Juifs et cathos: enfin frères?


Juifs et cathos: enfin frères?
Le pape François se recueillant, en mai 2014, face au mur des Lamentations (Photo : SIPA.00684468_000008)
Le pape François se recueillant, en mai 2014, face au mur des Lamentations (Photo : SIPA.00684468_000008)

L’an prochain à Jérusalem ! Ok, mais avant cela il y a un autre rendez-vous pour tous les jeunes juifs de France : du 12 au 17 juillet à Paray-le-Monial, charmante bourgade bourguignonne, à 1h30 de Lyon[1. Session #Juifs&Cathos2016 Renseignements : www.juifsetcathos2016.org Inscriptions : http://juifsetcathos2016.paray.org]. Cela fait quarante ans que la communauté catholique de l’Emmanuel y organise des sessions de cinq jours pour tous les styles et tous les âges : familles, jeunes, retraités, jeunes professionnels, etc. Et c’est précisément là que l’évêque du lieu, Monseigneur Benoît Rivière, a décidé d’accueillir 600 jeunes juifs et catholiques pour un événement pas banal et, disons-le, terriblement audacieux.

Il s’agit pour les 18-35 ans de venir découvrir et faire connaître le judaïsme vivant, tel qu’il se définit lui-même. Si le principe paraît simple, l’organisation s’avère plutôt complexe : monter un espace 100 % cacher (certifié par le rabbin Yehouda Berdugo) en plein cœur d’une cité-sanctuaire, haut lieu du renouveau catholique actuel ; organiser la table cacher commune pour les juifs et les chrétiens ; faire vivre le chabbat non seulement à tous les participants, mais y inviter aussi les 2 500 participants de la session 25-35 ans qui se déroulera en parallèle.

Côté catho, l’intérêt est évident. C’est la rencontre idéale pour découvrir ou approfondir les racines juives du christianisme, de sa foi, de son éthique, de sa liturgie. Sans cette connaissance fondamentale, il est impossible pour un chrétien de saisir réellement son identité religieuse, car c’est en « scrutant le mystère de l’Eglise » que le concile Vatican II a déclaré le lien indissoluble de l’Eglise avec le judaïsme[2. Concile Vatican II, déclaration Nostra Aetate, n°4]. Et si le pape Benoît XVI a parlé des juifs comme de « nos pères dans la foi », et Jean-Paul II  comme de « nos frères aînés », c’est bien pour signifier cette filiation. Ce sera aussi l’occasion de mesurer la dette que nous devons à nos amis juifs, dans un profond souci de vérité.

Le retournement récent de l’Eglise

Et pour un juif ? Qu’est-ce qu’il pourrait bien avoir à faire de ces quelques chrétiens qui s’intéressent à lui ? Cela n’est-il pas leur affaire ? Et pourtant, si le Grand Rabbin de France Haïm Korsia a déjà annoncé sa présence, c’est qu’il doit y avoir un intérêt. Ne serait-ce qu’étudier cet étrange phénomène qu’est le retournement récent de l’Eglise : comment après avoir contribué pendant des siècles à la diffusion de l’antijudaïsme en est-on venu, il y a 50 ans, à rompre définitivement avec toute forme d’antisémitisme et à prôner l’amitié et le dialogue fraternel ? Pourquoi le pape, autorité morale mondialement respectée et écoutée, a-t-il récemment affirmé : « Attaquer les juifs ou Israël relève de l’antisémitisme. Il peut y avoir des désaccords politiques entre gouvernements et sur les questions politiques, mais l’État d’Israël a parfaitement le droit d’exister dans la sécurité et la prospérité. » Alors que les catholiques sont cent fois plus nombreux que les juifs et que la mission de l’Eglise est pourtant d’évangéliser le monde entier, pourquoi un récent document officiel du Vatican affirme-t-il : « L’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs[3. « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29) – Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50ème anniversaire de Nostra Aetate n°4. Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. 10 décembre 2015 ] » ?

Des réponses à ce genre de questions ont amené des rabbins orthodoxes d’Israël, d’Europe et des Etats-Unis à publier une importante tribune où ils déclarent : « Nous reconnaissons que le christianisme n’est ni un accident ni une erreur, mais le fruit d’une volonté divine et un don fait aux nations. En séparant le judaïsme et le christianisme, Dieu a voulu une séparation entre des partenaires présentant des divergences théologiques importantes, mais non entre des ennemis[4. Faire la volonté de Notre Père des cieux. Vers un partenariat entre juifs et chrétiens. 3 décembre 2015] », et de citer le rabbin Naftali Zvi Berliner (Netsiv) : « Quand les enfants d’Esaü auront été poussés par pureté d’esprit à reconnaître le peuple d’Israël et ses vertus, alors nous serons également amenés à reconnaître Esaü comme notre frère. » Parce qu’ils reconnaissent que les Saintes Ecritures sont la Parole de Dieu, plus de 2 milliards de chrétiens étudient la Torah et contribuent à la faire connaître dans le monde entier.

Une nouvelle page s’écrit. Une « occasion historique s’offre à nous.[5. Déclaration des rabbins orthodoxes] » La rencontre est audacieuse et demandera certainement du courage. Il en fallut à Jacob pour rencontrer son frère Esaü – qui pourtant cherchait encore il y a peu à le tuer. Le passé douloureux est pris en compte et, surtout, l’héritage est reçu et transmis. « Lumière pour éclairer les nations et gloire d’Israël son peuple.[6. Evangile selon saint Luc 2,32] »



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Curé de paroisse, auteur du livre «Les racines juives de la messe» (Ed. de l’Emmanuel).

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