Dans un monde où les hauts fonctionnaires rivalisent de servilité, Christophe Kerrero, en envoyant sa démission de Recteur de Paris au visage d’Amélie Oudéa-Castéra, ministre par le fait du Prince, a montré que dans les plus hautes sphères subsistaient des hommes intègres et capables, affirme notre chroniqueur, d’une pensée cohérente sur l’Ecole.
Début février 2024, j’avais expliqué pourquoi Christophe Kerrero avait choisi d’abandonner son beau logement de fonction de la Sorbonne, où le portrait en pied de Richelieu par Philippe de Champaigne le contemplait. Et comment, dans le même temps, Amélie Oudéa-Castéra, l’une des ministres les plus incompétentes jamais entrées rue de Grenelle (et la concurrence est rude) était, elle, restée en place : c’est tout simple, elle est sortie en 2004 de l’ENA, promotion Senghor, la même qu’Emmanuel Macron. Tout comme Hollande a favorisé la Promotion Voltaire — celle de Ségolène Royal et de sa « bravitude », celle aussi de Dominique de Villepin, l’homme qui aime Gaza, déjà dans les starters-blocks pour 2027.
Ainsi se forme et se recrute la Caste, en France : copinage sans souci de compétence. Dis-moi de quelle école tu sors, et je te nomme à l’Educ-Nat’ — ou aux Sports, eu égard à ta connaissance de la raquette de Gustavo Kuerten.
C’est pour avoir voulu mettre un peu d’air dans le vivier resserré des élites auto-proclamées que Kerrero s’est fait taper sur les doigts. Et lui qui avait imposé dans les écoles parisiennes une méthode alpha-syllabique, qui avait le projet de monter des prépas pour former les futurs professeurs des écoles — afin de leur épargner des formations annexées par les pédagos —, et qui avec la réforme Affelnet avait infiltré les grands lycées parisiens, cénacles de l’entre-soi, avec des élèves méritants issus des classes les moins favorisées, s’est senti désavoué par cette grande bourgeoise qui, comme ses semblables, pense que l’excellence académique est réservée aux enfants de ses amis (elle appartient à la tribu des Duhamel), aussi nuls soient-ils.
(Parenthèse : c’est avec le même raisonnement que les Anglais ont laissé Kim Philby, espion soviétique, monter pendant 25 ans dans la hiérarchie du MI6 — juste parce qu’il était le fils d’un ex-espion passé lui aussi par le Trinity College de Cambridge. Nous, nous avons l’ENA, nid de grandes incompétences qui n’ont pas pour l’état de la France le respect que l’on pourrait attendre).
Kerrero est né loin de la Caste. Il s’est même payé le luxe, raconte-t-il avec humour, d’être un cancre indécrottable — jusqu’à ce qu’il passe l’agrégation de Lettres. Il s’est dès lors mis au service de cette République à qui il devait tout, sans vouloir se mettre aux ordres des intérêts politiques et financiers auxquels nos Excellences sont dévouées.
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Son livre, L’École n’a pas dit son dernier mot, est le récit de ce combat. Ex-directeur de Cabinet de Blanquer, il connaît de l’intérieur les adversaires de l’École — et de la République. Il est significatif que le pouvoir laisse sur la touche les vraies compétences, en se repliant, comme disait jadis Michel Poniatowski, sur les copains et les coquins. On ne devient pas ministre avec l’intention de pantoufler rue de Grenelle. On ne reste pas recteur quand la Caste vous a repéré comme un trublion capable d’égratigner Stanislas ou Henri-IV, ces pépinières de l’excellence morne.
Ce livre est un hymne à la méritocratie républicaine, au besoin d’amener chacun au plus haut de ses capacités (et non à son point d’incompétence) et à la sélection des meilleurs. Que de résistances, à droite et à gauche ! Interviewé il y a quelques jours par Christine Kelly, Kerrero, tout en mesure, a dû expliquer à des journalistes de droite anxieux de l’apprendre, qu’il y a des gosses intelligents qui ne sont pas nés avec une cuiller en argent dans la bouche (c’est là, à la 39ème minute) : avec des débatteurs pareils, nous ne sommes pas sortis de gouffre où leurs pareils, de droite et de gauche, nous ont entraînés, à force de préserver les droits des plus nuls de leurs rejetons. Nous ne pouvons pas nous passer des talents réels, méprisés aujourd’hui par la Caste qui méprise 70 millions de Français.
Christophe Kerrero, L’Ecole n’a pas dit son dernier mot, Robert Laffont, mars 2025, 358 p.
L'école n'a pas dit son dernier mot - Le coup de gueule d'un recteur qui refuse de baisser les bras
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