s’il n’est pas directement induit par la poussée remarquable du nationalisme corse, y est manifestement corrélé. Que le mouvement nationaliste dans sa diversité (du corsisime à l’indépendantisme, en passant par toutes les nuances de l’autonomisme) ait fait du Dio vi salvi Regina son hymne, en est le signe le plus évident. Les nationalistes ont su instrumentaliser au profit de leur cause, le potentiel indéniablement mobilisateur exaltant de ce splendide chant marial dont la mélodie émeut jusqu’aux plus athées de ses auditeurs. La visite du pape en Corse représente donc inévitablement un soutien au moins tacite aux contempteurs de « l’État français » et de ses élites dirigeantes.
Une Eglise pauvre pour les pauvres
S’inscrivant dans la ligne de François d’Assise, ce pape militant « d’une Église pauvre pour les pauvres » se veut du côté « des petits contre les gros » et à ce titre il n’aime pas les tenants des institutions ni les « intellectuels ». Il prend ainsi systématiquement le contre-pied de son prédécesseur Benoît XVI, brillant théologien et partisan d’un traditionalisme clérical éclairé, dont le choix du nom papal était lui aussi signifiant de son orientation théologico-politique. Joseph Ratzinger pensait en effet que sans Benoît de Nursie (Saint Benoît) dont « la règle » a fondé au VIème siècle le monachisme en Occident, notre culture européenne n’était pas pensable, et que la connaissance guidée par la raison et l’ascèse religieuse se soutenaient l’une de l’autre.
Tandis que le pape Benoît XVI prenait clairement parti pour la défense de la culture occidentale et s’engageait résolument dans la poursuite du dialogue et le renforcement de « la collaboration avec les fils et les filles du peuple juif », son successeur marque résolument sa défiance à l’égard de l’Occident et son soutien aux ennemis déclarés d’Israël. Certes, le tropisme populiste du pape François trouve sans doute son origine dans le péronisme toujours si prégnant en Argentine. Toutefois, en cochant toutes les cases du Sud global, décolonial, anti-occidental, pourfendeur de tous les « privilégiés », ne mettrait-il pas plutôt ses pas dans ceux des pires autocrates manipulant cette nouvelle figure idéologique mobilisatrice ?
L’occident ne doit pas « exporter » sa démocratie…
Certes, en estimant que l’avenir de l’Église catholique se joue à présent en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et non plus en Europe, et a fortiori aux États-Unis, le vicaire du Christ fait un choix peut-être judicieux d’un point de vue quantitatif. Mais sa préférence pour ce que l’on appelait autrefois le tiers-monde, n’est pas seulement pragmatique. En affirmant comme il le fait dans son ouvrage No sei solo, paru en octobre 2023, que « l’Occident ne doit pas exporter sa démocratie », le pape tient un propos typique du néo-tiers-mondisme antidémocratique d’aujourd’hui. En clamant « retirez vos mains de l’Afrique ! Arrêtez d’étouffer l’Afrique, ce n’est pas une mine à dépouiller ou un terrain à piller ! » en 2023 lors d’une visite au Congo, le pape François ne s’adressait pas aux compagnies chinoises ou aux mercenaires russes, mais aux Occidentaux qui selon lui continueraient à bénéficier du privilège colonial.
Car les prises de positions du pape François sur la scène internationale ne penchent pas seulement en faveur des pays pauvres mais aussi des pires autocrates de la planète. Ainsi, son souci œcuménique, n’est peut-être pas seul en cause dans la poursuite du dialogue avec le très politique patriarche russe Cyrille alors que Poutine ne cède rien à sa volonté de domination de l’Ukraine. Quant à son acquiescement à l’Église officielle chinoise tandis que les persécutions des catholiques indépendants se poursuivent, il manifeste une certaine complaisance à l’égard du pouvoir de Pékin. On peut même voir dans sa visite en Corse, une convergence avec l’offensive déstabilisatrice de la France par le président à vie azerbaïdjanais Ihlam Aliev qui soutient les indépendantistes corses dans leur projet d’inscrire la Corse sur la liste des « territoires non autonomes à décoloniser » définis au chapitre XI de la charte de l’ONU.
Un Pape propalestinien ?
Par ailleurs, dans le conflit au Moyen-Orient, qu’un pape se préoccupe de la situation humanitaire des Gazaouis, cela relève de son sacerdoce. Mais après avoir estimé que l’opération israélienne à Gaza n’était pas « proportionnée », en parlant désormais de possibilité de génocide à Gaza, le pape François se range manifestement dans les rangs propalestinistes. Or, ce soutien que le chef de l’Église catholique apporte à ceux qui prônent la création d’une Palestine libre du Jourdain à la Méditerranée en rayant Israël de la carte, est aussi gravement préjudiciable aux Chrétiens d’Orient subissant à nouveau de terribles persécutions, comme aux catholiques d’Europe dont on doit mettre les églises sous protection policière, menacées qu’elles sont par le djihadisme assassin.
Alors, valoriser « la religiosité populaire en Méditerranée », en Corse et ailleurs, pourquoi pas ? Mais religiosité signifie aussi trop souvent aujourd’hui renouer avec un antijudaïsme chrétien archaïque convergeant avec la tradition anti-juive musulmane, tout en abondant au nouvel antisémitisme du « privilège juif » cher à cette religion séculière woke du décolonial. Le pape François ne risque-t-il donc pas de donner dans cette dérive ? En donnant le sentiment qu’il prend parti contre la France, c’est en tout cas l’universalisme occidental tout entier que le pape semble mettre en accusation.