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Netanyahou, un tout petit bonhomme

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Benyamin Netanyahou IsraëlEh non, cher Luc, je ne suis pas « aveuglé par ma détestation de Netanyahou ». J’estime, comme beaucoup de mes compatriotes, que cet homme nous mène dans le mur. J’ose croire que ce constat, assez banal dans ces parages, ne me rend pas moins « concerné » que toi par « la pérennité » de la nation à laquelle je suis assez passionnément attaché pour y vivre quoiqu’il arrive, comme par le sort de mes frères juifs où qu’ils se trouvent.

Sur la question qui me vaut ton interpellation, je n’ai aucun problème, et je l’affirme haut et fort dans ma chronique, avec l’appel traditionnel à l’aliyah, inscrit dans la vocation même de l’Etat d’Israël. J’ai simplement constaté, mais je me trompe peut-être, que la France n’est ni l’Ethiopie, ni l’Union soviétique d’antan. Et j’ai prétendu que, formulé de cette manière, l’appel de mon valeureux Premier ministre – puisque, dans sa première version, édulcorée dans un deuxième temps, c’est bien d’une injonction qu’il s’agissait – et au moment où la communauté nationale française était frappée au cœur, avait quelque-chose de proprement indécent. Imagines-tu quelle serait la réaction du gouvernement d’Israël, quelle serait ma réaction, si, à chaque fois que le terrorisme palestinien sème la mort dans nos rues, Paris s’avisait d’inviter ses ressortissants franco-israéliens à trouver refuge dans leur mère patrie ? Je persiste et signe : ce fut une double gifle, à un gouvernement ami et à l’idéologie fondatrice de l’Etat juif dans ce qu’elle a de plus noble.

Enfin, Netanyahou n’aurait pas joué des coudes, tout aurait été arrangé par les bons soins du protocole français. Allons donc, ce fut bien pire que cela. En fait, il n’était pas invité du tout, les Français n’en voulaient pas, précisément parce qu’ils se doutaient de ce qu’il allait dire. Il est venu quand même, ce qui a valu à Mahmoud Abbas de se trouver là aussi. Merci qui ?

En fait, il n’avait aucune intention de faire le voyage pour Paris, affaire de « sécurité » vois-tu. Jusqu’au moment où il a appris que deux de ses ministres et rivaux, et pas des moindres, Naftali Bennett et Avigdor Lieberman, faisaient leurs valises. Du coup, la sécurité n’était plus un problème. Ah, les dures exigences des campagnes électorales… « Pérennité », dis-tu ? Oui, pérennité de son job. Il faut bien qu’il y ait quelque chose de pérenne en ce bas monde…

Au final, un tout petit bonhomme, qui fait un excellent travail pour nous couper de la communauté des nations civilisées, transformer le sionisme en un gros mot et l’Etat juif en un machin binational. Là où la situation exigerait un Ben Gourion, on n’a qu’un Netanyahou. Mais la déesse Fortune n’est pas seule responsable. En démocratie, on a toujours, toujours les chefs qu’on mérite.

Avec mon amitié indéfectible.

Photo : Balilty-Pool/SIPA/SIPA/1211211619

Attentats de Paris: Après l’expiation collective

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Je suis Charlie Hyper cacher flicFallait-il attendre avant de publier ces lignes ? Au pic émotionnel de la « Marche républicaine », elles pouvaient ne pas être comprises. Un peu comme à la fin d’une première séance d’analyse : malgré l’évidence des désordres psychiques exposés longuement par le patient, celui-ci est incapable d’appréhender la moindre interprétation. Mobilisant ses défenses frontales, il la réfute, s’en prend à l’analyste qu’il accuse de tous ses maux. Mû par notre cœur sorbonnard, nous avons, comme tant d’autres, « marché » pour dénoncer la barbarie des assassinats et encourager la résurgence d’un esprit critique, imprimé au XVIIe siècle par Descartes mais englouti par des décennies d’irresponsabilité politique, le tout au nom d’un impératif de paix sociale et d’entente confessionnelle. Comme au Liban. Une certaine acuité de la conscience nous a toutefois rappelé à l’ordre : ce dimanche 11 janvier nous est apparu comme un étrange exercice d’expiation collective, agrégeant sur son passage nombre de rancœurs disparates, de frustrations mêlées de désillusions, et trahissant in fine un profond désarroi de la société française. Une sorte de Yom Kippour hexagonal dont le caractère laïc le priverait du pouvoir ex opere operato. Soyons honnête jusqu’au bout : nous est venu spontanément à l’esprit, à propos de cette manifestation, le film de science-fiction « L’âge de cristal » (1976) : la mort dissimulée sous la jouissance partagée d’une renaissance. Le lendemain, une étudiante de l’Université de Nice nous apostrophe en cours : « Laissez-nous rêver ! » Son appel au rêve traduit-il « la négation partielle et la déformation de la réalité ?[1. Sandor Ferenczi, Le traumatisme, Petite Bibliothèque Payot, n° 580, 2006, p.147.] »

La masse « spontanée » des participants à cette cérémonie rédemptrice, certes, impressionne. Elle ne laisse aussi d’inquiéter tant nous savons combien l’être humain cherche à se délester et à diluer dans la foule anonyme la tragédie de ses pesanteurs individuelles. La projection vers l’extérieur est « notre première mesure de sécurité contre la douleur, la peur d’être attaqué ou l’impuissance[2. Mélanie Klein & Joan Rivière, L’amour et la haine, Petite Bibliothèque Payot, n°18, 2001, p.26.] ». L’encadrement du défilé par les politiques n’a d’ailleurs pas tardé, histoire d’amnistier les alertes successives mais ignorées, à droite comme à gauche, du terrorisme en France. Des amis parisiens se plaisaient à nous le rappeler : en 1995, une réunion interministérielle évoque la menace des banlieues dans les dix années à venir. « Quoi faire ? » demande un participant : « rien, lui répond-on, nous n’avons pas les moyens d’éteindre des incendies qu’il ne faut par conséquent pas allumer ». En octobre 2007, un des principaux responsables de l’UCLAT, l’Unité française de Coordination de la Lutte antiterroriste, déclare à la presse : « Nous sommes au plus haut niveau d’élévation de la menace terroriste. » Laissons aux spécialistes le soin d’éclaircir eux-mêmes ce qui apparaît au profane comme une énigme.

Dernier motif de nos doutes : déjà fragilisé par une fragmentation catégorielle (« Je suis juif » « Je suis flic »…), le slogan « Je suis Charlie » se voit en outre menacé par une récupération tout comme le vocabulaire de certaines « valeurs républicaines » s’est mué – pour prolonger le concept de « malthusianisme verbal » énoncé par Roland Barthes sur le français – en un « idiome sacré » aux prétentions universelles mais désincarnées. « Je suis Charlie » pourrait à terme ressembler au français académique du XVIIIe siècle, éloigné de sa base, séparé de son « étendue sociale » : flamboyant mais creux. Rien du contre-investissement psychique obligatoire afin d’endiguer le flux djihadiste. Entre espoir et crainte, la lucidité commande : souffler sur l’étincelle pour aviver une flamme que d’autres s’emploieront à éteindre.

Photo : Wikimedia Commons

Les apostats de la gauche divine

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michea guilluy amselle joffrin

Bienvenue aux enfers, où les âmes mortes errent sans fin dans la nuit. Depuis la fin de la décennie 1990, l’hérésie de gauche se paie cher, comme peuvent en témoigner Jean-Pierre Chevènement et ses inspirateurs « nationaux-républicains » emmenés par Philippe Cohen et désignés comme diables par Le Monde d’Edwy Plenel, ou Marcel Gauchet, Pierre Manent et d’autres savants rappelés à l’ordre par l’universitaire Daniel Lindenberg, petit télégraphiste du même Plenel et de Rosanvallon, toujours en pointe contre le fascisme qui vient. Quelques années plus tard, les quinquennats Sarkozy puis Hollande ayant achevé de brouiller les cartes du jeu politique, les thèses hétérodoxes d’intellectuels issus de la gauche trouvent un succès croissant auprès d’une jeunesse éprise de critique sociale, mais revenue des mythes du Progrès. Malheur aux Michéa, Guilluy et Polony qui ont abjuré leur foi de gauche ; pire que l’hérésie dont se rendent coupables des personnalités de droite ou assimilées, l’apostasie conduit au neuvième et dernier cercle de l’enfer. Sous peine de brûler, de profundis, les trois commandements de la gauche divine (Baudrillard), tu suivras.

Règle n°1 : Au clivage droite/gauche tu te tiendras

C’est bien connu, le « ni droite-ni gauche » s’attache intemporellement à l’extrême droite. Dernièrement, Natacha Polony a payé cher son indépendance d’esprit sur le plateau de Laurent Ruquier (« Où vous situez-vous ? », « Qu’est-ce qui vous différencie du Front national ? », lui demandait la procureuse Salamé). Il ne fait pas bon se dire réac sur les mœurs, et économiquement de gauche, à l’heure où Marine Le Pen semble avoir préempté ce positionnement. L’anthropologue postmoderne Jean-Loup Amselle, auteur des Nouveaux Rouges-Bruns (Lignes, 2014), s’effraie de « la montée d’une droite des valeurs qui s’accompagne souvent d’une certaine dose d’antisémitisme et qui est en général associée à une posture de “gauche du travail”, hostile au libéralisme économique » (doit-on en conclure qu’il faudrait au contraire conjuguer droite libérale du travail et gauche sociétale, autrement dit avoir le portefeuille à droite et le cœur à gauche, tel un affairiste qui aurait ses pauvres et ses discriminés ?). Bref, le rouge-brun est un personnage hybride qui effraie le théoricien de l’« hybridité » ! Ainsi Amselle fustige-t-il l’anticapitaliste Jean-Claude Michéa[1. Lire notamment La Double pensée (Climats, 2008), sur Orwell, L’Empire du moindre mal (Climats, 2007), sur le libéralisme, et Le Complexe d’Orphée (Climats, 2011), sur la gauche.] , fin lecteur de George Orwell qui étudie inlassablement le paradoxe du libéralisme, et décrypte sa nature foncièrement progressiste, individualiste et sans frontières, autant dire de gauche. Aux yeux d’Amselle, le socialisme conservateur et communautaire de ce penseur « ambigu » qu’est Michéa le rapprocherait d’un Dieudonné, admiratif des Pygmées ! On est presque surpris que notre épurateur n’aille pas jusqu’à brandir la citation apocryphe de Hitler se proclamant « économiquement de gauche, et socialement de droite ». Quelle retenue…

Règle n°2 : Tes adversaires tu fasciseras

Cela ne surprendra guère, la prose confusionniste d’Amselle suscite l’enthousiasme des Laurent Joffrin et Sylvain Bourmeau. Après avoir sévi aux Inrocks, à Mediapart puis à Libération, ce dernier s’est replié dans sa tour d’ivoire de France Culture d’où il continue à vacciner les foules contre le « péril rouge-brun » – également appelé « néo-réac » selon les moments. Tout imbu de sa science infuse, Bourmeau traque les « lepénistes de gauche » avec l’acharnement d’un Beria social-démocrate (un robinet de vitriol tiède). Les représentants de cette engeance crypto-chevènementiste, regroupés en 2012 au sein du collectif Gauche populaire, osaient braver les tabous de la gauche et parler ouvertement de sécurité, de nation et d’immigration, certains, comme le politiste Laurent Bouvet ou le géographe social Christophe Guilluy, allant jusqu’à se commettre dans les colonnes du « torchon Causeur » (sic). Messieurs les censeurs, réjouissez-vous, Bourmeau officiera désormais en tant que professeur associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) où il pourra évangéliser les derniers lecteurs de Libé – aux frais du contribuable, mais c’est sans doute mesquin de le remarquer.

Un autre exorciste professionnel, j’ai nommé Philippe Corcuff, maître de conférences en sciences politiques passé successivement par le PS, la chevènementie, les Verts, le NPA… avant d’atterrir à la Fédération anarchiste, vulgarise la même weltanschauung à l’usage des 3-5 ans. Son dernier opus, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (Textuel), se veut une œuvre pédagogique destinée à « combattre le côté obscur de la force qui contamine aujourd’hui la critique sous des apparences rebelles » (non, je n’invente rien). En effet, ceci n’est pas le synopsis du prochain épisode de Star Wars mais bien un ordre de mission contre la déplorable droitisation des esprits menée, pour les bruns, par des prêcheurs de haine « néoconservateurs » (Élisabeth Lévy, Dieudonné, Éric Zemmour, quelle équipe !) et, côté rouges, par des « entrepreneurs en identités collectives fermées » (Michéa, Bouvet, Guilluy, encore eux !). Sur le ton à la fois candide et professoral d’une aventure de Martine dictée par Alain Badiou, Corcuff hume un parfum d’années 1930 dans le maelstrom politique actuel : à l’en croire, Marine Le Pen devrait son succès à la montée d’un « postfascisme » indifféremment islamophobe, antisémite et xénophobe (et les homophobes, ils ont vendu du beurre aux Allemands ?). Diantre, que le marigot populo refoule de la goule !

Règle n°3 : Le peuple tu ignoreras

Billancourt, c’est fini. Aujourd’hui, c’est Montorgueil que Laurent Joffrin craint de désespérer. Après avoir successivement épinglé à la une de L’Obs les « néo-réacs » (mars 2011) puis, en septembre 2012, les « néo-fachos » – la short-list des suspects habituels comprenant notamment Lévy, Zemmour et le regretté Philippe Cohen – , qui sait jusqu’où Joffrin poursuivra son ascension dans l’anathème : bientôt les néo-nazis ? Ce n’est pas pour rien que la Pomponnette de la presse de gauche, hier à L’Obs, aujourd’hui chez Libération, avant-hier à L’Obs, alterne entre ces deux bercails depuis… trente-trois ans ! En attendant son prochain aller-retour, le digne successeur de Serge July, qui fut le sémillant partenaire d’Yves Montand dans « Vive la crise ! », merveille télévisuelle destinée à montrer à ces ploucs de sidérurgistes licenciés par dizaines de milliers que le risque c’est cool, man, ne sait plus sur quel peuple danser. Le 16 septembre dernier, dans un édito de Libé frisant le mea culpa, Joffrin décernait un étonnant satisfecit, à peine teinté de quelques réserves, à Christophe Guilluy, bien que celui-ci ait, dans La France périphérique  (Flammarion, 2014)., montré, cartes à l’appui, que 80 % des classes populaires, expulsées des centres-villes par la gentrification et des banlieues par l’immigration, ont atterri dans des no man’s land ruraux ou « périurbains », territoires désindustrialisés et exclus des échanges économiques. Or, à la différence des catégories protégées que sont les fonctionnaires (électeurs de gauche) et retraités (clientèle de l’UMP), ces petites gens votent massivement Front national, suscitant ordinairement une héroïque répulsion chez Joffrin, qui fit preuve, ce jour-là, d’une étonnante mansuétude pour les ploucs (et pour Guilluy qui leur donne une voix) : « Il y a là, écrivait-il, un examen de conscience politique et culturelle à ouvrir, loin des conformismes et des pensées automatiques. » Patatras, un mois et demi après ce début d’aggiornamento, Joffrin salue l’essai prophylactique d’Amselle, « un petit livre indispensable à la compréhension [du] nouveau paysage » intellectuel. Dans un de ces retournements dans lesquels il excelle, le patron de Libé fait feu sur « des intellectuels comme Christophe Guilluy ou Jean-Claude Michéa, qui donnent à leur réflexion un tour très identitaire ». Que mon mardi ignore mon lundi, en somme. Il est vrai que, si on cherche en vain dans leur œuvre trace de ce mauvais penchant « identitaire », les deux compagnons de prétoire partagent une même fibre « populiste », au meilleur sens du terme. Guilluy aggrave son cas en disséquant, à l’aide d’enquêtes de terrain, l’« insécurité culturelle » dont souffrent les classes populaires confrontées aux conséquences de l’immigration massive. Réponse, d’après l’intéressé, des propagandistes du métissage –Amselle, Corcuff, Joffrin et Bourmeau en tête : « Ils déforment mes propos et prétendent que j’oppose la France des petits Blancs aux Arabes. » Ravie d’avoir ainsi débusqué les ennemis supposés de ce peuple qu’elle ne parvient décidément pas à changer, la gauche hollando-mélenchoniste psalmodie ses mantras éculés – la lutte des classes façon La Bête humaine – ou projette ses fantasmes de lutte pour les damnés de la terre sur des banlieues moins défavorisées que nos campagnes. À l’arrivée, cela donne la préférence immigrée, tout aussi stupide et vaine que la préférence blanche – et le vote FN. Ironie de l’histoire, ces chaisières recyclent le vieux mythe droitard des classes dangereuses, ainsi que le confirme Guilluy : « Ils vivent dans le mythe de l’individu sans territoire, sans origine, sans ethnicité, sans religion. C’est un discours complètement hors-sol. La gauche panique, elle n’est plus qu’à 25 % des votants, c’est-à-dire 15 % des inscrits. Alors qu’ils devraient changer de logiciel, les gardiens du dogme préfèrent mourir en ayant tort. »

Nul n’est plus agressif qu’un animal agonisant. À la vindicte des croisés de l’antifascisme, il faut donc riposter par l’ironie ravageuse d’un Michéa. Ou esquisser un pas de côté en méditant ce que ces Cerbère disent de notre époque. En anciens rebelles passés du col Mao au Rotary Club, ces chasseurs de sorcières n’ont retenu de Mai 68 que sa récupération publicitaire. Trente ans après le ralliement de la gauche au marché, les héros sont fatigués, mais bougent encore. Leur imaginaire manichéen hante tous les professionnels du spectacle qui n’aiment rien tant qu’opposer des nostalgiques de l’ordre moral aux habituels rentiers de l’antifascisme. Si les mécréants dans mon genre peinent à préciser les contours d’une troisième voie, je ne me résous pas à ce que les rares voix dissonantes se fassent de moins en moins entendre. Courons camarades, le vieux monde nous rattrape à grands pas !

Quinze ans de diabolisation

  • Mai 1999 : Edwy Plenel fascise les « nationaux-républicains » Régis Debray et Jean-Pierre Chevènement dans son livre L’Épreuve, Stock.
  • 2002 : Daniel Lindenberg publie Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil.
  • Mars 2011 : Le Nouvel Observateur consacre sa une aux « néo-réacs, agents de décontamination de la pensée du FN »(Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, Ivan Rioufol, Robert Ménard, Philippe Cohen, etc.).
  • 5 avril 2011 : Le Monde épingle « les nouveaux réacs (Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, Yvan Rioufol, Robert Ménard, Éric Brunet) au discours franchement anti-immigrés ».
  • Septembre 2012 : Le Nouvel Observateurhache menu « Les néo-fachos et leurs amis » en amalgamant Alain Finkielkraut, Alain Soral, Élisabeth Lévy, Patrick Buisson, ou encore un site américain… proche du Ku Klux Klan.
  • 6 août 2014 : Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis étrillent Marcel Gauchet dans Libération : « Pourquoi il faut boycotter Les Rendez-Vous de l’histoire : un appel collectif ».
  • 1er octobre 2014 : Philippe Corcuff sort Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Textuel.
  • 15 octobre 2014 : Pascal Blanchard, Claude Askolovitch, Renaud Dély et Yvan Gastaut publient Les années 30 sont de retour, Flammarion.
  • 21 octobre 2014 : Jean Loup-Amselle dissèque « le racisme qui vient » dans LesNouveaux Rouges-Bruns, Lignes.
  • 31 octobre 2014 : Laurent Joffrin reprend les thèses d’Amselle dans son éditorial de Libération : « Les “rouges-bruns” attaquent ».

*Image : Soleil.

Charlie : une curieuse mélancolie.

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Charb Charlie HebdoAujourd’hui, vendredi 16 janvier, à 10h, Charb aura été enterré à Pontoise, sa ville natale. Je le connaissais un peu, pas assez pour prétendre à l’amitié mais suffisamment pour le considérer comme un copain que je croisais assez régulièrement, tous les ans, à la Fête de l’Huma. Il y avait eu aussi ces dix jours d’ateliers dans les quartiers de la Réunion, en octobre 2009, à l’initiative d’une association d’éducation populaire d’Arras qui avait sa petite sœur à Saint-Denis de la Réunion. On allait, lui, moi et d’autres artistes – eux de vrais amis pour le coup, comme Babouse ou le chanteur Franck Vandecasteelle de Marcel et son orchestre devenu Lénine Renaud, dont Charb devait illustrer la pochette du prochain album – dans des endroits assez peu fréquentés par les touristes : le quartier du Chaudron où étaient apparues des émeutes urbaines annonciatrices de 2005 dès 1991, ou chez les paysans des Hauts avec leurs champs de canne à sucre, ou encore sur le Piton d’eau, avec les derniers éleveurs de bœufs en liberté de l’île, au flanc du volcan. Soixante têtes environ pour 4000 hectares. Une insulte à l’agriculture productiviste.

Ils vivaient deux jours sur trois dans des boucans clandestins,  sous des ciels changeants,  à près de 2000 mètres d’altitude, traqués par l’ONF, le Parc, Bruxelles. Leur élevage traditionnel aurait abimé l’environnement. C’est pour cela sans doute qu’ils pouvaient nous offrir tout ce qu’ils trouvaient naturellement dans un rayon de deux cents mètres : le miel sauvage et les piments, le gingembre et les grenadines galets.

Si je repense à la Réunion, c’est parce que j’y ai vu Charb heureux d’apprendre le dessin de presse à des mômes des quartiers difficiles et, avec Babouse, quand on se retrouvait tous les soirs au restaurant prévu par l’association, couvrir de crobars les nappes en papier. Si je repense à la Réunion, c’est aussi sans doute, alors que s’y côtoient cinq ou six cultes, de l’hindouisme au bouddhisme en passant par l’islam,  et des peuples venus du monde entier, tout cela a assez joyeusement fusionné dans un œcuménisme ethnique et religieux qui fait que les vrais problèmes ne sont plus masqués : pauvreté endémique, chômage de masse, services publics parfois défaillants. Bref, des problèmes de la métropole, mais en pire. Seulement, comme les gens ne passent pas leur temps à se brûler leurs lieux de cultes mais plutôt à se marier les uns avec les autres quitte à faire deux cérémonies, ce qui pourrait être une poudrière multiconfessionnelle à la libanaise,  sur ce plan là au moins, est un modèle. On trouvait ça pas mal, avec Charb, reposant même. On était en octobre 2009 et quand on discutait, il y avait déjà eu pas mal de barouf avec les caricatures de Mahomet et puis l’exclusion de Siné. On comprenait les premières, moins la seconde. Charb expliquait, sourire aux lèvres, en dessinant. Dans l’association en question, tout le monde était plus ou moins libertaire (mais pas du tout libéral) et ça passait mal quand même, Siné viré. A la Réunion, donc, j’avais encore l’impression de comprendre le monde, je me disais qu’il était possible de réaliser des utopies concrètes, même temporaires comme ce que nous faisions là.

Mais depuis le 7 janvier 2015, je ne comprends plus grand chose. L’effet de sidération n’est pas retombé et je pense des choses contradictoires dans la même journée, la seule note dominante étant tout de même celle du chagrin. Par exemple, je suis Charlie et je ne suis pas Charlie, comme le disait Rony Brauman dans une tribune du Monde hier. Je suis Charlie pour ce qu’il représente de liberté d’expression martyrisée et pas Charlie quand Charlie est devenu le logo de la grande automutilation expiatoire nationale. Tout ça pour deux jours, après m’avoir expliqué qu’on est en guerre alors que je croyais qu’une guerre, c’était ce qu’on menait en Orient. Et comme l’a dit justement Régis de Castelneau, qu’il faut faire attention aux mots qu’on emploie, que si on estime que la guerre est chez nous, dans nos frontières, qu’il s’agit bien d’une guerre et non  d’une lutte antiterroriste sans pitié menée par les services de renseignement et la police, on risque de perdre notre âme en route. Je n’ai pas envie d’un « Patriot Act » à la française, réclamé par Valérie Pécresse le soir même de la manif.

Je reviens à la manif, justement. A Lille, elle avait eu lieu la veille, et puis avant, il y avait eu le rassemblement spontané le soir même du premier massacre. Dans les deux cas, une certaine gêne : pour aller vite, l’impression que l’émotion était celle de la petite bourgeoisie blanche de gauche (dites bobos si vous voulez, je m’y inclus pleinement). C’est pas mal, déjà, une mobilisation de ce genre mais bon, il ne faut pas s’étonner, après, que les communautaristes de l’extrême-gauche et de l’extrême droite relèvent la tête et disent plus ou moins explicitement : « C’est affreux mais ce ne sont pas nos morts. ». Et que, par ricochet, on se retrouve le jour de la minute de silence avec des centaines de problèmes dans les établissements de ZEP. Mes anciens collègues de l’éducation nationale, ceux qui bossaient avec moi à Roubaix, le redoutaient dès le mercredi soir. Ça n’a pas loupé. On peut être de gauche, partisan de l’intégration et de ce que d’autres appellent « la culture de l’excuse », on n’en est pas moins, quand même, lucides. Cela m’a fait tristement sourire de voir David Desgouilles dresser un tableau impeccable de l’Education Nationale mais d’en rendre Juppé, qui n’en peut mais, responsable. Il me semble que s’il avait voulu appuyer là où ça faisait mal, c’était ici et maintenant qu’il fallait le faire, que Najat Vallaud-Belkacem illustrait bien mieux ici et maintenant une école qui ne parle que d’égalité et de citoyenneté mais qui, faute de mixité sociale réelle, n’est plus entendue des enfants et des familles des quartiers.

Non, décidément, je ne comprends plus grand chose et je n’ai pas forcément envie de comprendre quand je vois que le dernier numéro de Charlie s’est vendu en quelques secondes à l’ouverture des kiosques à 700.000 exemplaires alors qu’il avait du mal à en écouler 50.000 en un mois. Je ne sais pas, par exemple, si c’est de l’hypocrisie, de la collectionnite malsaine ou de l’émotion sincère.

« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » : C’est finalement la phrase qui me revient sans cesse en tête depuis le 7 janvier. Elle est de Stig Dagerman, celui qui disait, et il allait le prouver, que le suicide est un accident du travail chez les écrivains. Stig Dagerman parlait aussi de « la dictature du chagrin ». L’unanimisme autour de l’horreur a toujours quelque chose de réconfortant, certes, mais aussi d’effrayant. Comme si nous devions avoir une lecture unique de ce qui s’est passé, une lecture limitée à ce chagrin. Alors je vais attendre que ça passe, parce que  la meilleure preuve de respect à l’égard des morts est sans doute de comprendre ce qui les a tués.

Et que ça va prendre un temps fou, en fait.

Photo : Flickr.com

Fluide glacial brise les vrais tabous

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Les Chinois sont entrés dans Paris ! Jean Yanne nous l’avait prédit dès les années 1970, voilà ce cauchemar devenu réalité. Non que l’Empire du milieu ait investi les galeries Lafayette et contraint le bon peuple de France à se tuer au travail, mais le « péril jaune » guette notre pays, comme nous l’explique Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide glacial : « Compte tenu de l’actualité de ces derniers jours, et pour éviter les amalgames, Fluide glacial renonce à publier son N° spécial Couscous Jambon. Dans son prochain numéro, en kiosque le 15 janvier, Fluide glacial s’en prendra exclusivement à la communauté asiatique. »

fluide glacial peril jaune

Intrépide, l’équipe du journal satirique brave donc tous les interdits au risque de choquer le parti du « padamalgam » : déjà, certains politiques de premier plan prennent leurs distances ; craignant sans doute le courroux des kamikazes sauce soja, Robert Hue donne des gages de soumission à la Chine  : « Non, la République populaire n’est pas une dictature ! » martèle-t-il au Figaro.

Fan de longue date des Gotlib, Binet, Léandri, Edika et autres Tronchet, je salive déjà en imaginant les révélations du prochain Fluide : une ménagerie géante cachée sous les combles du 13e arrondissement approvisionnerait en viande tous les traiteurs asiatiques de Paris, les filles, garçons et couples dénudés au fond des verres à saké ne seraient pas tous majeurs, Jean-Claude Tergal aurait perdu son pucelage la cinquantaine passée dans un salon de massage du 10e, etc.

Un blasphème à célébrer en écoutant « La Tonkinoise » dans son Ipod, ou en commandant un petit jaune au troquet asiat’ du coin. Ben oui, n’écoutant que mon courage, j’ose le dire : je suis Fluide !

Elie Barnavi est aveuglé par sa détestation de Netanyahou

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Disons le d’emblée, pour éviter toute équivoque : je ne suis pas électeur en Israël et, par conséquent, je ne suis habité d’aucune passion reliée au débat politique qui enflamme ce pays.

En revanche, je me sens concerné par la pérennité d’une nation dont la responsabilité ne se limite pas à la préservation de l’existence, du bien-être et de la prospérité de ses seuls citoyens, mais qui se préoccupe du sort des Juifs du monde entier.

N’en déplaise à Elie Barnavi, Benyamin Netanyahou n’a fait que répéter une évidence que tous ses prédécesseurs, de droite comme de gauche n’ont pas manqué, à toutes les époques, de rappeler : Israël est le « foyer » (homeland) du peuple juif rétabli dans ses droits historiques sur la terre de ses ancêtres. C’est le mot employé dans la déclaration Balfour, percée décisive dans l’accomplissement du projet sioniste. En réaffirmant cela le premier ministre d’Israël n’a fait que dire aux Juifs français frappés dans leur chair que l’Etat juif était là, les bras ouverts, pour les accueillir s’ils estiment que la situation qui leur est faite leur semble intolérable. Qui n’a pas, lors d’obsèques de membres de sa famille proche, consolé les endeuillés en les assurant que sa maison leur était ouverte s’il n’avaient plus où aller ? Est-ce là une injonction à abandonner son foyer ou une manifestation de solidarité humaine ?

Oubliant ses réflexes d’historien, Elie Barnavi substitue au verbatim du discours de Netanyahou l’interprétation qui en a été donnée en temps réel par les médias de l’instantané : confondre une offre avec un appel, voire une injonction.

La détestation du chef du Likoud, dont il est un des opposants les plus virulent, conduit Barnavi à des confusions regrettables : ce n’est pas Netanyahou qui a « joué des coudes » pour être au premier rang de la photo des chefs d’Etats sur le boulevard Voltaire, mais Nicolas Sarkozy. Le placement des VIP dans la brochette des marcheurs de luxe avait été soigneusement élaboré par les services du protocole de l’Elysée et du Quai d’Orsay, comme une bonne maîtresse de maison bourgeoise établit son plan de table pour que le dîner ne vire pas au pugilat…

Enfin, je trouve que Benyamin Netanyahou a été d’une remarquable retenue en s’abstenant de faire la moindre allusion aux saloperies diplomatiques qu’Israël vient de subir de la part de la France, dans l’affaire de la reconnaissance de l’Etat palestinien par l’ONU. C’est Paris qui a pris la tête, en Europe, d’une véritable croisade pour que la seule vision palestinienne de la résolution du conflit devienne la loi commune, qui a tenu la plume des délégations arabes au Conseil de sécurité, qui a voté pour un texte ébouriffant, déniant même aux Israéliens le droit de faire de Jérusalem leur capitale. Cela, même Barnavi, dans un autre papier récent de i24news, l’avait reconnu, lui qui avait poussé ses amis de la gauche française sur ce chemin, donnant ainsi un feu vert à ceux qui, en son sein et dans les couloirs du Quai d’Orsay considèrent Israël comme «  une parenthèse de l’histoire ».

Hollande face à l’histoire

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François Hollande président djihadisme antisémitismeFrançois Hollande, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont très bien géré cette crise, de l’avis général. Comme l’écrit Michel Onfray, François Hollande est sans doute devenu président le dimanche 11 janvier 2015.

Que va-t-il faire de ce capital d’autorité qui lui est accordé ? Car à l’évidence, il ne peut en rester là. L’émotion créée par les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de la Porte de Vincennes est devenue un phénomène mondial. On notera à cet égard que la France inspire à la planète entière une considération que ses contempteurs intérieurs ont perdue depuis longtemps. Que faire de ces attentats et de l’admirable mobilisation nationale et mondiale qui a eu lieu dimanche ? Dire « merci, je vous ai compris » ? Ou répondre aux questions qui restent entières :

– Comment éradiquer l’antisémitisme en France ? Pas seulement l’antisémitisme criminel qui s’accroît d’années en années mais aussi l’antisémitisme verbal qui pourrit la vie de nos concitoyens juifs dans les écoles ? Comment faire en sorte que nos concitoyens de confession israélite se sentent encore chez eux en France et ne décident pas de nous quitter comme les y invitent le Premier Ministre israélien ? Nous en serions inconsolables après 1500 ans de vie commune en France.

– Comment lutter contre le djihadisme ? On ne parle pas ici d’un patriot act à la française, c’est-à-dire de mesures d’exception comme l’ont dit imprudemment des gens irréfléchis. Mais d’une application stricte de la loi et de la justice. Coulibaly avait été condamné en 2013 à 5 ans de prison fermes. Il n’était libérable théoriquement qu’en 2017. Pourquoi et comment était-il libre en 2015 pour tuer 5 personnes ? Du côté policier, après les errements de l’affaire Merah puis ceux des frères Kouachi, on est en droit de s’interroger aussi sur l’efficacité de la DGSI. Là encore, sans mettre en place un arsenal sécuritaire poudre aux yeux, qu’est-ce que le pouvoir compte faire pour des services de renseignement manifestement un peu dépassés par les événements ?

– Comment mesurer l’impact du fascisme vert sur la population française ? Il est bien évident qu’il ne saurait être question ici de stigmatiser l’ensemble de la population musulmane en France. Mais à l’inverse l’angélisme serait criminel au regard du vivre ensemble au sein de notre nation. Combien sont les partisans de l’islamisme radical ? Combien sont ceux qui les regardent d’un œil bienveillant ? Combien sont ceux qui sont prêts à s’y soumettre ? Au vu des difficultés à faire appliquer la minute de silence dans certaines écoles, il serait dangereux de se voiler la face. Ne pas voir le problème s’il existe, c’est s’interdire de le traiter. Et surtout quel traitement le gouvernement compte-t-il administrer, en particulier via l’école de la République, à ceux qui pensent qu’il est juste de tuer un blasphémateur ?

– Comment remettre la laïcité au centre d’un projet de société ? Car au-delà des fascistes verts, il existe aussi toute une frange de la population qui ne veut pas admettre les codes de la laïcité tels que la France a su patiemment les forger. Ce ne sont pas les mêmes que les codes anglo-saxons. Ils visent plus à l’assimilation qu’à l’affirmation. Il s’agit plus de gommer les différences que de les révéler. On n’éludera plus ce débat non plus. Voulons-nous une société qui favorise l’émergence des communautés et qui prend le risque de les dresser les unes contes les autres ? Ou voulons-nous une société qui fait de chaque individu un citoyen libre de penser, égal des autres et fraternel avec les autres ? Tant qu’on ne trouvera pas les moyens de répondre par un grand élan national à cette question (un référendum ?), rien ne sera réglé.

– Comment clarifier nos alliances extérieures ? Il est certes important de trouver des débouchés à nos Rafale, de trouver des financements pour payer nos footballeurs ou pour rénover nos hôtels de luxe. Mais comment mettre en balance ces intérêts avec l’intérêt supérieur de la paix civile en France ? Alors oui, François Hollande doit reposer la question de l’alliance avec l’Emir du Qatar qui étend l’influence salafiste dans nos banlieues et finance en sous-main les djihadistes de Daech. Alors oui il faudra clarifier nos buts de guerre en Syrie : abattre Bachar Al-Assad ou les islamistes qui le combattent ?

François Hollande fait face à de grands défis depuis dimanche. S’il décide de cacher la poussière sous le tapis en se comportant en politicien madré, il prendra alors le risque de voir se cliver la société sur ces sujets de fond qui n’auront pas été traités. Il verra alors s’engager une guerre civile larvée entre les partisans du sursaut républicain et les partisans de la dissolution française dans l’absolution donnée à l’Islam de ses dérives. Une guerre civile qui peut mener la France au Chaos. On l’a vu malheureusement trop souvent dans notre Histoire.

À l’inverse, s’il assume sa nouvelle autorité, il peut provoquer un choc salutaire en France et engager un vrai débat national tranché dans les urnes pour choisir le modèle de société que nous voulons. S’il rend ce service à la France, il restera pour toujours un grand président.

Photo : Chamussy/SIPA/1501151405

Crucifions les laïcards

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Médine laïcité ouverte écoleCe n’est pas moi qui le dis : c’est un certain Médine (dis-moi quel pseudo tu adoptes, je te dirai qui tu es), qui dans un rap énervé, propose d’imposer la charia en France. Mains coupées comprises. Cet honnête barbu, qui agite très fort les siennes, et utilise son clip pour faire la propagande du voile, a tout pour faire plaisir au Café pédagogique.
Lequel, le jour même où deux islamistes flinguaient la rédaction de Charlie,interviewait avec complaisance les deux auteurs d’un énième livre plaidant pour une laïcité ouverte — comme les cuisses du même nom. Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise, et Geneviève Zoïa, anthropologue à l’Université de Montpellier, sortent La laïcité au risque de l’Autre (Ed. de l’Aube). Selon elles, l’Ecole du « républicanisme laïc et égalitaire » s’est bâtie sur le « déni des allégeances particulières et comme topos fondateur de neutralisation des lieux et des milieux ». Elle est bien incapable de répondre aux « demandes croissantes de pluralité culturelles et cultuelles et les valeurs centrales de cohésion — certes hégémoniques — qui construisaient hier le contrat-citoyen moderne sur une culture intériorisée et inclusive, conforme en cela à la raison des Lumières, sont aujourd’hui invalidées dans une Ecole qui non seulement ne parvient pas à fabriquer du Commun mais altérise ».
Quand vous avez lu une phrase de cet acabit, vous avez l’impression d’être en apnée dans un grand fond. Mais bon, qui a dit que les sociologues savaient écrire ?
Et que proposent ces aimables dynamiteuses ? De « changer la grammaire sociale de l’Ecole ». Le CRAP, qui sait interpréter les métaphores sociologiques, demande aussitôt, benoîtement : « L’intégration passe par la reconnaissance des communautés ? » — ce qui permet à nos deux furies de se précipiter dans la brèche : Oui, « la laïcité aujourd’hui c’est la peur de l’Autre ! » — au moment même où Cabu, Wolinski et leurs copains se faisaient descendre par deux de ces « autres ». Elle « contribue selon nous à racialiser les rapports sociaux, alors même qu’elle est saisie dans tous les discours au nom du contraire ». Bref, ce sont les laïques qui sont racistes, pas ceux qui croient que l’affirmation de la différence est au bout de la kalach ! Si, si : « La laïcité se transforme en instrument d’agression des minorités, principalement aujourd’hui vis-à-vis de la minorité musulmane qui concentre à elle seule l’idée d’une crise du modèle d’intégration française. » Heu, pour l’agression, ce jour-là, ce n’était pas franchement la laïcité qui était à la manœuvre.
Immondes salopards. Crevures. Au bal des enfoirés, vous ne serez pas les derniers.
Depuis une semaine, les fossoyeurs de la laïcité en ont remis une couche. Ce ne sont plus seulement quelques caricaturistes que l’on enterrera aujourd’hui, à Montparnasse ou ailleurs. C’est leur combat de trente ans. Dansl’Humanité, un certain Mohamed Mechmache Co-président de la coordination nationale « Pas sans nous » et porte-parole du collectif AC LE Feu (ça existe apparemment, et ledit coordonnateur guigne les places chaudes qu’on pourrait lui réserver dans le cadre d’un « grand débat » comme Najat sait les organiser) lance : « Quand on refuse des sorties scolaires aux mères de famille voilées, est-ce qu’on n’est pas en train de créer de la violence chez ces gamins, qui voient leurs parents exclus ? »
Le pire, c’est qu’on ne les refuse plus. C’est que les voiles s’étendent, comme des taches d’encre, ou des taches de sang sur les taches d’encre, sur l’ensemble de la laïcité, que l’on propose depuis deux ans d’aménager.
Le plus beau, c’est que la Droite, qui cherche à exister encore à l’ombre du FN, s’y met elle aussi. Benoist Apparu, qui est forcément compétent puisqu’il est député, dénonce dans l’Express le « totalitarisme laïcard » et déclare que « la loi de 1905 ne doit pas être une cathédrale intouchable ». Ah, certes, elle a plus de cent ans, il faut rafistoler la vieille dame, et l’adapter aux cultes actuels. Apparu adapterait sans doute aussi la Déclaration des Droits de l’homme, qui est une antiquité encore plus branlante. Enfoiré !
Le gouvernement a fait descendre dans la rue des foules immenses (suis-je le seul à trouver suspect que pour une fois, les chiffres de la police et ceux des manifestants soient bizarrement identiques ? Quelqu’un a-t-il la moindre idée du temps que prendrait à s’écouler 1,5 millions de personnes entre la République et la Nation ?). Il en profitera, dans les jours à venir, pour instaurer des lois sécuritaires que Christiane Taubira, bien sûr, se fera un plaisir d’appliquer. Mais surtout, il va nous convoquer une de ces commissions sur la laïcité qui dans ses conclusions déjà écrites dira qu’il faut ouvrir, ouvrir, ouvrir… M’étonnerait que l’on en arrive à ajouter Laïcité à la trinité républicaine, comme le demande avec émotion Perico Legasse. Non, on va faire plaisir à « Médine », et instaurer la Rap-ublique…

La vertu est une voie toujours plus rude que le délitement. L’Ecole a cessé d’intégrer à force de « compréhension », de « collège unique » et de « socle commun » — à force d’ambitions sans cesse revues à la baisse, d’ouverture vers les particularismes de tel ou tel groupe de pression, d’entrisme des parents d’élèves (la FCPE vocifère qu’il faut lui donner encore plus de champ à l’intérieur de l’Ecole) et d’acceptation de la ghettoïsation à l’intérieur même des classes : d’un côté les « Blacks » (qu’on ne le dise plus en français depuis presque vingt ans est un signe en soi d’abandon), de l’autre les Beurs, d’un côté les garçons, de l’autre les filles — de peur de se contaminer sans doute. C’est le communautarisme qui est raciste, pas la laïcité.

Les avertissements pourtant se sont succédé, comme je le rappelle par ailleurs. On n’en a jamais tenu compte, ni à droite, ni à gauche. Les considérations électoralistes, la paresse intellectuelle, les trahisons des clercs ont favorisé à la fois la mise à l’écart de populations que la République savait insérer dans le tissu national, et l’émergence de revendications identitaires inacceptables. Je me fiche pas mal que tel ou tel adore Allah ou Jéhovah. Qu’il soit bronzé ou pas. Qu’il habite ici ou là. Comme le dit fort bien ce Basque de Perico : « L’altérité doit être acceptée comme une diversité, non comme une division. » Je suis prof pour les amener, chacun, au plus haut de leurs capacités — et malgré eux s’il le faut.
Mais ces temps-ci, franchement, la tâche est dure. Je sais que j’aime me battre à un contre cent. Mais la masse des crétins s’épaissit de jour en jour. La vague monte. Elle monte. Elle va tout submerger.
Et c’est sur l’émotion de 17 assassinats au nom de l’Islam que ces imbéciles joueront pour aménager la laïcité jusqu’à ce qu’il n’en reste rien — et ils s’étonneront, la bouche en cœur, quand on crucifiera les laïcards, en disant « Mon Dieu, mais je n’ai pas voulu cela ! » Charb lui-même, dans une allocution prononcée devant le Comité Laïcité République qui lui décernait un prix, prévenait il y a peu : « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent ». Ce même Charb qui avait illustré la couverture d’un livre plus que prémonitoire de Patrick Kessel, Ils ont volé la laïcité (Jean-Claude Gawsewitch éditeur), 2013), qui constatait avec effarement que les trahisons conjointes de la Gauche et de la Droite avait laissé le champ laïque au FN — on croit rêver. C’était il y a deux ans, c’était il y a deux siècles.

Ils ont volé la laïcité
Le diront-ils d’ailleurs ? À en croire Houellebecq, ils seront, comme son héros, en train de se convertir.

PS. Merci à l’Abeille et l’architecte, à qui j’ai emprunté nombre de références pour les faire parler.

Photo : Erez Lichtfeld/SIPA/SIPA/1412091921

Nabilla, Israël, notes à l’école : le journal d’Alain Finkielkraut

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nabilla pape israel ecole

Une entreprise nommée Nabilla (30 novembre)

Élisabeth Lévy. Vous avez souhaité commenter un texte paru dans Le Point sous la plume de PierreAntoine Delhommais, intitulé : « Les leçons économiques du cas Nabilla ». Cet éditorialiste sérieux s’émerveille pour la start-up Nabilla, « une incroyable success-story, créatrice de richesses et de travail ». Au fond, Delhommais n’a peut-être pas tort, Nabilla rapporte plus à la France que bien des esprits géniaux, car le cours de la matière grise est en baisse.

Alain Finkielkraut. « J’aime mieux être homme à paradoxes qu’homme à préjugés », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Héritier des Lumières, j’ai un préjugé favorable pour les paradoxes. Mais celui que développe Pierre-Antoine Delhommais à propos de la dernière reine de la téléréalité me laisse littéralement pantois. Nabilla, dit-il, a réussi, à 22 ans, à créer sa propre marque et à la faire prospérer grâce non seulement à une plastique mais à une personnalité hors norme. Son entreprise est « une incroyable success story, créatrice de richesses et de travail (producteurs télé, paparazzis, stylistes de mode, journalistes…), un vrai petit moteur de croissance ». Peu importe que trente ou quarante siècles de culture de l’âme et du regard n’aient pas laissé la moindre trace, comme le disait Renaud Camus de « Loft story », l’émission pionnière : ne pas s’incliner devant celle qui a fait breveter son expression fameuse « Allô, non mais allô quoi ! », c’est du racisme social, voire du racisme tout court. Un nouveau pote est né : Nabilla.
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L’article de Delhommais est stupéfiant mais il n’est pas aberrant. Avec son hymne au rien, il pousse à l’extrême la logique comptable qui régit notre société. Pourquoi le Centre Pompidou accueille-t-il en grande pompe les jouets usinés par Jeff Koons ? Parce qu’ils atteignent des prix « stratosphériques », comme dit, bluffé, le journal Le Monde. Ce n’est pas à la nouveauté explosive du Balloon Dog ou du Michael Jackson with Bubbles que va notre chapeau l’artiste !, mais aux milliards que Jeff Koons a engrangés. Nous ne vivons pas, comme on le dit tout le temps, sous le joug du néolibéralisme – les budgets sociaux sont en augmentation constante – mais sous la férule de l’économisme. N’accède à l’être aujourd’hui que ce qui est quantifiable. Tel Thomas Gradgrind, le redoutable personnage des Temps difficiles de Dickens, la gauche et la droite pèsent et mesurent « n’importe quelle parcelle de réalité humaine et vous en disent exactement le montant. Ce n’est qu’une affaire de chiffres, un simple calcul arithmétique ». Ainsi Fleur Pellerin prône-t-elle, en guise de politique culturelle, une politique commerciale plus agressive. Peu importe la qualité, pour faire glisser parmi les produits culturels dominants le plus possible de produits « made in France », il faut valoriser « les algorithmes de recommandation de contenus » : vous aimez tel livre ou tel DVD, vous aimerez tel autre. C’est en vain que Jean-Michel Frodon rappelle à Fleur Pellerin qu’une politique culturelle ne consiste pas à se calquer sur les méthodes d’Amazon en donnant aux gens ce qu’ils aiment, mais à inviter ces derniers à découvrir ce dont ils n’ont pas idée, le Prix Nobel dont Fleur Pellerin revendique la proximité n’est pas Patrick Modiano, mais Jean Tirole, le fondateur de la Toulouse School of Economics. On laissera donc à Fleur le mot de la fin : « Un ministre, ce n’est pas quelqu’un qui est payé pour lire des livres chez soi. »

Les propos du Pape sur l’immigration (30 novembre)

« L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables. » a déclaré le pape François au Parlement européen. Pratiquement toute la presse a applaudi, mais Éric Zemmour a accusé le souverain pontife de dire les mots qui plaisent et pas les mots qui fâchent, par exemple sur l’immigration. Qu’en pensez-vous ?

C’est à très juste titre que le pape François a rappelé dans son grand discours devant le Parlement européen qu’« une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui, lentement, risque de perdre son âme ainsi que cet esprit humaniste qu’elle aime et défend cependant ». Le christianisme et l’humanisme autrefois se combattaient. Un nouveau culte aujourd’hui remplace et la religion et la culture : le culte de l’équivalent général. Dieu s’est éclipsé à l’aube des Temps modernes ; à leur crépuscule, c’est le grand artiste qui cède la place à « l’artiste le plus cher du monde ».

Il n’est pas juste, en revanche, de reprocher à l’Europe d’avoir laissé la Méditerranée devenir « un grand cimetière ». Les garde-côtes italiens ont sauvé, en patrouillant nuit et jour, plus de cent mille migrants. Et s’il est vrai que « dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtés européennes, il y a des femmes et des hommes qui ont besoin d’accueil et d’aide », aucun message moral, même celui de l’Église, ne peut se résumer à l’amour du prochain. C’est assurément dans cet amour, dans cette bonté, comme l’écrit Levinas, que se produit « l’éveil à l’humanité biblique : répondre d’autrui, priorité d’autrui, dissymétrie entre moi et l’autre, lui toujours avant moi, humanité comme animalité déraisonnable, ou rationalité selon une nouvelle raison ». Nouvelle raison peut-être, mais pas absence de raison et amour tout court. Car, rappelle aussi Levinas, dans le monde, il y a toujours un tiers. Le tiers est autre que le prochain, mais aussi un autre prochain. « Qu’ont-ils fait l’un à l’autre ? Lequel passe avant l’autre ? » Pour répondre à ces questions, l’amour ne suffit pas. Benoît XVI parlait de « grand logos », et Levinas de « sagesse de l’amour ». Le pape François ne conçoit pas que « le devoir ait des carrefours », selon l’expression de Victor Hugo, ou que la responsabilité puisse être « un labyrinthe ». Tout à la charité chrétienne, il refuse de penser les conséquences de l’immigration de peuplement sur les peuples européens. Ce simplisme humanitaire fait de lui la coqueluche de tous ceux qui alignent le présent difficile sur le passé balisé des années noires et qui s’enchantent paresseusement de leur supériorité morale.

 

L’Assemblée nationale reconnaît l’État palestinien (7 décembre)

À l’initiative du groupe socialiste, l’Assemblée nationale a adopté la résolution demandant au gouvernement de reconnaître la Palestine. Contrairement à certains de nos amis comme Élie Barnavi, et Nissim Zvili, ancien secrétaire du Parti travailliste et ancien ambassadeur d’Israël en France, vous n’avez pas soutenu cette démarche. Pourquoi ?

Partisan depuis toujours et plus que jamais de la solution de deux États, terrifié aussi par l’absence actuelle de perspective, je partage le souci des parlementaires français, j’éprouve la même impatience qu’eux, mais je me désole de les voir faire l’impasse sur l’application méthodique par le Hamas de sa charte antijuive et imputer à Israël seul la responsabilité du blocage actuel. Certes, la poursuite de la colonisation en Cisjordanie est catastrophique, mais que dire des agressions sauvages devant les arrêts d’autobus ou dans les synagogues et de l’irrédentisme des Palestiniens entretenus dans leur rêve du droit au retour par tous les pays arabes qui ne leur concèdent qu’un statut de réfugié et leur font subir toutes sortes de discriminations ?

Et puis, si la politique arabe n’est plus, comme au temps du général de Gaulle, un des axes de la diplomatie française, la politique intérieure, elle, doit tenir compte des musulmans. Le vote de la résolution portant sur la reconnaissance de la Palestine est « le meilleur moyen pour récupérer notre électorat de banlieue et des quartiers », a dit, selon Le Canard enchaîné, l’ancien ministre de l’Éducation nationale Benoît Hamon. Il actualisait ainsi la recommandation adressée en 2001 par Pascal Boniface au Parti socialiste : « Je suis frappé par le nombre de jeunes beurs, de Français musulmans de tout âge, qui se disent de gauche mais qui, par référence à la situation au Proche-Orient, affirment ne pas vouloir voter Jospin à l’élection présidentielle. Une attitude jugée déséquilibrée au Proche-Orient – et bien sûr, pensent-ils, une fois de plus en défaveur des Arabes – vient confirmer que la communauté arabo-musulmane n’est pas prise en compte ou est même rejetée par la famille socialiste. »

Cette « communauté » avait voté massivement pour François Hollande en 2012. L’épisode du « mariage pour tous » semblait l’avoir refroidie. Rien de mieux pour la réchauffer qu’une reconnaissance officielle de la Palestine. Mais la Palestine, dans les cités, ce n’est pas un lieu, ce n’est pas même un peuple, c’est le symbole de la domination juive sur le monde et de la domination infligée aux musulmans. Quand on insulte des juifs en France, quand on les moleste, quand on les rackette, quand on les tue, c’est pour venger la souffrance des Palestiniens. La politologue Nonna Mayer se refuse toutefois à parler de nouvel antisémitisme. « C’est à l’extrême droite, écrit-elle, impavide, que le niveau d’antisémitisme reste le plus élevé. » Tandis que la haine antijuive se met un keffieh autour du cou et brandit le drapeau palestinien, les chercheurs en effaçologie qui peuplent les départements de sciences sociales de nos universités ne laissent subsister sur la photographie de l’antisémitisme que l’image de Maurras, de Barrès et de leurs épigones…

Mais je ne peux en rester à cette observation. Sept cents intellectuels, diplomates, officiers de réserve et responsables politiques israéliens ont appelé le Parlement français à voter la reconnaissance de la Palestine. Ils n’ont que faire des mobiles des uns et des autres, car ils se demandent avec anxiété si le « archav » de Shalom archav n’est pas, après quarante années de meetings, de défilés et de pétitions, en train de rendre l’âme et s’il ne doit pas être remplacé par l’expression la plus tragique, la plus irrémédiable de la langue : trop tard. Trop tard, maintenant que 400 000 juifs habitent au-delà de la ligne verte, pour guérir ce que Yeshayahou Leibowitz appelait dès 1978 « le cancer de l’occupation ». Trop tard aussi, peut-être, pour voir les réfugiés palestiniens qui, avec la complicité des Nations unies, sont devenus des millions, se résigner à un État à côté d’Israël.

Je me disais, à la fin du XXe siècle, que l’antisémitisme était moribond et qu’Israël restait un recours car le sionisme était, lui, bien vivant. Je me dis aujourd’hui que l’antisémitisme est devant nous et que l’autodissolution du sionisme est en marche. Et je désire une seule chose : que l’avenir me donne tort sur les deux tableaux.

 

La suppression des notes à l’école et au collège (14 décembre)

Le 27 novembre, le Conseil supérieur des programmes a remis à Najat Vallaud-Belkacem un document qui préconise le remplacement des notes par un barème de 4 à 6 niveaux et la quasi-suppression du brevet des collèges. Les notes ne seraient ni neutres ni objectives et seraient en même temps stigmatisantes et décourageantes. Est-ce vraiment faux ?

L’école demande patience, exercices, discipline, car l’acquisition des connaissances est longue et difficile. La société médiatique, à l’inverse, nous plonge dans le monde enchanté de l’accès immédiat à toutes choses. Elle remplace l’acquisition par la mise à disposition. Et elle prétend satisfaire, séance tenante, tous les besoins, toutes les pulsions. Dans cet environnement hostile, l’école aurait pu défendre jalousement sa spécificité, son indépendance. Elle a fait exactement le contraire. Les réformes qu’elle n’a cessé d’empiler depuis quarante ans ont signé sa reddition. Elle court après l’esprit du temps, elle cherche aujourd’hui son salut dans le ludique et dans le numérique, au point d’envisager de remplacer l’écriture cursive par l’écriture digitale, ce qui, grâce à la correction intégrée, dispenserait les élèves d’apprendre l’orthographe, c’est-à-dire de connaître la physionomie des mots et même de faire la différence entre le verbe « est » et la copule « et ». Le résultat de cette capitulation est clair : le niveau s’effondre. Le bien-dire et le bien-écrire ont cédé la place à un magma consternant, l’histoire est ignorée, les élèves les plus motivés politiquement ne savent pas placer la Palestine sur une carte et les abstraites mathématiques suscitent une allergie croissante malgré l’allure bohème que leur donne Cédric Villani, Médaille Fields et chouchou histrionique du petit écran. La majorité des élèves reçus au baccalauréat auraient été autrefois recalés au certificat d’études.

Face à ce désastre, que faire ? Le Conseil national des programmes recommande de « mettre en place une évaluation positive permettant de valoriser différents niveaux de réussite en établissant un bilan plus riche qu’une réponse binaire en termes de succès et d’échec ». Il suggère aussi de « prendre en compte l’ensemble des compétences définies par le socle commun et ne pas se limiter à celles évaluées par les épreuves classiques ».C’est le miracle de la multiplication des pains : vous rencontrez l’ignorance et vous la fractionnez, par la nouvelle évaluation, en une pléiade de compétences. Pour le dire d’une autre image, la nouvelle évaluation sera le village Potemkine de l’école dévastée. On ne supprimera pas, pour autant, l’ancienne façon de faire, mais, prévient le rapport, « si le recours à une note chiffrée peut être, dans certains cas, pertinent, il est indispensable de réfléchir aux manières de la concevoir et de la moduler, notamment pour permettre qu’elle soit réellement indicative de la situation d’un élève, et non perçue exclusivement comme un moyen de récompense et de sanction, et un instrument de tri et de hiérarchie sociale ».

Qu’est-ce à dire, sinon que le bon élève n’est plus un modèle mais un suspect ? Il n’est pas cité en exemple, il est regardé avec méfiance. Pour réussir si bien, il doit être né coiffé, c’est-à-dire dans un milieu bourgeois ou, pire encore, intellectuel. Il a sûrement des livres chez lui, peut-être même entend-il, à la maison, une belle langue. Il faut y remédier. L’institution prend ainsi le parti de ceux qui, dans les classes, traitent les élèves doués et studieux de « bouffons ». Elle ne les persécute pas encore, mais elle les invite à ne pas la ramener et même à expier, en faisant profil bas, ce que Bourdieu appelle leur « capital culturel ». Au lieu de tirer tout le monde vers le haut, l’école en vient ainsi à incriminer la notion même de hauteur. Avec un courage extraordinaire, ses derniers « hussards noirs » mènent un combat perdu car ils ont toute l’institution contre eux. L’enseignement public a tué, à petit feu, l’école républicaine. Le salut ne peut donc venir maintenant que de l’extérieur.

J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre m’annonçant la création de l’Institut Louis-Germain, dans la région qu’on baptise aujourd’hui du nom gracieux de PACA. Il s’agit d’un tutorat scolaire d’excellence pour les élèves doués et ambitieux qui n’ont plus la possibilité d’émerger dans les quartiers défavorisés où ils vivent car, pour ne laisser personne sur le bord du chemin, l’école a choisi de ralentir l’allure de tous. Au nom de l’égalité, la nullité fait loi. À ce commandement ministériel, s’oppose l’initiative de quelques-uns. La République repose désormais dans les mains de la société civile.

Louis Germain était, faut-il le rappeler, l’instituteur d’Albert Camus. Si celui-ci était passé par une école compassionnelle comme celle d’aujourd’hui, il n’aurait jamais été confronté à la difficulté intellectuelle ni comparé avec ses pairs, ni introduit dans le monde écrasant de la grande culture, il lui aurait donc été radicalement impossible de devenir l’écrivain qu’il fut.[/access]

*Photo : ERIC DESSONS/JDD/SIPA . 00685990_000032.

Economie : vers un sursaut français?

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france economie mondiale rivaton

La France, jusqu’ici cinquième puissance économique mondiale, vient de céder du terrain, laissant passer devant elle le Royaume-Uni dont la croissance et la monnaie sont plus florissantes. De quoi alimenter les thèses les plus noires sur notre déclin…

Pourtant, dans le concert crépusculaire, dont les choristes se multiplient comme autant de microbes, une voie dissonante est passée relativement inaperçue à l’automne. Il faut dire qu’elle était un peu optimiste, ce qui en soi est suspect… C’est au détour d’un article consacré au pitch d’Alain Juppé -ira ou n’ira pas jusqu’au bout- qu’était cité le nom de ce jeune économiste et de son essai roboratif : « La France est prête, nous avons déjà changé ».

Reconnaissant à la France un certain retard et non un naufrage, Robin Rivaton replace l’histoire dans le temps long pour rappeler que la France au cours des siècles précédents, a trouvé les ressources pour se remettre en selle à plusieurs reprises. Il montre que les conditions d’un rebond sont désormais réunies. N’étant pas de ceux qui pensent que le déclin est inéluctable, il fustige le pouvoir mortifère de l’autoflagellation  et s’emploie à démonter un par un les stéréotypes qui fondent le french bashing autant que notre asthénie collective.

Attention,  ce n’est pas « lou ravi » de la crèche. S’il établit que les mentalités ont évolué depuis une décennie, il ne nie pas le paradoxe qui oppose souvent une perception individuelle plutôt optimiste et à un pessimisme collectif des français. Pas plus qu’il ne dément le fossé qui sépare leurs idées de leurs actions. Il démontre, chiffres à l’appui, que notre peuple a du jus, mais surtout qu’il a perdu de sa rigidité légendaire sur certains sujets. Ainsi, accompagnés d’un chef qui valoriserait leurs forces, les français pourraient enfin remettre en question un modèle qui ne fonctionne plus…sans produire les blocages derrière lesquels se cache la classe politique actuelle pour justifier son inertie.

L’esprit d’entreprise des français, un rapport plus libre à l’argent et à la richesse, une meilleure ouverture au monde et un pragmatisme nouveau à l’égard d’un état gourmand et fainéant viennent étayer cette démonstration.

La France fait preuve d’un dynamisme entrepreneurial remarquable, dans l’absolu -900 000 auto entrepreneurs actifs fin 2013- comme par rapport à ses voisins. Mieux, contrairement à une idée longtemps entretenue, l’entrepreneur, l’indépendance que procure ce statut et la création de richesse qui peut en découler sont très bien perçus par les français. Pour faire court, « La décennie écoulée a […] permis l’apprentissage et la diffusion des règles du capitalisme dans la société française, l’attachement à la valeur travail, déjà ancien, a été rejoint par un rapport plus libre à l’argent » note l’économiste qui y voit un levier de croissance. En agissant sur une meilleure préparation des jeunes pour la création d’entreprise –qui est déjà à l’œuvre avec des initiatives comme celle de Xavier Niel et son école 42, les accélérateurs de start-up et autres incubateurs d’entreprises et en la libérant de ses contraintes normatives, la croissance générée par le progrès peut être sans limites.

En outre, après avoir trainé la patte derrière des partenaires plus optimiste, la France se met à voir la mondialisation en rose –en gris rosé en tout cas. Et cela se ressent dans son ouverture au monde : le nombre de français à l’étranger s’est accru de 60 % sur les 15 dernières années pendant que les étudiants Erasmus doublaient. Même s’il ne faut pas négliger la part de ceux qui fuient l’enfer fiscal ou le chômage programmé, ni celle des français qui trimballent leur blues avec eux, ces expatriés participent malgré tout à un certain rayonnement de la France. Qui du même coup attire étudiants (3e pays d’accueil) et expatriés  (5e pays dans lequel les candidats aimeraient travailler).

Neuf français sur dix sont convaincus que la France a besoin de réformes pour faire face au futur : en voilà une bonne nouvelle.  Mais plus importante est celle qui nous prouve qu’enfin nos compatriotes ont compris l’incurie de notre état dégoulinant. Les valeurs libérales d’initiative, autonomie, responsabilité et mérite recueillent 90% des suffrages pendant que l’Etat-providence inspire le rejet de 75% des Français. Une autre enquête3 livre ce chiffre ébouriffant : 70% des interrogés, dont plus de la moitié de sympathisants de gauche, souhaitent que le statut des fonctionnaires soit aligné sur les contrats de droit privé… Le fonctionnariat ne fait plus rêver. L’échec patent du système scolaire qui laisse sur la route des décrocheurs sans formation ni avenir, celui de la sécurité ou de la santé ont décillé les Français… Le privé ne ferait-il pas mieux ?

Après avoir loupé l’éclaircie des années 2000, les français auraient opéré de grandes prises de consciences qui les éloignent des élites politiques accrochées à leurs vieilles lunes idéologiques. Les initiatives d’échanges de service (Blablacar), de locations entre particuliers, de financement participatif montrent comme ils comptent finalement sur eux-mêmes et aspirent aujourd’hui à plus de réalisme dans la conduite des affaires du pays. La multiplication d’initiatives citoyennes, d’associations (Bleu Blanc Zèbre), de nouveaux partis politiques (Nous citoyens), de mouvement de contestation hors syndicats  (Les Pigeons), de médias libéraux assumés (L’Opinion) accrédite l’idée que l’opinion a changé sur beaucoup de points et que des propositions inspirées de la Big Society à l’anglaise trouveraient aujourd’hui un écho favorable en France.

Lassés de la renonciation qui colle à la peau des français urbi et orbi, ils sont une poignée à vouloir les enjoindre de se saisir de leur destin. Cette petite musique résolument positive que l’on perçoit ça et là prend de l’ampleur et donne envie de tendre l’oreille. Robin Rivaton pour sa part nous livre l’analyse sociologique qui lui permet d’entrevoir une fenêtre de tir pour une refonte complète de notre appareil économique. Avec l’enthousiasme de ses 27 ans, il propose de donner un grand coup de pied dans la fourmilière. La France est prête, peut être, mais le chantier est titanesque.

Reste à convaincre les politiques… Contre toute attente, c’est Alain Juppé, le plus vieux d’entre eux, qui s’émerveille de cet opus. Sera-t-il disposé, comme il le suggère depuis quelques mois à ne s’engager que pour un mandat et faire ce grand ménage sans lequel notre mue « lib-réaliste» (Robin Rivaton) restera lettre morte ? Après tout, il se dit bien prêt « à couper les deux bouts de l’omelette… » dans une coalition qui oublierait un temps ce qui se trouve trop loin sur sa droite ou sur sa gauche. Mais à cela aussi les français seraient-ils prêts aussi ?

Ce serait la bonne nouvelle de 2015, le réalisme oblige pourtant à rappeler qu’il y a loin de la coupe aux lèvres…

*Photo : Pixabay.

La France est prête: Nous avons déjà changé

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Netanyahou, un tout petit bonhomme

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Benyamin Netanyahou Israël

Benyamin Netanyahou IsraëlEh non, cher Luc, je ne suis pas « aveuglé par ma détestation de Netanyahou ». J’estime, comme beaucoup de mes compatriotes, que cet homme nous mène dans le mur. J’ose croire que ce constat, assez banal dans ces parages, ne me rend pas moins « concerné » que toi par « la pérennité » de la nation à laquelle je suis assez passionnément attaché pour y vivre quoiqu’il arrive, comme par le sort de mes frères juifs où qu’ils se trouvent.

Sur la question qui me vaut ton interpellation, je n’ai aucun problème, et je l’affirme haut et fort dans ma chronique, avec l’appel traditionnel à l’aliyah, inscrit dans la vocation même de l’Etat d’Israël. J’ai simplement constaté, mais je me trompe peut-être, que la France n’est ni l’Ethiopie, ni l’Union soviétique d’antan. Et j’ai prétendu que, formulé de cette manière, l’appel de mon valeureux Premier ministre – puisque, dans sa première version, édulcorée dans un deuxième temps, c’est bien d’une injonction qu’il s’agissait – et au moment où la communauté nationale française était frappée au cœur, avait quelque-chose de proprement indécent. Imagines-tu quelle serait la réaction du gouvernement d’Israël, quelle serait ma réaction, si, à chaque fois que le terrorisme palestinien sème la mort dans nos rues, Paris s’avisait d’inviter ses ressortissants franco-israéliens à trouver refuge dans leur mère patrie ? Je persiste et signe : ce fut une double gifle, à un gouvernement ami et à l’idéologie fondatrice de l’Etat juif dans ce qu’elle a de plus noble.

Enfin, Netanyahou n’aurait pas joué des coudes, tout aurait été arrangé par les bons soins du protocole français. Allons donc, ce fut bien pire que cela. En fait, il n’était pas invité du tout, les Français n’en voulaient pas, précisément parce qu’ils se doutaient de ce qu’il allait dire. Il est venu quand même, ce qui a valu à Mahmoud Abbas de se trouver là aussi. Merci qui ?

En fait, il n’avait aucune intention de faire le voyage pour Paris, affaire de « sécurité » vois-tu. Jusqu’au moment où il a appris que deux de ses ministres et rivaux, et pas des moindres, Naftali Bennett et Avigdor Lieberman, faisaient leurs valises. Du coup, la sécurité n’était plus un problème. Ah, les dures exigences des campagnes électorales… « Pérennité », dis-tu ? Oui, pérennité de son job. Il faut bien qu’il y ait quelque chose de pérenne en ce bas monde…

Au final, un tout petit bonhomme, qui fait un excellent travail pour nous couper de la communauté des nations civilisées, transformer le sionisme en un gros mot et l’Etat juif en un machin binational. Là où la situation exigerait un Ben Gourion, on n’a qu’un Netanyahou. Mais la déesse Fortune n’est pas seule responsable. En démocratie, on a toujours, toujours les chefs qu’on mérite.

Avec mon amitié indéfectible.

Photo : Balilty-Pool/SIPA/SIPA/1211211619

Attentats de Paris: Après l’expiation collective

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Je suis Charlie Hyper cacher flic

Je suis Charlie Hyper cacher flicFallait-il attendre avant de publier ces lignes ? Au pic émotionnel de la « Marche républicaine », elles pouvaient ne pas être comprises. Un peu comme à la fin d’une première séance d’analyse : malgré l’évidence des désordres psychiques exposés longuement par le patient, celui-ci est incapable d’appréhender la moindre interprétation. Mobilisant ses défenses frontales, il la réfute, s’en prend à l’analyste qu’il accuse de tous ses maux. Mû par notre cœur sorbonnard, nous avons, comme tant d’autres, « marché » pour dénoncer la barbarie des assassinats et encourager la résurgence d’un esprit critique, imprimé au XVIIe siècle par Descartes mais englouti par des décennies d’irresponsabilité politique, le tout au nom d’un impératif de paix sociale et d’entente confessionnelle. Comme au Liban. Une certaine acuité de la conscience nous a toutefois rappelé à l’ordre : ce dimanche 11 janvier nous est apparu comme un étrange exercice d’expiation collective, agrégeant sur son passage nombre de rancœurs disparates, de frustrations mêlées de désillusions, et trahissant in fine un profond désarroi de la société française. Une sorte de Yom Kippour hexagonal dont le caractère laïc le priverait du pouvoir ex opere operato. Soyons honnête jusqu’au bout : nous est venu spontanément à l’esprit, à propos de cette manifestation, le film de science-fiction « L’âge de cristal » (1976) : la mort dissimulée sous la jouissance partagée d’une renaissance. Le lendemain, une étudiante de l’Université de Nice nous apostrophe en cours : « Laissez-nous rêver ! » Son appel au rêve traduit-il « la négation partielle et la déformation de la réalité ?[1. Sandor Ferenczi, Le traumatisme, Petite Bibliothèque Payot, n° 580, 2006, p.147.] »

La masse « spontanée » des participants à cette cérémonie rédemptrice, certes, impressionne. Elle ne laisse aussi d’inquiéter tant nous savons combien l’être humain cherche à se délester et à diluer dans la foule anonyme la tragédie de ses pesanteurs individuelles. La projection vers l’extérieur est « notre première mesure de sécurité contre la douleur, la peur d’être attaqué ou l’impuissance[2. Mélanie Klein & Joan Rivière, L’amour et la haine, Petite Bibliothèque Payot, n°18, 2001, p.26.] ». L’encadrement du défilé par les politiques n’a d’ailleurs pas tardé, histoire d’amnistier les alertes successives mais ignorées, à droite comme à gauche, du terrorisme en France. Des amis parisiens se plaisaient à nous le rappeler : en 1995, une réunion interministérielle évoque la menace des banlieues dans les dix années à venir. « Quoi faire ? » demande un participant : « rien, lui répond-on, nous n’avons pas les moyens d’éteindre des incendies qu’il ne faut par conséquent pas allumer ». En octobre 2007, un des principaux responsables de l’UCLAT, l’Unité française de Coordination de la Lutte antiterroriste, déclare à la presse : « Nous sommes au plus haut niveau d’élévation de la menace terroriste. » Laissons aux spécialistes le soin d’éclaircir eux-mêmes ce qui apparaît au profane comme une énigme.

Dernier motif de nos doutes : déjà fragilisé par une fragmentation catégorielle (« Je suis juif » « Je suis flic »…), le slogan « Je suis Charlie » se voit en outre menacé par une récupération tout comme le vocabulaire de certaines « valeurs républicaines » s’est mué – pour prolonger le concept de « malthusianisme verbal » énoncé par Roland Barthes sur le français – en un « idiome sacré » aux prétentions universelles mais désincarnées. « Je suis Charlie » pourrait à terme ressembler au français académique du XVIIIe siècle, éloigné de sa base, séparé de son « étendue sociale » : flamboyant mais creux. Rien du contre-investissement psychique obligatoire afin d’endiguer le flux djihadiste. Entre espoir et crainte, la lucidité commande : souffler sur l’étincelle pour aviver une flamme que d’autres s’emploieront à éteindre.

Photo : Wikimedia Commons

Les apostats de la gauche divine

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michea guilluy amselle joffrin

michea guilluy amselle joffrin

Bienvenue aux enfers, où les âmes mortes errent sans fin dans la nuit. Depuis la fin de la décennie 1990, l’hérésie de gauche se paie cher, comme peuvent en témoigner Jean-Pierre Chevènement et ses inspirateurs « nationaux-républicains » emmenés par Philippe Cohen et désignés comme diables par Le Monde d’Edwy Plenel, ou Marcel Gauchet, Pierre Manent et d’autres savants rappelés à l’ordre par l’universitaire Daniel Lindenberg, petit télégraphiste du même Plenel et de Rosanvallon, toujours en pointe contre le fascisme qui vient. Quelques années plus tard, les quinquennats Sarkozy puis Hollande ayant achevé de brouiller les cartes du jeu politique, les thèses hétérodoxes d’intellectuels issus de la gauche trouvent un succès croissant auprès d’une jeunesse éprise de critique sociale, mais revenue des mythes du Progrès. Malheur aux Michéa, Guilluy et Polony qui ont abjuré leur foi de gauche ; pire que l’hérésie dont se rendent coupables des personnalités de droite ou assimilées, l’apostasie conduit au neuvième et dernier cercle de l’enfer. Sous peine de brûler, de profundis, les trois commandements de la gauche divine (Baudrillard), tu suivras.

Règle n°1 : Au clivage droite/gauche tu te tiendras

C’est bien connu, le « ni droite-ni gauche » s’attache intemporellement à l’extrême droite. Dernièrement, Natacha Polony a payé cher son indépendance d’esprit sur le plateau de Laurent Ruquier (« Où vous situez-vous ? », « Qu’est-ce qui vous différencie du Front national ? », lui demandait la procureuse Salamé). Il ne fait pas bon se dire réac sur les mœurs, et économiquement de gauche, à l’heure où Marine Le Pen semble avoir préempté ce positionnement. L’anthropologue postmoderne Jean-Loup Amselle, auteur des Nouveaux Rouges-Bruns (Lignes, 2014), s’effraie de « la montée d’une droite des valeurs qui s’accompagne souvent d’une certaine dose d’antisémitisme et qui est en général associée à une posture de “gauche du travail”, hostile au libéralisme économique » (doit-on en conclure qu’il faudrait au contraire conjuguer droite libérale du travail et gauche sociétale, autrement dit avoir le portefeuille à droite et le cœur à gauche, tel un affairiste qui aurait ses pauvres et ses discriminés ?). Bref, le rouge-brun est un personnage hybride qui effraie le théoricien de l’« hybridité » ! Ainsi Amselle fustige-t-il l’anticapitaliste Jean-Claude Michéa[1. Lire notamment La Double pensée (Climats, 2008), sur Orwell, L’Empire du moindre mal (Climats, 2007), sur le libéralisme, et Le Complexe d’Orphée (Climats, 2011), sur la gauche.] , fin lecteur de George Orwell qui étudie inlassablement le paradoxe du libéralisme, et décrypte sa nature foncièrement progressiste, individualiste et sans frontières, autant dire de gauche. Aux yeux d’Amselle, le socialisme conservateur et communautaire de ce penseur « ambigu » qu’est Michéa le rapprocherait d’un Dieudonné, admiratif des Pygmées ! On est presque surpris que notre épurateur n’aille pas jusqu’à brandir la citation apocryphe de Hitler se proclamant « économiquement de gauche, et socialement de droite ». Quelle retenue…

Règle n°2 : Tes adversaires tu fasciseras

Cela ne surprendra guère, la prose confusionniste d’Amselle suscite l’enthousiasme des Laurent Joffrin et Sylvain Bourmeau. Après avoir sévi aux Inrocks, à Mediapart puis à Libération, ce dernier s’est replié dans sa tour d’ivoire de France Culture d’où il continue à vacciner les foules contre le « péril rouge-brun » – également appelé « néo-réac » selon les moments. Tout imbu de sa science infuse, Bourmeau traque les « lepénistes de gauche » avec l’acharnement d’un Beria social-démocrate (un robinet de vitriol tiède). Les représentants de cette engeance crypto-chevènementiste, regroupés en 2012 au sein du collectif Gauche populaire, osaient braver les tabous de la gauche et parler ouvertement de sécurité, de nation et d’immigration, certains, comme le politiste Laurent Bouvet ou le géographe social Christophe Guilluy, allant jusqu’à se commettre dans les colonnes du « torchon Causeur » (sic). Messieurs les censeurs, réjouissez-vous, Bourmeau officiera désormais en tant que professeur associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) où il pourra évangéliser les derniers lecteurs de Libé – aux frais du contribuable, mais c’est sans doute mesquin de le remarquer.

Un autre exorciste professionnel, j’ai nommé Philippe Corcuff, maître de conférences en sciences politiques passé successivement par le PS, la chevènementie, les Verts, le NPA… avant d’atterrir à la Fédération anarchiste, vulgarise la même weltanschauung à l’usage des 3-5 ans. Son dernier opus, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (Textuel), se veut une œuvre pédagogique destinée à « combattre le côté obscur de la force qui contamine aujourd’hui la critique sous des apparences rebelles » (non, je n’invente rien). En effet, ceci n’est pas le synopsis du prochain épisode de Star Wars mais bien un ordre de mission contre la déplorable droitisation des esprits menée, pour les bruns, par des prêcheurs de haine « néoconservateurs » (Élisabeth Lévy, Dieudonné, Éric Zemmour, quelle équipe !) et, côté rouges, par des « entrepreneurs en identités collectives fermées » (Michéa, Bouvet, Guilluy, encore eux !). Sur le ton à la fois candide et professoral d’une aventure de Martine dictée par Alain Badiou, Corcuff hume un parfum d’années 1930 dans le maelstrom politique actuel : à l’en croire, Marine Le Pen devrait son succès à la montée d’un « postfascisme » indifféremment islamophobe, antisémite et xénophobe (et les homophobes, ils ont vendu du beurre aux Allemands ?). Diantre, que le marigot populo refoule de la goule !

Règle n°3 : Le peuple tu ignoreras

Billancourt, c’est fini. Aujourd’hui, c’est Montorgueil que Laurent Joffrin craint de désespérer. Après avoir successivement épinglé à la une de L’Obs les « néo-réacs » (mars 2011) puis, en septembre 2012, les « néo-fachos » – la short-list des suspects habituels comprenant notamment Lévy, Zemmour et le regretté Philippe Cohen – , qui sait jusqu’où Joffrin poursuivra son ascension dans l’anathème : bientôt les néo-nazis ? Ce n’est pas pour rien que la Pomponnette de la presse de gauche, hier à L’Obs, aujourd’hui chez Libération, avant-hier à L’Obs, alterne entre ces deux bercails depuis… trente-trois ans ! En attendant son prochain aller-retour, le digne successeur de Serge July, qui fut le sémillant partenaire d’Yves Montand dans « Vive la crise ! », merveille télévisuelle destinée à montrer à ces ploucs de sidérurgistes licenciés par dizaines de milliers que le risque c’est cool, man, ne sait plus sur quel peuple danser. Le 16 septembre dernier, dans un édito de Libé frisant le mea culpa, Joffrin décernait un étonnant satisfecit, à peine teinté de quelques réserves, à Christophe Guilluy, bien que celui-ci ait, dans La France périphérique  (Flammarion, 2014)., montré, cartes à l’appui, que 80 % des classes populaires, expulsées des centres-villes par la gentrification et des banlieues par l’immigration, ont atterri dans des no man’s land ruraux ou « périurbains », territoires désindustrialisés et exclus des échanges économiques. Or, à la différence des catégories protégées que sont les fonctionnaires (électeurs de gauche) et retraités (clientèle de l’UMP), ces petites gens votent massivement Front national, suscitant ordinairement une héroïque répulsion chez Joffrin, qui fit preuve, ce jour-là, d’une étonnante mansuétude pour les ploucs (et pour Guilluy qui leur donne une voix) : « Il y a là, écrivait-il, un examen de conscience politique et culturelle à ouvrir, loin des conformismes et des pensées automatiques. » Patatras, un mois et demi après ce début d’aggiornamento, Joffrin salue l’essai prophylactique d’Amselle, « un petit livre indispensable à la compréhension [du] nouveau paysage » intellectuel. Dans un de ces retournements dans lesquels il excelle, le patron de Libé fait feu sur « des intellectuels comme Christophe Guilluy ou Jean-Claude Michéa, qui donnent à leur réflexion un tour très identitaire ». Que mon mardi ignore mon lundi, en somme. Il est vrai que, si on cherche en vain dans leur œuvre trace de ce mauvais penchant « identitaire », les deux compagnons de prétoire partagent une même fibre « populiste », au meilleur sens du terme. Guilluy aggrave son cas en disséquant, à l’aide d’enquêtes de terrain, l’« insécurité culturelle » dont souffrent les classes populaires confrontées aux conséquences de l’immigration massive. Réponse, d’après l’intéressé, des propagandistes du métissage –Amselle, Corcuff, Joffrin et Bourmeau en tête : « Ils déforment mes propos et prétendent que j’oppose la France des petits Blancs aux Arabes. » Ravie d’avoir ainsi débusqué les ennemis supposés de ce peuple qu’elle ne parvient décidément pas à changer, la gauche hollando-mélenchoniste psalmodie ses mantras éculés – la lutte des classes façon La Bête humaine – ou projette ses fantasmes de lutte pour les damnés de la terre sur des banlieues moins défavorisées que nos campagnes. À l’arrivée, cela donne la préférence immigrée, tout aussi stupide et vaine que la préférence blanche – et le vote FN. Ironie de l’histoire, ces chaisières recyclent le vieux mythe droitard des classes dangereuses, ainsi que le confirme Guilluy : « Ils vivent dans le mythe de l’individu sans territoire, sans origine, sans ethnicité, sans religion. C’est un discours complètement hors-sol. La gauche panique, elle n’est plus qu’à 25 % des votants, c’est-à-dire 15 % des inscrits. Alors qu’ils devraient changer de logiciel, les gardiens du dogme préfèrent mourir en ayant tort. »

Nul n’est plus agressif qu’un animal agonisant. À la vindicte des croisés de l’antifascisme, il faut donc riposter par l’ironie ravageuse d’un Michéa. Ou esquisser un pas de côté en méditant ce que ces Cerbère disent de notre époque. En anciens rebelles passés du col Mao au Rotary Club, ces chasseurs de sorcières n’ont retenu de Mai 68 que sa récupération publicitaire. Trente ans après le ralliement de la gauche au marché, les héros sont fatigués, mais bougent encore. Leur imaginaire manichéen hante tous les professionnels du spectacle qui n’aiment rien tant qu’opposer des nostalgiques de l’ordre moral aux habituels rentiers de l’antifascisme. Si les mécréants dans mon genre peinent à préciser les contours d’une troisième voie, je ne me résous pas à ce que les rares voix dissonantes se fassent de moins en moins entendre. Courons camarades, le vieux monde nous rattrape à grands pas !

Quinze ans de diabolisation

  • Mai 1999 : Edwy Plenel fascise les « nationaux-républicains » Régis Debray et Jean-Pierre Chevènement dans son livre L’Épreuve, Stock.
  • 2002 : Daniel Lindenberg publie Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil.
  • Mars 2011 : Le Nouvel Observateur consacre sa une aux « néo-réacs, agents de décontamination de la pensée du FN »(Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, Ivan Rioufol, Robert Ménard, Philippe Cohen, etc.).
  • 5 avril 2011 : Le Monde épingle « les nouveaux réacs (Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, Yvan Rioufol, Robert Ménard, Éric Brunet) au discours franchement anti-immigrés ».
  • Septembre 2012 : Le Nouvel Observateurhache menu « Les néo-fachos et leurs amis » en amalgamant Alain Finkielkraut, Alain Soral, Élisabeth Lévy, Patrick Buisson, ou encore un site américain… proche du Ku Klux Klan.
  • 6 août 2014 : Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis étrillent Marcel Gauchet dans Libération : « Pourquoi il faut boycotter Les Rendez-Vous de l’histoire : un appel collectif ».
  • 1er octobre 2014 : Philippe Corcuff sort Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Textuel.
  • 15 octobre 2014 : Pascal Blanchard, Claude Askolovitch, Renaud Dély et Yvan Gastaut publient Les années 30 sont de retour, Flammarion.
  • 21 octobre 2014 : Jean Loup-Amselle dissèque « le racisme qui vient » dans LesNouveaux Rouges-Bruns, Lignes.
  • 31 octobre 2014 : Laurent Joffrin reprend les thèses d’Amselle dans son éditorial de Libération : « Les “rouges-bruns” attaquent ».

*Image : Soleil.

Charlie : une curieuse mélancolie.

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Charb Charlie Hebdo

Charb Charlie HebdoAujourd’hui, vendredi 16 janvier, à 10h, Charb aura été enterré à Pontoise, sa ville natale. Je le connaissais un peu, pas assez pour prétendre à l’amitié mais suffisamment pour le considérer comme un copain que je croisais assez régulièrement, tous les ans, à la Fête de l’Huma. Il y avait eu aussi ces dix jours d’ateliers dans les quartiers de la Réunion, en octobre 2009, à l’initiative d’une association d’éducation populaire d’Arras qui avait sa petite sœur à Saint-Denis de la Réunion. On allait, lui, moi et d’autres artistes – eux de vrais amis pour le coup, comme Babouse ou le chanteur Franck Vandecasteelle de Marcel et son orchestre devenu Lénine Renaud, dont Charb devait illustrer la pochette du prochain album – dans des endroits assez peu fréquentés par les touristes : le quartier du Chaudron où étaient apparues des émeutes urbaines annonciatrices de 2005 dès 1991, ou chez les paysans des Hauts avec leurs champs de canne à sucre, ou encore sur le Piton d’eau, avec les derniers éleveurs de bœufs en liberté de l’île, au flanc du volcan. Soixante têtes environ pour 4000 hectares. Une insulte à l’agriculture productiviste.

Ils vivaient deux jours sur trois dans des boucans clandestins,  sous des ciels changeants,  à près de 2000 mètres d’altitude, traqués par l’ONF, le Parc, Bruxelles. Leur élevage traditionnel aurait abimé l’environnement. C’est pour cela sans doute qu’ils pouvaient nous offrir tout ce qu’ils trouvaient naturellement dans un rayon de deux cents mètres : le miel sauvage et les piments, le gingembre et les grenadines galets.

Si je repense à la Réunion, c’est parce que j’y ai vu Charb heureux d’apprendre le dessin de presse à des mômes des quartiers difficiles et, avec Babouse, quand on se retrouvait tous les soirs au restaurant prévu par l’association, couvrir de crobars les nappes en papier. Si je repense à la Réunion, c’est aussi sans doute, alors que s’y côtoient cinq ou six cultes, de l’hindouisme au bouddhisme en passant par l’islam,  et des peuples venus du monde entier, tout cela a assez joyeusement fusionné dans un œcuménisme ethnique et religieux qui fait que les vrais problèmes ne sont plus masqués : pauvreté endémique, chômage de masse, services publics parfois défaillants. Bref, des problèmes de la métropole, mais en pire. Seulement, comme les gens ne passent pas leur temps à se brûler leurs lieux de cultes mais plutôt à se marier les uns avec les autres quitte à faire deux cérémonies, ce qui pourrait être une poudrière multiconfessionnelle à la libanaise,  sur ce plan là au moins, est un modèle. On trouvait ça pas mal, avec Charb, reposant même. On était en octobre 2009 et quand on discutait, il y avait déjà eu pas mal de barouf avec les caricatures de Mahomet et puis l’exclusion de Siné. On comprenait les premières, moins la seconde. Charb expliquait, sourire aux lèvres, en dessinant. Dans l’association en question, tout le monde était plus ou moins libertaire (mais pas du tout libéral) et ça passait mal quand même, Siné viré. A la Réunion, donc, j’avais encore l’impression de comprendre le monde, je me disais qu’il était possible de réaliser des utopies concrètes, même temporaires comme ce que nous faisions là.

Mais depuis le 7 janvier 2015, je ne comprends plus grand chose. L’effet de sidération n’est pas retombé et je pense des choses contradictoires dans la même journée, la seule note dominante étant tout de même celle du chagrin. Par exemple, je suis Charlie et je ne suis pas Charlie, comme le disait Rony Brauman dans une tribune du Monde hier. Je suis Charlie pour ce qu’il représente de liberté d’expression martyrisée et pas Charlie quand Charlie est devenu le logo de la grande automutilation expiatoire nationale. Tout ça pour deux jours, après m’avoir expliqué qu’on est en guerre alors que je croyais qu’une guerre, c’était ce qu’on menait en Orient. Et comme l’a dit justement Régis de Castelneau, qu’il faut faire attention aux mots qu’on emploie, que si on estime que la guerre est chez nous, dans nos frontières, qu’il s’agit bien d’une guerre et non  d’une lutte antiterroriste sans pitié menée par les services de renseignement et la police, on risque de perdre notre âme en route. Je n’ai pas envie d’un « Patriot Act » à la française, réclamé par Valérie Pécresse le soir même de la manif.

Je reviens à la manif, justement. A Lille, elle avait eu lieu la veille, et puis avant, il y avait eu le rassemblement spontané le soir même du premier massacre. Dans les deux cas, une certaine gêne : pour aller vite, l’impression que l’émotion était celle de la petite bourgeoisie blanche de gauche (dites bobos si vous voulez, je m’y inclus pleinement). C’est pas mal, déjà, une mobilisation de ce genre mais bon, il ne faut pas s’étonner, après, que les communautaristes de l’extrême-gauche et de l’extrême droite relèvent la tête et disent plus ou moins explicitement : « C’est affreux mais ce ne sont pas nos morts. ». Et que, par ricochet, on se retrouve le jour de la minute de silence avec des centaines de problèmes dans les établissements de ZEP. Mes anciens collègues de l’éducation nationale, ceux qui bossaient avec moi à Roubaix, le redoutaient dès le mercredi soir. Ça n’a pas loupé. On peut être de gauche, partisan de l’intégration et de ce que d’autres appellent « la culture de l’excuse », on n’en est pas moins, quand même, lucides. Cela m’a fait tristement sourire de voir David Desgouilles dresser un tableau impeccable de l’Education Nationale mais d’en rendre Juppé, qui n’en peut mais, responsable. Il me semble que s’il avait voulu appuyer là où ça faisait mal, c’était ici et maintenant qu’il fallait le faire, que Najat Vallaud-Belkacem illustrait bien mieux ici et maintenant une école qui ne parle que d’égalité et de citoyenneté mais qui, faute de mixité sociale réelle, n’est plus entendue des enfants et des familles des quartiers.

Non, décidément, je ne comprends plus grand chose et je n’ai pas forcément envie de comprendre quand je vois que le dernier numéro de Charlie s’est vendu en quelques secondes à l’ouverture des kiosques à 700.000 exemplaires alors qu’il avait du mal à en écouler 50.000 en un mois. Je ne sais pas, par exemple, si c’est de l’hypocrisie, de la collectionnite malsaine ou de l’émotion sincère.

« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » : C’est finalement la phrase qui me revient sans cesse en tête depuis le 7 janvier. Elle est de Stig Dagerman, celui qui disait, et il allait le prouver, que le suicide est un accident du travail chez les écrivains. Stig Dagerman parlait aussi de « la dictature du chagrin ». L’unanimisme autour de l’horreur a toujours quelque chose de réconfortant, certes, mais aussi d’effrayant. Comme si nous devions avoir une lecture unique de ce qui s’est passé, une lecture limitée à ce chagrin. Alors je vais attendre que ça passe, parce que  la meilleure preuve de respect à l’égard des morts est sans doute de comprendre ce qui les a tués.

Et que ça va prendre un temps fou, en fait.

Photo : Flickr.com

Fluide glacial brise les vrais tabous

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Les Chinois sont entrés dans Paris ! Jean Yanne nous l’avait prédit dès les années 1970, voilà ce cauchemar devenu réalité. Non que l’Empire du milieu ait investi les galeries Lafayette et contraint le bon peuple de France à se tuer au travail, mais le « péril jaune » guette notre pays, comme nous l’explique Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide glacial : « Compte tenu de l’actualité de ces derniers jours, et pour éviter les amalgames, Fluide glacial renonce à publier son N° spécial Couscous Jambon. Dans son prochain numéro, en kiosque le 15 janvier, Fluide glacial s’en prendra exclusivement à la communauté asiatique. »

fluide glacial peril jaune

Intrépide, l’équipe du journal satirique brave donc tous les interdits au risque de choquer le parti du « padamalgam » : déjà, certains politiques de premier plan prennent leurs distances ; craignant sans doute le courroux des kamikazes sauce soja, Robert Hue donne des gages de soumission à la Chine  : « Non, la République populaire n’est pas une dictature ! » martèle-t-il au Figaro.

Fan de longue date des Gotlib, Binet, Léandri, Edika et autres Tronchet, je salive déjà en imaginant les révélations du prochain Fluide : une ménagerie géante cachée sous les combles du 13e arrondissement approvisionnerait en viande tous les traiteurs asiatiques de Paris, les filles, garçons et couples dénudés au fond des verres à saké ne seraient pas tous majeurs, Jean-Claude Tergal aurait perdu son pucelage la cinquantaine passée dans un salon de massage du 10e, etc.

Un blasphème à célébrer en écoutant « La Tonkinoise » dans son Ipod, ou en commandant un petit jaune au troquet asiat’ du coin. Ben oui, n’écoutant que mon courage, j’ose le dire : je suis Fluide !

Elie Barnavi est aveuglé par sa détestation de Netanyahou

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Disons le d’emblée, pour éviter toute équivoque : je ne suis pas électeur en Israël et, par conséquent, je ne suis habité d’aucune passion reliée au débat politique qui enflamme ce pays.

En revanche, je me sens concerné par la pérennité d’une nation dont la responsabilité ne se limite pas à la préservation de l’existence, du bien-être et de la prospérité de ses seuls citoyens, mais qui se préoccupe du sort des Juifs du monde entier.

N’en déplaise à Elie Barnavi, Benyamin Netanyahou n’a fait que répéter une évidence que tous ses prédécesseurs, de droite comme de gauche n’ont pas manqué, à toutes les époques, de rappeler : Israël est le « foyer » (homeland) du peuple juif rétabli dans ses droits historiques sur la terre de ses ancêtres. C’est le mot employé dans la déclaration Balfour, percée décisive dans l’accomplissement du projet sioniste. En réaffirmant cela le premier ministre d’Israël n’a fait que dire aux Juifs français frappés dans leur chair que l’Etat juif était là, les bras ouverts, pour les accueillir s’ils estiment que la situation qui leur est faite leur semble intolérable. Qui n’a pas, lors d’obsèques de membres de sa famille proche, consolé les endeuillés en les assurant que sa maison leur était ouverte s’il n’avaient plus où aller ? Est-ce là une injonction à abandonner son foyer ou une manifestation de solidarité humaine ?

Oubliant ses réflexes d’historien, Elie Barnavi substitue au verbatim du discours de Netanyahou l’interprétation qui en a été donnée en temps réel par les médias de l’instantané : confondre une offre avec un appel, voire une injonction.

La détestation du chef du Likoud, dont il est un des opposants les plus virulent, conduit Barnavi à des confusions regrettables : ce n’est pas Netanyahou qui a « joué des coudes » pour être au premier rang de la photo des chefs d’Etats sur le boulevard Voltaire, mais Nicolas Sarkozy. Le placement des VIP dans la brochette des marcheurs de luxe avait été soigneusement élaboré par les services du protocole de l’Elysée et du Quai d’Orsay, comme une bonne maîtresse de maison bourgeoise établit son plan de table pour que le dîner ne vire pas au pugilat…

Enfin, je trouve que Benyamin Netanyahou a été d’une remarquable retenue en s’abstenant de faire la moindre allusion aux saloperies diplomatiques qu’Israël vient de subir de la part de la France, dans l’affaire de la reconnaissance de l’Etat palestinien par l’ONU. C’est Paris qui a pris la tête, en Europe, d’une véritable croisade pour que la seule vision palestinienne de la résolution du conflit devienne la loi commune, qui a tenu la plume des délégations arabes au Conseil de sécurité, qui a voté pour un texte ébouriffant, déniant même aux Israéliens le droit de faire de Jérusalem leur capitale. Cela, même Barnavi, dans un autre papier récent de i24news, l’avait reconnu, lui qui avait poussé ses amis de la gauche française sur ce chemin, donnant ainsi un feu vert à ceux qui, en son sein et dans les couloirs du Quai d’Orsay considèrent Israël comme «  une parenthèse de l’histoire ».

Hollande face à l’histoire

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François Hollande président djihadisme antisémitismeFrançois Hollande, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont très bien géré cette crise, de l’avis général. Comme l’écrit Michel Onfray, François Hollande est sans doute devenu président le dimanche 11 janvier 2015.

Que va-t-il faire de ce capital d’autorité qui lui est accordé ? Car à l’évidence, il ne peut en rester là. L’émotion créée par les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de la Porte de Vincennes est devenue un phénomène mondial. On notera à cet égard que la France inspire à la planète entière une considération que ses contempteurs intérieurs ont perdue depuis longtemps. Que faire de ces attentats et de l’admirable mobilisation nationale et mondiale qui a eu lieu dimanche ? Dire « merci, je vous ai compris » ? Ou répondre aux questions qui restent entières :

– Comment éradiquer l’antisémitisme en France ? Pas seulement l’antisémitisme criminel qui s’accroît d’années en années mais aussi l’antisémitisme verbal qui pourrit la vie de nos concitoyens juifs dans les écoles ? Comment faire en sorte que nos concitoyens de confession israélite se sentent encore chez eux en France et ne décident pas de nous quitter comme les y invitent le Premier Ministre israélien ? Nous en serions inconsolables après 1500 ans de vie commune en France.

– Comment lutter contre le djihadisme ? On ne parle pas ici d’un patriot act à la française, c’est-à-dire de mesures d’exception comme l’ont dit imprudemment des gens irréfléchis. Mais d’une application stricte de la loi et de la justice. Coulibaly avait été condamné en 2013 à 5 ans de prison fermes. Il n’était libérable théoriquement qu’en 2017. Pourquoi et comment était-il libre en 2015 pour tuer 5 personnes ? Du côté policier, après les errements de l’affaire Merah puis ceux des frères Kouachi, on est en droit de s’interroger aussi sur l’efficacité de la DGSI. Là encore, sans mettre en place un arsenal sécuritaire poudre aux yeux, qu’est-ce que le pouvoir compte faire pour des services de renseignement manifestement un peu dépassés par les événements ?

– Comment mesurer l’impact du fascisme vert sur la population française ? Il est bien évident qu’il ne saurait être question ici de stigmatiser l’ensemble de la population musulmane en France. Mais à l’inverse l’angélisme serait criminel au regard du vivre ensemble au sein de notre nation. Combien sont les partisans de l’islamisme radical ? Combien sont ceux qui les regardent d’un œil bienveillant ? Combien sont ceux qui sont prêts à s’y soumettre ? Au vu des difficultés à faire appliquer la minute de silence dans certaines écoles, il serait dangereux de se voiler la face. Ne pas voir le problème s’il existe, c’est s’interdire de le traiter. Et surtout quel traitement le gouvernement compte-t-il administrer, en particulier via l’école de la République, à ceux qui pensent qu’il est juste de tuer un blasphémateur ?

– Comment remettre la laïcité au centre d’un projet de société ? Car au-delà des fascistes verts, il existe aussi toute une frange de la population qui ne veut pas admettre les codes de la laïcité tels que la France a su patiemment les forger. Ce ne sont pas les mêmes que les codes anglo-saxons. Ils visent plus à l’assimilation qu’à l’affirmation. Il s’agit plus de gommer les différences que de les révéler. On n’éludera plus ce débat non plus. Voulons-nous une société qui favorise l’émergence des communautés et qui prend le risque de les dresser les unes contes les autres ? Ou voulons-nous une société qui fait de chaque individu un citoyen libre de penser, égal des autres et fraternel avec les autres ? Tant qu’on ne trouvera pas les moyens de répondre par un grand élan national à cette question (un référendum ?), rien ne sera réglé.

– Comment clarifier nos alliances extérieures ? Il est certes important de trouver des débouchés à nos Rafale, de trouver des financements pour payer nos footballeurs ou pour rénover nos hôtels de luxe. Mais comment mettre en balance ces intérêts avec l’intérêt supérieur de la paix civile en France ? Alors oui, François Hollande doit reposer la question de l’alliance avec l’Emir du Qatar qui étend l’influence salafiste dans nos banlieues et finance en sous-main les djihadistes de Daech. Alors oui il faudra clarifier nos buts de guerre en Syrie : abattre Bachar Al-Assad ou les islamistes qui le combattent ?

François Hollande fait face à de grands défis depuis dimanche. S’il décide de cacher la poussière sous le tapis en se comportant en politicien madré, il prendra alors le risque de voir se cliver la société sur ces sujets de fond qui n’auront pas été traités. Il verra alors s’engager une guerre civile larvée entre les partisans du sursaut républicain et les partisans de la dissolution française dans l’absolution donnée à l’Islam de ses dérives. Une guerre civile qui peut mener la France au Chaos. On l’a vu malheureusement trop souvent dans notre Histoire.

À l’inverse, s’il assume sa nouvelle autorité, il peut provoquer un choc salutaire en France et engager un vrai débat national tranché dans les urnes pour choisir le modèle de société que nous voulons. S’il rend ce service à la France, il restera pour toujours un grand président.

Photo : Chamussy/SIPA/1501151405

Crucifions les laïcards

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Médine laïcité ouverte école

Médine laïcité ouverte écoleCe n’est pas moi qui le dis : c’est un certain Médine (dis-moi quel pseudo tu adoptes, je te dirai qui tu es), qui dans un rap énervé, propose d’imposer la charia en France. Mains coupées comprises. Cet honnête barbu, qui agite très fort les siennes, et utilise son clip pour faire la propagande du voile, a tout pour faire plaisir au Café pédagogique.
Lequel, le jour même où deux islamistes flinguaient la rédaction de Charlie,interviewait avec complaisance les deux auteurs d’un énième livre plaidant pour une laïcité ouverte — comme les cuisses du même nom. Béatrice Mabilon-Bonfils, sociologue à l’Université de Cergy-Pontoise, et Geneviève Zoïa, anthropologue à l’Université de Montpellier, sortent La laïcité au risque de l’Autre (Ed. de l’Aube). Selon elles, l’Ecole du « républicanisme laïc et égalitaire » s’est bâtie sur le « déni des allégeances particulières et comme topos fondateur de neutralisation des lieux et des milieux ». Elle est bien incapable de répondre aux « demandes croissantes de pluralité culturelles et cultuelles et les valeurs centrales de cohésion — certes hégémoniques — qui construisaient hier le contrat-citoyen moderne sur une culture intériorisée et inclusive, conforme en cela à la raison des Lumières, sont aujourd’hui invalidées dans une Ecole qui non seulement ne parvient pas à fabriquer du Commun mais altérise ».
Quand vous avez lu une phrase de cet acabit, vous avez l’impression d’être en apnée dans un grand fond. Mais bon, qui a dit que les sociologues savaient écrire ?
Et que proposent ces aimables dynamiteuses ? De « changer la grammaire sociale de l’Ecole ». Le CRAP, qui sait interpréter les métaphores sociologiques, demande aussitôt, benoîtement : « L’intégration passe par la reconnaissance des communautés ? » — ce qui permet à nos deux furies de se précipiter dans la brèche : Oui, « la laïcité aujourd’hui c’est la peur de l’Autre ! » — au moment même où Cabu, Wolinski et leurs copains se faisaient descendre par deux de ces « autres ». Elle « contribue selon nous à racialiser les rapports sociaux, alors même qu’elle est saisie dans tous les discours au nom du contraire ». Bref, ce sont les laïques qui sont racistes, pas ceux qui croient que l’affirmation de la différence est au bout de la kalach ! Si, si : « La laïcité se transforme en instrument d’agression des minorités, principalement aujourd’hui vis-à-vis de la minorité musulmane qui concentre à elle seule l’idée d’une crise du modèle d’intégration française. » Heu, pour l’agression, ce jour-là, ce n’était pas franchement la laïcité qui était à la manœuvre.
Immondes salopards. Crevures. Au bal des enfoirés, vous ne serez pas les derniers.
Depuis une semaine, les fossoyeurs de la laïcité en ont remis une couche. Ce ne sont plus seulement quelques caricaturistes que l’on enterrera aujourd’hui, à Montparnasse ou ailleurs. C’est leur combat de trente ans. Dansl’Humanité, un certain Mohamed Mechmache Co-président de la coordination nationale « Pas sans nous » et porte-parole du collectif AC LE Feu (ça existe apparemment, et ledit coordonnateur guigne les places chaudes qu’on pourrait lui réserver dans le cadre d’un « grand débat » comme Najat sait les organiser) lance : « Quand on refuse des sorties scolaires aux mères de famille voilées, est-ce qu’on n’est pas en train de créer de la violence chez ces gamins, qui voient leurs parents exclus ? »
Le pire, c’est qu’on ne les refuse plus. C’est que les voiles s’étendent, comme des taches d’encre, ou des taches de sang sur les taches d’encre, sur l’ensemble de la laïcité, que l’on propose depuis deux ans d’aménager.
Le plus beau, c’est que la Droite, qui cherche à exister encore à l’ombre du FN, s’y met elle aussi. Benoist Apparu, qui est forcément compétent puisqu’il est député, dénonce dans l’Express le « totalitarisme laïcard » et déclare que « la loi de 1905 ne doit pas être une cathédrale intouchable ». Ah, certes, elle a plus de cent ans, il faut rafistoler la vieille dame, et l’adapter aux cultes actuels. Apparu adapterait sans doute aussi la Déclaration des Droits de l’homme, qui est une antiquité encore plus branlante. Enfoiré !
Le gouvernement a fait descendre dans la rue des foules immenses (suis-je le seul à trouver suspect que pour une fois, les chiffres de la police et ceux des manifestants soient bizarrement identiques ? Quelqu’un a-t-il la moindre idée du temps que prendrait à s’écouler 1,5 millions de personnes entre la République et la Nation ?). Il en profitera, dans les jours à venir, pour instaurer des lois sécuritaires que Christiane Taubira, bien sûr, se fera un plaisir d’appliquer. Mais surtout, il va nous convoquer une de ces commissions sur la laïcité qui dans ses conclusions déjà écrites dira qu’il faut ouvrir, ouvrir, ouvrir… M’étonnerait que l’on en arrive à ajouter Laïcité à la trinité républicaine, comme le demande avec émotion Perico Legasse. Non, on va faire plaisir à « Médine », et instaurer la Rap-ublique…

La vertu est une voie toujours plus rude que le délitement. L’Ecole a cessé d’intégrer à force de « compréhension », de « collège unique » et de « socle commun » — à force d’ambitions sans cesse revues à la baisse, d’ouverture vers les particularismes de tel ou tel groupe de pression, d’entrisme des parents d’élèves (la FCPE vocifère qu’il faut lui donner encore plus de champ à l’intérieur de l’Ecole) et d’acceptation de la ghettoïsation à l’intérieur même des classes : d’un côté les « Blacks » (qu’on ne le dise plus en français depuis presque vingt ans est un signe en soi d’abandon), de l’autre les Beurs, d’un côté les garçons, de l’autre les filles — de peur de se contaminer sans doute. C’est le communautarisme qui est raciste, pas la laïcité.

Les avertissements pourtant se sont succédé, comme je le rappelle par ailleurs. On n’en a jamais tenu compte, ni à droite, ni à gauche. Les considérations électoralistes, la paresse intellectuelle, les trahisons des clercs ont favorisé à la fois la mise à l’écart de populations que la République savait insérer dans le tissu national, et l’émergence de revendications identitaires inacceptables. Je me fiche pas mal que tel ou tel adore Allah ou Jéhovah. Qu’il soit bronzé ou pas. Qu’il habite ici ou là. Comme le dit fort bien ce Basque de Perico : « L’altérité doit être acceptée comme une diversité, non comme une division. » Je suis prof pour les amener, chacun, au plus haut de leurs capacités — et malgré eux s’il le faut.
Mais ces temps-ci, franchement, la tâche est dure. Je sais que j’aime me battre à un contre cent. Mais la masse des crétins s’épaissit de jour en jour. La vague monte. Elle monte. Elle va tout submerger.
Et c’est sur l’émotion de 17 assassinats au nom de l’Islam que ces imbéciles joueront pour aménager la laïcité jusqu’à ce qu’il n’en reste rien — et ils s’étonneront, la bouche en cœur, quand on crucifiera les laïcards, en disant « Mon Dieu, mais je n’ai pas voulu cela ! » Charb lui-même, dans une allocution prononcée devant le Comité Laïcité République qui lui décernait un prix, prévenait il y a peu : « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent ». Ce même Charb qui avait illustré la couverture d’un livre plus que prémonitoire de Patrick Kessel, Ils ont volé la laïcité (Jean-Claude Gawsewitch éditeur), 2013), qui constatait avec effarement que les trahisons conjointes de la Gauche et de la Droite avait laissé le champ laïque au FN — on croit rêver. C’était il y a deux ans, c’était il y a deux siècles.

Ils ont volé la laïcité
Le diront-ils d’ailleurs ? À en croire Houellebecq, ils seront, comme son héros, en train de se convertir.

PS. Merci à l’Abeille et l’architecte, à qui j’ai emprunté nombre de références pour les faire parler.

Photo : Erez Lichtfeld/SIPA/SIPA/1412091921

Nabilla, Israël, notes à l’école : le journal d’Alain Finkielkraut

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nabilla pape israel ecole

nabilla pape israel ecole

Une entreprise nommée Nabilla (30 novembre)

Élisabeth Lévy. Vous avez souhaité commenter un texte paru dans Le Point sous la plume de PierreAntoine Delhommais, intitulé : « Les leçons économiques du cas Nabilla ». Cet éditorialiste sérieux s’émerveille pour la start-up Nabilla, « une incroyable success-story, créatrice de richesses et de travail ». Au fond, Delhommais n’a peut-être pas tort, Nabilla rapporte plus à la France que bien des esprits géniaux, car le cours de la matière grise est en baisse.

Alain Finkielkraut. « J’aime mieux être homme à paradoxes qu’homme à préjugés », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Héritier des Lumières, j’ai un préjugé favorable pour les paradoxes. Mais celui que développe Pierre-Antoine Delhommais à propos de la dernière reine de la téléréalité me laisse littéralement pantois. Nabilla, dit-il, a réussi, à 22 ans, à créer sa propre marque et à la faire prospérer grâce non seulement à une plastique mais à une personnalité hors norme. Son entreprise est « une incroyable success story, créatrice de richesses et de travail (producteurs télé, paparazzis, stylistes de mode, journalistes…), un vrai petit moteur de croissance ». Peu importe que trente ou quarante siècles de culture de l’âme et du regard n’aient pas laissé la moindre trace, comme le disait Renaud Camus de « Loft story », l’émission pionnière : ne pas s’incliner devant celle qui a fait breveter son expression fameuse « Allô, non mais allô quoi ! », c’est du racisme social, voire du racisme tout court. Un nouveau pote est né : Nabilla.
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L’article de Delhommais est stupéfiant mais il n’est pas aberrant. Avec son hymne au rien, il pousse à l’extrême la logique comptable qui régit notre société. Pourquoi le Centre Pompidou accueille-t-il en grande pompe les jouets usinés par Jeff Koons ? Parce qu’ils atteignent des prix « stratosphériques », comme dit, bluffé, le journal Le Monde. Ce n’est pas à la nouveauté explosive du Balloon Dog ou du Michael Jackson with Bubbles que va notre chapeau l’artiste !, mais aux milliards que Jeff Koons a engrangés. Nous ne vivons pas, comme on le dit tout le temps, sous le joug du néolibéralisme – les budgets sociaux sont en augmentation constante – mais sous la férule de l’économisme. N’accède à l’être aujourd’hui que ce qui est quantifiable. Tel Thomas Gradgrind, le redoutable personnage des Temps difficiles de Dickens, la gauche et la droite pèsent et mesurent « n’importe quelle parcelle de réalité humaine et vous en disent exactement le montant. Ce n’est qu’une affaire de chiffres, un simple calcul arithmétique ». Ainsi Fleur Pellerin prône-t-elle, en guise de politique culturelle, une politique commerciale plus agressive. Peu importe la qualité, pour faire glisser parmi les produits culturels dominants le plus possible de produits « made in France », il faut valoriser « les algorithmes de recommandation de contenus » : vous aimez tel livre ou tel DVD, vous aimerez tel autre. C’est en vain que Jean-Michel Frodon rappelle à Fleur Pellerin qu’une politique culturelle ne consiste pas à se calquer sur les méthodes d’Amazon en donnant aux gens ce qu’ils aiment, mais à inviter ces derniers à découvrir ce dont ils n’ont pas idée, le Prix Nobel dont Fleur Pellerin revendique la proximité n’est pas Patrick Modiano, mais Jean Tirole, le fondateur de la Toulouse School of Economics. On laissera donc à Fleur le mot de la fin : « Un ministre, ce n’est pas quelqu’un qui est payé pour lire des livres chez soi. »

Les propos du Pape sur l’immigration (30 novembre)

« L’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables. » a déclaré le pape François au Parlement européen. Pratiquement toute la presse a applaudi, mais Éric Zemmour a accusé le souverain pontife de dire les mots qui plaisent et pas les mots qui fâchent, par exemple sur l’immigration. Qu’en pensez-vous ?

C’est à très juste titre que le pape François a rappelé dans son grand discours devant le Parlement européen qu’« une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui, lentement, risque de perdre son âme ainsi que cet esprit humaniste qu’elle aime et défend cependant ». Le christianisme et l’humanisme autrefois se combattaient. Un nouveau culte aujourd’hui remplace et la religion et la culture : le culte de l’équivalent général. Dieu s’est éclipsé à l’aube des Temps modernes ; à leur crépuscule, c’est le grand artiste qui cède la place à « l’artiste le plus cher du monde ».

Il n’est pas juste, en revanche, de reprocher à l’Europe d’avoir laissé la Méditerranée devenir « un grand cimetière ». Les garde-côtes italiens ont sauvé, en patrouillant nuit et jour, plus de cent mille migrants. Et s’il est vrai que « dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtés européennes, il y a des femmes et des hommes qui ont besoin d’accueil et d’aide », aucun message moral, même celui de l’Église, ne peut se résumer à l’amour du prochain. C’est assurément dans cet amour, dans cette bonté, comme l’écrit Levinas, que se produit « l’éveil à l’humanité biblique : répondre d’autrui, priorité d’autrui, dissymétrie entre moi et l’autre, lui toujours avant moi, humanité comme animalité déraisonnable, ou rationalité selon une nouvelle raison ». Nouvelle raison peut-être, mais pas absence de raison et amour tout court. Car, rappelle aussi Levinas, dans le monde, il y a toujours un tiers. Le tiers est autre que le prochain, mais aussi un autre prochain. « Qu’ont-ils fait l’un à l’autre ? Lequel passe avant l’autre ? » Pour répondre à ces questions, l’amour ne suffit pas. Benoît XVI parlait de « grand logos », et Levinas de « sagesse de l’amour ». Le pape François ne conçoit pas que « le devoir ait des carrefours », selon l’expression de Victor Hugo, ou que la responsabilité puisse être « un labyrinthe ». Tout à la charité chrétienne, il refuse de penser les conséquences de l’immigration de peuplement sur les peuples européens. Ce simplisme humanitaire fait de lui la coqueluche de tous ceux qui alignent le présent difficile sur le passé balisé des années noires et qui s’enchantent paresseusement de leur supériorité morale.

 

L’Assemblée nationale reconnaît l’État palestinien (7 décembre)

À l’initiative du groupe socialiste, l’Assemblée nationale a adopté la résolution demandant au gouvernement de reconnaître la Palestine. Contrairement à certains de nos amis comme Élie Barnavi, et Nissim Zvili, ancien secrétaire du Parti travailliste et ancien ambassadeur d’Israël en France, vous n’avez pas soutenu cette démarche. Pourquoi ?

Partisan depuis toujours et plus que jamais de la solution de deux États, terrifié aussi par l’absence actuelle de perspective, je partage le souci des parlementaires français, j’éprouve la même impatience qu’eux, mais je me désole de les voir faire l’impasse sur l’application méthodique par le Hamas de sa charte antijuive et imputer à Israël seul la responsabilité du blocage actuel. Certes, la poursuite de la colonisation en Cisjordanie est catastrophique, mais que dire des agressions sauvages devant les arrêts d’autobus ou dans les synagogues et de l’irrédentisme des Palestiniens entretenus dans leur rêve du droit au retour par tous les pays arabes qui ne leur concèdent qu’un statut de réfugié et leur font subir toutes sortes de discriminations ?

Et puis, si la politique arabe n’est plus, comme au temps du général de Gaulle, un des axes de la diplomatie française, la politique intérieure, elle, doit tenir compte des musulmans. Le vote de la résolution portant sur la reconnaissance de la Palestine est « le meilleur moyen pour récupérer notre électorat de banlieue et des quartiers », a dit, selon Le Canard enchaîné, l’ancien ministre de l’Éducation nationale Benoît Hamon. Il actualisait ainsi la recommandation adressée en 2001 par Pascal Boniface au Parti socialiste : « Je suis frappé par le nombre de jeunes beurs, de Français musulmans de tout âge, qui se disent de gauche mais qui, par référence à la situation au Proche-Orient, affirment ne pas vouloir voter Jospin à l’élection présidentielle. Une attitude jugée déséquilibrée au Proche-Orient – et bien sûr, pensent-ils, une fois de plus en défaveur des Arabes – vient confirmer que la communauté arabo-musulmane n’est pas prise en compte ou est même rejetée par la famille socialiste. »

Cette « communauté » avait voté massivement pour François Hollande en 2012. L’épisode du « mariage pour tous » semblait l’avoir refroidie. Rien de mieux pour la réchauffer qu’une reconnaissance officielle de la Palestine. Mais la Palestine, dans les cités, ce n’est pas un lieu, ce n’est pas même un peuple, c’est le symbole de la domination juive sur le monde et de la domination infligée aux musulmans. Quand on insulte des juifs en France, quand on les moleste, quand on les rackette, quand on les tue, c’est pour venger la souffrance des Palestiniens. La politologue Nonna Mayer se refuse toutefois à parler de nouvel antisémitisme. « C’est à l’extrême droite, écrit-elle, impavide, que le niveau d’antisémitisme reste le plus élevé. » Tandis que la haine antijuive se met un keffieh autour du cou et brandit le drapeau palestinien, les chercheurs en effaçologie qui peuplent les départements de sciences sociales de nos universités ne laissent subsister sur la photographie de l’antisémitisme que l’image de Maurras, de Barrès et de leurs épigones…

Mais je ne peux en rester à cette observation. Sept cents intellectuels, diplomates, officiers de réserve et responsables politiques israéliens ont appelé le Parlement français à voter la reconnaissance de la Palestine. Ils n’ont que faire des mobiles des uns et des autres, car ils se demandent avec anxiété si le « archav » de Shalom archav n’est pas, après quarante années de meetings, de défilés et de pétitions, en train de rendre l’âme et s’il ne doit pas être remplacé par l’expression la plus tragique, la plus irrémédiable de la langue : trop tard. Trop tard, maintenant que 400 000 juifs habitent au-delà de la ligne verte, pour guérir ce que Yeshayahou Leibowitz appelait dès 1978 « le cancer de l’occupation ». Trop tard aussi, peut-être, pour voir les réfugiés palestiniens qui, avec la complicité des Nations unies, sont devenus des millions, se résigner à un État à côté d’Israël.

Je me disais, à la fin du XXe siècle, que l’antisémitisme était moribond et qu’Israël restait un recours car le sionisme était, lui, bien vivant. Je me dis aujourd’hui que l’antisémitisme est devant nous et que l’autodissolution du sionisme est en marche. Et je désire une seule chose : que l’avenir me donne tort sur les deux tableaux.

 

La suppression des notes à l’école et au collège (14 décembre)

Le 27 novembre, le Conseil supérieur des programmes a remis à Najat Vallaud-Belkacem un document qui préconise le remplacement des notes par un barème de 4 à 6 niveaux et la quasi-suppression du brevet des collèges. Les notes ne seraient ni neutres ni objectives et seraient en même temps stigmatisantes et décourageantes. Est-ce vraiment faux ?

L’école demande patience, exercices, discipline, car l’acquisition des connaissances est longue et difficile. La société médiatique, à l’inverse, nous plonge dans le monde enchanté de l’accès immédiat à toutes choses. Elle remplace l’acquisition par la mise à disposition. Et elle prétend satisfaire, séance tenante, tous les besoins, toutes les pulsions. Dans cet environnement hostile, l’école aurait pu défendre jalousement sa spécificité, son indépendance. Elle a fait exactement le contraire. Les réformes qu’elle n’a cessé d’empiler depuis quarante ans ont signé sa reddition. Elle court après l’esprit du temps, elle cherche aujourd’hui son salut dans le ludique et dans le numérique, au point d’envisager de remplacer l’écriture cursive par l’écriture digitale, ce qui, grâce à la correction intégrée, dispenserait les élèves d’apprendre l’orthographe, c’est-à-dire de connaître la physionomie des mots et même de faire la différence entre le verbe « est » et la copule « et ». Le résultat de cette capitulation est clair : le niveau s’effondre. Le bien-dire et le bien-écrire ont cédé la place à un magma consternant, l’histoire est ignorée, les élèves les plus motivés politiquement ne savent pas placer la Palestine sur une carte et les abstraites mathématiques suscitent une allergie croissante malgré l’allure bohème que leur donne Cédric Villani, Médaille Fields et chouchou histrionique du petit écran. La majorité des élèves reçus au baccalauréat auraient été autrefois recalés au certificat d’études.

Face à ce désastre, que faire ? Le Conseil national des programmes recommande de « mettre en place une évaluation positive permettant de valoriser différents niveaux de réussite en établissant un bilan plus riche qu’une réponse binaire en termes de succès et d’échec ». Il suggère aussi de « prendre en compte l’ensemble des compétences définies par le socle commun et ne pas se limiter à celles évaluées par les épreuves classiques ».C’est le miracle de la multiplication des pains : vous rencontrez l’ignorance et vous la fractionnez, par la nouvelle évaluation, en une pléiade de compétences. Pour le dire d’une autre image, la nouvelle évaluation sera le village Potemkine de l’école dévastée. On ne supprimera pas, pour autant, l’ancienne façon de faire, mais, prévient le rapport, « si le recours à une note chiffrée peut être, dans certains cas, pertinent, il est indispensable de réfléchir aux manières de la concevoir et de la moduler, notamment pour permettre qu’elle soit réellement indicative de la situation d’un élève, et non perçue exclusivement comme un moyen de récompense et de sanction, et un instrument de tri et de hiérarchie sociale ».

Qu’est-ce à dire, sinon que le bon élève n’est plus un modèle mais un suspect ? Il n’est pas cité en exemple, il est regardé avec méfiance. Pour réussir si bien, il doit être né coiffé, c’est-à-dire dans un milieu bourgeois ou, pire encore, intellectuel. Il a sûrement des livres chez lui, peut-être même entend-il, à la maison, une belle langue. Il faut y remédier. L’institution prend ainsi le parti de ceux qui, dans les classes, traitent les élèves doués et studieux de « bouffons ». Elle ne les persécute pas encore, mais elle les invite à ne pas la ramener et même à expier, en faisant profil bas, ce que Bourdieu appelle leur « capital culturel ». Au lieu de tirer tout le monde vers le haut, l’école en vient ainsi à incriminer la notion même de hauteur. Avec un courage extraordinaire, ses derniers « hussards noirs » mènent un combat perdu car ils ont toute l’institution contre eux. L’enseignement public a tué, à petit feu, l’école républicaine. Le salut ne peut donc venir maintenant que de l’extérieur.

J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre m’annonçant la création de l’Institut Louis-Germain, dans la région qu’on baptise aujourd’hui du nom gracieux de PACA. Il s’agit d’un tutorat scolaire d’excellence pour les élèves doués et ambitieux qui n’ont plus la possibilité d’émerger dans les quartiers défavorisés où ils vivent car, pour ne laisser personne sur le bord du chemin, l’école a choisi de ralentir l’allure de tous. Au nom de l’égalité, la nullité fait loi. À ce commandement ministériel, s’oppose l’initiative de quelques-uns. La République repose désormais dans les mains de la société civile.

Louis Germain était, faut-il le rappeler, l’instituteur d’Albert Camus. Si celui-ci était passé par une école compassionnelle comme celle d’aujourd’hui, il n’aurait jamais été confronté à la difficulté intellectuelle ni comparé avec ses pairs, ni introduit dans le monde écrasant de la grande culture, il lui aurait donc été radicalement impossible de devenir l’écrivain qu’il fut.[/access]

*Photo : ERIC DESSONS/JDD/SIPA . 00685990_000032.

Economie : vers un sursaut français?

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france economie mondiale rivaton

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La France, jusqu’ici cinquième puissance économique mondiale, vient de céder du terrain, laissant passer devant elle le Royaume-Uni dont la croissance et la monnaie sont plus florissantes. De quoi alimenter les thèses les plus noires sur notre déclin…

Pourtant, dans le concert crépusculaire, dont les choristes se multiplient comme autant de microbes, une voie dissonante est passée relativement inaperçue à l’automne. Il faut dire qu’elle était un peu optimiste, ce qui en soi est suspect… C’est au détour d’un article consacré au pitch d’Alain Juppé -ira ou n’ira pas jusqu’au bout- qu’était cité le nom de ce jeune économiste et de son essai roboratif : « La France est prête, nous avons déjà changé ».

Reconnaissant à la France un certain retard et non un naufrage, Robin Rivaton replace l’histoire dans le temps long pour rappeler que la France au cours des siècles précédents, a trouvé les ressources pour se remettre en selle à plusieurs reprises. Il montre que les conditions d’un rebond sont désormais réunies. N’étant pas de ceux qui pensent que le déclin est inéluctable, il fustige le pouvoir mortifère de l’autoflagellation  et s’emploie à démonter un par un les stéréotypes qui fondent le french bashing autant que notre asthénie collective.

Attention,  ce n’est pas « lou ravi » de la crèche. S’il établit que les mentalités ont évolué depuis une décennie, il ne nie pas le paradoxe qui oppose souvent une perception individuelle plutôt optimiste et à un pessimisme collectif des français. Pas plus qu’il ne dément le fossé qui sépare leurs idées de leurs actions. Il démontre, chiffres à l’appui, que notre peuple a du jus, mais surtout qu’il a perdu de sa rigidité légendaire sur certains sujets. Ainsi, accompagnés d’un chef qui valoriserait leurs forces, les français pourraient enfin remettre en question un modèle qui ne fonctionne plus…sans produire les blocages derrière lesquels se cache la classe politique actuelle pour justifier son inertie.

L’esprit d’entreprise des français, un rapport plus libre à l’argent et à la richesse, une meilleure ouverture au monde et un pragmatisme nouveau à l’égard d’un état gourmand et fainéant viennent étayer cette démonstration.

La France fait preuve d’un dynamisme entrepreneurial remarquable, dans l’absolu -900 000 auto entrepreneurs actifs fin 2013- comme par rapport à ses voisins. Mieux, contrairement à une idée longtemps entretenue, l’entrepreneur, l’indépendance que procure ce statut et la création de richesse qui peut en découler sont très bien perçus par les français. Pour faire court, « La décennie écoulée a […] permis l’apprentissage et la diffusion des règles du capitalisme dans la société française, l’attachement à la valeur travail, déjà ancien, a été rejoint par un rapport plus libre à l’argent » note l’économiste qui y voit un levier de croissance. En agissant sur une meilleure préparation des jeunes pour la création d’entreprise –qui est déjà à l’œuvre avec des initiatives comme celle de Xavier Niel et son école 42, les accélérateurs de start-up et autres incubateurs d’entreprises et en la libérant de ses contraintes normatives, la croissance générée par le progrès peut être sans limites.

En outre, après avoir trainé la patte derrière des partenaires plus optimiste, la France se met à voir la mondialisation en rose –en gris rosé en tout cas. Et cela se ressent dans son ouverture au monde : le nombre de français à l’étranger s’est accru de 60 % sur les 15 dernières années pendant que les étudiants Erasmus doublaient. Même s’il ne faut pas négliger la part de ceux qui fuient l’enfer fiscal ou le chômage programmé, ni celle des français qui trimballent leur blues avec eux, ces expatriés participent malgré tout à un certain rayonnement de la France. Qui du même coup attire étudiants (3e pays d’accueil) et expatriés  (5e pays dans lequel les candidats aimeraient travailler).

Neuf français sur dix sont convaincus que la France a besoin de réformes pour faire face au futur : en voilà une bonne nouvelle.  Mais plus importante est celle qui nous prouve qu’enfin nos compatriotes ont compris l’incurie de notre état dégoulinant. Les valeurs libérales d’initiative, autonomie, responsabilité et mérite recueillent 90% des suffrages pendant que l’Etat-providence inspire le rejet de 75% des Français. Une autre enquête3 livre ce chiffre ébouriffant : 70% des interrogés, dont plus de la moitié de sympathisants de gauche, souhaitent que le statut des fonctionnaires soit aligné sur les contrats de droit privé… Le fonctionnariat ne fait plus rêver. L’échec patent du système scolaire qui laisse sur la route des décrocheurs sans formation ni avenir, celui de la sécurité ou de la santé ont décillé les Français… Le privé ne ferait-il pas mieux ?

Après avoir loupé l’éclaircie des années 2000, les français auraient opéré de grandes prises de consciences qui les éloignent des élites politiques accrochées à leurs vieilles lunes idéologiques. Les initiatives d’échanges de service (Blablacar), de locations entre particuliers, de financement participatif montrent comme ils comptent finalement sur eux-mêmes et aspirent aujourd’hui à plus de réalisme dans la conduite des affaires du pays. La multiplication d’initiatives citoyennes, d’associations (Bleu Blanc Zèbre), de nouveaux partis politiques (Nous citoyens), de mouvement de contestation hors syndicats  (Les Pigeons), de médias libéraux assumés (L’Opinion) accrédite l’idée que l’opinion a changé sur beaucoup de points et que des propositions inspirées de la Big Society à l’anglaise trouveraient aujourd’hui un écho favorable en France.

Lassés de la renonciation qui colle à la peau des français urbi et orbi, ils sont une poignée à vouloir les enjoindre de se saisir de leur destin. Cette petite musique résolument positive que l’on perçoit ça et là prend de l’ampleur et donne envie de tendre l’oreille. Robin Rivaton pour sa part nous livre l’analyse sociologique qui lui permet d’entrevoir une fenêtre de tir pour une refonte complète de notre appareil économique. Avec l’enthousiasme de ses 27 ans, il propose de donner un grand coup de pied dans la fourmilière. La France est prête, peut être, mais le chantier est titanesque.

Reste à convaincre les politiques… Contre toute attente, c’est Alain Juppé, le plus vieux d’entre eux, qui s’émerveille de cet opus. Sera-t-il disposé, comme il le suggère depuis quelques mois à ne s’engager que pour un mandat et faire ce grand ménage sans lequel notre mue « lib-réaliste» (Robin Rivaton) restera lettre morte ? Après tout, il se dit bien prêt « à couper les deux bouts de l’omelette… » dans une coalition qui oublierait un temps ce qui se trouve trop loin sur sa droite ou sur sa gauche. Mais à cela aussi les français seraient-ils prêts aussi ?

Ce serait la bonne nouvelle de 2015, le réalisme oblige pourtant à rappeler qu’il y a loin de la coupe aux lèvres…

*Photo : Pixabay.

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