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Le droit du sol est-il vraiment un « principe fondamental » de la République, comme l’affirmait François Hollande ?

Et quoi qu’il en soit, ne devrait-on pas aussi parler de « devoir du sol » de temps en temps ? Le droit du sol sans l’assimilation n’est que ruine de l’âme de la France…


La loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité soumettait son obtention, par les enfants nés de parents étrangers, à une déclaration de volonté motivée entre 16 et 21 ans. Les préfectures organisaient des cérémonies de naturalisation pour célébrer l’évènement avec solennité. Le texte passa avec succès le contrôle de constitutionnalité : le « Conseil des 9 sages » n’a pas élevé le droit du sol au rang d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Il estime que son instauration par la loi de 1889 confirmée en 1927, correspond à une mesure liée aux circonstances de l’époque avec la mise en place de la conscription (Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993). Revenue aux affaires en 1997, la gauche sous la férule d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, s’empressa d’annihiler le dispositif en restaurant l’automaticité du droit du sol qui prévalait antérieurement (loi du 16 mars 1998 modifiée). Désormais, en vertu des articles 21-7 et 21-11 du Code civil, tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française dès sa majorité, ou de façon anticipée sur déclaration à partir de l’âge de 13 ans (au nom du mineur) et de 16 ans.

Invité sur BFMTV le 9 février 2025, et contre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’ancien président de la République, François Hollande, qualifia le droit du sol comme étant un des « principes fondamentaux de la République », alors que le Sénat doit le 25 mars 2025 débattre sur la question du rallongement de la durée de résidence de parents étrangers à Mayotte pour qu’un enfant puisse acquérir la nationalité française.

Mayotte convoque dans le débat la question de la nationalité

La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, visant l’objectif de lutter contre l’immigration venue des Comores, déroge aux articles précités du Code civil, et exige que l’un au moins des parents réside en France de manière régulière et interrompue depuis plus de trois mois (art. 2493 du Code civil). Le Conseil constitutionnel a validé cette disposition au motif que la différence de traitement instaurée tient compte des caractéristiques et contraintes particulières propres à Mayotte soumise à des flux migratoires conséquents (Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018).

À lire aussi : Immigration : convertir l’opinion publique au lieu de l’informer

On se souvient ensuite que le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel du projet loi Immigration-intégration du 26 janvier 2024. Étaient visés les amendements du groupe LR au rang desquels figurait l’article 81 de la loi qui prévoyait un durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers dans les territoires de la Guyane, de Saint-Martin et de Mayotte. Il était prévu, pour Mayotte, que les deux parents (un seul pour la Guyane et Saint-Martin) doivent avoir résidé régulièrement sur le territoire depuis un certain temps. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition pour des raisons de forme, en considérant qu’elle présentait le caractère d’un « cavalier législatif », sans lien direct avec le projet de loi. C’est évidemment contestable, mais il ne s’est pas prononcé sur le fond, au regard des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’indivisibilité de la République. La décision du 25 janvier 2024 ne semble pas amorcer un revirement de jurisprudence.

Anne-Marie Le Pourhiet1 précise que les lois concernant la nationalité française sont des lois de souveraineté qui ne peuvent varier d’une collectivité à une autre, et de s’étonner qu’un tel dispositif ait pu être validé par le Conseil constitutionnel. La professeure de droit public propose donc la suppression du droit du sol sur l’ensemble du territoire national.

Le droit du sol n’est pas consubstantiel à la tradition républicaine

Le journaliste Guillaume Perrault rappelle que « la Révolution fait dépendre la qualité de français, pour l’essentiel du droit du sang. Cette expression millénaire, héritée de l’Antiquité et du droit romain (jus sangunini), n’a rien d’agressif. C’est un principe juridique qui signifie que la citoyenneté repose sur la filiation […] », et montre « qu’après la défaite de 1870, les républicains sont décidés à faciliter l’accès à la nationalité pour astreindre les bénéficiaires au service militaire et grossir les effectifs de l’armée. […] Plutôt que le droit du sol, il serait plus exact et plus éclairant de parler de devoir du sol. »2 Si, tradition constitutionnelle il y a, elle repose sur un accès souvent aisé à la nationalité à condition de manifester une volonté d’assimilation « afin d’être digne d’obtenir la qualité de français, jugée hautement désirable » (article précité). Le concept d’immigration choisie est donc recevable. S’agissant de la naturalisation, autre mode d’acquisition de la nationalité, l’article 21-24 du Code civil énonce que « nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, […], et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. » Lorsque la volonté d’assimilation est gravement trahie, l’article 25 du même Code prévoit les possibilités de déchéance de la nationalité sauf si elle a pour effet de rendre l’individu apatride.

« Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation »

Cette formule de l’historien Jacques Bainville3 illustre la conception volontariste qui appelle un acte d’adhésion à ce qui fonde la personnalité de la nation. Or, « la culture c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre… En vidant une nation de sa culture on la condamne à mort » (Milan Kundera, Le Monde, 1979).

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Ernest Renan4 donne ses lettres de noblesse à une conception française de la nation dans la veine de la tradition républicaine : « Une nation est une âme, un principe spirituel […] le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis […]. L’existence d’une nation est un plébiscite de chaque jour […] Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l’œuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l’humanité. » Et de résumer ainsi : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion […] ». Cette définition fait écho à l’œuvre de la IIIème République. C’est elle qui créa l’école libre des sciences politiques en 1872 afin de répondre à la crise politique et morale qui frappait la France dans le contexte de la défaite de 1870. Sciences Po est devenue un défilé de keffieh sous l’égide du wokisme conspuant le récit national expulsé des programmes scolaires. C’est elle qui convoqua Jeanne d’Arc comme figure allégorique du récit national avant même que l’Église catholique ne la canonisât ! Les théories racialistes prônent à l’inverse, l’assignation identitaire. Sous prétexte de société inclusive, la France devient « un espace multiculturel ouvert à tous les vents », porté par « un taux d’immigration qui représente une rupture historique 5». L’entreprise d’anéantissement ou de cancel culture est menée tambour battant et avance sous la bannière de l’extrême gauche qui, avec ses idiots utiles, font régner un climat de « terrorisme intellectuel » en verrouillant la liberté d’expression (l’écran noir de C8), et en œuvrant à rendre la société française « charia compatible » selon l’expression de Florence Bergeaud-Blackler. L’invitation à l’Assemblée nationale, lancée par le député R. Arnault (LFI), au comité contre l’islamophobie en Europe issu du CCIF dissout en 2020, pour ses accointances avec la mouvance islamiste, témoigne de l’entrisme des Frères musulmans et de leurs relais, qui diffusent leur idéologie dans les clubs sportifs6, dans les écoles, collèges et lycées publics, au cœur des institutions européennes. La France est confrontée au repli identitaire et à la progression du fondamentalisme islamiste7 qui menacent son modèle civilisationnel. La journaliste Pauline Condomines8 montre, après avoir infiltré des collectifs de sans-papiers, comment les militants associatifs instrumentalisent les jeunes migrants non admis au statut de mineurs isolés, pour grossir le cortège des revendications indigénistes, en contrepartie, pour les plus actifs de ces migrants, d’une assistance dans leurs démarches de régularisation (voir par exemple l’épisode de l’occupation de la gaîté lyrique).

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  1. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  2. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  3. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  4. Ernest Renan, Qu’est qu’une nation, Conférence prononcée à la Sorbonne en 1882 ↩︎
  5. Jean Sévillia, Les habits neufs du terrorisme intellectuel, Perrin, 2025 ; Démographie en France : conséquence
    pour l’action publique de demain, note d’éclairage, Institut Montaigne, août 2023 ↩︎
  6. Médéric Chapitaux, Quand l’islamisme pénètre le sport, PUF, 2023. Le Sénat vient d’adopter le 18 mars 2025
    une proposition de loi visant à interdire le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une
    appartenance politique ou religieuse pendant les compétitions sportives organisées par les fédérations sportives,
    les ligues et leurs associations affiliées, ainsi que le détournement d’un équipement sportif, et impose le respect
    du principe de neutralité et de laïcité dans les piscines municipales. Pour rappel, le Conseil d’Eta a validé les
    statuts de la FFF qui prévoient l’interdiction des tenues et signes en question (CE 29 juin 2023), et a suspendu
    l’exécution du règlement intérieur des piscines municipales de Grenoble qui autorisait le « burkini » (CE 21 juin
    202). ↩︎
  7. Florence Bergeaud-Blackler, Le frèrisme et ses réseaux, Odile Jacob, 2023 ↩︎
  8. Pauline Condomines, Livre noir, L’enfer du décor ↩︎

Julien Moinil: tout est perdu mais il y a des hommes!

Narcotrafic. Batman, surnom du nouveau procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil, mène une offensive contre le trafic de drogue et les fusillades qui gangrènent sa ville, multipliant les arrestations et affirmant sa détermination à rétablir l’ordre. Son action rapide et musclée surprend les narcotrafiquants, bien que les moyens de la police et de la justice belge demeurent insuffisants.


À Bruxelles, tout a changé. Il y a un nouveau procureur du Roi, Julien Moinil et l’accablement, la résignation se sentent moins chez eux dans cette capitale. Ce n’est pas au Salvador, c’est en Belgique, pas loin de chez nous. L’exemple n’est pas exotique ni offensant. Il est dans notre sphère, dans notre monde. On peut, on doit s’en inspirer.

Il confirme ce que j’ai toujours pensé, comme magistrat, comme chroniqueur, comme homme. Les personnalités où qu’elles soient, dans quelque espace que ce soit, dès lors qu’elles ont énergie, courage et volonté, seront plus fortes que les structures et vaincront ce que la réalité apparente aura de désespérant, de fatal. À condition, précisément, de se persuader et de persuader autour de soi que rien d’impossible ne vous sera opposé.

Sans frémir

Et qu’on ne nous rebatte pas les oreilles avec l’éloge du collectif comme si le propre de ces modèles professionnels et humains n’était pas d’agréger, autour de leur singularité, une pluralité fière de travailler sous leurs ordres.

Sans surestimer le tableau français, à considérer l’état de Bruxelles sur le plan de la sécurité et de la Justice, du palais de Justice à restaurer, des prisons surchargées à la faillite de la lutte contre les crimes et les délits les plus graves, de l’absence de moyens – la cour d’appel a été contrainte de suspendre ses jugements à partir du 10 mars – à l’incurie des politiques, qui aurait pu accepter sans frémir la haute fonction de procureur du Roi ?

Il fallait déjà un caractère, connaissant ce qui allait lui échoir, résolu à ne pas céder face à un réel apparemment implacable. Dès sa nomination, en janvier, dans ce poste prestigieux, Julien Moinil a affirmé que son équipe et lui allaient « y arriver » (Le Monde).

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Avec une double ambition selon lui : « remettre d’aplomb le plus grand parquet du pays et rétablir l’ordre dans une ville gangrenée par la criminalité avec des métastases partout ». Et une double exigence : « assouvir sa passion de la vérité et protéger les autres ».

Julien Moinil n’est pas homme non plus à se satisfaire de promesses en l’air. Il a d’ailleurs déclaré, le 15 février, devant les parlementaires qu’il en avait « assez des effets d’annonce ». Une magistrate parisienne étonnée par sa liberté a observé qu’avec de tels propos l’ancien garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti l’aurait muté à Mayotte !

Arrestations en hausse

Depuis qu’il est procureur du Roi, les arrestations ont quadruplé. Deux mille en quelques semaines.

Cet « intrépide et infatigable bosseur » selon ses collègues, surnommé Batman, n’est pas un héros. À l’évidence il fait partie de ces quelques êtres qui, partout où ils sont, donnent le « la ». Alors que tout va mal, il ne se plaint pas, il ne parle pas, il ne commente pas. Il agit.

La conséquence immédiate pour les trafiquants qui se sont donné le mot sur leurs réseaux cryptés est qu’on « n’est plus à l’aise à Bruxelles, qu’on n’y est plus tranquille ».

Loin de moi, en écrivant ce billet sur ce très grand magistrat belge, de jeter une pierre dans l’univers de la magistrature française. Je suis contraint cependant de relever que cette dernière n’est plus portée ni incarnée par une ou plusieurs personnalités emblématiques même si malheureusement quelques remarquables magistrats demeurent peu connus ou sont noyés dans une ignorance générale ou une dérision facile. Le syndicalisme ne tente personne et ne fascine pas. Cette pente est d’ailleurs aussi celle du barreau pénal en France où il n’y a plus de « maîtres ».

Je souhaite bon vent à Julien Moinil. Rien n’est perdu puisqu’il est là.

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Dénégationnistes professionnels et dressage intellectuel

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Quand la vérité dérange, on l’appelle extrême droite. Avant toute chose, la France doit se libérer des enfumeurs, tonne notre chroniqueur Ivan Rioufol, qui dénonce depuis des années le conditionnement idéologique faisant l’éloge de l’immigration massive et d’une mondialisation prétendument « heureuse ».


Lutter contre l’immigration invasive, qui met en péril l’identité française, la sécurité publique et la démocratie libérale, oblige à lutter prioritairement contre la censure des idéologues : ils interdisent de s’exprimer comme je viens de le faire, sauf à être catalogué d’« extrême droite ». Pour eux, l’immigration n’est pas un sujet puisqu’elle est constitutive de la France.

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C’est ce dogme qu’avait exprimé Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, en déclarant le 19 septembre 2023 : « La question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Etre contre, c’est comme être contre le soleil ». Or ce dressage intellectuel, qui invite à applaudir au nouveau peuplement extra-européen, a ses influenceurs. Ils tiennent le haut du pavé, comme le rappelle la démographe Michèle Tribalat dans un texte mis en ligne mardi par Causeur. Initialement, cet article aurait dû faire partie d’un livre collectif, codirigé par Pierre Vermeren, Face à l’obscurantisme woke, qui devait être publié aux PUF (Presses universitaires de France). Sous la pression de Patrick Boucheron, du Collège de France, l’ouvrage a été déprogrammé in extrémis. Mais la contribution de Tribalat avait été elle-même exclue préalablement du projet, dans la crainte de déplaire à François Héran, également du Collège de France, dont elle dénonce les pratiques d’enfumage. Le crime de la démographe ?  S’attacher au réel et dénoncer les faussaires, en suivant l’analyse de Jean-François Revel : « L’idéologue désire non point connaître la vérité, mais protéger son système de croyance et abolir, spirituellement faute de mieux, tous ceux qui ne croient pas comme lui. L’idéologie repose sur une communion dans le mensonge impliquant l’ostracisme automatique de quiconque refuse de la partager. »

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La première des menaces existentielles pour la France est portée par ces dénégationnistes professionnels, souvent dénoncés ici. Ils veulent faire plier le réel sous des concepts contredits par les faits. C’est ainsi, par exemple, que le racisme anti-blanc est nié par principe, les minorités ethniques devant être sacralisées. Cette technique de subversion totalitaire, décrite par Roger Muchielli dans les années soixante-dix[1], repose sur la désinformation et la propagande.  À l’époque, Muchielli invitait « les républiques, si elles ne veulent pas mourir, à entreprendre la contre-subversion » consistant à déceler les mécanismes visant à obtenir « l’apathie populaire ». Or cette résistance n’a pas été conduite à son terme. La France subit, plus que jamais, le terrorisme intellectuel des gardiens de la mondialisation heureuse et des sociétés ouvertes. Par le jeu des cooptations, cette caste monopolise les hautes sphères du monde intellectuel et médiatique, du Collège de France jusqu’au Monde en passant par Science-Po. La France Insoumise, qui appelle à manifester samedi à Paris « contre l’extrême droite, ses idées et ses relais », en ciblant nommément des personnalités y compris dans leur judéité (Cyril Hanouna), est le produit de cette tyrannie qui se perpétue.

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Et Emmanuel Macron lui-même ne cesse de rejeter, pareillement, ses opposants dans le camp des « populistes », des « complotistes » ou de l’ « extrême droite ». La dernière lubie du gouvernement, dans le prolongement de l’infantilisation des citoyens par la peur, consistera à distribuer à tous un « manuel de survie » en cas de menaces contre la France. Mais ces apprentis-sorciers sont la vraie menace.

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[1] La subversion, Editions CLC (1976)

Tout ne va pas très bien, Madame la marquise!

C’est une guerre! Pour défendre la langue française, l’AFRAV multiplie les actions sur tous les fronts: procès contre le Navigo Easy de Pécresse, contestation des plaques en écriture inclusive d’Hidalgo, opposition aux slogans publicitaires en anglais de l’UE, critique de l’intitulé de Rachida Dati France Music Week pour la fête de la musique… La bataille pour préserver notre langue est plus vive que jamais!


En cette semaine de la langue française, nous apprenons par l’Afrav (Association Francophonie Avenir) que deux procès pour défendre la langue française passent devant les juges de la Cour administrative d’appel de Paris.

L’une, opposant l’Afrav, depuis le 23 mai 2019, à la présidente du syndicat des Transports de l’île-de-France (Ile-de-France Mobilités), Madame Valérie Pécresse, en ce qui concerne la marque à connotation anglaise donnée au pass navigo : Navigo Easy. Une autre affaire oppose la même association, depuis le 30 décembre 2021, à Madame Anne Hidalgo, en ce qui concerne les inscriptions en écriture inclusive de deux plaques commémoratives mises en place à la mairie de Paris.

Les nouvelles guerres du français

Ajoutons qu’a été saisi, le 10 mars 2025, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lui demandant d’intervenir afin que l’UE cesse de signer ses publicités systématiquement en anglais. Exemple récent : le NEXT GEN EU qui a succédé au YOU ARE EU de mars 2023. Vient d’être saisi également, le 18 mars 2025, le directeur de l’Académie de défense de l’Ecole Militaire de Paris, afin qu’il abandonne l’appellation Paris DEFENCE AND STRATEGY FORUM-Europe at the cross roads. J’écris avec des italiques comme l’exige la police d’écriture.

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Pour rappel : le 4 mars, un collectif d’associations de la langue française a adressé à Madame Rachida Dati une lettre lui demandant pourquoi elle intitulerait la fête à venir de la musique, qui s’étalerait sur une semaine, France Music Week. Pourquoi pas Semaine musicale ? La semaine des Accords ? En avant la musique ? Est-ce qu’Emmanuel Macron, grand francophile devant l’Éternel, voudrait aligner le mot et la chose sur la Fashion week, au prétexte que la dénomination anglaise de ce carrefour musical mondial serait une bonne manière de faire connaître la musique française ? Tout comme, à l’Université, enseigner Proust en anglais fait mieux connaître La Recherche ? Jack Lang avait-il intitulé, en 1981, la journée de la musique : «  Music Day » ?

A l’heure guerrière que nous vivons, il est temps de s’armer, une bonne fois, pour la défense du français, garant de l’unité de notre pays. Oui, je sais, les mots guerriers ne plaisent pas, appliqués à notre langue. Le français, histoire d’un combat : tel était pourtant le titre d’un livre de Claude Hagège. Car le mot combat n’est pas un gros mot, c’est une réalité. Pas besoin de milliards ni d’avions mais de déployer sur le terrain, en tout, pour tout, les armes de l’usage, du bon sens, de l’unité, de la culture. Relire les ordonnances royales de Villers-Cotterêts, en date de 1539 — l’histoire de notre langue remonte à loin. Relire l’article 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français ». Relire et faire appliquer, stricto sensu, la loi Toubon. Enfin, surtout, soulever, une bonne fois, réellement, courageusement, le problème de notre langue en pleine déconfiture, qu’aucun homme politique n’aborde.

Le globish, voilà l’ennemi !

« L’école est gagnée par l’anglais comme les banlieues par la drogue » dit le président de l’Afrav. Il ne s’agit pas, pour « justifier » sa déstructuration et sa déliquescence, de dire et redire comme un perroquet, que le français a emprunté, emprunte et empruntera des mots aux langues avoisinantes : on le sait, depuis lurette, que certains mots viennent de l’anglais, de l’arabe, du gaulois non écrit, du germanique. Ainsi va la vie d’une langue. Là n’est pas la question mais de la colonisation du français par un anglais, lui-même dénaturé en globish fourre-tout, le tout, accompagné et conforté, par des borborygmes et un parler des banlieues qui est tout sauf un « enrichissement ». Il s’agit d’une soumission à la langue d’un « empire ». Le président de l’Afrav le dit encore : on parle de russification et jamais d’anglicisation et d’américanisation du français.

Le français est en recul à l’école et ailleurs. Entendons : la maîtrise d’une langue qui assure son usage, sa bonne santé et sa vitalité. Si personne ne voit le danger que pose la dénaturation du français, c’est que l’heure est grave.

À Sao Paulo, sans famille

Un mélo gay dans la mégalopole brésilienne. Parfois un peu trop complaisant, voire sordide.


À 18 ans, après deux ans de cellule pour mineur au Brésil, comment recommencer sa vie ? Ayant perdu la trace de ses parents –  de son père alcoolique et violent il garde pas mal de cicatrices sur son corps, et de sa mère dépressive le traumatisme d’une enfance difficile – , Wellington (dans le rôle, Joao Petro Mariano, lauréat d’un casting sauvage) se retrouve sans feu ni lieu. Il renoue dès lors avec son ancien univers queer – drag queens, performeurs de voguing…  – dans les quartiers interlopes de Sao Paulo, cette mégalopole de 20 millions d’habitants dont ce délinquant gay aux lèvres pulpeuses et au sourire de gosse connaît les ressources comme sa poche. Dans un ciné porno où le garçon et sa petite bande de folles sont entrés pour subtiliser leurs smartphones aux clients distraits, le hasard s’invite à lui sous la forme d’une rencontre avec le viril Ronado (Ricardo Teodoro), un dealer-prostitué d’âge mûr, qui le prend bientôt sous son aile, selon le mode du donnant-donnant, l’hébergeant dans son gourbi contre de menus services, comme de livrer la came à ses clients.  

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Bonne école de dissimulation, la prison a appris à Wellington, alias Cleber, à mentir sur tout, à commencer par son prénom. Finalement, ce sera « Baby ». S’ensuit, dans les marges de Sao Paulo, une romance farouche, assez crue, entre l’ainé et le cadet en quête de familles d’adoption, pour tenter de survivre entre drogue et prostitution. Un micheton des beaux quartiers s’éprend de Baby jusqu’à lui offrir des fringues et un iPhone, mais sur le point de l’emmener en voyage à la découverte de Rio, il le largue à l’instant même où il pige que son protégé est un gentil voyou.

« Baby », un film de Marcelo Caetano, 2025 © Epicentre Films

La relation heurtée, conflictuelle, avec l’égoïste et possessif Ronaldo, dessine un mélo que d’aucuns jugeront à la fois sulfureux et complaisant. Dans son réalisme brut, le second long métrage de Marcelo Caetano a pourtant le mérite de brosser un « portrait de ville » authentique, dans sa noirceur sordide autant que dans ses charmes vénéneux. Souvent tournés en caméra cachée dans son propre quartier, les extérieurs de Baby dévoilent les bas-fonds de la ville selon un vérisme quasi-documentaire. Il n’est pas indifférent que Marcelo Caetano, natif de Belo Horizonte et anthropologue de formation, ait travaillé naguère aux côtés de l’excellent cinéaste Kleber Mendonça Filho, dont le film Aquarius (2016) figurait quant à lui, sous le masque de la fiction, une remarquable peinture de la ville de Recife, suivi en 2019 par Bacurau, Prix du Jury à Cannes cette année-là, un très étrange thriller d’anticipation qui avait pour toile de fond le Sertao brésilien. Tous deux ont été distribués en France ;  on peut encore les trouver en DVD. Autant dire que Caetano a été à bonne école.            


Baby. Film de Marcelo Caetano. Avec Joao Pedro Mariano et Rirardo Teodoro. Brésil, France, Pays-Bas, couleur, 2024. Durée : 1h47

En salles le 19 mars

Royaume Uni: le parti de Nigel Farage sur le point de s’effondrer ?

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Lors des dernières élections générales outre-Manche, l’arrivée du nouveau parti de Nigel Farage, Reform UK, qui se positionne comme le rival populiste des Conservateurs, a divisé le vote à droite de l’échiquier et permis aux Travaillistes de remporter une victoire encore plus spectaculaire. Depuis, Farage poursuit son objectif de remplacer le Parti conservateur comme force d’opposition principale au socialisme. Pourtant, ses ambitions risquent soudain d’être contrecarrées par des dissensions au sein de son parti. Explications.


Le 7 juillet 2024, le Parti conservateur britannique a subi son pire résultat électoral de l’ère moderne. Après avoir obtenu une majorité de 80 sièges sous Boris Johnson lors de l’élection de décembre 2019, le nombre de députés conservateurs est passé de 365 à un misérable 121, soit le plus faible nombre de sièges remportés par le parti lors d’une élection depuis sa création officielle au début du XIXe siècle.

Cette performance électorale désastreuse s’explique facilement par l’exaspération évidente de l’électorat face aux querelles internes des conservateurs, combinée à la colère suscitée par l’abus des restrictions Covid par certains ministres, alors que la population respectait scrupuleusement la loi. Mais surtout, l’électorat a été profondément écœuré par l’incapacité totale des conservateurs à tenir leurs promesses après 14 ans au pouvoir, qu’il s’agisse de la réduction des inégalités territoriales ou de la gestion de la crise migratoire au Royaume-Uni.

Reform UK, la relève du Brexit Party

Cependant, bien que le résultat des élections ait permis au Parti travailliste d’obtenir une large majorité, il ne reflète pas un basculement massif vers la gauche. En réalité, de nombreux électeurs conservateurs de 2019 ont tout simplement abandonné leur parti, préférant voter pour le nouveau parti alternatif de droite, « Reform UK », ou tout simplement « Reform ».

Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne en janvier 2020, le « Brexit Party » (Parti du Brexit), fondé par le « Monsieur Brexit » Nigel Farage, s’est en grande partie dissous, donnant ainsi naissance à Reform. Une fois le Brexit accompli, M. Farage estimait avoir atteint l’objectif politique de sa vie en faisant sortir la Grande-Bretagne de l’UE. Il s’est alors retiré de la politique active pour poursuivre une carrière plus lucrative dans le journalisme télévisé et s’est forgé une image médiatique en participant à l’émission de téléréalité I’m a Celebrity… Get Me Out of Here! (une sorte de Koh-Lanta à la britannique).

Pendant ce temps, l’ancien parti du Brexit s’est transformé en Reform UK et a commencé à recruter des adhérents. Lorsqu’en mai 2024, Rishi Sunak a convoqué des élections, le parti, sous la direction de Richard Tice, enregistrait régulièrement environ 16 % des intentions de vote.

À lire aussi : Royaume Uni: Starmer appelle l’Europe à la rescousse

Se positionnant à droite de l’échiquier politique britannique, le parti a pour raison d’être de briser le monopole de ce qu’il appelle l’« uniparti » – la domination de la politique britannique par un consensus libéral entretenu par les gouvernements travaillistes et conservateurs successifs (l’équivalent de ce qu’on appelait en France « UMPS »).

Au début de la campagne électorale, tous les indicateurs suggéraient que, bien que Reform soit susceptible d’obtenir ses 16 % de suffrages – un score très honorable pour un jeune parti – il serait néanmoins désavantagé par le système électoral britannique, appelé « first past the post » ou scrutin majoritaire uninominal.

Le retour de Nigel Farage

Avec un œil sur son ami Donald Trump aux États-Unis et l’autre sur la possibilité de continuer à bouleverser le statu quo politique au Royaume-Uni, Nigel Farage était tiraillé entre deux voies : rester dans le journalisme ou revenir sur le devant de la scène politique. Après un spectaculaire revirement en 24 heures, Farage a choisi la seconde option. Il est ainsi revenu dans l’arène politique tout en s’installant lui-même à la tête de Reform, avec l’accord apparent du précédent leader, Richard Tice. Cette décision a secoué la campagne électorale, et Farage a essuyé quelques agressions, recevant un milkshake puis une brique lancée contre lui lors de deux incidents distincts.

Néanmoins, sa présence dans la campagne a considérablement renforcé les chances de Reform d’obtenir une représentation parlementaire. Ainsi, le 7 juillet 2024, Nigel Farage a été dûment élu à la Chambre des communes en tant que député de Clacton, une petite ville balnéaire du sud-est de l’Angleterre. Après quatre tentatives infructueuses pour entrer au Parlement, Farage avait enfin réussi. Il a également été rejoint par quatre autres députés : Richard Tice, Rupert Lowe, Lee Anderson et James McMurdock.

M. Lowe, un nouveau visage en politique britannique

Depuis les élections, l’un de ces cinq députés s’est distingué par ses performances parlementaires exceptionnelles, recevant des éloges de la part des commentateurs politiques de tous horizons pour ses discours, ses questions percutantes et son travail acharné : Rupert Lowe.

Rupert Lowe. DR.

M. Lowe n’est pas un homme politique de carrière. Diplômé d’un internat puis de l’université de Reading, cet homme d’affaires de 67 ans a commencé sa carrière dans le secteur financier, autrement dit la City, travaillant pour plusieurs institutions bancaires et siégeant au conseil d’administration du London International Financial Futures Exchange. Marié et père de quatre enfants adultes, il est aujourd’hui impliqué dans plusieurs affaires commerciales, notamment Alto Energy, une entreprise spécialisée dans la fourniture de pompes à chaleur géothermiques pour un chauffage efficace et bas-carbone, ainsi qu’un investissement dans Kona Energy, qui développe des projets de stockage d’énergie par batterie pour améliorer l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique.

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En tant qu’homme politique, il a attiré l’attention du public pour la première fois en septembre lors de son discours percutant à la conférence de Reform. Cette allocution, abordant des sujets tels que l’ingérence du gouvernement, l’économie, l’immigration et l’érosion de la liberté d’expression, a été très bien reçue par le public, au point qu’il a été considéré comme la vedette de l’événement, éclipsant ainsi Farage lui-même. Couplé à ses puissantes interventions parlementaires et à la manière éloquente dont il communique ses valeurs et aspirations pour la Grande-Bretagne à travers de nombreuses interviews et podcasts, cela a conduit de nombreux membres du mouvement Reform à le voir, plutôt que Farage, comme un futur Premier ministre du Royaume-Uni.

Après les élections, la popularité du nouveau gouvernement travailliste a baissé rapidement à cause de leurs premières décisions concernant l’économie et les impôts. Cela, en plus du charisme de Messieurs Farage et Lowe, a contribué à augmenter la popularité de Reform. Actuellement, les sondages d’opinion placent régulièrement Reform en seconde position, sinon en première.

L’interview qu’il ne fallait pas donner

Cependant, l’élan que Reform avait accumulé a été stoppé net. Dans une interview publiée dans le Daily Mail le 6 mars, Rupert Lowe a critiqué le leadership de Farage, qualifiant Reform de « parti de protestation dirigé par le Messie ». De telles critiques au sein du Parti Reform ne sont pas nouvelles. En effet, un ancien vice-président, Ben Habib, avait déjà exprimé des plaintes au sujet de la concentration de pouvoir dans le parti entre les mains de Farage. Par conséquent, il a été écarté de manière brutale.

Interrogé sur les déclarations de Lowe, Farage a immédiatement contesté les accusations de ce dernier, en suggérant qu’elles étaient motivées par ses ambitions politiques. Toutefois, les conséquences pour Rupert Lowe ne se sont pas arrêtées là. Le 7 mars – le jour suivant la publication de l’article – le parti a signalé M. Lowe à la police pour des menaces verbales proférées contre le président du parti, Zia Yusuf, en décembre 2024 et février 2025, et sa suspension du parti a été immédiate. De plus, le parti a nommé un avocat indépendant pour enquêter sur des allégations de harcèlement au sein du bureau parlementaire et de celui de la circonscription de M. Lowe. Depuis lors, il y a eu un enchaînement sans fin d’accusations et de dénégations, l’équipe parlementaire de M. Lowe publiant une déclaration qualifiant Lowe d’« homme décent et honnête ».

Les enquêtes susmentionnées sont encore en cours, mais quelle qu’en soit l’issue, l’avenir de Lowe au sein de Reform semble définitivement compromis. L’actuel vice-président, Richard Tice, a laissé entendre que la situation était devenue intenable. Le responsable de la discipline parlementaire de Reform a déclaré que le parti « ne peut pas fonctionner » avec Lowe comme membre en raison de son manque de coopération dans l’enquête sur son comportement. Les alliés de M. Lowe affirment que tout cela ressemble à un assassinat politique. Le chaos au sein du parti, suite à ce scandale, semble sans fin, avec des responsables locaux de circonscription démissionnant les uns après les autres.

Bien que cela profite également au Parti travailliste au pouvoir, les véritables vainqueurs seraient les Conservateurs. Ils se retrouvent face à une occasion en or : récupérer les électeurs qu’ils avaient perdus à cause de Reform en assimilant en partie la rhétorique et les politiques populistes de ce dernier. En auront-ils le courage ?

Michaël Prazan: « les Frères musulmans ont une vision paranoïaque et complotiste du monde »

Dans La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, Michaël Prazan retrace l’histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l’a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l’islamisme prospère partout où l’éducation régresse.


Causeur. Nous avons tous en tête le visage de deux petits rouquins et de leur mère, Kfir, Ariel et Shiri, suppliciés par leurs ravisseurs. Au-delà de l’effroi et de la rage, qu’est-ce qu’un connaisseur du Hamas comme vous a appris de cette tragédie ?

Michaël Prazan. Quel enseignement tirer d’un mouvement terroriste qui ment, use du sadisme comme politique et délivre des diplômes à des gens qui qu’il a brimés, torturés, affamés ? Quel enseignement tirer de l’assassinat à mains nues d’un nouveau-né ? De son visage arraché sur les murs de nos villes ? Je l’ignore, si ce n’est que le mal, l’inhumanité, existent, et que l’antisémitisme, dans sa forme génocidaire la plus pure, n’a pas disparu après la Shoah. Lors du pogrom de Iasi, les Roumains pendaient les bébés à des crocs de bouchers. Les Einsatzgruppen, les commandos mobiles de tueries nazis, jouaient au ball-trap en lançant les bébés en l’air avant de leur tirer dessus.

À Gaza, le frérisme est clairement djihadiste. Les Frères musulmans ont-ils toujours partie liée avec le terrorisme ?

Le terrorisme est consubstantiel au frérisme. Dès l’origine, en marge de son parti politique, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, crée un « appareil secret ». C’est ce versant clandestin et terroriste, d’ailleurs en partie financé par le parti nazi en Allemagne, qui va perpétrer des attentats, assassiner des dirigeants politiques égyptiens, fomenter des pogroms dans les quartiers juifs du Caire, dès la fin des années 20. Rappelons que la Gamma al-Islamiya et Al-Jihad, les deux organisations qui ont fait assassiner le Président Sadate, sont nées au sein des Frères musulmans, de même, un peu plus tard, qu’Al-Qaïda.

L’alliance entre le Hamas sunnite d’un côté et, de l’autre, le Hezbollah et le régime iranien chiites peut sembler curieuse. À Téhéran, on n’aime guère Al-Qaïda qui a volé la vedette aux mollahs.

En réalité, des liens se sont tissés dans les années 1950 entre les Frères musulmans et une organisation islamiste chiite iranienne dirigée par Navvab Safavi. Les deux organisations fusionnent en 1954 au Caire. Un an plus tard, Safavi tente d’assassiner le Premier ministre iranien, il est arrêté et exécuté. Ses fidèles se trouvent un nouveau leader, dans la personne d’un ayatollah banni appelé Khomeini, qu’ils initient à la pensée de Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans égyptiens, lui-même pendu par Nasser en 1966. Pour Khomeini, c’est une révélation, à telle enseigne que, arrivé au pouvoir, il prend deux décisions : la première est de frapper un timbre à l’effigie de Sayyid Qutb, la deuxième, de transformer l’ambassade d’Israël en ambassade de Palestine parce qu’il comprend immédiatement que cette question est la plus fédératrice.

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L’antisémitisme accompagne l’islam depuis les origines, mais il y a eu aussi une cohabitation heureuse. Est-ce le frérisme qui change la donne et fait des juifs les ennemis prioritaires ?

En effet, pour la bonne raison que la première génération des Frères musulmans adhère à la propagande nazie très active en Iran et en Égypte. Les Allemands y dirigent des écoles techniques et agronomiques, ainsi que des médias, qui deviennent des lieux de propagation de l’antisémitisme nazi. Les Frères balayent le soufisme qui était certes minoritaire, mais très répandu et estimé au Maroc et en Égypte, par exemple. Ce sont des gens convaincus, prosélytes et déterminés. Partout où ils s’installent, au Moyen-Orient, au Maghreb et, à partir des années 1980, en Europe et en Occident, ils ont pour vocation de réislamiser les populations musulmanes sur un mode fondamentaliste.

Leur haine des juifs est-elle d’abord politique ou métaphysique ?

Ils ont une vision paranoïaque et complotiste du monde. Ils pensent très sincèrement que l’objectif de l’Occident, c’est de détruire l’islam et que cette volonté est manipulée par les juifs. Une anecdote illustre clairement cette paranoïa. En 1949, Sayyid Qutb se trouve au Colorado, où on l’a envoyé étudier, et le soir de l’assassinat de Hassan Al-Banna par la police politique du roi Farouk, il voit dans la rue les Américains qui crient victoire et s’embrassent. Il est persuadé qu’ils célèbrent la mort d’Al-Banna, dont aucun Américain ne connaît le nom. Il y avait peut-être eu un Superbowl ! Et ça continue. Sur la page Wikipédia « Gaza », on lit que, dans les années 1920, les juifs essayaient d’empoisonner les puits.

Puis la création d’Israël est un nouveau défi pour les Frères…

Leur projet, c’est la reconstruction du califat islamique du Maroc au Pakistan. La place d’un État juif dans cet espace est inconcevable. Dès la guerre israélo-arabe de 1948, ils organisent des bataillons Frères musulmans qui sont décimés, parce qu’ils ne sont pas du tout préparés au combat. Mais ils ne savent pas encore quel discours adopter. C’est Navvab Safavi qui leur fournit un narratif en expliquant que la question israélienne concerne l’oumma entière. Tous les musulmans doivent combattre cette pustule juive, parce que la terre de Palestine est un bien sacré de l’islam.

Comment les Israéliens se sont-ils laissés prendre à de beaux discours, y compris ceux de Yahya Sinwar dont vous racontez comment il a joué les repentis ?

C’est une vraie question. Quand je parlais avec des Israéliens, ou d’ailleurs avec des Égyptiens, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas du tout à qui ils avaient affaire. Ils voyaient le Hamas comme un mouvement nationaliste palestinien, sans comprendre les Frères musulmans et leur projet. Du reste, en France, la même naïveté a prévalu. Les Frères musulmans, qui s’installent en France à partir de 1980, sont habillés en costume-cravate, paraissent respectables, ils ont des diplômes. On leur déroule le tapis rouge.

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Le Hamas s’est imposé par la violence à Gaza. Y a-t-il eu des alternatives étouffées ?

Une seule fenêtre s’est brièvement ouverte après les accords d’Oslo. Mais ni Arafat ni le Hamas ne toléraient la contestation, donc s’il y avait des oppositions, elles ont été bâillonnées ou éliminées. En réalité, chaque fois qu’une opposition naît au sein du mouvement national palestinien, elle n’est pas plus démocratique, mais toujours plus radicale. En 2010, je me trouvais à Gaza et j’ai découvert l’existence d’une opposition armée au Hamas : c’était Al-Qaïda.

La singularité française, c’est l’existence d’un parti de gauche qui a quasiment épousé la cause frériste. L’opportunisme électoral est-il vraiment la seule explication ?

Ça a commencé comme ça, puis c’est devenu non seulement une conviction, mais une idéologie islamo-gauchiste, puis antisémite. Dans la deuxième partie de mon livre (les « idiots utiles »), j’essaie de comprendre cette dérive.

Elle reste en partie mystérieuse. Mélenchon fustigeant « nos ennemis » devant le cercueil de Charb, c’était il y a dix ans.

Oui, il s’en prenait aussi aux filles voilées. Cette cohérence bascule à 180 degrés après Charlie Hebdo. Il s’agit d’abord de faire voter les banlieues en tapant sur les « sionistes ». Il y a aussi le ressentiment de Mélenchon. Il était le plus sioniste de la gauche du PS. Or, pendant la manifestation en hommage à Mireille Knoll, il doit être exfiltré alors que le RN peut manifester. Il se sent trahi par les juifs. À partir de là, il va de plus en plus loin dans les signes envoyés. Enfin, la sédimentation idéologique s’opère lors du passage du Front de gauche à LFI. Arrive une nouvelle génération de jeunes façonnés dans le militantisme antisioniste, qu’ils soient issus du féminisme radical, des black blocks ou du décolonialisme. Ils donnent le la.

La France s’habitue-t-elle à l’antisémitisme ?

Il y a une certaine indifférence. Le 7 octobre 2023, j’appelle ma production, où ne travaillent que des femmes charmantes dénuées de tout antisémitisme. Je suis stupéfait par leur réaction. Elles me plaignent, parce qu’elles savent que je suis Juif, mais ne se sentent absolument pas concernées.

Beaucoup de Français pas du tout antisémites ne voient pas qu’ils sont attaqués par les mêmes ennemis qu’Israël et, dans le fond, le sort des juifs n’est plus vraiment leur affaire.

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Pourrait-on assister à la deuxième disparition du monde juif européen (cette fois par l’exil) ?

C’est en cours. Le nombre de juifs en Europe, et surtout en France, diminue d’année en année. J’ai assisté à la naissance de ce phénomène quand j’étais enseignant en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, entre 2000 et 2004. En 2000, l’Intifada al-Aqsa provoque une brève explosion de fièvre antisémite, une quinzaine de jours. Juste après, le 11-Septembre suscite chez nombre de jeunes une adhésion enthousiaste. Mes élèves noirs sont sous le charme de Dieudonné et mes élèves musulmans sous celui de Tariq Ramadan. Et je vois mes élèves juifs quitter le public pour des écoles juives. Dans la foulée, les petites classes moyennes blanches qui vivaient dans ces quartiers partent aussi. Lorsque j’étais tout jeune prof, toutes mes élèves musulmanes avaient une meilleure amie juive. Une fois les juifs disparus du quartier, ces derniers deviennent un fantasme. On ne les fréquente plus, on ne vit plus avec eux, ce qui laisse libre cours à une fantasmagorie bassement antisémite ou complotiste.

La chute du niveau encourage ce complotisme, qui est acclimaté par les familles mais aussi par toute une clique d’associatifs, médiateurs et autres militants subventionnés.

La baisse du niveau scolaire, continue depuis quarante ans, est une donnée fondamentale. Elle favorise la prédation intellectuelle de pédagogues sociologisants qui ont la main sur certains ouvrages scolaires. Les classes générales sont relativement épargnées, mais dans les classes techniques et professionnelles, où les élèves sont très majoritairement noirs et arabes, on leur serine du matin au soir qu’ils sont des victimes, qu’on les discrimine, que la France est raciste. Un jour, je surveillais le bac français dans une classe technique. On leur avait donné à analyser Lily de Pierre Perret. Très jolie chanson, mais quand ces élèves entendent qu’« une blanche vaut deux noires », cela les conforte dans leurs certitudes victimaires. Quelle est l’intention qui se cache derrière ce choix ?

Omer Wenker, prisonnier israélien, est libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, le 22 février 2025 à Rafah, dans la bande de Gaza. Chaque libération d’otage est précédée d’une cérémonie humiliante, soigneusement orchestrée par le Hamas © Mohamed Ashraf/UPI/Newscom/SIPA

En tout cas, en Europe et dans le monde arabe, le frérisme et l’antisémitisme semblent en passe de gagner la bataille des esprits et des cœurs musulmans. Résultat, tout processus démocratique dans un pays islamique a des chances d’amener des islamistes plus ou moins fanatisés au pouvoir…

On a une vision complètement délirante du monde arabe et de la démocratie. La démocratie ne consiste pas à mettre un bulletin dans l’urne. Dans un pays comme l’Égypte, où un tiers de la population est analphabète, quel est le sens du vote ? Toute une population est captive pour le clientélisme des Frères musulmans, qui sont très populaires, car ils font office de sécurité sociale : l’aide sociale, le soin, l’assistance aux plus faibles, c’est ce qu’ils font depuis toujours. Si le pouvoir éradiquait les Frères musulmans, le pays sombrerait un peu plus dans la pauvreté, voire la famine et Al-Sissi le sait.

Cependant, certains pays musulmans comme le Maroc ou l’Arabie saoudite parviennent à enrayer la fixette judéo-israélienne.

Si vous le dites… En réalité, ces pays combattent l’influence des Frères musulmans plus que l’antisémitisme qui continue à prospérer. Dans beaucoup de pays arabes, l’opposition à l’islamisme est elle aussi fondamentalement antisémite et antisioniste. Ces pays peuvent basculer à tout instant.

Il y a aussi chez les Israéliens et chez les juifs des cinglés, des fanatiques, voire des gens animés d’arrière-pensées génocidaires… Faut-il redouter que leur influence s’étende ?

Oui, et c’est exactement ce que veut le Hamas. À chaque fois qu’une vague ouverture est apparue, le Hamas a envoyé quantité de bombes humaines sur les territoires israéliens. Et l’un des objectifs du 7-Octobre était d’enterrer la solution à deux États et d’ouvrir un boulevard à cette extrême droite qui pense que le territoire d’Israël est défini par le cadastre biblique et encourage des colons fondamentalistes.

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Il y a aussi une extrême droite non religieuse…

Il y a évidemment une volonté de revanche décuplée par le sadisme et le cynisme du Hamas. Mais aussi, il faut le reconnaître, un mépris endémique des Arabes qui remonte à loin. Chez les juifs orientaux, c’était sur le mode « nous, on les connaît ». Avec l’arrivée de populations russes et est-européennes qui avaient baigné dans une forme de racisme culturel, ça s’est radicalisé. Certains n’ont aucun scrupule à dire qu’il faut exterminer les Arabes.

Et Trump les caresse dans le sens du poil en leur faisant miroiter un illusoire déplacement massif de population…

Veut-il flatter les extrémistes israéliens ou la branche dure du mouvement chrétien américain ? En tout cas, c’est une idée parfaitement absurde. Si vous voulez faire tomber les régimes en Égypte et en Jordanie – deux pays qui ont fait la paix avec Israël –, et y amener au pouvoir des Frères musulmans, vous n’avez qu’à envoyer à chacun 900 000 Palestiniens. Même en balayant toute considération morale, c’est un risque faramineux. En revanche, il est clair que les deux États, c’est fini. Cette vieille lune n’a plus cours que dans l’esprit des Européens.

Michaël Prazan, La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, L’Observatoire, 2025.

Résilience et couteau suisse

Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.


Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.

Parer à toute éventualité

D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…

Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.

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En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.

« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.

Résilience

Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.

Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…  

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Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .


Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737),  Les Fêtes d’Hébé ou  Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans. 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.  

Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ;  mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ».  Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…

La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.

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Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.

Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.

Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.  

A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr

Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…  


Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau.  Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion  Durée :2h40

Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025


Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr

« La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée

L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants. 


L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.

Un ouvrage d’apparat

La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.

Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.

La seule grâce d’un baiser

Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.

Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.

Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.

Comme une curiosité d’un autre âge

En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.

Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.

Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.  

Un Versailles à la russe

Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI.  On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.

Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.

Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.


La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.

Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.

À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.

Le droit du sol est-il vraiment un « principe fondamental » de la République, comme l’affirmait François Hollande ?

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La police et les CRS évacuent des migrants clandestins de la Gaité lyrique, Paris, 18 mars 2025 © SLEMOUTON/SIPA

Et quoi qu’il en soit, ne devrait-on pas aussi parler de « devoir du sol » de temps en temps ? Le droit du sol sans l’assimilation n’est que ruine de l’âme de la France…


La loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité soumettait son obtention, par les enfants nés de parents étrangers, à une déclaration de volonté motivée entre 16 et 21 ans. Les préfectures organisaient des cérémonies de naturalisation pour célébrer l’évènement avec solennité. Le texte passa avec succès le contrôle de constitutionnalité : le « Conseil des 9 sages » n’a pas élevé le droit du sol au rang d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Il estime que son instauration par la loi de 1889 confirmée en 1927, correspond à une mesure liée aux circonstances de l’époque avec la mise en place de la conscription (Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993). Revenue aux affaires en 1997, la gauche sous la férule d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, s’empressa d’annihiler le dispositif en restaurant l’automaticité du droit du sol qui prévalait antérieurement (loi du 16 mars 1998 modifiée). Désormais, en vertu des articles 21-7 et 21-11 du Code civil, tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française dès sa majorité, ou de façon anticipée sur déclaration à partir de l’âge de 13 ans (au nom du mineur) et de 16 ans.

Invité sur BFMTV le 9 février 2025, et contre la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’ancien président de la République, François Hollande, qualifia le droit du sol comme étant un des « principes fondamentaux de la République », alors que le Sénat doit le 25 mars 2025 débattre sur la question du rallongement de la durée de résidence de parents étrangers à Mayotte pour qu’un enfant puisse acquérir la nationalité française.

Mayotte convoque dans le débat la question de la nationalité

La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, visant l’objectif de lutter contre l’immigration venue des Comores, déroge aux articles précités du Code civil, et exige que l’un au moins des parents réside en France de manière régulière et interrompue depuis plus de trois mois (art. 2493 du Code civil). Le Conseil constitutionnel a validé cette disposition au motif que la différence de traitement instaurée tient compte des caractéristiques et contraintes particulières propres à Mayotte soumise à des flux migratoires conséquents (Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018).

À lire aussi : Immigration : convertir l’opinion publique au lieu de l’informer

On se souvient ensuite que le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel du projet loi Immigration-intégration du 26 janvier 2024. Étaient visés les amendements du groupe LR au rang desquels figurait l’article 81 de la loi qui prévoyait un durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers dans les territoires de la Guyane, de Saint-Martin et de Mayotte. Il était prévu, pour Mayotte, que les deux parents (un seul pour la Guyane et Saint-Martin) doivent avoir résidé régulièrement sur le territoire depuis un certain temps. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition pour des raisons de forme, en considérant qu’elle présentait le caractère d’un « cavalier législatif », sans lien direct avec le projet de loi. C’est évidemment contestable, mais il ne s’est pas prononcé sur le fond, au regard des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’indivisibilité de la République. La décision du 25 janvier 2024 ne semble pas amorcer un revirement de jurisprudence.

Anne-Marie Le Pourhiet1 précise que les lois concernant la nationalité française sont des lois de souveraineté qui ne peuvent varier d’une collectivité à une autre, et de s’étonner qu’un tel dispositif ait pu être validé par le Conseil constitutionnel. La professeure de droit public propose donc la suppression du droit du sol sur l’ensemble du territoire national.

Le droit du sol n’est pas consubstantiel à la tradition républicaine

Le journaliste Guillaume Perrault rappelle que « la Révolution fait dépendre la qualité de français, pour l’essentiel du droit du sang. Cette expression millénaire, héritée de l’Antiquité et du droit romain (jus sangunini), n’a rien d’agressif. C’est un principe juridique qui signifie que la citoyenneté repose sur la filiation […] », et montre « qu’après la défaite de 1870, les républicains sont décidés à faciliter l’accès à la nationalité pour astreindre les bénéficiaires au service militaire et grossir les effectifs de l’armée. […] Plutôt que le droit du sol, il serait plus exact et plus éclairant de parler de devoir du sol. »2 Si, tradition constitutionnelle il y a, elle repose sur un accès souvent aisé à la nationalité à condition de manifester une volonté d’assimilation « afin d’être digne d’obtenir la qualité de français, jugée hautement désirable » (article précité). Le concept d’immigration choisie est donc recevable. S’agissant de la naturalisation, autre mode d’acquisition de la nationalité, l’article 21-24 du Code civil énonce que « nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, […], et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. » Lorsque la volonté d’assimilation est gravement trahie, l’article 25 du même Code prévoit les possibilités de déchéance de la nationalité sauf si elle a pour effet de rendre l’individu apatride.

« Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation »

Cette formule de l’historien Jacques Bainville3 illustre la conception volontariste qui appelle un acte d’adhésion à ce qui fonde la personnalité de la nation. Or, « la culture c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre… En vidant une nation de sa culture on la condamne à mort » (Milan Kundera, Le Monde, 1979).

A lire aussi: Dans le mur de l’État de droit

Ernest Renan4 donne ses lettres de noblesse à une conception française de la nation dans la veine de la tradition républicaine : « Une nation est une âme, un principe spirituel […] le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis […]. L’existence d’une nation est un plébiscite de chaque jour […] Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l’œuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l’humanité. » Et de résumer ainsi : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion […] ». Cette définition fait écho à l’œuvre de la IIIème République. C’est elle qui créa l’école libre des sciences politiques en 1872 afin de répondre à la crise politique et morale qui frappait la France dans le contexte de la défaite de 1870. Sciences Po est devenue un défilé de keffieh sous l’égide du wokisme conspuant le récit national expulsé des programmes scolaires. C’est elle qui convoqua Jeanne d’Arc comme figure allégorique du récit national avant même que l’Église catholique ne la canonisât ! Les théories racialistes prônent à l’inverse, l’assignation identitaire. Sous prétexte de société inclusive, la France devient « un espace multiculturel ouvert à tous les vents », porté par « un taux d’immigration qui représente une rupture historique 5». L’entreprise d’anéantissement ou de cancel culture est menée tambour battant et avance sous la bannière de l’extrême gauche qui, avec ses idiots utiles, font régner un climat de « terrorisme intellectuel » en verrouillant la liberté d’expression (l’écran noir de C8), et en œuvrant à rendre la société française « charia compatible » selon l’expression de Florence Bergeaud-Blackler. L’invitation à l’Assemblée nationale, lancée par le député R. Arnault (LFI), au comité contre l’islamophobie en Europe issu du CCIF dissout en 2020, pour ses accointances avec la mouvance islamiste, témoigne de l’entrisme des Frères musulmans et de leurs relais, qui diffusent leur idéologie dans les clubs sportifs6, dans les écoles, collèges et lycées publics, au cœur des institutions européennes. La France est confrontée au repli identitaire et à la progression du fondamentalisme islamiste7 qui menacent son modèle civilisationnel. La journaliste Pauline Condomines8 montre, après avoir infiltré des collectifs de sans-papiers, comment les militants associatifs instrumentalisent les jeunes migrants non admis au statut de mineurs isolés, pour grossir le cortège des revendications indigénistes, en contrepartie, pour les plus actifs de ces migrants, d’une assistance dans leurs démarches de régularisation (voir par exemple l’épisode de l’occupation de la gaîté lyrique).

Le droit du sol sans l’assimilation n’est que ruine de l’âme de la France.

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  1. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  2. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  3. Le Figaro, Tribune, 13 mars 2025 ↩︎
  4. Ernest Renan, Qu’est qu’une nation, Conférence prononcée à la Sorbonne en 1882 ↩︎
  5. Jean Sévillia, Les habits neufs du terrorisme intellectuel, Perrin, 2025 ; Démographie en France : conséquence
    pour l’action publique de demain, note d’éclairage, Institut Montaigne, août 2023 ↩︎
  6. Médéric Chapitaux, Quand l’islamisme pénètre le sport, PUF, 2023. Le Sénat vient d’adopter le 18 mars 2025
    une proposition de loi visant à interdire le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une
    appartenance politique ou religieuse pendant les compétitions sportives organisées par les fédérations sportives,
    les ligues et leurs associations affiliées, ainsi que le détournement d’un équipement sportif, et impose le respect
    du principe de neutralité et de laïcité dans les piscines municipales. Pour rappel, le Conseil d’Eta a validé les
    statuts de la FFF qui prévoient l’interdiction des tenues et signes en question (CE 29 juin 2023), et a suspendu
    l’exécution du règlement intérieur des piscines municipales de Grenoble qui autorisait le « burkini » (CE 21 juin
    202). ↩︎
  7. Florence Bergeaud-Blackler, Le frèrisme et ses réseaux, Odile Jacob, 2023 ↩︎
  8. Pauline Condomines, Livre noir, L’enfer du décor ↩︎

Julien Moinil: tout est perdu mais il y a des hommes!

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Le procureur du roi de Bruxelles, Julien Moinil, photographié lors d'une conférence de presse concernant l'arrestation du criminel franco-italien Antonio Ferrara, le vendredi 28 février 2025, au siège de la police fédérale belge, à Bruxelles © Shutterstock/SIPA

Narcotrafic. Batman, surnom du nouveau procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil, mène une offensive contre le trafic de drogue et les fusillades qui gangrènent sa ville, multipliant les arrestations et affirmant sa détermination à rétablir l’ordre. Son action rapide et musclée surprend les narcotrafiquants, bien que les moyens de la police et de la justice belge demeurent insuffisants.


À Bruxelles, tout a changé. Il y a un nouveau procureur du Roi, Julien Moinil et l’accablement, la résignation se sentent moins chez eux dans cette capitale. Ce n’est pas au Salvador, c’est en Belgique, pas loin de chez nous. L’exemple n’est pas exotique ni offensant. Il est dans notre sphère, dans notre monde. On peut, on doit s’en inspirer.

Il confirme ce que j’ai toujours pensé, comme magistrat, comme chroniqueur, comme homme. Les personnalités où qu’elles soient, dans quelque espace que ce soit, dès lors qu’elles ont énergie, courage et volonté, seront plus fortes que les structures et vaincront ce que la réalité apparente aura de désespérant, de fatal. À condition, précisément, de se persuader et de persuader autour de soi que rien d’impossible ne vous sera opposé.

Sans frémir

Et qu’on ne nous rebatte pas les oreilles avec l’éloge du collectif comme si le propre de ces modèles professionnels et humains n’était pas d’agréger, autour de leur singularité, une pluralité fière de travailler sous leurs ordres.

Sans surestimer le tableau français, à considérer l’état de Bruxelles sur le plan de la sécurité et de la Justice, du palais de Justice à restaurer, des prisons surchargées à la faillite de la lutte contre les crimes et les délits les plus graves, de l’absence de moyens – la cour d’appel a été contrainte de suspendre ses jugements à partir du 10 mars – à l’incurie des politiques, qui aurait pu accepter sans frémir la haute fonction de procureur du Roi ?

Il fallait déjà un caractère, connaissant ce qui allait lui échoir, résolu à ne pas céder face à un réel apparemment implacable. Dès sa nomination, en janvier, dans ce poste prestigieux, Julien Moinil a affirmé que son équipe et lui allaient « y arriver » (Le Monde).

A lire aussi: Le métro bruxellois, symbole du déclin de la capitale belge

Avec une double ambition selon lui : « remettre d’aplomb le plus grand parquet du pays et rétablir l’ordre dans une ville gangrenée par la criminalité avec des métastases partout ». Et une double exigence : « assouvir sa passion de la vérité et protéger les autres ».

Julien Moinil n’est pas homme non plus à se satisfaire de promesses en l’air. Il a d’ailleurs déclaré, le 15 février, devant les parlementaires qu’il en avait « assez des effets d’annonce ». Une magistrate parisienne étonnée par sa liberté a observé qu’avec de tels propos l’ancien garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti l’aurait muté à Mayotte !

Arrestations en hausse

Depuis qu’il est procureur du Roi, les arrestations ont quadruplé. Deux mille en quelques semaines.

Cet « intrépide et infatigable bosseur » selon ses collègues, surnommé Batman, n’est pas un héros. À l’évidence il fait partie de ces quelques êtres qui, partout où ils sont, donnent le « la ». Alors que tout va mal, il ne se plaint pas, il ne parle pas, il ne commente pas. Il agit.

La conséquence immédiate pour les trafiquants qui se sont donné le mot sur leurs réseaux cryptés est qu’on « n’est plus à l’aise à Bruxelles, qu’on n’y est plus tranquille ».

Loin de moi, en écrivant ce billet sur ce très grand magistrat belge, de jeter une pierre dans l’univers de la magistrature française. Je suis contraint cependant de relever que cette dernière n’est plus portée ni incarnée par une ou plusieurs personnalités emblématiques même si malheureusement quelques remarquables magistrats demeurent peu connus ou sont noyés dans une ignorance générale ou une dérision facile. Le syndicalisme ne tente personne et ne fascine pas. Cette pente est d’ailleurs aussi celle du barreau pénal en France où il n’y a plus de « maîtres ».

Je souhaite bon vent à Julien Moinil. Rien n’est perdu puisqu’il est là.

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Dénégationnistes professionnels et dressage intellectuel

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Affiche de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon organise des marches samedi en France contre "l'extrème droite". DR.

Quand la vérité dérange, on l’appelle extrême droite. Avant toute chose, la France doit se libérer des enfumeurs, tonne notre chroniqueur Ivan Rioufol, qui dénonce depuis des années le conditionnement idéologique faisant l’éloge de l’immigration massive et d’une mondialisation prétendument « heureuse ».


Lutter contre l’immigration invasive, qui met en péril l’identité française, la sécurité publique et la démocratie libérale, oblige à lutter prioritairement contre la censure des idéologues : ils interdisent de s’exprimer comme je viens de le faire, sauf à être catalogué d’« extrême droite ». Pour eux, l’immigration n’est pas un sujet puisqu’elle est constitutive de la France.

A lire aussi: Sophia Chikirou, le « martyr » du Hamas et la chute de la maison Mélenchon

C’est ce dogme qu’avait exprimé Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, en déclarant le 19 septembre 2023 : « La question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Etre contre, c’est comme être contre le soleil ». Or ce dressage intellectuel, qui invite à applaudir au nouveau peuplement extra-européen, a ses influenceurs. Ils tiennent le haut du pavé, comme le rappelle la démographe Michèle Tribalat dans un texte mis en ligne mardi par Causeur. Initialement, cet article aurait dû faire partie d’un livre collectif, codirigé par Pierre Vermeren, Face à l’obscurantisme woke, qui devait être publié aux PUF (Presses universitaires de France). Sous la pression de Patrick Boucheron, du Collège de France, l’ouvrage a été déprogrammé in extrémis. Mais la contribution de Tribalat avait été elle-même exclue préalablement du projet, dans la crainte de déplaire à François Héran, également du Collège de France, dont elle dénonce les pratiques d’enfumage. Le crime de la démographe ?  S’attacher au réel et dénoncer les faussaires, en suivant l’analyse de Jean-François Revel : « L’idéologue désire non point connaître la vérité, mais protéger son système de croyance et abolir, spirituellement faute de mieux, tous ceux qui ne croient pas comme lui. L’idéologie repose sur une communion dans le mensonge impliquant l’ostracisme automatique de quiconque refuse de la partager. »

A lire aussi, Jean-Eric Schoettl: Dans le mur de l’État de droit

La première des menaces existentielles pour la France est portée par ces dénégationnistes professionnels, souvent dénoncés ici. Ils veulent faire plier le réel sous des concepts contredits par les faits. C’est ainsi, par exemple, que le racisme anti-blanc est nié par principe, les minorités ethniques devant être sacralisées. Cette technique de subversion totalitaire, décrite par Roger Muchielli dans les années soixante-dix[1], repose sur la désinformation et la propagande.  À l’époque, Muchielli invitait « les républiques, si elles ne veulent pas mourir, à entreprendre la contre-subversion » consistant à déceler les mécanismes visant à obtenir « l’apathie populaire ». Or cette résistance n’a pas été conduite à son terme. La France subit, plus que jamais, le terrorisme intellectuel des gardiens de la mondialisation heureuse et des sociétés ouvertes. Par le jeu des cooptations, cette caste monopolise les hautes sphères du monde intellectuel et médiatique, du Collège de France jusqu’au Monde en passant par Science-Po. La France Insoumise, qui appelle à manifester samedi à Paris « contre l’extrême droite, ses idées et ses relais », en ciblant nommément des personnalités y compris dans leur judéité (Cyril Hanouna), est le produit de cette tyrannie qui se perpétue.

A lire aussi, Arnaud Vrillon: Affiche “antisémite” de LFI: selon Mélenchon, c’est la faute à l’extrême droite!

Et Emmanuel Macron lui-même ne cesse de rejeter, pareillement, ses opposants dans le camp des « populistes », des « complotistes » ou de l’ « extrême droite ». La dernière lubie du gouvernement, dans le prolongement de l’infantilisation des citoyens par la peur, consistera à distribuer à tous un « manuel de survie » en cas de menaces contre la France. Mais ces apprentis-sorciers sont la vraie menace.

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[1] La subversion, Editions CLC (1976)

Tout ne va pas très bien, Madame la marquise!

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Rachida Dati, ministre de la Culture, accompagnée du photographe JR (à droite), a annoncé ce mardi 18 mars 2025, à la Villette, l’ouverture de « Freestyle Villette - Maison des cultures urbaines », prévue pour l’automne 2025. Ce lieu permanent, situé dans le parc de la Villette, visera à promouvoir les pratiques liées aux cultures urbaines (danse, musique, street art, sport urbain) © Chang Martin/SIPA

C’est une guerre! Pour défendre la langue française, l’AFRAV multiplie les actions sur tous les fronts: procès contre le Navigo Easy de Pécresse, contestation des plaques en écriture inclusive d’Hidalgo, opposition aux slogans publicitaires en anglais de l’UE, critique de l’intitulé de Rachida Dati France Music Week pour la fête de la musique… La bataille pour préserver notre langue est plus vive que jamais!


En cette semaine de la langue française, nous apprenons par l’Afrav (Association Francophonie Avenir) que deux procès pour défendre la langue française passent devant les juges de la Cour administrative d’appel de Paris.

L’une, opposant l’Afrav, depuis le 23 mai 2019, à la présidente du syndicat des Transports de l’île-de-France (Ile-de-France Mobilités), Madame Valérie Pécresse, en ce qui concerne la marque à connotation anglaise donnée au pass navigo : Navigo Easy. Une autre affaire oppose la même association, depuis le 30 décembre 2021, à Madame Anne Hidalgo, en ce qui concerne les inscriptions en écriture inclusive de deux plaques commémoratives mises en place à la mairie de Paris.

Les nouvelles guerres du français

Ajoutons qu’a été saisi, le 10 mars 2025, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lui demandant d’intervenir afin que l’UE cesse de signer ses publicités systématiquement en anglais. Exemple récent : le NEXT GEN EU qui a succédé au YOU ARE EU de mars 2023. Vient d’être saisi également, le 18 mars 2025, le directeur de l’Académie de défense de l’Ecole Militaire de Paris, afin qu’il abandonne l’appellation Paris DEFENCE AND STRATEGY FORUM-Europe at the cross roads. J’écris avec des italiques comme l’exige la police d’écriture.

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Pour rappel : le 4 mars, un collectif d’associations de la langue française a adressé à Madame Rachida Dati une lettre lui demandant pourquoi elle intitulerait la fête à venir de la musique, qui s’étalerait sur une semaine, France Music Week. Pourquoi pas Semaine musicale ? La semaine des Accords ? En avant la musique ? Est-ce qu’Emmanuel Macron, grand francophile devant l’Éternel, voudrait aligner le mot et la chose sur la Fashion week, au prétexte que la dénomination anglaise de ce carrefour musical mondial serait une bonne manière de faire connaître la musique française ? Tout comme, à l’Université, enseigner Proust en anglais fait mieux connaître La Recherche ? Jack Lang avait-il intitulé, en 1981, la journée de la musique : «  Music Day » ?

A l’heure guerrière que nous vivons, il est temps de s’armer, une bonne fois, pour la défense du français, garant de l’unité de notre pays. Oui, je sais, les mots guerriers ne plaisent pas, appliqués à notre langue. Le français, histoire d’un combat : tel était pourtant le titre d’un livre de Claude Hagège. Car le mot combat n’est pas un gros mot, c’est une réalité. Pas besoin de milliards ni d’avions mais de déployer sur le terrain, en tout, pour tout, les armes de l’usage, du bon sens, de l’unité, de la culture. Relire les ordonnances royales de Villers-Cotterêts, en date de 1539 — l’histoire de notre langue remonte à loin. Relire l’article 2 de la Constitution française : « La langue de la République est le français ». Relire et faire appliquer, stricto sensu, la loi Toubon. Enfin, surtout, soulever, une bonne fois, réellement, courageusement, le problème de notre langue en pleine déconfiture, qu’aucun homme politique n’aborde.

Le globish, voilà l’ennemi !

« L’école est gagnée par l’anglais comme les banlieues par la drogue » dit le président de l’Afrav. Il ne s’agit pas, pour « justifier » sa déstructuration et sa déliquescence, de dire et redire comme un perroquet, que le français a emprunté, emprunte et empruntera des mots aux langues avoisinantes : on le sait, depuis lurette, que certains mots viennent de l’anglais, de l’arabe, du gaulois non écrit, du germanique. Ainsi va la vie d’une langue. Là n’est pas la question mais de la colonisation du français par un anglais, lui-même dénaturé en globish fourre-tout, le tout, accompagné et conforté, par des borborygmes et un parler des banlieues qui est tout sauf un « enrichissement ». Il s’agit d’une soumission à la langue d’un « empire ». Le président de l’Afrav le dit encore : on parle de russification et jamais d’anglicisation et d’américanisation du français.

Le français est en recul à l’école et ailleurs. Entendons : la maîtrise d’une langue qui assure son usage, sa bonne santé et sa vitalité. Si personne ne voit le danger que pose la dénaturation du français, c’est que l’heure est grave.

À Sao Paulo, sans famille

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"Baby", un film de Marcelo Caetano, 2025 © Arthur Costa / Epicentre Films

Un mélo gay dans la mégalopole brésilienne. Parfois un peu trop complaisant, voire sordide.


À 18 ans, après deux ans de cellule pour mineur au Brésil, comment recommencer sa vie ? Ayant perdu la trace de ses parents –  de son père alcoolique et violent il garde pas mal de cicatrices sur son corps, et de sa mère dépressive le traumatisme d’une enfance difficile – , Wellington (dans le rôle, Joao Petro Mariano, lauréat d’un casting sauvage) se retrouve sans feu ni lieu. Il renoue dès lors avec son ancien univers queer – drag queens, performeurs de voguing…  – dans les quartiers interlopes de Sao Paulo, cette mégalopole de 20 millions d’habitants dont ce délinquant gay aux lèvres pulpeuses et au sourire de gosse connaît les ressources comme sa poche. Dans un ciné porno où le garçon et sa petite bande de folles sont entrés pour subtiliser leurs smartphones aux clients distraits, le hasard s’invite à lui sous la forme d’une rencontre avec le viril Ronado (Ricardo Teodoro), un dealer-prostitué d’âge mûr, qui le prend bientôt sous son aile, selon le mode du donnant-donnant, l’hébergeant dans son gourbi contre de menus services, comme de livrer la came à ses clients.  

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Bonne école de dissimulation, la prison a appris à Wellington, alias Cleber, à mentir sur tout, à commencer par son prénom. Finalement, ce sera « Baby ». S’ensuit, dans les marges de Sao Paulo, une romance farouche, assez crue, entre l’ainé et le cadet en quête de familles d’adoption, pour tenter de survivre entre drogue et prostitution. Un micheton des beaux quartiers s’éprend de Baby jusqu’à lui offrir des fringues et un iPhone, mais sur le point de l’emmener en voyage à la découverte de Rio, il le largue à l’instant même où il pige que son protégé est un gentil voyou.

« Baby », un film de Marcelo Caetano, 2025 © Epicentre Films

La relation heurtée, conflictuelle, avec l’égoïste et possessif Ronaldo, dessine un mélo que d’aucuns jugeront à la fois sulfureux et complaisant. Dans son réalisme brut, le second long métrage de Marcelo Caetano a pourtant le mérite de brosser un « portrait de ville » authentique, dans sa noirceur sordide autant que dans ses charmes vénéneux. Souvent tournés en caméra cachée dans son propre quartier, les extérieurs de Baby dévoilent les bas-fonds de la ville selon un vérisme quasi-documentaire. Il n’est pas indifférent que Marcelo Caetano, natif de Belo Horizonte et anthropologue de formation, ait travaillé naguère aux côtés de l’excellent cinéaste Kleber Mendonça Filho, dont le film Aquarius (2016) figurait quant à lui, sous le masque de la fiction, une remarquable peinture de la ville de Recife, suivi en 2019 par Bacurau, Prix du Jury à Cannes cette année-là, un très étrange thriller d’anticipation qui avait pour toile de fond le Sertao brésilien. Tous deux ont été distribués en France ;  on peut encore les trouver en DVD. Autant dire que Caetano a été à bonne école.            


Baby. Film de Marcelo Caetano. Avec Joao Pedro Mariano et Rirardo Teodoro. Brésil, France, Pays-Bas, couleur, 2024. Durée : 1h47

En salles le 19 mars

Royaume Uni: le parti de Nigel Farage sur le point de s’effondrer ?

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Nigel Farage s'exprimant lors de la conférence de presse de Reform UK, Londres, 17 mars 2025 © Jacqueline Lawrie/LNP/Shuttersto/SIPA

Lors des dernières élections générales outre-Manche, l’arrivée du nouveau parti de Nigel Farage, Reform UK, qui se positionne comme le rival populiste des Conservateurs, a divisé le vote à droite de l’échiquier et permis aux Travaillistes de remporter une victoire encore plus spectaculaire. Depuis, Farage poursuit son objectif de remplacer le Parti conservateur comme force d’opposition principale au socialisme. Pourtant, ses ambitions risquent soudain d’être contrecarrées par des dissensions au sein de son parti. Explications.


Le 7 juillet 2024, le Parti conservateur britannique a subi son pire résultat électoral de l’ère moderne. Après avoir obtenu une majorité de 80 sièges sous Boris Johnson lors de l’élection de décembre 2019, le nombre de députés conservateurs est passé de 365 à un misérable 121, soit le plus faible nombre de sièges remportés par le parti lors d’une élection depuis sa création officielle au début du XIXe siècle.

Cette performance électorale désastreuse s’explique facilement par l’exaspération évidente de l’électorat face aux querelles internes des conservateurs, combinée à la colère suscitée par l’abus des restrictions Covid par certains ministres, alors que la population respectait scrupuleusement la loi. Mais surtout, l’électorat a été profondément écœuré par l’incapacité totale des conservateurs à tenir leurs promesses après 14 ans au pouvoir, qu’il s’agisse de la réduction des inégalités territoriales ou de la gestion de la crise migratoire au Royaume-Uni.

Reform UK, la relève du Brexit Party

Cependant, bien que le résultat des élections ait permis au Parti travailliste d’obtenir une large majorité, il ne reflète pas un basculement massif vers la gauche. En réalité, de nombreux électeurs conservateurs de 2019 ont tout simplement abandonné leur parti, préférant voter pour le nouveau parti alternatif de droite, « Reform UK », ou tout simplement « Reform ».

Lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne en janvier 2020, le « Brexit Party » (Parti du Brexit), fondé par le « Monsieur Brexit » Nigel Farage, s’est en grande partie dissous, donnant ainsi naissance à Reform. Une fois le Brexit accompli, M. Farage estimait avoir atteint l’objectif politique de sa vie en faisant sortir la Grande-Bretagne de l’UE. Il s’est alors retiré de la politique active pour poursuivre une carrière plus lucrative dans le journalisme télévisé et s’est forgé une image médiatique en participant à l’émission de téléréalité I’m a Celebrity… Get Me Out of Here! (une sorte de Koh-Lanta à la britannique).

Pendant ce temps, l’ancien parti du Brexit s’est transformé en Reform UK et a commencé à recruter des adhérents. Lorsqu’en mai 2024, Rishi Sunak a convoqué des élections, le parti, sous la direction de Richard Tice, enregistrait régulièrement environ 16 % des intentions de vote.

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Se positionnant à droite de l’échiquier politique britannique, le parti a pour raison d’être de briser le monopole de ce qu’il appelle l’« uniparti » – la domination de la politique britannique par un consensus libéral entretenu par les gouvernements travaillistes et conservateurs successifs (l’équivalent de ce qu’on appelait en France « UMPS »).

Au début de la campagne électorale, tous les indicateurs suggéraient que, bien que Reform soit susceptible d’obtenir ses 16 % de suffrages – un score très honorable pour un jeune parti – il serait néanmoins désavantagé par le système électoral britannique, appelé « first past the post » ou scrutin majoritaire uninominal.

Le retour de Nigel Farage

Avec un œil sur son ami Donald Trump aux États-Unis et l’autre sur la possibilité de continuer à bouleverser le statu quo politique au Royaume-Uni, Nigel Farage était tiraillé entre deux voies : rester dans le journalisme ou revenir sur le devant de la scène politique. Après un spectaculaire revirement en 24 heures, Farage a choisi la seconde option. Il est ainsi revenu dans l’arène politique tout en s’installant lui-même à la tête de Reform, avec l’accord apparent du précédent leader, Richard Tice. Cette décision a secoué la campagne électorale, et Farage a essuyé quelques agressions, recevant un milkshake puis une brique lancée contre lui lors de deux incidents distincts.

Néanmoins, sa présence dans la campagne a considérablement renforcé les chances de Reform d’obtenir une représentation parlementaire. Ainsi, le 7 juillet 2024, Nigel Farage a été dûment élu à la Chambre des communes en tant que député de Clacton, une petite ville balnéaire du sud-est de l’Angleterre. Après quatre tentatives infructueuses pour entrer au Parlement, Farage avait enfin réussi. Il a également été rejoint par quatre autres députés : Richard Tice, Rupert Lowe, Lee Anderson et James McMurdock.

M. Lowe, un nouveau visage en politique britannique

Depuis les élections, l’un de ces cinq députés s’est distingué par ses performances parlementaires exceptionnelles, recevant des éloges de la part des commentateurs politiques de tous horizons pour ses discours, ses questions percutantes et son travail acharné : Rupert Lowe.

Rupert Lowe. DR.

M. Lowe n’est pas un homme politique de carrière. Diplômé d’un internat puis de l’université de Reading, cet homme d’affaires de 67 ans a commencé sa carrière dans le secteur financier, autrement dit la City, travaillant pour plusieurs institutions bancaires et siégeant au conseil d’administration du London International Financial Futures Exchange. Marié et père de quatre enfants adultes, il est aujourd’hui impliqué dans plusieurs affaires commerciales, notamment Alto Energy, une entreprise spécialisée dans la fourniture de pompes à chaleur géothermiques pour un chauffage efficace et bas-carbone, ainsi qu’un investissement dans Kona Energy, qui développe des projets de stockage d’énergie par batterie pour améliorer l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique.

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En tant qu’homme politique, il a attiré l’attention du public pour la première fois en septembre lors de son discours percutant à la conférence de Reform. Cette allocution, abordant des sujets tels que l’ingérence du gouvernement, l’économie, l’immigration et l’érosion de la liberté d’expression, a été très bien reçue par le public, au point qu’il a été considéré comme la vedette de l’événement, éclipsant ainsi Farage lui-même. Couplé à ses puissantes interventions parlementaires et à la manière éloquente dont il communique ses valeurs et aspirations pour la Grande-Bretagne à travers de nombreuses interviews et podcasts, cela a conduit de nombreux membres du mouvement Reform à le voir, plutôt que Farage, comme un futur Premier ministre du Royaume-Uni.

Après les élections, la popularité du nouveau gouvernement travailliste a baissé rapidement à cause de leurs premières décisions concernant l’économie et les impôts. Cela, en plus du charisme de Messieurs Farage et Lowe, a contribué à augmenter la popularité de Reform. Actuellement, les sondages d’opinion placent régulièrement Reform en seconde position, sinon en première.

L’interview qu’il ne fallait pas donner

Cependant, l’élan que Reform avait accumulé a été stoppé net. Dans une interview publiée dans le Daily Mail le 6 mars, Rupert Lowe a critiqué le leadership de Farage, qualifiant Reform de « parti de protestation dirigé par le Messie ». De telles critiques au sein du Parti Reform ne sont pas nouvelles. En effet, un ancien vice-président, Ben Habib, avait déjà exprimé des plaintes au sujet de la concentration de pouvoir dans le parti entre les mains de Farage. Par conséquent, il a été écarté de manière brutale.

Interrogé sur les déclarations de Lowe, Farage a immédiatement contesté les accusations de ce dernier, en suggérant qu’elles étaient motivées par ses ambitions politiques. Toutefois, les conséquences pour Rupert Lowe ne se sont pas arrêtées là. Le 7 mars – le jour suivant la publication de l’article – le parti a signalé M. Lowe à la police pour des menaces verbales proférées contre le président du parti, Zia Yusuf, en décembre 2024 et février 2025, et sa suspension du parti a été immédiate. De plus, le parti a nommé un avocat indépendant pour enquêter sur des allégations de harcèlement au sein du bureau parlementaire et de celui de la circonscription de M. Lowe. Depuis lors, il y a eu un enchaînement sans fin d’accusations et de dénégations, l’équipe parlementaire de M. Lowe publiant une déclaration qualifiant Lowe d’« homme décent et honnête ».

Les enquêtes susmentionnées sont encore en cours, mais quelle qu’en soit l’issue, l’avenir de Lowe au sein de Reform semble définitivement compromis. L’actuel vice-président, Richard Tice, a laissé entendre que la situation était devenue intenable. Le responsable de la discipline parlementaire de Reform a déclaré que le parti « ne peut pas fonctionner » avec Lowe comme membre en raison de son manque de coopération dans l’enquête sur son comportement. Les alliés de M. Lowe affirment que tout cela ressemble à un assassinat politique. Le chaos au sein du parti, suite à ce scandale, semble sans fin, avec des responsables locaux de circonscription démissionnant les uns après les autres.

Bien que cela profite également au Parti travailliste au pouvoir, les véritables vainqueurs seraient les Conservateurs. Ils se retrouvent face à une occasion en or : récupérer les électeurs qu’ils avaient perdus à cause de Reform en assimilant en partie la rhétorique et les politiques populistes de ce dernier. En auront-ils le courage ?

Michaël Prazan: « les Frères musulmans ont une vision paranoïaque et complotiste du monde »

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Michaël Prazan © Hannah Assouline

Dans La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, Michaël Prazan retrace l’histoire de la confrérie islamiste à vocation terroriste et pointe la naïveté des Occidentaux qui l’a laissé propager son idéologie mortifère et antisémite au nom de la « résistance » palestinienne. Selon lui, l’islamisme prospère partout où l’éducation régresse.


Causeur. Nous avons tous en tête le visage de deux petits rouquins et de leur mère, Kfir, Ariel et Shiri, suppliciés par leurs ravisseurs. Au-delà de l’effroi et de la rage, qu’est-ce qu’un connaisseur du Hamas comme vous a appris de cette tragédie ?

Michaël Prazan. Quel enseignement tirer d’un mouvement terroriste qui ment, use du sadisme comme politique et délivre des diplômes à des gens qui qu’il a brimés, torturés, affamés ? Quel enseignement tirer de l’assassinat à mains nues d’un nouveau-né ? De son visage arraché sur les murs de nos villes ? Je l’ignore, si ce n’est que le mal, l’inhumanité, existent, et que l’antisémitisme, dans sa forme génocidaire la plus pure, n’a pas disparu après la Shoah. Lors du pogrom de Iasi, les Roumains pendaient les bébés à des crocs de bouchers. Les Einsatzgruppen, les commandos mobiles de tueries nazis, jouaient au ball-trap en lançant les bébés en l’air avant de leur tirer dessus.

À Gaza, le frérisme est clairement djihadiste. Les Frères musulmans ont-ils toujours partie liée avec le terrorisme ?

Le terrorisme est consubstantiel au frérisme. Dès l’origine, en marge de son parti politique, Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, crée un « appareil secret ». C’est ce versant clandestin et terroriste, d’ailleurs en partie financé par le parti nazi en Allemagne, qui va perpétrer des attentats, assassiner des dirigeants politiques égyptiens, fomenter des pogroms dans les quartiers juifs du Caire, dès la fin des années 20. Rappelons que la Gamma al-Islamiya et Al-Jihad, les deux organisations qui ont fait assassiner le Président Sadate, sont nées au sein des Frères musulmans, de même, un peu plus tard, qu’Al-Qaïda.

L’alliance entre le Hamas sunnite d’un côté et, de l’autre, le Hezbollah et le régime iranien chiites peut sembler curieuse. À Téhéran, on n’aime guère Al-Qaïda qui a volé la vedette aux mollahs.

En réalité, des liens se sont tissés dans les années 1950 entre les Frères musulmans et une organisation islamiste chiite iranienne dirigée par Navvab Safavi. Les deux organisations fusionnent en 1954 au Caire. Un an plus tard, Safavi tente d’assassiner le Premier ministre iranien, il est arrêté et exécuté. Ses fidèles se trouvent un nouveau leader, dans la personne d’un ayatollah banni appelé Khomeini, qu’ils initient à la pensée de Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans égyptiens, lui-même pendu par Nasser en 1966. Pour Khomeini, c’est une révélation, à telle enseigne que, arrivé au pouvoir, il prend deux décisions : la première est de frapper un timbre à l’effigie de Sayyid Qutb, la deuxième, de transformer l’ambassade d’Israël en ambassade de Palestine parce qu’il comprend immédiatement que cette question est la plus fédératrice.

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L’antisémitisme accompagne l’islam depuis les origines, mais il y a eu aussi une cohabitation heureuse. Est-ce le frérisme qui change la donne et fait des juifs les ennemis prioritaires ?

En effet, pour la bonne raison que la première génération des Frères musulmans adhère à la propagande nazie très active en Iran et en Égypte. Les Allemands y dirigent des écoles techniques et agronomiques, ainsi que des médias, qui deviennent des lieux de propagation de l’antisémitisme nazi. Les Frères balayent le soufisme qui était certes minoritaire, mais très répandu et estimé au Maroc et en Égypte, par exemple. Ce sont des gens convaincus, prosélytes et déterminés. Partout où ils s’installent, au Moyen-Orient, au Maghreb et, à partir des années 1980, en Europe et en Occident, ils ont pour vocation de réislamiser les populations musulmanes sur un mode fondamentaliste.

Leur haine des juifs est-elle d’abord politique ou métaphysique ?

Ils ont une vision paranoïaque et complotiste du monde. Ils pensent très sincèrement que l’objectif de l’Occident, c’est de détruire l’islam et que cette volonté est manipulée par les juifs. Une anecdote illustre clairement cette paranoïa. En 1949, Sayyid Qutb se trouve au Colorado, où on l’a envoyé étudier, et le soir de l’assassinat de Hassan Al-Banna par la police politique du roi Farouk, il voit dans la rue les Américains qui crient victoire et s’embrassent. Il est persuadé qu’ils célèbrent la mort d’Al-Banna, dont aucun Américain ne connaît le nom. Il y avait peut-être eu un Superbowl ! Et ça continue. Sur la page Wikipédia « Gaza », on lit que, dans les années 1920, les juifs essayaient d’empoisonner les puits.

Puis la création d’Israël est un nouveau défi pour les Frères…

Leur projet, c’est la reconstruction du califat islamique du Maroc au Pakistan. La place d’un État juif dans cet espace est inconcevable. Dès la guerre israélo-arabe de 1948, ils organisent des bataillons Frères musulmans qui sont décimés, parce qu’ils ne sont pas du tout préparés au combat. Mais ils ne savent pas encore quel discours adopter. C’est Navvab Safavi qui leur fournit un narratif en expliquant que la question israélienne concerne l’oumma entière. Tous les musulmans doivent combattre cette pustule juive, parce que la terre de Palestine est un bien sacré de l’islam.

Comment les Israéliens se sont-ils laissés prendre à de beaux discours, y compris ceux de Yahya Sinwar dont vous racontez comment il a joué les repentis ?

C’est une vraie question. Quand je parlais avec des Israéliens, ou d’ailleurs avec des Égyptiens, j’avais l’impression qu’ils ne savaient pas du tout à qui ils avaient affaire. Ils voyaient le Hamas comme un mouvement nationaliste palestinien, sans comprendre les Frères musulmans et leur projet. Du reste, en France, la même naïveté a prévalu. Les Frères musulmans, qui s’installent en France à partir de 1980, sont habillés en costume-cravate, paraissent respectables, ils ont des diplômes. On leur déroule le tapis rouge.

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Le Hamas s’est imposé par la violence à Gaza. Y a-t-il eu des alternatives étouffées ?

Une seule fenêtre s’est brièvement ouverte après les accords d’Oslo. Mais ni Arafat ni le Hamas ne toléraient la contestation, donc s’il y avait des oppositions, elles ont été bâillonnées ou éliminées. En réalité, chaque fois qu’une opposition naît au sein du mouvement national palestinien, elle n’est pas plus démocratique, mais toujours plus radicale. En 2010, je me trouvais à Gaza et j’ai découvert l’existence d’une opposition armée au Hamas : c’était Al-Qaïda.

La singularité française, c’est l’existence d’un parti de gauche qui a quasiment épousé la cause frériste. L’opportunisme électoral est-il vraiment la seule explication ?

Ça a commencé comme ça, puis c’est devenu non seulement une conviction, mais une idéologie islamo-gauchiste, puis antisémite. Dans la deuxième partie de mon livre (les « idiots utiles »), j’essaie de comprendre cette dérive.

Elle reste en partie mystérieuse. Mélenchon fustigeant « nos ennemis » devant le cercueil de Charb, c’était il y a dix ans.

Oui, il s’en prenait aussi aux filles voilées. Cette cohérence bascule à 180 degrés après Charlie Hebdo. Il s’agit d’abord de faire voter les banlieues en tapant sur les « sionistes ». Il y a aussi le ressentiment de Mélenchon. Il était le plus sioniste de la gauche du PS. Or, pendant la manifestation en hommage à Mireille Knoll, il doit être exfiltré alors que le RN peut manifester. Il se sent trahi par les juifs. À partir de là, il va de plus en plus loin dans les signes envoyés. Enfin, la sédimentation idéologique s’opère lors du passage du Front de gauche à LFI. Arrive une nouvelle génération de jeunes façonnés dans le militantisme antisioniste, qu’ils soient issus du féminisme radical, des black blocks ou du décolonialisme. Ils donnent le la.

La France s’habitue-t-elle à l’antisémitisme ?

Il y a une certaine indifférence. Le 7 octobre 2023, j’appelle ma production, où ne travaillent que des femmes charmantes dénuées de tout antisémitisme. Je suis stupéfait par leur réaction. Elles me plaignent, parce qu’elles savent que je suis Juif, mais ne se sentent absolument pas concernées.

Beaucoup de Français pas du tout antisémites ne voient pas qu’ils sont attaqués par les mêmes ennemis qu’Israël et, dans le fond, le sort des juifs n’est plus vraiment leur affaire.

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Pourrait-on assister à la deuxième disparition du monde juif européen (cette fois par l’exil) ?

C’est en cours. Le nombre de juifs en Europe, et surtout en France, diminue d’année en année. J’ai assisté à la naissance de ce phénomène quand j’étais enseignant en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, entre 2000 et 2004. En 2000, l’Intifada al-Aqsa provoque une brève explosion de fièvre antisémite, une quinzaine de jours. Juste après, le 11-Septembre suscite chez nombre de jeunes une adhésion enthousiaste. Mes élèves noirs sont sous le charme de Dieudonné et mes élèves musulmans sous celui de Tariq Ramadan. Et je vois mes élèves juifs quitter le public pour des écoles juives. Dans la foulée, les petites classes moyennes blanches qui vivaient dans ces quartiers partent aussi. Lorsque j’étais tout jeune prof, toutes mes élèves musulmanes avaient une meilleure amie juive. Une fois les juifs disparus du quartier, ces derniers deviennent un fantasme. On ne les fréquente plus, on ne vit plus avec eux, ce qui laisse libre cours à une fantasmagorie bassement antisémite ou complotiste.

La chute du niveau encourage ce complotisme, qui est acclimaté par les familles mais aussi par toute une clique d’associatifs, médiateurs et autres militants subventionnés.

La baisse du niveau scolaire, continue depuis quarante ans, est une donnée fondamentale. Elle favorise la prédation intellectuelle de pédagogues sociologisants qui ont la main sur certains ouvrages scolaires. Les classes générales sont relativement épargnées, mais dans les classes techniques et professionnelles, où les élèves sont très majoritairement noirs et arabes, on leur serine du matin au soir qu’ils sont des victimes, qu’on les discrimine, que la France est raciste. Un jour, je surveillais le bac français dans une classe technique. On leur avait donné à analyser Lily de Pierre Perret. Très jolie chanson, mais quand ces élèves entendent qu’« une blanche vaut deux noires », cela les conforte dans leurs certitudes victimaires. Quelle est l’intention qui se cache derrière ce choix ?

Omer Wenker, prisonnier israélien, est libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Israël et le Hamas, le 22 février 2025 à Rafah, dans la bande de Gaza. Chaque libération d’otage est précédée d’une cérémonie humiliante, soigneusement orchestrée par le Hamas © Mohamed Ashraf/UPI/Newscom/SIPA

En tout cas, en Europe et dans le monde arabe, le frérisme et l’antisémitisme semblent en passe de gagner la bataille des esprits et des cœurs musulmans. Résultat, tout processus démocratique dans un pays islamique a des chances d’amener des islamistes plus ou moins fanatisés au pouvoir…

On a une vision complètement délirante du monde arabe et de la démocratie. La démocratie ne consiste pas à mettre un bulletin dans l’urne. Dans un pays comme l’Égypte, où un tiers de la population est analphabète, quel est le sens du vote ? Toute une population est captive pour le clientélisme des Frères musulmans, qui sont très populaires, car ils font office de sécurité sociale : l’aide sociale, le soin, l’assistance aux plus faibles, c’est ce qu’ils font depuis toujours. Si le pouvoir éradiquait les Frères musulmans, le pays sombrerait un peu plus dans la pauvreté, voire la famine et Al-Sissi le sait.

Cependant, certains pays musulmans comme le Maroc ou l’Arabie saoudite parviennent à enrayer la fixette judéo-israélienne.

Si vous le dites… En réalité, ces pays combattent l’influence des Frères musulmans plus que l’antisémitisme qui continue à prospérer. Dans beaucoup de pays arabes, l’opposition à l’islamisme est elle aussi fondamentalement antisémite et antisioniste. Ces pays peuvent basculer à tout instant.

Il y a aussi chez les Israéliens et chez les juifs des cinglés, des fanatiques, voire des gens animés d’arrière-pensées génocidaires… Faut-il redouter que leur influence s’étende ?

Oui, et c’est exactement ce que veut le Hamas. À chaque fois qu’une vague ouverture est apparue, le Hamas a envoyé quantité de bombes humaines sur les territoires israéliens. Et l’un des objectifs du 7-Octobre était d’enterrer la solution à deux États et d’ouvrir un boulevard à cette extrême droite qui pense que le territoire d’Israël est défini par le cadastre biblique et encourage des colons fondamentalistes.

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Il y a aussi une extrême droite non religieuse…

Il y a évidemment une volonté de revanche décuplée par le sadisme et le cynisme du Hamas. Mais aussi, il faut le reconnaître, un mépris endémique des Arabes qui remonte à loin. Chez les juifs orientaux, c’était sur le mode « nous, on les connaît ». Avec l’arrivée de populations russes et est-européennes qui avaient baigné dans une forme de racisme culturel, ça s’est radicalisé. Certains n’ont aucun scrupule à dire qu’il faut exterminer les Arabes.

Et Trump les caresse dans le sens du poil en leur faisant miroiter un illusoire déplacement massif de population…

Veut-il flatter les extrémistes israéliens ou la branche dure du mouvement chrétien américain ? En tout cas, c’est une idée parfaitement absurde. Si vous voulez faire tomber les régimes en Égypte et en Jordanie – deux pays qui ont fait la paix avec Israël –, et y amener au pouvoir des Frères musulmans, vous n’avez qu’à envoyer à chacun 900 000 Palestiniens. Même en balayant toute considération morale, c’est un risque faramineux. En revanche, il est clair que les deux États, c’est fini. Cette vieille lune n’a plus cours que dans l’esprit des Européens.

Michaël Prazan, La Vérité sur le Hamas et ses idiots utiles, L’Observatoire, 2025.

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Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.


Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.

Parer à toute éventualité

D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…

Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.

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En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.

« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.

Résilience

Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.

Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…  

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Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

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"Samson" © S. Brion

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .


Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737),  Les Fêtes d’Hébé ou  Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans. 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.  

Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ;  mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ».  Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…

La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.

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Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.

Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.

Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.  

A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr

Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…  


Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau.  Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion  Durée :2h40

Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025


Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr

« La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée

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LA BELLE AU BOIS DORMANT (R. NOUREEV), Marine Ganio, Antoine Kirscher © Agathe Poupeney OnP

L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants. 


L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.

Un ouvrage d’apparat

La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.

Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.

La seule grâce d’un baiser

Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.

Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.

Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.

Comme une curiosité d’un autre âge

En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.

Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.

Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.  

Un Versailles à la russe

Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI.  On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.

Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.

Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.


La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.

Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.

À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.