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Programmes DEI enterrés: Trump passe les wokes à la poêle

Les États-Unis ne reconnaîtront désormais plus que deux sexes: masculin et féminin, définis à la naissance. Tout programme fédéral visant à promouvoir la “diversité” est immédiatement abrogé. Le commentaire de Céline Pina.


Si on s’interroge sur ce qui a motivé le vote des Américains pour un personnage aussi caricatural que peut parfois l’être Donald Trump, le décret qu’il vient de signer suspendant les employés fédéraux chargés des programmes de diversité et d’inclusion l’illustre. Là où en France, on peut se gargariser de paroles définitives sur la rupture avec l’Algérie ou sur la suppression des agences gouvernementales aussi pléthoriques qu’en partie inutiles, sans que jamais rien ne bouge, quand Donald Trump annonce ce genre de chose, il met ses déclarations à exécution. Non sans une certaine brutalité.

Fin de la DEI

C’est ainsi que signé mardi, le décret qui marque l’arrêt de fait de la promotion de la diversité, donc de la discrimination positive dans les services de l’État, prend effet dès mercredi. Cette rapidité a pour but de montrer à quel point la lutte contre l’idéologie woke est au cœur de la matrice trumpienne. Trump a compris que le wokisme générait une réaction de rejet anthropologique très forte qui lui a permis d’élargir sa base électorale et d’être crédité d’une forme de rationalité, rendant acceptable sa personnalité explosive. Cela explique l’insistance sur la question de l’existence de deux sexes lors du discours présidentiel. S’il a pu être vécu comme curieux ici, ce passage est pourtant fondamental, il marque le retour affiché d’une forme de bon sens crédité de populaire face aux excès de vertu du puritanisme woke, associé, lui, à un élitisme perverti. Ce retour au réel marque les esprits. Là où la discrimination positive s’est transformée en entreprise de culpabilisation et de mise en accusation des Blancs notamment, Donald Trump, en s’attaquant à cette vision idéologique retourne aux sources d’une Amérique melting pot où n’importe qui peut changer son destin par son travail ou son mérite, et pas parce qu’un groupe ethnique prédéfini et vu comme favorisé le lui devrait au nom de souffrances passées.

Si les excès de ces politiques les avaient rendues difficilement défendables, il n’en reste pas moins qu’il y a chez Donald Trump un mépris palpable pour ceux qu’il considère comme des minorités, ce qui dans sa bouche résonne souvent comme « inférieurs ». Sa façon de considérer les femmes, les homosexuels, les migrants est souvent rabaissante et vulgaire. Il y a une dimension de violence chez le président américain qui interroge, mais c’est aussi cette dimension-là qui le rend crédible. Les peuples occidentaux voient se dresser en face d’eux des dirigeants impérialistes aussi dangereux que déterminés, les Erdogan, Poutine, Xi Jinping remettent au goût du jour la violence politique, la conquête territoriale, l’agression militaire tandis que l’islamisme fanatise une partie des masses musulmanes, chez nous comme ailleurs, remettant en cause notre civilisation.

Part de folie

Dans un tel cadre, qui est crédible quand il s’agit de tordre le bras au Hamas ou de s’opposer à Vladimir Poutine ? Les technocrates qui nous servent de dirigeants ou Donald Trump ? Qui est crédible quand il menace ou négocie, Trump ou Biden ? Qui est capable de tenir un rapport de force dans un monde de plus en plus menaçant ? C’est à cette question-là que les électeurs américains ont répondu. Ils connaissent les limites et la part de folie de Trump, mais s’ils ont mis de côté l’histoire du Capitole, c’est parce que cela les inquiétait moins que le monde fictionnel, délirant et finalement oppressant qu’a fait naitre sur les campus, dans les administrations et les entreprises, l’idéologie woke aux États-Unis. Une idéologie qui se répand justement à travers ces programmes de diversité et qui s’appuie sur la négation du mérite individuel au profit de l’appartenance ethnique. Une politique qui excite le ressentiment et la victimisation puisque c’est au nom d’une oppression subie que sont octroyés des avantages raciaux. Reconnaitre que la situation s’améliore et que l’égalité progresse mettrait fin à ces avantages. La marche vers l’égalité est donc censée être un objectif, mais il est nécessaire que celui-ci ne soit jamais atteint pour préserver l’avantage compétitif que constitue la discrimination positive, ce qui aboutit à entretenir fractures sociales et haine raciale.

Et en France ne direz-vous ? Avons-nous ce type de programme ? Bien sûr, nous ratons rarement l’occasion d’importer ce qu’il y a de pire aux États-Unis chez nous. Nous avons donc ouvert, notamment au sein de l’Université, des petits dominions d’inquisition. Car derrière le joli mot de « diversité », fort peu inclusif au demeurant puisqu’il exclut les blancs, se cache une réalité de mise en accusation de « racisme systémique ». Ce type de service est ainsi censé répondre au racisme inconscient qui régnerait dans la société et les administrations. Il doit donc révéler les intentions cachées derrière les programmes et recrutements, montrer leur dimension raciste et excluante et proposer des mesures. C’est un statut qui peut assez rapidement donner lieu à des comportements de commissaire politique et à une prise de pouvoir au sein des Conseils d’administration. Cette prise de pouvoir se faisant par le biais de la morale et de la lutte anti-raciste, je souhaite bien du courage à ceux qui voudraient la combattre.

En France, une autre menace

Mais chez nous, derrière ces programmes se profile une réalité bien plus inquiétante que le wokisme, il s’agit de l’islamisme. Les woke ne sont qu’un cheval de Troie pour eux. Ce qui les intéresse derrière le discours sur le racisme systémique, c’est la critique absolue de la civilisation occidentale présentée comme un leurre : si elle a échoué à combattre le racisme, c’est parce que cette société l’est par nature et ne peut s’en guérir. Elle peut juste faire pénitence, renoncer à ce qu’elle est, se convertir… C’est dans cette faille que s’engouffre l’islamisme, expliquant aux musulmans qu’ils ne peuvent rien attendre d’une telle société car elle ne peut s’améliorer qu’en s’autodétruisant. Cela explique pourquoi les conférences militantes sur l’islamophobie, qui font régulièrement scandale à l’université, sont souvent associées aux programmes d’inclusion et de diversité. Il s’agit ici de faire valider scientifiquement un discours sur la persécution des musulmans et l’islamophobie régnant en Europe. Cela paralyse l’action des pouvoirs publics, incités à donner des gages aux islamistes en espérant rallier les musulmans et enferme des populations ghettoïsées dans un discours de haine qui ne les aide pas à trouver leur place et donc leur semble confirmer la lecture très sombre des islamistes.

Alors gagnerions-nous à nous attaquer également à ces programmes ? Probablement lorsqu’ils sont fondés sur des bases raciales ou confessionnelles. En revanche, le travail sur l’égalité, lui, n’est pas terminé et la question de la prise en compte du handicap, de la maladie et des inégalités persistantes selon le sexe ou la pratique sexuelle ne méritent pas d’être abandonnées. Quant aux agences gouvernementales, qui réussissent souvent à être aussi inutiles que dispendieuses, un grand ménage doit être fait, mais un peu de discernement ne nuit pas. Si la suppression du Pass culture ou du Défenseur des droits serait un plus, la disparition de l’Autorité de Sûreté Nucléaire serait plus discutable, par exemple.

Mais la question ne se pose pas, un pouvoir sans majorité n’a probablement pas la puissance requise pour s’attaquer à des dossiers aussi explosifs politiquement. Un pouvoir faible se caractérise par son impuissance, c’est exactement l’inverse qu’a montré Donald Trump en mettant en scène la signature de ces décrets qui font tant parler.

Procès Le Pen, Me Bosselut fait front

Marine Le Pen sera-t-elle déclarée inéligible le 31 mars, comme le demande le parquet de Paris ? Son avocat, Rodolphe Bosselut, qui est aussi celui de Causeur, a de solides arguments pour s’opposer à cette réquisition aux conséquences politiques majeures.


De l’aveu même de Franck Johannès, qui couvre l’affaire pour Le Monde, il a « fait son travail ». Ce qui, dans les colonnes d’un journal aussi hostile, est un sacré compliment… Le 27 novembre dernier, au tribunal judiciaire de Paris, Rodolphe Bosselut, l’avocat de Marine Le Pen, a clos le procès « des assistants du FN » par une plaidoirie de haut vol.

« Marine Le Pen est venue comme celles et ceux qui sont convaincus d’être innocents, c’est sa force », a lancé le Perpignanais aux juges en guise d’introduction d’un exposé de plus de trois heures, où, d’un air calme et résolu, il a plaidé la relaxe, sans haussement de ton ni effets de manche, si ce n’est pour décocher par moments quelques traits d’esprit, par exemple lorsqu’il a demandé qu’on ne « découpe pas Marine Le Pen en plusieurs morceaux, déjà que certains ne la supportent pas d’un seul tenant ! »

Jamais ce quinquagénaire au physique de deuxième ligne de rugby, ancien secrétaire de la Conférence du stage, n’avait parlé d’une seule traite si longtemps devant des magistrats de droit commun. Il faut dire que le dossier, auquel il a consacré presque tout son agenda pendant deux mois, naviguant entre le Palais et son cabinet de la porte Maillot à Paris, est d’une grande complexité. Et que la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale risque gros, très gros. Le parquet a non seulement requis cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende et une inéligibilité de cinq ans, mais en plus demandé que la peine, même en cas d’appel, soit appliquée immédiatement – ce qu’on appelle « l’exécution provisoire ».

Rodolphe Bosselut connaît Marine Le Pen depuis l’époque où elle exerçait, comme lui, la profession d’avocate à Paris dans les années 1990. « Nous nous sommes rencontrés par hasard sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle, a-t-il confié durant sa plaidoirie. Je l’ai trouvée brillante, humaine, drôle, loin du personnage manichéen construit par ses adversaires. »

Mais au-delà de ses protestations d’amitié, et de son absence d’engagement au Rassemblement national, qui lui confère une distance politique bienvenue, cet avocat discret et respecté par ses pairs a sans doute été choisi par la députée du Pas-de-Calais pour sa redoutable efficacité, lui qui peut s’enorgueillir d’avoir brillamment gagné le précédent procès dans lequel il l’a défendue, celui des « tweets sur Daech ».

Une pratique parlementaire, somme toute, banale

L’affaire remonte à 2015. Après avoir diffusé sur le Web des photos d’exécutions de l’État islamique – évidemment dans l’intention de les dénoncer –, Marine Le Pen est alors accusée par le parquet de Nanterre, au prétexte d’un article du Code pénal hors de propos (puisque traitant de l’outrage aux bonnes mœurs !), d’avoir porté « gravement atteinte à la dignité humaine ».

En 2021, à l’issue d’une procédure ubuesque, durant laquelle les enquêteurs ont demandé l’expertise psychiatrique de l’élue, Bosselut parvient non seulement à démontrer l’innocence de sa cliente, mais également à faire reconnaître par les juges la « vocation informative » des publications incriminées, ainsi que leur « démarche de protestation politique » et leur « contribution au débat public ». Face à un tel camouflet, le ministère public ne se donne pas le ridicule de faire appel.

À lire aussi, Céline Dupuis : Marine Le Pen au procès des assistants parlementaires FN: «J’ai donné ma vie à la vie politique»

Retour trois ans plus tard, dans la grande salle Victor-Hugo du tribunal judiciaire de Paris. Près de l’entrée, les bancs affectés à la presse sont pleins à craquer. Au premier rang, Marine Le Pen, assise à côté des autres prévenus, dont Julien Odoul, Nicolas Bay et Louis Aliot, fait face aux juges. Depuis le début du procès, elle a assisté quasiment tous les jours aux audiences. Juste derrière elle, plusieurs poids lourds du parti sont venus la soutenir, notamment Steeve Briois, Edwige Diaz et Sébastien Chenu.

À la barre, Bosselut entre maintenant dans le vif du sujet. « La pratique parlementaire de ma cliente était banale, partagée par tous les partis équivalents et exempte de toute intention frauduleuse », avance-t-il.

Travail parlementaire et militantisme

Rappelons qu’il est reproché à Marine Le Pen et à sa formation (à l’époque le Front national) d’avoir employé, aux frais du contribuable et pendant plusieurs années, des assistants au Parlement européen, qui, au lieu de l’activité prévue dans leur contrat de travail, œuvraient en fait pour le parti. Seulement, aux yeux de Bosselut, ce manquement aux règles, qui n’a occasionné aucun enrichissement personnel, ne devrait donner lieu qu’à un rappel à l’ordre des contrevenants et un remboursement de l’institution lésée.

Car sur le fond, estime l’avocat, si les électeurs envoient à Strasbourg des candidats du parti de Marine Le Pen, c’est pour y faire résonner les idées dudit parti. Dès lors, le mélange des genres entre travail parlementaire et travail militant, si fautif soit-il sur le papier, ne représente pas en réalité une atteinte grave à la loi. « Il n’y a eu aucune volonté de détourner des fonds, mais celle de faire de la politique », soutient l’avocat.

Seulement, on sait déjà que la justice ne voit pas les choses ainsi. En février dernier, divers cadres du Modem ont été condamnés en correctionnelle dans une affaire très similaire. C’est d’ailleurs parce que le RN avait fait remarquer l’existence, dans le parti de François Bayrou, de comportements s’apparentant aux siens que ce procès a eu lieu. Ce qui fait dire à Bosselut que le Modem est une « victime collatérale », et le RN le « plat principal » d’une offensive judiciaire aux arrière-pensées politiques.

Durant le réquisitoire, l’une des procureures, Louise Neyton, n’a-t-elle pas lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh, cette remarque confondante : « Je ne vous demande pas la relaxe, car ça me ferait trop mal » ? Difficile, après avoir entendu cela, de croire à la parfaite impartialité du ministère public.

Difficile non plus de ne pas entendre Rodophe Bosselut quand il s’émeut de « l’incroyable sévérité » des peines demandées par l’accusation. À commencer par la peine « d’inéligibilité obligatoire ». De quoi s’agit-il ? Lors de son réquisitoire, le parquet a indiqué que, si la députée du Pas-de-Calais était reconnue coupable, elle devrait automatiquement être déclarée inéligible, en vertu de la loi Sapin 2 de 2016, qui a rendu systématique cet assortiment de peine. Problème : d’après Bosselut, ce texte ne peut être appliqué en l’espèce, car les infractions reprochées à Marine Le Pen lui sont antérieures.

Le scandale de l’exécution provisoire

Pour justifier sa lecture chronologique alternative, l’avocat affirme qu’il convient de se borner aux dates des contrats de travail litigieux. Alors que les procureurs, eux, tiennent compte d’un calendrier plus extensif, « artificiel » selon Bosselut, qui intègre notamment les régularisations administratives ultérieurement opérées par les services du Parlement européen.

Reconnaissons-le, ce débat technique est difficile à trancher quand on n’a pas un bac + 8 en droit. En attendant, on trouvera raisonnable l’argument de Bosselut qui, sans nier les écarts commis par sa cliente, réclame que ceux-ci soient sanctionnés par des peines intégralement motivées, même celle d’inéligibilité. « Cela supposerait une démarche positive de votre part, cingle-t-il. Pas simplement une attitude ponce-pilatesque. »

Autre réquisition du parquet énergiquement combattue par Bosselut : l’exécution provisoire. Pour l’avocat, elle est doublement scandaleuse. Premièrement parce qu’elle pose un problème politique évident. Imaginons que Marine Le Pen soit condamnée en première instance dans quelques semaines, mais acquittée en appel dans quelques années. Un scénario devient alors possible, celui qu’une innocente en puissance soit empêchée de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Le cas échéant, le préjudice serait irréparable – non seulement pour la principale intéressée, mais aussi pour la démocratie.

Mais Bosselut a une seconde objection, plus juridique, méritant également d’être mentionnée ici, car elle laisse envisager d’éventuels développements de l’affaire auprès de plus hautes juridictions. « Pour un élu, explique-t-il, il n’existe aucun recours contre l’exécution provisoire elle-même, aucune possibilité de suspension, d’arrêt, de relèvement, etc. C’est une violation du principe d’égalité devant la justice et également du droit d’accès au juge garanti par l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’homme. » À l’heure où Nicolas Sarkozy, condamné à une peine infamante dans l’affaire « des écoutes », saisit la justice européenne pour « obtenir la garantie des droits que les juges français lui ont déniée », la cour strasbourgeoise pourrait paradoxalement être le dernier recours face aux abus d’une justice française parfois trop inspirée par les coupeurs de tête de l’an I et leur haine capricieuse des autres pouvoirs établis.

La décision des juges sera connue le 31 mars prochain. La procureure Neyton, à qui l’idée de ne pas punir Jean-François Jalkh « fait trop mal », sera-t-elle présente ce jour-là au tribunal judiciaire ? Curieusement, elle ne l’était pas lors de la plaidoirie de Rodolphe Bosselut, et on nous a fait savoir au palais qu’elle ne répond plus aux e-mails depuis quelques semaines. Peut-être médite-t-elle cette phrase de Chamfort: « La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir. »

Remarquable Médée

Doté d’un sens dramatique exceptionnel, d’un humour corrosif mêlant danse, théâtre et musique avec un instinct sûr, l’Anglais Ben Duke relit avec talent et perspicacité le mythe de Jason et Médée. Un spectacle d’une rare intelligence théâtrale.


Avec Ruination : The True Story of Medea (Perte : la vraie histoire de Médée), Ben Duke prend vaillamment la défense de Médée en tordant le cou à la mythologie. Chez cet auteur du XXIe siècle, la magicienne de Colchide s’est effacée pour devenir victime. Victime du narcissisme masculin de Jason, de son opportunisme et de sa trahison quand il n’hésite pas à délaisser la mère de ses deux fils pour une alliance plus avantageuse. Victime aussi de sa légende, de la vox populi qui la juge sans songer à comprendre ce à quoi elle était confrontée.

On est aux enfers. Le corps de Jason gît sous un suaire et Hadès, maître des lieux, et qui tient à ce qu’on le sache, prend la pose, fait de l’esprit de comptoir, tout en commentant, en balletomane qui se pense avisé, une variation de la Fée Dragée dans le ballet Casse-Noisette, apparaissant côté cour sur des écrans. Un Hadès tout nu sous un long tutu transparent, ce qui n’est pas du tout recommandable quand on est le dieu des Enfers, et qui va de surcroît s’affubler d’un tutu rose autour du cou. Eu un mot : une folle tordue.

Intelligent

Jason qui sort de sa torpeur en explosant dans un solo aussi acrobatique qu’éblouissant, Jason est furieux de se trouver là. Et tout aussitôt, Médée déboule en catastrophe pour se voir coller sur le dos un procès pour assassinats. Un vieux squelette affublé d’une perruque de magistrat anglais fera office de juge. Et Proserpine (Perséphone), qui en connaît long sur le sort fait aux femmes dans la mythologie, décide de se muer en avocate militante de Médée, avec pour argument majeur que si Jason s’était mieux comporté, aucun des meurtres attribués à son épouse ne serait survenu.

Le tout est illustré par des scènes qui défilent à un rythme infernal, sur un mode à la fois grave et loufoque, et où le meilleur théâtre s’entrecroise avec les chorégraphies et des prestations musicales ou chantées d’un savoureux éclectisme. Décor dépouillé, lumières savantes, mise en scène époustouflante, chorégraphies d’une théâtralité étonnante, tout convainc dans ce spectacle, intelligemment comique, plein de sens, jamais gratuit.

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En puisant dans la mythologie grecque, dans un répertoire musical survolant les siècles, Ben Duke nous permet d’échapper à l’effroyable galimatias dont nous abreuvent les hordes de chorégraphes qui sévissent sur la scène contemporaine, se prennent pour des penseurs et traînent à leur suite les « concepts » fumeux et les innombrables clichés qui polluent des ouvrages sans intérêt aucun.

Lui déploie un talent scénique qui porte de bout en bout un spectacle éblouissant d’intelligence, de séduction et de trouvailles qui vous enchantent. Et qui fait irrémédiablement penser à l’esprit d’Offenbach et de ses librettistes.

Interprétation exceptionnelle

Et puis, il y a les interprètes. Comme souvent, quand un spectacle est exceptionnel, les artistes qui le servent le sont également, ayant été choisis avec flair et dirigés de façon à extraire d’eux la plus substantifique moelle. Et ils sont magnifiques dans leur réjouissante diversité, heureuse compagnie de jeunes talents venus de tous horizons géographiques et artistiques et n’étant surtout pas là pour obéir à quelque idéologie « politiquement correcte ».

Miguel Altunaga et Liam Francis

Le Français Jean-Daniel Broussé incarne ce Hadès cité plus haut avec un chic gouailleur et un humour malicieux qui mettent en joie. Lui répondent la noblesse et la beauté d’Anna-Kay Gayle, somptueuse en Proserpine féministe, métamorphosée le temps d’une scène forte en Déméter pleurant sa fille enlevée par Hadès. Le Jason de Liam Francis est proprement fascinant, d’une sensualité torride qu’il déploie avec un cynisme déroutant pour embobiner aussi bien Médée que Glaucé (Créüse) quand il convoite leur alliance. Quant au perfide Aétès, roi de Colchide, il est incarné par le Cubain Miguel Altunaga, désormais sujet anglais, mais dont la fougue chaleureuse qui se déploie dans ses divers rôles provient évidemment des Antilles.

Deux blondes anglo-saxonnes, Maya Caroll et Hannah Shepherds, incarnent les figures de Médée et de Glaucé avec une certaine retenue qui n’exclut pas la passion. Tous assumant fugitivement d’autres personnages avec une fluidité qui force l’admiration.

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À eux s’ajoutent une pianiste et deux chanteurs dont les qualités confèrent au spectacle une élégance supplémentaire. Et Sheree DuBois, Yshani Perinpanayagam et Keith Pun incarnent aussi, à eux trois, cette réjouissante mêlée de talents de tous horizons.

Dans ce spectacle, ce qui force l’admiration, c’est l’humilité autant que les qualités du concepteur et de ses interprètes. Pas d’esbroufe, pas de ce pseudo-intellectualisme d’impuissants qui fait des ravages sur la scène française.

Mais des références qui dénotent une culture solide, des inventions qui trahissent un vrai sens du théâtre, une gestuelle inventive propre à traduire un mythe. Bref, du talent, un authentique talent d’artistes qui sont là pour servir leur art et non leurs personnes.

Un seul grand regret : que le spectacle ne soit pas représenté sur une plus longue durée. Car le bouche-à-oreilles lui assurerait un public considérable durant de longs jours.


Ruination : The True Story of Medea
Mise en scène et chorégraphie de Ben Duke.
Coproduction de la Compagnie Lost Dog et du Royal Ballet.
Les 23 et 24 janvier à 20h. Le 25 à 15h et 20h, le 26 à 15h 
Théâtre des Abbesses (Théâtre de la Ville) https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-24-25/danse/ben-duke-ruination-the-true-story-of-medea

Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

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Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens.


Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, tout le monde connait désormais au moins le prénom ou le visage de ces trois jeunes femmes sorties des griffes du Hamas. Qui n’envisage pas avec angoisse et espoir ces longues six semaines à l’issue desquelles, si la première phase de l’accord se déroule comme prévu, 33 otages, trois ou quatre chaque semaine, reviendront chez les leurs ? Et parmi eux, combien dans des linceuls ? Car pour le Hamas, un cadavre israélien aussi a sa valeur d’échange.

Israël, un pays qui n’abandonne jamais ses morts

Le sergent Oron Shaul, tué il y a dix ans à Gaza, retrouvé par Tsahal, vient d’être enterré près de son père, qui pendant des mois avait fait le siège du Premier ministre à Jérusalem pour réclamer le retour du corps de son fils. Mission accomplie, mais le président Isaac Herzog et l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz sont venus au cimetière demander pardon à la famille pour le retard.

Un Etat qui n’abandonne pas ses morts ne peut pas abandonner ses vivants.

C’est le « Pikuach nefesh », la préservation de la vie, auquel fait écho l’expression  « lehaïm » signifiant « à la vie ». Cette prééminence a entrainé en 2011 l’échange de 1207 prisonniers palestiniens contre un seul prisonnier israélien, Gilad Shalit. Il est obscène aujourd’hui de parler d’échange de prisonniers. C’est un échange d’otages contre des prisonniers, près de 2000 à l’issue de la première phase. Parmi eux, 700 détenus dans les prisons israéliennes pour terrorisme, dont certains assassins condamnés à perpétuité.

Chacun sait que Yahya Sinwar était l’un des  1207 prisonniers et nul n’ignore que beaucoup des détenus libérés seront mêlés à d’autres actes terroristes. Les relâcher, auréolés de leurs années de prison, est une décision lourde de menaces. Romi, Emily et Doron n’iront pas tuer des Palestiniens pour se venger. Parmi les 90 prisonniers échangés contre elles, il n’en est pas de même, si on en croit leurs déclarations devant la foule enthousiaste de Ramallah. Et encore, ce premier groupe est celui des moins lourdement condamnés…

Ce scandale moral révulse beaucoup d’Israéliens, sans compter les familles des victimes d’attentats terroristes qui vont voir les assassins parader. Dans le décompte entre quelques dizaines d’otages à récupérer et les catastrophes que peuvent provoquer les terroristes libérés, le décalage parait accablant. Et un échange pareil confirme que la prise d’otages est un business profitable, à répéter dès que possible…

Précédents

Revient le passé, quand Israël refusait de négocier avec les auteurs de piraterie aérienne, et le souvenir du Raid d’Entebbe[1] dont le héros a été Yoni Netanyahou, sur une décision prise par Yitzhak Rabin, un travailliste. 

Ben Gvir a démissionné. Smotrich, qui ne l’a pas fait, attaque violemment l’accord. Beaucoup vilipendent Netanyahou pour s’être laissé tordre le bras afin de complaire à Trump la veille de son investiture. Ils considèrent donc qu’il fallait entrer immédiatement en conflit avec un président américain particulièrement amical envers Israël et dont le soutien est vital pour le pays, et qu’il fallait affronter en même temps les 75% d’Israéliens – dont la hiérarchie militaire – qui estiment que le retour des otages est une exigence prioritaire. Quant à penser qu’en acceptant l’accord, Netanyahou met en danger la sécurité du pays, on peut se dire que si celle-ci dépend de la libération de 1000 ou 2000 Palestiniens, alors Israël serait détruit depuis longtemps, tant les terroristes potentiels sont nombreux chez ses ennemis.

S’appuyer sur l’intransigeance du passé est futile. Dans les années 70, Israël ne devait pas céder aux pirates aériens car cela aurait été un terrible appel à la récidive, alors que le trafic n’était pas sécurisé comme aujourd’hui. La manière forte n’a pas toujours réussi: à Maalot, en 1974, l’intervention israélienne a entrainé l’assassinat de 22 enfants par les trois membres du commando FDLP[2].

De là ont résulté des renforcements majeurs des moyens de protection. L’engagement implicite sur lequel se fonde l’existence de l’Etat d’Israël, offrir un abri aux Juifs du monde entier, a pu ainsi être respecté. C’est cet engagement, mis à mal le 7-Octobre 2023, que Israël a dû rendre de nouveau crédible: pour cela il lui fallait détruire le Hamas et ramener les otages.

Le Hamas promet de recommencer

Le Hamas n’est pas détruit, mais il est très affaibli. Méfions-nous des photos trafiquées censées représenter une marée humaine de combattants victorieux sur la place de Gaza, mais écoutons bien les rodomontades du nouveau chef du Hamas, Khalil al-Hayya, qui salue la grande victoire et promet des récidives.

L’armée n’a pas pu libérer les otages, mais la négociation s’est faite dans de meilleures conditions pour Israël qu’il y a huit mois, car la guerre a considérablement affaibli les soutiens du Hamas, le Hezbollah et l’Iran, en même temps que vient au pouvoir une administration américaine apparemment moins frileuse contre le danger existentiel que pose le régime iranien. Cette fois-ci, le Hamas, malgré ses efforts, donnera difficilement le change.

C’est pourquoi je me réjouis du retour des otages, même si je sais que nous ne les reverrons pas tous et même si ces accords ne signifient pas la paix, contrairement aux vœux, pieux ou non, émis avec légèreté par ceux qui ne veulent pas admettre qu’une paix avec le Hamas n’est pas possible. 

L’accord peut être rompu à tout moment. De dramatiques surprises sont possibles. Une explosion orchestrée par le Hamas peut survenir en Cisjordanie. 

Plus encore, la deuxième phase sera extraordinairement difficile car dans la comptabilité macabre du Hamas, la valeur d’échange des otages (notamment les soldats) y sera encore plus élevée. En attendant, admirons l’exemple que donne Emily Damari, avec son sourire et ses doigts amputés, un magnifique message d’énergie et d’amour de la vie.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_d%27Entebbe

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ma’alot

Critique de la raison pure

Pour affronter ses véritables défis, la société française aurait besoin de la force mobilisatrice et de l’audace d’un Trump. Les discours tièdes et raisonnables sont passés de mode


Je sais, le titre est pris. Par un certain Emmanuel. Non pas celui auquel on peut penser mais un autre philosophe de très haute volée, Emmanuel Kant (1724-1804). À celui-ci, on doit de profondes pensées dont la difficulté de compréhension ne le cède en rien à certains passages des exposés de l’autre Emmanuel, celui auquel je faisais précédemment allusion. À cet autre, on doit aussi, paraît-il, l’invention du fixe chaussettes. Le petit dispositif grâce à quoi il pouvait maintenir ses bas – l’époque était aux bas masculins – à hauteur de cuisses, les empêchant ainsi de tirebouchonner sur les chevilles. Rien de plus disgracieux et de plus désordonné pour un esprit aussi méthodique et rigoureux que le sien. On devrait donc deux révolutions à ce penseur : l’une dans l’approche de la philosophie – il y a l’avant Kant et il y a l’après-Kant – l’autre dans le port du bas de soie. On ne saurait dire laquelle a été le plus utile à ses contemporains…

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Cependant, la raison pure dont il s’agit dans ces modestes lignes est autre. C’est la raison terriblement raisonnable des prises de parole à l’eau tiède dont on nous abreuve chez nous, dans le genre « discours de politique générale », voyez-vous. En fait, ce que nous avons pu constater avec la harangue d’investiture de Donald Trump est tout simplement que, si l’on entend exalter les foules, un brin de déraisonnable, de démesure semble s’imposer. Le 47ème président US nous a en effet livré un discours du type « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », pour reprendre les mots forts et diablement motivants du citoyen Danton en son temps. C’était avant Valmy. La période oratoire en fait tient en ces mots : « Le tocsin qui va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France sera sauvée. » En l’occurrence, elle le fut. Aujourd’hui aussi, la patrie a ses ennemis : la multinationale de la came, les négriers de l’immigration clandestine, les spéculateurs de tout poil qui se gavent au chevet de notre agonie financière, etc. etc. Pour les vaincre, nul doute qu’il faudra de l’audace grand format, et pour nous emporter d’enthousiasme dans cette croisade, nous autres citoyens, autre chose que du verbiage englué dans la molle soumission au raisonnablement faisable. Un Lacan ou un Barthe un peu fatigués ne soupçonneraient-ils pas, par exemple, derrière ces interminables péroraisons, débats et conclaves sur les retraites, un avatar sémantique, un aveu inconscient du refus d’affronter les vraies et dures réalités ? Bref, un masque, ou une mascarade au choix, derrière quoi dissimuler l’autre retraite, celle face aux ennemis, aux menaces pourtant si visibles évoqués plus haut.

Le tocsin sonne pourtant depuis assez longtemps à présent. Il serait temps que la puissance d’État lui prête l’oreille et donne de la voix façon Danton pour rameuter les troupes. Ce serait, à soi seule, une première audace. On l’attend.

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Valérie André: « Panthéon subito ! »

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Il y a une vingtaine d’années, à l’Arc de Triomphe, l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), détenteur de millions de photographies des engagements de l’Armée française, exposait une centaine d’entre elles sur un thème alors inédit des « Femmes dans la guerre ». Tantôt victimes, tantôt soutien moral, tantôt actrices à l’arrière du front, la figure de la combattante française n’a surgi sur des théâtres d’opération qu’au milieu du XXe siècle. D’abord employées dans des services, au risque de leur vie, telles ces six ambulancières tuées durant la Campagne d’Italie en 1944, les Françaises accédèrent progressivement à tous les grades et à toutes les fonctions des armées modernes. Beaucoup ignorent qu’elles le doivent en partie à l’une d’entre elles, la plus décorée, devenue première à être nommée Général en 1978 : Valérie André, qui vient de disparaître à l’âge de 102 ans.

Acceptant de bonne grâce, lors de l’inauguration de cette exposition, de raviver la flamme du Soldat inconnu, elle nous apparut trait pour trait telle que le quotidien Paris-Presse à son retour de la guerre d’Indochine la décrivait : « une femme élégante, aimable et d’une parfaite simplicité », devenue héroïne au point d’être croquée dans des B.D. d’action par un certain Uderzo (Magazine Les Bonnes soirées, 1954). Ce premier médecin militaire féminin fut pionnier aussi dans l’évacuation des blessés par la voie des airs, parfois, il faut le dire, de manière miraculeuse dans des postes reculés encerclés par les « Viets ». Là-bas, elle était « la femme descendue du ciel » pour les populations civiles avoisinantes des postes militaires qu’elle soignait comme elle pouvait. D’une apparence fluette dans sa combinaison retaillée de l’Armée de l’Air, coiffée de son chapeau de brousse, par son air calme et résolu, Valérie André savait donner confiance à son entourage. Sans l’avoir recherché, ses exploits allaient faire d’elle une légende.

Elle n’en faisait pas grand cas croyant humblement à la baraka, « comme une amie fidèle, … Une présence mystérieuse qu’il faut savoir capter, ne jamais refuser. » (Madame le Général, V. André). Pouvait-il en être autrement à bord de son petit hélicoptère Hiller, véritable proie désarmée, livrée au feu des mortiers et des mitrailleuses ennemis tandis que l’on hissait les blessés à son bord ? Les risques techniques de ce nouveau « ventilo », popularisé plus tard par les films de James Bond et de Fantômas, étaient des plus sérieux. Il pouvait chuter à cause d’une trop lourde charge ou bien se mettre à tourner comme une toupie, avec pour issue fatale l’explosion provoquée par une forte présence de magnésium dans l’appareil.

L’officier et romancier à succès (Les Ceinturions) Jean Lartéguy, dit d’elle dans la préface de son autobiographie qu’elle « était un mélange… de volonté farouche et de douceur ».  Volontaire pour quoi ?

Volontaire d’abord à 18 ans pour s’enfuir d’Alsace, et se cacher de la Gestapo afin de poursuivre ses études de médecine durant la guerre. Volontaire aussi, dans l’après-guerre pour rejoindre durant cinq années l’Indochine la « dernière épopée romantique des temps modernes » (Lucien Bodard) où la France livra avec des moyens restreints un combat aussi vaillant que sans issue, trop souvent ignoré ou dénigré en métropole.

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Volontaire également pour devenir tout à la fois pilote, parachutiste et médecin militaire de guerre, alors que l’exercice de chacune de ces fonctions par une femme était à l’époque une incongruité. Toujours volontaire pour les missions dangereuses, sauter en parachute dans le Haut Laos sur un poste isolé afin de sauver un blessé, installer des petits postes de secours dans des détachements, et surtout ramener 165 blessés sur 129 vols dans des paniers fixés à sa « libellule mécanique ». Et enfin, de nouveau volontaire pour retourner, selon ses mots d’ordre, « combattre et sauver » en Algérie, où elle resta cinq ans pilotant notamment un Sikorski H34.

Un tel parcours, exceptionnel pour un militaire, devient extraordinaire s’agissant d’une femme, dont l’intraitable volonté semble animée par deux forces, l’une d’ordre moral, l’autre passionnel.

Valérie André avait d’abord cette vocation admirable de soigner et de soulager les blessés, celle des chirurgiens de guerre et de ces médecins « de l’avant » pratiquant dans des milieux hostiles, entre le stress du danger et le manque de moyens tout en devant gérer le volet logistique des évacuations sanitaires. C’est d’ailleurs tout à son honneur qu’elle soigna aussi les blessés ennemis, tandis que les conditions de détention de nos militaires prisonniers du Vietminh étaient d’une grande cruauté.

La passion de voler était le second ressort profond de sa détermination. C’est le rêve d’une petite fille dont les idoles s’appellent Hélène Boucher, Maryse Bastié ou l’Alsacienne Hilsz atterrissant à l’aérodrome de Strasbourg et derrière laquelle elle court pour lui offrir un bouquet. Plus tard au Tonkin, elle tombera amoureuse de l’hélicoptère, avec laquelle elle fit corps et qui lui offrit un « balcon volant » sur les splendides paysages d’Indochine. Enfin, elle pourra assouvir cette passion aérienne au Centre d’essai de Brétigny aux côtés de Jacqueline Auriol en participant à différents vols expérimentaux, montrant que sa capacité d’expertise comme pilote n’avait d’égal que celle qu’elle avait mise en œuvre en tant que chirurgien de guerre.

Évidemment le nom de Valérie André, peut évoquer aujourd’hui des combats plus feutrés qu’elle mena au sein de l’institution militaire (en particulier comme présidente d’une « commission d’études prospectives pour la femme militaire » au début des années quatre-vingt) afin d’ouvrir aux Françaises qui en étaient aptes toutes les portes, y compris les verrières des cockpits d’avions de chasse.

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Tout ce qu’elle fit pour promouvoir les femmes dans les armées n’a évidemment rien de commun avec un néo-féminisme agressif, diviseur et extrémiste. Elle usait de détermination, nullement de provocation, même si elle savait manier l’humour : en 1948, au général commandant les troupes aéroportées qui s’inquiétait malicieusement de la gêne occasionnée par le harnachement à sa poitrine, elle rétorqua : « Je suis moins gênée que vous ne pourriez l’être un peu plus bas, avec les cuissards du harnais du parachute ». Faisant preuve d’une belle opiniâtreté avec ses chefs, elle leur démontrait non seulement l’utilité d’être à la fois pilote et médecin, mais surtout la capacité pour une femme d’être l’un et l’autre.

Elle agissait en faveur de l’intégration des femmes dans l’Armée avec un esprit d’union, non de division, ni de revanche vis-à-vis des hommes, car elle savait tout ce qu’elle devait à ses camarades masculins, au soutien opérationnel et technique de ses copains au premier rang desquels son chef et futur époux Alexis Santini (oncle d’André Santini), un as des hélicos, mais aussi de ses anges gardiens de l’aviation de chasse, qui tentaient de la couvrir lors de ses missions dangereuses en Indochine.

L’itinéraire du Général Valérie André illustre la complexité de ces conflits d’après-guerre, dont elle partagea les cicatrices avec ces compagnons d’armes et qu’elle traversa autant avec une compassion envers les populations souffrant de la guerre et du terrorisme aveugle, qu’une lucidité sur les ravages d’un double discours. Elle est aussi emblématique d’une mutation des armées, qui, si elles se technicisent, doivent continuer à rester des forces humaines soucieuses d’un fort engagement moral qu’elle s’imposait : « Servir dans l’armée impose un désintéressement total, un esprit de dévouement, un sens de la solidarité constant ».

Après des choix nationaux de scientifique, de ministre, de résistantes, voire d’artiste, si l’on cherche des Françaises à « panthéoniser », ne peut-on se retourner vers cette militaire, exemple de vitalité et de fierté nationale pour les générations à venir, à commencer évidemment par les jeunes femmes ? Ne peut-on préférer cette patriote qui, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Guerre froide, symbolise cette génération de combattants qui ont vu la France à terre dans leur jeunesse et se sont engagés pour la relever ?

À la manière des catholiques clamant en italien, place Saint-Pierre, la canonisation immédiate d’une personne décédée, devrait-on légitimement réclamer pour Valérie André : « Pantheon subito ! »

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Don Giovanni en version concert au TCE: Cyrille Dubois sublime en Don Ottavio

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Dégraissés de tout décor et sertis dans une simple épure scénographique, les opéras en version concert régulièrement programmés au Théâtre des Champs-Élysées (TCE) sont, pour l’amateur de lyrique, l’opportunité de réviser ses classiques, bruts de décoffrage en quelque sorte, mais dans des formations inédites, toujours de très haute tenue. C’était encore le cas ce 20 janvier, avec un Don Giovanni d’exception, servi dans la mouture originelle pragoise (antérieure à la viennoise), et porté au sommet par l’Orchestre et chœur Les Ambassadeurs – La Grande écurie, gardien comme l’on sait, dans le sillage creusé jadis par Jean-Claude Malgoire, d’une authenticité contextuelle et grammaticale que sanctionne l’interprétation sur instruments d’époque. 

En mars prochain, à l’Auditorium de la Maison de Radio France, on retrouvera ces « ambassadeurs » –  du baroque en particulier – pour un Dardanus de Rameau revisité dans l’ultime version, inédite, de la partition, millésimée 1744. Mais auparavant, dès la mi-février, le TCE nous promet un Persée, de Lully, œuvre de 1682, sous les auspices du Concert spirituel – au pupitre, son émérite fondateur Hervé Niquet – et du Centre de musique baroque de Versailles. 

Pour revenir au Don Giovanni de ce lundi, sans offense il se pourrait que l’auditeur ait gagné au change avec la défection de Léo Vermot-Desroches, souffrant, qu’on attendait en Don Ottavio, et que le ténor Cyrille Dubois a pris le risque de remplacer au pied levé, partition en main – il est vrai qu’il avait merveilleusement chanté le rôle à l’Opéra de Paris fin 2023.  Toujours est-il que, d’une amplitude qui le mène sans faillir de Haendel à Britten en passant par le vaste spectre du bel canto, sans compter le champ largement labourable encore de la mélodie française, le répertoire de Cyrille Dubois est d’une stupéfiante richesse. En novembre dernier, toujours au TCE, et déjà dans une production Les Grandes Voix comme pour le Mozart qui nous occupe ici, il endossait pour la première fois le rôle-titre du Comte Ory (Rossini) avec une maestria vocale assortie d’une présence scénique impeccable, pleine de drôlerie. C’était encore le cas cette semaine : vibrato serré, timbre d’une délicatesse, d’une musicalité sans pareilles. À ses côtés, dans le rôle-titre, le baryton vertigineusement expressif Florian Sempey ; l’autre baryton, Thomas Dolié, en Leporello d’une alacrité, d’une fantaisie qui lui acquiert d’emblée tous les suffrages ; une Donna Anna cristalline sous les traits de Marianne Croux ; Catherine Trottmann en Zerlina, d’une incomparable intensité… Seule la mezzo Marion Lebègue peinait, nous a-t-il semblé, dans les redoutables volutes de Donna Elvira du grave à l’aigu. Pour le reste, c’était du grand art. À vos agendas !  


Don Giovanni, de Mozart en version concert. Avec Florian Sempey, Cyrille Dubois, Marion Lebègue, Thomas Dolié, Catherine Trottmann, Louis Morvan. Direction : Mathieu Romano. Les Ambassadeurs La Grande Ecurie. TCE .  C’était le 20 janvier.  

Et bientôt :

Persée, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, en version concert. Direction : Hervé Niquet. Orchestre et Chœur Le concert spirituel, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. TCE.  Le 14 février, 19h30. Dardanus, tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, en version concert. Les Ambassadeurs, La Grande écurie. Chœur de Chambre de Namur. Direction : Emmanuel Resche-Caserta.  Auditorium Maison de la Radio et de la Musique. Le 18 mars 2025, 20h.

Donald Trump est-il français ?

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L’idolâtrie aveugle envers Donald Trump agace notre chroniqueur. On peut l’admirer, si on veut, mais en gardant à l’esprit que ses priorités ne sont pas celles de la France…


Cette interrogation m’est venue naturellement à l’esprit quand j’ai entendu commenter ici ou là la belle cérémonie d’investiture de Donald Trump, avec un certain nombre d’hyperboles médiatiques sur le nouveau président. Parfois, elles étaient tellement outrancières que je me demandais s’il avait été élu à la tête des États-Unis ou bien comme président français. Non pas que je déniais le droit d’estimer, même d’admirer cette personnalité singulière, cet homme politique atypique et imprévisible dont le caractère et les postures révélaient à tout instant qu’ils tiendraient les promesses et les engagements pris (voir mon billet du 20 janvier : Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte ?). Je comprenais que dans cette fidélité, il y avait déjà quelque chose de remarquable dans un monde où les tactiques, les opportunismes et les voltes apparaissent comme le comble de l’habileté.

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Moi-même, après l’élection triomphale de Trump contre une mauvaise candidate démocrate, j’avais apprécié sa victoire, d’abord dans la mesure où elle faisait taire tous ceux qui à des niveaux divers et sur tous les registres, s’étaient obstinés à le dénigrer et à le ridiculiser sans se questionner une seconde sur la possibilité de défaite de leur idole démocrate. Kamala Harris flattant les courants les plus dangereusement progressistes avait évidemment toute chance de l’emporter avec le soutien de ce que l’Amérique comptait comme caciques, intellectuels, artistes et journalistes réputés ! J’ai aimé la déroute de ces oiseaux de mauvais augure : Donald Trump les a renvoyés à leurs désirs qu’ils prenaient pour des réalités.

Élu président, et dans ses discours initiaux, M. Trump a clairement souligné qu’il allait mener un combat contre le wokisme, « la révolution du bon sens » dans les domaines intime, sexuel, humain, avec une liberté d’expression pleine et entière, et la restauration d’une forme de normalité dans les lieux d’enseignement et de savoir. Je ne peux qu’adhérer à ce Trump-là !

Mais il y en a un autre dont la politique n’est fondée – et de sa part, c’est légitime – que sur la défense des intérêts américains, sur la volonté de favoriser les produits et le commerce de son pays et donc forcément de chercher maille à partir avec la France et l’Union européenne qui ne serait pas assez bonne cliente des États-Unis. Il serait indécent, par conséquent, de ne pas mettre un bémol à l’enthousiasme pour Donald Trump quand on n’est pas Américain. En se rappelant que ce président est unique et que ne pourrions jamais, pour mille raisons, en avoir un comme lui chez nous.

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Pour la politique internationale, s’il parvient à faire cesser les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ce sera un formidable apaisement mais à condition qu’il ne soit pas payé par le triomphe des groupes ou des pays coupables.

Ai-je même besoin d’ajouter que, s’il y a des péripéties – aussi surprenantes et décontractées qu’elles soient – qui ne le mettent pas forcément dans un comportement ridicule, il a cependant des attitudes et des réactions déplaisantes. Quand par exemple, après s’être fait religieusement sermonner, il dénonce sans dignité la messe et montre à quel point il est incapable d’accepter une adresse qui peut pourtant être écoutée sans acrimonie, avec sérénité en vertu du double registre de la politique et de l’Église.

Rien ne serait plus absurde que de continuer cette idolâtrie en oubliant que la France existe, et l’Europe, et que Donald Trump obsédé par les avantages à obtenir pour son pays ne leur veut pas du bien. Il est un combattant et la seule manière d’exister face à lui, singulièrement et collectivement, sera de l’être aussi.

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Santé, climat : ces marchands de peur visés par le trumpisme

Avec sa « révolution du bon sens », Donald Trump remet radicalement en question les politiques climatiques et sanitaires récentes. Le nouveau président américain sort de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et des Accords de Paris. Et rouvre le débat sur les vaccins ou le changement climatique, des dogmes jusqu’ici intouchables, observe notre chroniqueur.


La « révolution du bon sens », dont s’est réclamé Donald Trump lundi dans son discours d’investiture, est une hérésie pour les idéologues au pouvoir, emmurés dans leurs croyances. Cette rupture blasphématoire s’annonce néanmoins historique. Elle a pris pour cible, dans l’immédiat, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les Accords de Paris sur l’urgence climatique, qualifiés d’ « escroqueries » par le président des Etats-Unis. Vont être remises en question, spectaculairement cette fois, les affirmations « scientifiques » prédisant l’apocalypse sanitaire ou climatique si les peuples ne se soumettent pas aux normes et aux vérités d’organisations supranationales. Jusqu’à présent, la contestation de cette politique anxiogène était abaissée à l’étiage du « complotisme ». Or il est sain que soient enfin questionnées ces stratégies mondialistes construites sur des peurs tétanisantes. Alors que la France ne participe qu’à 0,8% des émissions de carbone dans le monde, est-il raisonnable, dans un pays surendetté, d’affecter 40 milliards d’euros par an à la transition écologique, sachant que décarboner la France nécessiterait d’y consacrer 66 milliards d’euros par an, soit 44% de déficit supplémentaire, selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz1 ?  Est-il réaliste pour l’Europe d’envisager d’investir 1500 milliards d’euros par an afin d’atteindre l’objectif de réduire 90% des gaz à effet de serre d’ici 2040 ? Est-il équitable d’interdire aux classes moyennes, ayant des autos jugées polluantes, l’accès aux villes classées comme zones à faibles émissions (ZFE) ? Et d’ailleurs, faut-il vraiment s’inquiéter du CO2 rejeté dans l’atmosphère2 ?

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Toutes ces questions doivent être librement débattues. Trump peut aider, dans son engagement à « tout changer », à se défaire du terrorisme intellectuel des grands prêtres quand ils prédisent la montée des eaux ou l’attaque de virus pour les peuples indociles. L’hystérie sanitaire autour du Covid, dénoncée ici depuis ses premiers pas jusqu’aux confinements inutiles, commence à être admise par les esprits les plus honnêtes, tout comme est reconnue la piètre efficacité des vaccins expérimentaux survendus par les firmes pharmaceutiques et leurs relais médicaux. Est-il besoin de rappeler comment furent traités, par le système médiatique, les parias qui appelaient à désobéir à l’Etat hygiéniste au nom de l’esprit critique et du libre arbitre ? Toutes les propagandes, parce qu’elles détestent la contradiction, portent en elles des risques de dérives totalitaires, staliniennes. L’absurde procès en « fascisme » lancé par la gauche contre Elon Musk en est une illustration. Le bon sens n’est évidemment pas la seule réponse aux sujets méritant aussi les lumières de l’expert ou du savant. Cependant, sur le climat ou le Covid, cette vertu a manqué aux fabricants d’angoisses collectives, aux dresseurs de foules craintives, aux dénonciateurs de voisins récalcitrants. Dans ses instructions pour l’éducation du dauphin, Louis XIV donnait ce conseil : « La fonction de roi consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui agit tout naturellement et sans peine ». Trump ne fait que reprendre une vieille recette. Elle invite à admettre que l’eau mouille, que deux et deux font quatre, qu’un homme est différent d’une femme. Les faussaires vont détester cette nouvelle époque qui ne veut plus marcher sur la tête.


  1. François Gervais, Il n’y a pas d’apocalypse climatique (L’Artilleur) ↩︎
  2. Christian Gerondeau, Climat : pourquoi Trump a raison… (L’Artilleur) ↩︎

Prométhée endetté

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts.


Le 21 octobre dernier, par un simple communiqué de presse, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Désormais le pays est placé dans la catégorie des « investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de « spéculatifs » (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés pour résoudre les déséquilibres économiques et fiscaux. » Avec un solde primaire (écart des dépenses et recettes publiques, hors charges d’intérêts) qui s’établit à présent à 2,1 % du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.

Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont nettement moins réjouissantes. À la fin du mois de septembre, soit trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des obligations assimilables au Trésor (OAT) émises à cinq ans par Paris a atteint 2,48 %, dépassant pour la première fois le taux grec, qui lui s’établit à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, accusant un déficit de 3,5 % du PIB.

Comment la Grèce est-elle parvenue à devenir un meilleur élève budgétaire que la France ? Les raisons ne sont pas seulement à chercher du côté de notre incurie. Depuis une décennie, les Hellènes se sont astreints à un régime d’intense austérité, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État faussaire ! On sait que, pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la mansuétude de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’aides sociales, notamment de retraites, structurellement déficitaire.

Retour sur les faits

Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récréation. Confrontée au rationnement mondial du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce se retrouve très vite dans l’incapacité d’emprunter à des taux supportables, et doit se résoudre, moins de deux ans après, à appeler l’Union européenne et le FMI à la rescousse.

À la suite d’un difficile compromis, un plan de sauvetage est décidé. Il se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 en provenance du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices demandés.

275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) sont ainsi congédiés, tandis que ceux qui restent en poste voient leur traitement baisser d’environ 25 %, et leur temps de travail passer de 37,5 à 40 heures hebdomadaires. Le budget des collectivités locales est quant à lui rogné de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont abaissées respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense diminue de 50 %.

Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le salaire minimum est diminué de 22 %. Un programme massif de privatisations est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatique est le rachat d’une partie du port du Pirée par une société chinoise en 2016.

Une purge draconienne

L’inventaire ne serait pas complet si on ne mentionnait pas la situation des retraités, dont les pensions fondent de 15 % du fait de la suppression des 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusqu’alors. L’âge de départ légal passe de 60 à 67 ans. Le régime des fonctionnaires est aligné sur le privé. Ajoutons, pour finir, une véritable chasse au « travail au noir », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.

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La purge est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Retrouver la drachme permettrait en effet de dévaluer fortement et donc mécaniquement de résorber la dette. Mais cette solution, qui aurait mené la Grèce dans l’inconnu, est vite évacuée. La voie, moins risquée, de l’Union européenne est maintenue.

Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire est résorbé dès 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Toutefois il faut patienter encore cinq ans pour qu’Athènes stabilise enfin sa dette, dont le niveau culmine à 207 % du PIB en 2020 – elle s’est repliée à présent en dessous des 160 %.

Le retour de la jeunesse

Derrière les chiffres, il y a les innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, un entrepreneur franco-grec dans l’immobilier, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. « J’ai été presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités faute de pouvoir payer mes employés, se souvient-il. Le pays va mieux, mais clairement ce n’est plus comme avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »

Éprouvé, Nikos n’est pas abattu. Il affiche même un certain optimisme : « On avance, se réjouit-il. Un bon signe, c’est qu’on voit des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe de l’Ouest. »

Le cas grec ne peut que parler aux Français : même tendance aux dépenses accélérées, même dépendance à l’emprunt public, même croyance dans le père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1 % du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays est à l’heure des choix. Au bord du gouffre, nous aurions tout intérêt à nous réformer avant que d’autres ne nous forcent à le faire sans nous donner voix au chapitre. À cet égard, la France a sans doute une leçon grecque à prendre.

Programmes DEI enterrés: Trump passe les wokes à la poêle

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La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi et d'autres membres du Congrès, s'agenouillent et observent une minute de silence au Capitole, le lundi 8 juin 2020 à Washington, lisant les noms de George Floyd et d'autres personnes tuées lors d'interactions avec la police © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA

Les États-Unis ne reconnaîtront désormais plus que deux sexes: masculin et féminin, définis à la naissance. Tout programme fédéral visant à promouvoir la “diversité” est immédiatement abrogé. Le commentaire de Céline Pina.


Si on s’interroge sur ce qui a motivé le vote des Américains pour un personnage aussi caricatural que peut parfois l’être Donald Trump, le décret qu’il vient de signer suspendant les employés fédéraux chargés des programmes de diversité et d’inclusion l’illustre. Là où en France, on peut se gargariser de paroles définitives sur la rupture avec l’Algérie ou sur la suppression des agences gouvernementales aussi pléthoriques qu’en partie inutiles, sans que jamais rien ne bouge, quand Donald Trump annonce ce genre de chose, il met ses déclarations à exécution. Non sans une certaine brutalité.

Fin de la DEI

C’est ainsi que signé mardi, le décret qui marque l’arrêt de fait de la promotion de la diversité, donc de la discrimination positive dans les services de l’État, prend effet dès mercredi. Cette rapidité a pour but de montrer à quel point la lutte contre l’idéologie woke est au cœur de la matrice trumpienne. Trump a compris que le wokisme générait une réaction de rejet anthropologique très forte qui lui a permis d’élargir sa base électorale et d’être crédité d’une forme de rationalité, rendant acceptable sa personnalité explosive. Cela explique l’insistance sur la question de l’existence de deux sexes lors du discours présidentiel. S’il a pu être vécu comme curieux ici, ce passage est pourtant fondamental, il marque le retour affiché d’une forme de bon sens crédité de populaire face aux excès de vertu du puritanisme woke, associé, lui, à un élitisme perverti. Ce retour au réel marque les esprits. Là où la discrimination positive s’est transformée en entreprise de culpabilisation et de mise en accusation des Blancs notamment, Donald Trump, en s’attaquant à cette vision idéologique retourne aux sources d’une Amérique melting pot où n’importe qui peut changer son destin par son travail ou son mérite, et pas parce qu’un groupe ethnique prédéfini et vu comme favorisé le lui devrait au nom de souffrances passées.

Si les excès de ces politiques les avaient rendues difficilement défendables, il n’en reste pas moins qu’il y a chez Donald Trump un mépris palpable pour ceux qu’il considère comme des minorités, ce qui dans sa bouche résonne souvent comme « inférieurs ». Sa façon de considérer les femmes, les homosexuels, les migrants est souvent rabaissante et vulgaire. Il y a une dimension de violence chez le président américain qui interroge, mais c’est aussi cette dimension-là qui le rend crédible. Les peuples occidentaux voient se dresser en face d’eux des dirigeants impérialistes aussi dangereux que déterminés, les Erdogan, Poutine, Xi Jinping remettent au goût du jour la violence politique, la conquête territoriale, l’agression militaire tandis que l’islamisme fanatise une partie des masses musulmanes, chez nous comme ailleurs, remettant en cause notre civilisation.

Part de folie

Dans un tel cadre, qui est crédible quand il s’agit de tordre le bras au Hamas ou de s’opposer à Vladimir Poutine ? Les technocrates qui nous servent de dirigeants ou Donald Trump ? Qui est crédible quand il menace ou négocie, Trump ou Biden ? Qui est capable de tenir un rapport de force dans un monde de plus en plus menaçant ? C’est à cette question-là que les électeurs américains ont répondu. Ils connaissent les limites et la part de folie de Trump, mais s’ils ont mis de côté l’histoire du Capitole, c’est parce que cela les inquiétait moins que le monde fictionnel, délirant et finalement oppressant qu’a fait naitre sur les campus, dans les administrations et les entreprises, l’idéologie woke aux États-Unis. Une idéologie qui se répand justement à travers ces programmes de diversité et qui s’appuie sur la négation du mérite individuel au profit de l’appartenance ethnique. Une politique qui excite le ressentiment et la victimisation puisque c’est au nom d’une oppression subie que sont octroyés des avantages raciaux. Reconnaitre que la situation s’améliore et que l’égalité progresse mettrait fin à ces avantages. La marche vers l’égalité est donc censée être un objectif, mais il est nécessaire que celui-ci ne soit jamais atteint pour préserver l’avantage compétitif que constitue la discrimination positive, ce qui aboutit à entretenir fractures sociales et haine raciale.

Et en France ne direz-vous ? Avons-nous ce type de programme ? Bien sûr, nous ratons rarement l’occasion d’importer ce qu’il y a de pire aux États-Unis chez nous. Nous avons donc ouvert, notamment au sein de l’Université, des petits dominions d’inquisition. Car derrière le joli mot de « diversité », fort peu inclusif au demeurant puisqu’il exclut les blancs, se cache une réalité de mise en accusation de « racisme systémique ». Ce type de service est ainsi censé répondre au racisme inconscient qui régnerait dans la société et les administrations. Il doit donc révéler les intentions cachées derrière les programmes et recrutements, montrer leur dimension raciste et excluante et proposer des mesures. C’est un statut qui peut assez rapidement donner lieu à des comportements de commissaire politique et à une prise de pouvoir au sein des Conseils d’administration. Cette prise de pouvoir se faisant par le biais de la morale et de la lutte anti-raciste, je souhaite bien du courage à ceux qui voudraient la combattre.

En France, une autre menace

Mais chez nous, derrière ces programmes se profile une réalité bien plus inquiétante que le wokisme, il s’agit de l’islamisme. Les woke ne sont qu’un cheval de Troie pour eux. Ce qui les intéresse derrière le discours sur le racisme systémique, c’est la critique absolue de la civilisation occidentale présentée comme un leurre : si elle a échoué à combattre le racisme, c’est parce que cette société l’est par nature et ne peut s’en guérir. Elle peut juste faire pénitence, renoncer à ce qu’elle est, se convertir… C’est dans cette faille que s’engouffre l’islamisme, expliquant aux musulmans qu’ils ne peuvent rien attendre d’une telle société car elle ne peut s’améliorer qu’en s’autodétruisant. Cela explique pourquoi les conférences militantes sur l’islamophobie, qui font régulièrement scandale à l’université, sont souvent associées aux programmes d’inclusion et de diversité. Il s’agit ici de faire valider scientifiquement un discours sur la persécution des musulmans et l’islamophobie régnant en Europe. Cela paralyse l’action des pouvoirs publics, incités à donner des gages aux islamistes en espérant rallier les musulmans et enferme des populations ghettoïsées dans un discours de haine qui ne les aide pas à trouver leur place et donc leur semble confirmer la lecture très sombre des islamistes.

Alors gagnerions-nous à nous attaquer également à ces programmes ? Probablement lorsqu’ils sont fondés sur des bases raciales ou confessionnelles. En revanche, le travail sur l’égalité, lui, n’est pas terminé et la question de la prise en compte du handicap, de la maladie et des inégalités persistantes selon le sexe ou la pratique sexuelle ne méritent pas d’être abandonnées. Quant aux agences gouvernementales, qui réussissent souvent à être aussi inutiles que dispendieuses, un grand ménage doit être fait, mais un peu de discernement ne nuit pas. Si la suppression du Pass culture ou du Défenseur des droits serait un plus, la disparition de l’Autorité de Sûreté Nucléaire serait plus discutable, par exemple.

Mais la question ne se pose pas, un pouvoir sans majorité n’a probablement pas la puissance requise pour s’attaquer à des dossiers aussi explosifs politiquement. Un pouvoir faible se caractérise par son impuissance, c’est exactement l’inverse qu’a montré Donald Trump en mettant en scène la signature de ces décrets qui font tant parler.

Procès Le Pen, Me Bosselut fait front

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Marine Le Pen et Me Bosselut se rendent au tribunal judiciaire de Paris dans le cadre du procès des assistants parlementaires du RN, 16 octobre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Marine Le Pen sera-t-elle déclarée inéligible le 31 mars, comme le demande le parquet de Paris ? Son avocat, Rodolphe Bosselut, qui est aussi celui de Causeur, a de solides arguments pour s’opposer à cette réquisition aux conséquences politiques majeures.


De l’aveu même de Franck Johannès, qui couvre l’affaire pour Le Monde, il a « fait son travail ». Ce qui, dans les colonnes d’un journal aussi hostile, est un sacré compliment… Le 27 novembre dernier, au tribunal judiciaire de Paris, Rodolphe Bosselut, l’avocat de Marine Le Pen, a clos le procès « des assistants du FN » par une plaidoirie de haut vol.

« Marine Le Pen est venue comme celles et ceux qui sont convaincus d’être innocents, c’est sa force », a lancé le Perpignanais aux juges en guise d’introduction d’un exposé de plus de trois heures, où, d’un air calme et résolu, il a plaidé la relaxe, sans haussement de ton ni effets de manche, si ce n’est pour décocher par moments quelques traits d’esprit, par exemple lorsqu’il a demandé qu’on ne « découpe pas Marine Le Pen en plusieurs morceaux, déjà que certains ne la supportent pas d’un seul tenant ! »

Jamais ce quinquagénaire au physique de deuxième ligne de rugby, ancien secrétaire de la Conférence du stage, n’avait parlé d’une seule traite si longtemps devant des magistrats de droit commun. Il faut dire que le dossier, auquel il a consacré presque tout son agenda pendant deux mois, naviguant entre le Palais et son cabinet de la porte Maillot à Paris, est d’une grande complexité. Et que la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale risque gros, très gros. Le parquet a non seulement requis cinq ans de prison dont deux ferme, 300 000 euros d’amende et une inéligibilité de cinq ans, mais en plus demandé que la peine, même en cas d’appel, soit appliquée immédiatement – ce qu’on appelle « l’exécution provisoire ».

Rodolphe Bosselut connaît Marine Le Pen depuis l’époque où elle exerçait, comme lui, la profession d’avocate à Paris dans les années 1990. « Nous nous sommes rencontrés par hasard sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle, a-t-il confié durant sa plaidoirie. Je l’ai trouvée brillante, humaine, drôle, loin du personnage manichéen construit par ses adversaires. »

Mais au-delà de ses protestations d’amitié, et de son absence d’engagement au Rassemblement national, qui lui confère une distance politique bienvenue, cet avocat discret et respecté par ses pairs a sans doute été choisi par la députée du Pas-de-Calais pour sa redoutable efficacité, lui qui peut s’enorgueillir d’avoir brillamment gagné le précédent procès dans lequel il l’a défendue, celui des « tweets sur Daech ».

Une pratique parlementaire, somme toute, banale

L’affaire remonte à 2015. Après avoir diffusé sur le Web des photos d’exécutions de l’État islamique – évidemment dans l’intention de les dénoncer –, Marine Le Pen est alors accusée par le parquet de Nanterre, au prétexte d’un article du Code pénal hors de propos (puisque traitant de l’outrage aux bonnes mœurs !), d’avoir porté « gravement atteinte à la dignité humaine ».

En 2021, à l’issue d’une procédure ubuesque, durant laquelle les enquêteurs ont demandé l’expertise psychiatrique de l’élue, Bosselut parvient non seulement à démontrer l’innocence de sa cliente, mais également à faire reconnaître par les juges la « vocation informative » des publications incriminées, ainsi que leur « démarche de protestation politique » et leur « contribution au débat public ». Face à un tel camouflet, le ministère public ne se donne pas le ridicule de faire appel.

À lire aussi, Céline Dupuis : Marine Le Pen au procès des assistants parlementaires FN: «J’ai donné ma vie à la vie politique»

Retour trois ans plus tard, dans la grande salle Victor-Hugo du tribunal judiciaire de Paris. Près de l’entrée, les bancs affectés à la presse sont pleins à craquer. Au premier rang, Marine Le Pen, assise à côté des autres prévenus, dont Julien Odoul, Nicolas Bay et Louis Aliot, fait face aux juges. Depuis le début du procès, elle a assisté quasiment tous les jours aux audiences. Juste derrière elle, plusieurs poids lourds du parti sont venus la soutenir, notamment Steeve Briois, Edwige Diaz et Sébastien Chenu.

À la barre, Bosselut entre maintenant dans le vif du sujet. « La pratique parlementaire de ma cliente était banale, partagée par tous les partis équivalents et exempte de toute intention frauduleuse », avance-t-il.

Travail parlementaire et militantisme

Rappelons qu’il est reproché à Marine Le Pen et à sa formation (à l’époque le Front national) d’avoir employé, aux frais du contribuable et pendant plusieurs années, des assistants au Parlement européen, qui, au lieu de l’activité prévue dans leur contrat de travail, œuvraient en fait pour le parti. Seulement, aux yeux de Bosselut, ce manquement aux règles, qui n’a occasionné aucun enrichissement personnel, ne devrait donner lieu qu’à un rappel à l’ordre des contrevenants et un remboursement de l’institution lésée.

Car sur le fond, estime l’avocat, si les électeurs envoient à Strasbourg des candidats du parti de Marine Le Pen, c’est pour y faire résonner les idées dudit parti. Dès lors, le mélange des genres entre travail parlementaire et travail militant, si fautif soit-il sur le papier, ne représente pas en réalité une atteinte grave à la loi. « Il n’y a eu aucune volonté de détourner des fonds, mais celle de faire de la politique », soutient l’avocat.

Seulement, on sait déjà que la justice ne voit pas les choses ainsi. En février dernier, divers cadres du Modem ont été condamnés en correctionnelle dans une affaire très similaire. C’est d’ailleurs parce que le RN avait fait remarquer l’existence, dans le parti de François Bayrou, de comportements s’apparentant aux siens que ce procès a eu lieu. Ce qui fait dire à Bosselut que le Modem est une « victime collatérale », et le RN le « plat principal » d’une offensive judiciaire aux arrière-pensées politiques.

Durant le réquisitoire, l’une des procureures, Louise Neyton, n’a-t-elle pas lâché, au sujet du prévenu Jean-François Jalkh, cette remarque confondante : « Je ne vous demande pas la relaxe, car ça me ferait trop mal » ? Difficile, après avoir entendu cela, de croire à la parfaite impartialité du ministère public.

Difficile non plus de ne pas entendre Rodophe Bosselut quand il s’émeut de « l’incroyable sévérité » des peines demandées par l’accusation. À commencer par la peine « d’inéligibilité obligatoire ». De quoi s’agit-il ? Lors de son réquisitoire, le parquet a indiqué que, si la députée du Pas-de-Calais était reconnue coupable, elle devrait automatiquement être déclarée inéligible, en vertu de la loi Sapin 2 de 2016, qui a rendu systématique cet assortiment de peine. Problème : d’après Bosselut, ce texte ne peut être appliqué en l’espèce, car les infractions reprochées à Marine Le Pen lui sont antérieures.

Le scandale de l’exécution provisoire

Pour justifier sa lecture chronologique alternative, l’avocat affirme qu’il convient de se borner aux dates des contrats de travail litigieux. Alors que les procureurs, eux, tiennent compte d’un calendrier plus extensif, « artificiel » selon Bosselut, qui intègre notamment les régularisations administratives ultérieurement opérées par les services du Parlement européen.

Reconnaissons-le, ce débat technique est difficile à trancher quand on n’a pas un bac + 8 en droit. En attendant, on trouvera raisonnable l’argument de Bosselut qui, sans nier les écarts commis par sa cliente, réclame que ceux-ci soient sanctionnés par des peines intégralement motivées, même celle d’inéligibilité. « Cela supposerait une démarche positive de votre part, cingle-t-il. Pas simplement une attitude ponce-pilatesque. »

Autre réquisition du parquet énergiquement combattue par Bosselut : l’exécution provisoire. Pour l’avocat, elle est doublement scandaleuse. Premièrement parce qu’elle pose un problème politique évident. Imaginons que Marine Le Pen soit condamnée en première instance dans quelques semaines, mais acquittée en appel dans quelques années. Un scénario devient alors possible, celui qu’une innocente en puissance soit empêchée de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Le cas échéant, le préjudice serait irréparable – non seulement pour la principale intéressée, mais aussi pour la démocratie.

Mais Bosselut a une seconde objection, plus juridique, méritant également d’être mentionnée ici, car elle laisse envisager d’éventuels développements de l’affaire auprès de plus hautes juridictions. « Pour un élu, explique-t-il, il n’existe aucun recours contre l’exécution provisoire elle-même, aucune possibilité de suspension, d’arrêt, de relèvement, etc. C’est une violation du principe d’égalité devant la justice et également du droit d’accès au juge garanti par l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’homme. » À l’heure où Nicolas Sarkozy, condamné à une peine infamante dans l’affaire « des écoutes », saisit la justice européenne pour « obtenir la garantie des droits que les juges français lui ont déniée », la cour strasbourgeoise pourrait paradoxalement être le dernier recours face aux abus d’une justice française parfois trop inspirée par les coupeurs de tête de l’an I et leur haine capricieuse des autres pouvoirs établis.

La décision des juges sera connue le 31 mars prochain. La procureure Neyton, à qui l’idée de ne pas punir Jean-François Jalkh « fait trop mal », sera-t-elle présente ce jour-là au tribunal judiciaire ? Curieusement, elle ne l’était pas lors de la plaidoirie de Rodolphe Bosselut, et on nous a fait savoir au palais qu’elle ne répond plus aux e-mails depuis quelques semaines. Peut-être médite-t-elle cette phrase de Chamfort: « La justice des hommes est toujours une forme de pouvoir. »

Remarquable Médée

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Liam Francis interprète Jason et Anna Kay Gale est Persephone dans "Ruination" © Camilla Green

Doté d’un sens dramatique exceptionnel, d’un humour corrosif mêlant danse, théâtre et musique avec un instinct sûr, l’Anglais Ben Duke relit avec talent et perspicacité le mythe de Jason et Médée. Un spectacle d’une rare intelligence théâtrale.


Avec Ruination : The True Story of Medea (Perte : la vraie histoire de Médée), Ben Duke prend vaillamment la défense de Médée en tordant le cou à la mythologie. Chez cet auteur du XXIe siècle, la magicienne de Colchide s’est effacée pour devenir victime. Victime du narcissisme masculin de Jason, de son opportunisme et de sa trahison quand il n’hésite pas à délaisser la mère de ses deux fils pour une alliance plus avantageuse. Victime aussi de sa légende, de la vox populi qui la juge sans songer à comprendre ce à quoi elle était confrontée.

On est aux enfers. Le corps de Jason gît sous un suaire et Hadès, maître des lieux, et qui tient à ce qu’on le sache, prend la pose, fait de l’esprit de comptoir, tout en commentant, en balletomane qui se pense avisé, une variation de la Fée Dragée dans le ballet Casse-Noisette, apparaissant côté cour sur des écrans. Un Hadès tout nu sous un long tutu transparent, ce qui n’est pas du tout recommandable quand on est le dieu des Enfers, et qui va de surcroît s’affubler d’un tutu rose autour du cou. Eu un mot : une folle tordue.

Intelligent

Jason qui sort de sa torpeur en explosant dans un solo aussi acrobatique qu’éblouissant, Jason est furieux de se trouver là. Et tout aussitôt, Médée déboule en catastrophe pour se voir coller sur le dos un procès pour assassinats. Un vieux squelette affublé d’une perruque de magistrat anglais fera office de juge. Et Proserpine (Perséphone), qui en connaît long sur le sort fait aux femmes dans la mythologie, décide de se muer en avocate militante de Médée, avec pour argument majeur que si Jason s’était mieux comporté, aucun des meurtres attribués à son épouse ne serait survenu.

Le tout est illustré par des scènes qui défilent à un rythme infernal, sur un mode à la fois grave et loufoque, et où le meilleur théâtre s’entrecroise avec les chorégraphies et des prestations musicales ou chantées d’un savoureux éclectisme. Décor dépouillé, lumières savantes, mise en scène époustouflante, chorégraphies d’une théâtralité étonnante, tout convainc dans ce spectacle, intelligemment comique, plein de sens, jamais gratuit.

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En puisant dans la mythologie grecque, dans un répertoire musical survolant les siècles, Ben Duke nous permet d’échapper à l’effroyable galimatias dont nous abreuvent les hordes de chorégraphes qui sévissent sur la scène contemporaine, se prennent pour des penseurs et traînent à leur suite les « concepts » fumeux et les innombrables clichés qui polluent des ouvrages sans intérêt aucun.

Lui déploie un talent scénique qui porte de bout en bout un spectacle éblouissant d’intelligence, de séduction et de trouvailles qui vous enchantent. Et qui fait irrémédiablement penser à l’esprit d’Offenbach et de ses librettistes.

Interprétation exceptionnelle

Et puis, il y a les interprètes. Comme souvent, quand un spectacle est exceptionnel, les artistes qui le servent le sont également, ayant été choisis avec flair et dirigés de façon à extraire d’eux la plus substantifique moelle. Et ils sont magnifiques dans leur réjouissante diversité, heureuse compagnie de jeunes talents venus de tous horizons géographiques et artistiques et n’étant surtout pas là pour obéir à quelque idéologie « politiquement correcte ».

Miguel Altunaga et Liam Francis

Le Français Jean-Daniel Broussé incarne ce Hadès cité plus haut avec un chic gouailleur et un humour malicieux qui mettent en joie. Lui répondent la noblesse et la beauté d’Anna-Kay Gayle, somptueuse en Proserpine féministe, métamorphosée le temps d’une scène forte en Déméter pleurant sa fille enlevée par Hadès. Le Jason de Liam Francis est proprement fascinant, d’une sensualité torride qu’il déploie avec un cynisme déroutant pour embobiner aussi bien Médée que Glaucé (Créüse) quand il convoite leur alliance. Quant au perfide Aétès, roi de Colchide, il est incarné par le Cubain Miguel Altunaga, désormais sujet anglais, mais dont la fougue chaleureuse qui se déploie dans ses divers rôles provient évidemment des Antilles.

Deux blondes anglo-saxonnes, Maya Caroll et Hannah Shepherds, incarnent les figures de Médée et de Glaucé avec une certaine retenue qui n’exclut pas la passion. Tous assumant fugitivement d’autres personnages avec une fluidité qui force l’admiration.

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À eux s’ajoutent une pianiste et deux chanteurs dont les qualités confèrent au spectacle une élégance supplémentaire. Et Sheree DuBois, Yshani Perinpanayagam et Keith Pun incarnent aussi, à eux trois, cette réjouissante mêlée de talents de tous horizons.

Dans ce spectacle, ce qui force l’admiration, c’est l’humilité autant que les qualités du concepteur et de ses interprètes. Pas d’esbroufe, pas de ce pseudo-intellectualisme d’impuissants qui fait des ravages sur la scène française.

Mais des références qui dénotent une culture solide, des inventions qui trahissent un vrai sens du théâtre, une gestuelle inventive propre à traduire un mythe. Bref, du talent, un authentique talent d’artistes qui sont là pour servir leur art et non leurs personnes.

Un seul grand regret : que le spectacle ne soit pas représenté sur une plus longue durée. Car le bouche-à-oreilles lui assurerait un public considérable durant de longs jours.


Ruination : The True Story of Medea
Mise en scène et chorégraphie de Ben Duke.
Coproduction de la Compagnie Lost Dog et du Royal Ballet.
Les 23 et 24 janvier à 20h. Le 25 à 15h et 20h, le 26 à 15h 
Théâtre des Abbesses (Théâtre de la Ville) https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-24-25/danse/ben-duke-ruination-the-true-story-of-medea

Entre espoirs et comptabilité macabre: le dilemme israélien

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Romi Gonen (24 ans), Emily Damari (28), et Doron Steinbrecher (31), libérées par le Hamas le 19 janvier © UPI/Newscom/SIPA

Israël / Gaza : il est particulièrement obscène de parler d’ « échanges de prisonniers » au Proche-Orient. En effet, les islamistes du Hamas vont jusqu’à marchander les corps de leurs anciens otages israéliens.


Romi Gonen, Emily Damari et Doron Steinbrecher, tout le monde connait désormais au moins le prénom ou le visage de ces trois jeunes femmes sorties des griffes du Hamas. Qui n’envisage pas avec angoisse et espoir ces longues six semaines à l’issue desquelles, si la première phase de l’accord se déroule comme prévu, 33 otages, trois ou quatre chaque semaine, reviendront chez les leurs ? Et parmi eux, combien dans des linceuls ? Car pour le Hamas, un cadavre israélien aussi a sa valeur d’échange.

Israël, un pays qui n’abandonne jamais ses morts

Le sergent Oron Shaul, tué il y a dix ans à Gaza, retrouvé par Tsahal, vient d’être enterré près de son père, qui pendant des mois avait fait le siège du Premier ministre à Jérusalem pour réclamer le retour du corps de son fils. Mission accomplie, mais le président Isaac Herzog et l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz sont venus au cimetière demander pardon à la famille pour le retard.

Un Etat qui n’abandonne pas ses morts ne peut pas abandonner ses vivants.

C’est le « Pikuach nefesh », la préservation de la vie, auquel fait écho l’expression  « lehaïm » signifiant « à la vie ». Cette prééminence a entrainé en 2011 l’échange de 1207 prisonniers palestiniens contre un seul prisonnier israélien, Gilad Shalit. Il est obscène aujourd’hui de parler d’échange de prisonniers. C’est un échange d’otages contre des prisonniers, près de 2000 à l’issue de la première phase. Parmi eux, 700 détenus dans les prisons israéliennes pour terrorisme, dont certains assassins condamnés à perpétuité.

Chacun sait que Yahya Sinwar était l’un des  1207 prisonniers et nul n’ignore que beaucoup des détenus libérés seront mêlés à d’autres actes terroristes. Les relâcher, auréolés de leurs années de prison, est une décision lourde de menaces. Romi, Emily et Doron n’iront pas tuer des Palestiniens pour se venger. Parmi les 90 prisonniers échangés contre elles, il n’en est pas de même, si on en croit leurs déclarations devant la foule enthousiaste de Ramallah. Et encore, ce premier groupe est celui des moins lourdement condamnés…

Ce scandale moral révulse beaucoup d’Israéliens, sans compter les familles des victimes d’attentats terroristes qui vont voir les assassins parader. Dans le décompte entre quelques dizaines d’otages à récupérer et les catastrophes que peuvent provoquer les terroristes libérés, le décalage parait accablant. Et un échange pareil confirme que la prise d’otages est un business profitable, à répéter dès que possible…

Précédents

Revient le passé, quand Israël refusait de négocier avec les auteurs de piraterie aérienne, et le souvenir du Raid d’Entebbe[1] dont le héros a été Yoni Netanyahou, sur une décision prise par Yitzhak Rabin, un travailliste. 

Ben Gvir a démissionné. Smotrich, qui ne l’a pas fait, attaque violemment l’accord. Beaucoup vilipendent Netanyahou pour s’être laissé tordre le bras afin de complaire à Trump la veille de son investiture. Ils considèrent donc qu’il fallait entrer immédiatement en conflit avec un président américain particulièrement amical envers Israël et dont le soutien est vital pour le pays, et qu’il fallait affronter en même temps les 75% d’Israéliens – dont la hiérarchie militaire – qui estiment que le retour des otages est une exigence prioritaire. Quant à penser qu’en acceptant l’accord, Netanyahou met en danger la sécurité du pays, on peut se dire que si celle-ci dépend de la libération de 1000 ou 2000 Palestiniens, alors Israël serait détruit depuis longtemps, tant les terroristes potentiels sont nombreux chez ses ennemis.

S’appuyer sur l’intransigeance du passé est futile. Dans les années 70, Israël ne devait pas céder aux pirates aériens car cela aurait été un terrible appel à la récidive, alors que le trafic n’était pas sécurisé comme aujourd’hui. La manière forte n’a pas toujours réussi: à Maalot, en 1974, l’intervention israélienne a entrainé l’assassinat de 22 enfants par les trois membres du commando FDLP[2].

De là ont résulté des renforcements majeurs des moyens de protection. L’engagement implicite sur lequel se fonde l’existence de l’Etat d’Israël, offrir un abri aux Juifs du monde entier, a pu ainsi être respecté. C’est cet engagement, mis à mal le 7-Octobre 2023, que Israël a dû rendre de nouveau crédible: pour cela il lui fallait détruire le Hamas et ramener les otages.

Le Hamas promet de recommencer

Le Hamas n’est pas détruit, mais il est très affaibli. Méfions-nous des photos trafiquées censées représenter une marée humaine de combattants victorieux sur la place de Gaza, mais écoutons bien les rodomontades du nouveau chef du Hamas, Khalil al-Hayya, qui salue la grande victoire et promet des récidives.

L’armée n’a pas pu libérer les otages, mais la négociation s’est faite dans de meilleures conditions pour Israël qu’il y a huit mois, car la guerre a considérablement affaibli les soutiens du Hamas, le Hezbollah et l’Iran, en même temps que vient au pouvoir une administration américaine apparemment moins frileuse contre le danger existentiel que pose le régime iranien. Cette fois-ci, le Hamas, malgré ses efforts, donnera difficilement le change.

C’est pourquoi je me réjouis du retour des otages, même si je sais que nous ne les reverrons pas tous et même si ces accords ne signifient pas la paix, contrairement aux vœux, pieux ou non, émis avec légèreté par ceux qui ne veulent pas admettre qu’une paix avec le Hamas n’est pas possible. 

L’accord peut être rompu à tout moment. De dramatiques surprises sont possibles. Une explosion orchestrée par le Hamas peut survenir en Cisjordanie. 

Plus encore, la deuxième phase sera extraordinairement difficile car dans la comptabilité macabre du Hamas, la valeur d’échange des otages (notamment les soldats) y sera encore plus élevée. En attendant, admirons l’exemple que donne Emily Damari, avec son sourire et ses doigts amputés, un magnifique message d’énergie et d’amour de la vie.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Raid_d%27Entebbe

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Ma’alot

Critique de la raison pure

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Le président français à Paris, le 22 janvier 2025 © Eliot Blondet -Pool/SIPA

Pour affronter ses véritables défis, la société française aurait besoin de la force mobilisatrice et de l’audace d’un Trump. Les discours tièdes et raisonnables sont passés de mode


Je sais, le titre est pris. Par un certain Emmanuel. Non pas celui auquel on peut penser mais un autre philosophe de très haute volée, Emmanuel Kant (1724-1804). À celui-ci, on doit de profondes pensées dont la difficulté de compréhension ne le cède en rien à certains passages des exposés de l’autre Emmanuel, celui auquel je faisais précédemment allusion. À cet autre, on doit aussi, paraît-il, l’invention du fixe chaussettes. Le petit dispositif grâce à quoi il pouvait maintenir ses bas – l’époque était aux bas masculins – à hauteur de cuisses, les empêchant ainsi de tirebouchonner sur les chevilles. Rien de plus disgracieux et de plus désordonné pour un esprit aussi méthodique et rigoureux que le sien. On devrait donc deux révolutions à ce penseur : l’une dans l’approche de la philosophie – il y a l’avant Kant et il y a l’après-Kant – l’autre dans le port du bas de soie. On ne saurait dire laquelle a été le plus utile à ses contemporains…

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Cependant, la raison pure dont il s’agit dans ces modestes lignes est autre. C’est la raison terriblement raisonnable des prises de parole à l’eau tiède dont on nous abreuve chez nous, dans le genre « discours de politique générale », voyez-vous. En fait, ce que nous avons pu constater avec la harangue d’investiture de Donald Trump est tout simplement que, si l’on entend exalter les foules, un brin de déraisonnable, de démesure semble s’imposer. Le 47ème président US nous a en effet livré un discours du type « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », pour reprendre les mots forts et diablement motivants du citoyen Danton en son temps. C’était avant Valmy. La période oratoire en fait tient en ces mots : « Le tocsin qui va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France sera sauvée. » En l’occurrence, elle le fut. Aujourd’hui aussi, la patrie a ses ennemis : la multinationale de la came, les négriers de l’immigration clandestine, les spéculateurs de tout poil qui se gavent au chevet de notre agonie financière, etc. etc. Pour les vaincre, nul doute qu’il faudra de l’audace grand format, et pour nous emporter d’enthousiasme dans cette croisade, nous autres citoyens, autre chose que du verbiage englué dans la molle soumission au raisonnablement faisable. Un Lacan ou un Barthe un peu fatigués ne soupçonneraient-ils pas, par exemple, derrière ces interminables péroraisons, débats et conclaves sur les retraites, un avatar sémantique, un aveu inconscient du refus d’affronter les vraies et dures réalités ? Bref, un masque, ou une mascarade au choix, derrière quoi dissimuler l’autre retraite, celle face aux ennemis, aux menaces pourtant si visibles évoqués plus haut.

Le tocsin sonne pourtant depuis assez longtemps à présent. Il serait temps que la puissance d’État lui prête l’oreille et donne de la voix façon Danton pour rameuter les troupes. Ce serait, à soi seule, une première audace. On l’attend.

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Valérie André: « Panthéon subito ! »

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La générale Valérie André, 1976 © ALEXANDRE XYZ/SIPA

Il y a une vingtaine d’années, à l’Arc de Triomphe, l’établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), détenteur de millions de photographies des engagements de l’Armée française, exposait une centaine d’entre elles sur un thème alors inédit des « Femmes dans la guerre ». Tantôt victimes, tantôt soutien moral, tantôt actrices à l’arrière du front, la figure de la combattante française n’a surgi sur des théâtres d’opération qu’au milieu du XXe siècle. D’abord employées dans des services, au risque de leur vie, telles ces six ambulancières tuées durant la Campagne d’Italie en 1944, les Françaises accédèrent progressivement à tous les grades et à toutes les fonctions des armées modernes. Beaucoup ignorent qu’elles le doivent en partie à l’une d’entre elles, la plus décorée, devenue première à être nommée Général en 1978 : Valérie André, qui vient de disparaître à l’âge de 102 ans.

Acceptant de bonne grâce, lors de l’inauguration de cette exposition, de raviver la flamme du Soldat inconnu, elle nous apparut trait pour trait telle que le quotidien Paris-Presse à son retour de la guerre d’Indochine la décrivait : « une femme élégante, aimable et d’une parfaite simplicité », devenue héroïne au point d’être croquée dans des B.D. d’action par un certain Uderzo (Magazine Les Bonnes soirées, 1954). Ce premier médecin militaire féminin fut pionnier aussi dans l’évacuation des blessés par la voie des airs, parfois, il faut le dire, de manière miraculeuse dans des postes reculés encerclés par les « Viets ». Là-bas, elle était « la femme descendue du ciel » pour les populations civiles avoisinantes des postes militaires qu’elle soignait comme elle pouvait. D’une apparence fluette dans sa combinaison retaillée de l’Armée de l’Air, coiffée de son chapeau de brousse, par son air calme et résolu, Valérie André savait donner confiance à son entourage. Sans l’avoir recherché, ses exploits allaient faire d’elle une légende.

Elle n’en faisait pas grand cas croyant humblement à la baraka, « comme une amie fidèle, … Une présence mystérieuse qu’il faut savoir capter, ne jamais refuser. » (Madame le Général, V. André). Pouvait-il en être autrement à bord de son petit hélicoptère Hiller, véritable proie désarmée, livrée au feu des mortiers et des mitrailleuses ennemis tandis que l’on hissait les blessés à son bord ? Les risques techniques de ce nouveau « ventilo », popularisé plus tard par les films de James Bond et de Fantômas, étaient des plus sérieux. Il pouvait chuter à cause d’une trop lourde charge ou bien se mettre à tourner comme une toupie, avec pour issue fatale l’explosion provoquée par une forte présence de magnésium dans l’appareil.

L’officier et romancier à succès (Les Ceinturions) Jean Lartéguy, dit d’elle dans la préface de son autobiographie qu’elle « était un mélange… de volonté farouche et de douceur ».  Volontaire pour quoi ?

Volontaire d’abord à 18 ans pour s’enfuir d’Alsace, et se cacher de la Gestapo afin de poursuivre ses études de médecine durant la guerre. Volontaire aussi, dans l’après-guerre pour rejoindre durant cinq années l’Indochine la « dernière épopée romantique des temps modernes » (Lucien Bodard) où la France livra avec des moyens restreints un combat aussi vaillant que sans issue, trop souvent ignoré ou dénigré en métropole.

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Volontaire également pour devenir tout à la fois pilote, parachutiste et médecin militaire de guerre, alors que l’exercice de chacune de ces fonctions par une femme était à l’époque une incongruité. Toujours volontaire pour les missions dangereuses, sauter en parachute dans le Haut Laos sur un poste isolé afin de sauver un blessé, installer des petits postes de secours dans des détachements, et surtout ramener 165 blessés sur 129 vols dans des paniers fixés à sa « libellule mécanique ». Et enfin, de nouveau volontaire pour retourner, selon ses mots d’ordre, « combattre et sauver » en Algérie, où elle resta cinq ans pilotant notamment un Sikorski H34.

Un tel parcours, exceptionnel pour un militaire, devient extraordinaire s’agissant d’une femme, dont l’intraitable volonté semble animée par deux forces, l’une d’ordre moral, l’autre passionnel.

Valérie André avait d’abord cette vocation admirable de soigner et de soulager les blessés, celle des chirurgiens de guerre et de ces médecins « de l’avant » pratiquant dans des milieux hostiles, entre le stress du danger et le manque de moyens tout en devant gérer le volet logistique des évacuations sanitaires. C’est d’ailleurs tout à son honneur qu’elle soigna aussi les blessés ennemis, tandis que les conditions de détention de nos militaires prisonniers du Vietminh étaient d’une grande cruauté.

La passion de voler était le second ressort profond de sa détermination. C’est le rêve d’une petite fille dont les idoles s’appellent Hélène Boucher, Maryse Bastié ou l’Alsacienne Hilsz atterrissant à l’aérodrome de Strasbourg et derrière laquelle elle court pour lui offrir un bouquet. Plus tard au Tonkin, elle tombera amoureuse de l’hélicoptère, avec laquelle elle fit corps et qui lui offrit un « balcon volant » sur les splendides paysages d’Indochine. Enfin, elle pourra assouvir cette passion aérienne au Centre d’essai de Brétigny aux côtés de Jacqueline Auriol en participant à différents vols expérimentaux, montrant que sa capacité d’expertise comme pilote n’avait d’égal que celle qu’elle avait mise en œuvre en tant que chirurgien de guerre.

Évidemment le nom de Valérie André, peut évoquer aujourd’hui des combats plus feutrés qu’elle mena au sein de l’institution militaire (en particulier comme présidente d’une « commission d’études prospectives pour la femme militaire » au début des années quatre-vingt) afin d’ouvrir aux Françaises qui en étaient aptes toutes les portes, y compris les verrières des cockpits d’avions de chasse.

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Tout ce qu’elle fit pour promouvoir les femmes dans les armées n’a évidemment rien de commun avec un néo-féminisme agressif, diviseur et extrémiste. Elle usait de détermination, nullement de provocation, même si elle savait manier l’humour : en 1948, au général commandant les troupes aéroportées qui s’inquiétait malicieusement de la gêne occasionnée par le harnachement à sa poitrine, elle rétorqua : « Je suis moins gênée que vous ne pourriez l’être un peu plus bas, avec les cuissards du harnais du parachute ». Faisant preuve d’une belle opiniâtreté avec ses chefs, elle leur démontrait non seulement l’utilité d’être à la fois pilote et médecin, mais surtout la capacité pour une femme d’être l’un et l’autre.

Elle agissait en faveur de l’intégration des femmes dans l’Armée avec un esprit d’union, non de division, ni de revanche vis-à-vis des hommes, car elle savait tout ce qu’elle devait à ses camarades masculins, au soutien opérationnel et technique de ses copains au premier rang desquels son chef et futur époux Alexis Santini (oncle d’André Santini), un as des hélicos, mais aussi de ses anges gardiens de l’aviation de chasse, qui tentaient de la couvrir lors de ses missions dangereuses en Indochine.

L’itinéraire du Général Valérie André illustre la complexité de ces conflits d’après-guerre, dont elle partagea les cicatrices avec ces compagnons d’armes et qu’elle traversa autant avec une compassion envers les populations souffrant de la guerre et du terrorisme aveugle, qu’une lucidité sur les ravages d’un double discours. Elle est aussi emblématique d’une mutation des armées, qui, si elles se technicisent, doivent continuer à rester des forces humaines soucieuses d’un fort engagement moral qu’elle s’imposait : « Servir dans l’armée impose un désintéressement total, un esprit de dévouement, un sens de la solidarité constant ».

Après des choix nationaux de scientifique, de ministre, de résistantes, voire d’artiste, si l’on cherche des Françaises à « panthéoniser », ne peut-on se retourner vers cette militaire, exemple de vitalité et de fierté nationale pour les générations à venir, à commencer évidemment par les jeunes femmes ? Ne peut-on préférer cette patriote qui, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la Guerre froide, symbolise cette génération de combattants qui ont vu la France à terre dans leur jeunesse et se sont engagés pour la relever ?

À la manière des catholiques clamant en italien, place Saint-Pierre, la canonisation immédiate d’une personne décédée, devrait-on légitimement réclamer pour Valérie André : « Pantheon subito ! »

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Don Giovanni en version concert au TCE: Cyrille Dubois sublime en Don Ottavio

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Le ténor français Cyrille Dubois © Philippe Delval

Dégraissés de tout décor et sertis dans une simple épure scénographique, les opéras en version concert régulièrement programmés au Théâtre des Champs-Élysées (TCE) sont, pour l’amateur de lyrique, l’opportunité de réviser ses classiques, bruts de décoffrage en quelque sorte, mais dans des formations inédites, toujours de très haute tenue. C’était encore le cas ce 20 janvier, avec un Don Giovanni d’exception, servi dans la mouture originelle pragoise (antérieure à la viennoise), et porté au sommet par l’Orchestre et chœur Les Ambassadeurs – La Grande écurie, gardien comme l’on sait, dans le sillage creusé jadis par Jean-Claude Malgoire, d’une authenticité contextuelle et grammaticale que sanctionne l’interprétation sur instruments d’époque. 

En mars prochain, à l’Auditorium de la Maison de Radio France, on retrouvera ces « ambassadeurs » –  du baroque en particulier – pour un Dardanus de Rameau revisité dans l’ultime version, inédite, de la partition, millésimée 1744. Mais auparavant, dès la mi-février, le TCE nous promet un Persée, de Lully, œuvre de 1682, sous les auspices du Concert spirituel – au pupitre, son émérite fondateur Hervé Niquet – et du Centre de musique baroque de Versailles. 

Pour revenir au Don Giovanni de ce lundi, sans offense il se pourrait que l’auditeur ait gagné au change avec la défection de Léo Vermot-Desroches, souffrant, qu’on attendait en Don Ottavio, et que le ténor Cyrille Dubois a pris le risque de remplacer au pied levé, partition en main – il est vrai qu’il avait merveilleusement chanté le rôle à l’Opéra de Paris fin 2023.  Toujours est-il que, d’une amplitude qui le mène sans faillir de Haendel à Britten en passant par le vaste spectre du bel canto, sans compter le champ largement labourable encore de la mélodie française, le répertoire de Cyrille Dubois est d’une stupéfiante richesse. En novembre dernier, toujours au TCE, et déjà dans une production Les Grandes Voix comme pour le Mozart qui nous occupe ici, il endossait pour la première fois le rôle-titre du Comte Ory (Rossini) avec une maestria vocale assortie d’une présence scénique impeccable, pleine de drôlerie. C’était encore le cas cette semaine : vibrato serré, timbre d’une délicatesse, d’une musicalité sans pareilles. À ses côtés, dans le rôle-titre, le baryton vertigineusement expressif Florian Sempey ; l’autre baryton, Thomas Dolié, en Leporello d’une alacrité, d’une fantaisie qui lui acquiert d’emblée tous les suffrages ; une Donna Anna cristalline sous les traits de Marianne Croux ; Catherine Trottmann en Zerlina, d’une incomparable intensité… Seule la mezzo Marion Lebègue peinait, nous a-t-il semblé, dans les redoutables volutes de Donna Elvira du grave à l’aigu. Pour le reste, c’était du grand art. À vos agendas !  


Don Giovanni, de Mozart en version concert. Avec Florian Sempey, Cyrille Dubois, Marion Lebègue, Thomas Dolié, Catherine Trottmann, Louis Morvan. Direction : Mathieu Romano. Les Ambassadeurs La Grande Ecurie. TCE .  C’était le 20 janvier.  

Et bientôt :

Persée, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully, en version concert. Direction : Hervé Niquet. Orchestre et Chœur Le concert spirituel, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. TCE.  Le 14 février, 19h30. Dardanus, tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, en version concert. Les Ambassadeurs, La Grande écurie. Chœur de Chambre de Namur. Direction : Emmanuel Resche-Caserta.  Auditorium Maison de la Radio et de la Musique. Le 18 mars 2025, 20h.

Donald Trump est-il français ?

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Emmanuel Macron accueille le président élu américain Donald Trump à l'Elysée pour la réouverture de Notre-Dame le 7 décembre 2024 © Matthieu Mirville/ZUMA Press Wir/SIPA

L’idolâtrie aveugle envers Donald Trump agace notre chroniqueur. On peut l’admirer, si on veut, mais en gardant à l’esprit que ses priorités ne sont pas celles de la France…


Cette interrogation m’est venue naturellement à l’esprit quand j’ai entendu commenter ici ou là la belle cérémonie d’investiture de Donald Trump, avec un certain nombre d’hyperboles médiatiques sur le nouveau président. Parfois, elles étaient tellement outrancières que je me demandais s’il avait été élu à la tête des États-Unis ou bien comme président français. Non pas que je déniais le droit d’estimer, même d’admirer cette personnalité singulière, cet homme politique atypique et imprévisible dont le caractère et les postures révélaient à tout instant qu’ils tiendraient les promesses et les engagements pris (voir mon billet du 20 janvier : Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte ?). Je comprenais que dans cette fidélité, il y avait déjà quelque chose de remarquable dans un monde où les tactiques, les opportunismes et les voltes apparaissent comme le comble de l’habileté.

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Moi-même, après l’élection triomphale de Trump contre une mauvaise candidate démocrate, j’avais apprécié sa victoire, d’abord dans la mesure où elle faisait taire tous ceux qui à des niveaux divers et sur tous les registres, s’étaient obstinés à le dénigrer et à le ridiculiser sans se questionner une seconde sur la possibilité de défaite de leur idole démocrate. Kamala Harris flattant les courants les plus dangereusement progressistes avait évidemment toute chance de l’emporter avec le soutien de ce que l’Amérique comptait comme caciques, intellectuels, artistes et journalistes réputés ! J’ai aimé la déroute de ces oiseaux de mauvais augure : Donald Trump les a renvoyés à leurs désirs qu’ils prenaient pour des réalités.

Élu président, et dans ses discours initiaux, M. Trump a clairement souligné qu’il allait mener un combat contre le wokisme, « la révolution du bon sens » dans les domaines intime, sexuel, humain, avec une liberté d’expression pleine et entière, et la restauration d’une forme de normalité dans les lieux d’enseignement et de savoir. Je ne peux qu’adhérer à ce Trump-là !

Mais il y en a un autre dont la politique n’est fondée – et de sa part, c’est légitime – que sur la défense des intérêts américains, sur la volonté de favoriser les produits et le commerce de son pays et donc forcément de chercher maille à partir avec la France et l’Union européenne qui ne serait pas assez bonne cliente des États-Unis. Il serait indécent, par conséquent, de ne pas mettre un bémol à l’enthousiasme pour Donald Trump quand on n’est pas Américain. En se rappelant que ce président est unique et que ne pourrions jamais, pour mille raisons, en avoir un comme lui chez nous.

À écouter, en podcast, l’analyse de Harold Hyman, Eliott Mamane, Gerald Olivier et Jeremy Stubbs des premières mesures de Donald Trump

Pour la politique internationale, s’il parvient à faire cesser les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, ce sera un formidable apaisement mais à condition qu’il ne soit pas payé par le triomphe des groupes ou des pays coupables.

Ai-je même besoin d’ajouter que, s’il y a des péripéties – aussi surprenantes et décontractées qu’elles soient – qui ne le mettent pas forcément dans un comportement ridicule, il a cependant des attitudes et des réactions déplaisantes. Quand par exemple, après s’être fait religieusement sermonner, il dénonce sans dignité la messe et montre à quel point il est incapable d’accepter une adresse qui peut pourtant être écoutée sans acrimonie, avec sérénité en vertu du double registre de la politique et de l’Église.

Rien ne serait plus absurde que de continuer cette idolâtrie en oubliant que la France existe, et l’Europe, et que Donald Trump obsédé par les avantages à obtenir pour son pays ne leur veut pas du bien. Il est un combattant et la seule manière d’exister face à lui, singulièrement et collectivement, sera de l’être aussi.

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Santé, climat : ces marchands de peur visés par le trumpisme

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Robert F. Kennedy Jr., nommé ministre de la Santé lors d'une réunion au Capitole à Washington, le jeudi 9 janvier 2025 © J. Scott Applewhite/AP/SIPA

Avec sa « révolution du bon sens », Donald Trump remet radicalement en question les politiques climatiques et sanitaires récentes. Le nouveau président américain sort de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et des Accords de Paris. Et rouvre le débat sur les vaccins ou le changement climatique, des dogmes jusqu’ici intouchables, observe notre chroniqueur.


La « révolution du bon sens », dont s’est réclamé Donald Trump lundi dans son discours d’investiture, est une hérésie pour les idéologues au pouvoir, emmurés dans leurs croyances. Cette rupture blasphématoire s’annonce néanmoins historique. Elle a pris pour cible, dans l’immédiat, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les Accords de Paris sur l’urgence climatique, qualifiés d’ « escroqueries » par le président des Etats-Unis. Vont être remises en question, spectaculairement cette fois, les affirmations « scientifiques » prédisant l’apocalypse sanitaire ou climatique si les peuples ne se soumettent pas aux normes et aux vérités d’organisations supranationales. Jusqu’à présent, la contestation de cette politique anxiogène était abaissée à l’étiage du « complotisme ». Or il est sain que soient enfin questionnées ces stratégies mondialistes construites sur des peurs tétanisantes. Alors que la France ne participe qu’à 0,8% des émissions de carbone dans le monde, est-il raisonnable, dans un pays surendetté, d’affecter 40 milliards d’euros par an à la transition écologique, sachant que décarboner la France nécessiterait d’y consacrer 66 milliards d’euros par an, soit 44% de déficit supplémentaire, selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz1 ?  Est-il réaliste pour l’Europe d’envisager d’investir 1500 milliards d’euros par an afin d’atteindre l’objectif de réduire 90% des gaz à effet de serre d’ici 2040 ? Est-il équitable d’interdire aux classes moyennes, ayant des autos jugées polluantes, l’accès aux villes classées comme zones à faibles émissions (ZFE) ? Et d’ailleurs, faut-il vraiment s’inquiéter du CO2 rejeté dans l’atmosphère2 ?

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Toutes ces questions doivent être librement débattues. Trump peut aider, dans son engagement à « tout changer », à se défaire du terrorisme intellectuel des grands prêtres quand ils prédisent la montée des eaux ou l’attaque de virus pour les peuples indociles. L’hystérie sanitaire autour du Covid, dénoncée ici depuis ses premiers pas jusqu’aux confinements inutiles, commence à être admise par les esprits les plus honnêtes, tout comme est reconnue la piètre efficacité des vaccins expérimentaux survendus par les firmes pharmaceutiques et leurs relais médicaux. Est-il besoin de rappeler comment furent traités, par le système médiatique, les parias qui appelaient à désobéir à l’Etat hygiéniste au nom de l’esprit critique et du libre arbitre ? Toutes les propagandes, parce qu’elles détestent la contradiction, portent en elles des risques de dérives totalitaires, staliniennes. L’absurde procès en « fascisme » lancé par la gauche contre Elon Musk en est une illustration. Le bon sens n’est évidemment pas la seule réponse aux sujets méritant aussi les lumières de l’expert ou du savant. Cependant, sur le climat ou le Covid, cette vertu a manqué aux fabricants d’angoisses collectives, aux dresseurs de foules craintives, aux dénonciateurs de voisins récalcitrants. Dans ses instructions pour l’éducation du dauphin, Louis XIV donnait ce conseil : « La fonction de roi consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui agit tout naturellement et sans peine ». Trump ne fait que reprendre une vieille recette. Elle invite à admettre que l’eau mouille, que deux et deux font quatre, qu’un homme est différent d’une femme. Les faussaires vont détester cette nouvelle époque qui ne veut plus marcher sur la tête.


  1. François Gervais, Il n’y a pas d’apocalypse climatique (L’Artilleur) ↩︎
  2. Christian Gerondeau, Climat : pourquoi Trump a raison… (L’Artilleur) ↩︎

Prométhée endetté

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Manifestation contre les mesures d'austérité, devant le Parlement grec, à Athènes, 1er novembre 2011 © AP Photo/Thanassis Stavrakis

Avec un déficit public dépassant 6 % du PIB, la France est au bord de l’abîme budgétaire. À quoi ressemble un État européen quand il dégringole dans le gouffre de la dette ? Pour le savoir, il suffit d’observer la Grèce, pays désormais tiré d’affaire après plus de dix ans de douloureux efforts.


Le 21 octobre dernier, par un simple communiqué de presse, l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Désormais le pays est placé dans la catégorie des « investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de « spéculatifs » (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés pour résoudre les déséquilibres économiques et fiscaux. » Avec un solde primaire (écart des dépenses et recettes publiques, hors charges d’intérêts) qui s’établit à présent à 2,1 % du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.

Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont nettement moins réjouissantes. À la fin du mois de septembre, soit trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des obligations assimilables au Trésor (OAT) émises à cinq ans par Paris a atteint 2,48 %, dépassant pour la première fois le taux grec, qui lui s’établit à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, accusant un déficit de 3,5 % du PIB.

Comment la Grèce est-elle parvenue à devenir un meilleur élève budgétaire que la France ? Les raisons ne sont pas seulement à chercher du côté de notre incurie. Depuis une décennie, les Hellènes se sont astreints à un régime d’intense austérité, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État faussaire ! On sait que, pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la mansuétude de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’aides sociales, notamment de retraites, structurellement déficitaire.

Retour sur les faits

Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récréation. Confrontée au rationnement mondial du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce se retrouve très vite dans l’incapacité d’emprunter à des taux supportables, et doit se résoudre, moins de deux ans après, à appeler l’Union européenne et le FMI à la rescousse.

À la suite d’un difficile compromis, un plan de sauvetage est décidé. Il se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 en provenance du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices demandés.

275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) sont ainsi congédiés, tandis que ceux qui restent en poste voient leur traitement baisser d’environ 25 %, et leur temps de travail passer de 37,5 à 40 heures hebdomadaires. Le budget des collectivités locales est quant à lui rogné de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont abaissées respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense diminue de 50 %.

Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le salaire minimum est diminué de 22 %. Un programme massif de privatisations est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatique est le rachat d’une partie du port du Pirée par une société chinoise en 2016.

Une purge draconienne

L’inventaire ne serait pas complet si on ne mentionnait pas la situation des retraités, dont les pensions fondent de 15 % du fait de la suppression des 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusqu’alors. L’âge de départ légal passe de 60 à 67 ans. Le régime des fonctionnaires est aligné sur le privé. Ajoutons, pour finir, une véritable chasse au « travail au noir », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.

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La purge est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Retrouver la drachme permettrait en effet de dévaluer fortement et donc mécaniquement de résorber la dette. Mais cette solution, qui aurait mené la Grèce dans l’inconnu, est vite évacuée. La voie, moins risquée, de l’Union européenne est maintenue.

Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire est résorbé dès 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Toutefois il faut patienter encore cinq ans pour qu’Athènes stabilise enfin sa dette, dont le niveau culmine à 207 % du PIB en 2020 – elle s’est repliée à présent en dessous des 160 %.

Le retour de la jeunesse

Derrière les chiffres, il y a les innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, un entrepreneur franco-grec dans l’immobilier, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. « J’ai été presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités faute de pouvoir payer mes employés, se souvient-il. Le pays va mieux, mais clairement ce n’est plus comme avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »

Éprouvé, Nikos n’est pas abattu. Il affiche même un certain optimisme : « On avance, se réjouit-il. Un bon signe, c’est qu’on voit des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe de l’Ouest. »

Le cas grec ne peut que parler aux Français : même tendance aux dépenses accélérées, même dépendance à l’emprunt public, même croyance dans le père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1 % du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays est à l’heure des choix. Au bord du gouffre, nous aurions tout intérêt à nous réformer avant que d’autres ne nous forcent à le faire sans nous donner voix au chapitre. À cet égard, la France a sans doute une leçon grecque à prendre.