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Right or wrong, ma liberté

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De ma naissance à l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai pris qu’un seul et unique engagement qui soit de nature à restreindre ma liberté de façon permanente : je me suis marié dans le but de fonder une famille. Il n’y en a aucun autre. Oh, bien sûr, il m’est arrivé de prendre des engagements auprès de mes amis ou de mes collègues de travail et, comme tout homme digne de crédit, j’ai mis un point d’honneur à respecter ma parole scrupuleusement. Mais aucune de ces promesses ne m’engageait ad vitam aeternam, pour le meilleur et pour le pire et jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Dès lors, je peux dire avec certitude que rien, absolument rien à l’exception de cet unique engagement envers ma femme et mes enfants ne m’engage moralement à abandonner ne serait-ce qu’une infime parcelle de ma liberté. Il n’y a que deux moyens d’en obtenir plus de moi : me convaincre de faire une nouvelle promesse ou me contraindre par la force.

Alors oui, je suis français et j’aime mon pays. Aussi loin que notre mémoire familiale nous porte, mes ancêtres étaient français, je suis un produit de la méritocratie républicaine de l’ouest autant que de la bourgeoisie industrielle du nord, j’aime notre langue — avec une faiblesse pour sa version XIXe —, j’aime notre histoire, j’aime l’extraordinaire variété de nos paysages et de nos traditions et j’aime, peut-être plus que tout le reste, l’idée de cette France de 1790, celle de la fête de la fédération.

Pour autant, soyez-en sûr, je place ma liberté au-dessus de mon amour pour la France. Ça ne fait, dans mon esprit, pas le moindre doute. Si mon pays devait devenir une dictature liberticide, je cesserais immédiatement d’être français. « Where liberty dwells, écrivait Benjamin Franklin, there is my country. » Je me ferais citoyen helvétique s’ils veulent bien de moi, sujet de la reine d’Angleterre ou, en espérant qu’il reste un peu de Franklin outre-Atlantique, j’irai me faire américain.

Je n’ai, au risque de me répéter, jamais rien signé de tel qu’un contrat social — contrat chimérique, d’ailleurs, dont j’ignore jusqu’aux termes — et je ne suis, dès lors, tenu par aucune promesse. La seule chose qui puisse en tenir lieu, en l’occurrence, c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la base essentielle de notre Constitution, le seul texte au nom duquel vous pouvez me compter au nombre des patriotes prêts à se battre pour la République. Disons-le tout net : si je cesse d’être le citoyen d’une République fondée sur ces principes et à moins que vous ne proposiez mieux, je cesse aussitôt d’être français.

« Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même, disait Tocqueville, est fait pour servir. » Je préfère être pauvre et libre que riche à millions mais esclave. Je ne sers et ne servirais jamais que les causes que j’ai moi-même choisi et vos procès, vos reproches et vos indignations n’y changeront rien. Il est inutile de me chanter le refrain de la France éternelle — rien n’est éternel — ou d’en appeler à mes supposés devoirs envers ma race, ma classe, ma nation ou Dieu seul sait quel autre groupe fictif vous inventerez encore : je ne reconnais qu’une seule allégeance — ma femme, mes enfants ; pour le reste, je suis un homme libre.

Naturellement, il va de soi que vous reconnais le même droit. Vous voulez vous choisir un maître auquel vous confierez le soin de régler chaque détail de votre vie ? Grand bien vous fasse ! Vous voulez créer votre coopérative, votre phalanstère, votre kibboutz ? Je serais le premier à défendre votre droit de le faire ! Mais, de grâce, ne m’obligez pas à participer à vos utopies et ne m’obligez pas à subir les conséquences de vos choix. Pouvez-vous faire ça ? Pouvez-vous admettre que mes choix soient différents des vôtres et me laisser vivre selon mes propres aspirations ?

Parce que si vous êtes incapables d’admettre cette simple idée et si vous refusez d’en faire, comme moi, le principe essentiel qui doit fonder notre vie en commun, alors, vous exercez sur moi un chantage qui peut se résumer en une alternative : obéir ou partir. Très concrètement, vous m’imposez de choisir entre ma liberté et le simple fait de vivre dans le pays de mes ancêtres, le pays où je suis né, ce pays — je l’ai dis — que je ne pourrais quitter que la mort dans l’âme. C’est un racket des plus odieux mais n’ayez pas le moindre doute : je partirai parce que je préfère mille fois l’exil à la servitude mais je partirai en vous maudissant et vous pourrez, à compter de ce funeste jour, me compter au nombre de vos ennemis les plus implacables.

*Image : wikicommons.

Art : Paris n’est plus un marché actif ni réactif

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Marchande d’art et historienne de l’art, Elisabeth Royer-Grimblat travaille depuis 1996 à la recherche des tableaux spoliés pendant la Seconde guerre mondiale, domaine dans lequel elle est devenue une incontournable archiviste et traqueuse.

Causeur. Il y a un siècle, Picasso, Braque, Picabia, Brancusi, Soutine, Modigliani avaient élu domicile à Paris. Pourquoi la capitale a-t-elle perdu son pouvoir d’attraction auprès des artistes d’aujourd’hui ?

Élisabeth Royer-Grimblat. Je refuse de céder au fatalisme ambiant ! Paris reste une ville aimée des étrangers. Certes, cet amour se nourrit de sa gloire passée, mais cela n’a pas empêché Larry Gagosian[1. L’Américain Larry Gagosian est l’un l’un des plus importants marchands d’art contemporain et d’art moderne.] d’ouvrir une galerie et une gigantesque salle d’exposition au Bourget. Et si on ne connaît pas à Paris l’émulation des deux premières semaines de novembre et de mai dans les galeries new-yorkaises, Paris conserve une place de choix dans le parcours obligé du collectionneur à travers les foires du monde entier: la Biennale des antiquaires en septembre, la FIAC au mois d’octobre, Art Paris en mars se maintiennent. Et le Salon du dessin d’avril connaît un succès exceptionnel depuis quelques années. Vous voyez, la situation n’est pas si dramatique !

En somme, il en va de l’art comme du reste : il s’est mondialisé et, dans cette mondialisation, la France est un acteur mineur ?

Mineur, ce n’est pas vrai, mais il est certain que le marché de l’art actuel n’est pas comparable à celui de 1914. À l’époque, artistes, galeries et acheteurs étaient tous installés à Paris. Aujourd’hui, acheteurs et artistes n’ont pas besoin de vivre dans les mêmes lieux. Un artiste peut résider à Paris alors que ses clients – européens, chinois, russes, indiens, qataris… – se trouvent de l’autre côté de l’Atlantique, voire à l’autre bout du monde. De toute façon, la rencontre entre acheteurs et vendeurs se fait de plus en plus dans les grandes foires de Miami, Londres, Bâle et Maastricht, qui supplantent désormais les galeries. La vérité, c’est que le monde de l’art n’a plus vraiment de « centre ».[access capability= »lire_inedits »]

La mondialisation du marché suppose-t-elle la mondialisation de l’art lui-même ? Et dans ces conditions, cela a-t-il un sens de parler d’artistes « français » ou « américains » ?

Les artistes français ont été sur le devant de la scène jusqu’à la fin des années 1950-1960. Paris était alors le centre de la création artistique, un lieu d’émulation et d’échanges intellectuels unique. Beaucoup de mouvements artistiques partaient de la capitale. Les artistes étrangers venaient à Paris parce que c’était LE lieu pour apprendre, être reconnu et sacré. Les fondations étrangères, et plus particulièrement celles dirigées par des lobbys américains, venaient y acheter les pièces maîtresses des artistes français. Après 1960, grâce à l’explosion du mouvement Pop Art, notamment avec Warhol et Rauschenberg, les Américains ont pris conscience de leur potentiel artistique. On pourrait parler de « conquête » de l’art contemporain par les Américains. Il y avait eu des signes avant-coureurs à ce bouleversement, par exemple la présentation à la Biennale de Venise, en 1948, de huit toiles de Jackson Pollock. Plus tôt encore, en 1933, Matisse était revenu des États-Unis envoûté par son voyage. « Vous comprendrez, quand vous verrez l’Amérique, qu’un jour ils auront des peintres, parce que ce n’est pas possible, dans un pays pareil, qui offre des spectacles visuels aussi éblouissants, qu’il n’y ait pas de peintres un jour », disait-il. Une vraie prophétie!

Quels que soient le talent et l’inventivité des artistes américains, la France n’est-elle pas responsable de sa marginalisation ?

Il est vrai qu’au moment où les maîtres américains triomphaient, la France se repliait sur elle-même. Les musées français ont continué leurs acquisitions, mais après ils n’ont pas fait le travail de promotion nécessaire pour les faire connaître à l’étranger. Résultat : presque aucun artiste français n’est représenté sur la scène internationale, tandis que la côte d’artistes allemands, espagnols, anglais, chinois ou indiens monte. Si Yves Klein est aujourd’hui le principal représentant français de l’art contemporain dans le monde, c’est grâce aux efforts déployés par sa famille pour assurer le rayonnement de son œuvre (expositions et ventes en Australie, aux États-Unis, etc.). Paris vit sur sa splendeur passée, mais n’est plus un marché actif et réactif. Pourtant, les artistes de talent ne manquent pas!

Quoi qu’il en soit, seul le marché, donc les acheteurs, permet d’évaluer la valeur d’une œuvre. N’y a-t-il pas, en art comme dans d’autres secteurs, des « bulles » spéculatives, qui se traduisent par des cotes délirantes ?

Rien n’est plus difficile que d’avoir un jugement sur l’art contemporain et d’estimer la valeur réelle d’une œuvre. Les côtes de certains artistes sont, il est vrai, fabriquées et artificielles. Au XIXe siècle, ce n’étaient pas Géricault et de Delacroix qui raflaient la mise mais des peintres mineurs comme Flandrin, Cabanel, Meissonnier. Il faut attendre que le temps décide qui restera dans l’histoire.

Mais aujourd’hui, l’œuvre d’art est aussi un investissement …

Effectivement, aujourd’hui, le collectionneur a tendance à agir en investisseur. Les vrais collectionneurs, pour lesquels l’œuvre d’art n’est ni un produit ni un placement, se font rares. Autrefois, ils étaient nombreux dans les familles aisées. Le médecin qui achetait deux à trois œuvres de bonne qualité par an était une figure de la bourgeoisie française. Les « investisseurs », eux, agissent directement sur la cote des artistes. S’il arrive que les prix s’envolent de façon malsaine, c’est souvent parce qu’un groupe important d’investisseurs, composé principalement de nouvelles fortunes, considère que telle ou telle œuvre est un placement « sexy ». Il ne sera pas nécessairement rentable, mais il a une forte valeur symbolique, en ce sens qu’il est un marqueur de la réussite sociale.

Et l’art ancien ?

Il existe bel et bien une perte d’intérêt pour l’art ancien. Les œuvres anciennes représentent des placements plus hasardeux en raison des incertitudes d’attribution : si une toile que l’on attribuait à Goya se révèle être une œuvre d’atelier, elle perdra beaucoup de sa valeur. De nombreuses attributions données par Berenson, par exemple, ont été corrigées un siècle plus tard. Un désastre pour les propriétaires ! Si la cote des grands artistes reste toujours très élevée, le temps est impitoyable avec les artistes de second ordre.

Croyez-vous vraiment que, dans vingt ans, on s’ébahira devant un crustacé de Jeff Koons ?

J’aime Jeff Koons. Il est vrai qu’avoir un Jeff Koons chez soi dispense de justifier ses goûts tout en envoyant un message clair : « Je suis riche ! » Il est, au passage, intéressant de savoir que les artistes contemporains aiment souvent passionnément l’art ancien. Koons et Hirst, par exemple, sont des grands amateurs de Courbet.

Quel peut être l’avenir de l’art dans une économie mondialisée ?

Une poignée de multi-milliardaires achète les tableaux les plus chers. Cela entraîne fatalement la dilution du marché moyen. Cela dit, il y a encore des amateurs d’art qui achètent par goût. Un très beau tableau, de n’importe quelle époque, reste une valeur sûre.

Diriez-vous que l’art est trop subventionné en France   ?

La subvention peut, bien entendu, devenir un piège : l’État est-il qualifié pour faire des choix artistiques? Les commandes publiques ne transforment-elles pas une poignée d’artistes en « artistes officiels » à la solde du pouvoir ? Les subventions, néanmoins, ne me choquent pas. L’art est éminemment libre, mais il est aussi fragile. C’est pourquoi il mérite, à mon avis,  l’attention et les soins des pouvoirs publics. Ce qui compte, c’est qu’il conserve sa profonde liberté. J’ajoute que les artistes allemands sont cinq fois plus subventionnés que les artistes français. En France, contrairement à ce qu’on croit souvent, c’est l’art vivant le « chouchou » du ministère de la Culture.[/access]

*Photo : Hannah.

Lana Del Rey : Ultravibrante

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Lana del rey ultraviolence

Jean-Pierre Mocky déclarait récemment dans les pages du Figaro (daté 24 juin) : « Les jeunes actrices sont un peu popotes. En plus, elles se ressemblent toutes ». On pourrait dire la même chose des jeunes chanteuses, ces Lady Gaga, Miley Cirus, Britney Spears, Rihanna, certes un peu plus puputes que popotes mais toutes pareillement semblables les unes aux autres. Non, vraiment, Lana Del Rey est la seule popstar crédible de sa génération, quand ses consœurs se recyclent en pornstar dès le premier glissement de terrain. Mais alors, si les jeunes actrices se ressemblent ainsi que les jeunes chanteuses, la question se pose : les jeunes femmes se ressemblent-elles toutes aujourd’hui ? En réalité, et Mocky le dit : « La plupart ne sont pas des femmes libres. Bardot était unique ». Lana Del Rey l’est aussi, unique. Une Garbo de la pop. Une Vouivre mélancolique et suave. Un rubis dans une mare ensorcelée du bocage vendéen global qu’est devenue l’industrie du disque. Une divine sauvageonne. Tout ce que les hommes sensibles à l’art aiment. Jayne Mansfield l’avait dit : « Les hommes veulent des femmes roses, sans défense et qui respirent en gonflant la poitrine ». Ils veulent sentir le feu d’une voix braisée leur déclarant ingénument : « They say I’m too young to love you, I don’t know what I need ». Ils veulent le retour de la fraîcheur de vivre ! Il était donc urgent que Lana Del Rey publie son nouvel album : Ultraviolence.

Dès les premières notes du morceau d’ouverture, nous voici téléportés dans le bourbier fantasmagorique de Twin Peaks, la série culte de David Lynch fardée d’esthétisme fifties. Mais ce n’est encore rien en comparaison de ce qui attend l’auditeur plus loin avec le climax du disque, « Brooklyn Baby », aux faux airs de la Kate Bush japonisante des débuts. Une chanteuse n’avait plus autant vrillé le cœur humain en prononçant le mot « baby » depuis… Billie Holiday ! Et après quelques autres réjouissances troublantes, dont le parfaitement dépoitraillé « Money Power Glory », l’album se termine par une reprise de « The Other Woman », titre de Jessie Mae Robinson immortalisé notamment par Sarah Vaughan, Nina Simone et Jeff Buckley. Autant de rémanences douces à l’existence en 2014.

Enregistré à Nashville, Ultraviolence brille par sa production organique teintée de blues fêlé dans les entournures, signée Dan Auerbach (guitariste et chanteur des Black Keys). « Je ne sais pas si je suis dingue mais j’ai l’impression qu’on est en train de faire un superdisque » confiait le musicien tard le soir à sa nouvelle muse pendant les sessions d’enregistrement. On n’imagine pas un tel enthousiasme dans les studios français : « Vanessa, je ne sais pas si je suis dingue mais j’ai l’impression qu’on est en train de faire un disque encore plus sympa que le dernier Renan Luce »… « On en parlera demain Benjamin, je dois récupérer mon fils à l’école, il est déjà 15H10, l’atelier Goûter citoyen se termine dans 20 minutes ».
Ceci dit, Dan Auerbach a entièrement raison : Ultraviolence est un superdisque, ultra beau, ultra vivant et vibrant, bien plus que la plupart de ceux qui aspirent à nous faire danser ou qui utilisent l’argument de l’émotion à fleur de peau (La Bande à Renaud) voire le progressisme à fleur de peau (Conchita) pour tenter de nous convertir.

Cette nouvelle livraison de Lana Del Rey s’impose d’emblée comme un grand album et deviendra probablement un futur classique pour les chanceux pourvus d’une âme dépassant les misérables 21 grammes de la condition humaine de masse.

Disque idéal en tout cas pour une virée nocturne sur la Côte Ouest (Malibu ou La Baule, selon l’humeur), quand le ciel vire au velours bleu-noir.

Étymologies

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valls ministre najat

Il y a le Magister — du matin « plus ». D’abord, Magistrat. Puis le G inter-vocalique tombe, du S ne reste qu’une trace, un accent circonflexe, à l’arrivée, voici le Maître. Aussi bien le maître d’école que le maître de l’art du thé. Voir la nouvelle de Yasushi Inoue.
L’existence d’un mot souvent entraîne l’apparition de son contraire. Il y avait par exemple « heur » (du latin augurium, à distinguer de « heure » qui vient de hora — de sorte que « heur » signifiait à l’origine « de bon augure »), sur lequel on a fabriqué « malheur » — et quand on a oublié le sens originel du radical (« Rodrigue, qui l’eût cru ? Chimène, qui l’eût dit ? Que notre heur fût si proche et si tôt se perdît »), on a recomposé l’antonyme « bonheur », qui n’était au fond qu’un pléonasme, tout comme « aujourd’hui » est le pléonasme d’« hui », qui veut dire « aujourd’hui » (et je ne vous dis pas ce que je pense des imbéciles qui disent « au jour d’aujourd’hui »).
« Magister » a donc généré son contraire. À magis, plus, correspond donc minus, moins. Que l’on a substantivé en « ministre ». Comme dans « ministre des menus plaisirs »… « Je suis ministre, donc, je ne sais rien faire », dit excellemment De Funès dans la Folie des grandeurs. Minus !

Ah, précisons tout de suite : le mot est masculin. Tous ceux qui disent « la » ministre en croyant faire plaisir aux théoriciens du Genre font une faute contre la langue. Ce n’est pas du français, c’est de l’idéologie. Et ce que l’on devrait enseigner aux enfants, c’est le français — parce que la langue donne accès à une culture, alors que les idéologies, souvent, ferment la porte sur la culture.

Eh oui : le ministre, étymologiquement, c’est un moindre. Quelqu’un qui n’a pas la maîtrise.

Regardez à l’Education Nationale. On peut se passer d’un ministre à cinq jours de la rentrée, non parce qu’il aurait bouclé la rentrée (qui sera chaotique, rythmes scolaires et difficultés de recrutement obligent), mais parce que ce sont les bureaux (la DGESCO, par exemple) qui s’occupent de la mise en place au jour le jour, semaine après semaine — et à l’autre bout de la chaîne, les maîtres d’œuvre de la rentrée, ce sont les chefs d’établissement. Du ministre, aucune nouvelle. Il n’est même pas là pour donner l’orientation : tout le monde sait, depuis des années, que la rue de Grenelle commence et finit à Bercy.
À noter que tout le monde sait aussi que Bercy commence et finit à Berlin, depuis quelques années.

Le « ministre », donc, n’en déplaise à tous ceux qui quémandent un poste à chaque remaniement (ah bougre, Jean-Luc Benhamias !), est un pion de moindre importance — ni le roi, ni la reine — juste un pion, que l’on sacrifie pour trouver l’ouverture. Exit Montebourg, qui s’imagine lui aussi avoir un avenir en 2022. Prévoir, c’est gouverner…
Un moindre. Un minus. Un individu d’une importance dérisoire. Un zéro qui ne multiplie qu’en passant dans les médias.
Tout cela pour dire quoi, au fait ? Ah oui : Najat Vallaud-Belkacem est désormais ministre de l’Education nationale et des Universités.

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00685354_000008.

Ukraine : Mourir à Donetsk

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ukraine donestk donbass russie

Dans ces colonnes, André Markowicz  nous a fait part de son angoisse face à la montée d’une haine irrationnelle à l’œuvre dans ce qui est devenu une guerre civile en Ukraine. Témoignage précieux et équilibré. Les mots et leur sens comme mesure de la haine qui s’est installée là-bas. Mais, au-delà de cette montée assez terrible, comment appréhender la réalité et les enjeux de ce qui se passe ? En essayant, ce qui n’est pas facile, d’échapper à cette propagande russophobe poussée en France à son paroxysme, et sans souscrire à celle d’en face qui n’est pas en reste.

La Russie aujourd’hui ? André Markowicz nous dit qu’elle est celle de Nicolas 1er au milieu du XIXe siècle. Une dictature. C’est étrange, car même si ce pays pratique une démocratie éventuellement éloignée de nos standards, c’est la première fois dans son histoire qu’il a atteint un tel niveau. Il n’avait connu jusqu’à présent que des dictatures plus ou moins féroces. Le paysage politique est pluraliste, les élections ont lieu régulièrement et le pouvoir central bénéficie d’un soutien populaire difficilement contestable. Assimiler la pratique du pouvoir de Poutine à celle de Staline ou de Nicolas 1er, voire d’Ivan le terrible n’est pas convaincant. Ce grand pays, de vieille civilisation et d’un haut niveau culturel est sorti il y a 20 ans d’une série de tragédies pour certaines terrifiantes. Il y a encore 25 ans, c’était une grande puissance dont, quoi qu’on en pense, les habitants étaient fiers même s’ils rejetaient la dictature. L’effondrement et l’éclatement ont  constitué dans un premier temps plus une humiliation qu’une libération. Les 10 premières années sous la direction d’un ivrogne corrompu ont été celles de la souffrance et de l’avilissement ou en tout cas vécues comme telles. L’incontestable succès populaire de Vladimir Poutine ? Il a reconstruit un État et redonné à ce peuple sa fierté. Même s’il s’appuie sur un nationalisme et un patriotisme exacerbé. Ce que Lénine appelait le « chauvinisme grand russe ». Sans oublier l’énorme traumatisme de la deuxième guerre mondiale et l’extrême sensibilité de la Russie au sentiment d’être à nouveau vulnérable. Alors, si les dirigeants de  l’UE se dispensaient des provocations dangereuses, et notre presse des rodomontades imbéciles ?

L’Ukraine ? André Markowicz nous dit : « Il n’y avait jamais eu de haine entre les Russes et les Ukrainiens. » Est-ce si sûr ? L’Ukraine actuelle est une mosaïque issue de siècles tumultueux. Pour s’en tenir à la période récente, il faut quand même rappeler que les troupes allemandes furent reçues en libérateur en juin 1941 dans l’Ukraine de l’Ouest. Que l’Allemagne trouva facilement comme dans les pays baltes, des auxiliaires zélés pour la Shoah. Après la libération en 1944, des maquis antisoviétiques conséquents ont été constitués et ont mené la vie dure à l’Armée Rouge jusqu’au début des années 50. L’Est a toujours été russophile, quant à la Crimée, terre russe, chacun sait dans quelles conditions Kroutchev la rattacha à l’Ukraine en 1954.

Que s’est-il passé  depuis un an ? Les États-Unis, violant leurs engagements, selon lesquels les anciens pays « socialistes » du glacis n’étaient pas appelés à rejoindre l’OTAN, ont mis en œuvre une stratégie systématique d’élargissement de celle-ci. On comprend pour la Pologne et les pays baltes cette envie du parapluie américain. Mais pour l’Ukraine, État tampon, résidu  branlant du glacis, il fallait proscrire la tactique de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Et pourtant, première déstabilisation, financée par les États-Unis en 2007 (la révolution orange). Portant au pouvoir une spectaculaire bande de voyous. Chassés par les élections présidentielles régulières en 2010.  Ianoukovitch  Président légitime, conscient de l’état de faillite de son pays et de sa dépendance économique et énergétique  vis-à-vis de voisin Russe a finalement décidé de ne pas souscrire à l’accord d’association exclusive que lui proposait l’UE. Pour les États-Unis, ce fut le casus belli. Et l’organisation d’un  coup d’État à l’ancienne. Un ambassadeur américain à la manœuvre, une élégante secrétaire d’État US pilotant sans vergogne et procédant elle-même au casting des dirigeants installés par le putsch. Une pluie de dollars pour acheter les consciences, et des mercenaires de Black Water pour les provocations. Face aux manifestations  de Maïdan un accord tripartite entre l’Europe, l’Ukraine et la Russie avait conclu à l’installation d’un gouvernement de transition. Violé dès le lendemain par un coup de force immédiatement entériné par l’UE et les États-Unis. Le prétexte, un massacre à l’occasion d’une tentative des manifestants de prendre d’assaut les bâtiments gouvernementaux. On sait maintenant, grâce à la presse allemande qu’il s’agissait  d’une provocation orchestrée par les putschistes. L’essentiel des victimes ayant été abattu par des mercenaires à leur solde. Ce gouvernement comprenait un tiers de membres d’organisations carrément nazies influentes dans l’ouest du pays. Sa première décision fut d’interdire l’usage de la langue russe parlée par 40 % des ukrainiens et massivement majoritaires dans l’est. La deuxième fut de signer l’accord d’association avec  une UE empressée. La troisième de laisser entendre que l’Ukraine demanderait son adhésion à l’OTAN. Tout ceci fit extrêmement plaisir à la Russie, qui, toute confiance évanouie, s’empressa de réagir en mettant la Crimée et Sébastopol à l’abri. On entendit à cette occasion beaucoup de glapissements de ceux qui avaient approuvé toutes les violations du droit international par les États-Unis depuis 30 ans. Les provinces de l’est ukrainiens demandèrent alors la séparation. Bien que les éléments d’une négociation sur la fédéralisation fussent sur la table, les excités de Kiev répondirent par des bombardements et des massacres de civils.

Aujourd’hui si l’est de l’Ukraine, est à feu et à sang. La Crimée, quant à elle, est particulièrement calme…

Bien évidemment, les Russes soutiennent les russophones, n’ayant aucune envie d’avoir les gens de « Secteur Droit » et Svoboda à leurs portes.
Comment les Américains et les Européens ont-ils pu à ce point faire preuve d’amateurisme ? Comment ont-ils pu s’imaginer qu’une manœuvre aussi grossière et aussi attentatoire aux intérêts d’une grande puissance, puisse ne pas provoquer sa réaction ?

Une hypothèse est celle de la volonté d’un affrontement avec la Russie, celle-ci devenant encombrante sur le plan international comme l’ont montré les affaires de l’Iran et de la Syrie. Après l’escroquerie libyenne, les Russes ont clairement fait savoir (avec les Chinois) qu’on ne les y reprendrait plus. Est-ce que cela veut dire que la guerre est intégrée comme une hypothèse plausible ?  La lecture du procès-verbal de la commission du Sénat américain ou Victoria Nuland (Mme fuck the UE) s’est fait déchiqueter à cause de sa « faiblesse » est assez terrifiante. Le vocabulaire (électoral) de Madame Clinton est de même nature. Le crash du  MH17 fut immédiatement attribué à Vladimir Poutine lui-même. Force est de constater aujourd’hui qu’il n’y a plus que la Russie qui s’intéresse aux résultats de l’enquête. Les forces de Kiev ont empêché l’accès à la zone de crash. Les États-Unis aux moyens de surveillance ultrasophistiqués, ont jusqu’à présent été bien en peine de fournir la moindre des preuves que John Kerry prétendait pourtant posséder. Silence pesant désormais, le couvercle est refermé. Il est probable, comme pour l’utilisation du gaz sarin en Syrie où l’on sait maintenant que ce sont les rebelles qui l’ont utilisé, que l’on finira par apprendre que ce sont bien les forces de Kiev qui ont abattu l’avion de ligne.

Tout cela commençait à susciter des inquiétudes chez les gens sérieux en Occident : anciens ministres, diplomates, chercheurs, militaires.

Qu’il existe entre les ukrainiens de l’Ouest et les ukrainiens de l’Est, des haines pour l’instant inexpiables, ne saurait constituer une surprise. Ils sont sur la ligne de front. De part et d’autre soumis à la propagande, chantant malheureusement des airs que nous connaissons.

Seulement, les va-t-en-guerre occidentaux, sont désormais confrontés à un triple problème :

• Cette stratégie est très peu populaire dans nos pays. Mourir pour Donetsk dans une guerre nucléaire ? Euh … Ensuite, Vladimir Poutine, malgré la diabolisation, bénéficie d’un courant de sympathie chez nous. À droite parce que c’est un homme de droite (patriote, autoritaire, viril), à gauche parce qu’il fait la nique à l’impérialisme américain.

•  Les sanctions américaines servilement relayées par l’UE vont se retourner contre nous. Et cela risque de nous coûter très cher.

• Comme les choses vont très vite, un nouvel empire du mal a brusquement émergé en Irak et pour les opinions occidentales, l’islamisme radical est bien l’ennemi principal. Et là, les Russes sont clairement nos amis, emmenant dans leurs bagages, l’Iran et la Syrie. Poutine ayant soutenu l’intervention israélienne à Gaza au nom du droit à se défendre, cela va quand même être assez compliqué de lui envoyer des bombes sur la figure.

Angela Merkel l’a parfaitement compris : elle vient de se rendre chez Porochenko pour lui demander de mettre de l’ordre dans sa boutique. Le mainstream médiatique français, définitivement le plus lamentable, nous a présenté cette visite comme une marque de soutien au président ukrainien. Non, Merkel, les Russes elle connaît. Et comme ce sont les Allemands qui commandent l’UE, la chancelière est allée donner ses ordres.

*Photo : Efrem Lukatsky/AP/SIPA. AP21614930_000013. 

Juppé, la tentation de Biarritz

Chauve, énarque, septuagénaire et provincial, Alain Juppé avait toutes ses chances pour les élections présidentielles de 2017. L’ancien locataire de Matignon, qui caracole dans les sondages, a même annoncé officiellement sa candidature aux primaires de l’UMP. Mais – patatras ! – le quotidien régional Sud-Ouest vient de sortir un gigantesque scandale qui risque fort de briser net son destin …

C’est une affaire qui a échappé à la perspicacité des moustaches d’Edwy Plenel (jusque là , on pensait qu’à Médiapart ,ce régime de faveur était réservé à Dominique de Villepin…

Et pourtant, il y avait dans ce Juppégate de quoi anéantir sa carrière : « Alain Juppé a-t-il bénéficié d’un passe-droit lors de ses vacances à Biarritz, en disposant de deux places de parking réservées sur la voie publique par arrêté municipal? » interroge gravement le quotidien. Les riverains sont scandalisés. Les touristes indignés. Un soupçon de collusion plane. Y aurait-il des vacanciers plus égaux que d’autres sur le parking de la plage ?

Expliquez-vous Monsieur Juppé!

 

Le fédéralisme, c’est maintenant!

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reforme territoriale datar

Comme la célèbre « remise à plat de la fiscalité », la réforme territoriale présentée par le gouvernement a tout l’air d’une improvisation couplée à des combines politiciennes – en témoigne, entre autres, le non-rattachement des Pays de la Loire à la Bretagne.

Pourtant, on ne manque pas, en amont, de réflexions approfondies et de propositions bien étayées. Pour reconfigurer le « millefeuilles », notre Président avait à sa disposition tout l’outillage nécessaire. Ceux qui croient que tout cela se réduit à des coloriages sur une carte de France se trompent : ce qui se joue, c’est une réforme  des plus irréversibles, des plus durables et des plus déterminantes dans la vie quotidienne des Français.

Depuis les années 1960, la France disposait même d’une institution dédiée à cette réflexion : la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale). Intégrée récemment dans un commissariat à l’Égalité des territoires, elle n’a même pas été consultée sur le nouveau découpage régional, comme le signalait dans Le Monde le démographe Hervé Le Bras. L’eût-elle été qu’on aurait découvert qu’elle publie depuis des années des rapports tous plus intéressants les uns que les autres sur le territoire français, ses villes, ses régions, ses réseaux, ses campagnes, etc. Il n’y avait qu’à lire, faire la synthèse, et décider en connaissance de cause, pour le bien du pays plutôt que pour celui des camarades de parti.[access capability= »lire_inedits »]

À titre d’exemple, citons la très ambitieuse et non moins excellente démarche de prospective lancée en 2009, intitulée « Territoires 2040 ». Tout y est. Tout a été dit, y compris sur la France d’aujourd’hui. Au point qu’une très belle exposition itinérante de cartes et de posters a sillonné les routes de l’Hexagone et s’est affichée au cœur des villes, en place publique. À se demander même si ceux de nos lecteurs qui ont eu la chance de la visiter n’en savent pas plus sur leur pays que notre Président. Pour tous les autres, tout est en ligne : territoires2040.datar.gouv.fr.

Quoi qu’il en  soit, quatre petits schémas-scénarios résument assez bien ce qu’il faudrait avoir en tête pour organiser le territoire national, et en particulier apprécier la place qu’y tiennent les régions, les villes, les métropoles, Paris, ou encore l’État.

Scénario 1 : l’« hyperpolisation ». Selon ce schéma,  les métropoles et leurs territoires  prennent le contrôle de l’espace ; le reste n’est que dépendances − campagnes − ou quantités négligeables et négligées. La France s’assume enfin comme ce qu’elle est : un monde fondamentalement urbain. Dotées de véritables gouvernements, ces métropoles supplantent les régions, et négocient directement avec l’Europe,  quoique l’État reste un partenaire déterminant.

C’est actuellement le scénario à l’œuvre dans le développement et l’autonomisation de grandes agglomérations du pays, Lyon notamment.

Scénario 2 : la « régiopolisation ». Dans ce scénario, un État central affaibli et devenu « fédéral » cède le pas à des régions d’envergure européenne, transfrontalières ou dotées d’une façade maritime, largement autonomes politiquement et fiscalement. Il s’agit de véritables archipels urbains centrés sur une poignée de grandes villes : Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Lille, Toulouse, Bordeaux, Rennes-Nantes, Nancy-Metz-Luxembourg. Et que le meilleur gagne !

Scénario 3 : la « postpolisation ». C’est la logique de la dispersion maximum, de la segmentation de la société en espaces homogènes − riches ou pauvres −, plutôt de petite taille, chacun étant une périphérie pour tous.

Le territoire de référence est le territoire local, dans une France qui renoue avec les féodalités d’Ancien Régime. Dans un pays de « villages urbains » fantasmés, les villes sont globalement affaiblies, bridées dans leurs initiatives par un État qui accompagne un mouvement de périurbanisation généralisée, et occupé du même coup à en soigner les effets délétères : ségrégation accrue entre centres et périphéries, relégation sociale et géographique dans les périphéries des périphéries.

Scénario 4 : la « dépolisation ». C’est une France Facebook, agrégat d’individus vivant chacun dans son monde, à la fois hyperlocal et mondialisé, en transit permanent, volontaire ou forcé − selon que vous serez puissant ou misérable… −, qui ne se croisent que dans des gares, c’est-à-dire ce qui reste des villes. Privé d’une assise sociale consistante et d’un monde commun, l’État devient obsolète, voire parasitaire le temps qu’il périclite. Ça commence par la suppression du défilé du 14-Juillet.

Chacun de ces scénarios est une sorte de futur possible, poussant à l’extrême une logique d’évolution à partir des phénomènes déjà en germe aujourd’hui. La réforme territoriale proposée par le gouvernement semble privilégier le scénario « régiopolitain » (n°2), tout en proposant un découpage régional qui ne reprend pas l’optimum énoncé par la Datar, ni quant au nombre de régions − 14 régions au lieu de 9 −, ni quant à leurs contours − réunir Chartres et Tulle dans une même région n’a aucun sens au plan géographique. Ce faisant, ne voulant pas regarder le pays en face ni comprendre que le vote FN est l’un des symptômes de la montée en puissance du « chacun pour soi » qui correspond au scénario n°3, Hollande passe à côté de ce qui se joue actuellement en France. On croit privilégier la logique régionale : en réalité, on ne fait que reproduire le modèle étatique centralisé à l’échelle régionale.  Avec de bonnes chances que les mêmes causes produisent les mêmes effets.[/access]

*Photo : WITT/SIPA. 00589048_000002.

France, croissance zéro

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croissance offre montebourg

Montebourg ou Valls ? Politique de l’offre ou de la demande ? Keynes ou Milton Friedman ? Voici quelques-unes des mauvaises questions qu’on se pose depuis le déclenchement de la crise gouvernementale qui a entraîné la formation du gouvernement Valls II. Ce n’est pas que ces questions ne sont pas légitimes en soi, mais elles n’apportent tout simplement rien au débat politico-économique français.

On nous présente trop souvent les choses de manière biaisée. Il y aurait d’un côté les méchants sociaux-libéraux qui font souffrir les faibles pour faire plaisir aux riches et de l’autre, les gentils keynésiens estimant qu’on pourrait s’en sortir en inondant d’argent public l’économie déprimée. C’est oublier que la politique de Hollande n’est pas une pure politique de l’offre. Le gouvernement encourage également la demande, certes peut-être mal ou pas assez.

Deux  chiffres macroéconomiques montrent le vrai visage de l’économie française : une dépense publique égale à 56% du PIB (contre 45% en moyenne dans les pays de l’OCDE) et un taux de prélèvements obligatoires (l’ensemble des taxes et impôts) qui représente 50% du PIB (contre 38% en moyenne dans les autres pays de l’OCDE). On peut penser que c’est bien et on peut trouver cette situation désastreuse – c’est un choix politique légitime. Le problème est qu’on peine à voir les effets positifs de cet investissement exceptionnel des ressources. Ce sont ceux qui souhaitent avoir un grand service public à la française qui devraient les premiers exiger un audit pour comprendre pourquoi on ne fait plus avec le même ou bien pourquoi on ne fait autant avec moins.

Ainsi, que l’on encourage les entreprises et l’offre ou que l’on soutienne la demande en assurant une plus grande égalité de revenus et un service public à large périmètre, une même question se pose : comment garantir une juste et efficace allocation des moyens ? On ne doit pas nécessairement lui apporter une réponse  « tayloriste » en réduisant systématiquement les moyens alloués à une mission jusqu’au point de rupture.  Posons la question différemment : est-ce qu’en dépensant 56% du PIB, on ne pourrait pas faire beaucoup mieux ? Chaque euro est-il bien dépensé ? Chaque Français qui quitte son domicile le matin va-t-il travailler ou plutôt se rend-il au travail ? Vous trouvez cette remarque idéologiquement marquée ? Demandez-vous plutôt pourquoi Marseille, Paris et Cannes apparaissent dans le top ten mondial des villes perçues comme antipathiques par les touristes.

Imaginons qu’on mette fin au désendettement public, qu’on décide même de s’endetter encore plus et qu’on distribue l’argent ainsi obtenu pour créer des postes dans la fonction publique et alléger la fiscalité des contribuables les plus modestes. Cela aura sans doute des effets bénéfiques sur l’économie française, mais le moteur que cette injection d’essence est supposée redémarrer, est-il performant ? Et ces moyens ainsi injectés pourraient-ils permettre une croissance durable, apte à financer un service public ambitieux ? La réponse est non. Seuls les symptômes du mal s’en trouveront allégés. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la politique économique française de la période 1995-2007.  Portée par les vents de la croissance mondiale, l’économie française avait alors pu cacher ses problèmes structurels… avant que la crise ne les dévoile.

Malgré ces évidences, nos politiques vivent dans le déni. Ainsi, Arnaud Montebourg ne remet en cause ni l’Union Européenne ni l’euro mais fait croire qu’à l’intérieur de ce cadre contraignant, la France peut faire infléchir la position allemande, ce qui pousserait la BCE à dénouer les cordons de la bourse. Or, on sait déjà que deux présidents français– Sarkozy et Hollande – se sont heurtés à l’intransigeance d’Angela Merkel. Il faudrait mieux expliquer comment faire bouger l’Allemagne plutôt que de faire croire qu’on pourrait le faire… Et puis, alors que l’objectif bruxellois des 3% de déficit est devenu tout théorique[1. Bien que personne n’ose le dire de peur d’une fuite en avant dans les déficits.], cet éternel débat entre l’élu désabusé expliquant que ce n’est pas si simple que ça et le jeune premier maniant les « y’à qu’à/ faut qu’on » (qui  jouera le rôle du sage désabusé dans quelques années) ne mène nulle part.

Le débat devrait donc porter sur la meilleure manière de reconditionner les moteurs de l’économie française dans un premier temps, et le financement – même à crédit – du système dans un second temps. Dans le cas contraire, si nous n’avons pas des services de santé, d’éducation et de sécurité à la hauteur de ce qu’on paie déjà, à quoi bon chercher des moyens pour pouvoir les payer encore plus cher?

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00691077_000001. 

Pouvait-on faire plus ridicule que ce gouvernement?

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macron valls montebourg duflot

Ma délicieuse cousine, je vous pose la question, et j’y réponds tout à la fois : pouvait-on faire plus ridicule que ce gouvernement ? Quand ses membres se retrouvaient à l’Élysée, ce palais devenait une garnison de grotesques. Pour les croquer tous et toutes, ces gandins à poil et ces bas-bleus à plume, il faudrait le crayon d’un Daumier, la plume d’un Barbey d’Aurevilly. Las ! je n’ai que la mienne.

Très aimée, très désirée cousine, si j’emploie la forme passée pour parler des gens du pouvoir, c’est que des bouleversements ont interrompu le cours du temps. il s’est produit tant d’événements depuis ma dernière lettre, que j’hésite à vous en faire le récit, par crainte de vous lasser.

On entend ici, quand on ne lit pas là, et l’on voit partout des experts assermentés, l’arrière-train plus dansant que celui des otaries de cirque.

Ils tentent de nous éclairer -alors qu’ils ne réussissent pas même à nous distraire- en nous assurant que les nations ont tort de ne pas céder les restes de leur indépendance. Ils clament en tous lieux l’absolue nécessité pour elles de se fondre dans un grand tout universel, apaisé, sirupeux. Le conformisme de ces personnages est un spectacle, qui ravirait Rochefort, et lui fournirait l’aliment de cruelles diatribes dans sa Lanterne de belle mémoire. Ils se tournent vers l’Amérique lointaine, qui ne regarde plus dans notre direction mais vers l’Empire céleste, lequel est désormais si riche, qu’il envoie des légations de par le vaste monde, afin d’acheter des usines, des ports, des pays, et bientôt des continents. Habitués qu’ils sont à payer tout très cher, ils se refusent à acheter les hommes, ceux-ci s’offrant à vil prix …

Et notre roi, me demanderez-vous ? Il se porte bien, il démontre un solide appétit, et il il dort comme un loir. Cet homme ne semble pas connaître l’inquiétude. Sur le trône où il se tient, Gouda Ier, ayant atteint au sommet qu’il convoitait, démontre une sérénité de parvenu. Il se satisfait d’un rot, se complaît d’une histoire un peu leste, promène en tous lieux la physionomie heureuse d’un bourgeois cossu, et s’amuse fort, à ce qu’il paraît, de l’air sot que lui trouvent tout Paris et ses ministres en premier. Cet homme est un grand roué, ou le plus fol des monarques !

Or, ce bonhomme à l’air aimable et mélancolique, dont toute sortie pour cause d’inauguration de stèle ou de comice agricole s’accompagne d’averses diluviennes, vient de produire un acte d’autorité, dont nul ne le pensait capable. Il a proprement congédié tous les ministres du cabinet Valstar, l’hidalgo hypercambré, qui ne veut rien tant que lui succéder. Il est vrai, adorable cousine, que la situation politique s’était sérieusement dégradée.

Tout a commencé avec la parution d’un libelle vengeur de l’ancienne ministre des Cités et des bourgades, la très aigrie Mme Ducrot. On se souvient de son infantilisme, de ses bouderies d’adolescente, de son arrogance. Elle prétendit bâtir des villes pour y loger tous les français : sous sa calamiteuse administration, l’industrie du bâtiment connut l’une de ses crises les plus graves ! Mais voilà que la dame, qui fut un temps la plus ardente avocate de Gouda Ier,  démontrant  en tout lieu l’a fierté des gens très en cour, affirme aujourd’hui qu’il n’est d’homme plus vain que ce dernier, et qu’il ne mérite pas le trône vacillant sur lequel il a pris place !

Mais les agitations de la Ducrot n’étaient que les prémices, assez vaines il faut le dire, d’une manière de crise politique, qui mûrissait dans la pénombre de cet été abominable. Un orage allait éclater.

C’est alors que le ministre des entreprises, le beau Morlebourg, proclama partout la nullité du souverain, prétendit qu’il fallait cesser de l’écouter, et que lui désobéir était devenu nécessaire à la survie du royaume !

Courant derrière lui tel un basset de chasse, on vit le ministre des écoles lui prêter main forte. Ce monsieur Hanon, dans son emploi, se poussait du col pour feindre la hauteur de vue. Au reste, il avait succédé à une manière d’ectoplasme, qui a trouvé au parlement de l’Europe une place de confort et de sécurité parfaitement accordée à ses ambitions, Bref, Hanon et Morlebourg étaient bien près de fomenter un complot. Et comme il n’est, à Paris comme dans la Rome antique, de vrai complot qui ne soit le projet d’un triumvirat, ce duo de conspirateurs d’opéra-bouffe s’augmenta de l’effarante personne de la ministre des Beaux-Arts, une certaine Filetdortie, que l’on connut principalement pour la profusion de ses toilettes, son goût des mondanités banales, et ses préférences de coterie.

Dans le palais de l’Élysée, dimanche dernier, le roi était nu, quand ses adversaires agitaient devant la foule hilare les pièces de son pyjama.

Sa Majesté, son premier ministre et leurs fidèles réagirent avec une vigueur dont on les pensait incapables. Ils limogèrent tous les membres du cabinet, afin d’en former un nouveau. Ils exigèrent fidélité, obéissance et sans doute courtisanerie, puis constituèrent un gouvernement Valstar 2. Pour l’anecdote, sachez que la Filetdortie se donna le ridicule de faire connaître qu’elle ne consentirait point à recevoir un portefeuille ! Ces gens sont sans vergogne, qui se prétendent indispensables quand ils sont déjà oubliés.

Ensuite, les choses ne traînèrent pas. Gouda Ier, qui avait feint la détestation de l’entreprise et de la finance pour gagner le royaume, chargea Valstar de rassurer leurs représentants sur ses nouvelles dispositions d’esprit. Le parti des partageux, après quelques remous de façade, se ralliera bien vite à la société du profit, ainsi qu’au bon gouvernement des hommes et des choses, dès l’instant qu’il portera ses fruits. On dit que le baron Gross-Canne, naguère emporté par le scandale de ses frasques ancillaires, enrage à présent de voir s’incarner dans Gouda Ier ses propres conceptions économiques.

Quant aux Français, échaudés, se soucient-ils de savoir si leur salut viendra de Jaurès ou de… Guizot?

Mon adorable, ma cousine au parfum de vertige, je veux clore ma lettre sur l’expression du désir ardent que j’ai de me trouver auprès de vous, d’embrasser follement vos pieds, vos jambes, vos genoux, et de remonter ainsi jusqu’à un certain buisson de rose heureusement privé de la moindre épine…

*Photo : SIPA. 00691078_000007. 

La Hongrie souhaite construire un Etat « illibéral »

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viktor orban hongrie

Passée totalement inaperçue en France, une récente déclaration du Premier ministre hongrois Viktor Orbán a fait l’effet d’une bombe dans les médias anglo-saxons, principalement aux Etats-Unis (Washington Post, Newsweek) et en Allemagne. Elle a également suscité de vives réactions de la part de certains gouvernements européens, la dernière en date étant celle du ministre allemand des Affaires étrangères (Birgitte Ohlsson, ministre suédoise chargée des Affaires européennes, allant même jusqu’à réclamer des sanctions de Bruxelles).  Mais rien en France…

Qu’a-t-il donc encore fait, notre cher Viktor?

Le 26 juillet dernier, lors de l’université d’été de son parti qui s’est tenue à Băile Tuşnad en Roumanie (Tusnádfürdő, en hongrois), région de Transylvanie à majorité magyarophone, Viktor Orbán n’a pas hésité à citer comme ses modèles la Russie, la Chine et la Turquie, systèmes politiques qu’il dit admirer, « dont l’économie est plus compétitive que celle des pays occidentaux », conluant que « la Hongrie devra construire désormais  un Etat« illibéral » basé sur le  travail,  la démocratie à l’occidentale ayant fait son temps». Le Premier ministre hongrois en a par ailleurs profité pour stigmatiser les associations et ONG qui œuvrent en Hongrie, ces «agents politiques financés par l’étranger». Est notamment ici visé un fonds humanitaire norvégien qui a décidé de couper ses crédits, ce qui a aussitôt provoqué l’ire des officiels hongrois. (ONG qui aident en Hongrie les handicapés, les familles défavorisées, encouragent la culture ou militent contre la corruption.)

Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») ».  Là-dessus,  les interprétations vont bon train selon l’orientation  politique des observateurs. Si les partisans d’Orbán n’y voient a priori rien qui remette en cause la démocratie, les commentaires de l’opposition sont par contre virulents. Y voyant une mise au rancart de la démocratie, les libertés individuelles devant s’effacer devant le sacro-saint intérêt national…  dicté par les hommes en place, en d’autres termes par Viktor Orbán. Certains parlent même d’une «poutinisation de la Hongrie».

Sans vouloir entrer dans un débat stérile et fastidieux, force est de constater que les faits semblent parler d’eux-mêmes : neutralisation des organes de contrôle de l’exécutif (mise sous tutelle de la Cour constitutionnelle),  étouffement des médias privés et médias publics transformés en machine de propagande, quasi-suppression des débats au Parlement, vote à tour de bras de lois « sur mesure » dictées par l’exécutif (notamment les lois électorales),  manipulation des appels d’offre systématiquement remportés par les proches d’Orbán. Bref, si telle est la conception  que se fait Viktor Orbán d’un intérêt national primant sur l’individu, alors on est en droit d’avoir des doutes.

Certes, on ne saurait parler de dictature, ni de régime policier. Mais d’un régime autoritaire, proche, malgré les apparences, d’un système à parti unique, entièrement soumis à son chef. Vikor Orbán a beau jeu d’en profiter (et pourquoi s’en priverait-il?) face à une opposition démocratique quasi-inexistante et désunie. Seule force extérieure avec laquelle il doit compter: le parti d’extrême droite (pratiquement néo nazi) du Jobbik qui rassemble 20% des électeurs.

Précisément, Viktor Orbán ne serait-il pas en train de faire du charme à ces messieurs du Jobbik pour récupérer leurs voix (face à un Fidesz, son parti, qui stagne)? Plusieurs événements récents tendraient à le confirmer (telle la réhabilitation du régime quasi-fasciste de l’amiral Horthy) ?

Le plus comique dans l’histoire est que ce même Viktor Orbán est celui qui, voici 25 ans, se réclamait d’un système libéral et l’ennemi acharné des Russes. Lui qui ne jure plus que par son ami Poutine et met en place un Etat hypercentralisé nationalisant à tour de bras, ennemi déclaré du monde occidental, …  finalement proche de ce que nous a offert le régime communiste.

*Photo: Szilard Koszticsak/AP/SIPA.AP21550604_000007

Right or wrong, ma liberté

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liberte france liberalisme

liberte france liberalisme

De ma naissance à l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai pris qu’un seul et unique engagement qui soit de nature à restreindre ma liberté de façon permanente : je me suis marié dans le but de fonder une famille. Il n’y en a aucun autre. Oh, bien sûr, il m’est arrivé de prendre des engagements auprès de mes amis ou de mes collègues de travail et, comme tout homme digne de crédit, j’ai mis un point d’honneur à respecter ma parole scrupuleusement. Mais aucune de ces promesses ne m’engageait ad vitam aeternam, pour le meilleur et pour le pire et jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Dès lors, je peux dire avec certitude que rien, absolument rien à l’exception de cet unique engagement envers ma femme et mes enfants ne m’engage moralement à abandonner ne serait-ce qu’une infime parcelle de ma liberté. Il n’y a que deux moyens d’en obtenir plus de moi : me convaincre de faire une nouvelle promesse ou me contraindre par la force.

Alors oui, je suis français et j’aime mon pays. Aussi loin que notre mémoire familiale nous porte, mes ancêtres étaient français, je suis un produit de la méritocratie républicaine de l’ouest autant que de la bourgeoisie industrielle du nord, j’aime notre langue — avec une faiblesse pour sa version XIXe —, j’aime notre histoire, j’aime l’extraordinaire variété de nos paysages et de nos traditions et j’aime, peut-être plus que tout le reste, l’idée de cette France de 1790, celle de la fête de la fédération.

Pour autant, soyez-en sûr, je place ma liberté au-dessus de mon amour pour la France. Ça ne fait, dans mon esprit, pas le moindre doute. Si mon pays devait devenir une dictature liberticide, je cesserais immédiatement d’être français. « Where liberty dwells, écrivait Benjamin Franklin, there is my country. » Je me ferais citoyen helvétique s’ils veulent bien de moi, sujet de la reine d’Angleterre ou, en espérant qu’il reste un peu de Franklin outre-Atlantique, j’irai me faire américain.

Je n’ai, au risque de me répéter, jamais rien signé de tel qu’un contrat social — contrat chimérique, d’ailleurs, dont j’ignore jusqu’aux termes — et je ne suis, dès lors, tenu par aucune promesse. La seule chose qui puisse en tenir lieu, en l’occurrence, c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la base essentielle de notre Constitution, le seul texte au nom duquel vous pouvez me compter au nombre des patriotes prêts à se battre pour la République. Disons-le tout net : si je cesse d’être le citoyen d’une République fondée sur ces principes et à moins que vous ne proposiez mieux, je cesse aussitôt d’être français.

« Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même, disait Tocqueville, est fait pour servir. » Je préfère être pauvre et libre que riche à millions mais esclave. Je ne sers et ne servirais jamais que les causes que j’ai moi-même choisi et vos procès, vos reproches et vos indignations n’y changeront rien. Il est inutile de me chanter le refrain de la France éternelle — rien n’est éternel — ou d’en appeler à mes supposés devoirs envers ma race, ma classe, ma nation ou Dieu seul sait quel autre groupe fictif vous inventerez encore : je ne reconnais qu’une seule allégeance — ma femme, mes enfants ; pour le reste, je suis un homme libre.

Naturellement, il va de soi que vous reconnais le même droit. Vous voulez vous choisir un maître auquel vous confierez le soin de régler chaque détail de votre vie ? Grand bien vous fasse ! Vous voulez créer votre coopérative, votre phalanstère, votre kibboutz ? Je serais le premier à défendre votre droit de le faire ! Mais, de grâce, ne m’obligez pas à participer à vos utopies et ne m’obligez pas à subir les conséquences de vos choix. Pouvez-vous faire ça ? Pouvez-vous admettre que mes choix soient différents des vôtres et me laisser vivre selon mes propres aspirations ?

Parce que si vous êtes incapables d’admettre cette simple idée et si vous refusez d’en faire, comme moi, le principe essentiel qui doit fonder notre vie en commun, alors, vous exercez sur moi un chantage qui peut se résumer en une alternative : obéir ou partir. Très concrètement, vous m’imposez de choisir entre ma liberté et le simple fait de vivre dans le pays de mes ancêtres, le pays où je suis né, ce pays — je l’ai dis — que je ne pourrais quitter que la mort dans l’âme. C’est un racket des plus odieux mais n’ayez pas le moindre doute : je partirai parce que je préfère mille fois l’exil à la servitude mais je partirai en vous maudissant et vous pourrez, à compter de ce funeste jour, me compter au nombre de vos ennemis les plus implacables.

*Image : wikicommons.

Art : Paris n’est plus un marché actif ni réactif

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elisabeth royer grimblat art

elisabeth royer grimblat art

Marchande d’art et historienne de l’art, Elisabeth Royer-Grimblat travaille depuis 1996 à la recherche des tableaux spoliés pendant la Seconde guerre mondiale, domaine dans lequel elle est devenue une incontournable archiviste et traqueuse.

Causeur. Il y a un siècle, Picasso, Braque, Picabia, Brancusi, Soutine, Modigliani avaient élu domicile à Paris. Pourquoi la capitale a-t-elle perdu son pouvoir d’attraction auprès des artistes d’aujourd’hui ?

Élisabeth Royer-Grimblat. Je refuse de céder au fatalisme ambiant ! Paris reste une ville aimée des étrangers. Certes, cet amour se nourrit de sa gloire passée, mais cela n’a pas empêché Larry Gagosian[1. L’Américain Larry Gagosian est l’un l’un des plus importants marchands d’art contemporain et d’art moderne.] d’ouvrir une galerie et une gigantesque salle d’exposition au Bourget. Et si on ne connaît pas à Paris l’émulation des deux premières semaines de novembre et de mai dans les galeries new-yorkaises, Paris conserve une place de choix dans le parcours obligé du collectionneur à travers les foires du monde entier: la Biennale des antiquaires en septembre, la FIAC au mois d’octobre, Art Paris en mars se maintiennent. Et le Salon du dessin d’avril connaît un succès exceptionnel depuis quelques années. Vous voyez, la situation n’est pas si dramatique !

En somme, il en va de l’art comme du reste : il s’est mondialisé et, dans cette mondialisation, la France est un acteur mineur ?

Mineur, ce n’est pas vrai, mais il est certain que le marché de l’art actuel n’est pas comparable à celui de 1914. À l’époque, artistes, galeries et acheteurs étaient tous installés à Paris. Aujourd’hui, acheteurs et artistes n’ont pas besoin de vivre dans les mêmes lieux. Un artiste peut résider à Paris alors que ses clients – européens, chinois, russes, indiens, qataris… – se trouvent de l’autre côté de l’Atlantique, voire à l’autre bout du monde. De toute façon, la rencontre entre acheteurs et vendeurs se fait de plus en plus dans les grandes foires de Miami, Londres, Bâle et Maastricht, qui supplantent désormais les galeries. La vérité, c’est que le monde de l’art n’a plus vraiment de « centre ».[access capability= »lire_inedits »]

La mondialisation du marché suppose-t-elle la mondialisation de l’art lui-même ? Et dans ces conditions, cela a-t-il un sens de parler d’artistes « français » ou « américains » ?

Les artistes français ont été sur le devant de la scène jusqu’à la fin des années 1950-1960. Paris était alors le centre de la création artistique, un lieu d’émulation et d’échanges intellectuels unique. Beaucoup de mouvements artistiques partaient de la capitale. Les artistes étrangers venaient à Paris parce que c’était LE lieu pour apprendre, être reconnu et sacré. Les fondations étrangères, et plus particulièrement celles dirigées par des lobbys américains, venaient y acheter les pièces maîtresses des artistes français. Après 1960, grâce à l’explosion du mouvement Pop Art, notamment avec Warhol et Rauschenberg, les Américains ont pris conscience de leur potentiel artistique. On pourrait parler de « conquête » de l’art contemporain par les Américains. Il y avait eu des signes avant-coureurs à ce bouleversement, par exemple la présentation à la Biennale de Venise, en 1948, de huit toiles de Jackson Pollock. Plus tôt encore, en 1933, Matisse était revenu des États-Unis envoûté par son voyage. « Vous comprendrez, quand vous verrez l’Amérique, qu’un jour ils auront des peintres, parce que ce n’est pas possible, dans un pays pareil, qui offre des spectacles visuels aussi éblouissants, qu’il n’y ait pas de peintres un jour », disait-il. Une vraie prophétie!

Quels que soient le talent et l’inventivité des artistes américains, la France n’est-elle pas responsable de sa marginalisation ?

Il est vrai qu’au moment où les maîtres américains triomphaient, la France se repliait sur elle-même. Les musées français ont continué leurs acquisitions, mais après ils n’ont pas fait le travail de promotion nécessaire pour les faire connaître à l’étranger. Résultat : presque aucun artiste français n’est représenté sur la scène internationale, tandis que la côte d’artistes allemands, espagnols, anglais, chinois ou indiens monte. Si Yves Klein est aujourd’hui le principal représentant français de l’art contemporain dans le monde, c’est grâce aux efforts déployés par sa famille pour assurer le rayonnement de son œuvre (expositions et ventes en Australie, aux États-Unis, etc.). Paris vit sur sa splendeur passée, mais n’est plus un marché actif et réactif. Pourtant, les artistes de talent ne manquent pas!

Quoi qu’il en soit, seul le marché, donc les acheteurs, permet d’évaluer la valeur d’une œuvre. N’y a-t-il pas, en art comme dans d’autres secteurs, des « bulles » spéculatives, qui se traduisent par des cotes délirantes ?

Rien n’est plus difficile que d’avoir un jugement sur l’art contemporain et d’estimer la valeur réelle d’une œuvre. Les côtes de certains artistes sont, il est vrai, fabriquées et artificielles. Au XIXe siècle, ce n’étaient pas Géricault et de Delacroix qui raflaient la mise mais des peintres mineurs comme Flandrin, Cabanel, Meissonnier. Il faut attendre que le temps décide qui restera dans l’histoire.

Mais aujourd’hui, l’œuvre d’art est aussi un investissement …

Effectivement, aujourd’hui, le collectionneur a tendance à agir en investisseur. Les vrais collectionneurs, pour lesquels l’œuvre d’art n’est ni un produit ni un placement, se font rares. Autrefois, ils étaient nombreux dans les familles aisées. Le médecin qui achetait deux à trois œuvres de bonne qualité par an était une figure de la bourgeoisie française. Les « investisseurs », eux, agissent directement sur la cote des artistes. S’il arrive que les prix s’envolent de façon malsaine, c’est souvent parce qu’un groupe important d’investisseurs, composé principalement de nouvelles fortunes, considère que telle ou telle œuvre est un placement « sexy ». Il ne sera pas nécessairement rentable, mais il a une forte valeur symbolique, en ce sens qu’il est un marqueur de la réussite sociale.

Et l’art ancien ?

Il existe bel et bien une perte d’intérêt pour l’art ancien. Les œuvres anciennes représentent des placements plus hasardeux en raison des incertitudes d’attribution : si une toile que l’on attribuait à Goya se révèle être une œuvre d’atelier, elle perdra beaucoup de sa valeur. De nombreuses attributions données par Berenson, par exemple, ont été corrigées un siècle plus tard. Un désastre pour les propriétaires ! Si la cote des grands artistes reste toujours très élevée, le temps est impitoyable avec les artistes de second ordre.

Croyez-vous vraiment que, dans vingt ans, on s’ébahira devant un crustacé de Jeff Koons ?

J’aime Jeff Koons. Il est vrai qu’avoir un Jeff Koons chez soi dispense de justifier ses goûts tout en envoyant un message clair : « Je suis riche ! » Il est, au passage, intéressant de savoir que les artistes contemporains aiment souvent passionnément l’art ancien. Koons et Hirst, par exemple, sont des grands amateurs de Courbet.

Quel peut être l’avenir de l’art dans une économie mondialisée ?

Une poignée de multi-milliardaires achète les tableaux les plus chers. Cela entraîne fatalement la dilution du marché moyen. Cela dit, il y a encore des amateurs d’art qui achètent par goût. Un très beau tableau, de n’importe quelle époque, reste une valeur sûre.

Diriez-vous que l’art est trop subventionné en France   ?

La subvention peut, bien entendu, devenir un piège : l’État est-il qualifié pour faire des choix artistiques? Les commandes publiques ne transforment-elles pas une poignée d’artistes en « artistes officiels » à la solde du pouvoir ? Les subventions, néanmoins, ne me choquent pas. L’art est éminemment libre, mais il est aussi fragile. C’est pourquoi il mérite, à mon avis,  l’attention et les soins des pouvoirs publics. Ce qui compte, c’est qu’il conserve sa profonde liberté. J’ajoute que les artistes allemands sont cinq fois plus subventionnés que les artistes français. En France, contrairement à ce qu’on croit souvent, c’est l’art vivant le « chouchou » du ministère de la Culture.[/access]

*Photo : Hannah.

Lana Del Rey : Ultravibrante

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Lana del rey ultraviolence

Lana del rey ultraviolence

Jean-Pierre Mocky déclarait récemment dans les pages du Figaro (daté 24 juin) : « Les jeunes actrices sont un peu popotes. En plus, elles se ressemblent toutes ». On pourrait dire la même chose des jeunes chanteuses, ces Lady Gaga, Miley Cirus, Britney Spears, Rihanna, certes un peu plus puputes que popotes mais toutes pareillement semblables les unes aux autres. Non, vraiment, Lana Del Rey est la seule popstar crédible de sa génération, quand ses consœurs se recyclent en pornstar dès le premier glissement de terrain. Mais alors, si les jeunes actrices se ressemblent ainsi que les jeunes chanteuses, la question se pose : les jeunes femmes se ressemblent-elles toutes aujourd’hui ? En réalité, et Mocky le dit : « La plupart ne sont pas des femmes libres. Bardot était unique ». Lana Del Rey l’est aussi, unique. Une Garbo de la pop. Une Vouivre mélancolique et suave. Un rubis dans une mare ensorcelée du bocage vendéen global qu’est devenue l’industrie du disque. Une divine sauvageonne. Tout ce que les hommes sensibles à l’art aiment. Jayne Mansfield l’avait dit : « Les hommes veulent des femmes roses, sans défense et qui respirent en gonflant la poitrine ». Ils veulent sentir le feu d’une voix braisée leur déclarant ingénument : « They say I’m too young to love you, I don’t know what I need ». Ils veulent le retour de la fraîcheur de vivre ! Il était donc urgent que Lana Del Rey publie son nouvel album : Ultraviolence.

Dès les premières notes du morceau d’ouverture, nous voici téléportés dans le bourbier fantasmagorique de Twin Peaks, la série culte de David Lynch fardée d’esthétisme fifties. Mais ce n’est encore rien en comparaison de ce qui attend l’auditeur plus loin avec le climax du disque, « Brooklyn Baby », aux faux airs de la Kate Bush japonisante des débuts. Une chanteuse n’avait plus autant vrillé le cœur humain en prononçant le mot « baby » depuis… Billie Holiday ! Et après quelques autres réjouissances troublantes, dont le parfaitement dépoitraillé « Money Power Glory », l’album se termine par une reprise de « The Other Woman », titre de Jessie Mae Robinson immortalisé notamment par Sarah Vaughan, Nina Simone et Jeff Buckley. Autant de rémanences douces à l’existence en 2014.

Enregistré à Nashville, Ultraviolence brille par sa production organique teintée de blues fêlé dans les entournures, signée Dan Auerbach (guitariste et chanteur des Black Keys). « Je ne sais pas si je suis dingue mais j’ai l’impression qu’on est en train de faire un superdisque » confiait le musicien tard le soir à sa nouvelle muse pendant les sessions d’enregistrement. On n’imagine pas un tel enthousiasme dans les studios français : « Vanessa, je ne sais pas si je suis dingue mais j’ai l’impression qu’on est en train de faire un disque encore plus sympa que le dernier Renan Luce »… « On en parlera demain Benjamin, je dois récupérer mon fils à l’école, il est déjà 15H10, l’atelier Goûter citoyen se termine dans 20 minutes ».
Ceci dit, Dan Auerbach a entièrement raison : Ultraviolence est un superdisque, ultra beau, ultra vivant et vibrant, bien plus que la plupart de ceux qui aspirent à nous faire danser ou qui utilisent l’argument de l’émotion à fleur de peau (La Bande à Renaud) voire le progressisme à fleur de peau (Conchita) pour tenter de nous convertir.

Cette nouvelle livraison de Lana Del Rey s’impose d’emblée comme un grand album et deviendra probablement un futur classique pour les chanceux pourvus d’une âme dépassant les misérables 21 grammes de la condition humaine de masse.

Disque idéal en tout cas pour une virée nocturne sur la Côte Ouest (Malibu ou La Baule, selon l’humeur), quand le ciel vire au velours bleu-noir.

Étymologies

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valls ministre najat

valls ministre najat

Il y a le Magister — du matin « plus ». D’abord, Magistrat. Puis le G inter-vocalique tombe, du S ne reste qu’une trace, un accent circonflexe, à l’arrivée, voici le Maître. Aussi bien le maître d’école que le maître de l’art du thé. Voir la nouvelle de Yasushi Inoue.
L’existence d’un mot souvent entraîne l’apparition de son contraire. Il y avait par exemple « heur » (du latin augurium, à distinguer de « heure » qui vient de hora — de sorte que « heur » signifiait à l’origine « de bon augure »), sur lequel on a fabriqué « malheur » — et quand on a oublié le sens originel du radical (« Rodrigue, qui l’eût cru ? Chimène, qui l’eût dit ? Que notre heur fût si proche et si tôt se perdît »), on a recomposé l’antonyme « bonheur », qui n’était au fond qu’un pléonasme, tout comme « aujourd’hui » est le pléonasme d’« hui », qui veut dire « aujourd’hui » (et je ne vous dis pas ce que je pense des imbéciles qui disent « au jour d’aujourd’hui »).
« Magister » a donc généré son contraire. À magis, plus, correspond donc minus, moins. Que l’on a substantivé en « ministre ». Comme dans « ministre des menus plaisirs »… « Je suis ministre, donc, je ne sais rien faire », dit excellemment De Funès dans la Folie des grandeurs. Minus !

Ah, précisons tout de suite : le mot est masculin. Tous ceux qui disent « la » ministre en croyant faire plaisir aux théoriciens du Genre font une faute contre la langue. Ce n’est pas du français, c’est de l’idéologie. Et ce que l’on devrait enseigner aux enfants, c’est le français — parce que la langue donne accès à une culture, alors que les idéologies, souvent, ferment la porte sur la culture.

Eh oui : le ministre, étymologiquement, c’est un moindre. Quelqu’un qui n’a pas la maîtrise.

Regardez à l’Education Nationale. On peut se passer d’un ministre à cinq jours de la rentrée, non parce qu’il aurait bouclé la rentrée (qui sera chaotique, rythmes scolaires et difficultés de recrutement obligent), mais parce que ce sont les bureaux (la DGESCO, par exemple) qui s’occupent de la mise en place au jour le jour, semaine après semaine — et à l’autre bout de la chaîne, les maîtres d’œuvre de la rentrée, ce sont les chefs d’établissement. Du ministre, aucune nouvelle. Il n’est même pas là pour donner l’orientation : tout le monde sait, depuis des années, que la rue de Grenelle commence et finit à Bercy.
À noter que tout le monde sait aussi que Bercy commence et finit à Berlin, depuis quelques années.

Le « ministre », donc, n’en déplaise à tous ceux qui quémandent un poste à chaque remaniement (ah bougre, Jean-Luc Benhamias !), est un pion de moindre importance — ni le roi, ni la reine — juste un pion, que l’on sacrifie pour trouver l’ouverture. Exit Montebourg, qui s’imagine lui aussi avoir un avenir en 2022. Prévoir, c’est gouverner…
Un moindre. Un minus. Un individu d’une importance dérisoire. Un zéro qui ne multiplie qu’en passant dans les médias.
Tout cela pour dire quoi, au fait ? Ah oui : Najat Vallaud-Belkacem est désormais ministre de l’Education nationale et des Universités.

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00685354_000008.

Ukraine : Mourir à Donetsk

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ukraine donestk donbass russie

ukraine donestk donbass russie

Dans ces colonnes, André Markowicz  nous a fait part de son angoisse face à la montée d’une haine irrationnelle à l’œuvre dans ce qui est devenu une guerre civile en Ukraine. Témoignage précieux et équilibré. Les mots et leur sens comme mesure de la haine qui s’est installée là-bas. Mais, au-delà de cette montée assez terrible, comment appréhender la réalité et les enjeux de ce qui se passe ? En essayant, ce qui n’est pas facile, d’échapper à cette propagande russophobe poussée en France à son paroxysme, et sans souscrire à celle d’en face qui n’est pas en reste.

La Russie aujourd’hui ? André Markowicz nous dit qu’elle est celle de Nicolas 1er au milieu du XIXe siècle. Une dictature. C’est étrange, car même si ce pays pratique une démocratie éventuellement éloignée de nos standards, c’est la première fois dans son histoire qu’il a atteint un tel niveau. Il n’avait connu jusqu’à présent que des dictatures plus ou moins féroces. Le paysage politique est pluraliste, les élections ont lieu régulièrement et le pouvoir central bénéficie d’un soutien populaire difficilement contestable. Assimiler la pratique du pouvoir de Poutine à celle de Staline ou de Nicolas 1er, voire d’Ivan le terrible n’est pas convaincant. Ce grand pays, de vieille civilisation et d’un haut niveau culturel est sorti il y a 20 ans d’une série de tragédies pour certaines terrifiantes. Il y a encore 25 ans, c’était une grande puissance dont, quoi qu’on en pense, les habitants étaient fiers même s’ils rejetaient la dictature. L’effondrement et l’éclatement ont  constitué dans un premier temps plus une humiliation qu’une libération. Les 10 premières années sous la direction d’un ivrogne corrompu ont été celles de la souffrance et de l’avilissement ou en tout cas vécues comme telles. L’incontestable succès populaire de Vladimir Poutine ? Il a reconstruit un État et redonné à ce peuple sa fierté. Même s’il s’appuie sur un nationalisme et un patriotisme exacerbé. Ce que Lénine appelait le « chauvinisme grand russe ». Sans oublier l’énorme traumatisme de la deuxième guerre mondiale et l’extrême sensibilité de la Russie au sentiment d’être à nouveau vulnérable. Alors, si les dirigeants de  l’UE se dispensaient des provocations dangereuses, et notre presse des rodomontades imbéciles ?

L’Ukraine ? André Markowicz nous dit : « Il n’y avait jamais eu de haine entre les Russes et les Ukrainiens. » Est-ce si sûr ? L’Ukraine actuelle est une mosaïque issue de siècles tumultueux. Pour s’en tenir à la période récente, il faut quand même rappeler que les troupes allemandes furent reçues en libérateur en juin 1941 dans l’Ukraine de l’Ouest. Que l’Allemagne trouva facilement comme dans les pays baltes, des auxiliaires zélés pour la Shoah. Après la libération en 1944, des maquis antisoviétiques conséquents ont été constitués et ont mené la vie dure à l’Armée Rouge jusqu’au début des années 50. L’Est a toujours été russophile, quant à la Crimée, terre russe, chacun sait dans quelles conditions Kroutchev la rattacha à l’Ukraine en 1954.

Que s’est-il passé  depuis un an ? Les États-Unis, violant leurs engagements, selon lesquels les anciens pays « socialistes » du glacis n’étaient pas appelés à rejoindre l’OTAN, ont mis en œuvre une stratégie systématique d’élargissement de celle-ci. On comprend pour la Pologne et les pays baltes cette envie du parapluie américain. Mais pour l’Ukraine, État tampon, résidu  branlant du glacis, il fallait proscrire la tactique de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Et pourtant, première déstabilisation, financée par les États-Unis en 2007 (la révolution orange). Portant au pouvoir une spectaculaire bande de voyous. Chassés par les élections présidentielles régulières en 2010.  Ianoukovitch  Président légitime, conscient de l’état de faillite de son pays et de sa dépendance économique et énergétique  vis-à-vis de voisin Russe a finalement décidé de ne pas souscrire à l’accord d’association exclusive que lui proposait l’UE. Pour les États-Unis, ce fut le casus belli. Et l’organisation d’un  coup d’État à l’ancienne. Un ambassadeur américain à la manœuvre, une élégante secrétaire d’État US pilotant sans vergogne et procédant elle-même au casting des dirigeants installés par le putsch. Une pluie de dollars pour acheter les consciences, et des mercenaires de Black Water pour les provocations. Face aux manifestations  de Maïdan un accord tripartite entre l’Europe, l’Ukraine et la Russie avait conclu à l’installation d’un gouvernement de transition. Violé dès le lendemain par un coup de force immédiatement entériné par l’UE et les États-Unis. Le prétexte, un massacre à l’occasion d’une tentative des manifestants de prendre d’assaut les bâtiments gouvernementaux. On sait maintenant, grâce à la presse allemande qu’il s’agissait  d’une provocation orchestrée par les putschistes. L’essentiel des victimes ayant été abattu par des mercenaires à leur solde. Ce gouvernement comprenait un tiers de membres d’organisations carrément nazies influentes dans l’ouest du pays. Sa première décision fut d’interdire l’usage de la langue russe parlée par 40 % des ukrainiens et massivement majoritaires dans l’est. La deuxième fut de signer l’accord d’association avec  une UE empressée. La troisième de laisser entendre que l’Ukraine demanderait son adhésion à l’OTAN. Tout ceci fit extrêmement plaisir à la Russie, qui, toute confiance évanouie, s’empressa de réagir en mettant la Crimée et Sébastopol à l’abri. On entendit à cette occasion beaucoup de glapissements de ceux qui avaient approuvé toutes les violations du droit international par les États-Unis depuis 30 ans. Les provinces de l’est ukrainiens demandèrent alors la séparation. Bien que les éléments d’une négociation sur la fédéralisation fussent sur la table, les excités de Kiev répondirent par des bombardements et des massacres de civils.

Aujourd’hui si l’est de l’Ukraine, est à feu et à sang. La Crimée, quant à elle, est particulièrement calme…

Bien évidemment, les Russes soutiennent les russophones, n’ayant aucune envie d’avoir les gens de « Secteur Droit » et Svoboda à leurs portes.
Comment les Américains et les Européens ont-ils pu à ce point faire preuve d’amateurisme ? Comment ont-ils pu s’imaginer qu’une manœuvre aussi grossière et aussi attentatoire aux intérêts d’une grande puissance, puisse ne pas provoquer sa réaction ?

Une hypothèse est celle de la volonté d’un affrontement avec la Russie, celle-ci devenant encombrante sur le plan international comme l’ont montré les affaires de l’Iran et de la Syrie. Après l’escroquerie libyenne, les Russes ont clairement fait savoir (avec les Chinois) qu’on ne les y reprendrait plus. Est-ce que cela veut dire que la guerre est intégrée comme une hypothèse plausible ?  La lecture du procès-verbal de la commission du Sénat américain ou Victoria Nuland (Mme fuck the UE) s’est fait déchiqueter à cause de sa « faiblesse » est assez terrifiante. Le vocabulaire (électoral) de Madame Clinton est de même nature. Le crash du  MH17 fut immédiatement attribué à Vladimir Poutine lui-même. Force est de constater aujourd’hui qu’il n’y a plus que la Russie qui s’intéresse aux résultats de l’enquête. Les forces de Kiev ont empêché l’accès à la zone de crash. Les États-Unis aux moyens de surveillance ultrasophistiqués, ont jusqu’à présent été bien en peine de fournir la moindre des preuves que John Kerry prétendait pourtant posséder. Silence pesant désormais, le couvercle est refermé. Il est probable, comme pour l’utilisation du gaz sarin en Syrie où l’on sait maintenant que ce sont les rebelles qui l’ont utilisé, que l’on finira par apprendre que ce sont bien les forces de Kiev qui ont abattu l’avion de ligne.

Tout cela commençait à susciter des inquiétudes chez les gens sérieux en Occident : anciens ministres, diplomates, chercheurs, militaires.

Qu’il existe entre les ukrainiens de l’Ouest et les ukrainiens de l’Est, des haines pour l’instant inexpiables, ne saurait constituer une surprise. Ils sont sur la ligne de front. De part et d’autre soumis à la propagande, chantant malheureusement des airs que nous connaissons.

Seulement, les va-t-en-guerre occidentaux, sont désormais confrontés à un triple problème :

• Cette stratégie est très peu populaire dans nos pays. Mourir pour Donetsk dans une guerre nucléaire ? Euh … Ensuite, Vladimir Poutine, malgré la diabolisation, bénéficie d’un courant de sympathie chez nous. À droite parce que c’est un homme de droite (patriote, autoritaire, viril), à gauche parce qu’il fait la nique à l’impérialisme américain.

•  Les sanctions américaines servilement relayées par l’UE vont se retourner contre nous. Et cela risque de nous coûter très cher.

• Comme les choses vont très vite, un nouvel empire du mal a brusquement émergé en Irak et pour les opinions occidentales, l’islamisme radical est bien l’ennemi principal. Et là, les Russes sont clairement nos amis, emmenant dans leurs bagages, l’Iran et la Syrie. Poutine ayant soutenu l’intervention israélienne à Gaza au nom du droit à se défendre, cela va quand même être assez compliqué de lui envoyer des bombes sur la figure.

Angela Merkel l’a parfaitement compris : elle vient de se rendre chez Porochenko pour lui demander de mettre de l’ordre dans sa boutique. Le mainstream médiatique français, définitivement le plus lamentable, nous a présenté cette visite comme une marque de soutien au président ukrainien. Non, Merkel, les Russes elle connaît. Et comme ce sont les Allemands qui commandent l’UE, la chancelière est allée donner ses ordres.

*Photo : Efrem Lukatsky/AP/SIPA. AP21614930_000013. 

Juppé, la tentation de Biarritz

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Chauve, énarque, septuagénaire et provincial, Alain Juppé avait toutes ses chances pour les élections présidentielles de 2017. L’ancien locataire de Matignon, qui caracole dans les sondages, a même annoncé officiellement sa candidature aux primaires de l’UMP. Mais – patatras ! – le quotidien régional Sud-Ouest vient de sortir un gigantesque scandale qui risque fort de briser net son destin …

C’est une affaire qui a échappé à la perspicacité des moustaches d’Edwy Plenel (jusque là , on pensait qu’à Médiapart ,ce régime de faveur était réservé à Dominique de Villepin…

Et pourtant, il y avait dans ce Juppégate de quoi anéantir sa carrière : « Alain Juppé a-t-il bénéficié d’un passe-droit lors de ses vacances à Biarritz, en disposant de deux places de parking réservées sur la voie publique par arrêté municipal? » interroge gravement le quotidien. Les riverains sont scandalisés. Les touristes indignés. Un soupçon de collusion plane. Y aurait-il des vacanciers plus égaux que d’autres sur le parking de la plage ?

Expliquez-vous Monsieur Juppé!

 

Le fédéralisme, c’est maintenant!

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reforme territoriale datar

reforme territoriale datar

Comme la célèbre « remise à plat de la fiscalité », la réforme territoriale présentée par le gouvernement a tout l’air d’une improvisation couplée à des combines politiciennes – en témoigne, entre autres, le non-rattachement des Pays de la Loire à la Bretagne.

Pourtant, on ne manque pas, en amont, de réflexions approfondies et de propositions bien étayées. Pour reconfigurer le « millefeuilles », notre Président avait à sa disposition tout l’outillage nécessaire. Ceux qui croient que tout cela se réduit à des coloriages sur une carte de France se trompent : ce qui se joue, c’est une réforme  des plus irréversibles, des plus durables et des plus déterminantes dans la vie quotidienne des Français.

Depuis les années 1960, la France disposait même d’une institution dédiée à cette réflexion : la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale). Intégrée récemment dans un commissariat à l’Égalité des territoires, elle n’a même pas été consultée sur le nouveau découpage régional, comme le signalait dans Le Monde le démographe Hervé Le Bras. L’eût-elle été qu’on aurait découvert qu’elle publie depuis des années des rapports tous plus intéressants les uns que les autres sur le territoire français, ses villes, ses régions, ses réseaux, ses campagnes, etc. Il n’y avait qu’à lire, faire la synthèse, et décider en connaissance de cause, pour le bien du pays plutôt que pour celui des camarades de parti.[access capability= »lire_inedits »]

À titre d’exemple, citons la très ambitieuse et non moins excellente démarche de prospective lancée en 2009, intitulée « Territoires 2040 ». Tout y est. Tout a été dit, y compris sur la France d’aujourd’hui. Au point qu’une très belle exposition itinérante de cartes et de posters a sillonné les routes de l’Hexagone et s’est affichée au cœur des villes, en place publique. À se demander même si ceux de nos lecteurs qui ont eu la chance de la visiter n’en savent pas plus sur leur pays que notre Président. Pour tous les autres, tout est en ligne : territoires2040.datar.gouv.fr.

Quoi qu’il en  soit, quatre petits schémas-scénarios résument assez bien ce qu’il faudrait avoir en tête pour organiser le territoire national, et en particulier apprécier la place qu’y tiennent les régions, les villes, les métropoles, Paris, ou encore l’État.

Scénario 1 : l’« hyperpolisation ». Selon ce schéma,  les métropoles et leurs territoires  prennent le contrôle de l’espace ; le reste n’est que dépendances − campagnes − ou quantités négligeables et négligées. La France s’assume enfin comme ce qu’elle est : un monde fondamentalement urbain. Dotées de véritables gouvernements, ces métropoles supplantent les régions, et négocient directement avec l’Europe,  quoique l’État reste un partenaire déterminant.

C’est actuellement le scénario à l’œuvre dans le développement et l’autonomisation de grandes agglomérations du pays, Lyon notamment.

Scénario 2 : la « régiopolisation ». Dans ce scénario, un État central affaibli et devenu « fédéral » cède le pas à des régions d’envergure européenne, transfrontalières ou dotées d’une façade maritime, largement autonomes politiquement et fiscalement. Il s’agit de véritables archipels urbains centrés sur une poignée de grandes villes : Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, Lille, Toulouse, Bordeaux, Rennes-Nantes, Nancy-Metz-Luxembourg. Et que le meilleur gagne !

Scénario 3 : la « postpolisation ». C’est la logique de la dispersion maximum, de la segmentation de la société en espaces homogènes − riches ou pauvres −, plutôt de petite taille, chacun étant une périphérie pour tous.

Le territoire de référence est le territoire local, dans une France qui renoue avec les féodalités d’Ancien Régime. Dans un pays de « villages urbains » fantasmés, les villes sont globalement affaiblies, bridées dans leurs initiatives par un État qui accompagne un mouvement de périurbanisation généralisée, et occupé du même coup à en soigner les effets délétères : ségrégation accrue entre centres et périphéries, relégation sociale et géographique dans les périphéries des périphéries.

Scénario 4 : la « dépolisation ». C’est une France Facebook, agrégat d’individus vivant chacun dans son monde, à la fois hyperlocal et mondialisé, en transit permanent, volontaire ou forcé − selon que vous serez puissant ou misérable… −, qui ne se croisent que dans des gares, c’est-à-dire ce qui reste des villes. Privé d’une assise sociale consistante et d’un monde commun, l’État devient obsolète, voire parasitaire le temps qu’il périclite. Ça commence par la suppression du défilé du 14-Juillet.

Chacun de ces scénarios est une sorte de futur possible, poussant à l’extrême une logique d’évolution à partir des phénomènes déjà en germe aujourd’hui. La réforme territoriale proposée par le gouvernement semble privilégier le scénario « régiopolitain » (n°2), tout en proposant un découpage régional qui ne reprend pas l’optimum énoncé par la Datar, ni quant au nombre de régions − 14 régions au lieu de 9 −, ni quant à leurs contours − réunir Chartres et Tulle dans une même région n’a aucun sens au plan géographique. Ce faisant, ne voulant pas regarder le pays en face ni comprendre que le vote FN est l’un des symptômes de la montée en puissance du « chacun pour soi » qui correspond au scénario n°3, Hollande passe à côté de ce qui se joue actuellement en France. On croit privilégier la logique régionale : en réalité, on ne fait que reproduire le modèle étatique centralisé à l’échelle régionale.  Avec de bonnes chances que les mêmes causes produisent les mêmes effets.[/access]

*Photo : WITT/SIPA. 00589048_000002.

France, croissance zéro

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croissance offre montebourg

croissance offre montebourg

Montebourg ou Valls ? Politique de l’offre ou de la demande ? Keynes ou Milton Friedman ? Voici quelques-unes des mauvaises questions qu’on se pose depuis le déclenchement de la crise gouvernementale qui a entraîné la formation du gouvernement Valls II. Ce n’est pas que ces questions ne sont pas légitimes en soi, mais elles n’apportent tout simplement rien au débat politico-économique français.

On nous présente trop souvent les choses de manière biaisée. Il y aurait d’un côté les méchants sociaux-libéraux qui font souffrir les faibles pour faire plaisir aux riches et de l’autre, les gentils keynésiens estimant qu’on pourrait s’en sortir en inondant d’argent public l’économie déprimée. C’est oublier que la politique de Hollande n’est pas une pure politique de l’offre. Le gouvernement encourage également la demande, certes peut-être mal ou pas assez.

Deux  chiffres macroéconomiques montrent le vrai visage de l’économie française : une dépense publique égale à 56% du PIB (contre 45% en moyenne dans les pays de l’OCDE) et un taux de prélèvements obligatoires (l’ensemble des taxes et impôts) qui représente 50% du PIB (contre 38% en moyenne dans les autres pays de l’OCDE). On peut penser que c’est bien et on peut trouver cette situation désastreuse – c’est un choix politique légitime. Le problème est qu’on peine à voir les effets positifs de cet investissement exceptionnel des ressources. Ce sont ceux qui souhaitent avoir un grand service public à la française qui devraient les premiers exiger un audit pour comprendre pourquoi on ne fait plus avec le même ou bien pourquoi on ne fait autant avec moins.

Ainsi, que l’on encourage les entreprises et l’offre ou que l’on soutienne la demande en assurant une plus grande égalité de revenus et un service public à large périmètre, une même question se pose : comment garantir une juste et efficace allocation des moyens ? On ne doit pas nécessairement lui apporter une réponse  « tayloriste » en réduisant systématiquement les moyens alloués à une mission jusqu’au point de rupture.  Posons la question différemment : est-ce qu’en dépensant 56% du PIB, on ne pourrait pas faire beaucoup mieux ? Chaque euro est-il bien dépensé ? Chaque Français qui quitte son domicile le matin va-t-il travailler ou plutôt se rend-il au travail ? Vous trouvez cette remarque idéologiquement marquée ? Demandez-vous plutôt pourquoi Marseille, Paris et Cannes apparaissent dans le top ten mondial des villes perçues comme antipathiques par les touristes.

Imaginons qu’on mette fin au désendettement public, qu’on décide même de s’endetter encore plus et qu’on distribue l’argent ainsi obtenu pour créer des postes dans la fonction publique et alléger la fiscalité des contribuables les plus modestes. Cela aura sans doute des effets bénéfiques sur l’économie française, mais le moteur que cette injection d’essence est supposée redémarrer, est-il performant ? Et ces moyens ainsi injectés pourraient-ils permettre une croissance durable, apte à financer un service public ambitieux ? La réponse est non. Seuls les symptômes du mal s’en trouveront allégés. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la politique économique française de la période 1995-2007.  Portée par les vents de la croissance mondiale, l’économie française avait alors pu cacher ses problèmes structurels… avant que la crise ne les dévoile.

Malgré ces évidences, nos politiques vivent dans le déni. Ainsi, Arnaud Montebourg ne remet en cause ni l’Union Européenne ni l’euro mais fait croire qu’à l’intérieur de ce cadre contraignant, la France peut faire infléchir la position allemande, ce qui pousserait la BCE à dénouer les cordons de la bourse. Or, on sait déjà que deux présidents français– Sarkozy et Hollande – se sont heurtés à l’intransigeance d’Angela Merkel. Il faudrait mieux expliquer comment faire bouger l’Allemagne plutôt que de faire croire qu’on pourrait le faire… Et puis, alors que l’objectif bruxellois des 3% de déficit est devenu tout théorique[1. Bien que personne n’ose le dire de peur d’une fuite en avant dans les déficits.], cet éternel débat entre l’élu désabusé expliquant que ce n’est pas si simple que ça et le jeune premier maniant les « y’à qu’à/ faut qu’on » (qui  jouera le rôle du sage désabusé dans quelques années) ne mène nulle part.

Le débat devrait donc porter sur la meilleure manière de reconditionner les moteurs de l’économie française dans un premier temps, et le financement – même à crédit – du système dans un second temps. Dans le cas contraire, si nous n’avons pas des services de santé, d’éducation et de sécurité à la hauteur de ce qu’on paie déjà, à quoi bon chercher des moyens pour pouvoir les payer encore plus cher?

*Photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA. 00691077_000001. 

Pouvait-on faire plus ridicule que ce gouvernement?

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macron valls montebourg duflot

macron valls montebourg duflot

Ma délicieuse cousine, je vous pose la question, et j’y réponds tout à la fois : pouvait-on faire plus ridicule que ce gouvernement ? Quand ses membres se retrouvaient à l’Élysée, ce palais devenait une garnison de grotesques. Pour les croquer tous et toutes, ces gandins à poil et ces bas-bleus à plume, il faudrait le crayon d’un Daumier, la plume d’un Barbey d’Aurevilly. Las ! je n’ai que la mienne.

Très aimée, très désirée cousine, si j’emploie la forme passée pour parler des gens du pouvoir, c’est que des bouleversements ont interrompu le cours du temps. il s’est produit tant d’événements depuis ma dernière lettre, que j’hésite à vous en faire le récit, par crainte de vous lasser.

On entend ici, quand on ne lit pas là, et l’on voit partout des experts assermentés, l’arrière-train plus dansant que celui des otaries de cirque.

Ils tentent de nous éclairer -alors qu’ils ne réussissent pas même à nous distraire- en nous assurant que les nations ont tort de ne pas céder les restes de leur indépendance. Ils clament en tous lieux l’absolue nécessité pour elles de se fondre dans un grand tout universel, apaisé, sirupeux. Le conformisme de ces personnages est un spectacle, qui ravirait Rochefort, et lui fournirait l’aliment de cruelles diatribes dans sa Lanterne de belle mémoire. Ils se tournent vers l’Amérique lointaine, qui ne regarde plus dans notre direction mais vers l’Empire céleste, lequel est désormais si riche, qu’il envoie des légations de par le vaste monde, afin d’acheter des usines, des ports, des pays, et bientôt des continents. Habitués qu’ils sont à payer tout très cher, ils se refusent à acheter les hommes, ceux-ci s’offrant à vil prix …

Et notre roi, me demanderez-vous ? Il se porte bien, il démontre un solide appétit, et il il dort comme un loir. Cet homme ne semble pas connaître l’inquiétude. Sur le trône où il se tient, Gouda Ier, ayant atteint au sommet qu’il convoitait, démontre une sérénité de parvenu. Il se satisfait d’un rot, se complaît d’une histoire un peu leste, promène en tous lieux la physionomie heureuse d’un bourgeois cossu, et s’amuse fort, à ce qu’il paraît, de l’air sot que lui trouvent tout Paris et ses ministres en premier. Cet homme est un grand roué, ou le plus fol des monarques !

Or, ce bonhomme à l’air aimable et mélancolique, dont toute sortie pour cause d’inauguration de stèle ou de comice agricole s’accompagne d’averses diluviennes, vient de produire un acte d’autorité, dont nul ne le pensait capable. Il a proprement congédié tous les ministres du cabinet Valstar, l’hidalgo hypercambré, qui ne veut rien tant que lui succéder. Il est vrai, adorable cousine, que la situation politique s’était sérieusement dégradée.

Tout a commencé avec la parution d’un libelle vengeur de l’ancienne ministre des Cités et des bourgades, la très aigrie Mme Ducrot. On se souvient de son infantilisme, de ses bouderies d’adolescente, de son arrogance. Elle prétendit bâtir des villes pour y loger tous les français : sous sa calamiteuse administration, l’industrie du bâtiment connut l’une de ses crises les plus graves ! Mais voilà que la dame, qui fut un temps la plus ardente avocate de Gouda Ier,  démontrant  en tout lieu l’a fierté des gens très en cour, affirme aujourd’hui qu’il n’est d’homme plus vain que ce dernier, et qu’il ne mérite pas le trône vacillant sur lequel il a pris place !

Mais les agitations de la Ducrot n’étaient que les prémices, assez vaines il faut le dire, d’une manière de crise politique, qui mûrissait dans la pénombre de cet été abominable. Un orage allait éclater.

C’est alors que le ministre des entreprises, le beau Morlebourg, proclama partout la nullité du souverain, prétendit qu’il fallait cesser de l’écouter, et que lui désobéir était devenu nécessaire à la survie du royaume !

Courant derrière lui tel un basset de chasse, on vit le ministre des écoles lui prêter main forte. Ce monsieur Hanon, dans son emploi, se poussait du col pour feindre la hauteur de vue. Au reste, il avait succédé à une manière d’ectoplasme, qui a trouvé au parlement de l’Europe une place de confort et de sécurité parfaitement accordée à ses ambitions, Bref, Hanon et Morlebourg étaient bien près de fomenter un complot. Et comme il n’est, à Paris comme dans la Rome antique, de vrai complot qui ne soit le projet d’un triumvirat, ce duo de conspirateurs d’opéra-bouffe s’augmenta de l’effarante personne de la ministre des Beaux-Arts, une certaine Filetdortie, que l’on connut principalement pour la profusion de ses toilettes, son goût des mondanités banales, et ses préférences de coterie.

Dans le palais de l’Élysée, dimanche dernier, le roi était nu, quand ses adversaires agitaient devant la foule hilare les pièces de son pyjama.

Sa Majesté, son premier ministre et leurs fidèles réagirent avec une vigueur dont on les pensait incapables. Ils limogèrent tous les membres du cabinet, afin d’en former un nouveau. Ils exigèrent fidélité, obéissance et sans doute courtisanerie, puis constituèrent un gouvernement Valstar 2. Pour l’anecdote, sachez que la Filetdortie se donna le ridicule de faire connaître qu’elle ne consentirait point à recevoir un portefeuille ! Ces gens sont sans vergogne, qui se prétendent indispensables quand ils sont déjà oubliés.

Ensuite, les choses ne traînèrent pas. Gouda Ier, qui avait feint la détestation de l’entreprise et de la finance pour gagner le royaume, chargea Valstar de rassurer leurs représentants sur ses nouvelles dispositions d’esprit. Le parti des partageux, après quelques remous de façade, se ralliera bien vite à la société du profit, ainsi qu’au bon gouvernement des hommes et des choses, dès l’instant qu’il portera ses fruits. On dit que le baron Gross-Canne, naguère emporté par le scandale de ses frasques ancillaires, enrage à présent de voir s’incarner dans Gouda Ier ses propres conceptions économiques.

Quant aux Français, échaudés, se soucient-ils de savoir si leur salut viendra de Jaurès ou de… Guizot?

Mon adorable, ma cousine au parfum de vertige, je veux clore ma lettre sur l’expression du désir ardent que j’ai de me trouver auprès de vous, d’embrasser follement vos pieds, vos jambes, vos genoux, et de remonter ainsi jusqu’à un certain buisson de rose heureusement privé de la moindre épine…

*Photo : SIPA. 00691078_000007. 

La Hongrie souhaite construire un Etat « illibéral »

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viktor orban hongrie

viktor orban hongrie

Passée totalement inaperçue en France, une récente déclaration du Premier ministre hongrois Viktor Orbán a fait l’effet d’une bombe dans les médias anglo-saxons, principalement aux Etats-Unis (Washington Post, Newsweek) et en Allemagne. Elle a également suscité de vives réactions de la part de certains gouvernements européens, la dernière en date étant celle du ministre allemand des Affaires étrangères (Birgitte Ohlsson, ministre suédoise chargée des Affaires européennes, allant même jusqu’à réclamer des sanctions de Bruxelles).  Mais rien en France…

Qu’a-t-il donc encore fait, notre cher Viktor?

Le 26 juillet dernier, lors de l’université d’été de son parti qui s’est tenue à Băile Tuşnad en Roumanie (Tusnádfürdő, en hongrois), région de Transylvanie à majorité magyarophone, Viktor Orbán n’a pas hésité à citer comme ses modèles la Russie, la Chine et la Turquie, systèmes politiques qu’il dit admirer, « dont l’économie est plus compétitive que celle des pays occidentaux », conluant que « la Hongrie devra construire désormais  un Etat« illibéral » basé sur le  travail,  la démocratie à l’occidentale ayant fait son temps». Le Premier ministre hongrois en a par ailleurs profité pour stigmatiser les associations et ONG qui œuvrent en Hongrie, ces «agents politiques financés par l’étranger». Est notamment ici visé un fonds humanitaire norvégien qui a décidé de couper ses crédits, ce qui a aussitôt provoqué l’ire des officiels hongrois. (ONG qui aident en Hongrie les handicapés, les familles défavorisées, encouragent la culture ou militent contre la corruption.)

Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») ».  Là-dessus,  les interprétations vont bon train selon l’orientation  politique des observateurs. Si les partisans d’Orbán n’y voient a priori rien qui remette en cause la démocratie, les commentaires de l’opposition sont par contre virulents. Y voyant une mise au rancart de la démocratie, les libertés individuelles devant s’effacer devant le sacro-saint intérêt national…  dicté par les hommes en place, en d’autres termes par Viktor Orbán. Certains parlent même d’une «poutinisation de la Hongrie».

Sans vouloir entrer dans un débat stérile et fastidieux, force est de constater que les faits semblent parler d’eux-mêmes : neutralisation des organes de contrôle de l’exécutif (mise sous tutelle de la Cour constitutionnelle),  étouffement des médias privés et médias publics transformés en machine de propagande, quasi-suppression des débats au Parlement, vote à tour de bras de lois « sur mesure » dictées par l’exécutif (notamment les lois électorales),  manipulation des appels d’offre systématiquement remportés par les proches d’Orbán. Bref, si telle est la conception  que se fait Viktor Orbán d’un intérêt national primant sur l’individu, alors on est en droit d’avoir des doutes.

Certes, on ne saurait parler de dictature, ni de régime policier. Mais d’un régime autoritaire, proche, malgré les apparences, d’un système à parti unique, entièrement soumis à son chef. Vikor Orbán a beau jeu d’en profiter (et pourquoi s’en priverait-il?) face à une opposition démocratique quasi-inexistante et désunie. Seule force extérieure avec laquelle il doit compter: le parti d’extrême droite (pratiquement néo nazi) du Jobbik qui rassemble 20% des électeurs.

Précisément, Viktor Orbán ne serait-il pas en train de faire du charme à ces messieurs du Jobbik pour récupérer leurs voix (face à un Fidesz, son parti, qui stagne)? Plusieurs événements récents tendraient à le confirmer (telle la réhabilitation du régime quasi-fasciste de l’amiral Horthy) ?

Le plus comique dans l’histoire est que ce même Viktor Orbán est celui qui, voici 25 ans, se réclamait d’un système libéral et l’ennemi acharné des Russes. Lui qui ne jure plus que par son ami Poutine et met en place un Etat hypercentralisé nationalisant à tour de bras, ennemi déclaré du monde occidental, …  finalement proche de ce que nous a offert le régime communiste.

*Photo: Szilard Koszticsak/AP/SIPA.AP21550604_000007