«Le Mans», le tournage infernal


«Le Mans», le tournage infernal
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C’est l’histoire d’un mec qui, jusque-là, avait la baraka. Il était apparu, un jour de septembre 1958, dans le poste de télé avec sa Winchester et était devenu en un épisode le « King of cool ». Les femmes se noyaient dans ses yeux bleus. Les hommes imitaient sa nonchalance sauvage. Les enfants le voulaient tous comme père. Et les producteurs avaient enfin trouvé leur nouvelle étoile. Ce gamin élevé dans une ferme du Missouri était aussi à l’aise sur la selle d’un Mustang qu’en costume trois pièces. Josh Randall ou Thomas Crown, Bullit ou Papillon, Steve McQueen (1930-1980) irradiait chacun de ses films d’une classe (sur)naturelle. Il aimait les voitures rapides, les femmes, l’alcool, tous les plaisirs intenses qui empêchent de trop penser. Il carburait à l’adrénaline et tenait une moyenne élevée dans tous les domaines. Une douzaine de conquêtes par semaine et des pointes à 380 km/h dans les Hunaudières au volant d’une Porsche 917.

C’était un temps où les stars de cinéma ne prêchaient pas l’ascétisme en conférences de presse. Le principe de précaution et la fausse modestie n’étaient pas encore des valeurs à la mode. Les spectateurs attendaient de leur héros qu’il dépasse toutes les limites. McQueen allait leur donner cet indispensable accélérateur de vie. Sa passion pour les sports mécaniques le poussa donc à se lancer dans un pari fou : tourner sur le circuit des 24 Heures du Mans et retranscrire le plus fidèlement possible l’ambiance survoltée de cette course mythique. Le documentaire The Man & Le Mans  en DVD revient sur ce tournage dantesque avec des images et des enregistrements, notamment la voix de Steve, jamais entendus. Ce film sélectionné à Deauville est passé dans très peu de salles en 2015. Les fétichistes du talon-pointe doivent se le procurer d’urgence. Les autres découvriront comment un acteur passe du rêve au cauchemar. Quand le tournage débute le 15 juin 1970, la ville du Mans se transforme en Hollywood-sur-Sartre.

Avec sa casquette de producteur délégué, Steve a recruté les meilleurs techniciens, les meilleurs pilotes, le meilleur réalisateur John Sturges (La Grande Evasion, Les Sept Mercenaires, etc.) et c’est lui, en personne, qui incarnera le coureur vedette. Sur le papier, un succès en charentaises ! Dans la réalité, une scoumoune inimaginable. McQueen avait l’ambition de viser bien plus haut que Grand Prix sorti en 1966 qui met en scène plusieurs épreuves du Championnat du monde de Formule 1. Sa connaissance de la course — il venait de terminer deuxième des 12 Heures de Sebring derrière Andretti (vainqueur des 500 miles d’Indianapolis et de Daytona) — serait sa botte secrète. Il y avait tous les éléments pour cartonner au box-office, manquait seulement un scénario. McQueen se foutait de l’histoire, il n’avait qu’une idée en tête : faire vivre la course de l’intérieur grâce à des moyens techniques révolutionnaires (caméras embarquées) pour l’époque. Au bout de cinq semaines de tournage, toujours sans scénario au planning, le film patinait sérieusement et accumulait une série d’accidents gravissimes.

Du jamais vu ! Derek Bell serait brûlé au visage, David Piper perdrait une jambe lors d’une sortie de route, Sturges à bout de nerfs rendrait son tablier et sera remplacé par Lee H. Katzin, un inconnu, des producteurs affolés par les dépassements de budget, des assurances à l’agonie et le couple McQueen à la dérive. En somme, une vraie hécatombe. Ce documentaire interroge tous les participants de cette folle aventure. Les témoignages de Neile, sa première épouse et de Chad son fils, sont particulièrement émouvants. Tant bien que mal, le film finira par être mis en boîte et reçut un accueil mitigé de la critique en 1971.

Après Le Mans , McQueen divorcera  et sa passion des automobiles le quittera peu à peu. Quarante-cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette épopée ? Un témoignage exceptionnel sur la course, des plans à couper le souffle, peut-être le plus beau film sur le combat entre l’homme et la machine. Des gerbes d’eau qui brouillent la vision, le bruit de moteurs assourdissants, des montées en régime asphyxiantes, un ballet sur le bitume et Steve en combinaison, magistral d’aisance et de fluidité.

The Man & Le Mans, en DVD (en bonus « I Am Steve McQueen : The King of Cool », documentaire de 92 mn).



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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