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Saint-Étienne-du-Rouvray: un prêtre égorgé lors d’une prise d’otages

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(Photo : Google Map / Street View / août 2008)

Article publié ce mardi 26 juillet à 11h50. Il est réactualisé en continu en fonction des dernières informations.

Un prêtre, Jacques Hamel, 86 ans, a été égorgé lors d’une prise d’otages dans son église, à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans l’agglomération de Rouen. Un autre otage a été blessé à la gorge mais ce mardi soir son pronostic vital n’était plus engagé, selon le procureur François Molins. L’assassinat du prêtre aurait été filmé et mis en scène suivant les rituels de l’Etat islamique, l’un des meurtriers prêchant en arabe sur l’autel, d’après le témoignage d’une religieuse ayant réussi à s’enfuir.

Une photo fournie par le site de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray Jacques Hamel, le 11 juin 2016 (Photo : http://ser-ta-paroisse.over-blog.org//AFP HO)

Les deux assaillants ont été tués lors d’une opération de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Rouen.

Déploiement de policiers et pompiers près de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Photo : AFP/CHARLY TRIBALLEAU)

Adel Kermiche, 19 ans, l’un des deux preneurs d’otages, est un habitant de Saint-Etienne-du-Rouvray qui avait tenté de se rendre en Syrie avant de se voir refoulé par la Turquie. Incarcéré dans un premier temps, il avait été ensuite placé sous bracelet électronique. Le parquet avait fait appel de cette décision. En vain. Adel Kermiche était autorisé à quitter son domicile de 8h30 à 12h30, chaque jour de la semaine, et l’après-midi tous les week-ends et jours fériés.

L’un de ses amis, âgé de 16 ans, est maintenu en garde-à-vue par la police qui le soupçonne de complicité. Le frère de cet adolescent serait parti rejoindre l’Etat islamique en Syrie l’an dernier.

« S’agissant du second terroriste neutralisé par les services d’intervention spécialisés, son identification formelle est toujours en cours », a indiqué François Molins lors d’une conférence de presse ce mardi soir.

La mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray était fréquentée par le passé par Maxime Hauchard, un Normand parti en Syrie où il est devenu l’un des médiatiques bourreaux de Daech. Dans cette même mosquée s’était tenue une cérémonie en mémoire d’Imad Ibn Ziaten, un des militaires pris pour cible par Mohamed Merah en mars 2012.

Vue aérienne de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Photo : Google Map / Street View)

Cette prise d’otages intervient douze jours après l’attaque au camion menée le soir du 14 juillet sur la Promenade des Anglais à Nice, qui a fait 84 morts et plus de 300 blessés, revendiquée par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI).

L’EI a également revendiqué ce dernier attentat en Normandie.

 

L’EI cible régulièrement dans sa propagande et ses communiqués de revendication les dirigeants « croisés » occidentaux et « le royaume de la Croix », expression semblant désigner l’Europe.

La menace d’une attaque contre un lieu de culte chrétien plane ces derniers mois en France, notamment depuis l’échec d’un projet d’attentat en avril 2015 contre une église catholique de Villejuif (Val-de-Marne). Un étudiant algérien de 24 ans, Sid Ahmed Ghlam, est soupçonné d’avoir voulu prendre pour cible cette église, et peut-être d’autres lieux de culte catholiques en région parisienne, et d’avoir tué sur son passage une professeure de fitness, Aurélie Châtelain. L’homme avait été arrêté avant qu’il puisse mettre son projet à exécution.

>>> Retrouvez ci-dessous notre dossier sur l’attentat de Nice.

Attentat de Nice, par magazinecauseur

Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être

L'endroit où Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a été abattu sur la Promenade des Anglais s'est transformé en défouloir (SIPA.AP21923250_000069)

Le sang a à peine fini de sécher sur la Promenade des Anglais. La France a été de nouveau frappée. Bientôt, nous ne compterons plus les attentats islamistes. Que faire pour nous y préparer ?

Avant tout comprendre la nature de la menace. Ce ne sont pas les attentats qu’il faut redouter, ce sont leurs conséquences qu’il faut anticiper. Les actes de terreur djihadistes, bien qu’épouvantables en eux-mêmes, ne sont pas aussi graves que leurs effets probables.

Cessons d’ailleurs de poser cette question idiote : que fait la police ? Impossible de mettre un agent de renseignement derrière chaque djihadiste potentiel, on empêche beaucoup, on ne préviendra pas tout. Sortons de notre fantasme du zéro risque ou du caractère prédictif du risque djihadiste. Nous sommes dans la vraie vie, pas dans la série « 24 heures chrono ».

Il faut ainsi préparer la population à des répliques aussi sanglantes que fréquentes. Nous l’écrivions en 2004 avec Stéphane Berthomet dans Le jour où la France tremblera. A présent que nous y sommes, nous n’allons pas nous dédire : la guerre sera d’usure et nous ferions mieux de nous y préparer.

Nous n’avons pas de stratégie, nous subissons, pire encore nous amplifions. Lorsque nos médias diffusent des images gores, ils se transforment en service de presse du djihad, amplifiant l’effet de terreur. Cesser de diffuser et de relayer les images les plus anxiogènes et les plus spectaculaires des attentats est essentiel, afin de ne pas participer au djihad psychologique. Les médias, les acteurs de l’Internet et tous les citoyens devraient être mobilisés et appelés à la retenue par un État conséquent qui aurait la juste mesure du défi qui nous est lancé. Mais nos dirigeants peuvent-ils sortir de leur logique de com ? Il est permis d’en douter.

Ivres de démagogie, rendus fous par la tyrannie de la transparence, la veille de l’attentat de Nice, nos gouvernants allaient jusqu’à rendre publique des projets attentats déjoués, facilitant ainsi la tâche à nos ennemis qui n’ont même plus besoin de réussir leur coup pour faire parler d’eux. N’ayant rien compris, ni rien appris du 11-Septembre et du 13-Septembre, le Premier Ministre, la veille de la réplique, se félicitait de l’absence d’attentats pendant l’Euro accréditant l’idée suivant laquelle nous étions sortis du « pot au noir » djihadiste.

Nous avons toujours un attentat de retard et notre analyse court après l’événement, sans recul et sans capacité à en saisir la logique d’ensemble et à en cerner la réelle dangerosité.

Les experts et les politiques constatent que, pour l’instant, tout est calme. Ce calme risque de précéder la tempête. Il est vrai que le peuple français a fait preuve d’une dignité et d’une sérénité exemplaire jusqu’à présent mais c’est sans compter sur l’effet de répétition d’actes qui s’inscrivent dans une guerre d’usure.

La tragédie qui se prépare…

Imaginez qu’armé d’une simple fourchette, un forcené vous pique le bras jusqu’au sang. Une fois, deux fois, dix fois. A la onzième blessure infligée, même si vous êtes l’être le plus placide du monde, vous allez à la fois vous en prendre à ceux qui sont censés vous protéger et à ceux dont vous estimez, à tort  ou à raison, qu’ils sont responsables de votre souffrance. Voilà ce qui nous menace. Et ce n’est sûrement pas l’eau tiède du « vivre-ensemble » et du « pas d’amalgame » qui préservera notre concorde.

Si rien ne change, des Français exaspérés finiront par se faire justice eux-mêmes. Et alors, ce jour là, peu importe qu’ils frappent des musulmans pacifiques, des salafistes antipathiques ou de vrais djihadistes, c’est le monopole de la violence légitime qui sera alors contesté.

Si cela arrive (et nous sommes bien partis pour), la situation deviendra incontrôlable. Nous serons rentrés dans la spirale du sang. Voilà ce qu’il faut éviter et non faire croire à l’opinion que les attentats pourront être évités, ce qu’il est vain d’espérer.

Nos dirigeants ignorent l’ampleur de la tragédie qui se prépare car ils ne croient pas à l’esprit gaulois. On va hurler au racisme. À tort. Il suffit de relire la Guerre des Gaule pour découvrir que même si nous avons peu de rapport ethnique avec les tribus celtes décrites par César, le peuple français d’aujourd’hui partage bien des traits psychologiques et culturels avec eux. Les beurs et les blacks des cités sont d’ailleurs bien plus gaulois qu’ils ne l’imaginent.

Or, l’un des traits de la psychologie française, c’est d’être aussi prompts à se diviser qu’à s’unir face à un ennemi commun. Une autre de leur caractéristique, c’est de se montrer très ouvert aux apports extérieurs mais également très intolérants voire très violents à l’égard de ceux qui entendent imposer leur loi chez eux et d’être capables d’accès de fureur incontrôlé. L’histoire de France est jonchée de cadavres de ceux qui ont essayé de briser l’unité et qui ont pactisé avec l’étranger. La haine des Bourguignons, la répression des huguenots, le  massacre des Vendéens et des émigrés, l’épuration des collabos (que De Gaulle parvint à canaliser).

Ce qui est à redouter par dessus tout, c’est donc que la minorité prosalafiste en France finisse ainsi réprimée dans le sang ou rejetée à la Méditerranée. La valise ou le cercueil, le sinistre programme du FLN risque un jour d’être imposé à ceux qui, Français de souche ou de fraîche date, voudront vivre suivant la charia en France.

Pour neutraliser ce risque, la République doit se montrer symboliquement brutale à l’égard de cette minorité dans la minorité musulmane et exigeante à l’égard de l’islam. Ce n’est pas le programme de 1901 qu’il faut appliquer à l’islam mais celui de Bonaparte à l’égard du judaïsme.

Créer des tribunaux d’exception et expulser les étrangers et les doubles nationaux fichés « S ». Expulser en masse et de manière spectaculaire tous les prêcheurs de haine, condamner pour intelligence avec l’ennemi les militants français de la cause. Créer un moratoire sur le regroupement familial. Plutôt la violence symbolique que physique. Obliger toutes les mosquées en France à condamner sans équivoque les actes de leurs coreligionnaires. Imposer aux imams de prévenir eux-mêmes l’amalgame, en se dissociant sans équivoque avec les djihadistes, mieux vaut heurter la susceptibilité des musulmans pratiquants de France que de les voir un jour brutalisés.

Il faut aussi expliquer qu’espérer vivre suivant des lois et des mœurs étrangères à la France sur son territoire risque de se transformer en cauchemar. Interdire catégoriquement tout prosélytisme islamiste et protéger préventivement les mosquées.

Danton a parfaitement anticipé ce programme de salut public : soyons terribles, disait-il, pour éviter au peuple de l’être !

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur


Guerre des Gaules

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Emploi public: refouleurs et refoulés

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(Photo : SIPA.00524991_000008)

Au moment où s’est produit l’attentat de Nice, j’étais à Paris. Si j’en crois l’historique de mes notes, c’est même au moment exact où se déroulait la tragédie que j’ai commencé à étudier le rapport L’Horty, intitulé Les discriminations dans l’accès à l’emploi public. J’ai l’air de présenter un alibi… En fait, je veux juste souligner ce curieux télescopage : tandis qu’un terroriste fauchait une centaine de personnes, j’étais invité, en tant que citoyen, à m’interroger sur le racisme supposé de la société française.

« Télescopage » mais pas tout à fait « hasard » : ce rapport a été commandé en mars 2015 dans le cadre de la vaste introspection proposée par le gouvernement après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, dont on se souvient qu’une partie de la population refusa de les désavouer (quand elle ne les approuva pas bruyamment). Pour « expliquer » ce mouvement d’opinion qu’on ne pouvait plus dissimuler, Manuel Valls proposa le terme « d’apartheid ». Peu s’émurent de l’insulte et du blanc-seing moral qu’elle délivrait à nos ennemis – n’est-il pas légitime de lutter contre l’apartheid par tous les moyens ? Tous les Kouachi de ce pays ne seraient-ils pas, finalement, que des indignés un peu expéditifs ?

Quelques mois plus tard, ce rapport sur les discriminations (rendu public la veille de l’attentat de Nice) fit la joie de commentateurs progressistes. Ah, on la tenait la preuve que notre bon vieux principe d’égalité dissimulait une inégalité de fait, plus ou moins volontaire ! Étrange lecture qui fait fi de toutes les prudences du rapport et de l’échec de son auteur à mettre en lumière ce qui n’existe pas : une discrimination dans l’accès à l’emploi public des populations issues de l’immigration récente. L’auteur souhaite « mettre en œuvre une stratégie particulière de révélation du fait discriminatoire » (p. 57). À une exception près (dans la fonction publique hospitalière, pour un poste d’infirmière), il n’y parvient pas.

Cette impasse est passionnante. Elle nous raconte l’univers mental de la galaxie antiraciste. Comme tout discours délirant, celui-ci s’arrime d’abord à la réalité. Tandis que 14 % des Français de souche (qualifiés de « natifs ») sont en emploi dans la fonction publique, seuls 10 % des descendants d’immigrés se trouvent dans la même situation (p. 23).

On passera sur le fait que ces 14 % ne sont pas nécessairement une preuve de bonne santé économique. On n’insistera pas non plus sur ces quatre points de différence que des modérés auraient pu considérer comme certes significatifs mais pas non plus criants : le verre est aussi à moitié plein. Sans être nécessairement mal intentionné, un observateur pourra juger que ce décalage peut-être lié au temps, et qu’entre une citoyenneté acquise et une citoyenneté vécue, il peut y avoir mille petites étapes qui prennent plus que les cinq-six ans séparant une naturalisation (à sa majorité) et l’entrée véritable dans la vie active. Cette hypothèse optimiste n’est nullement envisagée.

Une discrimination qui s’opèrerait à l’insu du recruteur lui-même ?

Avec l’obstination du loup dans la célèbre fable de La Fontaine, le professeur L’Horty s’obstine : s’il n’y a ni discrimination légale, ni discrimination délictueuse, c’est que celle-ci s’opère à l’insu du recruteur lui-même (p. 23 et 29). Le « c’est donc quelqu’un des tiens », a ici sa variante :« c’est quelque chose d’inconscient en toi ». Tel le jeune paroissien travaillé par l’appel de la chair, nous sommes invités à une sorte de vigilance à l’endroit de nos penchants coupables. On se gardera alors d’interroger la curiosité insistante et l’intérêt têtu du confesseur pour la chose…

Le professeur L’Horty, dans sa rigueur universitaire, n’élude en revanche pas une autre hypothèse : celle de l’auto-discrimination (« la discrimination nourrit l’auto-sélection des candidats », p. 10). Il n’y a là que du bon sens : si l’on se sent par avance vaincu, on hésite à se lancer dans le combat. On pourra prolonger le raisonnement : à force de se considérer comme un discriminé, on finit par l’être.

Il n’est pas rare que sur le divan du psychanalyste, le mal-aimé se découvre mal-aimant. Derrière le mal-être et la souffrance dont on se sent victime, se dissimule fréquemment une hostilité qui n’ose pas dire son nom. Une fois au clair avec sa pulsion, le patient découvre qu’il a autour de lui des gens pas si mal disposés à son endroit. C’est peu dire que le professeur L’Horty est loin de ce type de considérations.

Pour dire les choses de manière triviale, on peut dire qu’on ne peut pas klaxonner le dimanche soir à la victoire du Portugal (sans être en aucune façon d’ascendance portugaise)… et postuler le lendemain à un emploi public, supposé, tout de même, au service de la nation. J’irai même plus loin : plus on s’interdit de klaxonner (refoulement de la pulsion), plus il est urgent de renoncer à l’exercice de sa citoyenneté, discriminé que l’on est.

Là où les choses se corsent un peu plus encore, c’est quand on analyse ce présupposé de l’auteur du rapport : devenir fonctionnaire de la République française, les fils de l’immigration ne rêveraient que de cela. S’ils sont moins représentés dans la fonction publique, c’est qu’on leur barre la route. Nous autres « natifs », biberonnés au Code général de la fonction publique, serions à la fois aimés et enviables. La foule des descendants de l’immigration ne rêverait que de nous rejoindre – et c’est nous qui, à notre insu bien sûr, lui refuserions ce privilège. Il va de soi que ce type de fantasme ne peut sévir que dans certains cercles de la fonction publique, plutôt épargnés par le gel du point d’indice et les difficultés d’exercice du métier. Prof au Blanc-Mesnil ou postier à l’Elsau (Strasbourg), on ne se sent guère enviable.

Derrière l’aveuglement vis-à-vis de l’autre, il y a souvent du refoulé vis-à-vis de soi. Les élites ne peuvent envisager l’hostilité, l’irrédentisme culturel d’une partie de la population d’origine immigrée, ou même sa seule réticence à s’intégrer, ou encore les sentiments contradictoires des déracinés, partagés entre attachement et rejet de leur patrie d’adoption. Les élites ne peuvent considérer ces populations que comme victimes de discriminations, volontaires ou non.

Je propose l’hypothèse suivante : et si c’était ces élites qui projettent sur les « natifs » un soupçon de discrimination et sur les immigrés un désir d’assimilation forcené, et si ces élites qui mettent en scène le combat de l’ombre et de la lumière étaient elles-mêmes hantées par la nostalgie de la toute puissance coloniale où, subjugué, l’esclave rêve de devenir le maître ? C’est là une réalité psychique : voir dans l’autre un envieux, ce n’est pas que se rassurer narcissiquement sur son statut d’enviable, c’est désirer la subordination de l’autre.

Il serait peut-être temps de considérer cet autre comme sujet, y compris de sa propre violence. Et pas seulement à Nice.

Pokémon gogos

De jeunes joueurs australiens de Pokémon Go (Photo : SIPA.00765473_000003)

Je m’étais presque juré de ne pas écrire sur ce sujet ! « Non, Mathieu, tu n’écriras pas sur les Pokémon. » Il y a des limites à être contre tout. Mais c’est plus fort que moi.

Si on n’en fait pas le procès de temps en temps, la bêtise devient rapidement fière d’elle-même et se prend pour une forme novatrice d’intelligence. Et d’un coup, on a l’impression d’habiter un monde où les gens marchent sur la tête. Alors allons-y : dans les rues des grandes villes du monde occidental, mais aussi ailleurs, on traque le Pokémon.

Jusqu’à Auschwitz…

Pour la plupart, les chasseurs sont jeunes. Mais quelques ados attardés accumulant les années les accompagnent. Ils se promènent en meute, le nez rivé sur leur maudit téléphone intelligent, à la recherche de créatures imaginaires mises en circulation par Nintendo.

Quel que soit le lieu, si on trouve une bonne concentration de Pokémon quelque part, nos petits zombies risquent de s’y jeter. Les histoires les plus folles nous parviennent.

Ainsi, il y a quelques jours, on pouvait chasser le Pokémon à Auschwitz. Oui, je parle bien du fameux camp de concentration qui a joué un si grand rôle dans l’extermination des juifs d’Europe. On pouvait aussi le traquer au musée de l’Holocauste, à Washington.

Dans ces lieux, normalement, un esprit minimalement éclairé devrait pouvoir se recueillir et pleurer dans le silence la mort des millions de victimes juives du nazisme. Mais non ! On traque Pikachu !

Le phénomène frappe aussi le Québec. Convenons que rarement la bêtise universelle nous épargne. On l’embrasse même goulûment, de peur de ne pas être à la mode. On publie même des cartes pour nous dire où les trouver.

Réalité augmentée ?

Étrangement, j’ai entendu bien des parents dédramatiser la chose. Grâce à ce jeu, leurs jeunes sortiraient enfin du sous-sol. Pokémon Go permettrait à des ados zombies de redevenir pendant quelques heures des ados normaux jouant dehors.

Soyons sérieux. Ce jeu à la mode prouve que les grandes entreprises de divertissement ont un pouvoir de manipulation des masses absolument époustouflant. Elles dictent les modes, excitent la jeunesse et ont une emprise sur les esprits. C’est terrifiant.

On voit aussi à quel point l’individu d’aujourd’hui est esclave de son téléphone intelligent, comme s’il ne parvenait plus à vivre sans lui. Il lui sert de mémoire artificielle, de radio, de télévision, de jeu vidéo et d’appareil photo. Sans lui, il se sent nu.

On dit que le jeu Pokémon Go représente la réalité augmentée. La seule réalité augmentée que je connaisse vraiment, c’est l’art. Et plus exactement, la littérature. Elle sollicite notre imagination. Elle nous pousse à cultiver notre vie intérieure, à plonger en nous-mêmes. Elle nous rend plus subtils, plus humains.

Il devrait être permis de détester ce que représente ce jeu. Aujourd’hui, on invente sans arrêt des mots qui finissent par « phobie ». J’en ajoute un. Et je m’en réclame. Vive la pokémonophobie !

Cet article a été initialement publié dans Le Journal de Montréal.

Cazeneuve vs Bertin, un match nul

cazeneuve attentat nice bertin
Bernard Cazeneuve. Sipa. Numéro de reportage : 00725604_000066.

Consécutif au carnage de Nice, l’affrontement entre le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et la policière municipale Sandra Bertin révèle l’exacerbation des contradictions politiques qui traversent la société française. Il y aurait, dit-on, deux vérités qui s’affrontent, chacun prenant parti pour celle qui l’arrange en fonction de ses choix politiques, de ses affinités personnelles, ou de ses appartenances de réseaux. Le choix serait, paraît-il, entre Cazeneuve menteur ou Bertin menteuse.

Double défausse

La réalité est en fait plus prosaïque : face à la catastrophe, chacun essaie d’éviter d’être mis trop lourdement face à ses responsabilités. En se défaussant sur celui d’en face, d’autant que la question de la sécurité à Nice est institutionnellement partagée entre l’État et le maire qui exerce d’ailleurs cette compétence au nom de l’État. Pour faire encore plus simple, c’est patron de la police nationale contre patron de la police municipale, autrement dit parole contre parole. L’observateur de bonne foi a donc le plus grand mal à privilégier l’une ou l’autre. Surtout que chaque camp va convoquer ses témoins, qui François Molins le procureur du tribunal de grande instance de Paris, qui Sandra Bertin fonctionnaire territoriale secrétaire générale de son syndicat.

Il semble quand même qu’une commission d’enquête parlementaire pourrait être une bonne solution. Ce n’est pas pour l’instant l’option été choisie, mais, de part et d’autre, conscient du problème, on a annoncé triomphalement avoir « saisi la justice ». Vieille ficelle qui fonctionne toujours en ce qu’elle permet de dire : « laissons la justice suivre son cours ». Et parce que le public connaît mal les mécanismes mis en mouvement.

Des procédures à n’en plus finir

Alors de quoi s’agit-il ? Bernard Cazeneuve nous a dit vouloir déposer plainte en diffamation. La belle affaire ! Voilà une procédure qui relève de ce que l’on appelle le droit de la presse qui, dans notre pays, encadre la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu des procédures particulièrement minutieuses, où il est très facile de se casser la figure. Il faut savoir que le juge du siège ne joue qu’un rôle d’arbitre et n’use pas de pouvoirs d’investigation sur la réalité de ce qui a été affirmé. Chacune des parties lui soumet ses arguments, à charge pour lui de dire si la diffamation est constituée. La décision n’implique pas une vérité factuelle disposant de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, si Guy Bedos dit que Nadine Morano est une conne et ajoute en ricanant « qui mange les petits enfants » et que, poursuivi par sa cible, il est relaxé, cela ne voudra pas dire que Nadine Morano « est une conne qui mange les petits enfants ». Bernard Cazeneuve nous a indiqué « attendre avec sérénité », les suites de la procédure qu’il a engagée. Il peut effectivement être serein, puisque dans le meilleur des cas, si la procédure ne se casse pas la figure en route, l’affaire sera examinée en première instance dans deux ans, en appel dans trois, et en cassation dans quatre. Il n’est pas tout à fait exclu qu’il ne soit plus ministre de l’Intérieur à ce moment-là. L’ironie de l’histoire serait que Nicolas Sarkozy soit alors président de la République et Eric Ciotti ministre de l’Intérieur…

Face à cette terrifiante attaque nucléaire à la visée strictement médiatique, Madame Bertin et ceux qui l’entourent ont préparé une contre-mesure tout aussi terrifiante. Elle a annoncé vouloir « faire un signalement au procureur pour faux en écriture publique ». Bigre, là c’est du lourd.

Qu’est-ce que c’est qu’un « signalement au procureur » ? L’article 40 du code de procédure pénale fait obligation aux fonctionnaires de porter à la connaissance du procureur les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale. Fort bien, le procureur de Nice, dépendant hiérarchiquement de la place Vendôme, va donc recevoir un courrier dont il fera ce qu’il voudra. La gamme de ses possibilités va de l’ouverture d’une information judiciaire à un envoi direct à la corbeille. Et c’est cette solution qui risque d’être adoptée, car l’on ne voit pas très bien où résiderait le « faux en écriture publique ». Il faut d’abord qu’il y ait ce que l’on appelle un acte authentique, c’est-à-dire ayant valeur probante et dont celui qui s’en prévaut n’a pas à démontrer l’authenticité. Tous les actes créateurs de droit émanant des autorités publiques, ou des officiers ministériels, ont cette qualification. On ne voit pas très bien non plus, jusqu’à présent dans cette polémique, ce qui serait susceptible de la recevoir. Rappelons aussi que lorsque le faux ou l’usage de faux en écriture publique est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, on est en présence d’un crime justiciable de la cour d’assises ! Tout cela n’est pas très sérieux et la sortie de Madame Bertin sur ce point relève de la rodomontade.

La vérité, rien que la vérité

Ce nouvel épisode, non pas de l’instrumentalisation de la justice, mais de l’utilisation du droit en surfant sur l’ignorance juridique de l’opinion publique est désolant. Ce n’est pas un aspect secondaire de l’épisode qui est en train de se dérouler. Quoi qu’en dise le président de la République, le peuple français n’a pas besoin pour aujourd’hui d’une vérité judiciaire pour l’instant inatteignable. Et dont on sait qu’elle peut entretenir des rapports parfois lointains avec la réalité. Quel intérêt de savoir dans quatre ans si Madame Bertin a diffamé des fonctionnaires ? Ce qui n’établirait pas nécessairement qu’elle a menti. Ce dont nous avons besoin en urgence, c’est d’une vérité factuelle, et qui soit politique et opératoire. La tension a franchi un cap dans notre pays depuis le massacre de Nice. Le tir de barrage sur « l’unité nationale obligatoire » et l’interdiction de mettre en cause la responsabilité de l’État et de ceux qui le dirigent n’ont servi à rien. La confiance des Français envers leurs dirigeants est en cours d’effondrement et une clarification s’impose. Il est dramatique d’en laisser l’exigence au Front national.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Le “doigt d’honneur” de Clinton à son propre camp

Hillary Clinton et Tim Kaine (au second plan) à Miami le 23 juillet dernier (Photo : SIPA.AP21926781_000007)

« Night of Chaos », « Disastrous day One » : le commentaire est presque unanime lorsqu’il s’agit de décrire le tumulte de la convention républicaine de Cleveland, marquée par la défection de Ted Cruz, principal adversaire de Donald Trump lors de la course aux primaires, poids lourd du parti républicain et porte-parole de son aile la plus religieuse. Constamment ciblé par Donald Trump, qui, entre autres gentillesses, laisse entendre que le père de son rival, un réfugié cubain, fut « impliqué dans l’assassinat de Kennedy », Cruz a subi une nouvelle humiliation en pleine convention. Face à des délégués déjà échaudés scandant « endorse Trump » et « vote for Trump », l’ex-candidat favori des médias républicains n’a décidément pas appelé à voter pour le vainqueur des primaires. « Votez en conscience », a déclaré le sénateur du Texas, face à un parterre de plus en plus hostile et rejoint, camouflet supplémentaire, par un Donald Trump goguenard qui a immédiatement attiré les caméras et les regards.

C’est sous les insultes (« traître ») que Ted Cruz dut quitter l’estrade pour rejoindre son épouse Heidi, elle-même entourée de militants scandant « Goldman Sachs » — nom de l’ancien employeur de Mme Cruz, honni de l’« antisystème » Trump. En retrait, Chris Christie, autre candidat à l’investiture copieusement injurié par Trump au cours des primaires (« gamin », « catastrophe économique », « trimballeur de casseroles », « il a la tête d’un mec qui vote pour Obama », etc.), mais néanmoins rallié au panache hirsute du milliardaire, se prenait le visage entre les mains, comme pour retenir le geste, achilléen, de s’arracher les cheveux.

L’ambiance risque de ne pas être au beau fixe lors de la convention démocrate de Philadelphie qui débute ce lundi 25 juillet 2016. En matière d’annonce, Hillary Clinton peut d’ores et déjà compter sur le soutien de Bernie Sanders, son rival, « socialiste » déclaré, arrivé second aux primaires et celui d’Elizabeth Warren, figure populaire de l’aile progressiste et inspiratrice d’« Occupy Wall Street ». Mais après avoir obtenu le ralliement de ces leaders d’une gauche démocrate en plein réveil depuis la crise de 2007-2008, et après avoir, un temps, laissé espérer la nomination de l’un d’entre eux au poste de vice-président, la vainqueure des primaires a provoqué la fureur des progressistes en choisissant le très droitier Tim Kaine pour composer son ticket.

Un coup de barre à droite inspiré, peut-être, par le spectacle de la division dans le camp républicain : sans doute Mme Clinton se sent-elle désormais les coudées franches pour écarter son aile radicale. La convention démocrate sera-t-elle un autre moment de chaos ? « Des dizaines de milliers de manifestants convergent vers Philadelphie », rapportait le magazine The Hill dans son édition du 24 juillet. Il s’agit, pour la plupart, de supporters de Bernie Sanders. À leurs yeux, Hillary peut encore adjoindre « Bernie » à son « ticket ».

Le précédent de 1944

La lutte pour la vice-présidence a dans le passé valu au parti démocrate une « nuit terrible » — et déterminante pour l’avenir de la gauche américaine. En juillet 1944, à Chicago, après trois tours marqués par des irrégularités, une fraude massive et la corruption de plusieurs délégués-clef, le vice-président sortant Henry Wallace, « l’homme aux 600 millions d’emplois » que Galbraith considérait comme « la seconde figure du New Deal après Roosevelt » est privé de sa victoire. Soutenu par les grands syndicats américains, crédité de 65 % d’intentions de vote au sein de l’électorat démocrate et vainqueur des deux premiers rounds de la convention, il n’obtient pas, face aux fraudeurs, le soutien qu’il attendait de Roosevelt ; nommé pour un quatrième mandat, c’est pourtant ce dernier qui avait demandé au populaire Wallace de rempiler dans la « same old team ».

Mais le vieil homme est malade ; alité, il est pressé par les conservateurs du parti de modifier son « ticket ». Peut-être inquiet de la radicalité de son second, qui n’hésite pas à citer la révolution d’Octobre dans le prolongement des révolutions américaine et française, le vieil homme cède aux puissances de la banque et de l’industrie.

Au sein du camp démocrate, celles-ci sont représentées par le pétrolier Pauley, trésorier du parti, et par Jimmy Byrnes, un ségrégationniste pour qui « le lynchage n’est que la conséquence, directe ou indirecte, des viols », et est nécessaire « pour que le Nègre se tienne à carreau en Amérique ». L’archi-favori Wallace avait aussi beaucoup déplu à Winston Churchill : les deux hommes avaient eu un échange tendu au sujet de la « supériorité naturelle et historique des Anglo-saxons et de leur civilisation » chère au Premier ministre britannique, à laquelle Wallace opposait un agenda de « décolonisation intégrale ». Un différend qui se décline dans l’opposition contemporaine entre les tenants du militarisme démocrate, peint aux couleurs de la « destinée manifeste », et le pacifisme universaliste de la gauche américaine. Celui-ci est d’ailleurs bien différent du traditionnel isolationnisme nationaliste des républicains qui, de Robert Taft à Donald Trump, craint avant tout que l’implication des États-Unis dans les affaires du monde ne renforce le «big government » fédéral.

Les partisans de la guerre froide et d’un coup d’arrêt au New Deal s’étaient donc entendus pour faire nommer un parfait inconnu, Harry Truman, au poste de vice-président. Truman avait dans sa jeunesse tenté de prendre sa carte au Ku Klux Klan — il avait été « blackboulé » du fait de ses sympathies « papistes » — et avait débuté en politique à 50 ans, après une série d’échecs dans le petit business. Son parrain, le baron démocrate Tom Pendergast, assurait l’avoir choisi dans le but de « démontrer qu’avec une machine bien huilée, on pouvait envoyer le dernier des garçons de bureau au Sénat ». Inexpérimenté, il ne s’était entretenu qu’une seule fois avec Roosevelt avant sa mort. Président, il tomba immédiatement sous la coupe de Byrnes et des businessmen démocrates.

Rien n’illustre mieux les logiques autodestructrices du capitalisme que l’ascension de Truman, homme d’affaires raté, au rang de promoteur du « siècle américain », aux dépens de Wallace, businessman de génie dont la firme fut vendue plus de 8 milliards de dollars à Dupont de Nemours à la fin des années 1990, qui rêvait d’inaugurer « le siècle de l’homme de la rue ».

Le protectionnisme ? Un truc de « loser » !

Tim Kaine, avocat passé par Harvard, fervent catholique — il fut missionnaire au Honduras auprès des Jésuites — et pro-life, n’a, lui, rien d’un débutant en politique. Élu maire de Richmond, (l’ancienne capitale de la Confédération) en 1998, puis gouverneur de l’Etat de Virginie de 2006 à 2010, il siège au Sénat depuis 2012. « Passionné par le libre-échange » — ce sont ses propres termes —, il considère que le protectionnisme procède d’une « mentalité de loser ». Il est, au sein du parti démocrate, l’un des plus fervents partisans des accords de partenariat transpacifique (TPP)…

« La nomination de Kaine (…) serait un gigantesque doigt d’honneur aux 13 millions d’Américains qui ont voté pour Bernie Sanders », avertissait Norman Solomon, directeur du réseau des délégués de Bernie Sanders dès avant l’officialisation du « ticket » dans les colonnes de Common dreams. Interviewé par NBC ce 24 juillet, Sanders refusait de son côté de qualifier Kaine de « progressiste » et réaffirmait sa préférence pour un tandem Clinton-Warren. Néanmoins, alors que son équipe annonce qu’une série de « manifestations non-violentes » seront organisées lors de la convention, le sénateur du Vermont s’est abstenu de jeter de l’huile sur le feu. Le premier objectif demeure, selon lui, de battre le candidat républicain. « Quand vous avez en face de vous un mec qui veut devenir président des États-unis et qui est contre la science, alors il faut faire quelque chose ».

À l’heure où s’ouvre la convention démocrate, l’épouvantail Trump reste le meilleur allié d’Hillary Clinton…

Questions sur Nice

Bernard Cazeneuve et François Hollande lors de la minute de silence observée dans la cour du ministère de l'Intérieur à Paris (Photo : SIPA.00764822_000005)

La polémique autour de l’attentat de Nice vient de rebondir après les déclarations au Journal du Dimanche de la responsable de la police municipale[1. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-accuse-le-ministere-de-l-Interieur-798751], et la réaction, extrêmement (et anormalement) violente du ministre de l’Intérieur qui menace cette personne d’un procès en diffamation[2. http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/07/24/nice-cazeneuve-porte-plainte-pour-diffamation-apres-les-accusations-d-une-policiere-municipale_4974023_1653578.html]. Cela déplace les questions que l’on pouvait raisonnablement se poser sur le terrain politique. Y-a-t-il une tentative du ministre de l’Intérieur d’étouffer les interrogations légitimes que l’on peut avoir au sujet des conditions de sécurité ayant entouré le feu d’artifice du 14 juillet ? Il convient de bien préciser ce dont il est question.

I) Les faits

Rappelons ici que c’est le journal Libération qui a lancé le débat dans un article du 21 juillet[3. http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531]. Or, il apparaît que seuls 2 policiers municipaux assuraient le contrôle du périmètre au point où le camion du meurtrier est entré dans la partie piétonne de la Promenade des Anglais et ceci contrairement au communiqué du 16 juillet du ministre de l’Intérieur qui dit : « La mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d’équipages de la police municipale. C’était le cas notamment du point d’entrée du camion, avec une interdiction d’accès matérialisée par le positionnement de véhicules bloquant l’accès à la chaussée. Le camion a forcé le passage en montant sur le trottoir[4. Cité d’après Libérationhttp://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531]. »

De plus, aucune chicane en béton susceptible d’arrêter, ou du moins de ralentir, le camion du terroriste n’était déployée, ni à cet endroit ni 370 mètres plus loin, là où se trouvait la patrouille de 4 hommes de la police nationale. Or ces chicanes sont des instruments standards tant de la police municipale que de la police nationale.

Dès lors se pose la question de savoir pourquoi une telle chicane n’avait pas été déployée. Si la mairie de Nice ne l’a pas décidée (ce qui est une faute grave) pourquoi le préfet des Alpes-Maritimes, qui est l’autorité de dernière instance en matière de sécurité d’événements publics, n’a-t-il pas exigé que cela soit fait ? Le préfet avait autorité pour interdire cet événement s’il considérait que les conditions de sécurité n’étaient pas remplies. S’il ne l’a pas fait, cela signifie qu’il considérait les conditions de sécurité comme « suffisante ». Il porte donc une responsabilité directe dans le drame qui s’est déroulé. Sa démission s’impose.

II) Les témoins

Que dit maintenant la responsable de la vidéosurveillance de Nice[5. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793] : « Je me rappellerai toute ma vie de cette heure-là : 22h33. J’étais devant les écrans du CSU avec les équipes. Nous recevons alors des policiers municipaux positionnés sur la promenade le signalement d’un camion fou. Nous récupérons tout de suite son image à l’écran et nous demandons son interception. Le camion était lancé à 90 km/h, sans phares, sans qu’on l’entende à cause du bruit. Il contourne le barrage de la police municipale. Les équipes n’ont pas pu l’arrêter. On ne crève pas les pneus d’un 19 tonnes avec un revolver! À ce moment-là, d’autres policiers municipaux sont en civil dans la foule, qui se retrouvent face à lui. S’ils avaient été armés comme nos collègues de la police nationale, une de nos revendications, ils auraient pu le stopper. Le poids lourd se retrouve finalement face aux policiers nationaux, qui tirent et le neutralisent. Il est 22 h 34. »

Notons que si des tirs d’armes de poing sont effectivement inefficace sur les pneus du camion, ils peuvent toucher le moteur, le mettre hors d’usage, et surtout tuer le conducteur. Nous avons ici un indice que la police municipale n’était pas préparée psychologiquement ni matériellement à ce type d’intrusion. Cela confirme que ce scénario n’avait pas été envisagé, en dépit de précédents. Mais il n’était pas envisagé non plus par la police nationale, et le préfet ! Quand on lui pose la question « Étiez-vous préparée à une telle attaque ? », elle répond : « J’avais dispensé à mes équipes des formations pour détecter les comportements suspects et savoir réagir en cas d’attaque terroriste. Heureusement ! Le camion est repéré vingt secondes après son entrée sur la promenade par la police municipale. Il n’y a pas un moment où, à l’écran, mes agents vont le lâcher. Je suis sidérée par les accusations sur notre travail, sur le fait que nous ne l’ayons pas détecté en amont lors de ses repérages sur la Promenade les jours précédents. Ce soir-là, le terroriste est neutralisé en une minute, contre deux heures au Bataclan – je suis désolée pour la comparaison malheureuse. Nos équipes ont été incroyablement réactives, pleines de sang-froid alors qu’elles ont vu et subi l’horreur. Il faudrait leur dire merci. » Si les équipes de la police municipale ont effectivement été réactives, ce type d’attentat n’avait cependant pas été anticipé. Très clairement on s’attendait à une bombe, ou qu’un terroriste actionne une ceinture explosive mais pas à l’attaque à l’aide d’un véhicule alors que l’on sait que c’est une tactique possible, et qu’elle a été déjà utilisée en France. Et c’est là le problème mettant en cause tant les autorités municipales que le préfet.

III) Une tentative d’étouffer la vérité ?

Venons-en maintenant à la partie « politique » qui met en cause directement le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Il est clair qu’il y a de sérieuses différences entre ce que dit le ministère de l’Intérieur et la réalité. La responsabilité du préfet n’est pas reconnue. De plus, la demande de la justice et de la Sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT), qui réclament donc l’effacement complet des enregistrements pris entre le 14 juillet 22h30 et le 15 juillet 18 heures pour toutes les caméras ayant une vue sur la scène de l’attentat dans le souci (respectable) « d’éviter la diffusion non contrôlée de ces images » et en particulier le risque que ces images ne soient utilisées sur des sites djihadistes[6. http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/22/la-justice-ordonne-a-la-ville-de-nice-de-supprimer-les-images-de-l-attentat-la-mairie-refuse_4973376_3224.html] apparaît comme surprenante. Ces images sont sous séquestre et ne peuvent être utilisée que par la justice. Est-on en présence, comme le dit l’avocat de la Ville de Nice Philippe Blanchetier, dans une déclaration à l’agence Reuters[7. http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1020UJ], d’une « réquisition aux fins d’effacement de preuves (…). L’argument avancé de risque de fuite ne tient pas » ?

Dans ce contexte, si ce que dit la responsable de la vidéosurveillance, Sandra Bertin, policière municipale et secrétaire générale du Syndicat autonome de la fonction publique territoriale (SAFPT) de Nice, est vrai. Soit : « Le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l’Intérieur a envoyé un commissaire au CSU qui m’a mise en ligne avec la Place Beauvau. J’ai alors eu affaire à une personne pressée qui m’a demandé un compte rendu signalant les points de présence de la police municipale, les barrières, et de bien préciser que l’on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité. Je lui ai répondu que je n’écrirais que ce que j’avais vu. Or la police nationale était peut-être là, mais elle ne m’est pas apparue sur les vidéos. Cette personne m’a alors demandé d’envoyer par e-mail une version modifiable du rapport, pour “ne pas tout retaper”. J’ai été harcelée pendant une heure, on m’a ordonné de taper des positions spécifiques de la police nationale que je n’ai pas vues à l’écran. À tel point que j’ai dû physiquement renvoyer du CSU l’émissaire du ministère ! J’ai finalement envoyé par e-mail une version PDF non modifiable et une autre modifiable. Puis, quelques jours plus tard, la sous-direction antiterroriste m’a demandé d’effacer les bandes des six caméras que j’ai mentionnées dans mon rapport, celles qui ont filmé la tuerie[8. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793] », l’affaire devient très grave. Le principe « le Prince couvre le sujet » s’applique. Il impose la démission du ministre de l’Intérieur M. Bernard Cazeneuve.

Au-delà, les réactions du gouvernement apparaissent pour le moins curieuse, et la déclaration de Jean-Marie Le Guen[9. http://www.bfmtv.com/politique/attentat-de-nice-pour-jean-marie-le-guen-critiquer-l-etat-est-dangereux-pour-la-democratie-1009413.html] (« Si un certain nombre de journalistes, de commentateurs, de responsables politiques mettent en cause le fonctionnement de la justice et des services administratifs de l’État, alors c’est une thèse qui est extrêmement dangereuse pour la démocratie. ») pose un véritable problème de morale et de politique. Une commission d’enquête parlementaire s’impose. Ses conclusions, si elles confirmaient que l’on est en présence d’une tentative organisée d’étouffer la vérité, devraient entraîner la démission de l’ensemble du gouvernement.

Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Clairvoyant comme un préfet dans la nuit (de cristal)

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Image d'illustration : un tag sur la mosquée de Saint-Etienne en 2010 (Photo : SIPA.00593406_000019)

« Comparaison n’est pas raison » comme le dit un vieux proverbe et les événements tragiques de ces derniers jours nous montrent qu’à défaut d’avoir raison certains la perdent. En effet, oser comparer des tags islamophobes aux prémices de la Nuit de cristal était un pas que toute personne dotée de raison n’aurait osé franchir, sauf le préfet du Rhône qui nous prouve, une fois de plus, que les deniers des contribuables servent aussi à payer des gens pour dire n’importe quoi.

La Nuit de cristal, « ReichsKristallnacht » en version originale, eut lieu la nuit du 9 au 10 novembre 1938 dans toute l’Allemagne nazie. Pour « venger » l’assassinat du secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst Vom Rath, par un jeune juif polonais Herschel Grynspan, un pogrom d’une ampleur inégalée fût organisé sur tout le territoire du Reich avec ordre de ne rien faire pour protéger les juifs ni leurs biens. Dans son journal, Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, écrira : « Nous ne faisons éteindre les incendies que si c’est nécessaire pour les bâtiments allemands du voisinage. Sinon, laisser brûler. » Bilan de cette Nuit de cristal : environ cent morts (sans compter les nombreux suicides), plus de 200 synagogues brûlées, plus de 7 000 commerces saccagés, plus de 20 000 juifs déportés dans les camps de concentration de Dachau, Buchenwald et Sachsenhausen.

Ainsi, si on en croit le préfet de Rhône, Michel Delpuech, il s’est passé en France cette semaine un événement au bilan humain comparable à la Nuit de cristal. Ou, du moins, pouvant y conduire.

Il est vrai que nous avons eu ces derniers jours près de cent morts en France, mais ce n’étaient pas des victimes de l’islamophobie mais de l’islamofascisme. Les commerces saccagés ? Peut-être y en a-t-il eu aussi du côté du Val d’Oise ces derniers jours tout comme des voitures brulées, mais ces saccages n’avaient a priori rien d’islamophobes. Quant aux 20 000 déportations vers les camps de concentration, je ne crois pas que ce type de lieux existent dissimulés quelque part sur notre territoire…

Inutile de dire que ce type de comparaison déshonore celui qui l’a faite tout autant que ceux qui le maintiennent en poste, les préfets étant nommés par le président de la République sur proposition du Premier ministre. Comparer deux tags, éminemment condamnables, à l’acte qu’on pourrait qualifier de « point de départ » de la Shoah est en effet une banalisation du nazisme insupportable pour toute personne ayant conscience de ce que fût cette tragédie.

Si on faisait des comparaisons à la préfet de Rhône, la Marseillaise conspuée au Stade de France lors de matches de football de triste mémoire ce serait quoi ? Le congrès de Nuremberg en version footballistique ?

Rappelons que le dernier pogrom ayant eu lieu en France s’est passé à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 9 janvier 2015 et que le bilan fût de 4 morts, victimes de l’islamofascisme, bref un bilan autrement plus lourd que deux tags, aussi condamnable soient-ils il faut le répéter…

Rappelons aussi pour la réalité historique que Nuit de cristal se dit aussi en allemand « Reichspogromnacht », la « nuit de pogrom du Reich », et que les pogroms ne se sont jamais résumés à des coups de bombe de peinture…

Ces déclarations du préfet du Rhône ont au moins un mérite :  faire progresser la langue française. Car si on connaissait l’expression « solide comme du cristal », on devra désormais en ajouter une autre à notre vocabulaire : « inconsistante comme une référence préfectorale à la Nuit de cristal… »

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Le fantasme de la guerre civile

Emeutes à Villiers-le-Bel en 2007 (Photo : SIPA.00552640_000018)

La première réaction, à chaud, d’Edwy Plenel à l’attentat de Nice, fut de balancer, le 15 juillet à 8h27, un tweet renvoyant à un entretien accordé à Libération par le politologue Jean-Yves Camus. Une interview, donnée avant l’événement, qui évoquait une possible « confrontation » entre ultradroite et musulmans s’il devait y avoir dans notre pays « un ou plusieurs autres attentats massifs commis par la mouvance islamiste ». Formulée avec prudence, et un certain scepticisme par ce spécialiste de l’extrême droite – qui dénoncera ce tweet de Plenel comme une instrumentalisation de ses propos – cette analyse prospective était pain bénit pour tous ceux qui n’avaient pas les sous-vêtements très propres en raison de leurs compromissions idéologiques avec les thuriféraires de l’islamisme radical, genre Tariq Ramadan ou Indigènes de la République.

Le « crime » du Tunisien de Nice, à leurs yeux, aurait pour fonction de déclencher à une pulsion pogromiste antimusulmane qui ne cherche qu’un prétexte pour se déchaîner dans l’Hexagone. Ce tweet permettait aux autres suspects habituels de la complaisance pro djihadiste (Raphaël Liogier, Laurent Mucchielli), sociologues faillis, mais toujours appréciés des médias, de dévider à nouveau leur chapelet d’insanités pseudo-savantes, rendant le dogmatisme laïciste français responsable du malheur  qui survient.

Le fantasme de la guerre civile, celui qui peint sur le mur un monstre imaginaire — les hordes racistes déferlant sur les banlieues de nos villes — pour relativiser la barbarie d’un monstre réel (Daech et son terrorisme « réticulaire »), n’a rien de nouveau. C’est même la marque de mouvements totalitaires qui souhaitent une guerre civile pour parvenir au pouvoir sans passer par la case démocratie.

Un fantasme déjà présent après Mai-68

J’ai souvenir d’un été 1968, dans une belle demeure de Sologne, où un intellectuel en vue, Félix Guattari, avait hébergé un quatuor de leaders du mouvement de mai, repliés à la campagne après le reflux de juin, pour écrire un livre théorisant le mot d’ordre de l’époque : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! » Cet opus, qui parut au début de l’année 1969, s’intitulait Vers la guerre civile, était signé (par ordre alphabétique) Alain Geismar, Serge July et Erlyne Morane, pseudo d’Evelyne Haas, et Herta Alvarez, compagnes des deux premiers. Ce texte constitua le manifeste fondateur de la Gauche prolétarienne, au sein de laquelle fusionnèrent les maoïstes purs et durs de la rue d’Ulm (Benny Lévy, Robert Linhart, Jean-Claude Milner, etc.) avec une fraction des gaucho-libertaires (à l’exception notable de Dany Cohn-Bendit).

La guerre civile ? Elle était ardemment souhaitée par ceux qui pensaient, alors, que le capitalisme et ses avatars libéraux et sociaux-démocrates étaient le monstre à éradiquer pour parvenir à l’émancipation du peuple. Conçue sur le modèle de la Fraction armée rouge allemande (RAF) et des Brigades rouges italiennes, la GP se voyait comme une réincarnation d’une Résistance antifasciste durant la deuxième guerre mondiale, totalement mythifiée, faisant du même coup de ses ennemis les successeurs directs d’Hitler et des diverses variantes de fascisme. La « guerre civile » était donc ardemment désirée, et tout fut mis en œuvre pour qu’elle advienne, jusqu’à ce qu’en France, ses initiateurs prennent conscience de leur déraison et procèdent à l’autodissolution de la GP, abandonnent leur héritage à un lumpengroupuscule, Action directe, et entament, pour les plus connus d’entre eux, la brillante carrière que l’on connaît[1. Il est sidérant de voir que jusqu’à aujourd’hui, Serge July considère comme « globalement positif » cet épisode de sa vie intellectuelle et militante, comme on peut le constater dans ce sidérant entretien accordé en 1986 à Jérôme Garcin.]…

Une preuve d’inculture historique

La guerre civile en France ? Aujourd’hui comme hier, il faut être d’une ignorance historique crasse pour penser qu’elle puisse s’instaurer sur un modèle espagnol de 1936, ou même russe de 1917… Pour ne se référer qu’à des situations vaguement analogues à celle que nous connaissons aujourd’hui, comment expliquer que dans la France déchirée des années de l’affaire Dreyfus, où l’antisémitisme étaient largement plus virulent que le racisme anti-arabe de notre époque, aucune agression physique contre les juifs ne fut constatée ? Cela n’a pas échappé, d’ailleurs, à tous les juifs à la recherche d’un asile contre les pogromistes, les vrais qui sévissaient alors dans l’empire tsariste et alentours ? Ou encore que le passage de l’antisémitisme de parole et de plume à la complicité active avec la Shoah nécessita la soumission de la France au vainqueur nazi ?

S’il faut chercher des signes avant-coureurs d’une guerre civile, c’est dans l’intensification, occultée par la sidération de l’attentat niçois, des explosions d’acte de guérilla urbaine, voitures brûlées, patrouilles de police entraînées dans des guet-apens, que l’on a pu constater à l’occasion de la fête nationale dans de nombreuses localités, dont la presse régionale s’est fait l’écho sans que cela n’émeuve particulièrement Edwy Plenel et ses amis.

Pour les émeutiers banlieusards, cette guérilla urbaine est une adaptation de l’idéal daechien (la loi d’Allah doit primer sur celle de l’Etat kouffar) qui devient : la loi de la cité s’impose à celle de l’Etat incarnée par les keufs, les pompiers, voire les éboueurs de la municipalité, dans une logique de maîtrise symbolique des territoires. On cherche en vain les «  signaux faibles » de la radicalisation des individus, et on est aveugle et impuissant à mettre un terme à ces signaux de moyenne intensité, dont les émetteurs ne sauraient s’arrêter là.

Enfin, il n’y aura pas, dans l’immédiat, de guerre civile en France en dépit de la colère, bien réelle, qui monte dans la population et de la défiance dont sont victimes ceux qui détiennent les leviers du pouvoir. La démocratie française, dont le rendez-vous majeur s’approche avec l’élection présidentielle de mai 2017, offre un exutoire à toutes ces colères et frustrations, et il n’est pas besoin d’être devin pour voir de quelle manière elles vont se traduire. Pour la plus grande satisfaction des pseudo-héros, et vrais boutefeux d’une guerre qu’ils auront appelée de leurs vœux.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Vers la guerre civile

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Viva Tricatel! (13/3)

>>> Retrouvez ici le premier et le deuxième volet de cet article.

M comme Musée imaginaire. Le grand public connaît rarement le nom des musiciens de l’ombre, arrangeurs, producteurs, tels que George Martin le cinquième Beatles, ou Tony Visconti le double de Bowie, ou encore Phil Spector… La plupart sont ignorés. C’est pour rendre hommage à ces soutiers du son, et faire revivre leur musique que Tricatel a lancé une collection fugitive « Le musée imaginaire » (en référence à Malraux), qui a permis de rendre hommage à André Popp (1924-2014) et David Whitaker (1931-2012). Nous devons au premier le conte musical pédagogique Piccolo, Saxo et Compagnie, des tubes délicieusement datés tels que L’amour est bleu (mais quel titre !), des arrangements pour Greco, Marie Laforêt, Petula Clark ; nous devons au second une foule de musiques de films, et des arrangements de chansons des Rolling Stones dans les sixties (dont la célébrissime The Last Time…) Les deux albums exhument des raretés inestimables dont, de Popp, les morceaux presque comiques Chasseurs sachez danser (avec force trompes !) et L’homme invisible….  et de Whithaker des arrangements pour France Gall et Marianne Faithflull… Un festin de gourmet, certes, des disques pour mélomanes collectionneurs, certes, mais quel pied ! Espérons que la série Musée imaginaire connaisse un jour un prolongement…

N comme Notes de pochette. Pour accompagner cet anniversaire des 20 ans, le label sort un très intéressant petit carnet de portraits titré Notes de pochettes. Sous la forme d’une vingtaine de rencontres avec les artisans qui œuvrent dans les coulisses de Tricatel (auteurs, musiciens, producteurs, illustrateurs, réalisateurs, label manager, etc.), Pierre Jouan livre une sorte d’enquête piquante sur la « Fabrique du disque », dans le grand chaudron musical contemporain, bref sur la vie quotidienne d’un petit label… L’écrivain Elizabeth Barillé y est décrite comme une « Diogène en talons aiguilles », mêlant sophistication et sauvagerie ; l’auteur Matthias Debureaux est croqué en quelques phrases : « Il m’apparaissait comme l’exact contraire de celui qui parle fort au restaurant. Du genre à raser les murs. A chérir les angles… » ; voici l’enfance du guitariste Stéphane Salvi : « La guitare s’apprend allongé, de préférence sur le lit d’une adolescence désœuvrée. C’est fait pour se chanter des berceuses en fixant le plafond, quand on baigne dans le demi-coma des dimanches sans cinéma »… Au détour du portrait du bassiste David Forgione, le jeune Jouan résume en quelques mots l’esprit du label : « Sentimentaux, nous tombons d’accord sur une définition possible de Tricatel : une famille bizarre réunissant des pièces rapportées de toute part, charriant pêle-mêle couturiers, élus locaux et écrivains maudits. Non pas un “foyer clos” mais un faisceau sans milieu, qui s’élabore en s’éclatant vers l’extérieur et dans tous les sens, comme un aimant inversé. Le contraire de la consanguinité : un plan de table idéal, donnant parfois lieu à des rencontres difficiles, comme un exemplaire de La société du spectacle oublié au fond d’un sac à main Valentino. » Ces portraits incisifs sont accompagnés d’illustrations signées Stéphane Manel.

Voir aussi « L comme Littérature »

R comme RSVP. Autre excellente surprise de cet anniversaire l’album collectif RSVP, 47ème de Tricatel, réunissant certaine des plus grandes pointures du label (April March, Chassol, Jef Barbara, etc.) et présenté comme une « composition instantanée » et une « improvisation collective ». Dans les faits, Burgalat a réuni les musiciens en studio durant quelques jours pour une jam-session anniversaire, un bœuf dont la recette mi-pop mi-funky est délectable. Il en résulte onze chansons hétéroclites, dont se détachent le long et débridé  Funky Aria de Doug Hearm Blunt & Makeda Monnet, et la nostalgique et gentiment sentimentale Piscine dorée de Bertrand Burgalat, en étonnant crooner timide. Un très bel album, qui est aussi un passionnant exercice de style et finalement une sorte de réflexion, en acte, sur les mystères de l’inspiration…

Z comme (drôles de) Zigs. Alors nous y voilà. 20 ans. 20 ans… L’âge de raison pour Tricatel…. L’âge bête ? Génération Z ? Certainement pas… Que cet exercice en forme de « z » nous ramène aux tréfonds de l’abécédaire du big bang, du zig et du zag foutraque…  Et quid de Tricatel dans 20 ans ? Burgalat nous répond… « Il y a 10 ans nous avions fait une compilation, L’âge d’or de Tricatel, recensant les 10 premières années du label, comme si celles-ci représentaient son apogée. Mais j’ai l’impression que c’est aujourd’hui que nous vivons une forme d’âge d’or artistique, malgré les vicissitudes économiques et le fait que nos productions sont encore accueillies avec beaucoup d’indifférence au moment de leur sortie. C’est le bon côté d’avoir toujours évité de s’engouffrer dans les portes ouvertes. Nous le payons cher, mais nos disques vieillissent plutôt bien, ils sont généralement mieux compris avec le recul. La seule chose qui peut nous empêcher de progresser et d’avancer, en dehors de la conjoncture et des impondérables (mais j’aurai bientôt enterré tous les diabétologues qui m’en donnaient pour dix ans), c’est le découragement. Je réalise que toute ma vie je risque de devoir batailler pour le même genre de choses, essayer de trouver de l’argent, convaincre… Dans 20 ans j’aurai 73 ans, ah oui purée quand même, « le temps presse », pour citer des paroles magnifiques des Shades. »

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Saint-Étienne-du-Rouvray: un prêtre égorgé lors d’une prise d’otages

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Une photo fournie par le site de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray Jacques Hamel, le 11 juin 2016 (Photo : http://ser-ta-paroisse.over-blog.org//AFP HO)
(Photo : Google Map / Street View / août 2008)

Article publié ce mardi 26 juillet à 11h50. Il est réactualisé en continu en fonction des dernières informations.

Un prêtre, Jacques Hamel, 86 ans, a été égorgé lors d’une prise d’otages dans son église, à Saint-Etienne-du-Rouvray, dans l’agglomération de Rouen. Un autre otage a été blessé à la gorge mais ce mardi soir son pronostic vital n’était plus engagé, selon le procureur François Molins. L’assassinat du prêtre aurait été filmé et mis en scène suivant les rituels de l’Etat islamique, l’un des meurtriers prêchant en arabe sur l’autel, d’après le témoignage d’une religieuse ayant réussi à s’enfuir.

Une photo fournie par le site de la ville de Saint-Etienne-du-Rouvray Jacques Hamel, le 11 juin 2016 (Photo : http://ser-ta-paroisse.over-blog.org//AFP HO)

Les deux assaillants ont été tués lors d’une opération de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Rouen.

Déploiement de policiers et pompiers près de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Photo : AFP/CHARLY TRIBALLEAU)

Adel Kermiche, 19 ans, l’un des deux preneurs d’otages, est un habitant de Saint-Etienne-du-Rouvray qui avait tenté de se rendre en Syrie avant de se voir refoulé par la Turquie. Incarcéré dans un premier temps, il avait été ensuite placé sous bracelet électronique. Le parquet avait fait appel de cette décision. En vain. Adel Kermiche était autorisé à quitter son domicile de 8h30 à 12h30, chaque jour de la semaine, et l’après-midi tous les week-ends et jours fériés.

L’un de ses amis, âgé de 16 ans, est maintenu en garde-à-vue par la police qui le soupçonne de complicité. Le frère de cet adolescent serait parti rejoindre l’Etat islamique en Syrie l’an dernier.

« S’agissant du second terroriste neutralisé par les services d’intervention spécialisés, son identification formelle est toujours en cours », a indiqué François Molins lors d’une conférence de presse ce mardi soir.

La mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray était fréquentée par le passé par Maxime Hauchard, un Normand parti en Syrie où il est devenu l’un des médiatiques bourreaux de Daech. Dans cette même mosquée s’était tenue une cérémonie en mémoire d’Imad Ibn Ziaten, un des militaires pris pour cible par Mohamed Merah en mars 2012.

Vue aérienne de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray (Photo : Google Map / Street View)

Cette prise d’otages intervient douze jours après l’attaque au camion menée le soir du 14 juillet sur la Promenade des Anglais à Nice, qui a fait 84 morts et plus de 300 blessés, revendiquée par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI).

L’EI a également revendiqué ce dernier attentat en Normandie.

 

L’EI cible régulièrement dans sa propagande et ses communiqués de revendication les dirigeants « croisés » occidentaux et « le royaume de la Croix », expression semblant désigner l’Europe.

La menace d’une attaque contre un lieu de culte chrétien plane ces derniers mois en France, notamment depuis l’échec d’un projet d’attentat en avril 2015 contre une église catholique de Villejuif (Val-de-Marne). Un étudiant algérien de 24 ans, Sid Ahmed Ghlam, est soupçonné d’avoir voulu prendre pour cible cette église, et peut-être d’autres lieux de culte catholiques en région parisienne, et d’avoir tué sur son passage une professeure de fitness, Aurélie Châtelain. L’homme avait été arrêté avant qu’il puisse mettre son projet à exécution.

>>> Retrouvez ci-dessous notre dossier sur l’attentat de Nice.

Attentat de Nice, par magazinecauseur

Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être

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L'endroit où Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a été abattu sur la Promenade des Anglais s'est transformé en défouloir (SIPA.AP21923250_000069)
L'endroit où Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a été abattu sur la Promenade des Anglais s'est transformé en défouloir (SIPA.AP21923250_000069)

Le sang a à peine fini de sécher sur la Promenade des Anglais. La France a été de nouveau frappée. Bientôt, nous ne compterons plus les attentats islamistes. Que faire pour nous y préparer ?

Avant tout comprendre la nature de la menace. Ce ne sont pas les attentats qu’il faut redouter, ce sont leurs conséquences qu’il faut anticiper. Les actes de terreur djihadistes, bien qu’épouvantables en eux-mêmes, ne sont pas aussi graves que leurs effets probables.

Cessons d’ailleurs de poser cette question idiote : que fait la police ? Impossible de mettre un agent de renseignement derrière chaque djihadiste potentiel, on empêche beaucoup, on ne préviendra pas tout. Sortons de notre fantasme du zéro risque ou du caractère prédictif du risque djihadiste. Nous sommes dans la vraie vie, pas dans la série « 24 heures chrono ».

Il faut ainsi préparer la population à des répliques aussi sanglantes que fréquentes. Nous l’écrivions en 2004 avec Stéphane Berthomet dans Le jour où la France tremblera. A présent que nous y sommes, nous n’allons pas nous dédire : la guerre sera d’usure et nous ferions mieux de nous y préparer.

Nous n’avons pas de stratégie, nous subissons, pire encore nous amplifions. Lorsque nos médias diffusent des images gores, ils se transforment en service de presse du djihad, amplifiant l’effet de terreur. Cesser de diffuser et de relayer les images les plus anxiogènes et les plus spectaculaires des attentats est essentiel, afin de ne pas participer au djihad psychologique. Les médias, les acteurs de l’Internet et tous les citoyens devraient être mobilisés et appelés à la retenue par un État conséquent qui aurait la juste mesure du défi qui nous est lancé. Mais nos dirigeants peuvent-ils sortir de leur logique de com ? Il est permis d’en douter.

Ivres de démagogie, rendus fous par la tyrannie de la transparence, la veille de l’attentat de Nice, nos gouvernants allaient jusqu’à rendre publique des projets attentats déjoués, facilitant ainsi la tâche à nos ennemis qui n’ont même plus besoin de réussir leur coup pour faire parler d’eux. N’ayant rien compris, ni rien appris du 11-Septembre et du 13-Septembre, le Premier Ministre, la veille de la réplique, se félicitait de l’absence d’attentats pendant l’Euro accréditant l’idée suivant laquelle nous étions sortis du « pot au noir » djihadiste.

Nous avons toujours un attentat de retard et notre analyse court après l’événement, sans recul et sans capacité à en saisir la logique d’ensemble et à en cerner la réelle dangerosité.

Les experts et les politiques constatent que, pour l’instant, tout est calme. Ce calme risque de précéder la tempête. Il est vrai que le peuple français a fait preuve d’une dignité et d’une sérénité exemplaire jusqu’à présent mais c’est sans compter sur l’effet de répétition d’actes qui s’inscrivent dans une guerre d’usure.

La tragédie qui se prépare…

Imaginez qu’armé d’une simple fourchette, un forcené vous pique le bras jusqu’au sang. Une fois, deux fois, dix fois. A la onzième blessure infligée, même si vous êtes l’être le plus placide du monde, vous allez à la fois vous en prendre à ceux qui sont censés vous protéger et à ceux dont vous estimez, à tort  ou à raison, qu’ils sont responsables de votre souffrance. Voilà ce qui nous menace. Et ce n’est sûrement pas l’eau tiède du « vivre-ensemble » et du « pas d’amalgame » qui préservera notre concorde.

Si rien ne change, des Français exaspérés finiront par se faire justice eux-mêmes. Et alors, ce jour là, peu importe qu’ils frappent des musulmans pacifiques, des salafistes antipathiques ou de vrais djihadistes, c’est le monopole de la violence légitime qui sera alors contesté.

Si cela arrive (et nous sommes bien partis pour), la situation deviendra incontrôlable. Nous serons rentrés dans la spirale du sang. Voilà ce qu’il faut éviter et non faire croire à l’opinion que les attentats pourront être évités, ce qu’il est vain d’espérer.

Nos dirigeants ignorent l’ampleur de la tragédie qui se prépare car ils ne croient pas à l’esprit gaulois. On va hurler au racisme. À tort. Il suffit de relire la Guerre des Gaule pour découvrir que même si nous avons peu de rapport ethnique avec les tribus celtes décrites par César, le peuple français d’aujourd’hui partage bien des traits psychologiques et culturels avec eux. Les beurs et les blacks des cités sont d’ailleurs bien plus gaulois qu’ils ne l’imaginent.

Or, l’un des traits de la psychologie française, c’est d’être aussi prompts à se diviser qu’à s’unir face à un ennemi commun. Une autre de leur caractéristique, c’est de se montrer très ouvert aux apports extérieurs mais également très intolérants voire très violents à l’égard de ceux qui entendent imposer leur loi chez eux et d’être capables d’accès de fureur incontrôlé. L’histoire de France est jonchée de cadavres de ceux qui ont essayé de briser l’unité et qui ont pactisé avec l’étranger. La haine des Bourguignons, la répression des huguenots, le  massacre des Vendéens et des émigrés, l’épuration des collabos (que De Gaulle parvint à canaliser).

Ce qui est à redouter par dessus tout, c’est donc que la minorité prosalafiste en France finisse ainsi réprimée dans le sang ou rejetée à la Méditerranée. La valise ou le cercueil, le sinistre programme du FLN risque un jour d’être imposé à ceux qui, Français de souche ou de fraîche date, voudront vivre suivant la charia en France.

Pour neutraliser ce risque, la République doit se montrer symboliquement brutale à l’égard de cette minorité dans la minorité musulmane et exigeante à l’égard de l’islam. Ce n’est pas le programme de 1901 qu’il faut appliquer à l’islam mais celui de Bonaparte à l’égard du judaïsme.

Créer des tribunaux d’exception et expulser les étrangers et les doubles nationaux fichés « S ». Expulser en masse et de manière spectaculaire tous les prêcheurs de haine, condamner pour intelligence avec l’ennemi les militants français de la cause. Créer un moratoire sur le regroupement familial. Plutôt la violence symbolique que physique. Obliger toutes les mosquées en France à condamner sans équivoque les actes de leurs coreligionnaires. Imposer aux imams de prévenir eux-mêmes l’amalgame, en se dissociant sans équivoque avec les djihadistes, mieux vaut heurter la susceptibilité des musulmans pratiquants de France que de les voir un jour brutalisés.

Il faut aussi expliquer qu’espérer vivre suivant des lois et des mœurs étrangères à la France sur son territoire risque de se transformer en cauchemar. Interdire catégoriquement tout prosélytisme islamiste et protéger préventivement les mosquées.

Danton a parfaitement anticipé ce programme de salut public : soyons terribles, disait-il, pour éviter au peuple de l’être !

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur


Guerre des Gaules

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Emploi public: refouleurs et refoulés

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(Photo : SIPA.00524991_000008)
(Photo : SIPA.00524991_000008)

Au moment où s’est produit l’attentat de Nice, j’étais à Paris. Si j’en crois l’historique de mes notes, c’est même au moment exact où se déroulait la tragédie que j’ai commencé à étudier le rapport L’Horty, intitulé Les discriminations dans l’accès à l’emploi public. J’ai l’air de présenter un alibi… En fait, je veux juste souligner ce curieux télescopage : tandis qu’un terroriste fauchait une centaine de personnes, j’étais invité, en tant que citoyen, à m’interroger sur le racisme supposé de la société française.

« Télescopage » mais pas tout à fait « hasard » : ce rapport a été commandé en mars 2015 dans le cadre de la vaste introspection proposée par le gouvernement après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, dont on se souvient qu’une partie de la population refusa de les désavouer (quand elle ne les approuva pas bruyamment). Pour « expliquer » ce mouvement d’opinion qu’on ne pouvait plus dissimuler, Manuel Valls proposa le terme « d’apartheid ». Peu s’émurent de l’insulte et du blanc-seing moral qu’elle délivrait à nos ennemis – n’est-il pas légitime de lutter contre l’apartheid par tous les moyens ? Tous les Kouachi de ce pays ne seraient-ils pas, finalement, que des indignés un peu expéditifs ?

Quelques mois plus tard, ce rapport sur les discriminations (rendu public la veille de l’attentat de Nice) fit la joie de commentateurs progressistes. Ah, on la tenait la preuve que notre bon vieux principe d’égalité dissimulait une inégalité de fait, plus ou moins volontaire ! Étrange lecture qui fait fi de toutes les prudences du rapport et de l’échec de son auteur à mettre en lumière ce qui n’existe pas : une discrimination dans l’accès à l’emploi public des populations issues de l’immigration récente. L’auteur souhaite « mettre en œuvre une stratégie particulière de révélation du fait discriminatoire » (p. 57). À une exception près (dans la fonction publique hospitalière, pour un poste d’infirmière), il n’y parvient pas.

Cette impasse est passionnante. Elle nous raconte l’univers mental de la galaxie antiraciste. Comme tout discours délirant, celui-ci s’arrime d’abord à la réalité. Tandis que 14 % des Français de souche (qualifiés de « natifs ») sont en emploi dans la fonction publique, seuls 10 % des descendants d’immigrés se trouvent dans la même situation (p. 23).

On passera sur le fait que ces 14 % ne sont pas nécessairement une preuve de bonne santé économique. On n’insistera pas non plus sur ces quatre points de différence que des modérés auraient pu considérer comme certes significatifs mais pas non plus criants : le verre est aussi à moitié plein. Sans être nécessairement mal intentionné, un observateur pourra juger que ce décalage peut-être lié au temps, et qu’entre une citoyenneté acquise et une citoyenneté vécue, il peut y avoir mille petites étapes qui prennent plus que les cinq-six ans séparant une naturalisation (à sa majorité) et l’entrée véritable dans la vie active. Cette hypothèse optimiste n’est nullement envisagée.

Une discrimination qui s’opèrerait à l’insu du recruteur lui-même ?

Avec l’obstination du loup dans la célèbre fable de La Fontaine, le professeur L’Horty s’obstine : s’il n’y a ni discrimination légale, ni discrimination délictueuse, c’est que celle-ci s’opère à l’insu du recruteur lui-même (p. 23 et 29). Le « c’est donc quelqu’un des tiens », a ici sa variante :« c’est quelque chose d’inconscient en toi ». Tel le jeune paroissien travaillé par l’appel de la chair, nous sommes invités à une sorte de vigilance à l’endroit de nos penchants coupables. On se gardera alors d’interroger la curiosité insistante et l’intérêt têtu du confesseur pour la chose…

Le professeur L’Horty, dans sa rigueur universitaire, n’élude en revanche pas une autre hypothèse : celle de l’auto-discrimination (« la discrimination nourrit l’auto-sélection des candidats », p. 10). Il n’y a là que du bon sens : si l’on se sent par avance vaincu, on hésite à se lancer dans le combat. On pourra prolonger le raisonnement : à force de se considérer comme un discriminé, on finit par l’être.

Il n’est pas rare que sur le divan du psychanalyste, le mal-aimé se découvre mal-aimant. Derrière le mal-être et la souffrance dont on se sent victime, se dissimule fréquemment une hostilité qui n’ose pas dire son nom. Une fois au clair avec sa pulsion, le patient découvre qu’il a autour de lui des gens pas si mal disposés à son endroit. C’est peu dire que le professeur L’Horty est loin de ce type de considérations.

Pour dire les choses de manière triviale, on peut dire qu’on ne peut pas klaxonner le dimanche soir à la victoire du Portugal (sans être en aucune façon d’ascendance portugaise)… et postuler le lendemain à un emploi public, supposé, tout de même, au service de la nation. J’irai même plus loin : plus on s’interdit de klaxonner (refoulement de la pulsion), plus il est urgent de renoncer à l’exercice de sa citoyenneté, discriminé que l’on est.

Là où les choses se corsent un peu plus encore, c’est quand on analyse ce présupposé de l’auteur du rapport : devenir fonctionnaire de la République française, les fils de l’immigration ne rêveraient que de cela. S’ils sont moins représentés dans la fonction publique, c’est qu’on leur barre la route. Nous autres « natifs », biberonnés au Code général de la fonction publique, serions à la fois aimés et enviables. La foule des descendants de l’immigration ne rêverait que de nous rejoindre – et c’est nous qui, à notre insu bien sûr, lui refuserions ce privilège. Il va de soi que ce type de fantasme ne peut sévir que dans certains cercles de la fonction publique, plutôt épargnés par le gel du point d’indice et les difficultés d’exercice du métier. Prof au Blanc-Mesnil ou postier à l’Elsau (Strasbourg), on ne se sent guère enviable.

Derrière l’aveuglement vis-à-vis de l’autre, il y a souvent du refoulé vis-à-vis de soi. Les élites ne peuvent envisager l’hostilité, l’irrédentisme culturel d’une partie de la population d’origine immigrée, ou même sa seule réticence à s’intégrer, ou encore les sentiments contradictoires des déracinés, partagés entre attachement et rejet de leur patrie d’adoption. Les élites ne peuvent considérer ces populations que comme victimes de discriminations, volontaires ou non.

Je propose l’hypothèse suivante : et si c’était ces élites qui projettent sur les « natifs » un soupçon de discrimination et sur les immigrés un désir d’assimilation forcené, et si ces élites qui mettent en scène le combat de l’ombre et de la lumière étaient elles-mêmes hantées par la nostalgie de la toute puissance coloniale où, subjugué, l’esclave rêve de devenir le maître ? C’est là une réalité psychique : voir dans l’autre un envieux, ce n’est pas que se rassurer narcissiquement sur son statut d’enviable, c’est désirer la subordination de l’autre.

Il serait peut-être temps de considérer cet autre comme sujet, y compris de sa propre violence. Et pas seulement à Nice.

Pokémon gogos

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De jeunes joueurs australiens de Pokémon Go (Photo : SIPA.00765473_000003)
De jeunes joueurs australiens de Pokémon Go (Photo : SIPA.00765473_000003)

Je m’étais presque juré de ne pas écrire sur ce sujet ! « Non, Mathieu, tu n’écriras pas sur les Pokémon. » Il y a des limites à être contre tout. Mais c’est plus fort que moi.

Si on n’en fait pas le procès de temps en temps, la bêtise devient rapidement fière d’elle-même et se prend pour une forme novatrice d’intelligence. Et d’un coup, on a l’impression d’habiter un monde où les gens marchent sur la tête. Alors allons-y : dans les rues des grandes villes du monde occidental, mais aussi ailleurs, on traque le Pokémon.

Jusqu’à Auschwitz…

Pour la plupart, les chasseurs sont jeunes. Mais quelques ados attardés accumulant les années les accompagnent. Ils se promènent en meute, le nez rivé sur leur maudit téléphone intelligent, à la recherche de créatures imaginaires mises en circulation par Nintendo.

Quel que soit le lieu, si on trouve une bonne concentration de Pokémon quelque part, nos petits zombies risquent de s’y jeter. Les histoires les plus folles nous parviennent.

Ainsi, il y a quelques jours, on pouvait chasser le Pokémon à Auschwitz. Oui, je parle bien du fameux camp de concentration qui a joué un si grand rôle dans l’extermination des juifs d’Europe. On pouvait aussi le traquer au musée de l’Holocauste, à Washington.

Dans ces lieux, normalement, un esprit minimalement éclairé devrait pouvoir se recueillir et pleurer dans le silence la mort des millions de victimes juives du nazisme. Mais non ! On traque Pikachu !

Le phénomène frappe aussi le Québec. Convenons que rarement la bêtise universelle nous épargne. On l’embrasse même goulûment, de peur de ne pas être à la mode. On publie même des cartes pour nous dire où les trouver.

Réalité augmentée ?

Étrangement, j’ai entendu bien des parents dédramatiser la chose. Grâce à ce jeu, leurs jeunes sortiraient enfin du sous-sol. Pokémon Go permettrait à des ados zombies de redevenir pendant quelques heures des ados normaux jouant dehors.

Soyons sérieux. Ce jeu à la mode prouve que les grandes entreprises de divertissement ont un pouvoir de manipulation des masses absolument époustouflant. Elles dictent les modes, excitent la jeunesse et ont une emprise sur les esprits. C’est terrifiant.

On voit aussi à quel point l’individu d’aujourd’hui est esclave de son téléphone intelligent, comme s’il ne parvenait plus à vivre sans lui. Il lui sert de mémoire artificielle, de radio, de télévision, de jeu vidéo et d’appareil photo. Sans lui, il se sent nu.

On dit que le jeu Pokémon Go représente la réalité augmentée. La seule réalité augmentée que je connaisse vraiment, c’est l’art. Et plus exactement, la littérature. Elle sollicite notre imagination. Elle nous pousse à cultiver notre vie intérieure, à plonger en nous-mêmes. Elle nous rend plus subtils, plus humains.

Il devrait être permis de détester ce que représente ce jeu. Aujourd’hui, on invente sans arrêt des mots qui finissent par « phobie ». J’en ajoute un. Et je m’en réclame. Vive la pokémonophobie !

Cet article a été initialement publié dans Le Journal de Montréal.

Cazeneuve vs Bertin, un match nul

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cazeneuve attentat nice bertin
Bernard Cazeneuve. Image d'archive. Sipa.
cazeneuve attentat nice bertin
Bernard Cazeneuve. Sipa. Numéro de reportage : 00725604_000066.

Consécutif au carnage de Nice, l’affrontement entre le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et la policière municipale Sandra Bertin révèle l’exacerbation des contradictions politiques qui traversent la société française. Il y aurait, dit-on, deux vérités qui s’affrontent, chacun prenant parti pour celle qui l’arrange en fonction de ses choix politiques, de ses affinités personnelles, ou de ses appartenances de réseaux. Le choix serait, paraît-il, entre Cazeneuve menteur ou Bertin menteuse.

Double défausse

La réalité est en fait plus prosaïque : face à la catastrophe, chacun essaie d’éviter d’être mis trop lourdement face à ses responsabilités. En se défaussant sur celui d’en face, d’autant que la question de la sécurité à Nice est institutionnellement partagée entre l’État et le maire qui exerce d’ailleurs cette compétence au nom de l’État. Pour faire encore plus simple, c’est patron de la police nationale contre patron de la police municipale, autrement dit parole contre parole. L’observateur de bonne foi a donc le plus grand mal à privilégier l’une ou l’autre. Surtout que chaque camp va convoquer ses témoins, qui François Molins le procureur du tribunal de grande instance de Paris, qui Sandra Bertin fonctionnaire territoriale secrétaire générale de son syndicat.

Il semble quand même qu’une commission d’enquête parlementaire pourrait être une bonne solution. Ce n’est pas pour l’instant l’option été choisie, mais, de part et d’autre, conscient du problème, on a annoncé triomphalement avoir « saisi la justice ». Vieille ficelle qui fonctionne toujours en ce qu’elle permet de dire : « laissons la justice suivre son cours ». Et parce que le public connaît mal les mécanismes mis en mouvement.

Des procédures à n’en plus finir

Alors de quoi s’agit-il ? Bernard Cazeneuve nous a dit vouloir déposer plainte en diffamation. La belle affaire ! Voilà une procédure qui relève de ce que l’on appelle le droit de la presse qui, dans notre pays, encadre la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu des procédures particulièrement minutieuses, où il est très facile de se casser la figure. Il faut savoir que le juge du siège ne joue qu’un rôle d’arbitre et n’use pas de pouvoirs d’investigation sur la réalité de ce qui a été affirmé. Chacune des parties lui soumet ses arguments, à charge pour lui de dire si la diffamation est constituée. La décision n’implique pas une vérité factuelle disposant de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, si Guy Bedos dit que Nadine Morano est une conne et ajoute en ricanant « qui mange les petits enfants » et que, poursuivi par sa cible, il est relaxé, cela ne voudra pas dire que Nadine Morano « est une conne qui mange les petits enfants ». Bernard Cazeneuve nous a indiqué « attendre avec sérénité », les suites de la procédure qu’il a engagée. Il peut effectivement être serein, puisque dans le meilleur des cas, si la procédure ne se casse pas la figure en route, l’affaire sera examinée en première instance dans deux ans, en appel dans trois, et en cassation dans quatre. Il n’est pas tout à fait exclu qu’il ne soit plus ministre de l’Intérieur à ce moment-là. L’ironie de l’histoire serait que Nicolas Sarkozy soit alors président de la République et Eric Ciotti ministre de l’Intérieur…

Face à cette terrifiante attaque nucléaire à la visée strictement médiatique, Madame Bertin et ceux qui l’entourent ont préparé une contre-mesure tout aussi terrifiante. Elle a annoncé vouloir « faire un signalement au procureur pour faux en écriture publique ». Bigre, là c’est du lourd.

Qu’est-ce que c’est qu’un « signalement au procureur » ? L’article 40 du code de procédure pénale fait obligation aux fonctionnaires de porter à la connaissance du procureur les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale. Fort bien, le procureur de Nice, dépendant hiérarchiquement de la place Vendôme, va donc recevoir un courrier dont il fera ce qu’il voudra. La gamme de ses possibilités va de l’ouverture d’une information judiciaire à un envoi direct à la corbeille. Et c’est cette solution qui risque d’être adoptée, car l’on ne voit pas très bien où résiderait le « faux en écriture publique ». Il faut d’abord qu’il y ait ce que l’on appelle un acte authentique, c’est-à-dire ayant valeur probante et dont celui qui s’en prévaut n’a pas à démontrer l’authenticité. Tous les actes créateurs de droit émanant des autorités publiques, ou des officiers ministériels, ont cette qualification. On ne voit pas très bien non plus, jusqu’à présent dans cette polémique, ce qui serait susceptible de la recevoir. Rappelons aussi que lorsque le faux ou l’usage de faux en écriture publique est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, on est en présence d’un crime justiciable de la cour d’assises ! Tout cela n’est pas très sérieux et la sortie de Madame Bertin sur ce point relève de la rodomontade.

La vérité, rien que la vérité

Ce nouvel épisode, non pas de l’instrumentalisation de la justice, mais de l’utilisation du droit en surfant sur l’ignorance juridique de l’opinion publique est désolant. Ce n’est pas un aspect secondaire de l’épisode qui est en train de se dérouler. Quoi qu’en dise le président de la République, le peuple français n’a pas besoin pour aujourd’hui d’une vérité judiciaire pour l’instant inatteignable. Et dont on sait qu’elle peut entretenir des rapports parfois lointains avec la réalité. Quel intérêt de savoir dans quatre ans si Madame Bertin a diffamé des fonctionnaires ? Ce qui n’établirait pas nécessairement qu’elle a menti. Ce dont nous avons besoin en urgence, c’est d’une vérité factuelle, et qui soit politique et opératoire. La tension a franchi un cap dans notre pays depuis le massacre de Nice. Le tir de barrage sur « l’unité nationale obligatoire » et l’interdiction de mettre en cause la responsabilité de l’État et de ceux qui le dirigent n’ont servi à rien. La confiance des Français envers leurs dirigeants est en cours d’effondrement et une clarification s’impose. Il est dramatique d’en laisser l’exigence au Front national.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Le “doigt d’honneur” de Clinton à son propre camp

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Hillary Clinton et Tim Kaine (au second plan) à Miami le 23 juillet dernier (Photo : SIPA.AP21926781_000007)
Hillary Clinton et Tim Kaine (au second plan) à Miami le 23 juillet dernier (Photo : SIPA.AP21926781_000007)

« Night of Chaos », « Disastrous day One » : le commentaire est presque unanime lorsqu’il s’agit de décrire le tumulte de la convention républicaine de Cleveland, marquée par la défection de Ted Cruz, principal adversaire de Donald Trump lors de la course aux primaires, poids lourd du parti républicain et porte-parole de son aile la plus religieuse. Constamment ciblé par Donald Trump, qui, entre autres gentillesses, laisse entendre que le père de son rival, un réfugié cubain, fut « impliqué dans l’assassinat de Kennedy », Cruz a subi une nouvelle humiliation en pleine convention. Face à des délégués déjà échaudés scandant « endorse Trump » et « vote for Trump », l’ex-candidat favori des médias républicains n’a décidément pas appelé à voter pour le vainqueur des primaires. « Votez en conscience », a déclaré le sénateur du Texas, face à un parterre de plus en plus hostile et rejoint, camouflet supplémentaire, par un Donald Trump goguenard qui a immédiatement attiré les caméras et les regards.

C’est sous les insultes (« traître ») que Ted Cruz dut quitter l’estrade pour rejoindre son épouse Heidi, elle-même entourée de militants scandant « Goldman Sachs » — nom de l’ancien employeur de Mme Cruz, honni de l’« antisystème » Trump. En retrait, Chris Christie, autre candidat à l’investiture copieusement injurié par Trump au cours des primaires (« gamin », « catastrophe économique », « trimballeur de casseroles », « il a la tête d’un mec qui vote pour Obama », etc.), mais néanmoins rallié au panache hirsute du milliardaire, se prenait le visage entre les mains, comme pour retenir le geste, achilléen, de s’arracher les cheveux.

L’ambiance risque de ne pas être au beau fixe lors de la convention démocrate de Philadelphie qui débute ce lundi 25 juillet 2016. En matière d’annonce, Hillary Clinton peut d’ores et déjà compter sur le soutien de Bernie Sanders, son rival, « socialiste » déclaré, arrivé second aux primaires et celui d’Elizabeth Warren, figure populaire de l’aile progressiste et inspiratrice d’« Occupy Wall Street ». Mais après avoir obtenu le ralliement de ces leaders d’une gauche démocrate en plein réveil depuis la crise de 2007-2008, et après avoir, un temps, laissé espérer la nomination de l’un d’entre eux au poste de vice-président, la vainqueure des primaires a provoqué la fureur des progressistes en choisissant le très droitier Tim Kaine pour composer son ticket.

Un coup de barre à droite inspiré, peut-être, par le spectacle de la division dans le camp républicain : sans doute Mme Clinton se sent-elle désormais les coudées franches pour écarter son aile radicale. La convention démocrate sera-t-elle un autre moment de chaos ? « Des dizaines de milliers de manifestants convergent vers Philadelphie », rapportait le magazine The Hill dans son édition du 24 juillet. Il s’agit, pour la plupart, de supporters de Bernie Sanders. À leurs yeux, Hillary peut encore adjoindre « Bernie » à son « ticket ».

Le précédent de 1944

La lutte pour la vice-présidence a dans le passé valu au parti démocrate une « nuit terrible » — et déterminante pour l’avenir de la gauche américaine. En juillet 1944, à Chicago, après trois tours marqués par des irrégularités, une fraude massive et la corruption de plusieurs délégués-clef, le vice-président sortant Henry Wallace, « l’homme aux 600 millions d’emplois » que Galbraith considérait comme « la seconde figure du New Deal après Roosevelt » est privé de sa victoire. Soutenu par les grands syndicats américains, crédité de 65 % d’intentions de vote au sein de l’électorat démocrate et vainqueur des deux premiers rounds de la convention, il n’obtient pas, face aux fraudeurs, le soutien qu’il attendait de Roosevelt ; nommé pour un quatrième mandat, c’est pourtant ce dernier qui avait demandé au populaire Wallace de rempiler dans la « same old team ».

Mais le vieil homme est malade ; alité, il est pressé par les conservateurs du parti de modifier son « ticket ». Peut-être inquiet de la radicalité de son second, qui n’hésite pas à citer la révolution d’Octobre dans le prolongement des révolutions américaine et française, le vieil homme cède aux puissances de la banque et de l’industrie.

Au sein du camp démocrate, celles-ci sont représentées par le pétrolier Pauley, trésorier du parti, et par Jimmy Byrnes, un ségrégationniste pour qui « le lynchage n’est que la conséquence, directe ou indirecte, des viols », et est nécessaire « pour que le Nègre se tienne à carreau en Amérique ». L’archi-favori Wallace avait aussi beaucoup déplu à Winston Churchill : les deux hommes avaient eu un échange tendu au sujet de la « supériorité naturelle et historique des Anglo-saxons et de leur civilisation » chère au Premier ministre britannique, à laquelle Wallace opposait un agenda de « décolonisation intégrale ». Un différend qui se décline dans l’opposition contemporaine entre les tenants du militarisme démocrate, peint aux couleurs de la « destinée manifeste », et le pacifisme universaliste de la gauche américaine. Celui-ci est d’ailleurs bien différent du traditionnel isolationnisme nationaliste des républicains qui, de Robert Taft à Donald Trump, craint avant tout que l’implication des États-Unis dans les affaires du monde ne renforce le «big government » fédéral.

Les partisans de la guerre froide et d’un coup d’arrêt au New Deal s’étaient donc entendus pour faire nommer un parfait inconnu, Harry Truman, au poste de vice-président. Truman avait dans sa jeunesse tenté de prendre sa carte au Ku Klux Klan — il avait été « blackboulé » du fait de ses sympathies « papistes » — et avait débuté en politique à 50 ans, après une série d’échecs dans le petit business. Son parrain, le baron démocrate Tom Pendergast, assurait l’avoir choisi dans le but de « démontrer qu’avec une machine bien huilée, on pouvait envoyer le dernier des garçons de bureau au Sénat ». Inexpérimenté, il ne s’était entretenu qu’une seule fois avec Roosevelt avant sa mort. Président, il tomba immédiatement sous la coupe de Byrnes et des businessmen démocrates.

Rien n’illustre mieux les logiques autodestructrices du capitalisme que l’ascension de Truman, homme d’affaires raté, au rang de promoteur du « siècle américain », aux dépens de Wallace, businessman de génie dont la firme fut vendue plus de 8 milliards de dollars à Dupont de Nemours à la fin des années 1990, qui rêvait d’inaugurer « le siècle de l’homme de la rue ».

Le protectionnisme ? Un truc de « loser » !

Tim Kaine, avocat passé par Harvard, fervent catholique — il fut missionnaire au Honduras auprès des Jésuites — et pro-life, n’a, lui, rien d’un débutant en politique. Élu maire de Richmond, (l’ancienne capitale de la Confédération) en 1998, puis gouverneur de l’Etat de Virginie de 2006 à 2010, il siège au Sénat depuis 2012. « Passionné par le libre-échange » — ce sont ses propres termes —, il considère que le protectionnisme procède d’une « mentalité de loser ». Il est, au sein du parti démocrate, l’un des plus fervents partisans des accords de partenariat transpacifique (TPP)…

« La nomination de Kaine (…) serait un gigantesque doigt d’honneur aux 13 millions d’Américains qui ont voté pour Bernie Sanders », avertissait Norman Solomon, directeur du réseau des délégués de Bernie Sanders dès avant l’officialisation du « ticket » dans les colonnes de Common dreams. Interviewé par NBC ce 24 juillet, Sanders refusait de son côté de qualifier Kaine de « progressiste » et réaffirmait sa préférence pour un tandem Clinton-Warren. Néanmoins, alors que son équipe annonce qu’une série de « manifestations non-violentes » seront organisées lors de la convention, le sénateur du Vermont s’est abstenu de jeter de l’huile sur le feu. Le premier objectif demeure, selon lui, de battre le candidat républicain. « Quand vous avez en face de vous un mec qui veut devenir président des États-unis et qui est contre la science, alors il faut faire quelque chose ».

À l’heure où s’ouvre la convention démocrate, l’épouvantail Trump reste le meilleur allié d’Hillary Clinton…

Questions sur Nice

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Bernard Cazeneuve et François Hollande lors de la minute de silence observée dans la cour du ministère de l'Intérieur à Paris (Photo : SIPA.00764822_000005)
Bernard Cazeneuve et François Hollande lors de la minute de silence observée dans la cour du ministère de l'Intérieur à Paris (Photo : SIPA.00764822_000005)

La polémique autour de l’attentat de Nice vient de rebondir après les déclarations au Journal du Dimanche de la responsable de la police municipale[1. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-accuse-le-ministere-de-l-Interieur-798751], et la réaction, extrêmement (et anormalement) violente du ministre de l’Intérieur qui menace cette personne d’un procès en diffamation[2. http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/07/24/nice-cazeneuve-porte-plainte-pour-diffamation-apres-les-accusations-d-une-policiere-municipale_4974023_1653578.html]. Cela déplace les questions que l’on pouvait raisonnablement se poser sur le terrain politique. Y-a-t-il une tentative du ministre de l’Intérieur d’étouffer les interrogations légitimes que l’on peut avoir au sujet des conditions de sécurité ayant entouré le feu d’artifice du 14 juillet ? Il convient de bien préciser ce dont il est question.

I) Les faits

Rappelons ici que c’est le journal Libération qui a lancé le débat dans un article du 21 juillet[3. http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531]. Or, il apparaît que seuls 2 policiers municipaux assuraient le contrôle du périmètre au point où le camion du meurtrier est entré dans la partie piétonne de la Promenade des Anglais et ceci contrairement au communiqué du 16 juillet du ministre de l’Intérieur qui dit : « La mission périmétrique était confiée pour les points les plus sensibles à des équipages de la police nationale, renforcés d’équipages de la police municipale. C’était le cas notamment du point d’entrée du camion, avec une interdiction d’accès matérialisée par le positionnement de véhicules bloquant l’accès à la chaussée. Le camion a forcé le passage en montant sur le trottoir[4. Cité d’après Libérationhttp://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531]. »

De plus, aucune chicane en béton susceptible d’arrêter, ou du moins de ralentir, le camion du terroriste n’était déployée, ni à cet endroit ni 370 mètres plus loin, là où se trouvait la patrouille de 4 hommes de la police nationale. Or ces chicanes sont des instruments standards tant de la police municipale que de la police nationale.

Dès lors se pose la question de savoir pourquoi une telle chicane n’avait pas été déployée. Si la mairie de Nice ne l’a pas décidée (ce qui est une faute grave) pourquoi le préfet des Alpes-Maritimes, qui est l’autorité de dernière instance en matière de sécurité d’événements publics, n’a-t-il pas exigé que cela soit fait ? Le préfet avait autorité pour interdire cet événement s’il considérait que les conditions de sécurité n’étaient pas remplies. S’il ne l’a pas fait, cela signifie qu’il considérait les conditions de sécurité comme « suffisante ». Il porte donc une responsabilité directe dans le drame qui s’est déroulé. Sa démission s’impose.

II) Les témoins

Que dit maintenant la responsable de la vidéosurveillance de Nice[5. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793] : « Je me rappellerai toute ma vie de cette heure-là : 22h33. J’étais devant les écrans du CSU avec les équipes. Nous recevons alors des policiers municipaux positionnés sur la promenade le signalement d’un camion fou. Nous récupérons tout de suite son image à l’écran et nous demandons son interception. Le camion était lancé à 90 km/h, sans phares, sans qu’on l’entende à cause du bruit. Il contourne le barrage de la police municipale. Les équipes n’ont pas pu l’arrêter. On ne crève pas les pneus d’un 19 tonnes avec un revolver! À ce moment-là, d’autres policiers municipaux sont en civil dans la foule, qui se retrouvent face à lui. S’ils avaient été armés comme nos collègues de la police nationale, une de nos revendications, ils auraient pu le stopper. Le poids lourd se retrouve finalement face aux policiers nationaux, qui tirent et le neutralisent. Il est 22 h 34. »

Notons que si des tirs d’armes de poing sont effectivement inefficace sur les pneus du camion, ils peuvent toucher le moteur, le mettre hors d’usage, et surtout tuer le conducteur. Nous avons ici un indice que la police municipale n’était pas préparée psychologiquement ni matériellement à ce type d’intrusion. Cela confirme que ce scénario n’avait pas été envisagé, en dépit de précédents. Mais il n’était pas envisagé non plus par la police nationale, et le préfet ! Quand on lui pose la question « Étiez-vous préparée à une telle attaque ? », elle répond : « J’avais dispensé à mes équipes des formations pour détecter les comportements suspects et savoir réagir en cas d’attaque terroriste. Heureusement ! Le camion est repéré vingt secondes après son entrée sur la promenade par la police municipale. Il n’y a pas un moment où, à l’écran, mes agents vont le lâcher. Je suis sidérée par les accusations sur notre travail, sur le fait que nous ne l’ayons pas détecté en amont lors de ses repérages sur la Promenade les jours précédents. Ce soir-là, le terroriste est neutralisé en une minute, contre deux heures au Bataclan – je suis désolée pour la comparaison malheureuse. Nos équipes ont été incroyablement réactives, pleines de sang-froid alors qu’elles ont vu et subi l’horreur. Il faudrait leur dire merci. » Si les équipes de la police municipale ont effectivement été réactives, ce type d’attentat n’avait cependant pas été anticipé. Très clairement on s’attendait à une bombe, ou qu’un terroriste actionne une ceinture explosive mais pas à l’attaque à l’aide d’un véhicule alors que l’on sait que c’est une tactique possible, et qu’elle a été déjà utilisée en France. Et c’est là le problème mettant en cause tant les autorités municipales que le préfet.

III) Une tentative d’étouffer la vérité ?

Venons-en maintenant à la partie « politique » qui met en cause directement le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Il est clair qu’il y a de sérieuses différences entre ce que dit le ministère de l’Intérieur et la réalité. La responsabilité du préfet n’est pas reconnue. De plus, la demande de la justice et de la Sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT), qui réclament donc l’effacement complet des enregistrements pris entre le 14 juillet 22h30 et le 15 juillet 18 heures pour toutes les caméras ayant une vue sur la scène de l’attentat dans le souci (respectable) « d’éviter la diffusion non contrôlée de ces images » et en particulier le risque que ces images ne soient utilisées sur des sites djihadistes[6. http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/22/la-justice-ordonne-a-la-ville-de-nice-de-supprimer-les-images-de-l-attentat-la-mairie-refuse_4973376_3224.html] apparaît comme surprenante. Ces images sont sous séquestre et ne peuvent être utilisée que par la justice. Est-on en présence, comme le dit l’avocat de la Ville de Nice Philippe Blanchetier, dans une déclaration à l’agence Reuters[7. http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1020UJ], d’une « réquisition aux fins d’effacement de preuves (…). L’argument avancé de risque de fuite ne tient pas » ?

Dans ce contexte, si ce que dit la responsable de la vidéosurveillance, Sandra Bertin, policière municipale et secrétaire générale du Syndicat autonome de la fonction publique territoriale (SAFPT) de Nice, est vrai. Soit : « Le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l’Intérieur a envoyé un commissaire au CSU qui m’a mise en ligne avec la Place Beauvau. J’ai alors eu affaire à une personne pressée qui m’a demandé un compte rendu signalant les points de présence de la police municipale, les barrières, et de bien préciser que l’on voyait aussi la police nationale sur deux points dans le dispositif de sécurité. Je lui ai répondu que je n’écrirais que ce que j’avais vu. Or la police nationale était peut-être là, mais elle ne m’est pas apparue sur les vidéos. Cette personne m’a alors demandé d’envoyer par e-mail une version modifiable du rapport, pour “ne pas tout retaper”. J’ai été harcelée pendant une heure, on m’a ordonné de taper des positions spécifiques de la police nationale que je n’ai pas vues à l’écran. À tel point que j’ai dû physiquement renvoyer du CSU l’émissaire du ministère ! J’ai finalement envoyé par e-mail une version PDF non modifiable et une autre modifiable. Puis, quelques jours plus tard, la sous-direction antiterroriste m’a demandé d’effacer les bandes des six caméras que j’ai mentionnées dans mon rapport, celles qui ont filmé la tuerie[8. http://www.lejdd.fr/Societe/La-policiere-responsable-de-la-videosurveillance-a-Nice-On-m-a-mise-en-ligne-avec-le-ministere-de-l-Interieur-798793] », l’affaire devient très grave. Le principe « le Prince couvre le sujet » s’applique. Il impose la démission du ministre de l’Intérieur M. Bernard Cazeneuve.

Au-delà, les réactions du gouvernement apparaissent pour le moins curieuse, et la déclaration de Jean-Marie Le Guen[9. http://www.bfmtv.com/politique/attentat-de-nice-pour-jean-marie-le-guen-critiquer-l-etat-est-dangereux-pour-la-democratie-1009413.html] (« Si un certain nombre de journalistes, de commentateurs, de responsables politiques mettent en cause le fonctionnement de la justice et des services administratifs de l’État, alors c’est une thèse qui est extrêmement dangereuse pour la démocratie. ») pose un véritable problème de morale et de politique. Une commission d’enquête parlementaire s’impose. Ses conclusions, si elles confirmaient que l’on est en présence d’une tentative organisée d’étouffer la vérité, devraient entraîner la démission de l’ensemble du gouvernement.

Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Clairvoyant comme un préfet dans la nuit (de cristal)

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Image d'illustration : un tag sur la mosquée de Saint-Etienne en 2010 (Photo : SIPA.00593406_000019)
Image d'illustration : un tag sur la mosquée de Saint-Etienne en 2010 (Photo : SIPA.00593406_000019)

« Comparaison n’est pas raison » comme le dit un vieux proverbe et les événements tragiques de ces derniers jours nous montrent qu’à défaut d’avoir raison certains la perdent. En effet, oser comparer des tags islamophobes aux prémices de la Nuit de cristal était un pas que toute personne dotée de raison n’aurait osé franchir, sauf le préfet du Rhône qui nous prouve, une fois de plus, que les deniers des contribuables servent aussi à payer des gens pour dire n’importe quoi.

La Nuit de cristal, « ReichsKristallnacht » en version originale, eut lieu la nuit du 9 au 10 novembre 1938 dans toute l’Allemagne nazie. Pour « venger » l’assassinat du secrétaire de l’ambassade d’Allemagne à Paris, Ernst Vom Rath, par un jeune juif polonais Herschel Grynspan, un pogrom d’une ampleur inégalée fût organisé sur tout le territoire du Reich avec ordre de ne rien faire pour protéger les juifs ni leurs biens. Dans son journal, Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, écrira : « Nous ne faisons éteindre les incendies que si c’est nécessaire pour les bâtiments allemands du voisinage. Sinon, laisser brûler. » Bilan de cette Nuit de cristal : environ cent morts (sans compter les nombreux suicides), plus de 200 synagogues brûlées, plus de 7 000 commerces saccagés, plus de 20 000 juifs déportés dans les camps de concentration de Dachau, Buchenwald et Sachsenhausen.

Ainsi, si on en croit le préfet de Rhône, Michel Delpuech, il s’est passé en France cette semaine un événement au bilan humain comparable à la Nuit de cristal. Ou, du moins, pouvant y conduire.

Il est vrai que nous avons eu ces derniers jours près de cent morts en France, mais ce n’étaient pas des victimes de l’islamophobie mais de l’islamofascisme. Les commerces saccagés ? Peut-être y en a-t-il eu aussi du côté du Val d’Oise ces derniers jours tout comme des voitures brulées, mais ces saccages n’avaient a priori rien d’islamophobes. Quant aux 20 000 déportations vers les camps de concentration, je ne crois pas que ce type de lieux existent dissimulés quelque part sur notre territoire…

Inutile de dire que ce type de comparaison déshonore celui qui l’a faite tout autant que ceux qui le maintiennent en poste, les préfets étant nommés par le président de la République sur proposition du Premier ministre. Comparer deux tags, éminemment condamnables, à l’acte qu’on pourrait qualifier de « point de départ » de la Shoah est en effet une banalisation du nazisme insupportable pour toute personne ayant conscience de ce que fût cette tragédie.

Si on faisait des comparaisons à la préfet de Rhône, la Marseillaise conspuée au Stade de France lors de matches de football de triste mémoire ce serait quoi ? Le congrès de Nuremberg en version footballistique ?

Rappelons que le dernier pogrom ayant eu lieu en France s’est passé à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 9 janvier 2015 et que le bilan fût de 4 morts, victimes de l’islamofascisme, bref un bilan autrement plus lourd que deux tags, aussi condamnable soient-ils il faut le répéter…

Rappelons aussi pour la réalité historique que Nuit de cristal se dit aussi en allemand « Reichspogromnacht », la « nuit de pogrom du Reich », et que les pogroms ne se sont jamais résumés à des coups de bombe de peinture…

Ces déclarations du préfet du Rhône ont au moins un mérite :  faire progresser la langue française. Car si on connaissait l’expression « solide comme du cristal », on devra désormais en ajouter une autre à notre vocabulaire : « inconsistante comme une référence préfectorale à la Nuit de cristal… »

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Le fantasme de la guerre civile

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Emeutes à Villiers-le-Bel en 2007 (Photo : SIPA.00552640_000018)
Emeutes à Villiers-le-Bel en 2007 (Photo : SIPA.00552640_000018)

La première réaction, à chaud, d’Edwy Plenel à l’attentat de Nice, fut de balancer, le 15 juillet à 8h27, un tweet renvoyant à un entretien accordé à Libération par le politologue Jean-Yves Camus. Une interview, donnée avant l’événement, qui évoquait une possible « confrontation » entre ultradroite et musulmans s’il devait y avoir dans notre pays « un ou plusieurs autres attentats massifs commis par la mouvance islamiste ». Formulée avec prudence, et un certain scepticisme par ce spécialiste de l’extrême droite – qui dénoncera ce tweet de Plenel comme une instrumentalisation de ses propos – cette analyse prospective était pain bénit pour tous ceux qui n’avaient pas les sous-vêtements très propres en raison de leurs compromissions idéologiques avec les thuriféraires de l’islamisme radical, genre Tariq Ramadan ou Indigènes de la République.

Le « crime » du Tunisien de Nice, à leurs yeux, aurait pour fonction de déclencher à une pulsion pogromiste antimusulmane qui ne cherche qu’un prétexte pour se déchaîner dans l’Hexagone. Ce tweet permettait aux autres suspects habituels de la complaisance pro djihadiste (Raphaël Liogier, Laurent Mucchielli), sociologues faillis, mais toujours appréciés des médias, de dévider à nouveau leur chapelet d’insanités pseudo-savantes, rendant le dogmatisme laïciste français responsable du malheur  qui survient.

Le fantasme de la guerre civile, celui qui peint sur le mur un monstre imaginaire — les hordes racistes déferlant sur les banlieues de nos villes — pour relativiser la barbarie d’un monstre réel (Daech et son terrorisme « réticulaire »), n’a rien de nouveau. C’est même la marque de mouvements totalitaires qui souhaitent une guerre civile pour parvenir au pouvoir sans passer par la case démocratie.

Un fantasme déjà présent après Mai-68

J’ai souvenir d’un été 1968, dans une belle demeure de Sologne, où un intellectuel en vue, Félix Guattari, avait hébergé un quatuor de leaders du mouvement de mai, repliés à la campagne après le reflux de juin, pour écrire un livre théorisant le mot d’ordre de l’époque : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! » Cet opus, qui parut au début de l’année 1969, s’intitulait Vers la guerre civile, était signé (par ordre alphabétique) Alain Geismar, Serge July et Erlyne Morane, pseudo d’Evelyne Haas, et Herta Alvarez, compagnes des deux premiers. Ce texte constitua le manifeste fondateur de la Gauche prolétarienne, au sein de laquelle fusionnèrent les maoïstes purs et durs de la rue d’Ulm (Benny Lévy, Robert Linhart, Jean-Claude Milner, etc.) avec une fraction des gaucho-libertaires (à l’exception notable de Dany Cohn-Bendit).

La guerre civile ? Elle était ardemment souhaitée par ceux qui pensaient, alors, que le capitalisme et ses avatars libéraux et sociaux-démocrates étaient le monstre à éradiquer pour parvenir à l’émancipation du peuple. Conçue sur le modèle de la Fraction armée rouge allemande (RAF) et des Brigades rouges italiennes, la GP se voyait comme une réincarnation d’une Résistance antifasciste durant la deuxième guerre mondiale, totalement mythifiée, faisant du même coup de ses ennemis les successeurs directs d’Hitler et des diverses variantes de fascisme. La « guerre civile » était donc ardemment désirée, et tout fut mis en œuvre pour qu’elle advienne, jusqu’à ce qu’en France, ses initiateurs prennent conscience de leur déraison et procèdent à l’autodissolution de la GP, abandonnent leur héritage à un lumpengroupuscule, Action directe, et entament, pour les plus connus d’entre eux, la brillante carrière que l’on connaît[1. Il est sidérant de voir que jusqu’à aujourd’hui, Serge July considère comme « globalement positif » cet épisode de sa vie intellectuelle et militante, comme on peut le constater dans ce sidérant entretien accordé en 1986 à Jérôme Garcin.]…

Une preuve d’inculture historique

La guerre civile en France ? Aujourd’hui comme hier, il faut être d’une ignorance historique crasse pour penser qu’elle puisse s’instaurer sur un modèle espagnol de 1936, ou même russe de 1917… Pour ne se référer qu’à des situations vaguement analogues à celle que nous connaissons aujourd’hui, comment expliquer que dans la France déchirée des années de l’affaire Dreyfus, où l’antisémitisme étaient largement plus virulent que le racisme anti-arabe de notre époque, aucune agression physique contre les juifs ne fut constatée ? Cela n’a pas échappé, d’ailleurs, à tous les juifs à la recherche d’un asile contre les pogromistes, les vrais qui sévissaient alors dans l’empire tsariste et alentours ? Ou encore que le passage de l’antisémitisme de parole et de plume à la complicité active avec la Shoah nécessita la soumission de la France au vainqueur nazi ?

S’il faut chercher des signes avant-coureurs d’une guerre civile, c’est dans l’intensification, occultée par la sidération de l’attentat niçois, des explosions d’acte de guérilla urbaine, voitures brûlées, patrouilles de police entraînées dans des guet-apens, que l’on a pu constater à l’occasion de la fête nationale dans de nombreuses localités, dont la presse régionale s’est fait l’écho sans que cela n’émeuve particulièrement Edwy Plenel et ses amis.

Pour les émeutiers banlieusards, cette guérilla urbaine est une adaptation de l’idéal daechien (la loi d’Allah doit primer sur celle de l’Etat kouffar) qui devient : la loi de la cité s’impose à celle de l’Etat incarnée par les keufs, les pompiers, voire les éboueurs de la municipalité, dans une logique de maîtrise symbolique des territoires. On cherche en vain les «  signaux faibles » de la radicalisation des individus, et on est aveugle et impuissant à mettre un terme à ces signaux de moyenne intensité, dont les émetteurs ne sauraient s’arrêter là.

Enfin, il n’y aura pas, dans l’immédiat, de guerre civile en France en dépit de la colère, bien réelle, qui monte dans la population et de la défiance dont sont victimes ceux qui détiennent les leviers du pouvoir. La démocratie française, dont le rendez-vous majeur s’approche avec l’élection présidentielle de mai 2017, offre un exutoire à toutes ces colères et frustrations, et il n’est pas besoin d’être devin pour voir de quelle manière elles vont se traduire. Pour la plus grande satisfaction des pseudo-héros, et vrais boutefeux d’une guerre qu’ils auront appelée de leurs vœux.

Attentats de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray, par magazinecauseur

Vers la guerre civile

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Viva Tricatel! (13/3)

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>>> Retrouvez ici le premier et le deuxième volet de cet article.

M comme Musée imaginaire. Le grand public connaît rarement le nom des musiciens de l’ombre, arrangeurs, producteurs, tels que George Martin le cinquième Beatles, ou Tony Visconti le double de Bowie, ou encore Phil Spector… La plupart sont ignorés. C’est pour rendre hommage à ces soutiers du son, et faire revivre leur musique que Tricatel a lancé une collection fugitive « Le musée imaginaire » (en référence à Malraux), qui a permis de rendre hommage à André Popp (1924-2014) et David Whitaker (1931-2012). Nous devons au premier le conte musical pédagogique Piccolo, Saxo et Compagnie, des tubes délicieusement datés tels que L’amour est bleu (mais quel titre !), des arrangements pour Greco, Marie Laforêt, Petula Clark ; nous devons au second une foule de musiques de films, et des arrangements de chansons des Rolling Stones dans les sixties (dont la célébrissime The Last Time…) Les deux albums exhument des raretés inestimables dont, de Popp, les morceaux presque comiques Chasseurs sachez danser (avec force trompes !) et L’homme invisible….  et de Whithaker des arrangements pour France Gall et Marianne Faithflull… Un festin de gourmet, certes, des disques pour mélomanes collectionneurs, certes, mais quel pied ! Espérons que la série Musée imaginaire connaisse un jour un prolongement…

N comme Notes de pochette. Pour accompagner cet anniversaire des 20 ans, le label sort un très intéressant petit carnet de portraits titré Notes de pochettes. Sous la forme d’une vingtaine de rencontres avec les artisans qui œuvrent dans les coulisses de Tricatel (auteurs, musiciens, producteurs, illustrateurs, réalisateurs, label manager, etc.), Pierre Jouan livre une sorte d’enquête piquante sur la « Fabrique du disque », dans le grand chaudron musical contemporain, bref sur la vie quotidienne d’un petit label… L’écrivain Elizabeth Barillé y est décrite comme une « Diogène en talons aiguilles », mêlant sophistication et sauvagerie ; l’auteur Matthias Debureaux est croqué en quelques phrases : « Il m’apparaissait comme l’exact contraire de celui qui parle fort au restaurant. Du genre à raser les murs. A chérir les angles… » ; voici l’enfance du guitariste Stéphane Salvi : « La guitare s’apprend allongé, de préférence sur le lit d’une adolescence désœuvrée. C’est fait pour se chanter des berceuses en fixant le plafond, quand on baigne dans le demi-coma des dimanches sans cinéma »… Au détour du portrait du bassiste David Forgione, le jeune Jouan résume en quelques mots l’esprit du label : « Sentimentaux, nous tombons d’accord sur une définition possible de Tricatel : une famille bizarre réunissant des pièces rapportées de toute part, charriant pêle-mêle couturiers, élus locaux et écrivains maudits. Non pas un “foyer clos” mais un faisceau sans milieu, qui s’élabore en s’éclatant vers l’extérieur et dans tous les sens, comme un aimant inversé. Le contraire de la consanguinité : un plan de table idéal, donnant parfois lieu à des rencontres difficiles, comme un exemplaire de La société du spectacle oublié au fond d’un sac à main Valentino. » Ces portraits incisifs sont accompagnés d’illustrations signées Stéphane Manel.

Voir aussi « L comme Littérature »

R comme RSVP. Autre excellente surprise de cet anniversaire l’album collectif RSVP, 47ème de Tricatel, réunissant certaine des plus grandes pointures du label (April March, Chassol, Jef Barbara, etc.) et présenté comme une « composition instantanée » et une « improvisation collective ». Dans les faits, Burgalat a réuni les musiciens en studio durant quelques jours pour une jam-session anniversaire, un bœuf dont la recette mi-pop mi-funky est délectable. Il en résulte onze chansons hétéroclites, dont se détachent le long et débridé  Funky Aria de Doug Hearm Blunt & Makeda Monnet, et la nostalgique et gentiment sentimentale Piscine dorée de Bertrand Burgalat, en étonnant crooner timide. Un très bel album, qui est aussi un passionnant exercice de style et finalement une sorte de réflexion, en acte, sur les mystères de l’inspiration…

Z comme (drôles de) Zigs. Alors nous y voilà. 20 ans. 20 ans… L’âge de raison pour Tricatel…. L’âge bête ? Génération Z ? Certainement pas… Que cet exercice en forme de « z » nous ramène aux tréfonds de l’abécédaire du big bang, du zig et du zag foutraque…  Et quid de Tricatel dans 20 ans ? Burgalat nous répond… « Il y a 10 ans nous avions fait une compilation, L’âge d’or de Tricatel, recensant les 10 premières années du label, comme si celles-ci représentaient son apogée. Mais j’ai l’impression que c’est aujourd’hui que nous vivons une forme d’âge d’or artistique, malgré les vicissitudes économiques et le fait que nos productions sont encore accueillies avec beaucoup d’indifférence au moment de leur sortie. C’est le bon côté d’avoir toujours évité de s’engouffrer dans les portes ouvertes. Nous le payons cher, mais nos disques vieillissent plutôt bien, ils sont généralement mieux compris avec le recul. La seule chose qui peut nous empêcher de progresser et d’avancer, en dehors de la conjoncture et des impondérables (mais j’aurai bientôt enterré tous les diabétologues qui m’en donnaient pour dix ans), c’est le découragement. Je réalise que toute ma vie je risque de devoir batailler pour le même genre de choses, essayer de trouver de l’argent, convaincre… Dans 20 ans j’aurai 73 ans, ah oui purée quand même, « le temps presse », pour citer des paroles magnifiques des Shades. »

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