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Claude Tresmontant, ouvrier de la pensée

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Claude Tresmontant, philosophe, métaphysicien et théologien féru de cosmologie a laissé une œuvre considérable aujourd’hui méconnue. En restaurant la pensée de cet homme qui se voyait comme un « ouvrier dans la vigne », son fils, notre ami Emmanuel, signe un livre original sur la filiation et la transmission.


C’est autour de la figure du Père qu’Emmanuel Tresmontant a construit ce récit singulier qui se lit comme un roman. Mais ce témoignage venu des tripes et du cœur n’a rien de commun avec la Lettre au père (1919) dans laquelle Kafka tenta d’exorciser la peur que lui inspirait le sien. Pourquoi d’ailleurs aurait-on peur d’un père absent, qui abandonna sa famille pour en fonder une autre alors que le plus jeune de ses quatre fils, Emmanuel, avait tout juste un an ? Une histoire familiale somme toute banale si le père en question n’avait été Claude Tresmontant (1925-1997), philosophe chrétien et métaphysicien, théologien féru de cosmologie dont l’œuvre est considérable – une quarantaine d’ouvrages publiés entre 1953 et 1997 – et dont l’enseignement fascina les étudiants qui suivaient ses cours en Sorbonne jusqu’à ce que sa pensée, discréditée par ses pairs qui la jugeaient rétrograde, tombe dans l’oubli.

Or, c’est pour cette pensée que le dernier de ses fils se bat aujourd’hui avec ce mélange de détermination et de douceur qui caractérisa leurs échanges durant les sept années où ils se rencontrèrent dans un café place de la Sorbonne : « Je lui fis sentir que je n’étais pas venu le juger, ce qu’il pouvait m’apporter était plus important que tout. C’est ainsi que notre relation fut, je pense, belle et noble », écrit son fils, libéré du ressentiment comme de la colère, et de ce fait, capable de brosser de son père un « portrait au fusain », complexe et attachant, qui fait de lui un grand Vivant, au sens biblique du terme. Un père qu’il connut tardivement, et qu’il nomme tantôt Claude Tresmontant, tantôt Claude et parfois seulement « mon père », tout en refusant le titre de « fils à papa » autant que de « disciple béât ».

Catalogué comme « chrétien de gauche », Claude Tresmontant avait en réalité « un côté bohème et anarchiste » qui séduisit sa première épouse, dont Emmanuel dit tenir son caractère rêveur et son attrait pour le surnaturel. Mais ce « mélancolique ténébreux », cet homme « solitaire et obstiné » au corps vigoureux était aussi un ascète aimant se lever tôt pour travailler, et strictement végétarien depuis son séjour chez Célestin et Élise Freinet (1935-1939) qui furent ses parents de substitution alors que ses père et mère ne s’en occupaient guère. Plus ou moins abandonné dans ses jeunes années, Claude Tresmontant fut-il porté à reproduire ce qu’il avait lui-même enduré ? Toujours est-il que l’école Freinet l’a préparé à la philosophie telle qu’il la pratiqua plus tard dans le sillage de Bergson, de Blondel et de Teilhard de Chardin, tout en s’appuyant sur la pensée des auteurs médiévaux (saint Thomas, Duns Scot).

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Mais sa marque de fabrique la plus authentique fut d’être un « ouvrier dans la vigne » : un artisan au regard d’aigle qui ne maniait les abstractions que pour mieux revenir au concret, au « Réel objectif » qui réunit les hommes comme le fait un bon vin qu’on déguste en commun. Faut-il, dès lors, s’étonner qu’après que le père a cultivé toute sa vie la « vigne hébraïque » jusqu’à en extraire le suc le plus pur en restituant aux Évangiles canoniques « la saveur sauvage de l’hébreu », son fils Emmanuel soit devenu l’un des meilleurs connaisseurs en matière de gastronomie et de vins ? Une filiation reconquise sur la division familiale, car née d’une reconnaissance, d’une affection et d’un respect mutuels : « Le vin de mon père, j’ai mis des années à l’apprécier et à le comprendre. »

Ce livre qui émeut par sa sobriété rénove l’idée qu’on se fait en général de la filiation et de la transmission – de maître à disciple et de génération en génération – puisque c’est ici non seulement le père qui initia son fils à la philosophie chrétienne, mais c’est également le fils qui, devenu son disciple, travaille à promouvoir « l’œuvre séminale » de son père. Un engendrement réciproque en somme, de cœur à cœur et d’esprit à esprit, qui permet au lecteur de découvrir chez le père comme chez le fils un même goût pour la densité charnelle des mots autant que des choses : « Dans ses traductions, moi, j’entends le vent du désert, l’eau des fontaines, le cri des femmes venues toucher le vêtement du rabbi. »

Ponctué d’anecdotes elles aussi savoureuses sur quelques personnages célèbres (Malraux, Lévinas, BHL, Chouraqui…), ce récit témoigne également de la gravité, teintée de mélancolie, avec laquelle Claude Tresmontant envisageait le rôle de la philosophie dans un monde spirituellement sinistré. Il en attendait en effet qu’elle redonne le goût de la vie véritable à des générations gavées, depuis Nietzsche, de relativisme intellectuel et de nihilisme existentiel. Or, c’est peut-être là le point faible de cette philosophie, ou plutôt son talon d’Achille : avoir tenté de s’imposer contre l’idéologie « progressiste », alors dominante, en s’appuyant à la fois sur une retraduction des textes bibliques et sur les découvertes en biologie et en cosmologie qui tendent à prouver que l’existence d’un Être incréé, autant dire de Dieu, est indirectement avérée par l’évolution entropique de l’univers.

Par sa portée magistrale, une telle philosophie ne supporte pas de rivale, et celui qui la défend est condamné à régner en maître, ou à disparaître. Mais une telle maîtrise est-elle aujourd’hui envisageable au regard des philosophies qui occupent depuis des décennies le devant de la scène, et qu’Emmanuel Tresmontant situe la plupart du temps dans l’ombre de celle de son père, et non dans la lumière qui leur est propre. Il n’en demeure pas moins que si la Création continuée est à l’œuvre dans l’univers, comme l’affirmait Teilhard de Chardin, elle l’est aussi dans la relation que le fils continue d’entretenir avec son père qui lui a, dit-il, « donné les clefs » pour construire sa propre vie.

Emmanuel Tresmontant, Claude Tresmontant, un ouvrier dans la vigne : souvenirs sur mon père, Arcades Ambo, 2024.

«Toutes pour une»: dissection d’un film mort-né et d’un système mortifère

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Causeur veut bien que Didier Desrimais nous parle du film français le plus « woke » du moment. Mais à la condition de vraiment voir ledit film, qu’on dit victime de « review bombing » sur France inter. Et ce, jusqu’à la dernière minute…


Rubrique cinéma. Ce n’est pas une daube, c’est LA daube de ce début d’année. Éric Neuhoff, dans Le Figaro, lui a collé un zéro pointé. Le Nouvel Obs évoque un « brouillon vociférant ». Même Télérama m’avait prévenu : « scénario poussif et confus », « réalisation bourrine » – bref, le film à éviter absolument. Il n’empêche, résolu à en avoir le cœur net, je suis allé voir “Toutes pour une”, le film d’Houda Benyamina censé « revisiter » l’œuvre d’Alexandre Dumas et la transformer en un brûlot féministe. C’était dimanche. Nous étions deux dans la salle. Au bout de vingt minutes de projection, visiblement exaspéré par ce début calamiteux, mon compagnon d’infortune s’est levé et est sorti en poussant d’épais soupirs. Il n’a donc pas vu les pires scènes, qui étaient à venir, de cette bouse cinématographique. Moi, si.

Grossièretés néoféministes

Le synopsis : « Quand Sara, jeune fille en fuite, découvre que les Trois Mousquetaires qui protègent la Reine de France sont en réalité des femmes, elle décide de partir avec elles et de suivre leur exemple : se transformer pour être libre, se transformer pour être soi… » La transformation en question consiste à se bander les seins, à porter de fausses moustaches, de fausses barbes, de faux pénis, et à uriner debout en se moquant de la dernière recrue du groupe, Sara, alias d’Artagnan, qui, par manque d’habitude, se pisse dessus. Rien ne vient sauver cette déplorable production. Les scènes se succèdent confusément, noyées sous les décibels de chansons diversement modernes, anglo-saxonnes, bruyantes et commerciales. Les actrices peinent à avoir plus de deux expressions faciales. Les dialogues, consternants de bêtise, sont émaillés de grossiers messages supposément féministes. Une scène particulièrement longue et ennuyeuse voit deux des protagonistes sommer un nobliau de cesser de « faire l’homme » devant son épouse et l’enjoindre de se laisser aller et de pleurer – après moult petits cris évocateurs, parvenues à leur fin, elles s’écroulent de rire dans un râle orgasmique. Le dernier quart d’heure, d’un ennui insondable, scelle la pierre tombale sous laquelle gît ce film mort-né.

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Après une semaine d’exploitation, seuls 11 611 spectateurs se sont déplacés pour aller voir ce navet. Sur le site d’AlloCiné, aux mauvaises critiques de la presse se sont rapidement ajoutés les retours meurtriers des premiers spectateurs : « un désastre », « un naufrage » « de la propagande woke » ; l’un d’entre eux résume parfaitement la situation : « Les dialogues sont plats, l’humour forcé, le scénario manque cruellement de substance. Les scènes d’action, censées dynamiser le récit, échouent à captiver. Cette production est un exemple parfait de la manière dont le politiquement correct peut saboter le cinéma, en privilégiant une idéologie au détriment de la qualité artistique. » AlloCiné a pris la décision de retirer de son site les critiques des spectateurs, « en raison d’un afflux anormalement élevé de notes extrêmes » dans un sens ou dans l’autre. Tu parles !  

La fachosphère frappe encore

Sur France Inter, la radio la plus woke de France, la journaliste Manon Mariani a expliqué pour quelles raisons, selon elle, ce film n’a pas rencontré le succès qu’il méritait. “Toutes pour une” serait victime de review bombing, « une pratique qui consiste à massivement très mal noter un produit culturel pour nuire à sa popularité ». Qui se cache derrière cette redoutable pratique ? Mais oui, mais c’est, bien sûr, vous l’avez deviné, la… fachosphère. Cette pratique est, d’après la journaliste france-intérienne, « une véritable arme de destruction 2.0 utilisée par la fachosphère qui accuse ce qu’elle appelle l’idéologie woke d’infiltrer les films. Autrement dit, quand ils sont trop politiques, trop LGBT, trop racisés, trop féministes, etc. “Toutes pour une” est donc une cible parfaite pour ses détracteurs car le film met en scène des jeunes femmes, indépendantes, arabes, noires, et qui en plus prennent la place d’hommes blancs, figures historiques de la littérature française. » Les critiques de Télérama, de Libération, du Nouvel Obs et du Monde ont dézingué le film en lui filant la plus mauvaise note possible. Suite au rapport du comité de surveillance politique de France Inter, doivent-ils craindre de se voir bientôt accusés d’appartenir à la fachosphère ? 

Agacée par l’insuccès du film, l’actrice jouant le rôle d’Athos a posté une vidéo victimaire sur sa messagerie Instagram : « Moi, Sabrina Ouazani, enfant d’immigrés, d’origine algérienne, Française, que vous le vouliez ou non, banlieusarde, de confession musulmane, eh ben j’interprète Athos, d’Alexandre Dumas, dans “Toutes pour une” d’Houda Benyamina… et je vous emmerde ! » Elle nous emmerde d’autant plus qu’elle a su profiter d’un système de financement qui fait le bonheur des aigrefins du milieu cinématographique.  

Certains d’entre vous se sont en effet peut-être posé la question de savoir comment, avec si peu d’entrées, chacun des participants à cette catastrophe allait pouvoir continuer de payer son loyer, sa facture d’électricité et son abonnement à Netflix. Il faut savoir que ces gens-là ne sont pas payés au prorata du nombre d’entrées. Non, non, non. Ces gens-là ont déjà été payés. Et pas qu’un peu. Et, pour une bonne partie, avec notre argent.

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Le budget de “Toutes pour une” a été de… 10 millions d’euros ! France Télévisions a déboursé, tenez-vous bien, 2,6 millions d’euros. Le CNC, cette officine du cinéma woke, 750 000 euros. La Région Île-de-France, dirigée par Valérie Pécresse, 390 000 euros. Selon les chiffres issus de cinéfinances.info rapportés sur le Blog Siritz, Mme Benyamina, la réalisatrice, a touché une rémunération de 250 000 euros. Elle a également partagé, au titre de co-scénariste, 260 000 euros avec les deux autres scénaristes de ce margouillis. Chacune des actrices principales a perçu la coquette somme de 165 000 euros. Pour info, le budget du premier film de Mme Benyamina, “Divines”, vu par 321 000 spectateurs, était de 2,4 millions d’euros, et la rémunération de la réalisatrice, de 60 000 euros. Morale de l’histoire : plus c’est mauvais, plus ça peut rapporter.

Grand banditisme

Restons dans le petit monde du cinéma. Le réalisateur Robert Guédigian était récemment, sur France Inter, l’invité de Léa Salamé pour son film “La Pie voleuse”. À propos de la délinquance, en particulier des vols, ce réalisateur a une morale bien à lui, qui est en vérité celle de ses congénères de gauche, de Geoffroy de Lagasnerie et du Syndicat de la magistrature : « Il y a des bons voleurs et des mauvais voleurs. Le vol participe de la répartition des richesses. On peut voler sans violence, on peut voler pour de bonnes raisons. Le vol a toujours eu quelque chose à voir avec le banditisme social. » C’est beau. Oui, mais voilà, M. Guédigian avoue aussi que, après avoir été cambriolé quatre fois, il n’était « pas très content ». Du coup, il a fini par installer une alarme, en regrettant de ne pas l’avoir fait plus tôt car depuis, dit-il, il n’est plus cambriolé. Contre le vol organisé par des margoulins du monde dit de la culture, les Français n’ont en revanche aucun moyen de protection. Ne pouvant empêcher cette spoliation systématique, méthodique et officielle, ils se font gruger – et, à l’inverse de M. Guédigian, ils ne pensent pas que cela relève d’une juste « répartition des richesses ». Ils enragent d’entendre une actrice, qui a gagné l’équivalent de sept années de Smic pour quelques semaines de tournage, les rabrouer en se faisant passer pour une victime après leur avoir fait les poches, et de voir l’argent public arroser les projets cinématographiques les plus nuls au seul motif qu’ils répondent aux injonctions des idéologies progressistes. Sans doute M. Guédigian appellerait-il cela du « banditisme artistique » – nous parlerons plus simplement d’escroquerie.

En septembre 2023, la Cour des comptes a rendu un rapport accablant sur le CNC. Il était demandé au « quatrième collecteur de taxes affectées » d’infléchir la progression continue du nombre de films et de cesser de financer tout et n’importe quoi, sachant que, sur les dix dernières années, seulement 2% des films subventionnés ont « rencontré leur public », pour parler la langue diplomatique de Pierre Moscovici. Mais rien n’y a fait. Le CNC, doté entre autres choses d’un Fonds Images de la diversité (sic) et d’une politique écolo-bobo ayant pour objectif de favoriser « des productions ayant un impact positif sur l’environnement » (sic), agrée de plus en plus de films qui, hormis de notables exceptions, se ramassent gamelle sur gamelle. Pourtant, si l’on écoute le discours d’Olivier Henrard à l’occasion de la cérémonie des vœux 2025 du CNC qu’il préside, tout baigne, le cinéma français est une réussite et « cette réussite est le fruit du cadre de régulation et de financement qui constitue le modèle français d’exception culturelle ». Par ailleurs ce modèle aurait permis d’obtenir « des résultats exceptionnels, objectifs, chiffrés et mesurables ». Emporté par son élan, Olivier Henrard affirme que, « à l’heure où on parle de réindustrialiser notre pays ; à l’heure où l’on parle de sauvegarder notre souveraineté, notamment culturelle ; à l’heure où l’économie doit retrouver un sens et pas seulement une rationalité ; à l’heure où l’on parle de rassembler tous les Français autour de représentations communes, à cette heure-là, qui est grave, force est de constater que le modèle français de financement et de régulation du cinéma et de l’audiovisuel coche toutes les cases ». Ce modèle, selon lui, « constitue un trésor national et notre pays tout entier peut et doit le revendiquer comme une véritable fierté collective ». On croit rêver !

1h36, en salles (plus très longtemps)

Main basse sur le cinématographe

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La langue française sous le feu du wokisme

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Le français serait une langue difficile à apprendre et véhiculerait tant d’inégalités sexistes et identitaires qu’il est urgent, selon certains, de la simplifier. Et de la laisser « s’enrichir » par les langues étrangères et le vocabulaire des jeunes. Selon le linguiste Alain Bentolila, c’est la porte ouverte à l’illettrisme  


Plus d’un jeune français sur cinq, après une dizaine d’années passées dans les murs de l’École de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Pour tous ces jeunes gens, la défaite de la langue est aussi la défaite de la pensée. D’incompétence en hypocrisie, de fausse compassion en lâcheté éducative, notre langue commune et notre intelligence collective se sont délitées. Mais s’il faut croire quelques linguistes atterrés et quelques pédagogues égarés, unis dans un commun renoncement, tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien ! Tout va très bien ! Les écarts à la norme n’existeraient pas, ils seraient les marques bienvenues d’une diversité identitaire ; l’illettrisme ne serait qu’une illusion portée par ceux qui veulent exclure les plus fragiles ; ce serait enfin la langue française, par son conservatisme étroit, qui serait cruelle pour les plus fragiles et injuste envers les femmes.

La langue française ne se serait jamais mieux portée !

Des linguistes qui se disent « atterrés » clament que la langue française ne s’est jamais si bien portée et qu’elle s’enrichit tous les jours de mots nouveaux, plus originaux les uns que les autres. Ils feignent d’ignorer qu’une langue n’est en elle-même ni riche ni pauvre, car une langue n’est rien sans ceux qui la parlent. La langue française n’est pas aujourd’hui un « trésor linguistique » libéralement ouvert à tous dans lequel chacun viendrait puiser, avec un égal bonheur et une égale pertinence, les instruments de sa communication. La richesse de notre langue ne se mesure pas au nombre d’entrées nouvelles dans des dictionnaires qui, chaque année, se disputent la palme de la modernité et du jeunisme en rivalisant d’audace pour intégrer – trop précipitamment – des mots aussi nouveaux qu’éphémères. Notre langue, ce sont des hommes et des femmes qui entretiennent avec elle des relations de plus en plus inégales. Ceux qui n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence voient leur horizon de parole limité, leur vocabulaire réduit et leur organisation grammaticale brouillée. Ce sont les « pauvres du langage », impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice.

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La faute est une marque identitaire : respectons-la !

Ces mêmes hypocrites en sont venus à dénoncer la désuétude et le conservatisme borné de l’École de la République, installant ainsi l’idée, chez certains élèves et parfois chez certains parents, que les propositions scolaires sont « culturellement incompatibles » avec leurs appartenances communautaires. Ces petites lâchetés ont pour résultat le remplacement du paradigme de l’incompétence (je lis mal ! j’écris encore plus mal ! j’ai du mal à exprimer ma pensée… mais j’aimerais tant m’améliorer), par celui de l’incompatibilité (lire, écrire, s’exprimer ce n’est pas pour moi… mieux vaut y renoncer).  L’incapacité de comprendre les mots d’un autre, comme la difficulté de mettre en mot sa pensée pour un autre ont pris ainsi une tout autre signification. Ces insuffisances sont devenues l’image de notre « diversité » sociale et sont conséquemment irréductibles. « Je parle comme je suis », « je comprends ce que je veux », « j’écris comme ça me chante », tels sont aujourd’hui les slogans clamés par ceux dont les propres enfants n’ont que peu de souci à se faire pour leur avenir scolaire et social. À tous ces bien-pensants, uniquement soucieux d’échapper au procès en stigmatisation, je dis que leur coupable complaisance tue les élèves fragiles.

L’illettrisme n’est qu’une illusion : dissipons-la !

Pour être politiquement correct, faudrait-il se contenter de décrire, admiratif et amusé, les astucieuses stratégies de citoyens qui s’échinent à contourner les obstacles quotidiens que leur imposent leurs difficultés de lecture et d’écriture ? Faudrait-il, pour échapper à l’accusation de conservatisme, s’ébahir devant la vivacité et le pittoresque d’une « langue des jeunes » dont l’imprécision enferme plus qu’elle ne libère ? Faudrait-il enfin au nom du droit à la différence (et à l’indifférence) accepter que certains soient privés d’aller au plus loin d’eux-mêmes découvrir l’écrit d’un autre ? Si les hommes et les femmes en situation d’illettrisme ont droit à notre respect et à notre solidarité, l’illettrisme qui rend difficile l’exercice de leur citoyenneté n’est en rien acceptable. La description sociologique – certes utile – de ce phénomène ne lui confère aucune lettre de noblesse. Tous ceux qui entretiennent avec la langue orale et écrite des malentendus douloureux se trouvent vivre plus difficilement que les autres ; ils ont moins de chance de décider de leur destin social ; ils sont plus vulnérables devant des textes sectaires et intégristes.

La langue française est sexiste : corrigeons-la !

Par ignorance et par hypocrisie, certain.e.s féministes de salon ont cru bon de dénoncer les errements d’une langue française dont les structures morphologiques et grammaticales refléteraient, renforceraient et légitimeraient la discrimination dont sont victimes les femmes en France. Ils accusent ainsi les marques de genre – celles qui distinguent les noms masculins des noms féminins (la porte et le portail par exemple) – de manifester, par leur injuste distribution, un inacceptable mépris envers… les femmes. Des règles morphologiques « supporteraient » donc servilement les injustices sexistes et, par leur puissance normative, leur conféreraient une sorte de légitimité académique ; ainsi en est-il du toit qui domine injustement la maison. La réalité est tout autre ! Les marques de genre ont fort peu à voir avec une indication de sexe. Le français possède en fait deux genres morphologiques, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de marques de genre, permettant d’accorder entre eux les mots, et non pas d’indicateurs de sexe. Voir dans une convention morphologique sans aucune signification un complot machiste manifeste une totale ignorance des faits linguistiques, mais aussi une coupable hypocrisie. J’ai personnellement une conscience aiguë du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Je trouve absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et marques de sexe, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon.

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La langue française est dure aux « miséreux »

Afin de ne pas mettre en difficulté les élèves fragiles (ceux notamment présentant une « exogénéité » linguistique et culturelle), il faudrait simplifier l’orthographe et notamment les règles grammaticales telle que la loi « scélérate » de l’accord du participe passé avec le COD antéposé. Ceux-là mêmes dont les propres enfants n’auront aucun souci scolaire, sont ainsi aujourd’hui les premiers à dénoncer l’élitisme et… le caractère « cruel » de l’École de la République. Pour tous les élèves de ce pays, c’est bien l’espoir d’un pouvoir accru sur le monde qui légitimera les efforts qu’ils consentiront pour maîtriser l’orthographe et la grammaire. Ce pouvoir, ils ne le conquerront pas avec une orthographe ratiboisée et une grammaire approximative. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas à la fragilité linguistique de définir la limitation des ambitions cognitives d’un élève, c’est au contraire la hauteur des ambitions cognitives qu’on lui offre qui l’incitera à se battre pour une meilleure maîtrise linguistique et une culture plus approfondie et libératrice.

Seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra permettre à tous les citoyens de notre pays, d’où qu’ils viennent, de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire. Nous devons, donc à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue, afin qu’ils puissent être compris au plus juste de leurs intentions et comprendre avec la plus grande vigilance. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent que réside la clé d’une intégration harmonieuse. Tous ceux qui sont accueillis dans notre pays ont droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il est de leur devoir de la chérir.

Le français va très bien, merci

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Souffle épique pour tragédie grecque

Perrine Tripier est née peu de temps avant l’an 2000, c’est dire si elle est jeune. Elle a pourtant déjà écrit un livre qui a fait parler d’elle ; Les guerres précieuses, et nous en offre un second qui devrait en faire tout autant:   Conque. Nom féminin, coquille en spirale servant d’instrument depuis des millénaires. Coquillage berceau et tombeau, où se niche, caché, le grain de sable…


Dans un pays imaginaire entouré cependant de pays réels d’aujourd’hui, où règne un empereur aux allures d’ogre et de viking roux couvert de peaux de bêtes, Martabée, qui a quitté son village perdu dans l’arrière-pays pour faire de brillantes études à la ville en bordure d’océan, est nommée historienne en chef d’un chantier archéologique situé sur une dune. De quoi s’agit-il ? Rien moins que de déterrer les vestiges des Morgondes, ancêtres de ces lieux, et dont l’empereur attend qu’ils redorent son blason.

Les temps se confondent tant l’empereur, ses gardes et ses palais ressemblent à ceux d’un conte. Et pourtant, la technologie employée pour découvrir les origines fabuleuses est, elle, on ne peut plus actuelle. Si la mission qui lui est confiée enchante l’historienne, la mer omniprésente y est pour beaucoup. «Martabée fut réveillée tôt. Un flux de lumière pâle se coula dans la chambre comme une grosse vipère cristalline. Contre son lit venait flotter le grand voilage blanc des fenêtres ; le jour, déjà, floutait la mer à rebrousse poil. » 

Les premiers temps sont radieux ; les héros sortent de terre : «  Couchés près d’une longue épée rouillée ou d’une lance en métal verdi, les guerriers morgondes dormaient là, au creux des baleines qu’ils avaient chassées, voyageant vers les entrailles de la mer où résidait leur infini. » Les côtes des énormes mammifères érigées à la verticale leur offrent un berceau définitif. Et non seulement ces nefs d’os blanchis disent le combat furieux et magnifique de l’homme et la bête, mais les ornementations sont d’une rare finesse. Ainsi, puissance et subtilité se conjuguent pour le plus grand bonheur de l’origine retrouvée. Et pour celui de l’empereur qui ne résiste pas à la tentation de glisser une phrase ou deux dans les bulletins archéologiques publics que rédige régulièrement notre héroïne. Un banquet sera donné en l’honneur des grands hommes excavés de terre et de ceux qui les mirent en lumière. Et c’est là ou peut-être même avant que la lumière se fait glauque, car, curieusement, et alors que tout réussit à notre historienne, les métaphores de la narratrice semblent devancer la tragédie. Elle enfile une robe offerte par l’empereur :  «Spectre ondoyant, naïade défunte, Martabée se sentait transportée entre des bras puissants ; la robe lui embrassait le ventre de pierres polies. » Quant au banquet, sorte d’anti-cène, il gave les convives jusqu’à la nausée.

Et la nausée ne fera que s’amplifier. «  La gemme enfouie avait parlé. Du fond des âges, elle crachait sa pulvérulence verte. »

Pas question, bien sûr, de révéler une découverte qui fermera la boucle de manière atrocement impeccable. Dire seulement qu’on a affaire ici à la tragédie grecque, au mythe, à son rapport à l’histoire, à la vérité, au conte, au roman policier. Perrine Tripier mêle tous les genres et révèle un talent notoire pour les métaphores aquatiques et sensorielles. « En javelots de saphir, le soleil tranchait les profondeurs de l’océan. Dans le silence d’une maille lumineuse, la baleine passait. Énorme comme une ville illuminée, elle charriait sur sa peau noire tout un pullulement de poissons blancs. Ça frétillait d’or et d’argent, dans le balancier monstrueux de sa croupe lente. »

Toute quête des origines remuant nécessairement, j’ai rêvé que Perrine Tripier donnait une suite à ce roman. Par ailleurs, et là, parfaitement réveillée si jamais on peut l’être, j’ai pensé qu’il en aurait fallu de peu, et peut-être justement de choisir un genre, pour que livre foisonnant soit à la hauteur d’un mythe.

Conque de Perrine Tripier, Éditions Gallimard 2024 208 pages

Merwane Benlazar: défense de rire

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Sur France 5, le look de l’humoriste Merwane Benlazar déplaît, et fait polémique. Passé par le Jamel Comedy Club, il est présenté comme le protégé de Panayotis Pascot ou de Fary. Selon la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, « il utilise l’humour pour minimiser l’impact de l’islamisme dans la société ». Et la polémique cache un autre scandale, observe notre directrice de la rédaction.


Un humoriste de France 5 déclenche la polémique. Merwane Benlazar faisait vendredi dernier ses débuts dans l’émission du duo Anne-Elisabeth Lemoine / Patrick Cohen, un programme qui revendique haut et fort son engagement. C’est une émission résistante : contre l’extrême droite, pour MeToo… C’est alors qu’arrive un humoriste balourd, pas antipathique au demeurant, affublé d’un accoutrement salafiste – bonnet et barbe inclus. Mais, pas pour tourner en dérision les islamistes façon Sophia Aram. Ce serait même plutôt l’anti-Sophia Aram. Non, l’idée est plutôt de se moquer de ceux qui en ont peur.

Du troupeau d’humoristes de France inter, pas le plus subtil

Anne-Elisabeth Lemoine est hilare. La chronique enchaîne les clichés, rythmés par des rires forcés. On tape sur Manuel Valls, on raille Bernard Arnault. Quelle audace! Huit minutes de banalités sans la moindre pointe d’originalité ou de subtilité : un exploit.

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Mais ce n’est pas cette prestation qui déclenche le scandale. Ce sont les tweets de l’humoriste, exhumés par l’avocate Lara Fatimi. Merwane Benlazar y recommande des sites de prière et donne son avis sur la charia. En 2021, il répond à une jeune femme se plaignant d’un livreur : « T’étais encore en club alors que la place d’une femme est à la demeure auprès de son père. Crains ton seigneur. Blâme pas le frère de chez UPS. » Merwane Benlazar n’est visiblement pas un djihadiste, peut-être juste un salafiste assumé. Un influenceur d’Allah, selon l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. Après une autre émission de France 5 dans laquelle on s’est permis de cracher sur Boualem Sansal, et le fameux bandeau de France Info qualifiant de « libération d’otages palestiniens » l’échange de terroristes condamnés, cela fait désordre.

France Télévisions favorise-t-elle pour autant l’entrisme islamiste?

Non. Il faut être clair : mis à part sa nullité, il n’y a rien a reprocher à cette chronique en soi. Elle est juste bête.

Si Delphine Ernotte a peut-être parfois quelques penchants « woke », ils se manifestent surtout sur le terrain du féminisme. Aucune complaisance particulière pour l’islam radical et l’antisémitisme. D’ailleurs, il n’est pas certain que M. Benlazar fasse long feu sur France 5.

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Le problème est ailleurs : dans l’idéologie spontanée de certaines rédactions et émissions, souvent produites par des boîtes extérieures qui semblent agir en roue libre. Or, il s’agit de l’argent du contribuable. Ce laxisme dans le contrôle éditorial est, au minimum, inquiétant.

Le véritable scandale n’est pas ce comique – salafiste ou non. C’est la préférence idéologique générale et spontanée du service public. Ici, le progressisme est une évidence, et le conservatisme une hérésie regrettable. Quand on cherche un humoriste, on va le piocher sur France Inter, histoire d’être sûr qu’il pense exactement comme tous les autres intervenants !

Que certaines opinions jouent à domicile est déjà problématique. Mais pire encore : elles sont à l’exact opposé de celles de la majorité des Français. Qui finiront, tôt ou tard, par en avoir assez de financer une télévision publique pour se faire insulter.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

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Découvrez le sommaire de notre numéro de février


On croyait que le monde de la tech et des réseaux sociaux assurerait la suprématie du wokisme jusqu’à la fin des temps, explique Elisabeth Lévy dans sa présentation de notre dossier. Autant dire que le virage spectaculaire de Musk puis de Zuckerberg a semé́ la panique dans le camp du Bien où on attaque ouvertement une liberté d’expression qui, selon Le Monde, est devenue l’arme des conservateurs. Il faut croire que la censure est celle des progressistes. N’oublions jamais que « les inconvénients de la liberté sont toujours préférables à ceux de la censure ». Pourquoi les géants du numérique américains ont-ils rallié Donald Trump ? Selon Gil Mihaely, c’est parce qu’ils partagent son inquiétude face à la concurrence chinoise et son souci de procurer aux Etats-Unis de l’énergie et des matières premières bon marché. Une autre raison est proposée par Samuel Lafont, le directeur de la stratégie numérique (et des levées de fonds) de Reconquête !, dont les propos ont été recueillis par Jean-Baptiste Roques. Pour lui, la tech américaine s’éloigne du wokisme pour la simple raison que la majorité des internautes ne sont pas woke. Elon Musk, lui, est en partie motivé par des convictions idéologiques. Je raconte la manière dont le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Et Loup Viallet, co-directeur du journal en ligne Contre-Poison, affirme que, si officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste, officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.

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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy revient sur le meurtre du jeune Elias, poignardé à mort dans le XIVe arrondissement de Paris. A l’habituelle indulgence judiciaire envers les assassins mineurs, et la faiblesse des autorités publiques, s’ajoute une nouvelle tendance consistant à mettre la faute sur l’instrument du crime – les couteaux – plutôt que sur l’auteur – le criminel. En somme, « un adolescent est mort à cause de l’idéologie de l’excuse propagée depuis quarante ans par le commentariat convenable, la sociologie d’État, les associatifs subventionnés, la gauche angélique ».

Algérie : avons-nous une cinquième colonne ? Pour introduire notre deuxième sujet, notre directrice de la rédaction fait remarquer que, dans la crise actuelle qui existe entre la France et l’Algérie, ils sont nombreux, en France, à prendre le parti d’Alger. « Influenceurs », imams, élus, militants… forment une cinquième colonne idéologique dont la nouvelle figure de proue est Rima Hassan. Certes, il serait injuste de faire porter le soupçon sur l’ensemble des Franco-Algériens dont la majorité aspirent seulement à être des Français comme les autres. Mais s’il y a des influenceurs, il y a des influencés qui se recrutent d’abord parmi les Franco-Algériens. Pour Charles Rojzman, beaucoup des Algériens de France sont tiraillés entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine. Cette schizophrénie identitaire est amplifiée par les discours indigénistes ou les diverses pressions exercées par le « groupe » pour contrôler la vie sociale des individus. Face à la propagande officielle et les « influenceurs » enragés qui alimentent la haine antifrançaise, Driss Ghali se demande si les Français sauront mobiliser ceux des Algériens qui aiment la France. Jean-Baptiste Roques se penche sur le cas de la Grande Mosquée de Paris qui est plus que jamais le porte-voix du régime algérien. Selon le criminologue Xavier Raufer (dont les propos ont été recueillis par Jean-Baptiste Roques et Anne Lejoly), l’agressivité́ croissante de nombreux Algériens de France envers leur pays d’accueil ne doit pas être confondue avec la crise diplomatique actuelle. Pour se faire respecter du régime algérien, il ne faut se prosterner devant lui, comme l’a fait Emmanuel Macron.

Robert Ménard nous parle de Jean-Marie Le Pen. Pour les médias et les partis de gouvernement, ce dernier était le diable de la République. Pourtant, pendant 60 ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique. Faut-il supprimer le Centre national de la recherche scientifique ? Oui ! répond Joseph François. Car le CNRS est devenu un pachyderme administratif qui cumule les doublons et ne figure plus depuis longtemps en tête des classements. Outre-Atlantique, Donald Trump a prouvé sa détermination en signant, dès le premier jour de son mandat, des dizaines de décrets sur l’immigration, le climat ou la question du genre. Mais selon John Gizzi, le correspondant de la chaîne d’info Newsmax à la Maison-Blanche, les intentions du président américain en matière de politique étrangère sont encore floues.

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Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec Guillaume Erner, dont les propos ont été recueillis par Elisabeth Lévy. Le sociologue et présentateur des « Matins de France Culture » publie Judéobsessions, un essai émouvant et passionnant qui entremêle son histoire familiale à celle de l’antisémitisme contemporain. Pour lui, l’histoire est écrite : pour la deuxième fois, les juifs vont disparaître d’Europe. Notre chroniqueur Gilles-William Goldnadel se confie à Jean-Baptiste Roques au sujet de Journal d’un prisonnier, le roman de politique-fiction qu’il vient de publier. Dans une France où Jean-Luc Mélenchon a pris le pouvoir et fait arrêter ses opposants, on suit les mésaventures d’un certain Gronadel face à l’idéologie LFiste. Un récit à la fois hilarant et effrayant. Pour fêter ses 90 ans, le musée Marmottan Monet réunit 90 œuvres en trompe-l’œil, du XVIe siècle à nos jours. Georgia Ray rend hommage à ces morceaux de virtuosité qui brouillent les sens de perception du spectateur et démontrent que la peinture peut imiter tous les objets et toutes les matières. Raphaël de Gubernatis a visité la bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris qui dévoile une partie de son éblouissante collection de bijoux de scène. L’histoire de ces tiares, diadèmes, couronnes et colliers regorgeant de perles et de brillants est, en soi, un conte de fées. Dans la collection « Ma nuit au musée » chez Stock, Richard Malka publie Après Dieu, qui est selon Jean-Paul Brighelli un plaidoyer pour la liberté de pensée. Pour le droit de quitter sa religion aussi, même si pour lui, on a besoin d’une transcendance.

Emmanuel Tresmontant nous fait faire le tour des meilleures « bonnes adresses » parisiennes pour se fournir en pain, café ou fromage. Jean Chauvet nous invite à voir un quintette de films de l’immense cinéaste Julien Duvivier, ainsi que The Brutalist de Brady Corbet, et Le Mohican de Frédéric Farrucci.

Pour Ivan Rioufol, la « révolution du réel » de Donald Trump nous apporte un remède précieux contre la crise d’encéphalite dont souffre le monde intellectuel français depuis des décennies. Notre oligarchie politique découvre son impuissance à maintenir la chape de plomb du politiquement correct et de ses charabias. En tant que président d’Avocats sans frontières, Gilles-William Goldnadel est consterné par le délire antitrumpiste des principaux médias de gauche. « La quinzaine psychédélique qui vient de s’écouler aura été tellement pénible à vivre pour [ces derniers], que certains d’entre eux sont devenus fous et ont sombré dans le ridicule gazeux le plus hilarant ». Effectivement, quand il y a panique dans le camp du bien, il y a hilarité dans le camp de Causeur.

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Journal d'un prisonnier

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Ce que j’ai vu à Washington

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Jour 1 : Washington dort encore…

Vendredi soir 20h, 2h du matin heure française. Paris dort, l’Amérique est prête au grand réveil. Nous sommes J – 3 avant l’investiture de Donald Trump. En France, les médias s’emballent : pour certains, l’événement est un triomphe, la confirmation d’un retour au pouvoir éclatant ; pour d’autres, c’est un basculement inquiétant, une menace, la chronique d’un désastre annoncé. On repense à 2017, à ces images de vitrines brisées, de protestataires enragés, de rues en feu sous le regard médusé du monde. Mais ici, à Washington, sous ce soleil froid d’hiver, je n’ai jamais vu une ville aussi calme. Pas de cortèges furieux, pas de sirènes hurlantes, pas d’affrontements en prévision. Rien qu’un silence pesant, presque irréel. Il faut dire que l’équipe locale joue les play-offs du championnat de football américain, une première depuis 1999. Et ce soir, à Washington, c’est peut-être ça, la vraie nouvelle. Les commanders, anciennement redskins, qui ont dû être rebaptisés pour des raisons d’appropriation culturelle, les « peaux rouges » ayant chacun sait la peau rouge et non blanche comme certains joueurs de football américain. L’équipe de foot n’a en tout cas pas été cancellée des pubs et restaurants américains où le match tourne en permanence. Le sport est un rituel américain qui sert souvent de prétexte pour faire un barbecue chez soi entre amis.

L’actualité sportive ne suffit pas seule à expliquer cette sérénité à Washington…  Rappelons-nous de la situation politique américaine en 2017 où Donald Trump entrait à la Maison Blanche au terme d’une campagne improvisée, virale, anarchique et gagnée par surprise sur le fil.  Côté républicain, les élus se faisaient rares pour défendre leur candidat et la plupart ne croyaient pas qu’une victoire de Donald Trump soit possible. Le parti républicain était par ailleurs rempli de RINO (Republican in name only) ou d’élus « Never Trump » : tous ceux qui en 2016 avaient refusé par principe de soutenir le nominé de leur parti, même du bout des lèvres. Paul Ryan, alors président de la Chambre des représentants, avait déclaré devant ses troupes un mois avant l’élection en octobre 2016 qu’il ne dépenserait plus un dollar pour faire élire Donald Trump et se concentrerait sur les élections au Congrès. Républicain comme Trump, il a pourtant entravé certains de ses projets une fois élu, comme la construction du Mur. Trump devait composer avec ce parti à peine acquis et aussi éviter tous les bâtons dans les roues de ses adversaires et de l’Etat profond. Les rumeurs sur l’ingérence russe débutent dès les premiers jours de sa présidence ainsi que l’enquête fédérale. Beaucoup pariaient sur un mandat écourté par un impeachment.

Aujourd’hui la situation a décidemment bien changé. Les démocrates n’ont pas fait de chichi pour concéder l’élection. Kamala Harris s’est piteusement aplatie. La transition politique a été paisible, sans interférences ou rumeurs. Surtout sa légitimité n’est pas discutée : remportant le vote populaire contrairement à 2016, il bénéficie du soutien des deux chambres du Congrès où le parti républicain y est majoritaire. Mais surtout un parti républicain à sa botte…. Alors qu’en 2016, quelques grognards trumpistes comme Roger Stone et Rudy Giuliani relayaient la bonne parole dans les médias,  les élus MAGA sont aujourd’hui nombreux à porter la parole présidentielle au Congrès. Le speaker républicain Mike Johnson doit son perchoir au soutien que Trump lui a apporté. Pas de rumeur d’impeachment, pas de contestation de sa légitimité… Rien n’est venu arrêter ou gâcher le plaisir de ces fêtes d’inauguration.

Jour 2 : petite cure de roman national

Je voyage dans l’espace, mais aussi dans le temps. Un détour de vingt minutes depuis Washington pour aller voir… Washington. Pas seulement la ville, mais l’homme, l’ancien général de la guerre d’indépendance, le premier président des États-Unis, le mythe fondateur en chair et en os transformé en icône. On l’appelle le Père fondateur, comme pour souligner une primauté qui dépasse l’individu, une figure si massivement enchâssée dans la narration nationale qu’elle semble avoir toujours été là. Sa demeure, Mount Vernon, est un temple à 30 dollars l’entrée. Le prix d’un ticket pour l’histoire et d’une immersion savamment orchestrée dans l’Amérique des origines. La vue est intacte, dégagée, identique à celle que devait avoir le père fondateur au XVIIIe : pas un pont, pas une route, pas une usine de retraitement des eaux, rien qui trahisse l’irréversible avancée du temps. Un décor reconstitué, conçu pour transmettre une illusion : celle d’une Amérique pionnière, à l’état brut, qui aurait pu rester figée à l’état de pureté pré-industrielle. Et bien sûr, l’ombre portée de la France, l’alliée providentielle. Trois portraits de Louis XVI, un hommage discret à La Fayette, autant de rappels que l’indépendance américaine n’était pas seulement une affaire intérieure, mais un ballet transatlantique de calculs et d’idéaux. Deux cent cinquante ans après, l’anniversaire approche. Washington est la ville-musée de la Religion civile américaine. Sur la Pennsylvania Avenue, ses temples institutionnels aux colonnades néoclassiques en béton s’alignent comme des autels, chacun consacré à un pan du mythe national. Pour un Français, une certaine lassitude guette. Trop de monumentalité, trop de symboles martelés, une grandiloquence où le recueillement peine à exister. On se prend à rêver à une petite église romane, à la patine discrète des siècles, à une mémoire qui s’offre sans mise en scène.

Mise en scène de l’histoire, odeur feutrée de nostalgie et monumentalité imposante… le storytelling américain éclaire aussi un peu le phénomène Trump. L’Amérique comme les cités antiques aime se raconter sa propre histoire : sur les monuments, dans les musées, dans les séries, les films, par sa production culturelle. L’Amérique cultive bien plus que nous le culte de l’homme fort. Donald Trump excelle dans cette partition. Les « Fight, fight ! » assenés le poing levé dans ses discours, les démarches sur scène un peu viriles et boursouflées, peut-être grotesques pour un public européen, sont autant de rappel à l’origine violente et combattante de l’Amérique, nation née dans l’apprêté du conflit entre l’homme et la nature sauvage. C’est aussi la figure du ressuscité cher à Saint Paul et aux protestants : il survit aux balles, aux enquêtes judiciaires, aux vents contraires de la vie politique comme il a survécu alors qu’il était homme d’affaires aux faillites ! En 2020, malade du Covid, il est rapidement soigné et alors que son hélicoptère se pose sur la pelouse de la Maison Blanche, il donne l’impression de revenir des enfers, ressuscité après avoir dépouillé le vieil homme qui était en lui… Un showman hors pair du roman national américain. On attend donc avec impatience le spectacle de lundi.

Jour 3 : veillée d’armes

La veille, il y a le grand rassemblement des partisans de Trump à l’Aréna. Le Capital One est gorgé de casquettes rouges. L’atmosphère s’enflamme avant même l’arrivée de Trump. Le froid polaire contraint l’évènement à se tenir dans une arène mais cela n’altère pas l’enthousiasme de la foule. 25 000 personnes vibrent aux discours des orateurs parmi lesquels Elon Musk dont les exploits font grand bruit. On retrouve tout le folklore MAGA avec les concerts de rock, les chants patriotiques, le fameux Kid Rock, le chauffeur de salle régulier des meetings de Trump. L’arrivée du président élu comme son discours sont bien sûr applaudis par une salle en fusion. Trump en fin de meeting fait remarquer à la foule qu’il y a cinq micros sur scène, réservant une surprise… C’est l’étonnant retour des Village People sur scène. Cependant, le flic afro-africain est le seul interprète de l’époque. Trump n’a jamais cessé de faire campagne. Pendant sa première présidence, il ne se privait pas de tenir des meetings aux quatre coins de l’Amérique à un rythme régulier, comme s’il était encore en campagne. Trump bat le fer quand il est chaud et se fait applaudir par une base militante en pleine communion. Trump a le goût de la scène. Il a aussi un certain sens politique. Dans le panier de crabes politique de Washington, ses fans sont en fait ses seuls véritables alliés. Les maintenir mobilisés par ces rassemblements, c’est garder une pression constante sur tout le personnel politique et les élus du Congrès, lesquels, même lorsqu’ils sont républicains, peuvent être tentés de freiner ou de modérer certains projets.

Ces parades sont toujours l’occasion d’expérimenter le gigantisme américain : des petits déjeuners gargantuesques de l’Hotel Hay Adams, un lieu qui appartenait au secrétaire de Lincoln, à quelques pas de la Maison-Blanche, aux soirées exubérantes, je donne quelques interviews pour CNews ou Frontières pour partager ainsi l’ambiance unique de ce moment historique et des bals inauguraux où j’ai l’honneur de figurer. Il faut savoir paraître. Noeud papillon et veston. Comme le journaliste routier Guy de la Rigaudie, je ne voyage qu’avec le minimum vital : mon sac de couchage et mon smoking.

Jour 4 : un lundi pour l’histoire

Ce lundi est un jour l’histoire. En ce matin d’investiture, Trump assiste à une messe privée à l’église Saint-Joseph. J’ai une position privilégiée. L’appartement où je réside donne sur le lieu : je peux assister à l’arrivée du président sous haute sécurité. Un instant rare et solennel.  Pierre-Jean Chalençon fait aussi partie du voyage. Le propriétaire d’une grande collection Napoléon rappelle qu’il possède aussi une casquette originale signée par Donald Trump et remis par Jason Miller. Acmé de liturgie politique américaine au Capitole. Ce matin, Washington n’est plus seulement la capitale d’une nation, elle est le sanctuaire d’un culte. Le ciel est bas, l’air presque immobile, comme si le destin lui-même retenait son souffle. L’estrade est dressée, la Bible attend. Les paroles fatidiques de la prestation de serment seront prononcées dans quelques instants, des mots devenus rituels pour ces grandes messes civiques. Jamais l’Amérique n’a semblé aussi prête à se recueillir dans l’adoration de sa propre République.

Dans l’arène, l’effervescence est palpable. Le spectacle de la démocratie en action fascine, envoûte, captive. On entrevoit des visages graves, certains en transe, d’autres en contemplation. Trump pour sa prestation sait que ses mots resteront, que ce moment trouvera sa place parmi les grandes archives de l’Histoire : JFK et son rappel au devoir civique « ne vous demandez ce que votre pays peut faire pour vous… », Roosevelt et sa mise en garde contre la peur. Aussi, le 47e président ne déçoit pas. Son appel à « un nouvel âge américain » convoque tous les mythes fondateurs de la nation qu’il préside : élu du peuple érigé en héros, réformateur de l’Etat, régénérateur de la nation qui s’attend à connaître un nouvel âge d’or. Trump n’est pas de ceux qui recherchent le consensus. Il ne fera pas un discours solennel et consensuel à la Obama et n’hésite pas à piquer par une réplique mordante et une attaque voilée Biden et Harris qui se tiennent à quelques mètres de lui… Sous la rotonde du Capitole, la chanteuse country Carrie Underwood fait vibrer « America the Beautiful » a capella. Un petit couac technique aurait pu faire vaciller le beau moment, mais elle se rattrape, et le silence religieux de la foule, puis l’explosion d’applaudissements, transforment l’événement en épiphanie patriotique. L’Amérique écoute, et l’Amérique y croit.

J’attends trois heures dans la file d’attente aux côtés d’un juif ultra-orthodoxe, de sa femme et leur nouveau-né. On regarde ensemble la prestation de Musk, et son geste décrit comme un simulacre de salut nazi. Au moment où il tend son bras vers la foule pour lui offrir « tout son cœur », il n’y a pourtant aucune réaction dans la foule. Pas davantage chez mon interlocuteur qui aurait pu se sentir blessé. Un calme précaire toutefois : je connais le monde médiatique, je sais comment ce geste sera interprété. L’indignation ne tarde jamais. Le rythme de la journée alterne entre effusions et solennité. Point d’orgue émotionnel du spectacle : des familles des otages retenus à Gaza montent sur scène dans un calque soigneusement mis en scène qui rappelle l’investiture de Reagan en 1981 et la libération des otages de l’ambassade de Téhéran. La veille, Kid Rock bondissait sur scène dans un tumulte d’enthousiasme redneck. Aujourd’hui, la cadence est plus éparse et réfléchie, habitée par un poids historique. Une régie technique approximative n’arrive pas à briser l’ampleur du moment. La parade est sage, sans grandiloquence. Ceux qui aiment les processions militaires du 14-Juillet resteraient sur leur faim : l’Amérique ne montre pas ses muscles de cette façon. Ici, la puissance se suggère plus qu’elle ne s’affiche. Je capte cette ambiance et en fais part aux médias français. Les médias alternatifs s’emparent du moment. Interview pour Frontières, puis un échange avec « Tocsin », ces voix qui s’élèvent en marge des grands circuits d’information.

Jour 5 : un mardi après l’histoire

Mardi, la fête est passée. Petite pause après l’effervescence politique avec une session au stand de tir. Un moment privilégié pour exercer mes « god-given rights ». Je m’exerce avec Louis Sarkozy. La maîtrise des armes y est vue comme un exercice de discipline et de contrôle de soi, bien loin des clichés européens où l’on comprend mal notre attachement au second amendement de la Constitution. Le soir, j’honore une invitation pour une soirée cigare au très sélect University Club, fondé par le président Taft (un pourfendeur de l’omnipotence de l’Etat fédéral américain et une sorte de modèle d’élégance) et le général Pershing (aussi un modèle d’élégance) Ce lieu chargé d’histoire est un rendez-vous incontournable des élites washingtoniennes. Anecdote amusante : comme on jouxte la résidence de l’ambassadeur de Russie, on plaisante sur le fait que cet endroit doit être le plus écouté par le FBI et les services secrets russes. L’enquête sur l’ingérence russe, qui avait parasité le début du mandat de Trump, est bien loin… Ici, on débat, on lit, et l’atmosphère feutrée rappelle le Washington d’antan…

Jour 6 : L’Amérique éternelle

La dernière journée est placée sous le signe de la mémoire. Passage au cimetière militaire d’Arlington pour me recueillir sur les tombes des présidents et des soldats tombés pour la nation. Puis, un arrêt au Lincoln Memorial, où l’image saisissante d’un National Mall glacé contraste avec la ferveur politique des jours précédents.

Passage aux bureaux du Sénat dans le Russel Building, où se tiennent les auditions pour la formation du cabinet Trump. Washington bruisse déjà des luttes d’influence et des tractations en coulisses.

Trump inaugure son mandat d’une manière bien différente de celle de 2016, je l’ai déjà dit : le parti républicain est au garde-à-vous. L’Etat profond est sur la défensive… Dans les soirées de cette aventure Trump 2.0, il y a des trumpistes mais aussi des décideurs pas forcément politiques : des investisseurs dans l’IA et la cryptomonnaie… Tous savent que c’est ici que le pouvoir s’organise et que l’histoire s’écrit.

Crise au Congo: le Rwanda détient-il la clé?

Le groupe armé M23 s’est emparé la semaine dernière de Goma, capitale régionale du Nord-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo. On craint désormais l’escalade.


Mardi 28 janvier, l’ambassade de France de Kinshasa était incendiée par des manifestants congolais. Elle ne fut pas la seule. Furent aussi visées les ambassades des États-Unis, de la Belgique, du Kenya et bien évidemment du Rwanda. Ces évènements tirent leur origine d’un conflit civil qui se déroule depuis plusieurs années dans la région du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda dans la région des grands lacs au cœur de l’Afrique continentale.

Candidat à sa réélection à la présidence de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi réunissait le dimanche 26 janvier ses partisans dans le stade Afia de la ville de Goma. Symbolique, Goma est la capitale du Nord-Kivu. Elle a été prise par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Pour la première fois en onze ans, ces derniers ont réussi à reprendre le contrôle de la ville. L’objectif poursuivi par les membres du M23, composé en majorité de Tutsis, est l’application des accords de paix du 23 mars 2009 conclus entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et la République démocratique du Congo (RDC). Les minorités de l’est de la RDC, largement présentes au sein du CNDP, estiment que les accords de mars n’ont jamais été pleinement respectés et poursuivent donc depuis lors leur rébellion au Nord-Kivu. Ce conflit extrêmement ancien, la Guerre du Kivu ayant débuté à la fin des années 1990, témoigne autant des défaillances de l’Etat congolais que de l’opportunisme de groupes terroristes séparatistes locaux.

La République Démocratique du Congo : un véritable empire central africain

Lors de son élection en janvier 2019, Félix-Antoine Tshisekedi s’était présentécomme l’homme du renouveau et de la pacification à l’est du pays. Sa présidence était la promesse d’une réconciliation large, incarnée par la cohabitation avec le mouvement de l’ex-président Kabila, sur la base du retour de l’ordre et du règlement des « problèmes de l’Est ». L’approche retenue par Kinshasa déboucha notamment, outre la tentative d’une reprise du processus de négociation avec les voisins ougandais et rwandais, sur la proclamation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et l’Ituri en date du 3 mai 2021.

Il faut reconnaître que la situation ne s’est pas du tout arrangée depuis. Le pouvoir accordé aux militaires n’a pas entrainé de progrès pour les civils, toujours coincés entre le « marteau et l’enclume » pour reprendre la triste formule de la chercheuse Clémentine de Montjoye d’Human Rights Watch dans un entretien accordé à L’Express[1]. Des propos qui rappellent d’ailleurs ceux tenus par le Cardinal Ambongo qui a renvoyé dos-à-dos les belligérants : « Premièrement, il y a une cause interne ce qu’on appelle la mauvaise gouvernance de la part des Congolais eux-mêmes parce qu’on peut se demander pourquoi cela n’arrive qu’au Congo et pas ailleurs ? (…) L’autre raison, l’autre cause c’est une sorte des combinaisons d’intérêts économiques, des grandes compagnies pétrolières, forestières, minières qui veulent opérer au Congo mais en se servant parfois des pays voisins, d’où toute la colère actuelle au Congo vis-à-vis du Rwanda. Si je prends la province du Katanga, l’essentiel des mines du Katanga sont aujourd’hui entre les mains des Chinois parce que l’occident à un certain moment s’est retiré au nom de ce qu’on a appelé à l’époque l’Afro pessimisme, l’occident s’est retiré mais les Chinois sont venus, ils ont tout pris. Pour eux, les conditions humaines, les conditions politiques, ils ne s’intéressent pas à ça, seulement prendre les minerais »[2] 

Il serait en effet réducteur de ne voir dans le drame humanitaire congolais que la main de voisins avides. Les responsabilités sont multiples. Dans un rapport de l’Ifri daté de décembre 2022, l’expert de la région Thierry Vircoulon décrit un pays en proie au chaos, où le M23, des groupes terroristes comme l’AFC Naanga lié à l’Etat islamique, mais aussi des milices liés au pouvoir central, se taillent la part du lion sur le dos des civils : « À l’intérieur des réseaux de Big Men, le pouvoir se fonde principalement sur la distribution de bénéfices ou l’octroi d’un accès à des opportunités de génération de revenus. Appelés localement les « millionnaires du chaos » ou « les pompiers pyromanes », ces Big Men tirent les ficelles derrière les conflits locaux dans une logique de profit, les amplifient et en perdent souvent le contrôle. Ils sont à l’intersection des intérêts des voisins et des cercles dirigeants de Kinshasa et sont donc la base de cette économie violente qui s’est parfaitement insérée dans la mondialisation ».

Une situation périlleuse pour la France et l’Europe

La France respecte constamment le droit international et les positions de l’ONU en République Démocratique du Congo. Notre ministère des Affaires étrangères a ainsi appelé au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Congo dans la province du Kivu, mais aussi proposé une aide humanitaire pour les 500.000 déplacés depuis janvier. Nous n’avons toutefois pas les coudées franches pour une intervention qui ne serait par ailleurs pas souhaitable et qui n’est pas souhaitée sur place. Que des hommes politiques démagogues comme Jean-Luc Mélenchon le proposent est une chose, le faire en est une autre. Sur place, c’est la MINUSCO de l’ONU qui fait office de tampon et qui doit sûrement être renforcée. Il s’agit d’ailleurs de la plus grande mission de paix des Nations Unies, avec un total d’environ 18.000 personnels fin 2021.

La corruption endémique et les défaillances de l’Etat congolais ne sont pas raison sur la dégradation sécuritaire du Kivu. Car au fond, l’absence de résultats vient d’abord d’un « répertoire de solutions usées et d’un profond désintérêt international » qui interdisent « la remise en cause de l’économie de guérilla mortifère qui profite à une minorité », comme l’indique Monsieur Vircoulon. Une phrase qu’illustre parfaitement l’emploi massif de mercenaires roumains menés par l’ancien légionnaire Horatiu Potra, proche de Wagner et du candidat à l’élection présidentielle Georgescu, qui ont été appréhendés à Goma trois jours après la prise de la ville par le M 23.

L’Afrique-du-Sud, pays en tension actuellement menacé par l’administration américaine, entend aussi jouer un rôle régional d’envergure. Néanmoins, les morts de 13 soldats sud-africains dans le Kivu ont montré les limites de ce pays membre du BRICS qui entend soutenir le gouvernement congolais et pourraient freiner ses ambitions. Cyril Ramaphosa pourrait en faire une question de principes. Et si le devenir du continent africain se jouait désormais au Kivu ?


[1] Conflit en RDC : « Les civils sont coincés entre le marteau et l’enclume » – L’Express

[2] Est de la RDC: le Cardinal Ambongo pointe notamment la mauvaise gouvernance des congolais eux-mêmes et les combinaisons d’intérêts économiques se servant des pays voisins à la base de l’instabilité  | Actualite.cd

La France à cran d’arrêt

L’éditorial de février


Une promesse de vie humaine bafouée. Un jeune homme de 14 ans ne rentrera jamais de son entraînement de foot. Le 24 janvier, à Paris 14e, Elias a été poignardé à mort par deux barbares qui voulaient voler son portable. Victime de la cruauté à bas front de ses agresseurs (tous deux mineurs), mais aussi de la bêtise satisfaite des pouvoirs publics, parfaitement représentés en l’espèce par l’improbable Carine Petit, maire de cet arrondissement où les cités HLM assurent à Anne Hidalgo une élection sans risque.

Un an plus tôt, une bande semait la terreur aux abords des deux stades du quartier. Ne croyez pas que notre bonne maire soit restée inactive face à ce qu’elle qualifie pudiquement de « signaux d’alerte » : « On a mobilisé tout le monde, on a mis des mots sur ce qui se passait. » Combattre l’ensauvagement en « mettant des mots », il fallait oser, c’est à ça qu’on les reconnaît. Soyons justes, il y a aussi eu des actes, dont la maire se félicitait en mars 2024. « En discutant avec les services sociaux et les associations sportives, on a identifié cinq jeunes. On leur a apporté un soutien éducatif, on a aidé leurs familles et depuis, tout va mieux. » Les deux meurtriers d’Elias faisaient partie des cinq jeunes. Sans surprise, la chaîne pénale s’était montrée tout aussi inefficace, une loi scélérate concoctée par Nicole Belloubet, présentée par Éric Dupond-Moretti et votée par l’Assemblée nationale ayant établi qu’on jugerait les mineurs plusieurs mois après les faits. De sorte qu’ils ne comprennent rien à la sanction et puissent dans l’intervalle entre un délit et sa sanction causer d’autres dégâts. Ou tuer.

On savait que des bandes semaient la violence et on n’a rien fait. Pire, on a apporté à ces salopards « un soutien éducatif ». Un adolescent est mort à cause de l’idéologie de l’excuse propagée depuis quarante ans par le commentariat convenable, la sociologie d’État, les associatifs subventionnés, la gauche angélique.

Cet adolescent pourrait être votre fils ou votre frère. Alors que les États-Unis et la Chine se disputent la maîtrise de l’intelligence à coups de milliards et de puces superpuissantes, l’Europe et la France subissent un phénomène venu d’un autre âge et d’autres contrées, une multiplication des attaques à l’arme blanche qui peuvent frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe qui. Certaines sont perpétrées au nom de l’islam, d’autres pour dépouiller la victime ou à cause d’un regard de travers. En quelques jours, un homme a été poignardé au cri de Allah Akhbar! dans un supermarché d’Apt, un autre, agressé au couteau dans le métro de Lyon par un type qu’il avait bousculé. Sans oublier ce bébé de 2 ans tué par un Afghan dans une attaque au couteau dans le sud de l’Allemagne. Pour l’année scolaire 2023-24, on a recensé dans les seuls établissements parisiens 74 agressions au couteau dans les collèges, 38 dans les lycées, et 18 en primaire où les élèves ont moins de 11 ans.

Encore une fois, ne croyez pas que l’État soit impuissant. Quelques jours après la mort d’Elias, la mairie de Paris lançait son « plan couteaux ». Le rectorat, les médiateurs de la capitale, la police municipale, la préfecture de police, le parquet et de nombreux professionnels de terrain (autrement dit des militants associatifs subventionnés) ont collectivement réfléchi à des « actions de sensibilisation et de prévention », je n’invente rien. Une vidéo intitulée « Ne mets pas ton couteau dans ta poche » sera diffusée dans chaque classe parisienne. Il est aussi prévu, sans rire, de distribuer des flyers pour expliquer aux élèves qu’ils ne doivent pas porter de couteau et d’organiser la venue dans les établissements de médiateurs ou de policiers – entre deux séances d’initiation à la transidentité on suppose. Enfin, la Mairie de Paris s’apprête à doubler les effectifs de l’équipe de médiation. Les voyous tremblent. On respire.

Impuissantes à neutraliser les individus qui agressent ou tuent à l’arme blanche, incapables de les désigner parce qu’il ne faut pas stigmatiser, les institutions mèneront une guerre sans merci contre les couteaux. Un peu comme si, après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, on avait mis en place une surveillance des camions. On pense à la ministre de l’Intérieur britannique qui, après la tuerie de Southport de l’été 2024, s’en est pris à Amazon sous prétexte que l’assassin de trois petites filles s’était procuré son couteau sur la plateforme. Il faut dénoncer sans attendre les agissements du BHV.

L’accablement n’empêche pas la rage, il la décuple. Le 27 janvier, on apprenait dans Le Parisien que, dans le Colorado, un spectateur avait été tué par un marteau au cours d’une compétition de lancer dudit objet. Je ne sais pas ce que fait la police, mais j’exige que la Mairie de Paris, le ministère des Sports et l’ONU lancent immédiatement un « plan marteaux » pour que de tels drames ne se reproduisent pas.

Dieu existe, de Gaulle l’a rencontré!

La nouvelle pièce de Jean-Marie Besset est une « fantaisie politique » : De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron. Le titre est éloquent et les acteurs qui défendent ce texte sont excellents. À voir au théâtre Déjazet pour prendre un peu de hauteur…


Ah ! de Gaulle ! S’il n’avait existé il eut fallu l’inventer. Mort, il faut de temps en temps le ressusciter. Adorer ce que l’on a haï, mais aussi parfois le contraire, est le deuxième sport national après la fraude fiscale. On le sait bien, les évidentes vertus morales mais aussi l’anti-américanisme quasi primaire du vieux saint-cyrien ont fait de lui une grande référence post-mortem de la gauche à la droite…

Coup de vieux

Avec certains comédiens, convoquer l’immense bonhomme, c’est l’affaire d’un claquement de doigt, tant avec eux l’habit fait le moine. Quand Stéphane Dausse endosse l’uniforme du vieux général de brigade, le père de notre Ve République est bien là, impeccable double de celui toujours planqué dans nos mémoires, et cette fois planté bien raide dans un rêve du président Macron qui s’abandonne dans un canapé de l’Élysée. Ce jeune homme orgueilleux dont le libéralisme atlantiste va peut-être vaciller un peu devant la statue du Commandeur.

Une fantaisie politique, nous prévient Jean-Marie Besset – né un 22 novembre et ipso facto « gaulliste de naissance », auteur inconsolable d’avoir perdu ses deux pères, convoquant déjà deux fois, dans sa première pièce Villa Luco puis plus récemment Jean Moulin, Évangile, l’homme de Colombey – qui organise une rencontre au sommet pour une comédie en forme de bilan. Ça sonne comme une bonne récré à Sciences-Po, possède les éclats polis du duel à fleurets mouchetés, ça navigue sans véritable tempête entre leçon de choses et leçon d’être, entre géopolitique et démagogie utile.

Mais c’est la nuit à l’Élysée, on suppose que dans l’au-delà tante Yvonne a accordé la permission de minuit au vieux général, Brigitte dort et le jeune président vieillit à la vitesse des chiens, chaque année à vouloir présider aux destinées des Français en vaut bien sept. Un homme volontaire, optimiste, qui pense finalement que quand le bâtiment va tout va et qu’en chaque Français (de souche ou pas), sommeille une start-up qu’il faut réveiller, mais qui commence à en rabattre un peu. Le Covid et les gilets jaunes, ça vous scie les pattes, la guerre en Ukraine, ça rebat les cartes.

Nicolas Vial dessine un Macron inquiet, mobile, nerveux, se débattant souvent dans son rêve. Il n’imite jamais – à quoi bon, alors qu’il a l’âge et la gueule du rôle ? – et nous donne à voir un président aimable autant qu’arrogant, insupportable et fragile, un président qui avoue dire parfois des conneries et ne pas être capable de toucher le cœur des Français. « Leur avez-vous dit que vous les avez compris ? », interroge le vieux général…

Éditorial facétieux

Mais la pièce n’est pas à réduire à la petite réunion corporatiste, aussi ludique et cocasse soit-elle, surtout quand de Gaulle esquisse un pas de danse sur la Cucaracha. L’enjeu semblant plutôt de prendre la mesure de ce qui a changé dans notre monde. De savoir si le dialogue est encore possible entre notre présent et notre passé proche, ce passé d’avant la mondialisation et l’ordinateur personnel, ce passé dans lequel les Russes – « Je savais que le mur tomberait, c’est pour ça que je ne les ai jamais appelés soviétiques. » – étaient chez eux en Ukraine ?

Écrite sur une ligne claire – comme on dit de la bonne bédé belge – la pièce est agréable, confortable, lisible, souvent drôle, mais au-delà du divertissement, de ce petit quizz pour deux grosses têtes, nous interroge, nous demande de remettre nos propres idées au clair.

Le public rit beaucoup, il faut dire que les deux acteurs, excellemment mis en mouvement et en verve par Lionel Courtot, et très bien rôdés par une saison dans le Off d’Avignon, jouent avec un plaisir évident cette partition heureuse. Heureuse comme un éditorial facétieux plus que comme un pamphlet politique. Car il y a un côté « bien élevé » chez Jean-Marie Besset qui paraît franchement indélébile.

Et puis surtout sur la fin, la joute prend un peu l’air et s’envole, de la politique à la métaphysique il n’y avait donc qu’un pas. Et à disposer d’un mort, autant lui poser franchement la question. Faut-il vraiment s’en tenir au hasard et à la nécessité ?

La légèreté de la pièce alors devient grâce et, pour Jean-Marie Besset, la place du doute est réduite comme peau de chagrin : Dieu existe et de Gaulle l’a probablement rencontré !

Félicitons donc l’éternel non-aligné Jean Bouquin de présenter cette pièce facétieuse dans son merveilleux théâtre Déjazet, hanté par tant de fantômes.

De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron, fantaisie politique de Jean-Marie Besset. Théâtre Déjazet, à partir du 4 février, du mardi au samedi à 20h30, les samedi et dimanche à 16h. Renseignements et réservations : http://www.dejazet.com/

Claude Tresmontant, ouvrier de la pensée

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Le philosophe Claude Tresmontant (1925-1997).

Claude Tresmontant, philosophe, métaphysicien et théologien féru de cosmologie a laissé une œuvre considérable aujourd’hui méconnue. En restaurant la pensée de cet homme qui se voyait comme un « ouvrier dans la vigne », son fils, notre ami Emmanuel, signe un livre original sur la filiation et la transmission.


C’est autour de la figure du Père qu’Emmanuel Tresmontant a construit ce récit singulier qui se lit comme un roman. Mais ce témoignage venu des tripes et du cœur n’a rien de commun avec la Lettre au père (1919) dans laquelle Kafka tenta d’exorciser la peur que lui inspirait le sien. Pourquoi d’ailleurs aurait-on peur d’un père absent, qui abandonna sa famille pour en fonder une autre alors que le plus jeune de ses quatre fils, Emmanuel, avait tout juste un an ? Une histoire familiale somme toute banale si le père en question n’avait été Claude Tresmontant (1925-1997), philosophe chrétien et métaphysicien, théologien féru de cosmologie dont l’œuvre est considérable – une quarantaine d’ouvrages publiés entre 1953 et 1997 – et dont l’enseignement fascina les étudiants qui suivaient ses cours en Sorbonne jusqu’à ce que sa pensée, discréditée par ses pairs qui la jugeaient rétrograde, tombe dans l’oubli.

Or, c’est pour cette pensée que le dernier de ses fils se bat aujourd’hui avec ce mélange de détermination et de douceur qui caractérisa leurs échanges durant les sept années où ils se rencontrèrent dans un café place de la Sorbonne : « Je lui fis sentir que je n’étais pas venu le juger, ce qu’il pouvait m’apporter était plus important que tout. C’est ainsi que notre relation fut, je pense, belle et noble », écrit son fils, libéré du ressentiment comme de la colère, et de ce fait, capable de brosser de son père un « portrait au fusain », complexe et attachant, qui fait de lui un grand Vivant, au sens biblique du terme. Un père qu’il connut tardivement, et qu’il nomme tantôt Claude Tresmontant, tantôt Claude et parfois seulement « mon père », tout en refusant le titre de « fils à papa » autant que de « disciple béât ».

Catalogué comme « chrétien de gauche », Claude Tresmontant avait en réalité « un côté bohème et anarchiste » qui séduisit sa première épouse, dont Emmanuel dit tenir son caractère rêveur et son attrait pour le surnaturel. Mais ce « mélancolique ténébreux », cet homme « solitaire et obstiné » au corps vigoureux était aussi un ascète aimant se lever tôt pour travailler, et strictement végétarien depuis son séjour chez Célestin et Élise Freinet (1935-1939) qui furent ses parents de substitution alors que ses père et mère ne s’en occupaient guère. Plus ou moins abandonné dans ses jeunes années, Claude Tresmontant fut-il porté à reproduire ce qu’il avait lui-même enduré ? Toujours est-il que l’école Freinet l’a préparé à la philosophie telle qu’il la pratiqua plus tard dans le sillage de Bergson, de Blondel et de Teilhard de Chardin, tout en s’appuyant sur la pensée des auteurs médiévaux (saint Thomas, Duns Scot).

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Mais sa marque de fabrique la plus authentique fut d’être un « ouvrier dans la vigne » : un artisan au regard d’aigle qui ne maniait les abstractions que pour mieux revenir au concret, au « Réel objectif » qui réunit les hommes comme le fait un bon vin qu’on déguste en commun. Faut-il, dès lors, s’étonner qu’après que le père a cultivé toute sa vie la « vigne hébraïque » jusqu’à en extraire le suc le plus pur en restituant aux Évangiles canoniques « la saveur sauvage de l’hébreu », son fils Emmanuel soit devenu l’un des meilleurs connaisseurs en matière de gastronomie et de vins ? Une filiation reconquise sur la division familiale, car née d’une reconnaissance, d’une affection et d’un respect mutuels : « Le vin de mon père, j’ai mis des années à l’apprécier et à le comprendre. »

Ce livre qui émeut par sa sobriété rénove l’idée qu’on se fait en général de la filiation et de la transmission – de maître à disciple et de génération en génération – puisque c’est ici non seulement le père qui initia son fils à la philosophie chrétienne, mais c’est également le fils qui, devenu son disciple, travaille à promouvoir « l’œuvre séminale » de son père. Un engendrement réciproque en somme, de cœur à cœur et d’esprit à esprit, qui permet au lecteur de découvrir chez le père comme chez le fils un même goût pour la densité charnelle des mots autant que des choses : « Dans ses traductions, moi, j’entends le vent du désert, l’eau des fontaines, le cri des femmes venues toucher le vêtement du rabbi. »

Ponctué d’anecdotes elles aussi savoureuses sur quelques personnages célèbres (Malraux, Lévinas, BHL, Chouraqui…), ce récit témoigne également de la gravité, teintée de mélancolie, avec laquelle Claude Tresmontant envisageait le rôle de la philosophie dans un monde spirituellement sinistré. Il en attendait en effet qu’elle redonne le goût de la vie véritable à des générations gavées, depuis Nietzsche, de relativisme intellectuel et de nihilisme existentiel. Or, c’est peut-être là le point faible de cette philosophie, ou plutôt son talon d’Achille : avoir tenté de s’imposer contre l’idéologie « progressiste », alors dominante, en s’appuyant à la fois sur une retraduction des textes bibliques et sur les découvertes en biologie et en cosmologie qui tendent à prouver que l’existence d’un Être incréé, autant dire de Dieu, est indirectement avérée par l’évolution entropique de l’univers.

Par sa portée magistrale, une telle philosophie ne supporte pas de rivale, et celui qui la défend est condamné à régner en maître, ou à disparaître. Mais une telle maîtrise est-elle aujourd’hui envisageable au regard des philosophies qui occupent depuis des décennies le devant de la scène, et qu’Emmanuel Tresmontant situe la plupart du temps dans l’ombre de celle de son père, et non dans la lumière qui leur est propre. Il n’en demeure pas moins que si la Création continuée est à l’œuvre dans l’univers, comme l’affirmait Teilhard de Chardin, elle l’est aussi dans la relation que le fils continue d’entretenir avec son père qui lui a, dit-il, « donné les clefs » pour construire sa propre vie.

Emmanuel Tresmontant, Claude Tresmontant, un ouvrier dans la vigne : souvenirs sur mon père, Arcades Ambo, 2024.

«Toutes pour une»: dissection d’un film mort-né et d’un système mortifère

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Film "Toutes pour une", 2025 © Antonin Amy-Menichetti EASY TIGER - STUDIOCANAL - VERSUS PRODUCTION - FRANCE 2 CINEMA - RTBF (TELEVISION BELGE) - SPIRIT BIRD

Causeur veut bien que Didier Desrimais nous parle du film français le plus « woke » du moment. Mais à la condition de vraiment voir ledit film, qu’on dit victime de « review bombing » sur France inter. Et ce, jusqu’à la dernière minute…


Rubrique cinéma. Ce n’est pas une daube, c’est LA daube de ce début d’année. Éric Neuhoff, dans Le Figaro, lui a collé un zéro pointé. Le Nouvel Obs évoque un « brouillon vociférant ». Même Télérama m’avait prévenu : « scénario poussif et confus », « réalisation bourrine » – bref, le film à éviter absolument. Il n’empêche, résolu à en avoir le cœur net, je suis allé voir “Toutes pour une”, le film d’Houda Benyamina censé « revisiter » l’œuvre d’Alexandre Dumas et la transformer en un brûlot féministe. C’était dimanche. Nous étions deux dans la salle. Au bout de vingt minutes de projection, visiblement exaspéré par ce début calamiteux, mon compagnon d’infortune s’est levé et est sorti en poussant d’épais soupirs. Il n’a donc pas vu les pires scènes, qui étaient à venir, de cette bouse cinématographique. Moi, si.

Grossièretés néoféministes

Le synopsis : « Quand Sara, jeune fille en fuite, découvre que les Trois Mousquetaires qui protègent la Reine de France sont en réalité des femmes, elle décide de partir avec elles et de suivre leur exemple : se transformer pour être libre, se transformer pour être soi… » La transformation en question consiste à se bander les seins, à porter de fausses moustaches, de fausses barbes, de faux pénis, et à uriner debout en se moquant de la dernière recrue du groupe, Sara, alias d’Artagnan, qui, par manque d’habitude, se pisse dessus. Rien ne vient sauver cette déplorable production. Les scènes se succèdent confusément, noyées sous les décibels de chansons diversement modernes, anglo-saxonnes, bruyantes et commerciales. Les actrices peinent à avoir plus de deux expressions faciales. Les dialogues, consternants de bêtise, sont émaillés de grossiers messages supposément féministes. Une scène particulièrement longue et ennuyeuse voit deux des protagonistes sommer un nobliau de cesser de « faire l’homme » devant son épouse et l’enjoindre de se laisser aller et de pleurer – après moult petits cris évocateurs, parvenues à leur fin, elles s’écroulent de rire dans un râle orgasmique. Le dernier quart d’heure, d’un ennui insondable, scelle la pierre tombale sous laquelle gît ce film mort-né.

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Après une semaine d’exploitation, seuls 11 611 spectateurs se sont déplacés pour aller voir ce navet. Sur le site d’AlloCiné, aux mauvaises critiques de la presse se sont rapidement ajoutés les retours meurtriers des premiers spectateurs : « un désastre », « un naufrage » « de la propagande woke » ; l’un d’entre eux résume parfaitement la situation : « Les dialogues sont plats, l’humour forcé, le scénario manque cruellement de substance. Les scènes d’action, censées dynamiser le récit, échouent à captiver. Cette production est un exemple parfait de la manière dont le politiquement correct peut saboter le cinéma, en privilégiant une idéologie au détriment de la qualité artistique. » AlloCiné a pris la décision de retirer de son site les critiques des spectateurs, « en raison d’un afflux anormalement élevé de notes extrêmes » dans un sens ou dans l’autre. Tu parles !  

La fachosphère frappe encore

Sur France Inter, la radio la plus woke de France, la journaliste Manon Mariani a expliqué pour quelles raisons, selon elle, ce film n’a pas rencontré le succès qu’il méritait. “Toutes pour une” serait victime de review bombing, « une pratique qui consiste à massivement très mal noter un produit culturel pour nuire à sa popularité ». Qui se cache derrière cette redoutable pratique ? Mais oui, mais c’est, bien sûr, vous l’avez deviné, la… fachosphère. Cette pratique est, d’après la journaliste france-intérienne, « une véritable arme de destruction 2.0 utilisée par la fachosphère qui accuse ce qu’elle appelle l’idéologie woke d’infiltrer les films. Autrement dit, quand ils sont trop politiques, trop LGBT, trop racisés, trop féministes, etc. “Toutes pour une” est donc une cible parfaite pour ses détracteurs car le film met en scène des jeunes femmes, indépendantes, arabes, noires, et qui en plus prennent la place d’hommes blancs, figures historiques de la littérature française. » Les critiques de Télérama, de Libération, du Nouvel Obs et du Monde ont dézingué le film en lui filant la plus mauvaise note possible. Suite au rapport du comité de surveillance politique de France Inter, doivent-ils craindre de se voir bientôt accusés d’appartenir à la fachosphère ? 

Agacée par l’insuccès du film, l’actrice jouant le rôle d’Athos a posté une vidéo victimaire sur sa messagerie Instagram : « Moi, Sabrina Ouazani, enfant d’immigrés, d’origine algérienne, Française, que vous le vouliez ou non, banlieusarde, de confession musulmane, eh ben j’interprète Athos, d’Alexandre Dumas, dans “Toutes pour une” d’Houda Benyamina… et je vous emmerde ! » Elle nous emmerde d’autant plus qu’elle a su profiter d’un système de financement qui fait le bonheur des aigrefins du milieu cinématographique.  

Certains d’entre vous se sont en effet peut-être posé la question de savoir comment, avec si peu d’entrées, chacun des participants à cette catastrophe allait pouvoir continuer de payer son loyer, sa facture d’électricité et son abonnement à Netflix. Il faut savoir que ces gens-là ne sont pas payés au prorata du nombre d’entrées. Non, non, non. Ces gens-là ont déjà été payés. Et pas qu’un peu. Et, pour une bonne partie, avec notre argent.

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Le budget de “Toutes pour une” a été de… 10 millions d’euros ! France Télévisions a déboursé, tenez-vous bien, 2,6 millions d’euros. Le CNC, cette officine du cinéma woke, 750 000 euros. La Région Île-de-France, dirigée par Valérie Pécresse, 390 000 euros. Selon les chiffres issus de cinéfinances.info rapportés sur le Blog Siritz, Mme Benyamina, la réalisatrice, a touché une rémunération de 250 000 euros. Elle a également partagé, au titre de co-scénariste, 260 000 euros avec les deux autres scénaristes de ce margouillis. Chacune des actrices principales a perçu la coquette somme de 165 000 euros. Pour info, le budget du premier film de Mme Benyamina, “Divines”, vu par 321 000 spectateurs, était de 2,4 millions d’euros, et la rémunération de la réalisatrice, de 60 000 euros. Morale de l’histoire : plus c’est mauvais, plus ça peut rapporter.

Grand banditisme

Restons dans le petit monde du cinéma. Le réalisateur Robert Guédigian était récemment, sur France Inter, l’invité de Léa Salamé pour son film “La Pie voleuse”. À propos de la délinquance, en particulier des vols, ce réalisateur a une morale bien à lui, qui est en vérité celle de ses congénères de gauche, de Geoffroy de Lagasnerie et du Syndicat de la magistrature : « Il y a des bons voleurs et des mauvais voleurs. Le vol participe de la répartition des richesses. On peut voler sans violence, on peut voler pour de bonnes raisons. Le vol a toujours eu quelque chose à voir avec le banditisme social. » C’est beau. Oui, mais voilà, M. Guédigian avoue aussi que, après avoir été cambriolé quatre fois, il n’était « pas très content ». Du coup, il a fini par installer une alarme, en regrettant de ne pas l’avoir fait plus tôt car depuis, dit-il, il n’est plus cambriolé. Contre le vol organisé par des margoulins du monde dit de la culture, les Français n’ont en revanche aucun moyen de protection. Ne pouvant empêcher cette spoliation systématique, méthodique et officielle, ils se font gruger – et, à l’inverse de M. Guédigian, ils ne pensent pas que cela relève d’une juste « répartition des richesses ». Ils enragent d’entendre une actrice, qui a gagné l’équivalent de sept années de Smic pour quelques semaines de tournage, les rabrouer en se faisant passer pour une victime après leur avoir fait les poches, et de voir l’argent public arroser les projets cinématographiques les plus nuls au seul motif qu’ils répondent aux injonctions des idéologies progressistes. Sans doute M. Guédigian appellerait-il cela du « banditisme artistique » – nous parlerons plus simplement d’escroquerie.

En septembre 2023, la Cour des comptes a rendu un rapport accablant sur le CNC. Il était demandé au « quatrième collecteur de taxes affectées » d’infléchir la progression continue du nombre de films et de cesser de financer tout et n’importe quoi, sachant que, sur les dix dernières années, seulement 2% des films subventionnés ont « rencontré leur public », pour parler la langue diplomatique de Pierre Moscovici. Mais rien n’y a fait. Le CNC, doté entre autres choses d’un Fonds Images de la diversité (sic) et d’une politique écolo-bobo ayant pour objectif de favoriser « des productions ayant un impact positif sur l’environnement » (sic), agrée de plus en plus de films qui, hormis de notables exceptions, se ramassent gamelle sur gamelle. Pourtant, si l’on écoute le discours d’Olivier Henrard à l’occasion de la cérémonie des vœux 2025 du CNC qu’il préside, tout baigne, le cinéma français est une réussite et « cette réussite est le fruit du cadre de régulation et de financement qui constitue le modèle français d’exception culturelle ». Par ailleurs ce modèle aurait permis d’obtenir « des résultats exceptionnels, objectifs, chiffrés et mesurables ». Emporté par son élan, Olivier Henrard affirme que, « à l’heure où on parle de réindustrialiser notre pays ; à l’heure où l’on parle de sauvegarder notre souveraineté, notamment culturelle ; à l’heure où l’économie doit retrouver un sens et pas seulement une rationalité ; à l’heure où l’on parle de rassembler tous les Français autour de représentations communes, à cette heure-là, qui est grave, force est de constater que le modèle français de financement et de régulation du cinéma et de l’audiovisuel coche toutes les cases ». Ce modèle, selon lui, « constitue un trésor national et notre pays tout entier peut et doit le revendiquer comme une véritable fierté collective ». On croit rêver !

1h36, en salles (plus très longtemps)

Main basse sur le cinématographe

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La langue française sous le feu du wokisme

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Rachida Dati, ministre de la Culture, signe un protocole d'entente sur la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterets avec la ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly, Grand Palais, Paris, 5 octobre 2024 © Chang Martin/SIPA

Le français serait une langue difficile à apprendre et véhiculerait tant d’inégalités sexistes et identitaires qu’il est urgent, selon certains, de la simplifier. Et de la laisser « s’enrichir » par les langues étrangères et le vocabulaire des jeunes. Selon le linguiste Alain Bentolila, c’est la porte ouverte à l’illettrisme  


Plus d’un jeune français sur cinq, après une dizaine d’années passées dans les murs de l’École de la République, se trouve dans une situation d’insécurité linguistique globale à l’oral comme à l’écrit. Cette insécurité obscurcit durablement son horizon culturel et professionnel. Pour tous ces jeunes gens, la défaite de la langue est aussi la défaite de la pensée. D’incompétence en hypocrisie, de fausse compassion en lâcheté éducative, notre langue commune et notre intelligence collective se sont délitées. Mais s’il faut croire quelques linguistes atterrés et quelques pédagogues égarés, unis dans un commun renoncement, tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien ! Tout va très bien ! Les écarts à la norme n’existeraient pas, ils seraient les marques bienvenues d’une diversité identitaire ; l’illettrisme ne serait qu’une illusion portée par ceux qui veulent exclure les plus fragiles ; ce serait enfin la langue française, par son conservatisme étroit, qui serait cruelle pour les plus fragiles et injuste envers les femmes.

La langue française ne se serait jamais mieux portée !

Des linguistes qui se disent « atterrés » clament que la langue française ne s’est jamais si bien portée et qu’elle s’enrichit tous les jours de mots nouveaux, plus originaux les uns que les autres. Ils feignent d’ignorer qu’une langue n’est en elle-même ni riche ni pauvre, car une langue n’est rien sans ceux qui la parlent. La langue française n’est pas aujourd’hui un « trésor linguistique » libéralement ouvert à tous dans lequel chacun viendrait puiser, avec un égal bonheur et une égale pertinence, les instruments de sa communication. La richesse de notre langue ne se mesure pas au nombre d’entrées nouvelles dans des dictionnaires qui, chaque année, se disputent la palme de la modernité et du jeunisme en rivalisant d’audace pour intégrer – trop précipitamment – des mots aussi nouveaux qu’éphémères. Notre langue, ce sont des hommes et des femmes qui entretiennent avec elle des relations de plus en plus inégales. Ceux qui n’ont connu que promiscuité, banalité et indifférence voient leur horizon de parole limité, leur vocabulaire réduit et leur organisation grammaticale brouillée. Ce sont les « pauvres du langage », impuissants à défendre leurs points de vue, incapables de dénoncer la manipulation, sans défense contre l’arbitraire et l’injustice.

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La faute est une marque identitaire : respectons-la !

Ces mêmes hypocrites en sont venus à dénoncer la désuétude et le conservatisme borné de l’École de la République, installant ainsi l’idée, chez certains élèves et parfois chez certains parents, que les propositions scolaires sont « culturellement incompatibles » avec leurs appartenances communautaires. Ces petites lâchetés ont pour résultat le remplacement du paradigme de l’incompétence (je lis mal ! j’écris encore plus mal ! j’ai du mal à exprimer ma pensée… mais j’aimerais tant m’améliorer), par celui de l’incompatibilité (lire, écrire, s’exprimer ce n’est pas pour moi… mieux vaut y renoncer).  L’incapacité de comprendre les mots d’un autre, comme la difficulté de mettre en mot sa pensée pour un autre ont pris ainsi une tout autre signification. Ces insuffisances sont devenues l’image de notre « diversité » sociale et sont conséquemment irréductibles. « Je parle comme je suis », « je comprends ce que je veux », « j’écris comme ça me chante », tels sont aujourd’hui les slogans clamés par ceux dont les propres enfants n’ont que peu de souci à se faire pour leur avenir scolaire et social. À tous ces bien-pensants, uniquement soucieux d’échapper au procès en stigmatisation, je dis que leur coupable complaisance tue les élèves fragiles.

L’illettrisme n’est qu’une illusion : dissipons-la !

Pour être politiquement correct, faudrait-il se contenter de décrire, admiratif et amusé, les astucieuses stratégies de citoyens qui s’échinent à contourner les obstacles quotidiens que leur imposent leurs difficultés de lecture et d’écriture ? Faudrait-il, pour échapper à l’accusation de conservatisme, s’ébahir devant la vivacité et le pittoresque d’une « langue des jeunes » dont l’imprécision enferme plus qu’elle ne libère ? Faudrait-il enfin au nom du droit à la différence (et à l’indifférence) accepter que certains soient privés d’aller au plus loin d’eux-mêmes découvrir l’écrit d’un autre ? Si les hommes et les femmes en situation d’illettrisme ont droit à notre respect et à notre solidarité, l’illettrisme qui rend difficile l’exercice de leur citoyenneté n’est en rien acceptable. La description sociologique – certes utile – de ce phénomène ne lui confère aucune lettre de noblesse. Tous ceux qui entretiennent avec la langue orale et écrite des malentendus douloureux se trouvent vivre plus difficilement que les autres ; ils ont moins de chance de décider de leur destin social ; ils sont plus vulnérables devant des textes sectaires et intégristes.

La langue française est sexiste : corrigeons-la !

Par ignorance et par hypocrisie, certain.e.s féministes de salon ont cru bon de dénoncer les errements d’une langue française dont les structures morphologiques et grammaticales refléteraient, renforceraient et légitimeraient la discrimination dont sont victimes les femmes en France. Ils accusent ainsi les marques de genre – celles qui distinguent les noms masculins des noms féminins (la porte et le portail par exemple) – de manifester, par leur injuste distribution, un inacceptable mépris envers… les femmes. Des règles morphologiques « supporteraient » donc servilement les injustices sexistes et, par leur puissance normative, leur conféreraient une sorte de légitimité académique ; ainsi en est-il du toit qui domine injustement la maison. La réalité est tout autre ! Les marques de genre ont fort peu à voir avec une indication de sexe. Le français possède en fait deux genres morphologiques, l’un est dit masculin, l’autre est dit féminin. Il s’agit bien de marques de genre, permettant d’accorder entre eux les mots, et non pas d’indicateurs de sexe. Voir dans une convention morphologique sans aucune signification un complot machiste manifeste une totale ignorance des faits linguistiques, mais aussi une coupable hypocrisie. J’ai personnellement une conscience aiguë du caractère inadmissible de la discrimination sexuelle. Je trouve absolument insupportable qu’elle sévisse encore aujourd’hui dans la vie politique, professionnelle ou familiale. Mais choisir le terrain linguistique pour mener cette bataille nécessaire, en mélangeant règle grammaticale et marques de sexe, c’est confondre les luttes sociales et le badinage de salon.

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La langue française est dure aux « miséreux »

Afin de ne pas mettre en difficulté les élèves fragiles (ceux notamment présentant une « exogénéité » linguistique et culturelle), il faudrait simplifier l’orthographe et notamment les règles grammaticales telle que la loi « scélérate » de l’accord du participe passé avec le COD antéposé. Ceux-là mêmes dont les propres enfants n’auront aucun souci scolaire, sont ainsi aujourd’hui les premiers à dénoncer l’élitisme et… le caractère « cruel » de l’École de la République. Pour tous les élèves de ce pays, c’est bien l’espoir d’un pouvoir accru sur le monde qui légitimera les efforts qu’ils consentiront pour maîtriser l’orthographe et la grammaire. Ce pouvoir, ils ne le conquerront pas avec une orthographe ratiboisée et une grammaire approximative. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas à la fragilité linguistique de définir la limitation des ambitions cognitives d’un élève, c’est au contraire la hauteur des ambitions cognitives qu’on lui offre qui l’incitera à se battre pour une meilleure maîtrise linguistique et une culture plus approfondie et libératrice.

Seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra permettre à tous les citoyens de notre pays, d’où qu’ils viennent, de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire. Nous devons, donc à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue, afin qu’ils puissent être compris au plus juste de leurs intentions et comprendre avec la plus grande vigilance. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent que réside la clé d’une intégration harmonieuse. Tous ceux qui sont accueillis dans notre pays ont droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il est de leur devoir de la chérir.

Le français va très bien, merci

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Souffle épique pour tragédie grecque

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Perrine Tripier © Francesa Mantovani, Gallimard

Perrine Tripier est née peu de temps avant l’an 2000, c’est dire si elle est jeune. Elle a pourtant déjà écrit un livre qui a fait parler d’elle ; Les guerres précieuses, et nous en offre un second qui devrait en faire tout autant:   Conque. Nom féminin, coquille en spirale servant d’instrument depuis des millénaires. Coquillage berceau et tombeau, où se niche, caché, le grain de sable…


Dans un pays imaginaire entouré cependant de pays réels d’aujourd’hui, où règne un empereur aux allures d’ogre et de viking roux couvert de peaux de bêtes, Martabée, qui a quitté son village perdu dans l’arrière-pays pour faire de brillantes études à la ville en bordure d’océan, est nommée historienne en chef d’un chantier archéologique situé sur une dune. De quoi s’agit-il ? Rien moins que de déterrer les vestiges des Morgondes, ancêtres de ces lieux, et dont l’empereur attend qu’ils redorent son blason.

Les temps se confondent tant l’empereur, ses gardes et ses palais ressemblent à ceux d’un conte. Et pourtant, la technologie employée pour découvrir les origines fabuleuses est, elle, on ne peut plus actuelle. Si la mission qui lui est confiée enchante l’historienne, la mer omniprésente y est pour beaucoup. «Martabée fut réveillée tôt. Un flux de lumière pâle se coula dans la chambre comme une grosse vipère cristalline. Contre son lit venait flotter le grand voilage blanc des fenêtres ; le jour, déjà, floutait la mer à rebrousse poil. » 

Les premiers temps sont radieux ; les héros sortent de terre : «  Couchés près d’une longue épée rouillée ou d’une lance en métal verdi, les guerriers morgondes dormaient là, au creux des baleines qu’ils avaient chassées, voyageant vers les entrailles de la mer où résidait leur infini. » Les côtes des énormes mammifères érigées à la verticale leur offrent un berceau définitif. Et non seulement ces nefs d’os blanchis disent le combat furieux et magnifique de l’homme et la bête, mais les ornementations sont d’une rare finesse. Ainsi, puissance et subtilité se conjuguent pour le plus grand bonheur de l’origine retrouvée. Et pour celui de l’empereur qui ne résiste pas à la tentation de glisser une phrase ou deux dans les bulletins archéologiques publics que rédige régulièrement notre héroïne. Un banquet sera donné en l’honneur des grands hommes excavés de terre et de ceux qui les mirent en lumière. Et c’est là ou peut-être même avant que la lumière se fait glauque, car, curieusement, et alors que tout réussit à notre historienne, les métaphores de la narratrice semblent devancer la tragédie. Elle enfile une robe offerte par l’empereur :  «Spectre ondoyant, naïade défunte, Martabée se sentait transportée entre des bras puissants ; la robe lui embrassait le ventre de pierres polies. » Quant au banquet, sorte d’anti-cène, il gave les convives jusqu’à la nausée.

Et la nausée ne fera que s’amplifier. «  La gemme enfouie avait parlé. Du fond des âges, elle crachait sa pulvérulence verte. »

Pas question, bien sûr, de révéler une découverte qui fermera la boucle de manière atrocement impeccable. Dire seulement qu’on a affaire ici à la tragédie grecque, au mythe, à son rapport à l’histoire, à la vérité, au conte, au roman policier. Perrine Tripier mêle tous les genres et révèle un talent notoire pour les métaphores aquatiques et sensorielles. « En javelots de saphir, le soleil tranchait les profondeurs de l’océan. Dans le silence d’une maille lumineuse, la baleine passait. Énorme comme une ville illuminée, elle charriait sur sa peau noire tout un pullulement de poissons blancs. Ça frétillait d’or et d’argent, dans le balancier monstrueux de sa croupe lente. »

Toute quête des origines remuant nécessairement, j’ai rêvé que Perrine Tripier donnait une suite à ce roman. Par ailleurs, et là, parfaitement réveillée si jamais on peut l’être, j’ai pensé qu’il en aurait fallu de peu, et peut-être justement de choisir un genre, pour que livre foisonnant soit à la hauteur d’un mythe.

Conque de Perrine Tripier, Éditions Gallimard 2024 208 pages

Merwane Benlazar: défense de rire

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Capture France 5.

Sur France 5, le look de l’humoriste Merwane Benlazar déplaît, et fait polémique. Passé par le Jamel Comedy Club, il est présenté comme le protégé de Panayotis Pascot ou de Fary. Selon la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, « il utilise l’humour pour minimiser l’impact de l’islamisme dans la société ». Et la polémique cache un autre scandale, observe notre directrice de la rédaction.


Un humoriste de France 5 déclenche la polémique. Merwane Benlazar faisait vendredi dernier ses débuts dans l’émission du duo Anne-Elisabeth Lemoine / Patrick Cohen, un programme qui revendique haut et fort son engagement. C’est une émission résistante : contre l’extrême droite, pour MeToo… C’est alors qu’arrive un humoriste balourd, pas antipathique au demeurant, affublé d’un accoutrement salafiste – bonnet et barbe inclus. Mais, pas pour tourner en dérision les islamistes façon Sophia Aram. Ce serait même plutôt l’anti-Sophia Aram. Non, l’idée est plutôt de se moquer de ceux qui en ont peur.

Du troupeau d’humoristes de France inter, pas le plus subtil

Anne-Elisabeth Lemoine est hilare. La chronique enchaîne les clichés, rythmés par des rires forcés. On tape sur Manuel Valls, on raille Bernard Arnault. Quelle audace! Huit minutes de banalités sans la moindre pointe d’originalité ou de subtilité : un exploit.

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Mais ce n’est pas cette prestation qui déclenche le scandale. Ce sont les tweets de l’humoriste, exhumés par l’avocate Lara Fatimi. Merwane Benlazar y recommande des sites de prière et donne son avis sur la charia. En 2021, il répond à une jeune femme se plaignant d’un livreur : « T’étais encore en club alors que la place d’une femme est à la demeure auprès de son père. Crains ton seigneur. Blâme pas le frère de chez UPS. » Merwane Benlazar n’est visiblement pas un djihadiste, peut-être juste un salafiste assumé. Un influenceur d’Allah, selon l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. Après une autre émission de France 5 dans laquelle on s’est permis de cracher sur Boualem Sansal, et le fameux bandeau de France Info qualifiant de « libération d’otages palestiniens » l’échange de terroristes condamnés, cela fait désordre.

France Télévisions favorise-t-elle pour autant l’entrisme islamiste?

Non. Il faut être clair : mis à part sa nullité, il n’y a rien a reprocher à cette chronique en soi. Elle est juste bête.

Si Delphine Ernotte a peut-être parfois quelques penchants « woke », ils se manifestent surtout sur le terrain du féminisme. Aucune complaisance particulière pour l’islam radical et l’antisémitisme. D’ailleurs, il n’est pas certain que M. Benlazar fasse long feu sur France 5.

A lire aussi, Didier Desrimais: L’intolérance des « progressistes » ne connaît plus de limites

Le problème est ailleurs : dans l’idéologie spontanée de certaines rédactions et émissions, souvent produites par des boîtes extérieures qui semblent agir en roue libre. Or, il s’agit de l’argent du contribuable. Ce laxisme dans le contrôle éditorial est, au minimum, inquiétant.

Le véritable scandale n’est pas ce comique – salafiste ou non. C’est la préférence idéologique générale et spontanée du service public. Ici, le progressisme est une évidence, et le conservatisme une hérésie regrettable. Quand on cherche un humoriste, on va le piocher sur France Inter, histoire d’être sûr qu’il pense exactement comme tous les autres intervenants !

Que certaines opinions jouent à domicile est déjà problématique. Mais pire encore : elles sont à l’exact opposé de celles de la majorité des Français. Qui finiront, tôt ou tard, par en avoir assez de financer une télévision publique pour se faire insulter.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin

Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

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© Causeur

Découvrez le sommaire de notre numéro de février


On croyait que le monde de la tech et des réseaux sociaux assurerait la suprématie du wokisme jusqu’à la fin des temps, explique Elisabeth Lévy dans sa présentation de notre dossier. Autant dire que le virage spectaculaire de Musk puis de Zuckerberg a semé́ la panique dans le camp du Bien où on attaque ouvertement une liberté d’expression qui, selon Le Monde, est devenue l’arme des conservateurs. Il faut croire que la censure est celle des progressistes. N’oublions jamais que « les inconvénients de la liberté sont toujours préférables à ceux de la censure ». Pourquoi les géants du numérique américains ont-ils rallié Donald Trump ? Selon Gil Mihaely, c’est parce qu’ils partagent son inquiétude face à la concurrence chinoise et son souci de procurer aux Etats-Unis de l’énergie et des matières premières bon marché. Une autre raison est proposée par Samuel Lafont, le directeur de la stratégie numérique (et des levées de fonds) de Reconquête !, dont les propos ont été recueillis par Jean-Baptiste Roques. Pour lui, la tech américaine s’éloigne du wokisme pour la simple raison que la majorité des internautes ne sont pas woke. Elon Musk, lui, est en partie motivé par des convictions idéologiques. Je raconte la manière dont le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Et Loup Viallet, co-directeur du journal en ligne Contre-Poison, affirme que, si officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste, officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.

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Dans son édito du mois, Elisabeth Lévy revient sur le meurtre du jeune Elias, poignardé à mort dans le XIVe arrondissement de Paris. A l’habituelle indulgence judiciaire envers les assassins mineurs, et la faiblesse des autorités publiques, s’ajoute une nouvelle tendance consistant à mettre la faute sur l’instrument du crime – les couteaux – plutôt que sur l’auteur – le criminel. En somme, « un adolescent est mort à cause de l’idéologie de l’excuse propagée depuis quarante ans par le commentariat convenable, la sociologie d’État, les associatifs subventionnés, la gauche angélique ».

Algérie : avons-nous une cinquième colonne ? Pour introduire notre deuxième sujet, notre directrice de la rédaction fait remarquer que, dans la crise actuelle qui existe entre la France et l’Algérie, ils sont nombreux, en France, à prendre le parti d’Alger. « Influenceurs », imams, élus, militants… forment une cinquième colonne idéologique dont la nouvelle figure de proue est Rima Hassan. Certes, il serait injuste de faire porter le soupçon sur l’ensemble des Franco-Algériens dont la majorité aspirent seulement à être des Français comme les autres. Mais s’il y a des influenceurs, il y a des influencés qui se recrutent d’abord parmi les Franco-Algériens. Pour Charles Rojzman, beaucoup des Algériens de France sont tiraillés entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine. Cette schizophrénie identitaire est amplifiée par les discours indigénistes ou les diverses pressions exercées par le « groupe » pour contrôler la vie sociale des individus. Face à la propagande officielle et les « influenceurs » enragés qui alimentent la haine antifrançaise, Driss Ghali se demande si les Français sauront mobiliser ceux des Algériens qui aiment la France. Jean-Baptiste Roques se penche sur le cas de la Grande Mosquée de Paris qui est plus que jamais le porte-voix du régime algérien. Selon le criminologue Xavier Raufer (dont les propos ont été recueillis par Jean-Baptiste Roques et Anne Lejoly), l’agressivité́ croissante de nombreux Algériens de France envers leur pays d’accueil ne doit pas être confondue avec la crise diplomatique actuelle. Pour se faire respecter du régime algérien, il ne faut se prosterner devant lui, comme l’a fait Emmanuel Macron.

Robert Ménard nous parle de Jean-Marie Le Pen. Pour les médias et les partis de gouvernement, ce dernier était le diable de la République. Pourtant, pendant 60 ans de vie politique, par son histoire personnelle, son verbe et sa culture, il a été la voix de la France périphérique. Faut-il supprimer le Centre national de la recherche scientifique ? Oui ! répond Joseph François. Car le CNRS est devenu un pachyderme administratif qui cumule les doublons et ne figure plus depuis longtemps en tête des classements. Outre-Atlantique, Donald Trump a prouvé sa détermination en signant, dès le premier jour de son mandat, des dizaines de décrets sur l’immigration, le climat ou la question du genre. Mais selon John Gizzi, le correspondant de la chaîne d’info Newsmax à la Maison-Blanche, les intentions du président américain en matière de politique étrangère sont encore floues.

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Nos pages culture s’ouvrent sur un entretien avec Guillaume Erner, dont les propos ont été recueillis par Elisabeth Lévy. Le sociologue et présentateur des « Matins de France Culture » publie Judéobsessions, un essai émouvant et passionnant qui entremêle son histoire familiale à celle de l’antisémitisme contemporain. Pour lui, l’histoire est écrite : pour la deuxième fois, les juifs vont disparaître d’Europe. Notre chroniqueur Gilles-William Goldnadel se confie à Jean-Baptiste Roques au sujet de Journal d’un prisonnier, le roman de politique-fiction qu’il vient de publier. Dans une France où Jean-Luc Mélenchon a pris le pouvoir et fait arrêter ses opposants, on suit les mésaventures d’un certain Gronadel face à l’idéologie LFiste. Un récit à la fois hilarant et effrayant. Pour fêter ses 90 ans, le musée Marmottan Monet réunit 90 œuvres en trompe-l’œil, du XVIe siècle à nos jours. Georgia Ray rend hommage à ces morceaux de virtuosité qui brouillent les sens de perception du spectateur et démontrent que la peinture peut imiter tous les objets et toutes les matières. Raphaël de Gubernatis a visité la bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris qui dévoile une partie de son éblouissante collection de bijoux de scène. L’histoire de ces tiares, diadèmes, couronnes et colliers regorgeant de perles et de brillants est, en soi, un conte de fées. Dans la collection « Ma nuit au musée » chez Stock, Richard Malka publie Après Dieu, qui est selon Jean-Paul Brighelli un plaidoyer pour la liberté de pensée. Pour le droit de quitter sa religion aussi, même si pour lui, on a besoin d’une transcendance.

Emmanuel Tresmontant nous fait faire le tour des meilleures « bonnes adresses » parisiennes pour se fournir en pain, café ou fromage. Jean Chauvet nous invite à voir un quintette de films de l’immense cinéaste Julien Duvivier, ainsi que The Brutalist de Brady Corbet, et Le Mohican de Frédéric Farrucci.

Pour Ivan Rioufol, la « révolution du réel » de Donald Trump nous apporte un remède précieux contre la crise d’encéphalite dont souffre le monde intellectuel français depuis des décennies. Notre oligarchie politique découvre son impuissance à maintenir la chape de plomb du politiquement correct et de ses charabias. En tant que président d’Avocats sans frontières, Gilles-William Goldnadel est consterné par le délire antitrumpiste des principaux médias de gauche. « La quinzaine psychédélique qui vient de s’écouler aura été tellement pénible à vivre pour [ces derniers], que certains d’entre eux sont devenus fous et ont sombré dans le ridicule gazeux le plus hilarant ». Effectivement, quand il y a panique dans le camp du bien, il y a hilarité dans le camp de Causeur.

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Journal d'un prisonnier

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Ce que j’ai vu à Washington

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Nicolas Conquer, Washington. DR.

Jour 1 : Washington dort encore…

Vendredi soir 20h, 2h du matin heure française. Paris dort, l’Amérique est prête au grand réveil. Nous sommes J – 3 avant l’investiture de Donald Trump. En France, les médias s’emballent : pour certains, l’événement est un triomphe, la confirmation d’un retour au pouvoir éclatant ; pour d’autres, c’est un basculement inquiétant, une menace, la chronique d’un désastre annoncé. On repense à 2017, à ces images de vitrines brisées, de protestataires enragés, de rues en feu sous le regard médusé du monde. Mais ici, à Washington, sous ce soleil froid d’hiver, je n’ai jamais vu une ville aussi calme. Pas de cortèges furieux, pas de sirènes hurlantes, pas d’affrontements en prévision. Rien qu’un silence pesant, presque irréel. Il faut dire que l’équipe locale joue les play-offs du championnat de football américain, une première depuis 1999. Et ce soir, à Washington, c’est peut-être ça, la vraie nouvelle. Les commanders, anciennement redskins, qui ont dû être rebaptisés pour des raisons d’appropriation culturelle, les « peaux rouges » ayant chacun sait la peau rouge et non blanche comme certains joueurs de football américain. L’équipe de foot n’a en tout cas pas été cancellée des pubs et restaurants américains où le match tourne en permanence. Le sport est un rituel américain qui sert souvent de prétexte pour faire un barbecue chez soi entre amis.

L’actualité sportive ne suffit pas seule à expliquer cette sérénité à Washington…  Rappelons-nous de la situation politique américaine en 2017 où Donald Trump entrait à la Maison Blanche au terme d’une campagne improvisée, virale, anarchique et gagnée par surprise sur le fil.  Côté républicain, les élus se faisaient rares pour défendre leur candidat et la plupart ne croyaient pas qu’une victoire de Donald Trump soit possible. Le parti républicain était par ailleurs rempli de RINO (Republican in name only) ou d’élus « Never Trump » : tous ceux qui en 2016 avaient refusé par principe de soutenir le nominé de leur parti, même du bout des lèvres. Paul Ryan, alors président de la Chambre des représentants, avait déclaré devant ses troupes un mois avant l’élection en octobre 2016 qu’il ne dépenserait plus un dollar pour faire élire Donald Trump et se concentrerait sur les élections au Congrès. Républicain comme Trump, il a pourtant entravé certains de ses projets une fois élu, comme la construction du Mur. Trump devait composer avec ce parti à peine acquis et aussi éviter tous les bâtons dans les roues de ses adversaires et de l’Etat profond. Les rumeurs sur l’ingérence russe débutent dès les premiers jours de sa présidence ainsi que l’enquête fédérale. Beaucoup pariaient sur un mandat écourté par un impeachment.

Aujourd’hui la situation a décidemment bien changé. Les démocrates n’ont pas fait de chichi pour concéder l’élection. Kamala Harris s’est piteusement aplatie. La transition politique a été paisible, sans interférences ou rumeurs. Surtout sa légitimité n’est pas discutée : remportant le vote populaire contrairement à 2016, il bénéficie du soutien des deux chambres du Congrès où le parti républicain y est majoritaire. Mais surtout un parti républicain à sa botte…. Alors qu’en 2016, quelques grognards trumpistes comme Roger Stone et Rudy Giuliani relayaient la bonne parole dans les médias,  les élus MAGA sont aujourd’hui nombreux à porter la parole présidentielle au Congrès. Le speaker républicain Mike Johnson doit son perchoir au soutien que Trump lui a apporté. Pas de rumeur d’impeachment, pas de contestation de sa légitimité… Rien n’est venu arrêter ou gâcher le plaisir de ces fêtes d’inauguration.

Jour 2 : petite cure de roman national

Je voyage dans l’espace, mais aussi dans le temps. Un détour de vingt minutes depuis Washington pour aller voir… Washington. Pas seulement la ville, mais l’homme, l’ancien général de la guerre d’indépendance, le premier président des États-Unis, le mythe fondateur en chair et en os transformé en icône. On l’appelle le Père fondateur, comme pour souligner une primauté qui dépasse l’individu, une figure si massivement enchâssée dans la narration nationale qu’elle semble avoir toujours été là. Sa demeure, Mount Vernon, est un temple à 30 dollars l’entrée. Le prix d’un ticket pour l’histoire et d’une immersion savamment orchestrée dans l’Amérique des origines. La vue est intacte, dégagée, identique à celle que devait avoir le père fondateur au XVIIIe : pas un pont, pas une route, pas une usine de retraitement des eaux, rien qui trahisse l’irréversible avancée du temps. Un décor reconstitué, conçu pour transmettre une illusion : celle d’une Amérique pionnière, à l’état brut, qui aurait pu rester figée à l’état de pureté pré-industrielle. Et bien sûr, l’ombre portée de la France, l’alliée providentielle. Trois portraits de Louis XVI, un hommage discret à La Fayette, autant de rappels que l’indépendance américaine n’était pas seulement une affaire intérieure, mais un ballet transatlantique de calculs et d’idéaux. Deux cent cinquante ans après, l’anniversaire approche. Washington est la ville-musée de la Religion civile américaine. Sur la Pennsylvania Avenue, ses temples institutionnels aux colonnades néoclassiques en béton s’alignent comme des autels, chacun consacré à un pan du mythe national. Pour un Français, une certaine lassitude guette. Trop de monumentalité, trop de symboles martelés, une grandiloquence où le recueillement peine à exister. On se prend à rêver à une petite église romane, à la patine discrète des siècles, à une mémoire qui s’offre sans mise en scène.

Mise en scène de l’histoire, odeur feutrée de nostalgie et monumentalité imposante… le storytelling américain éclaire aussi un peu le phénomène Trump. L’Amérique comme les cités antiques aime se raconter sa propre histoire : sur les monuments, dans les musées, dans les séries, les films, par sa production culturelle. L’Amérique cultive bien plus que nous le culte de l’homme fort. Donald Trump excelle dans cette partition. Les « Fight, fight ! » assenés le poing levé dans ses discours, les démarches sur scène un peu viriles et boursouflées, peut-être grotesques pour un public européen, sont autant de rappel à l’origine violente et combattante de l’Amérique, nation née dans l’apprêté du conflit entre l’homme et la nature sauvage. C’est aussi la figure du ressuscité cher à Saint Paul et aux protestants : il survit aux balles, aux enquêtes judiciaires, aux vents contraires de la vie politique comme il a survécu alors qu’il était homme d’affaires aux faillites ! En 2020, malade du Covid, il est rapidement soigné et alors que son hélicoptère se pose sur la pelouse de la Maison Blanche, il donne l’impression de revenir des enfers, ressuscité après avoir dépouillé le vieil homme qui était en lui… Un showman hors pair du roman national américain. On attend donc avec impatience le spectacle de lundi.

Jour 3 : veillée d’armes

La veille, il y a le grand rassemblement des partisans de Trump à l’Aréna. Le Capital One est gorgé de casquettes rouges. L’atmosphère s’enflamme avant même l’arrivée de Trump. Le froid polaire contraint l’évènement à se tenir dans une arène mais cela n’altère pas l’enthousiasme de la foule. 25 000 personnes vibrent aux discours des orateurs parmi lesquels Elon Musk dont les exploits font grand bruit. On retrouve tout le folklore MAGA avec les concerts de rock, les chants patriotiques, le fameux Kid Rock, le chauffeur de salle régulier des meetings de Trump. L’arrivée du président élu comme son discours sont bien sûr applaudis par une salle en fusion. Trump en fin de meeting fait remarquer à la foule qu’il y a cinq micros sur scène, réservant une surprise… C’est l’étonnant retour des Village People sur scène. Cependant, le flic afro-africain est le seul interprète de l’époque. Trump n’a jamais cessé de faire campagne. Pendant sa première présidence, il ne se privait pas de tenir des meetings aux quatre coins de l’Amérique à un rythme régulier, comme s’il était encore en campagne. Trump bat le fer quand il est chaud et se fait applaudir par une base militante en pleine communion. Trump a le goût de la scène. Il a aussi un certain sens politique. Dans le panier de crabes politique de Washington, ses fans sont en fait ses seuls véritables alliés. Les maintenir mobilisés par ces rassemblements, c’est garder une pression constante sur tout le personnel politique et les élus du Congrès, lesquels, même lorsqu’ils sont républicains, peuvent être tentés de freiner ou de modérer certains projets.

Ces parades sont toujours l’occasion d’expérimenter le gigantisme américain : des petits déjeuners gargantuesques de l’Hotel Hay Adams, un lieu qui appartenait au secrétaire de Lincoln, à quelques pas de la Maison-Blanche, aux soirées exubérantes, je donne quelques interviews pour CNews ou Frontières pour partager ainsi l’ambiance unique de ce moment historique et des bals inauguraux où j’ai l’honneur de figurer. Il faut savoir paraître. Noeud papillon et veston. Comme le journaliste routier Guy de la Rigaudie, je ne voyage qu’avec le minimum vital : mon sac de couchage et mon smoking.

Jour 4 : un lundi pour l’histoire

Ce lundi est un jour l’histoire. En ce matin d’investiture, Trump assiste à une messe privée à l’église Saint-Joseph. J’ai une position privilégiée. L’appartement où je réside donne sur le lieu : je peux assister à l’arrivée du président sous haute sécurité. Un instant rare et solennel.  Pierre-Jean Chalençon fait aussi partie du voyage. Le propriétaire d’une grande collection Napoléon rappelle qu’il possède aussi une casquette originale signée par Donald Trump et remis par Jason Miller. Acmé de liturgie politique américaine au Capitole. Ce matin, Washington n’est plus seulement la capitale d’une nation, elle est le sanctuaire d’un culte. Le ciel est bas, l’air presque immobile, comme si le destin lui-même retenait son souffle. L’estrade est dressée, la Bible attend. Les paroles fatidiques de la prestation de serment seront prononcées dans quelques instants, des mots devenus rituels pour ces grandes messes civiques. Jamais l’Amérique n’a semblé aussi prête à se recueillir dans l’adoration de sa propre République.

Dans l’arène, l’effervescence est palpable. Le spectacle de la démocratie en action fascine, envoûte, captive. On entrevoit des visages graves, certains en transe, d’autres en contemplation. Trump pour sa prestation sait que ses mots resteront, que ce moment trouvera sa place parmi les grandes archives de l’Histoire : JFK et son rappel au devoir civique « ne vous demandez ce que votre pays peut faire pour vous… », Roosevelt et sa mise en garde contre la peur. Aussi, le 47e président ne déçoit pas. Son appel à « un nouvel âge américain » convoque tous les mythes fondateurs de la nation qu’il préside : élu du peuple érigé en héros, réformateur de l’Etat, régénérateur de la nation qui s’attend à connaître un nouvel âge d’or. Trump n’est pas de ceux qui recherchent le consensus. Il ne fera pas un discours solennel et consensuel à la Obama et n’hésite pas à piquer par une réplique mordante et une attaque voilée Biden et Harris qui se tiennent à quelques mètres de lui… Sous la rotonde du Capitole, la chanteuse country Carrie Underwood fait vibrer « America the Beautiful » a capella. Un petit couac technique aurait pu faire vaciller le beau moment, mais elle se rattrape, et le silence religieux de la foule, puis l’explosion d’applaudissements, transforment l’événement en épiphanie patriotique. L’Amérique écoute, et l’Amérique y croit.

J’attends trois heures dans la file d’attente aux côtés d’un juif ultra-orthodoxe, de sa femme et leur nouveau-né. On regarde ensemble la prestation de Musk, et son geste décrit comme un simulacre de salut nazi. Au moment où il tend son bras vers la foule pour lui offrir « tout son cœur », il n’y a pourtant aucune réaction dans la foule. Pas davantage chez mon interlocuteur qui aurait pu se sentir blessé. Un calme précaire toutefois : je connais le monde médiatique, je sais comment ce geste sera interprété. L’indignation ne tarde jamais. Le rythme de la journée alterne entre effusions et solennité. Point d’orgue émotionnel du spectacle : des familles des otages retenus à Gaza montent sur scène dans un calque soigneusement mis en scène qui rappelle l’investiture de Reagan en 1981 et la libération des otages de l’ambassade de Téhéran. La veille, Kid Rock bondissait sur scène dans un tumulte d’enthousiasme redneck. Aujourd’hui, la cadence est plus éparse et réfléchie, habitée par un poids historique. Une régie technique approximative n’arrive pas à briser l’ampleur du moment. La parade est sage, sans grandiloquence. Ceux qui aiment les processions militaires du 14-Juillet resteraient sur leur faim : l’Amérique ne montre pas ses muscles de cette façon. Ici, la puissance se suggère plus qu’elle ne s’affiche. Je capte cette ambiance et en fais part aux médias français. Les médias alternatifs s’emparent du moment. Interview pour Frontières, puis un échange avec « Tocsin », ces voix qui s’élèvent en marge des grands circuits d’information.

Jour 5 : un mardi après l’histoire

Mardi, la fête est passée. Petite pause après l’effervescence politique avec une session au stand de tir. Un moment privilégié pour exercer mes « god-given rights ». Je m’exerce avec Louis Sarkozy. La maîtrise des armes y est vue comme un exercice de discipline et de contrôle de soi, bien loin des clichés européens où l’on comprend mal notre attachement au second amendement de la Constitution. Le soir, j’honore une invitation pour une soirée cigare au très sélect University Club, fondé par le président Taft (un pourfendeur de l’omnipotence de l’Etat fédéral américain et une sorte de modèle d’élégance) et le général Pershing (aussi un modèle d’élégance) Ce lieu chargé d’histoire est un rendez-vous incontournable des élites washingtoniennes. Anecdote amusante : comme on jouxte la résidence de l’ambassadeur de Russie, on plaisante sur le fait que cet endroit doit être le plus écouté par le FBI et les services secrets russes. L’enquête sur l’ingérence russe, qui avait parasité le début du mandat de Trump, est bien loin… Ici, on débat, on lit, et l’atmosphère feutrée rappelle le Washington d’antan…

Jour 6 : L’Amérique éternelle

La dernière journée est placée sous le signe de la mémoire. Passage au cimetière militaire d’Arlington pour me recueillir sur les tombes des présidents et des soldats tombés pour la nation. Puis, un arrêt au Lincoln Memorial, où l’image saisissante d’un National Mall glacé contraste avec la ferveur politique des jours précédents.

Passage aux bureaux du Sénat dans le Russel Building, où se tiennent les auditions pour la formation du cabinet Trump. Washington bruisse déjà des luttes d’influence et des tractations en coulisses.

Trump inaugure son mandat d’une manière bien différente de celle de 2016, je l’ai déjà dit : le parti républicain est au garde-à-vous. L’Etat profond est sur la défensive… Dans les soirées de cette aventure Trump 2.0, il y a des trumpistes mais aussi des décideurs pas forcément politiques : des investisseurs dans l’IA et la cryptomonnaie… Tous savent que c’est ici que le pouvoir s’organise et que l’histoire s’écrit.

Crise au Congo: le Rwanda détient-il la clé?

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Des personnes attaquent l'ambassade du Rwanda à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le mardi 28 janvier 2025, pour protester contre l'avancée des rebelles du M23, prétendument soutenus par le Rwanda, vers la capitale de l'est du Congo, Goma © Samy Ntumba Shambuyi/AP/SIPA

Le groupe armé M23 s’est emparé la semaine dernière de Goma, capitale régionale du Nord-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo. On craint désormais l’escalade.


Mardi 28 janvier, l’ambassade de France de Kinshasa était incendiée par des manifestants congolais. Elle ne fut pas la seule. Furent aussi visées les ambassades des États-Unis, de la Belgique, du Kenya et bien évidemment du Rwanda. Ces évènements tirent leur origine d’un conflit civil qui se déroule depuis plusieurs années dans la région du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda dans la région des grands lacs au cœur de l’Afrique continentale.

Candidat à sa réélection à la présidence de la République Démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi réunissait le dimanche 26 janvier ses partisans dans le stade Afia de la ville de Goma. Symbolique, Goma est la capitale du Nord-Kivu. Elle a été prise par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Pour la première fois en onze ans, ces derniers ont réussi à reprendre le contrôle de la ville. L’objectif poursuivi par les membres du M23, composé en majorité de Tutsis, est l’application des accords de paix du 23 mars 2009 conclus entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et la République démocratique du Congo (RDC). Les minorités de l’est de la RDC, largement présentes au sein du CNDP, estiment que les accords de mars n’ont jamais été pleinement respectés et poursuivent donc depuis lors leur rébellion au Nord-Kivu. Ce conflit extrêmement ancien, la Guerre du Kivu ayant débuté à la fin des années 1990, témoigne autant des défaillances de l’Etat congolais que de l’opportunisme de groupes terroristes séparatistes locaux.

La République Démocratique du Congo : un véritable empire central africain

Lors de son élection en janvier 2019, Félix-Antoine Tshisekedi s’était présentécomme l’homme du renouveau et de la pacification à l’est du pays. Sa présidence était la promesse d’une réconciliation large, incarnée par la cohabitation avec le mouvement de l’ex-président Kabila, sur la base du retour de l’ordre et du règlement des « problèmes de l’Est ». L’approche retenue par Kinshasa déboucha notamment, outre la tentative d’une reprise du processus de négociation avec les voisins ougandais et rwandais, sur la proclamation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et l’Ituri en date du 3 mai 2021.

Il faut reconnaître que la situation ne s’est pas du tout arrangée depuis. Le pouvoir accordé aux militaires n’a pas entrainé de progrès pour les civils, toujours coincés entre le « marteau et l’enclume » pour reprendre la triste formule de la chercheuse Clémentine de Montjoye d’Human Rights Watch dans un entretien accordé à L’Express[1]. Des propos qui rappellent d’ailleurs ceux tenus par le Cardinal Ambongo qui a renvoyé dos-à-dos les belligérants : « Premièrement, il y a une cause interne ce qu’on appelle la mauvaise gouvernance de la part des Congolais eux-mêmes parce qu’on peut se demander pourquoi cela n’arrive qu’au Congo et pas ailleurs ? (…) L’autre raison, l’autre cause c’est une sorte des combinaisons d’intérêts économiques, des grandes compagnies pétrolières, forestières, minières qui veulent opérer au Congo mais en se servant parfois des pays voisins, d’où toute la colère actuelle au Congo vis-à-vis du Rwanda. Si je prends la province du Katanga, l’essentiel des mines du Katanga sont aujourd’hui entre les mains des Chinois parce que l’occident à un certain moment s’est retiré au nom de ce qu’on a appelé à l’époque l’Afro pessimisme, l’occident s’est retiré mais les Chinois sont venus, ils ont tout pris. Pour eux, les conditions humaines, les conditions politiques, ils ne s’intéressent pas à ça, seulement prendre les minerais »[2] 

Il serait en effet réducteur de ne voir dans le drame humanitaire congolais que la main de voisins avides. Les responsabilités sont multiples. Dans un rapport de l’Ifri daté de décembre 2022, l’expert de la région Thierry Vircoulon décrit un pays en proie au chaos, où le M23, des groupes terroristes comme l’AFC Naanga lié à l’Etat islamique, mais aussi des milices liés au pouvoir central, se taillent la part du lion sur le dos des civils : « À l’intérieur des réseaux de Big Men, le pouvoir se fonde principalement sur la distribution de bénéfices ou l’octroi d’un accès à des opportunités de génération de revenus. Appelés localement les « millionnaires du chaos » ou « les pompiers pyromanes », ces Big Men tirent les ficelles derrière les conflits locaux dans une logique de profit, les amplifient et en perdent souvent le contrôle. Ils sont à l’intersection des intérêts des voisins et des cercles dirigeants de Kinshasa et sont donc la base de cette économie violente qui s’est parfaitement insérée dans la mondialisation ».

Une situation périlleuse pour la France et l’Europe

La France respecte constamment le droit international et les positions de l’ONU en République Démocratique du Congo. Notre ministère des Affaires étrangères a ainsi appelé au respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du Congo dans la province du Kivu, mais aussi proposé une aide humanitaire pour les 500.000 déplacés depuis janvier. Nous n’avons toutefois pas les coudées franches pour une intervention qui ne serait par ailleurs pas souhaitable et qui n’est pas souhaitée sur place. Que des hommes politiques démagogues comme Jean-Luc Mélenchon le proposent est une chose, le faire en est une autre. Sur place, c’est la MINUSCO de l’ONU qui fait office de tampon et qui doit sûrement être renforcée. Il s’agit d’ailleurs de la plus grande mission de paix des Nations Unies, avec un total d’environ 18.000 personnels fin 2021.

La corruption endémique et les défaillances de l’Etat congolais ne sont pas raison sur la dégradation sécuritaire du Kivu. Car au fond, l’absence de résultats vient d’abord d’un « répertoire de solutions usées et d’un profond désintérêt international » qui interdisent « la remise en cause de l’économie de guérilla mortifère qui profite à une minorité », comme l’indique Monsieur Vircoulon. Une phrase qu’illustre parfaitement l’emploi massif de mercenaires roumains menés par l’ancien légionnaire Horatiu Potra, proche de Wagner et du candidat à l’élection présidentielle Georgescu, qui ont été appréhendés à Goma trois jours après la prise de la ville par le M 23.

L’Afrique-du-Sud, pays en tension actuellement menacé par l’administration américaine, entend aussi jouer un rôle régional d’envergure. Néanmoins, les morts de 13 soldats sud-africains dans le Kivu ont montré les limites de ce pays membre du BRICS qui entend soutenir le gouvernement congolais et pourraient freiner ses ambitions. Cyril Ramaphosa pourrait en faire une question de principes. Et si le devenir du continent africain se jouait désormais au Kivu ?


[1] Conflit en RDC : « Les civils sont coincés entre le marteau et l’enclume » – L’Express

[2] Est de la RDC: le Cardinal Ambongo pointe notamment la mauvaise gouvernance des congolais eux-mêmes et les combinaisons d’intérêts économiques se servant des pays voisins à la base de l’instabilité  | Actualite.cd

La France à cran d’arrêt

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Image d'illustration © FRED SCHEIBER/SIPA

L’éditorial de février


Une promesse de vie humaine bafouée. Un jeune homme de 14 ans ne rentrera jamais de son entraînement de foot. Le 24 janvier, à Paris 14e, Elias a été poignardé à mort par deux barbares qui voulaient voler son portable. Victime de la cruauté à bas front de ses agresseurs (tous deux mineurs), mais aussi de la bêtise satisfaite des pouvoirs publics, parfaitement représentés en l’espèce par l’improbable Carine Petit, maire de cet arrondissement où les cités HLM assurent à Anne Hidalgo une élection sans risque.

Un an plus tôt, une bande semait la terreur aux abords des deux stades du quartier. Ne croyez pas que notre bonne maire soit restée inactive face à ce qu’elle qualifie pudiquement de « signaux d’alerte » : « On a mobilisé tout le monde, on a mis des mots sur ce qui se passait. » Combattre l’ensauvagement en « mettant des mots », il fallait oser, c’est à ça qu’on les reconnaît. Soyons justes, il y a aussi eu des actes, dont la maire se félicitait en mars 2024. « En discutant avec les services sociaux et les associations sportives, on a identifié cinq jeunes. On leur a apporté un soutien éducatif, on a aidé leurs familles et depuis, tout va mieux. » Les deux meurtriers d’Elias faisaient partie des cinq jeunes. Sans surprise, la chaîne pénale s’était montrée tout aussi inefficace, une loi scélérate concoctée par Nicole Belloubet, présentée par Éric Dupond-Moretti et votée par l’Assemblée nationale ayant établi qu’on jugerait les mineurs plusieurs mois après les faits. De sorte qu’ils ne comprennent rien à la sanction et puissent dans l’intervalle entre un délit et sa sanction causer d’autres dégâts. Ou tuer.

On savait que des bandes semaient la violence et on n’a rien fait. Pire, on a apporté à ces salopards « un soutien éducatif ». Un adolescent est mort à cause de l’idéologie de l’excuse propagée depuis quarante ans par le commentariat convenable, la sociologie d’État, les associatifs subventionnés, la gauche angélique.

Cet adolescent pourrait être votre fils ou votre frère. Alors que les États-Unis et la Chine se disputent la maîtrise de l’intelligence à coups de milliards et de puces superpuissantes, l’Europe et la France subissent un phénomène venu d’un autre âge et d’autres contrées, une multiplication des attaques à l’arme blanche qui peuvent frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe qui. Certaines sont perpétrées au nom de l’islam, d’autres pour dépouiller la victime ou à cause d’un regard de travers. En quelques jours, un homme a été poignardé au cri de Allah Akhbar! dans un supermarché d’Apt, un autre, agressé au couteau dans le métro de Lyon par un type qu’il avait bousculé. Sans oublier ce bébé de 2 ans tué par un Afghan dans une attaque au couteau dans le sud de l’Allemagne. Pour l’année scolaire 2023-24, on a recensé dans les seuls établissements parisiens 74 agressions au couteau dans les collèges, 38 dans les lycées, et 18 en primaire où les élèves ont moins de 11 ans.

Encore une fois, ne croyez pas que l’État soit impuissant. Quelques jours après la mort d’Elias, la mairie de Paris lançait son « plan couteaux ». Le rectorat, les médiateurs de la capitale, la police municipale, la préfecture de police, le parquet et de nombreux professionnels de terrain (autrement dit des militants associatifs subventionnés) ont collectivement réfléchi à des « actions de sensibilisation et de prévention », je n’invente rien. Une vidéo intitulée « Ne mets pas ton couteau dans ta poche » sera diffusée dans chaque classe parisienne. Il est aussi prévu, sans rire, de distribuer des flyers pour expliquer aux élèves qu’ils ne doivent pas porter de couteau et d’organiser la venue dans les établissements de médiateurs ou de policiers – entre deux séances d’initiation à la transidentité on suppose. Enfin, la Mairie de Paris s’apprête à doubler les effectifs de l’équipe de médiation. Les voyous tremblent. On respire.

Impuissantes à neutraliser les individus qui agressent ou tuent à l’arme blanche, incapables de les désigner parce qu’il ne faut pas stigmatiser, les institutions mèneront une guerre sans merci contre les couteaux. Un peu comme si, après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, on avait mis en place une surveillance des camions. On pense à la ministre de l’Intérieur britannique qui, après la tuerie de Southport de l’été 2024, s’en est pris à Amazon sous prétexte que l’assassin de trois petites filles s’était procuré son couteau sur la plateforme. Il faut dénoncer sans attendre les agissements du BHV.

L’accablement n’empêche pas la rage, il la décuple. Le 27 janvier, on apprenait dans Le Parisien que, dans le Colorado, un spectateur avait été tué par un marteau au cours d’une compétition de lancer dudit objet. Je ne sais pas ce que fait la police, mais j’exige que la Mairie de Paris, le ministère des Sports et l’ONU lancent immédiatement un « plan marteaux » pour que de tels drames ne se reproduisent pas.

Dieu existe, de Gaulle l’a rencontré!

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« De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron », une pièce de Jean-Marie Besset, au théâtre Déjazet © Samuel Boyer

La nouvelle pièce de Jean-Marie Besset est une « fantaisie politique » : De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron. Le titre est éloquent et les acteurs qui défendent ce texte sont excellents. À voir au théâtre Déjazet pour prendre un peu de hauteur…


Ah ! de Gaulle ! S’il n’avait existé il eut fallu l’inventer. Mort, il faut de temps en temps le ressusciter. Adorer ce que l’on a haï, mais aussi parfois le contraire, est le deuxième sport national après la fraude fiscale. On le sait bien, les évidentes vertus morales mais aussi l’anti-américanisme quasi primaire du vieux saint-cyrien ont fait de lui une grande référence post-mortem de la gauche à la droite…

Coup de vieux

Avec certains comédiens, convoquer l’immense bonhomme, c’est l’affaire d’un claquement de doigt, tant avec eux l’habit fait le moine. Quand Stéphane Dausse endosse l’uniforme du vieux général de brigade, le père de notre Ve République est bien là, impeccable double de celui toujours planqué dans nos mémoires, et cette fois planté bien raide dans un rêve du président Macron qui s’abandonne dans un canapé de l’Élysée. Ce jeune homme orgueilleux dont le libéralisme atlantiste va peut-être vaciller un peu devant la statue du Commandeur.

Une fantaisie politique, nous prévient Jean-Marie Besset – né un 22 novembre et ipso facto « gaulliste de naissance », auteur inconsolable d’avoir perdu ses deux pères, convoquant déjà deux fois, dans sa première pièce Villa Luco puis plus récemment Jean Moulin, Évangile, l’homme de Colombey – qui organise une rencontre au sommet pour une comédie en forme de bilan. Ça sonne comme une bonne récré à Sciences-Po, possède les éclats polis du duel à fleurets mouchetés, ça navigue sans véritable tempête entre leçon de choses et leçon d’être, entre géopolitique et démagogie utile.

Mais c’est la nuit à l’Élysée, on suppose que dans l’au-delà tante Yvonne a accordé la permission de minuit au vieux général, Brigitte dort et le jeune président vieillit à la vitesse des chiens, chaque année à vouloir présider aux destinées des Français en vaut bien sept. Un homme volontaire, optimiste, qui pense finalement que quand le bâtiment va tout va et qu’en chaque Français (de souche ou pas), sommeille une start-up qu’il faut réveiller, mais qui commence à en rabattre un peu. Le Covid et les gilets jaunes, ça vous scie les pattes, la guerre en Ukraine, ça rebat les cartes.

Nicolas Vial dessine un Macron inquiet, mobile, nerveux, se débattant souvent dans son rêve. Il n’imite jamais – à quoi bon, alors qu’il a l’âge et la gueule du rôle ? – et nous donne à voir un président aimable autant qu’arrogant, insupportable et fragile, un président qui avoue dire parfois des conneries et ne pas être capable de toucher le cœur des Français. « Leur avez-vous dit que vous les avez compris ? », interroge le vieux général…

Éditorial facétieux

Mais la pièce n’est pas à réduire à la petite réunion corporatiste, aussi ludique et cocasse soit-elle, surtout quand de Gaulle esquisse un pas de danse sur la Cucaracha. L’enjeu semblant plutôt de prendre la mesure de ce qui a changé dans notre monde. De savoir si le dialogue est encore possible entre notre présent et notre passé proche, ce passé d’avant la mondialisation et l’ordinateur personnel, ce passé dans lequel les Russes – « Je savais que le mur tomberait, c’est pour ça que je ne les ai jamais appelés soviétiques. » – étaient chez eux en Ukraine ?

Écrite sur une ligne claire – comme on dit de la bonne bédé belge – la pièce est agréable, confortable, lisible, souvent drôle, mais au-delà du divertissement, de ce petit quizz pour deux grosses têtes, nous interroge, nous demande de remettre nos propres idées au clair.

Le public rit beaucoup, il faut dire que les deux acteurs, excellemment mis en mouvement et en verve par Lionel Courtot, et très bien rôdés par une saison dans le Off d’Avignon, jouent avec un plaisir évident cette partition heureuse. Heureuse comme un éditorial facétieux plus que comme un pamphlet politique. Car il y a un côté « bien élevé » chez Jean-Marie Besset qui paraît franchement indélébile.

Et puis surtout sur la fin, la joute prend un peu l’air et s’envole, de la politique à la métaphysique il n’y avait donc qu’un pas. Et à disposer d’un mort, autant lui poser franchement la question. Faut-il vraiment s’en tenir au hasard et à la nécessité ?

La légèreté de la pièce alors devient grâce et, pour Jean-Marie Besset, la place du doute est réduite comme peau de chagrin : Dieu existe et de Gaulle l’a probablement rencontré !

Félicitons donc l’éternel non-aligné Jean Bouquin de présenter cette pièce facétieuse dans son merveilleux théâtre Déjazet, hanté par tant de fantômes.

De Gaulle apparaît en songe à Emmanuel Macron, fantaisie politique de Jean-Marie Besset. Théâtre Déjazet, à partir du 4 février, du mardi au samedi à 20h30, les samedi et dimanche à 16h. Renseignements et réservations : http://www.dejazet.com/