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Le loup dans la bergerie

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Cologne, 31 décembre 2015. Parmi les 30 suspects interpellés après les agressions de la Saint-Sylvestre, 25 sont originaires du Maroc et d'Algérie (Photo : Markus Boehm)

Tandis que la presse tient en haleine l’opinion publique avec le feuilleton des réfugiés du Proche-Orient, nul n’évoque plus le flux régulier des migrants des autres régions du monde, qui continuent d’affluer vers la France par centaines de milliers chaque année, sans compter, comme l’a récemment mis en lumière l’agence Frontex, le nouvel essor de l’immigration clandestine du Maghreb, encouragée par les bras grands ouverts d’une Angela Merkel dont l’Histoire finira par juger le haut degré d’irresponsabilité en la matière. En effet, les migrants ne font jamais que saisir les perches qui leur sont tendues par les élites de commandement des terres d’accueil. Celles-ci ont, avec le temps, installé sur un même territoire des populations qui ne vivent pas à la même heure.

La variable socio-économique

Depuis plus de trente ans, nos élites politiques, économiques, syndicales, associatives, médiatiques déversent des larmes de crocodile sur une courbe du chômage qui demeure inflexible, sans jamais daigner intégrer la variable de l’immigration dans l’équation, comme si aucun des migrants ne finissait par rejoindre le marché de l’emploi. Les statistiques enquêtes/ emploi de l’Insee indiquent pourtant que leur taux de chômage est double de celui des non-immigrés (période 1995-2010). Quant à celui des jeunes issus de l’immigration, selon une étude de l’OCDE de juillet 2015, il est de 50 % plus élevé que celui des « jeunes sans origine migratoire », selon l’expression de cette étude.

Contrairement au mensonge largement propagé, car des plus commodes, la variable socio-économique est pourtant loin de jouer le rôle de premier plan qui lui est prêté dans la dégradation de l’intégration, au fil du temps. Au demeurant, cela est parfaitement connu en haut lieu, comme en atteste cette conclusion extraite de l’enquête Pisa 2012 sur le suivi des acquis des élèves, qui figurait dans la version de travail d’une feuille de route portant le sceau de Matignon, et qui est passée mystérieusement à la trappe avant sa publication, début 2014 : « Plus préoccupants encore, les écarts entre élèves issus de l’immigration et les autres demeurent très importants, même corrigés des variables socio-économiques. »[access capability= »lire_inedits »]

Tout comme les bourgeois avaient naguère besoin de leurs pauvres à qui faire l’aumône à la sortie de la messe, nos élites ont besoin de leurs nouveaux damnés de la Terre pour montrer qu’elles ont « une bonne conscience en parfait état de marche », selon l’expression de Romain Gary dans Chien blanc, où il décrit une élite américaine toujours dans l’affectation, jamais dans la sincérité. Attribuer la responsabilité des difficultés d’intégration au niveau socio-économique, et par ricochet aux Français qui empêcheraient l’ascension sociale des migrants et de leurs descendants, arrange les affaires de bien trop de monde. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ce mensonge soit abandonné. C’est sur lui qu’ont été bâties les innombrables politiques qui se sont succédé depuis le début des années 1980 (et qui ont échoué) : zones d’éducation prioritaires, loi SRU, refonte des programmes scolaires…

La politique du loup dans la bergerie

À la suite des attentats de novembre dernier, le président de la République a promis la déchéance de nationalité pour les terroristes. Enfin, pour ceux qui sont encore en vie après leur passage à l’acte. Depuis lors, nous est imposé un feuilleton tragi-comique, qui n’est toujours pas achevé à cette heure, au cours duquel le fond du sujet n’est jamais abordé. Pire, c’est la politique du loup dans la bergerie qui a été imposée. Pour protéger leurs citoyens, les dirigeants européens n’ont pas trouvé mesure plus intelligente que de retenir les apprentis terroristes à l’intérieur du territoire, quand l’esprit de responsabilité commandait tout au contraire de les laisser partir, puis de les empêcher de revenir. Parmi ceux qui sont retenus intra-muros ou ceux qu’on laisse revenir, certains passeront à l’acte. En droit, cela s’apparente à une mise en danger de la vie d’autrui.

On ne démarque pas une nation comme un mouchoir

Pendant que les citoyens assistent médusés à un remake des Bourgeois de Calais, où les dirigeants européens s’en vont déposer aux pieds de la Turquie les clés des frontières de l’Europe, assorties de milliards d’euros et de la suppression des visas pour les 75 millions de Turcs, notre Assemblée nationale s’est distinguée en votant l’élargissement du droit du sol à des personnes qui ne sont pas nées sur le sol français (loi no 2016-274 relative au droit des étrangers en France). Les élus disposent de la France comme si elle leur appartenait en propre. Un nouveau coup porté à un lien de confiance déjà fort distendu. Rappelons que toute pièce d’identité constitue en outre un titre de propriété accordé sur la terre. En l’absence d’adhésion à un même socle de principes et de valeurs, la porte ne s’ouvre-t-elle pas inexorablement vers une grande explication ?

« Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l’état actuel des choses, l’état actuel de l’opinion, l’état des esprits en France est de nature à alarmer et à affliger. […] Si je jette, messieurs, un regard attentif sur la classe qui gouverne, sur la classe qui a des droits et sur celle qui est gouvernée, ce qui s’y passe m’effraie et m’inquiète […] Je crois que nous nous endormons, à l’heure qu’il est, sur un volcan. » C’est le 27 janvier 1848, soit moins d’un mois avant la révolution de la même année, qu’Alexis de Tocqueville prononce ce discours à la Chambre des députés, discours qui mérite d’être lu dans son intégralité tant il résonne avec notre époque.

Ceux qui avaient pour mission première de protéger la France ont failli. Ils ont créé les conditions de son aspiration par le tourbillon du chaos dans lequel le Maghreb et le Proche-Orient ont été entraînés. Mais il n’est pas certain qu’elle ait dit son dernier mot, car « tôt ou tard, la patrie submergée flotte à la surface et reparaît […] La protestation du droit contre le fait persiste à jamais. Le vol d’un peuple ne se prescrit pas. Ces hautes escroqueries n’ont point d’avenir. On ne démarque pas une nation comme un mouchoir. » (Victor Hugo).[/access]

Décomposition française: Comment en est-on arrivé là ?

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Au nom du Miséricordieux

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francois xavier boissoudy misericorde

Jésus est accroupi face à un aveugle, ses doigts lui effleurent le visage. Il achève de lui nettoyer les yeux, la vue est prête à lui revenir. La première chose qu’il verra, son premier souvenir de voyant, ce sera le visage attentif de Jésus. Entre eux, la lumière est si intense qu’elle estompe les contours du bras du Christ. Lumière et toucher pourraient résumer toute l’exposition « Miséricorde » de François-Xavier de Boissoudy.

L’aveugle de Jéricho est exemplaire de son art : raconter un moment où Dieu touche l’homme autant qu’il se laisse toucher par lui, contact émotionnel autant que physique. Un art en noir et blanc (lavis d’encre noire à peine teintée), où la nature s’efface presque, où le décor se dépouille, où la décoration n’est pas un souci.

De même que dans « Résurrection », sa précédente exposition, François-Xavier de Boissoudy avait représenté tous les moments où le Christ était apparu aux hommes, de même dans « Miséricorde » il recense les moments où Jésus a fait œuvre de miséricorde. C’est un Dieu profondément humain, proche, qui est mis en scène, moins dans le triomphe du miracle et la stupeur des assistants que dans l’instant précis où rien n’existe que cette relation : Jésus pleura nous montre le Christ pleurant Lazare mort ; avant la résurrection, avant même de voir son corps ; dans l’instant où sa miséricorde s’émeut.

Talitha Koum (Jeune fille, réveille-toi !) se situe juste après la résurrection : la fille de Jaïre et Jésus se regardent. Elle vient d’ouvrir les yeux, encore gisante, Jésus est penché sur elle. Ces deux torses et ces deux visages enserrent une lumière qui les baigne autant qu’elle paraît émaner d’eux. L’effet est puissant mais il n’est pas recherché au sens où Boissoudy fuit le spectaculaire, comme le remarque François Bœpsflug (qui signe un catalogue sensible et accessible). Jésus et la jeune fille sont seuls, sans le grand apparat du décor et des figurants ; sans les convenances, comme lorsqu’il est seul avec Marie-Madeleine quand elle lui essuie les pieds avec ses cheveux dans Le repas chez Simon (qui existe en trois versions, de plus en plus resserrées, lent travelling rejetant le superflu pour ne plus montrer que l’essentiel, la lumière se concentrant entre leurs deux visages.

Une lumière qui est parfois l’unique signe que Jésus est là : dans une des nativités, Bethléem, la sainte famille est à peine distincte cependant qu’un tourbillon confus, qui unit bergers, moutons et arbres, se porte vers la crèche qui irradie : masse obscure de la nature venue adorer la surnature incarnée. De même Jérusalem, l’année dernière, représentait la résurrection du Christ par un minuscule trou de lumière au sein d’une colline noire, surmontée d’une ville massive, grise, opaque.

L’exposition mélange habilement les instants de grâce, sans chronologie. Ce qui frappe, c’est cette lecture minutieuse des Évangiles – puissante invitation à les rouvrir –, qui repère avec la justesse du cœur des moments ayant échappé jusque-là aux artistes, et cette manière si particulière d’isoler le Christ dans son effusion miséricordieuse, qui se manifeste par une lumière surgissant de la relation. François-Xavier de Boissoudy nous offre un Christ attentif et réel. Ses tableaux ont visiblement Jésus pour sujet et non pas l’Évangile pour prétexte.

Ce sont d’ailleurs les toiles où le Christ est le plus présent qui sont les plus réussies : celles où la miséricorde est à l’œuvre. Le peintre s’approche de son sujet comme un photographe essayant d’être au plus près de l’événement. Le spectateur est avec, dans la foule, dans un effet caravagesque amplifié où notre regard se focalise sur Jésus et laisse flous les premiers plans : là où la foule veut lapider La femme adultère (c’est-à-dire la punir sans la toucher), le Christ l’abrite de son corps et dessine dans le sable et nous le contemplons, des premiers rangs, en plongée. Qui m’a touché fige le moment où Jésus sent que son manteau a été volontairement effleuré, guérissant par ce seul contact (miséricorde si présente, si offerte, si prête qu’elle se donne presque à son insu : « J’ai senti qu’une force était sortie de moi. » – Luc, 8, 46) cette femme souffrant d’hémorragie et soignée en vain par des médecins qui la considèrent comme impure – et lui ont pris tout son argent. Mais Jésus se laisse toucher, pour lui l’impur n’existe pas : ni la main de la femme malade, ni la chevelure de la prostituée, ni le visage de l’aveugle, ni le corps du lépreux, ni les cadavres… Ni même notre chair, qu’il embrasse. Et nous aussi, nous pouvons le toucher.

Miséricorde, à la galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008, Paris, jusqu’au 28 mai 2016.

Quand l’œil sourit

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«Henry IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne, de Toussaint Dubreuil» ré-intitulé «Défilé printemps-été» par les auteurs du «Louvre insolent» aux Éditions Anamosa.

La jolie surprise que voilà ! Le Louvre des ratages. Le guide des croûtes. Le cabinet de curiosités des incongruités esthétiques. Avec en couverture Le bienheureux Ranieri délivre les pauvres d’une prison de Florence, de Sassetta, sorte de saint Superman du XVe siècle volant dans les airs et qui fait un doigt d’honneur (ou un geste de bénédiction, on ne saura jamais) à ses ouailles, Le Louvre insolent donne le ton.

Le tableau que l’on nous vend depuis des siècles comme un chef-d’œuvre de l’histoire de l’art n’était peut-être, après tout, qu’un « nanar » — c’est-à-dire, comme l’explique Jacques-Pierre Amette dans son introduction, « une œuvre qui permet un déplacement qui n’était pas prévu par le peintre, (…) une peinture, soudain, qui permet une double lecture. La noble et la triviale. L’officielle et la personnelle. » Et en effet, comment ne pas sourire au portrait un rien ridicule d’Henry IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne, de Toussaint Dubreuil (vers 1561-1602) malicieusement ré-intitulé par les auteurs « Défilé printemps-été » ? Ou rester perplexe devant la tête disproportionnée de ce Saint Jérôme méditant (« Gym tonic »), de Jan Cornelisz Vermeyen (1525) qui, si on le regarde avec attention, possède tout de même ses qualités, notamment ce crâne « éclairé par une lumière crue, [qui] prend une dimension particulièrement inquiétante, une fois isolé du reste de la composition ».

C’est tout l’art des auteurs de cet épatant manuel (impeccable sur le plan historique, critique, biographique et iconographique) de montrer à la fois comment une « grande » œuvre du passé peut avoir sa part de grotesque et comment dans ce grotesque on peut encore trouver de la beauté. Exemple, cette Vierge à l’enfant entourée des saints innocents (« Congelez-les ! ») datant de 1618 et signé de Rubens qui, plus que la sainteté des chiards, a peint l’esprit d’enfance, véritable métaphysique de la marmaille,  comme peu l’ont fait. Excellente idée en ce sens d’insérer entre deux toiles improbables quelques authentiques chefs-d’œuvre, tel le Saint Jean Baptiste de Léonard de Vinci (vers 1513-1516) qui surgit dans sa double page et rappelle combien le génie peut nous émouvoir à jamais.

Qu’on ne s’y méprenne donc pas : le but de Cécile Baron et de François Ferrier n’est pas de relativiser ni de rabaisser l’art, mais bien au contraire de le dépoussiérer en vue de se le réapproprier. Et par « le détail qui tue », réapprendre à regarder un tableau hors de toutes considérations universitaires. En vérité, ce n’est pas l’art mais la culture qui en prend un coup. La culture et son esprit de sérieux, son bon goût normatif, sa stérilisation permanente, autant de codes qui font du tableau un simple objet de savoir et pour le savant un prétexte de pouvoir sur les autres. Alors que discuter d’une œuvre au risque d’en sourire, c’est lui rendre sa vie propre.

Bien sûr, on ne sera pas d’accord avec tous les choix des auteurs, comme par exemple avec cette Mort de Cléopâtre (« La main au panier »), de Giampietrino (première moitié du XVIème siècle) qui nous semble bien plus érogène et mystique qu’ils ne semblent le dire, mais qu’importe ! Des goûts et des couleurs, il faut en disputer. Et l’essentiel est d’aller le faire au Louvre, manuel en poche. Si après ça, les gardiens de musée ne vous admirent pas…

Le Louvre insolent, Cécile Baron et François Ferrier, avec la participation de Frédéric Alliot, préface de Jacques-Pierre Amette, Éditions Anamosa, 2016.

Itinéraires d’étoiles filantes

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(Photomontage : Henry Bataille/WikimediaCommons/cc/SIPA.00669220_000028)

Jean de Tinan (1874-1898) est un ovni du paysage littéraire. Repéré et adulé par un cercle d’initiés, il est cette année exhumé en grande pompe par les éditions Bartillat avec la parution coup sur coup de son journal intime inédit et d’une biographie exhaustive signée Jean-Paul Goujon, augmentée de nombreux documents et fac-similés.

Ce fils unique, solitaire ontologique, développa très tôt un talent pour l’auto-analyse. Son journal témoigne d’une sensibilité, d’un romantisme touchants pour un jeune homme de la Belle Époque, habitué des bordels et des filles faciles simplement parce qu’il désespérait de trouver une épaule sincère sur laquelle laisser couler sa tête et ses larmes. Tinan, de son vrai nom Jean Le Barbier de Tinan, est un orphelin par la force des choses : l’incompréhension s’installe dès le berceau entre lui et ses parents ; un collectionneur acharné qui n’a que peu de regards pour son fils et une mondaine frénétique ne songeant qu’à accrocher sa progéniture au bras d’une héritière. À bien y songer, Tinan serait plus exactement l’un des enfants précoces de Barrès, celui du Culte du Moi : vivre et sentir ne lui suffit pas.

Qu’il s’agisse d’un souffle de vent passé dans les arbres de l’abbaye de Jumièges ou de la chevelure mousseuse d’une fille de brasserie, il faut re-sentir, creuser, ressasser, épuiser le monde en en faisant de jolies guirlandes de vers et de prose. D’où une production littéraire impressionnante pour un si jeune auteur. En 1893, il prophétisait, peut-être par coquetterie, peut-être pas : « Je veux vivre intensément puisque je dois mourir jeune. »

Proche du Mercure de France et ami jusqu’à la fin de Pierre Loüys et des Heredia, on lui doit Un document sur l’impuissance d’aimer, l’emblématique Penses-tu réussir !, L’Exemple de Ninon de Lenclos amoureuse, Aimienne, ou le Détournement de mineure, entre autres journaux et notes, textes posthumes, inachevés, annoncés et jamais commencés, ainsi que quelques romans signés par Willy.

Vivre trop vite

Rongé par une maladie rhumatismale qui atteint son cœur, il s’épuise, travaille trop et vit trop vite. Tinan qui nous fait signe depuis l’autre côté du XXème siècle est la jeunesse dans ce qu’elle a d’universellement gracieux, naïf et bordélique. Dans sa dernière lettre à une amie de longue date, il inscrit la seule épitaphe qu’un gamin de 24 ans puisse assumer devant l’éternel : « Quelle vie !!!! »

« Quelle vie » aussi que celle de Nabilla Benattia, plus connue sous son seul prénom et par sa paire de seins siliconés surexposés sur les chaines de la TNT à l’heure où les ados rentrent du lycée. Consciente de son statut creux de starlette, la jeune femme de 24 ans, curieux reflet des ambitieux de son âge qui hantaient le milieu littéraire un siècle auparavant, se livre dans une autobiographie à son image, rédigée avec le soutien précieux de Jean-François Kervéan, Trop vite.

Elle raconte sans pudeur ni impudeur des histoires qui parlent aux enfants de ce temps, un divorce douloureux, le choc des cultures entre un père musulman pratiquant et une fille qui rêve de rouge à lèvres et des plages de Miami, la solitude, la télévision, l’argent facile, la chute également. La vie de Nabilla ressemble à un roman d’apprentissage trash. Quand elle trouve l’amour, c’est en la personne d’un candidat de télé-réalité avec lequel elle traverse la planète pour les besoins d’un tournage, Thomas Vergara, et ne le reconnait pas. Le monde dans lequel elle évolue impose le faux, les excès et les trahisons. Finalement, elle s’étonne elle-même et choisit l’amour, la passion même. Un soir de novembre 2014, alors que son couple est la proie des médias, une dispute dégénère dans un hôtel de Boulogne-Billancourt, elle attrape un couteau de cuisine et blesse Thomas, « sans le vouloir ». Au milieu des studios de télé, c’est une tragédie moderne qui prend forme. Direction la prison pour femmes de Versailles, le contrôle judiciaire qu’elle enfreint, la cavale et au bout de ce chemin chaotique, la maturité. Lucide, cette étoile filante n’attend désormais plus rien des projecteurs.

Elle aussi, à sa manière, parce qu’il n’en existe guère plus d’autre aujourd’hui, a grandi et vécu trop vite. Jean de Tinan, Nabilla, les sales gosses de leur génération ont quelque chose à nous dire de plus que les livres d’Histoire : ils racontent la douleur du choc frontal entre l’innocence sortie de l’enfance et un monde qui ne lui appartient pas, pas encore.

Jean de Tinan, biographie, Jean-Paul Goujon, Bartillat, 520 pages.
Journal intime, Jean de Tinan, Bartillat, 520 pages.
Trop vite, Nabilla Benattia, Robert Laffont, 260 pages.



Trop vite

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Juifs et cathos: enfin frères?

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Le pape François se recueillant, en mai 2014, face au mur des Lamentations (Photo : SIPA.00684468_000008)

L’an prochain à Jérusalem ! Ok, mais avant cela il y a un autre rendez-vous pour tous les jeunes juifs de France : du 12 au 17 juillet à Paray-le-Monial, charmante bourgade bourguignonne, à 1h30 de Lyon[1. Session #Juifs&Cathos2016 Renseignements : www.juifsetcathos2016.org Inscriptions : http://juifsetcathos2016.paray.org]. Cela fait quarante ans que la communauté catholique de l’Emmanuel y organise des sessions de cinq jours pour tous les styles et tous les âges : familles, jeunes, retraités, jeunes professionnels, etc. Et c’est précisément là que l’évêque du lieu, Monseigneur Benoît Rivière, a décidé d’accueillir 600 jeunes juifs et catholiques pour un événement pas banal et, disons-le, terriblement audacieux.

Il s’agit pour les 18-35 ans de venir découvrir et faire connaître le judaïsme vivant, tel qu’il se définit lui-même. Si le principe paraît simple, l’organisation s’avère plutôt complexe : monter un espace 100 % cacher (certifié par le rabbin Yehouda Berdugo) en plein cœur d’une cité-sanctuaire, haut lieu du renouveau catholique actuel ; organiser la table cacher commune pour les juifs et les chrétiens ; faire vivre le chabbat non seulement à tous les participants, mais y inviter aussi les 2 500 participants de la session 25-35 ans qui se déroulera en parallèle.

Côté catho, l’intérêt est évident. C’est la rencontre idéale pour découvrir ou approfondir les racines juives du christianisme, de sa foi, de son éthique, de sa liturgie. Sans cette connaissance fondamentale, il est impossible pour un chrétien de saisir réellement son identité religieuse, car c’est en « scrutant le mystère de l’Eglise » que le concile Vatican II a déclaré le lien indissoluble de l’Eglise avec le judaïsme[2. Concile Vatican II, déclaration Nostra Aetate, n°4]. Et si le pape Benoît XVI a parlé des juifs comme de « nos pères dans la foi », et Jean-Paul II  comme de « nos frères aînés », c’est bien pour signifier cette filiation. Ce sera aussi l’occasion de mesurer la dette que nous devons à nos amis juifs, dans un profond souci de vérité.

Le retournement récent de l’Eglise

Et pour un juif ? Qu’est-ce qu’il pourrait bien avoir à faire de ces quelques chrétiens qui s’intéressent à lui ? Cela n’est-il pas leur affaire ? Et pourtant, si le Grand Rabbin de France Haïm Korsia a déjà annoncé sa présence, c’est qu’il doit y avoir un intérêt. Ne serait-ce qu’étudier cet étrange phénomène qu’est le retournement récent de l’Eglise : comment après avoir contribué pendant des siècles à la diffusion de l’antijudaïsme en est-on venu, il y a 50 ans, à rompre définitivement avec toute forme d’antisémitisme et à prôner l’amitié et le dialogue fraternel ? Pourquoi le pape, autorité morale mondialement respectée et écoutée, a-t-il récemment affirmé : « Attaquer les juifs ou Israël relève de l’antisémitisme. Il peut y avoir des désaccords politiques entre gouvernements et sur les questions politiques, mais l’État d’Israël a parfaitement le droit d’exister dans la sécurité et la prospérité. » Alors que les catholiques sont cent fois plus nombreux que les juifs et que la mission de l’Eglise est pourtant d’évangéliser le monde entier, pourquoi un récent document officiel du Vatican affirme-t-il : « L’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs[3. « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29) – Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50ème anniversaire de Nostra Aetate n°4. Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. 10 décembre 2015 ] » ?

Des réponses à ce genre de questions ont amené des rabbins orthodoxes d’Israël, d’Europe et des Etats-Unis à publier une importante tribune où ils déclarent : « Nous reconnaissons que le christianisme n’est ni un accident ni une erreur, mais le fruit d’une volonté divine et un don fait aux nations. En séparant le judaïsme et le christianisme, Dieu a voulu une séparation entre des partenaires présentant des divergences théologiques importantes, mais non entre des ennemis[4. Faire la volonté de Notre Père des cieux. Vers un partenariat entre juifs et chrétiens. 3 décembre 2015] », et de citer le rabbin Naftali Zvi Berliner (Netsiv) : « Quand les enfants d’Esaü auront été poussés par pureté d’esprit à reconnaître le peuple d’Israël et ses vertus, alors nous serons également amenés à reconnaître Esaü comme notre frère. » Parce qu’ils reconnaissent que les Saintes Ecritures sont la Parole de Dieu, plus de 2 milliards de chrétiens étudient la Torah et contribuent à la faire connaître dans le monde entier.

Une nouvelle page s’écrit. Une « occasion historique s’offre à nous.[5. Déclaration des rabbins orthodoxes] » La rencontre est audacieuse et demandera certainement du courage. Il en fallut à Jacob pour rencontrer son frère Esaü – qui pourtant cherchait encore il y a peu à le tuer. Le passé douloureux est pris en compte et, surtout, l’héritage est reçu et transmis. « Lumière pour éclairer les nations et gloire d’Israël son peuple.[6. Evangile selon saint Luc 2,32] »

«Le Mans», le tournage infernal

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DR

C’est l’histoire d’un mec qui, jusque-là, avait la baraka. Il était apparu, un jour de septembre 1958, dans le poste de télé avec sa Winchester et était devenu en un épisode le « King of cool ». Les femmes se noyaient dans ses yeux bleus. Les hommes imitaient sa nonchalance sauvage. Les enfants le voulaient tous comme père. Et les producteurs avaient enfin trouvé leur nouvelle étoile. Ce gamin élevé dans une ferme du Missouri était aussi à l’aise sur la selle d’un Mustang qu’en costume trois pièces. Josh Randall ou Thomas Crown, Bullit ou Papillon, Steve McQueen (1930-1980) irradiait chacun de ses films d’une classe (sur)naturelle. Il aimait les voitures rapides, les femmes, l’alcool, tous les plaisirs intenses qui empêchent de trop penser. Il carburait à l’adrénaline et tenait une moyenne élevée dans tous les domaines. Une douzaine de conquêtes par semaine et des pointes à 380 km/h dans les Hunaudières au volant d’une Porsche 917.

C’était un temps où les stars de cinéma ne prêchaient pas l’ascétisme en conférences de presse. Le principe de précaution et la fausse modestie n’étaient pas encore des valeurs à la mode. Les spectateurs attendaient de leur héros qu’il dépasse toutes les limites. McQueen allait leur donner cet indispensable accélérateur de vie. Sa passion pour les sports mécaniques le poussa donc à se lancer dans un pari fou : tourner sur le circuit des 24 Heures du Mans et retranscrire le plus fidèlement possible l’ambiance survoltée de cette course mythique. Le documentaire The Man & Le Mans  en DVD revient sur ce tournage dantesque avec des images et des enregistrements, notamment la voix de Steve, jamais entendus. Ce film sélectionné à Deauville est passé dans très peu de salles en 2015. Les fétichistes du talon-pointe doivent se le procurer d’urgence. Les autres découvriront comment un acteur passe du rêve au cauchemar. Quand le tournage débute le 15 juin 1970, la ville du Mans se transforme en Hollywood-sur-Sartre.

Avec sa casquette de producteur délégué, Steve a recruté les meilleurs techniciens, les meilleurs pilotes, le meilleur réalisateur John Sturges (La Grande Evasion, Les Sept Mercenaires, etc.) et c’est lui, en personne, qui incarnera le coureur vedette. Sur le papier, un succès en charentaises ! Dans la réalité, une scoumoune inimaginable. McQueen avait l’ambition de viser bien plus haut que Grand Prix sorti en 1966 qui met en scène plusieurs épreuves du Championnat du monde de Formule 1. Sa connaissance de la course — il venait de terminer deuxième des 12 Heures de Sebring derrière Andretti (vainqueur des 500 miles d’Indianapolis et de Daytona) — serait sa botte secrète. Il y avait tous les éléments pour cartonner au box-office, manquait seulement un scénario. McQueen se foutait de l’histoire, il n’avait qu’une idée en tête : faire vivre la course de l’intérieur grâce à des moyens techniques révolutionnaires (caméras embarquées) pour l’époque. Au bout de cinq semaines de tournage, toujours sans scénario au planning, le film patinait sérieusement et accumulait une série d’accidents gravissimes.

Du jamais vu ! Derek Bell serait brûlé au visage, David Piper perdrait une jambe lors d’une sortie de route, Sturges à bout de nerfs rendrait son tablier et sera remplacé par Lee H. Katzin, un inconnu, des producteurs affolés par les dépassements de budget, des assurances à l’agonie et le couple McQueen à la dérive. En somme, une vraie hécatombe. Ce documentaire interroge tous les participants de cette folle aventure. Les témoignages de Neile, sa première épouse et de Chad son fils, sont particulièrement émouvants. Tant bien que mal, le film finira par être mis en boîte et reçut un accueil mitigé de la critique en 1971.

Après Le Mans , McQueen divorcera  et sa passion des automobiles le quittera peu à peu. Quarante-cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette épopée ? Un témoignage exceptionnel sur la course, des plans à couper le souffle, peut-être le plus beau film sur le combat entre l’homme et la machine. Des gerbes d’eau qui brouillent la vision, le bruit de moteurs assourdissants, des montées en régime asphyxiantes, un ballet sur le bitume et Steve en combinaison, magistral d’aisance et de fluidité.

The Man & Le Mans, en DVD (en bonus « I Am Steve McQueen : The King of Cool », documentaire de 92 mn).

Le jour où Lee Sedol a eu honte

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Retransmission télévisuelle du match entre AlphaGo et Lee Sedol, le 15 mars dernier (Photo : SIPA.AP21871158_000010)

On peut se demander ce qu’a ressenti Lee Sedol, champion du monde de go quand, le 15 mars dernier, il a été battu par AlphaGo, le programme développé par Google. De la colère ? Du dépit ? L’impression d’avoir été pris au piège par une intelligence artificielle qui, après avoir été le sujet des romans de science-fiction, est entrée dans notre vie quotidienne  comme Tay, la tweeteuse créée par Microsoft qui devait apprendre des autres internautes et qui a été retirée du réseau  en moins de 24 h car elle était devenue complètement raciste ?

« Un beau jour, le petit ordinateur apprit qu’il existait des foules de grands ordinateurs de toutes espèces, des multitudes. Et le petit ordinateur comprit que les ordinateurs grandiraient toujours en sagesse et en puissance et qu’un jour… un jour… un jour… », comme le dit un personnage du Cycle des robots d’Isaac Asimov. « À l’évidence, AlphaGo est différent, avant tout parce qu’il n’est pas humain. Tout est complètement différent de ce à quoi j’ai été habitué et j’ai eu du mal à m’y faire », a déclaré Sedol qui pense déjà à la revanche : « Si c’était à refaire, je ne peux pas dire que je gagnerais, je pense que sur des aspects de go pur, l’intelligence humaine peut être meilleure qu’AlphaGo, mais qu’en revanche psychologiquement, sur la concentration, il est meilleur. » Le plus troublant, c’est que malgré lui Sedol personnifie un ordinateur à qui il dénie juste toute humanité.[access capability= »lire_inedits »]

Pour qui a écouté Lee Sedol après cette défaite, il y avait chez lui, aussi, un écho du Günther Anders de L’Obsolescence de l’homme. Dans les années 1940, il montre comment les machines démodent l’homme lui-même qui éprouve une « honte prométhéenne ». Pour Anders, l’intuition de cette obsolescence lui vient lors d’un salon scientifique californien visité avec un ami en 1942 : « Dès qu’une machine des plus complexes de l’exposition a commencé à fonctionner, T. a baissé les yeux et s’est tu. » Lee Sedol et Microsoft ont sans doute eux aussi baissé les yeux à cause de cette « honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ».

Le Cycle des robots, Isaac Asimov (J’ai lu)
L’Obsolescence de l’homme, Günther Anders (Encyclopédies des nuisances)
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Les robots

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«Les Visiteurs 3»: accusé Poiré levez-vous…

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Christian Clavier et Jean Reno (Photo : Nicolas Schul/GAUMONT/OUILLE PRODUCTIONS/TF1 FILMS PRODUCTION/NEXUS FACTORY/OKKO PRODUCTION)

Il faut dire que c’était mal parti. D’abord, il y a eu cette polémique suscitée quelques jours avant la sortie par l’absence sur l’affiche du nom du seul acteur noir du film : Pascal N’Zonzi, jetant ainsi sur les acteurs et la maison Gaumont l’insidieux soupçon de racisme. Et puis ensuite, il y a eu la censure exercée par la société de production qui a refusé de convier les journalistes à des projections presse. Alors, le jour de la sortie en salle pas de quartier pour Les Visiteurs 3. Le couperet du tribunal de la critique cinéma est tombé. Et c’était prévisible. Les journalistes, déjà sur les crocs, se sont bien évidement lâchés sur le troisième volet des aventures du seigneur Godefroy de Montmirail et de son écuyer Jacquouille la Fripouille.

Il est vrai qu’espérer trouver de la finesse et de la subtilité dans Les Visiteurs 3, c’est comme demander à un cheval de trait de galoper à la vitesse d’un pur sang. Et de toute façon Jean-Marie Poiré n’avait pas signé pour faire du Eric Rohmer, du Ettore Scola ou du Bertrand Tavernier.

Mais au-delà de la laideur esthétique, du scénario erratique, de la lourdeur des sketches, c’est peut-être bien la vision négative de la Révolution française qui a au fond le plus déplu et exaspéré. Ainsi, à la veille de la sortie, Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche et porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, a eu le privilège (eh oui !) de voir le film en avant-première, s’est empressé de dénoncer au micro des Informés, l’émission animée par Jean-Mathieu Pernin, sur France Info, le caractère « réactionnaire » du film en reprochant au réalisateur d’avoir associé Révolution et Terreur. Jacques Mandelbaum, le critique cinéma du quotidien du soir, fait également le même reproche. Jean-Marie Poiré diffuserait donc dans son film une odieuse propagande monarchiste et militerait pour le retour de l’Ancien Régime… Sans blague ! Poiré « royco », ce serait quand même lui faire trop d’honneur !

Mais on voit bien ce qui se trame derrière cette accusation. Le film est jugé comme réactionnaire et donc antirépublicain parce qu’il écorne la légende dorée de la Révolution française, associée aux droits de l’homme, au progressisme social, à notre cher triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » en mettant en scène la Terreur robespierriste. Certes, depuis les travaux de François Furet, Mona Ozouf, Patrice Gueniffey ou encore Reynald Secher, « la part maudite » de la Révolution française a été largement mise en lumière permettant ainsi de contrebalancer le monopole de la version officielle imposée par les héritiers du jacobinisme.

Poiré, l’avocat involontaire des contre-révolutionnaires

Alors on comprend qu’en touchant à l’Incorruptible, Les Visiteurs 3 ont eu de quoi hérisser les poils des amoureux du bonnet phrygien. Pourtant quoi de plus fidèle à la vérité historique que de montrer un Robespierre aussi raide et froid que la lame de la guillotine, lui qui était l’incarnation du règne de la Vertu, moteur de son idéologie criminelle visant à « régénérer » dans le sang la France corrompue par ces parasites d’aristocrates en dentelle.

Mais au-delà de ce portrait de l’Etre suprême, le film met en scène le langage révolutionnaire, instrument efficace mis en œuvre pour manipuler l’opinion, discréditer et éliminer. On y voit donc l’avocat d’Arras, obsédé par le complot, manier un langage d’inquisiteur, passer tout au peigne fin, scruter la moindre hésitation et menacer de la peine capitale tous ceux qu’il juge comme « les ennemis du peuple », catégorie stigmatisante étendue à tous ceux soupçonnés de ne pas adhérer à la Révolution. Et il n’y avait pas que des aristos comme le rappelle, d’ailleurs, une scène dans le film où Jacquouillet, (descendant de Jacquouille) pourtant accusateur public et compagnon de Charlotte (Sylvie Testud), la sœur de Robespierre, est à deux doigts d’y passer. Car un bon révolutionnaire est un coupeur de tête qui fait du chiffre et sur ce plan-là Jacquouillet a du retard, préférant à son devoir, son intérêt personnel en allant réquisitionner le château de Montmirail.

Et que dire de cette récurrence du terme « citoyen », utilisé à tout bout de champ dans le film jusqu’à saturation. Dans l’une des premières scènes du film, où Godefroy et Jacquouille comparaissent devant le tribunal révolutionnaire pour haute trahison, on y voit Charlotte, ponctuer son discours de « citoyen le commissaire », « citoyen le juge ». Au-delà  d’un comique de répétition qui trouve vite ses limites, cette redondance exacerbée du mot « citoyen » a le mérite de marquer l’opposition entre la masse de ses « citoyens », sans nom, sans attache, sans histoire, définis seulement par leurs métiers, tous fils de la Révolution qui dépossède et uniformise, et Godefroy le hardi, comte de Montmirail, issu de l’ancienne noblesse féodale, attaché à ses terres, à ses titres, à ses faits d’armes, à ses racines et à sa descendance, bref à tout ce qui constitue son identité… Oh parjure !

Enfin venons-en à celle qu’on surnommait la Veuve. La guillotine est décrite comme un instrument qui tranche beaucoup mieux que la hache. « Ça coupe net ! » s’exclame Jacquouille devant l’enchaînement des décapitations. Il ne croit pas si bien dire. C’est très certainement involontaire de la part de Clavier et de Poiré, les co-auteurs du scénario, mais avec ce genre de petite remarque innocente, hélas noyée dans un océan boueux de grossièretés navrantes de facilité, on pourrait faire assez vite de Poiré un disciple de Furet dénonçant les prodromes des totalitarismes modernes dans la Révolution. Bon, peut-être que j’ai coupé les cheveux en quatre… Certes, mais ce sera toujours mieux que la tête.

Les Visiteurs, la révolution, de Jean-Marie Poiré. En salle.

Manichéens de tous les pays…

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Erdogan, fin 2015 (Photo : SIPA.AP21830322_000004)

Qu’ont de commun le « chavisme » vénézuélien, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan ? Ce sont trois cas de « démocrature », selon la politologue Renée Fregosi. Ils organisent des élections, mais en réalité ce sont des régimes autoritaires qui ne respectent pas les règles de base démocratiques (médias libres, pluralisme politique, justice indépendante), prétendant représenter directement la volonté populaire. Ceux qui ne pensent pas comme eux ne sont pas des concurrents, mais des ennemis, des traîtres. Ces justicialistes abreuvent leur pouvoir d’imaginaires complots avec souvent l’antisémitisme dans les parages.

L’islamisme radical, montre Renée Fregosi, ressemble beaucoup au justicialisme : même appel à se fondre dans une communauté conformiste et prohibitrice et à se venger d’ennemis imaginaires tenus responsables des échecs du monde arabo-musulman, même refus de toute forme de pluralisme intellectuel.

Or, depuis que les migrations ont obligé des millions de musulmans à se confronter à la diversité des cultures, ces islamistes tentent de les empêcher d’intégrer leurs pays accueil et de produire des « pensées métisses ».[access capability= »lire_inedits »] Ils sont secondés par ceux que Fregosi appelle « les idiots utiles de l’islamisme », ces islamo-gauchistes qui se montrent intransigeants envers les démocraties et étonnamment complaisants envers leurs ennemis.

« Après les attentats de janvier 2015, un espace de parole critique de l’islamisme s’est entrouvert, mais bien vite refermé », écrit Renée Fregosi. Depuis les attentats de Bruxelles, cet espace semble de nouveau ouvert. Le livre de Renée Fregosi a donc des chances d’être lu et ses analyses, méditées.

Les Nouveaux Autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates, Renée Fregosi, Editions du Moment, 2016.
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Les Nouveaux Autoritaires

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Le loup dans la bergerie

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Cologne, 31 décembre 2015. Parmi les 30 suspects interpellés après les agressions de la Saint-Sylvestre, 25 sont originaires du Maroc et d'Algérie (Photo : Markus Boehm)
Cologne, 31 décembre 2015. Parmi les 30 suspects interpellés après les agressions de la Saint-Sylvestre, 25 sont originaires du Maroc et d'Algérie (Photo : Markus Boehm)

Tandis que la presse tient en haleine l’opinion publique avec le feuilleton des réfugiés du Proche-Orient, nul n’évoque plus le flux régulier des migrants des autres régions du monde, qui continuent d’affluer vers la France par centaines de milliers chaque année, sans compter, comme l’a récemment mis en lumière l’agence Frontex, le nouvel essor de l’immigration clandestine du Maghreb, encouragée par les bras grands ouverts d’une Angela Merkel dont l’Histoire finira par juger le haut degré d’irresponsabilité en la matière. En effet, les migrants ne font jamais que saisir les perches qui leur sont tendues par les élites de commandement des terres d’accueil. Celles-ci ont, avec le temps, installé sur un même territoire des populations qui ne vivent pas à la même heure.

La variable socio-économique

Depuis plus de trente ans, nos élites politiques, économiques, syndicales, associatives, médiatiques déversent des larmes de crocodile sur une courbe du chômage qui demeure inflexible, sans jamais daigner intégrer la variable de l’immigration dans l’équation, comme si aucun des migrants ne finissait par rejoindre le marché de l’emploi. Les statistiques enquêtes/ emploi de l’Insee indiquent pourtant que leur taux de chômage est double de celui des non-immigrés (période 1995-2010). Quant à celui des jeunes issus de l’immigration, selon une étude de l’OCDE de juillet 2015, il est de 50 % plus élevé que celui des « jeunes sans origine migratoire », selon l’expression de cette étude.

Contrairement au mensonge largement propagé, car des plus commodes, la variable socio-économique est pourtant loin de jouer le rôle de premier plan qui lui est prêté dans la dégradation de l’intégration, au fil du temps. Au demeurant, cela est parfaitement connu en haut lieu, comme en atteste cette conclusion extraite de l’enquête Pisa 2012 sur le suivi des acquis des élèves, qui figurait dans la version de travail d’une feuille de route portant le sceau de Matignon, et qui est passée mystérieusement à la trappe avant sa publication, début 2014 : « Plus préoccupants encore, les écarts entre élèves issus de l’immigration et les autres demeurent très importants, même corrigés des variables socio-économiques. »[access capability= »lire_inedits »]

Tout comme les bourgeois avaient naguère besoin de leurs pauvres à qui faire l’aumône à la sortie de la messe, nos élites ont besoin de leurs nouveaux damnés de la Terre pour montrer qu’elles ont « une bonne conscience en parfait état de marche », selon l’expression de Romain Gary dans Chien blanc, où il décrit une élite américaine toujours dans l’affectation, jamais dans la sincérité. Attribuer la responsabilité des difficultés d’intégration au niveau socio-économique, et par ricochet aux Français qui empêcheraient l’ascension sociale des migrants et de leurs descendants, arrange les affaires de bien trop de monde. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que ce mensonge soit abandonné. C’est sur lui qu’ont été bâties les innombrables politiques qui se sont succédé depuis le début des années 1980 (et qui ont échoué) : zones d’éducation prioritaires, loi SRU, refonte des programmes scolaires…

La politique du loup dans la bergerie

À la suite des attentats de novembre dernier, le président de la République a promis la déchéance de nationalité pour les terroristes. Enfin, pour ceux qui sont encore en vie après leur passage à l’acte. Depuis lors, nous est imposé un feuilleton tragi-comique, qui n’est toujours pas achevé à cette heure, au cours duquel le fond du sujet n’est jamais abordé. Pire, c’est la politique du loup dans la bergerie qui a été imposée. Pour protéger leurs citoyens, les dirigeants européens n’ont pas trouvé mesure plus intelligente que de retenir les apprentis terroristes à l’intérieur du territoire, quand l’esprit de responsabilité commandait tout au contraire de les laisser partir, puis de les empêcher de revenir. Parmi ceux qui sont retenus intra-muros ou ceux qu’on laisse revenir, certains passeront à l’acte. En droit, cela s’apparente à une mise en danger de la vie d’autrui.

On ne démarque pas une nation comme un mouchoir

Pendant que les citoyens assistent médusés à un remake des Bourgeois de Calais, où les dirigeants européens s’en vont déposer aux pieds de la Turquie les clés des frontières de l’Europe, assorties de milliards d’euros et de la suppression des visas pour les 75 millions de Turcs, notre Assemblée nationale s’est distinguée en votant l’élargissement du droit du sol à des personnes qui ne sont pas nées sur le sol français (loi no 2016-274 relative au droit des étrangers en France). Les élus disposent de la France comme si elle leur appartenait en propre. Un nouveau coup porté à un lien de confiance déjà fort distendu. Rappelons que toute pièce d’identité constitue en outre un titre de propriété accordé sur la terre. En l’absence d’adhésion à un même socle de principes et de valeurs, la porte ne s’ouvre-t-elle pas inexorablement vers une grande explication ?

« Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l’état actuel des choses, l’état actuel de l’opinion, l’état des esprits en France est de nature à alarmer et à affliger. […] Si je jette, messieurs, un regard attentif sur la classe qui gouverne, sur la classe qui a des droits et sur celle qui est gouvernée, ce qui s’y passe m’effraie et m’inquiète […] Je crois que nous nous endormons, à l’heure qu’il est, sur un volcan. » C’est le 27 janvier 1848, soit moins d’un mois avant la révolution de la même année, qu’Alexis de Tocqueville prononce ce discours à la Chambre des députés, discours qui mérite d’être lu dans son intégralité tant il résonne avec notre époque.

Ceux qui avaient pour mission première de protéger la France ont failli. Ils ont créé les conditions de son aspiration par le tourbillon du chaos dans lequel le Maghreb et le Proche-Orient ont été entraînés. Mais il n’est pas certain qu’elle ait dit son dernier mot, car « tôt ou tard, la patrie submergée flotte à la surface et reparaît […] La protestation du droit contre le fait persiste à jamais. Le vol d’un peuple ne se prescrit pas. Ces hautes escroqueries n’ont point d’avenir. On ne démarque pas une nation comme un mouchoir. » (Victor Hugo).[/access]

Décomposition française: Comment en est-on arrivé là ?

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Au nom du Miséricordieux

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francois xavier boissoudy misericorde

francois xavier boissoudy misericorde

Jésus est accroupi face à un aveugle, ses doigts lui effleurent le visage. Il achève de lui nettoyer les yeux, la vue est prête à lui revenir. La première chose qu’il verra, son premier souvenir de voyant, ce sera le visage attentif de Jésus. Entre eux, la lumière est si intense qu’elle estompe les contours du bras du Christ. Lumière et toucher pourraient résumer toute l’exposition « Miséricorde » de François-Xavier de Boissoudy.

L’aveugle de Jéricho est exemplaire de son art : raconter un moment où Dieu touche l’homme autant qu’il se laisse toucher par lui, contact émotionnel autant que physique. Un art en noir et blanc (lavis d’encre noire à peine teintée), où la nature s’efface presque, où le décor se dépouille, où la décoration n’est pas un souci.

De même que dans « Résurrection », sa précédente exposition, François-Xavier de Boissoudy avait représenté tous les moments où le Christ était apparu aux hommes, de même dans « Miséricorde » il recense les moments où Jésus a fait œuvre de miséricorde. C’est un Dieu profondément humain, proche, qui est mis en scène, moins dans le triomphe du miracle et la stupeur des assistants que dans l’instant précis où rien n’existe que cette relation : Jésus pleura nous montre le Christ pleurant Lazare mort ; avant la résurrection, avant même de voir son corps ; dans l’instant où sa miséricorde s’émeut.

Talitha Koum (Jeune fille, réveille-toi !) se situe juste après la résurrection : la fille de Jaïre et Jésus se regardent. Elle vient d’ouvrir les yeux, encore gisante, Jésus est penché sur elle. Ces deux torses et ces deux visages enserrent une lumière qui les baigne autant qu’elle paraît émaner d’eux. L’effet est puissant mais il n’est pas recherché au sens où Boissoudy fuit le spectaculaire, comme le remarque François Bœpsflug (qui signe un catalogue sensible et accessible). Jésus et la jeune fille sont seuls, sans le grand apparat du décor et des figurants ; sans les convenances, comme lorsqu’il est seul avec Marie-Madeleine quand elle lui essuie les pieds avec ses cheveux dans Le repas chez Simon (qui existe en trois versions, de plus en plus resserrées, lent travelling rejetant le superflu pour ne plus montrer que l’essentiel, la lumière se concentrant entre leurs deux visages.

Une lumière qui est parfois l’unique signe que Jésus est là : dans une des nativités, Bethléem, la sainte famille est à peine distincte cependant qu’un tourbillon confus, qui unit bergers, moutons et arbres, se porte vers la crèche qui irradie : masse obscure de la nature venue adorer la surnature incarnée. De même Jérusalem, l’année dernière, représentait la résurrection du Christ par un minuscule trou de lumière au sein d’une colline noire, surmontée d’une ville massive, grise, opaque.

L’exposition mélange habilement les instants de grâce, sans chronologie. Ce qui frappe, c’est cette lecture minutieuse des Évangiles – puissante invitation à les rouvrir –, qui repère avec la justesse du cœur des moments ayant échappé jusque-là aux artistes, et cette manière si particulière d’isoler le Christ dans son effusion miséricordieuse, qui se manifeste par une lumière surgissant de la relation. François-Xavier de Boissoudy nous offre un Christ attentif et réel. Ses tableaux ont visiblement Jésus pour sujet et non pas l’Évangile pour prétexte.

Ce sont d’ailleurs les toiles où le Christ est le plus présent qui sont les plus réussies : celles où la miséricorde est à l’œuvre. Le peintre s’approche de son sujet comme un photographe essayant d’être au plus près de l’événement. Le spectateur est avec, dans la foule, dans un effet caravagesque amplifié où notre regard se focalise sur Jésus et laisse flous les premiers plans : là où la foule veut lapider La femme adultère (c’est-à-dire la punir sans la toucher), le Christ l’abrite de son corps et dessine dans le sable et nous le contemplons, des premiers rangs, en plongée. Qui m’a touché fige le moment où Jésus sent que son manteau a été volontairement effleuré, guérissant par ce seul contact (miséricorde si présente, si offerte, si prête qu’elle se donne presque à son insu : « J’ai senti qu’une force était sortie de moi. » – Luc, 8, 46) cette femme souffrant d’hémorragie et soignée en vain par des médecins qui la considèrent comme impure – et lui ont pris tout son argent. Mais Jésus se laisse toucher, pour lui l’impur n’existe pas : ni la main de la femme malade, ni la chevelure de la prostituée, ni le visage de l’aveugle, ni le corps du lépreux, ni les cadavres… Ni même notre chair, qu’il embrasse. Et nous aussi, nous pouvons le toucher.

Miséricorde, à la galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008, Paris, jusqu’au 28 mai 2016.

Quand l’œil sourit

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«Henry IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne, de Toussaint Dubreuil» ré-intitulé «Défilé printemps-été» par les auteurs du «Louvre insolent» aux Éditions Anamosa.

La jolie surprise que voilà ! Le Louvre des ratages. Le guide des croûtes. Le cabinet de curiosités des incongruités esthétiques. Avec en couverture Le bienheureux Ranieri délivre les pauvres d’une prison de Florence, de Sassetta, sorte de saint Superman du XVe siècle volant dans les airs et qui fait un doigt d’honneur (ou un geste de bénédiction, on ne saura jamais) à ses ouailles, Le Louvre insolent donne le ton.

Le tableau que l’on nous vend depuis des siècles comme un chef-d’œuvre de l’histoire de l’art n’était peut-être, après tout, qu’un « nanar » — c’est-à-dire, comme l’explique Jacques-Pierre Amette dans son introduction, « une œuvre qui permet un déplacement qui n’était pas prévu par le peintre, (…) une peinture, soudain, qui permet une double lecture. La noble et la triviale. L’officielle et la personnelle. » Et en effet, comment ne pas sourire au portrait un rien ridicule d’Henry IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne, de Toussaint Dubreuil (vers 1561-1602) malicieusement ré-intitulé par les auteurs « Défilé printemps-été » ? Ou rester perplexe devant la tête disproportionnée de ce Saint Jérôme méditant (« Gym tonic »), de Jan Cornelisz Vermeyen (1525) qui, si on le regarde avec attention, possède tout de même ses qualités, notamment ce crâne « éclairé par une lumière crue, [qui] prend une dimension particulièrement inquiétante, une fois isolé du reste de la composition ».

C’est tout l’art des auteurs de cet épatant manuel (impeccable sur le plan historique, critique, biographique et iconographique) de montrer à la fois comment une « grande » œuvre du passé peut avoir sa part de grotesque et comment dans ce grotesque on peut encore trouver de la beauté. Exemple, cette Vierge à l’enfant entourée des saints innocents (« Congelez-les ! ») datant de 1618 et signé de Rubens qui, plus que la sainteté des chiards, a peint l’esprit d’enfance, véritable métaphysique de la marmaille,  comme peu l’ont fait. Excellente idée en ce sens d’insérer entre deux toiles improbables quelques authentiques chefs-d’œuvre, tel le Saint Jean Baptiste de Léonard de Vinci (vers 1513-1516) qui surgit dans sa double page et rappelle combien le génie peut nous émouvoir à jamais.

Qu’on ne s’y méprenne donc pas : le but de Cécile Baron et de François Ferrier n’est pas de relativiser ni de rabaisser l’art, mais bien au contraire de le dépoussiérer en vue de se le réapproprier. Et par « le détail qui tue », réapprendre à regarder un tableau hors de toutes considérations universitaires. En vérité, ce n’est pas l’art mais la culture qui en prend un coup. La culture et son esprit de sérieux, son bon goût normatif, sa stérilisation permanente, autant de codes qui font du tableau un simple objet de savoir et pour le savant un prétexte de pouvoir sur les autres. Alors que discuter d’une œuvre au risque d’en sourire, c’est lui rendre sa vie propre.

Bien sûr, on ne sera pas d’accord avec tous les choix des auteurs, comme par exemple avec cette Mort de Cléopâtre (« La main au panier »), de Giampietrino (première moitié du XVIème siècle) qui nous semble bien plus érogène et mystique qu’ils ne semblent le dire, mais qu’importe ! Des goûts et des couleurs, il faut en disputer. Et l’essentiel est d’aller le faire au Louvre, manuel en poche. Si après ça, les gardiens de musée ne vous admirent pas…

Le Louvre insolent, Cécile Baron et François Ferrier, avec la participation de Frédéric Alliot, préface de Jacques-Pierre Amette, Éditions Anamosa, 2016.

Itinéraires d’étoiles filantes

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(Photomontage : Henry Bataille/WikimediaCommons/cc/SIPA.00669220_000028)
(Photomontage : Henry Bataille/WikimediaCommons/cc/SIPA.00669220_000028)

Jean de Tinan (1874-1898) est un ovni du paysage littéraire. Repéré et adulé par un cercle d’initiés, il est cette année exhumé en grande pompe par les éditions Bartillat avec la parution coup sur coup de son journal intime inédit et d’une biographie exhaustive signée Jean-Paul Goujon, augmentée de nombreux documents et fac-similés.

Ce fils unique, solitaire ontologique, développa très tôt un talent pour l’auto-analyse. Son journal témoigne d’une sensibilité, d’un romantisme touchants pour un jeune homme de la Belle Époque, habitué des bordels et des filles faciles simplement parce qu’il désespérait de trouver une épaule sincère sur laquelle laisser couler sa tête et ses larmes. Tinan, de son vrai nom Jean Le Barbier de Tinan, est un orphelin par la force des choses : l’incompréhension s’installe dès le berceau entre lui et ses parents ; un collectionneur acharné qui n’a que peu de regards pour son fils et une mondaine frénétique ne songeant qu’à accrocher sa progéniture au bras d’une héritière. À bien y songer, Tinan serait plus exactement l’un des enfants précoces de Barrès, celui du Culte du Moi : vivre et sentir ne lui suffit pas.

Qu’il s’agisse d’un souffle de vent passé dans les arbres de l’abbaye de Jumièges ou de la chevelure mousseuse d’une fille de brasserie, il faut re-sentir, creuser, ressasser, épuiser le monde en en faisant de jolies guirlandes de vers et de prose. D’où une production littéraire impressionnante pour un si jeune auteur. En 1893, il prophétisait, peut-être par coquetterie, peut-être pas : « Je veux vivre intensément puisque je dois mourir jeune. »

Proche du Mercure de France et ami jusqu’à la fin de Pierre Loüys et des Heredia, on lui doit Un document sur l’impuissance d’aimer, l’emblématique Penses-tu réussir !, L’Exemple de Ninon de Lenclos amoureuse, Aimienne, ou le Détournement de mineure, entre autres journaux et notes, textes posthumes, inachevés, annoncés et jamais commencés, ainsi que quelques romans signés par Willy.

Vivre trop vite

Rongé par une maladie rhumatismale qui atteint son cœur, il s’épuise, travaille trop et vit trop vite. Tinan qui nous fait signe depuis l’autre côté du XXème siècle est la jeunesse dans ce qu’elle a d’universellement gracieux, naïf et bordélique. Dans sa dernière lettre à une amie de longue date, il inscrit la seule épitaphe qu’un gamin de 24 ans puisse assumer devant l’éternel : « Quelle vie !!!! »

« Quelle vie » aussi que celle de Nabilla Benattia, plus connue sous son seul prénom et par sa paire de seins siliconés surexposés sur les chaines de la TNT à l’heure où les ados rentrent du lycée. Consciente de son statut creux de starlette, la jeune femme de 24 ans, curieux reflet des ambitieux de son âge qui hantaient le milieu littéraire un siècle auparavant, se livre dans une autobiographie à son image, rédigée avec le soutien précieux de Jean-François Kervéan, Trop vite.

Elle raconte sans pudeur ni impudeur des histoires qui parlent aux enfants de ce temps, un divorce douloureux, le choc des cultures entre un père musulman pratiquant et une fille qui rêve de rouge à lèvres et des plages de Miami, la solitude, la télévision, l’argent facile, la chute également. La vie de Nabilla ressemble à un roman d’apprentissage trash. Quand elle trouve l’amour, c’est en la personne d’un candidat de télé-réalité avec lequel elle traverse la planète pour les besoins d’un tournage, Thomas Vergara, et ne le reconnait pas. Le monde dans lequel elle évolue impose le faux, les excès et les trahisons. Finalement, elle s’étonne elle-même et choisit l’amour, la passion même. Un soir de novembre 2014, alors que son couple est la proie des médias, une dispute dégénère dans un hôtel de Boulogne-Billancourt, elle attrape un couteau de cuisine et blesse Thomas, « sans le vouloir ». Au milieu des studios de télé, c’est une tragédie moderne qui prend forme. Direction la prison pour femmes de Versailles, le contrôle judiciaire qu’elle enfreint, la cavale et au bout de ce chemin chaotique, la maturité. Lucide, cette étoile filante n’attend désormais plus rien des projecteurs.

Elle aussi, à sa manière, parce qu’il n’en existe guère plus d’autre aujourd’hui, a grandi et vécu trop vite. Jean de Tinan, Nabilla, les sales gosses de leur génération ont quelque chose à nous dire de plus que les livres d’Histoire : ils racontent la douleur du choc frontal entre l’innocence sortie de l’enfance et un monde qui ne lui appartient pas, pas encore.

Jean de Tinan, biographie, Jean-Paul Goujon, Bartillat, 520 pages.
Journal intime, Jean de Tinan, Bartillat, 520 pages.
Trop vite, Nabilla Benattia, Robert Laffont, 260 pages.



Trop vite

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Juifs et cathos: enfin frères?

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Le pape François se recueillant, en mai 2014, face au mur des Lamentations (Photo : SIPA.00684468_000008)
Le pape François se recueillant, en mai 2014, face au mur des Lamentations (Photo : SIPA.00684468_000008)

L’an prochain à Jérusalem ! Ok, mais avant cela il y a un autre rendez-vous pour tous les jeunes juifs de France : du 12 au 17 juillet à Paray-le-Monial, charmante bourgade bourguignonne, à 1h30 de Lyon[1. Session #Juifs&Cathos2016 Renseignements : www.juifsetcathos2016.org Inscriptions : http://juifsetcathos2016.paray.org]. Cela fait quarante ans que la communauté catholique de l’Emmanuel y organise des sessions de cinq jours pour tous les styles et tous les âges : familles, jeunes, retraités, jeunes professionnels, etc. Et c’est précisément là que l’évêque du lieu, Monseigneur Benoît Rivière, a décidé d’accueillir 600 jeunes juifs et catholiques pour un événement pas banal et, disons-le, terriblement audacieux.

Il s’agit pour les 18-35 ans de venir découvrir et faire connaître le judaïsme vivant, tel qu’il se définit lui-même. Si le principe paraît simple, l’organisation s’avère plutôt complexe : monter un espace 100 % cacher (certifié par le rabbin Yehouda Berdugo) en plein cœur d’une cité-sanctuaire, haut lieu du renouveau catholique actuel ; organiser la table cacher commune pour les juifs et les chrétiens ; faire vivre le chabbat non seulement à tous les participants, mais y inviter aussi les 2 500 participants de la session 25-35 ans qui se déroulera en parallèle.

Côté catho, l’intérêt est évident. C’est la rencontre idéale pour découvrir ou approfondir les racines juives du christianisme, de sa foi, de son éthique, de sa liturgie. Sans cette connaissance fondamentale, il est impossible pour un chrétien de saisir réellement son identité religieuse, car c’est en « scrutant le mystère de l’Eglise » que le concile Vatican II a déclaré le lien indissoluble de l’Eglise avec le judaïsme[2. Concile Vatican II, déclaration Nostra Aetate, n°4]. Et si le pape Benoît XVI a parlé des juifs comme de « nos pères dans la foi », et Jean-Paul II  comme de « nos frères aînés », c’est bien pour signifier cette filiation. Ce sera aussi l’occasion de mesurer la dette que nous devons à nos amis juifs, dans un profond souci de vérité.

Le retournement récent de l’Eglise

Et pour un juif ? Qu’est-ce qu’il pourrait bien avoir à faire de ces quelques chrétiens qui s’intéressent à lui ? Cela n’est-il pas leur affaire ? Et pourtant, si le Grand Rabbin de France Haïm Korsia a déjà annoncé sa présence, c’est qu’il doit y avoir un intérêt. Ne serait-ce qu’étudier cet étrange phénomène qu’est le retournement récent de l’Eglise : comment après avoir contribué pendant des siècles à la diffusion de l’antijudaïsme en est-on venu, il y a 50 ans, à rompre définitivement avec toute forme d’antisémitisme et à prôner l’amitié et le dialogue fraternel ? Pourquoi le pape, autorité morale mondialement respectée et écoutée, a-t-il récemment affirmé : « Attaquer les juifs ou Israël relève de l’antisémitisme. Il peut y avoir des désaccords politiques entre gouvernements et sur les questions politiques, mais l’État d’Israël a parfaitement le droit d’exister dans la sécurité et la prospérité. » Alors que les catholiques sont cent fois plus nombreux que les juifs et que la mission de l’Eglise est pourtant d’évangéliser le monde entier, pourquoi un récent document officiel du Vatican affirme-t-il : « L’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs[3. « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29) – Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50ème anniversaire de Nostra Aetate n°4. Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. 10 décembre 2015 ] » ?

Des réponses à ce genre de questions ont amené des rabbins orthodoxes d’Israël, d’Europe et des Etats-Unis à publier une importante tribune où ils déclarent : « Nous reconnaissons que le christianisme n’est ni un accident ni une erreur, mais le fruit d’une volonté divine et un don fait aux nations. En séparant le judaïsme et le christianisme, Dieu a voulu une séparation entre des partenaires présentant des divergences théologiques importantes, mais non entre des ennemis[4. Faire la volonté de Notre Père des cieux. Vers un partenariat entre juifs et chrétiens. 3 décembre 2015] », et de citer le rabbin Naftali Zvi Berliner (Netsiv) : « Quand les enfants d’Esaü auront été poussés par pureté d’esprit à reconnaître le peuple d’Israël et ses vertus, alors nous serons également amenés à reconnaître Esaü comme notre frère. » Parce qu’ils reconnaissent que les Saintes Ecritures sont la Parole de Dieu, plus de 2 milliards de chrétiens étudient la Torah et contribuent à la faire connaître dans le monde entier.

Une nouvelle page s’écrit. Une « occasion historique s’offre à nous.[5. Déclaration des rabbins orthodoxes] » La rencontre est audacieuse et demandera certainement du courage. Il en fallut à Jacob pour rencontrer son frère Esaü – qui pourtant cherchait encore il y a peu à le tuer. Le passé douloureux est pris en compte et, surtout, l’héritage est reçu et transmis. « Lumière pour éclairer les nations et gloire d’Israël son peuple.[6. Evangile selon saint Luc 2,32] »

«Le Mans», le tournage infernal

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C’est l’histoire d’un mec qui, jusque-là, avait la baraka. Il était apparu, un jour de septembre 1958, dans le poste de télé avec sa Winchester et était devenu en un épisode le « King of cool ». Les femmes se noyaient dans ses yeux bleus. Les hommes imitaient sa nonchalance sauvage. Les enfants le voulaient tous comme père. Et les producteurs avaient enfin trouvé leur nouvelle étoile. Ce gamin élevé dans une ferme du Missouri était aussi à l’aise sur la selle d’un Mustang qu’en costume trois pièces. Josh Randall ou Thomas Crown, Bullit ou Papillon, Steve McQueen (1930-1980) irradiait chacun de ses films d’une classe (sur)naturelle. Il aimait les voitures rapides, les femmes, l’alcool, tous les plaisirs intenses qui empêchent de trop penser. Il carburait à l’adrénaline et tenait une moyenne élevée dans tous les domaines. Une douzaine de conquêtes par semaine et des pointes à 380 km/h dans les Hunaudières au volant d’une Porsche 917.

C’était un temps où les stars de cinéma ne prêchaient pas l’ascétisme en conférences de presse. Le principe de précaution et la fausse modestie n’étaient pas encore des valeurs à la mode. Les spectateurs attendaient de leur héros qu’il dépasse toutes les limites. McQueen allait leur donner cet indispensable accélérateur de vie. Sa passion pour les sports mécaniques le poussa donc à se lancer dans un pari fou : tourner sur le circuit des 24 Heures du Mans et retranscrire le plus fidèlement possible l’ambiance survoltée de cette course mythique. Le documentaire The Man & Le Mans  en DVD revient sur ce tournage dantesque avec des images et des enregistrements, notamment la voix de Steve, jamais entendus. Ce film sélectionné à Deauville est passé dans très peu de salles en 2015. Les fétichistes du talon-pointe doivent se le procurer d’urgence. Les autres découvriront comment un acteur passe du rêve au cauchemar. Quand le tournage débute le 15 juin 1970, la ville du Mans se transforme en Hollywood-sur-Sartre.

Avec sa casquette de producteur délégué, Steve a recruté les meilleurs techniciens, les meilleurs pilotes, le meilleur réalisateur John Sturges (La Grande Evasion, Les Sept Mercenaires, etc.) et c’est lui, en personne, qui incarnera le coureur vedette. Sur le papier, un succès en charentaises ! Dans la réalité, une scoumoune inimaginable. McQueen avait l’ambition de viser bien plus haut que Grand Prix sorti en 1966 qui met en scène plusieurs épreuves du Championnat du monde de Formule 1. Sa connaissance de la course — il venait de terminer deuxième des 12 Heures de Sebring derrière Andretti (vainqueur des 500 miles d’Indianapolis et de Daytona) — serait sa botte secrète. Il y avait tous les éléments pour cartonner au box-office, manquait seulement un scénario. McQueen se foutait de l’histoire, il n’avait qu’une idée en tête : faire vivre la course de l’intérieur grâce à des moyens techniques révolutionnaires (caméras embarquées) pour l’époque. Au bout de cinq semaines de tournage, toujours sans scénario au planning, le film patinait sérieusement et accumulait une série d’accidents gravissimes.

Du jamais vu ! Derek Bell serait brûlé au visage, David Piper perdrait une jambe lors d’une sortie de route, Sturges à bout de nerfs rendrait son tablier et sera remplacé par Lee H. Katzin, un inconnu, des producteurs affolés par les dépassements de budget, des assurances à l’agonie et le couple McQueen à la dérive. En somme, une vraie hécatombe. Ce documentaire interroge tous les participants de cette folle aventure. Les témoignages de Neile, sa première épouse et de Chad son fils, sont particulièrement émouvants. Tant bien que mal, le film finira par être mis en boîte et reçut un accueil mitigé de la critique en 1971.

Après Le Mans , McQueen divorcera  et sa passion des automobiles le quittera peu à peu. Quarante-cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette épopée ? Un témoignage exceptionnel sur la course, des plans à couper le souffle, peut-être le plus beau film sur le combat entre l’homme et la machine. Des gerbes d’eau qui brouillent la vision, le bruit de moteurs assourdissants, des montées en régime asphyxiantes, un ballet sur le bitume et Steve en combinaison, magistral d’aisance et de fluidité.

The Man & Le Mans, en DVD (en bonus « I Am Steve McQueen : The King of Cool », documentaire de 92 mn).

Le jour où Lee Sedol a eu honte

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Retransmission télévisuelle du match entre AlphaGo et Lee Sedol, le 15 mars dernier (Photo : SIPA.AP21871158_000010)
Retransmission télévisuelle du match entre AlphaGo et Lee Sedol, le 15 mars dernier (Photo : SIPA.AP21871158_000010)

On peut se demander ce qu’a ressenti Lee Sedol, champion du monde de go quand, le 15 mars dernier, il a été battu par AlphaGo, le programme développé par Google. De la colère ? Du dépit ? L’impression d’avoir été pris au piège par une intelligence artificielle qui, après avoir été le sujet des romans de science-fiction, est entrée dans notre vie quotidienne  comme Tay, la tweeteuse créée par Microsoft qui devait apprendre des autres internautes et qui a été retirée du réseau  en moins de 24 h car elle était devenue complètement raciste ?

« Un beau jour, le petit ordinateur apprit qu’il existait des foules de grands ordinateurs de toutes espèces, des multitudes. Et le petit ordinateur comprit que les ordinateurs grandiraient toujours en sagesse et en puissance et qu’un jour… un jour… un jour… », comme le dit un personnage du Cycle des robots d’Isaac Asimov. « À l’évidence, AlphaGo est différent, avant tout parce qu’il n’est pas humain. Tout est complètement différent de ce à quoi j’ai été habitué et j’ai eu du mal à m’y faire », a déclaré Sedol qui pense déjà à la revanche : « Si c’était à refaire, je ne peux pas dire que je gagnerais, je pense que sur des aspects de go pur, l’intelligence humaine peut être meilleure qu’AlphaGo, mais qu’en revanche psychologiquement, sur la concentration, il est meilleur. » Le plus troublant, c’est que malgré lui Sedol personnifie un ordinateur à qui il dénie juste toute humanité.[access capability= »lire_inedits »]

Pour qui a écouté Lee Sedol après cette défaite, il y avait chez lui, aussi, un écho du Günther Anders de L’Obsolescence de l’homme. Dans les années 1940, il montre comment les machines démodent l’homme lui-même qui éprouve une « honte prométhéenne ». Pour Anders, l’intuition de cette obsolescence lui vient lors d’un salon scientifique californien visité avec un ami en 1942 : « Dès qu’une machine des plus complexes de l’exposition a commencé à fonctionner, T. a baissé les yeux et s’est tu. » Lee Sedol et Microsoft ont sans doute eux aussi baissé les yeux à cause de cette « honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ».

Le Cycle des robots, Isaac Asimov (J’ai lu)
L’Obsolescence de l’homme, Günther Anders (Encyclopédies des nuisances)
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«Les Visiteurs 3»: accusé Poiré levez-vous…

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Christian Clavier et Jean Reno (Photo : Nicolas Schul/GAUMONT/OUILLE PRODUCTIONS/TF1 FILMS PRODUCTION/NEXUS FACTORY/OKKO PRODUCTION)

Il faut dire que c’était mal parti. D’abord, il y a eu cette polémique suscitée quelques jours avant la sortie par l’absence sur l’affiche du nom du seul acteur noir du film : Pascal N’Zonzi, jetant ainsi sur les acteurs et la maison Gaumont l’insidieux soupçon de racisme. Et puis ensuite, il y a eu la censure exercée par la société de production qui a refusé de convier les journalistes à des projections presse. Alors, le jour de la sortie en salle pas de quartier pour Les Visiteurs 3. Le couperet du tribunal de la critique cinéma est tombé. Et c’était prévisible. Les journalistes, déjà sur les crocs, se sont bien évidement lâchés sur le troisième volet des aventures du seigneur Godefroy de Montmirail et de son écuyer Jacquouille la Fripouille.

Il est vrai qu’espérer trouver de la finesse et de la subtilité dans Les Visiteurs 3, c’est comme demander à un cheval de trait de galoper à la vitesse d’un pur sang. Et de toute façon Jean-Marie Poiré n’avait pas signé pour faire du Eric Rohmer, du Ettore Scola ou du Bertrand Tavernier.

Mais au-delà de la laideur esthétique, du scénario erratique, de la lourdeur des sketches, c’est peut-être bien la vision négative de la Révolution française qui a au fond le plus déplu et exaspéré. Ainsi, à la veille de la sortie, Alexis Corbière, secrétaire national du Parti de gauche et porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, a eu le privilège (eh oui !) de voir le film en avant-première, s’est empressé de dénoncer au micro des Informés, l’émission animée par Jean-Mathieu Pernin, sur France Info, le caractère « réactionnaire » du film en reprochant au réalisateur d’avoir associé Révolution et Terreur. Jacques Mandelbaum, le critique cinéma du quotidien du soir, fait également le même reproche. Jean-Marie Poiré diffuserait donc dans son film une odieuse propagande monarchiste et militerait pour le retour de l’Ancien Régime… Sans blague ! Poiré « royco », ce serait quand même lui faire trop d’honneur !

Mais on voit bien ce qui se trame derrière cette accusation. Le film est jugé comme réactionnaire et donc antirépublicain parce qu’il écorne la légende dorée de la Révolution française, associée aux droits de l’homme, au progressisme social, à notre cher triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » en mettant en scène la Terreur robespierriste. Certes, depuis les travaux de François Furet, Mona Ozouf, Patrice Gueniffey ou encore Reynald Secher, « la part maudite » de la Révolution française a été largement mise en lumière permettant ainsi de contrebalancer le monopole de la version officielle imposée par les héritiers du jacobinisme.

Poiré, l’avocat involontaire des contre-révolutionnaires

Alors on comprend qu’en touchant à l’Incorruptible, Les Visiteurs 3 ont eu de quoi hérisser les poils des amoureux du bonnet phrygien. Pourtant quoi de plus fidèle à la vérité historique que de montrer un Robespierre aussi raide et froid que la lame de la guillotine, lui qui était l’incarnation du règne de la Vertu, moteur de son idéologie criminelle visant à « régénérer » dans le sang la France corrompue par ces parasites d’aristocrates en dentelle.

Mais au-delà de ce portrait de l’Etre suprême, le film met en scène le langage révolutionnaire, instrument efficace mis en œuvre pour manipuler l’opinion, discréditer et éliminer. On y voit donc l’avocat d’Arras, obsédé par le complot, manier un langage d’inquisiteur, passer tout au peigne fin, scruter la moindre hésitation et menacer de la peine capitale tous ceux qu’il juge comme « les ennemis du peuple », catégorie stigmatisante étendue à tous ceux soupçonnés de ne pas adhérer à la Révolution. Et il n’y avait pas que des aristos comme le rappelle, d’ailleurs, une scène dans le film où Jacquouillet, (descendant de Jacquouille) pourtant accusateur public et compagnon de Charlotte (Sylvie Testud), la sœur de Robespierre, est à deux doigts d’y passer. Car un bon révolutionnaire est un coupeur de tête qui fait du chiffre et sur ce plan-là Jacquouillet a du retard, préférant à son devoir, son intérêt personnel en allant réquisitionner le château de Montmirail.

Et que dire de cette récurrence du terme « citoyen », utilisé à tout bout de champ dans le film jusqu’à saturation. Dans l’une des premières scènes du film, où Godefroy et Jacquouille comparaissent devant le tribunal révolutionnaire pour haute trahison, on y voit Charlotte, ponctuer son discours de « citoyen le commissaire », « citoyen le juge ». Au-delà  d’un comique de répétition qui trouve vite ses limites, cette redondance exacerbée du mot « citoyen » a le mérite de marquer l’opposition entre la masse de ses « citoyens », sans nom, sans attache, sans histoire, définis seulement par leurs métiers, tous fils de la Révolution qui dépossède et uniformise, et Godefroy le hardi, comte de Montmirail, issu de l’ancienne noblesse féodale, attaché à ses terres, à ses titres, à ses faits d’armes, à ses racines et à sa descendance, bref à tout ce qui constitue son identité… Oh parjure !

Enfin venons-en à celle qu’on surnommait la Veuve. La guillotine est décrite comme un instrument qui tranche beaucoup mieux que la hache. « Ça coupe net ! » s’exclame Jacquouille devant l’enchaînement des décapitations. Il ne croit pas si bien dire. C’est très certainement involontaire de la part de Clavier et de Poiré, les co-auteurs du scénario, mais avec ce genre de petite remarque innocente, hélas noyée dans un océan boueux de grossièretés navrantes de facilité, on pourrait faire assez vite de Poiré un disciple de Furet dénonçant les prodromes des totalitarismes modernes dans la Révolution. Bon, peut-être que j’ai coupé les cheveux en quatre… Certes, mais ce sera toujours mieux que la tête.

Les Visiteurs, la révolution, de Jean-Marie Poiré. En salle.

Manichéens de tous les pays…

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Erdogan, fin 2015 (Photo : SIPA.AP21830322_000004)
Erdogan, fin 2015 (Photo : SIPA.AP21830322_000004)

Qu’ont de commun le « chavisme » vénézuélien, la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan ? Ce sont trois cas de « démocrature », selon la politologue Renée Fregosi. Ils organisent des élections, mais en réalité ce sont des régimes autoritaires qui ne respectent pas les règles de base démocratiques (médias libres, pluralisme politique, justice indépendante), prétendant représenter directement la volonté populaire. Ceux qui ne pensent pas comme eux ne sont pas des concurrents, mais des ennemis, des traîtres. Ces justicialistes abreuvent leur pouvoir d’imaginaires complots avec souvent l’antisémitisme dans les parages.

L’islamisme radical, montre Renée Fregosi, ressemble beaucoup au justicialisme : même appel à se fondre dans une communauté conformiste et prohibitrice et à se venger d’ennemis imaginaires tenus responsables des échecs du monde arabo-musulman, même refus de toute forme de pluralisme intellectuel.

Or, depuis que les migrations ont obligé des millions de musulmans à se confronter à la diversité des cultures, ces islamistes tentent de les empêcher d’intégrer leurs pays accueil et de produire des « pensées métisses ».[access capability= »lire_inedits »] Ils sont secondés par ceux que Fregosi appelle « les idiots utiles de l’islamisme », ces islamo-gauchistes qui se montrent intransigeants envers les démocraties et étonnamment complaisants envers leurs ennemis.

« Après les attentats de janvier 2015, un espace de parole critique de l’islamisme s’est entrouvert, mais bien vite refermé », écrit Renée Fregosi. Depuis les attentats de Bruxelles, cet espace semble de nouveau ouvert. Le livre de Renée Fregosi a donc des chances d’être lu et ses analyses, méditées.

Les Nouveaux Autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates, Renée Fregosi, Editions du Moment, 2016.
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