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Jugée au nom du peuple, vraiment ?

Marine Le Pen aurait pu ne pas être condamnée pour détournement de fonds publics… c’est écrit dans la Constitution ! Mais les juges en ont fait une autre lecture. Les explications de l’avocat Pierre-Henri Bovis.


Il n’est pas ici question de savoir si Marine Le Pen doit être condamnée pénalement des faits reprochés, mais si cette condamnation doit la priver de représenter une partie du peuple à la prochaine élection présidentielle, contre l’extrême réserve du Conseil constitutionnel. N’avons-nous pas porté sur les bancs de l’Assemblée nationale des individus fichés S pour leurs actes de violence, d’anciens dealers revendiqués, ou toléré des candidats visés pour apologie du terrorisme ? Cette réalité est peut-être moralement regrettable mais conforme à l’esprit de la Constitution. Dès lors, il est évident qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire aux plus hautes fonctions a un caractère disproportionné et censure la liberté de l’électeur.

Il est toujours utile de se remémorer la Constitution du 4 octobre 1958 et son esprit, laquelle prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par leur représentant ou par la voie du référendum ». Le sens de cette disposition voulue par le général de Gaulle et Michel Debré consiste à affirmer que seul le peuple français décide librement et souverainement du destin de la nation.

D’ailleurs, si un temps la justice fut rendue par délégation du roi qui disposait du pouvoir divin, celle-ci est rendue désormais dans notre République « au nom du peuple français ». Il est donc cocasse que le tribunal correctionnel ait pu considérer que c’est au nom du peuple français qu’il doit être retiré au dit peuple le pouvoir de se prononcer dans les urnes…

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Transparence et inéligibilité à gogo: faut-il un casier vierge pour gouverner?

Cette hérésie judiciaire a été malheureusement rendue possible par l’excès de zèle des parlementaires, majoritairement de gauche, qui, soucieux d’être dans l’ère du temps de l’ultra-transparence et de la sacro-sainte probité, ont prévu une peine d’inéligibilité dès 1992 et y ont assorti un caractère « obligatoire » par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, laissant au juge la possibilité d’y déroger par une décision motivée. Un espoir bien ambitieux et éloigné de la réalité judiciaire. Il sera relevé toutefois que les élus LR, UDI et les deux élus FN de l’époque ont voté ou se sont abstenus lors du vote de la loi dite « Sapin 2 ». Les élus socialistes, à l’unisson, ont permis l’adoption de ce texte pour se purifier et faire œuvre de repentance après l’affaire dite « Cahuzac ».

La latitude laissée aux juges pour apprécier de l’application de cette peine complémentaire fait courir le risque inéluctable de sélectionner les candidats à se présenter aux élections et d’écarter les indésirables sur des motifs nécessairement subjectifs et éminemment critiquables. C’est d’ailleurs pour prévenir « un éventuel trouble à l’ordre public constitué par la candidature de Marine Le Pen aux prochaines élections présidentielles » que cette inéligibilité avec exécution provisoire a été prononcée et motivée… Les magistrats deviennent les garants de l’ordre moral et ont ce pouvoir quasi divin de dire qui peut, ou non, se présenter au suffrage universel.

Surtout, le caractère excessif de la peine accessoire tend à faire oublier la raison de la condamnation de Marine Le Pen, de son parti et de plusieurs de ses collègues élus.

Car si le jugement est largement critiquable sur les peines accessoires prononcées, il l’est tout autant sur la peine principale. L’intérêt ici n’est pas de faire de la moraline nietzschéenne, ni de dire si les actes commis, ou non, par le RN et ses membres, sont bien ou mal. La question est de savoir dans quelle mesure des parlementaires, nationaux ou européens, peuvent faire l’objet d’une condamnation pour détournement de fonds publics, nonobstant les interprétations très contestables de la Cour de cassation en cette matière.

Cette infraction est en effet définie à l’article 432-15 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. »

Pour condamner un parlementaire de ce chef, il reviendrait donc à le considérer, soit dépositaire de l’autorité publique, soit chargé d’une mission de service public.

Or, selon l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement. Ils ne sont rattachés à aucune administration, ne sont dépositaires d’aucune autorité publique, ne sont dotés d’aucune prérogative de puissance publique et il n’existe aucun contrôle des objectifs atteints ou non de leur mission, par une quelconque autorité, si ce n’est le peuple souverain au moment des élections.

La Cour de cassation a d’ailleurs considéré[1], s’agissant des partis politiques que :

« (…) les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage et jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, le principe de la liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme investis d’une mission de Service public »

Cette définition correspond également à celle des parlementaires dont l’élection est bien le résultat de l’expression du suffrage universel, quand bien même ces parlementaires ne seraient pas issus nécessairement d’un parti politique. Leur candidature « concourt à l’expression du suffrage et joue un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie ».

A lire aussi, Philippe Bilger: La magistrature: indépendante ou responsable?

Pourtant, dans un objectif non dissimulé de moraliser la vie publique, les hauts magistrats ont détorqué les définitions pourtant constantes du Conseil d’État de la notion de service public pour considérer qu’un parlementaire « accompli des actes ayant pour but de satisfaire l’intérêt général, ce qui revient à considérer qu’il remplit une mission de service public »… Or, il y a lieu de souligner là aussi la contradiction flagrante avec la doctrine administrative, laquelle considère que « la mission d’intérêt général n’est pas inéluctablement une mission de service public alors que la mission de Service public est nécessairement une mission d’intérêt général »…

Judiciariser la vie publique en laissant l’institution judiciaire pénétrer l’hémicycle et contrôler l’action politique est dangereux pour notre démocratie et donne la possibilité au juge d’interpréter les textes de loi au détriment de l’esprit du législateur -ce que le professeur de droit Edouard Lambert dénommait « le gouvernement des juges ». Un parlementaire serait donc soumis au contrôle du juge de l’utilisation de son indemnité, des sommes allouées à ses assistants et donc plus globalement à l’effectivité et la réalité de sa mission législative. 

Or, n’est-ce donc pas le rôle des institutions, à travers leurs règlements, de contrôler l’affectation des fonds et leur utilisation ? Que penser d’un magistrat ayant la compétence de solliciter la communication des agendas des élus, de leurs notes écrites et rédigées, des projets de loi en cours de rédaction, des éventuels rendez-vous avec d’autres partis politiques ? Quelle serait la limite et l’échelle de notation pour juger d’un travail effectif ou non d’un parlementaire ? Les dérives judiciaires sont trop importantes et font courir un risque inéluctable de pointer du doigt des décisions davantage politiques que juridiques, dans un temps où certains magistrats s’adonnent à des activités militantes.

S’il n’est pas audible de faire état de ces réflexions, celles-ci sont pourtant saines et nécessaires pour redéfinir le cadre législatif et le statut sui generis du parlementaire, dès lors que nous psalmodions inlassablement que nos élus ne sont ni en dessous, ni au-dessus des lois…


[1] Civ. 1ère chambre, 25 janvier 2017, n° 15-25.561

Jean-Marie Rouart: la justice à l’épreuve des mots

Dans son nouveau livre, l’Académicien s’engage pour une justice plus humaine


Depuis quelques livres, que nous avons eu plaisir à lire, comme Mes révoltes (2022), Jean-Marie Rouart, sans renoncer bien sûr au roman, a opté de manière intermittente pour la veine autobiographique, distillant ainsi au fil de la plume les souvenirs d’une carrière d’écrivain qui fut riche et intense. Chemin faisant, le lecteur de Rouart se rend compte que le journalisme a été (il l’est moins aujourd’hui) une activité, et même une passion, très importante pour lui. Avant de diriger, comme on s’en souvient, le Figaro littéraire, Rouart s’occupait de ce qui touchait à la justice. Il repérait déjà les affaires intéressantes, et n’hésitait pas à rédiger des articles quasiment « militants ».  Ainsi, longtemps avant de prendre la défense du jardinier marocain Omar Raddad, il intervenait en juin 1969 pour soutenir Gabrielle Russier, cette enseignante amoureuse d’un de ses élèves. Déjà, Jean-Marie Rouart était révolté contre l’injustice, au point même de heurter la morale rigoriste de ses supérieurs hiérarchiques, et de devoir démissionner du Figaro.

La réflexion de toute une vie

Aujourd’hui, il consacre un livre tout entier, Drôle de justice,à cette question. Il y a rassemblé les réflexions de toute de sa vie : « loin d’avoir, écrit-il, connu la justice sous une forme platonique, je l’avais approchée de près comme journaliste, et même de plus près encore comme inculpé et condamné dans une fameuse affaire judiciaire, celle d’Omar Raddad ». Rouart possède une légitimité indiscutable à entrer dans le vif du sujet. Il raconte brut de décoffrage ce qu’il a observé. Il revient également, ce qui ne manque pas d’intérêt, sur ses rencontres, traçant des portraits piquants et insolites, comme celui de l’avocat Jacques Vergès, dont il écrit : « Anticonformiste, anarchiste, il comprenait que le désordre était une aspiration légitime à bouleverser un ordre toujours, pour lui, fondé sur l’injustice. » Au passage, Rouart nous décrit le Jean d’Ormesson qu’il a connu au Figaro à une époque lointaine, et qui était déjà tel qu’en lui-même, c’est-à-dire sceptique et épicurien : « il m’enviait une liberté vis-à-vis de la société que l’homme du monde en lui, modelé dans une tradition aristocratique de discrétion, ne s’accordait pas ». En une demi-phrase, tout est dit.

A lire aussi: Jean-Louis Porchet: le producteur et l’injustice

L’apport de la littérature

Point fort de cet essai : Jean-Marie Rouart n’oublie jamais la littérature, où il a puisé la meilleure partie de son savoir. Par conséquent, cet intérêt pour la justice et la manière dont elle est rendue par les hommes lui vient avant tout des livres. Il s’attache, dans Drôle de justice, à creuser cette idée : « Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n’ont cessé de me troubler. » Rouart choisit de nombreux exemples, en particulier celui de Tolstoï, auteur d’un roman essentiel, Résurrection, qu’on lit certes moins que Guerre et Paix. Rouart reprend à son compte la conviction de Tolstoï, qui fut aussi celle de bien des écrivains, à savoir une permanence de « la part de responsabilité de la société dans le crime ». On parle de justice là où, souvent, c’est l’injustice qui se manifeste par des voies tortueuses. Rouart indique donc le rôle de révélateur de la littérature, dans cette prise de conscience : « Ce que montre la littérature, constate Rouart, c’est qu’avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu’elle veut perdre. » Comment ne pas lui donner raison, dans le droit fil d’un chef-d’œuvre comme Résurrection ? Certes, Jean-Marie Rouart, en optant pour cette défense et illustration de la littérature, paraîtra peut-être bien isolé, en des temps où les lecteurs ne se bousculent plus pour lire Résurrection.

Une œuvre dramatique inédite

Dans une deuxième partie de son livre, Jean-Marie Rouart nous présente une pièce de théâtre inédite qu’il a écrite pour conforter sa critique de ce qu’il appelle cette « drôle de justice ». C’est une tragi-comédie en trois actes, écrite avec rigueur et sans effets de style, qui a pour personnage principal un vieux magistrat. L’ambition littéraire de Jean-Marie Rouart, dans cet « apologue », est de montrer, comme il le dit, « la vérité toute nue ». N’est-ce pas ce que l’on poursuit lorsqu’on cherche à rendre la justice ?

On appréciera, dans ce livre de Jean-Marie Rouart sur la justice comme il la voit, la diversité des approches, au service d’un propos jamais dogmatique, mais très convaincant, car très humain. Le bon sens est privilégié, de même que la juste mesure des solutions à apporter. Rouart rappelle que la justice est affaire, non seulement de droit positif, mais aussi de culture. Et donc éventuellement, dans le monde judéo-chrétien, de compassion. Tout ceci se retrouve dans les grands livres que nous avons reçus en héritage, annonce Jean-Marie Rouart. C’est en ce sens que son message mérite d’être entendu à la fois du législateur, du juge et du citoyen, dans le but d’édifier peut-être un jour, grâce à une grande réforme, une justice moins arbitraire.

Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, essai suivi d’une pièce en trois actes. Éd. Albin Michel, 173 pages.

Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Vivons-nous sous le gouvernement des juges? Céline Pina et Eliott Mamane reviennent sur le cas de Marine Le Pen. Le jugement prononcé contre elle prétend affirmer un des principes de base de la démocratie et de l’Etat de droit, à savoir l’indépendance de la justice. Pourtant, le jugement sape ce principe par la dimension politique que les juges lui ont donné. Donald Trump vient de tout mettre sens dessus dessous dans l’économie mondiale en annonçant des tarifs sans précédent qui seront imposés aux autres pays. Malgré le fait que l’on avait une bonne idée de ce que le président américain allait faire, l’Union européenne n’avait visiblement pas préparé de plan B et ne semble envisager d’autre recours que des représailles commerciales.

A l’Assemblée nationale, les députés viennent de débattre de la notion de consentement dans les relations sexuelles. Martin Pimentel analyse les préjugés néoféministes derrière l’adoption de ce concept, ainsi que les conséquences juridiques et sociales qu’elle risque d’entraîner. Dans une tribune publiée par nos confrères de Valeurs actuelles, l’avocat Randall Schwerdorffer nous met en garde contre les dérives possibles que cette notion peut inspirer. Mauvaise nouvelle, la rapporteuse spéciale des Nations Unies aux droits de l’homme dans les territoires palestiniens, Francesca Albanese va voir son mandat renouvelé aujourd’hui pour encore trois ans. Jeremy Stubbs nous rappelle que l’ONG genevoise, UN Watch, travaille depuis des années pour attirer l’attention politique sur les agissements de cette juriste italienne qui n’est qu’une militante propalestinienne, pro-Hamas même, dépourvue de la moindre trace d’impartialité ou d’objectivité. Il n’est pas trop tard pour signer la pétition de UN Watch contre le renouvellement de ce mandat. Lisez aussi l’analyse récente de Richard Prasquier dans Causeur.

Jean-Louis Porchet: le producteur et l’injustice

Le producteur Jean-Louis Porchet, qui avait soutenu le film « The Palace » de Polanski, s’est donné la mort.


Le producteur Jean-Louis Porchet s’est donné la mort le 31 mars. Il avait eu soixante-seize ans deux jours plus tôt. Basée à Lausanne, son entreprise CAB productions fondée en 1984, a accompagné plus de 90 films, d’Alain Tanner à Kieslowski en passant par Claude Chabrol, Olivier Assayas et bien d’autres encore.

Jean-Louis Porchet avait également, contre vents mauvais et marées toxiques, coproduit le film de Roman Polanski The Palace. Cela restera comme l’ultime honneur de son parcours d’homme de cœur et d’amoureux du cinéma. La tempête empoisonnée déchaînant ses miasmes meurtriers contre l’immense réalisateur devenu paria a fini par le briser.

On touche le fond

La presse suisse a rendu un bel hommage au producteur, autodidacte atypique et imaginatif, doué pour la vie, pour l’art, et suprêmement pour l’amitié. L’on crut bon cependant d’écrire que Jean-Louis Porchet se serait « fourvoyé dans un projet déraisonnable : The Palace tourné à Gstaad par Roman Polanski » (Le Temps), ou ailleurs, que « The Palace lui a été fatal » (La Tribune de Genève) – formule d’une hypocrisie toute victorienne, qui passait pudiquement sous silence l’enchaînement de circonstances ayant entraîné la mise en faillite de sa maison de production, et ainsi la ruine de Jean-Louis Porchet, consécutive en effet à son engagement enthousiaste et déterminé sur ce film auquel il tenait tout particulièrement.

« Déraisonnable », la liberté que s’octroya le producteur de soutenir un projet de Roman Polanski ?  Obéir à la meute lyncheuse passe aujourd’hui pour « raisonnable », il est vrai. Et les mêmes qui rampaient jadis devant Polanski et auraient vendu père et mère pour tourner sous sa direction, lui tournent piteusement le dos aujourd’hui, tel Jean Dujardin, à qui le réalisateur de J’accuse avait offert un rôle – peut-être trop grand pour lui, mais la force du film sauvait le comédien. À une question indécente de la sinistre et tellement grotesque commission d’Inquisition de l’Assemblée nationale sur les VHESS dans le cinéma, présidée par la doucereuse coupeuse de têtes en chef Sandrine Rousseau (commission instaurée comme par un décret souverain de Judith Godrèche, et par conséquent votée à 100%, mieux qu’en Corée du Nord), l’acteur répondit qu’il « ne savait pas s’il ferait le choix aujourd’hui de tourner avec le cinéaste accusé d’agressions sexuelles » (sans « l’exclure » toutefois). Veulerie pathétique, en laquelle pour le coup s’est fourvoyé un homme. Est-il vraiment « raisonnable » – pour soi-même, seul le matin face au miroir – de se salir si honteusement la face ? 

À lire aussi : Dame Sandrine en son tribunal

Apprenant cela, Jean-Louis Porchet commentait : « Effectivement on touche le fond, et l’intérêt est qu’on peut remonter. Remonter pour aller où ? Je ne sais pas. » C’est sans issue, disait-il ainsi à demi-mot, avec une ironie légère et mélancolique, qui masquait, comprend-on, un désespoir sans fond face à un monde « devenu fou », comme il disait aussi. Un monde où l’on se prosterne devant des Judith Godrèche et où l’on crache sur Roman Polanski.

Peu après avoir pu voir The Palace en projection privée, j’ai eu le bonheur et la chance de rencontrer cet homme généreux, enthousiaste, d’une fidélité et d’un honneur sans faille dans la constance de ses choix. « Toute ma vie j’ai voulu construire des ponts, et voilà que je me retrouve maintenant face à des murs », m’avait-il écrit il y a un peu plus d’un an, quelques heures avant le terrible accident qui le dimanche 24 mars 2024, il allait voir un ami, a écrasé sa voiture contre un haut mur bordant la route le long du lac Léman. Prisonnier de son véhicule en feu, côtes et jambes brisées, il finit par être secouru. Après une longue année de bataille pour recouvrer la santé, ponctuée de multiples opérations pour sauver sa jambe aux os réduits en bouillie, endurant de terribles douleurs dues aux graves brûlures subies – jamais une plainte, toujours l’élégance d’une gaieté sincère face aux amis –, voilà qu’enfin il était de retour chez lui, brûlures cicatrisées, mobilité presque entièrement retrouvée à force de courage, d’énergie, de goût de vivre, amis fidèles et cigare quotidien (« thérapeutique » disions-nous en plaisantant) aidant.

Césars de fiel

Remontons le fil de la tragédie de Jean-Louis, mort d’avoir vu se dresser, broyant sauvagement les ponts que le producteur n’avait jamais cessé de construire, les murs de la bêtise, de la haine, de la lâcheté et de la soumission à un mouvement qui avait décrété que Roman Polanski devait être effacé.

La cabale contre le réalisateur s’était décisivement déchaînée en 2019, à la suite des fracassantes allégations de viol de Valentine Monnier[1] au moment de la sortie de J’accuse, puis du non moins fracassant sketch d’Adèle Haenel vociférant à l’annonce du Prix du meilleur réalisateur attribué à Polanski, lors de la dégoûtante cérémonie des César 2020 et de son florilège de saillies antisémites[2]

Dès lors, toute possibilité en France de produire un film dont Polanski pourrait avoir le projet – non mais quelle outrecuidance, mes sœurs ! – avait été barrée. Évaporés (ou plus exactement noyés dans leur couardise) les producteurs français – dont le réalisateur avait contribué largement à faire la fortune. #MeToo dicterait désormais sa loi, médias à l’unisson en bras armé du mouvement de « libération de la parole », avec l’onction de la classe politique – de l’oubliable Marlène Schiappa à Franck Riester « ministre de la censure », ainsi que l’avait rebaptisé Pascal Bruckner, en passant par Valérie Pécresse déclarant vaillamment que bien entendu, si elle avait su, la région Île de France aurait refusé tout financement à J’accuse.

Passons. Ou plutôt ne passons pas.

The Palace a cependant pu être produit, co-production italienne, polonaise et, grâce à Jean-Louis Porchet, suisse – sans aucun financement public – avec Cab production.

Le film, présenté à la Mostra de Venise de 2023, fut, on s’en souvient, passé au lance-flammes par la critique, dans un unanimisme qui trahissait grossièrement le parti pris de régler son compte cette fois à l’artiste Polanski – l’homme ayant déjà été décrété indésirable par les furies #MeToo. Il fallait achever le sale travail : la mise à mort symbolique définitive du cinéaste.

Leur mauvaise (ou pire : leur bonne) conscience soulagée par la misérable curée médiatique, les distributeurs français se couchèrent eux aussi,à l’exception notable d’un franc-tireur, autodidacte passionné lui aussi, Sébastien Tiveyrat. Bien entendu les exploitants de salle firent à leur tour preuve de la pleutrerie de bon ton dans le brave new world de la censure « féministe ».

En Suisse romande, le film devait cependant sortir mi-mars 2024.

Las.

Le 5 mars 2024, avait eu lieu l’audience du procès en diffamation intenté par l’actrice Charlotte Lewis à Roman Polanski. Me Delphine Meillet, avocate de Polanski, avait brillamment, et de la façon la plus implacable, démonté les mensonges grossiers et répétés de la plaignante. Les médias se rendirent parfaitement compte que l’affaire se présentait mal pour Charlotte Lewis[3], et que cette fois-ci le sacro-saint « Victimes, on vous croit », étendard intouchable de #MeToo, avait du plomb dans l’aile. Damned !

À lire aussi : Affaire Depardieu: ce que cette époque fait à la masculinité

Le 13 mars 2024 donc, soit une semaine après cette audience embarrassante pour la Cause, Le Monde, accomplissant, primus inter pares, sa triste besogne d’exécuteur des basses œuvres de #MeToo, publia un article faisant état d’accusations de « viol sur mineur » contre Roman Polanski. Lesdites accusations émanaient d’une Américaine anonyme, les faits allégués ayant prétendument eu lieu cinquante ans auparavant. Ou comment tenter de rattraper une proie qui allait leur échapper. Bien entendu une flopée de médias zélés se jeta sur l’aubaine, emboîtant allègrement le pas à l’auto-réputé « journal de référence ».

Dès le lendemain de cet article, les salles de Suisse romande annulèrent sans autre forme de procès la sortie de The Palace, prévue le mercredi suivant, et la plateforme de la RTS (Radio Télévision Suisse) révoqua séance tenante un important contrat de cession des droits du film. 

Le 24 mars 2024, le loyal Jean-Louis Porchet, désespéré par la monstrueuse lâcheté générale, bien au-delà de l’angoisse de la ruine qui s’annonçait inévitable pour Cab productions, perdait le contrôle de sa voiture et fonçait dans un mur.

Le 31 mars 2025, il mettait fin à ses jours.

Le mystère d’un acte tel que le suicide demeure toujours entier.

Il convient cependant de ne pas masquer la suite de séquences qui a précédé cette rupture tragique avec un monde si laid dans sa cruauté enrobée de poisseuse guimauve victimaire.

Jean-Louis était heureux et fier d’avoir fait The Palace, ce film proche de son cœur, qui par bien des côtés correspondait à son tempérament. Il avait ô combien raison de se féliciter d’avoir contribué à la naissance de cette œuvre. Un film cher également au regretté Michel Ciment, irremplaçable aristocrate de la critique cinématographique.

Un mensch nous a quittés. Il ne reste plus qu’à continuer, nous le lui devons, à contrarier, comme il a su le faire, le vil et vilain cours des choses, désespérant et tellement absurde. À reconstruire des ponts.


[1] Valentine Monnier prétendant pompeusement s’identifier elle-même à Zola, mais… accusant l’accusé calomnié, et point comme l’avait fait Zola les accusateurs faussaires. Involontaire et ridicule aveu de sa propre position de faussaire. Je me permets sur ce point, et sur la fabrication médiatique d’un business de la calomnie autour de Roman Polanski, de renvoyer à mon livre Qui a peur de Roman Polanski ? (Le Cherche-Midi, 2024). Il faut également lire ou relire le livre d’Emmanuelle Seigner, Une vie incendiée (L’Observtoire, 2022).

[2] Voir Transfuge, https://www.transfuge.fr/2020/03/17/polanski-cesars-de-fiel/

[3] Ch. Lewis perdit en première instance, puis à nouveau en appel.

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Les Sœurs musulmanes vous offrent une thérapie divine à l’Institut du Monde Arabe !

Des militants prosélytes l’assurent : du point de vue psychologique, les musulmans (et les musulmanes) ont besoin d’une approche spécifique…


Le 15 décembre 2024, l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris a accueilli un événement intitulé « Mizan (« Équilibre » en arabe) – Explore tes traumas transgénérationnels et transculturels sur une journée immersive à Paris ». Cet évènement a été organisé par Hafsa Kerkri, psychologue diplômée d’un Master 2 en psychologie de l’Université de Caen, et ayant poursuivi une spécialisation en psychologie islamique au Cambridge Muslim College en 2024 – Rien à voir avec l’Université de Cambridge, évidemment NDLR.

Elle revendique une approche thérapeutique basée sur l’intégration des principes islamiques dans la pratique psychologique, comme en témoigne la présentation de son cabinet, qui se veut un espace où « l’islam est intégré à la thérapie »1.

« Mizan » ou l’art de guérir l’âme avec une bonne dose de charia

L’événement « Mizan » a également été marqué par la participation de l’inénarrable Mariem Saghrouni, figure de proue de la psychologie islamique en France et diplômée en 2018 de l’Université Paris 13. La Sœur Mariem Saghrouni est issue d’un milieu familial étroitement lié aux Frères musulmans puisque son père, Mohamed-Taïeb, est un ténor reconnu au sein du mouvement qui a occupé le poste de délégué de la région Nord de l’organisation dès 1990 et a été un administrateur actif de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France). Son inclinaison envers la pensée de Sayyid Qotb, favorable au djihad armé, a été signalée2. Dans sa jeunesse, Mariem Saghrouni a été impliquée dans les mouvements de jeunesse des Frères Musulmans, notamment en tant qu’administratrice de l’EMF (Étudiants Musulmans de France) et conférencière régulière pour l’UOIF. Mariem Saghrouni, s’inscrivant dans la dynamique de la psychologie islamique, a rédigé un travail de recherche intitulé « Decolonizing the Mind: Colonial Legacy, Intergenerational Trauma, and Resilience in the Maghrebi Diaspora in Europe ». Cette étude, axée sur les traumatismes intergénérationnels au sein de la diaspora maghrébine en Europe, lui a valu une invitation à l’International Conference IPCON 2025, un événement dédié à la psychologie islamique, organisé par Shifa Tameer-e-Millat University (STMU), une institution pakistanaise d’Islamabad. Sur son profil LinkedIn, elle exprime sa gratitude et déclare : « J’accepte avec sérénité le décret d’Allah et reste reconnaissante pour cette reconnaissance académique mondiale dans le monde de la psychologie islamique ».


Les points communs entre ces deux psychologues sont nombreux : port revendiqué du hijab, suivi des patients exclusivement en ligne (ce qui permettrait de respecter les normes halal dans le champ de la thérapie), militantisme aligné avec la vision des Frères musulmans, volonté de toucher un public musulman – et essentiellement féminin – en pleine expansion, volonté de diffuser la psychologie islamique en France, dont la discipline a émergé au sein d’universités islamistes pakistanaises.
En marraine de l’évènement, nous retrouvons Zina Hamzaoui, sage-femme de Molenbeek et chroniqueuse pour la station de radio belge AraBel FM, organe de propagande des Frères musulmans tunisiens.

Tout un business séparatiste

Cet événement s’inscrit dans un courant en pleine expansion, car la psychologie islamique connaît une popularité croissante. Cela se reflète notamment par la création d’une plateforme telle que « Ma psy musulmane », un Doctolib exclusivement dédié aux psychologues musulmans ; mais aussi par la création de l’AFPI (Association Francophone de Psychologie Islamique) et la tenue du premier colloque francophone de psychologie islamique en février dernier à Bobigny. Partout, il est répété en boucle que les musulmans auraient des besoins spécifiques dans le domaine de la psychologie…

Enfin, l’événement de l’IMA serait incomplet sans la présence de sponsors de qualité qui ne soient à la hauteur du prestige du lieu. Parmi eux, nous retrouvons l’EMF, l’antenne de la jeunesse frériste en France ; MyZawajmatch, une nouvelle application de rencontres musulmanes validée par le Cheikh Chamsouddin Chamouini, imam de la mosquée de Massy – lieu dénoncé comme une plaque tournante du frérisme en France3 ; nous pouvons également flâner sur le stand de MuscPay, une application de finance islamique qui propose à ses adhérents la création d’un RIB belge conforme aux principes de la charia.
Avec de telles intervenantes et de tels sponsors de qualité, il ne fait plus aucun doute que les visiteurs disposent désormais de tous les outils nécessaires pour prendre en charge leur santé mentale et aborder l’avenir avec sérénité !

Comment l’Institut du Monde Arabe a-t-il pu accepter pareille foire en son sein ?

Rappelons que l’IMA a salarié, à partir de 2001 – et donc payé avec nos impôts – Houria Bouteldja, la sulfureuse indigéniste, et que son patron Jack Lang affirmait à l’époque que l’IMA n’avait « aucun problème avec elle » (​Houria Bouteldja a été employée par l’Institut du Monde Arabe (IMA) depuis au moins 2001, occupant le poste de « chargée de la location des espaces » . Des sources datant de 2021 confirment qu’elle était toujours salariée de l’IMA à cette époque. Cependant, les informations disponibles ne permettent pas de confirmer si elle occupe encore ce poste en avril 2025 NDLR). Auteur de Les Blancs, les Juifs et nous, ouvrage disponible dans la boutique de l’IMA, la militante décolonialiste affirme appartenir « à [sa] famille, à [son] clan, à [son] quartier, à [sa] race, à l’Algérie, à l’islam ». En 2012, elle écrivait carrément que « Mohammed Merah c’est moi et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine et surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république… Je dis ce soir, je suis musulmane fondamentale ». Son livre Les Beaufs et les Barbares, disponible à la bibliothèque de l’IMA, est résumé ainsi sur le site : « L’auteure décrit les diverses manifestations de ce qu’elle appelle l’État racial intégral, comme l’indifférence de la société civile, l’impérialisme ou la fidélité des organisations politiques au pacte national racial. Elle invite ensuite à se servir de ses faiblesses pour construire une politique décoloniale, défendre l’autonomie indigène et concurrencer l’extrême droite ».

Si l’IMA a salarié Mme Bouteldja, il n’y a rien de bien étonnant alors à ce que l’Institut laisse aussi s’exprimer ouvertement des sœurs musulmanes psychologues. Quoi de plus naturel ?

Souvenons-nous également qu’en 2022, à l’occasion de l’exposition « Juifs d’Orient », réalisée grâce aux prêts d’institutions israéliennes dont le musée d’Israël à Jérusalem, l’IMA s’était retrouvé au cœur d’une polémique. Une pétition avait été lancée par le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), mouvement pro-palestinien qui appelle systématiquement au boycott d’Israël, signée par environ 250 personnalités et par une poignée d’intellectuels qui estimaient inacceptable de mettre en avant un régime « colonial » qui pratiquerait la ségrégation envers les Palestiniens. Parmi les signataires, on trouvait le réalisateur palestinien Elia Suleiman, et le diplomate algérien Lakhdar Brahimi. Le texte affirmait « que l’Institut du monde arabe trahit sa mission intellectuelle en adoptant cette approche normalisatrice — une des pires formes d’utilisation coercitive et immorale de l’art comme outil politique pour légitimer le colonialisme et l’oppression ». L’IMA avait répliqué très sobrement : « Le soutien de l’IMA et de son président Jack Lang au peuple palestinien et à la paix est sans faille. »

On comprend peut-être mieux dès lors pourquoi nos « Sœurs musulmanes » se sentent comme chez elles à l’IMA, comme en terre conquise.

Le mélange est subtil : dans ce lieu de haute culture, on soigne l’âme, tout en distillant des notions de lutte contre l’impérialisme et d’émancipation radicale. Bienvenue à l’Institut du Monde Arabe où l’équilibre, le Mizan, entre culture, politique et spiritualité semble avoir trouvé sa propre formule magique… Mais parfois au détriment de l’esprit républicain.


  1. https://www.hafsapsychologue.com/ ↩︎
  2. https://collectiflieuxcommuns.fr/IMG/FM/index.html ↩︎
  3. https://www.islamisation.fr/2019/04/08/la-mosquee-de-massy-inauguree-par-le-maire-et-laval-du-prefet-malgre-son-orientation-freriste/ ↩︎

« Il est impossible de mettre un mineur en prison »

Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.


De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.

Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.

épisode 1 épisode 2 épisode 4 épisode 5


Avant le jugement : la détention provisoire

Sous réserve de ce qui a été évoqué dans les épisodes précédents1, l’urgence à ce jour n’est pas uniquement celle de la rapidité voire de l’immédiateté du jugement, régulièrement présentée comme l’antidote ultime au sentiment d’impunité. La question est aussi voire surtout celle du sort du mineur entre le jour de décision de poursuite prise par le procureur (en général à l’issue de la garde à vue) et le jour du jugement. Cette période de latence est en effet à ce jour inévitable compte tenu de l’encombrement de l’appareil judiciaire, rendant impossible la généralisation des procédures de jugement rapide.

Le prononcé de mesures de sûreté permet de compenser l’existence de ce délai de latence : ce sont des mesures de contrôle qui s’imposent aux délinquants dans l’attente de leur jugement. Elles permettent (en théorie) de prévenir la commission de nouvelles infractions, de protéger les victimes et les témoins, d’empêcher des contacts entre les complices et de garantir la présence du suspect le jour du procès. Il s’agit également de répondre, dans les cas les plus graves, au trouble causé à l’ordre public, en apportant une réponse ferme à la fois dissuasive pour les délinquants et les criminels et rassurante pour les honnêtes citoyens.

Concernant les mineurs, le principe est l’absence de mesure de sûreté et le prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire en cas de déferrement (présentation directe au tribunal à l’issue de la garde-à-vue). Concrètement, la violation de cette mesure ne donne lieu à aucune sanction. Le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la mesure éducative est insuffisante. Et la détention provisoire n’est possible que dans le cas de la procédure de l’audience unique.

La détention provisoire d’un mineur dès la commission de l’infraction (sans attendre la violation du contrôle judiciaire) n’est possible que dans deux cas :

→ L’audience unique pour les délits (voir épisode 2) : La procédure d’audience unique ne permet pas de placer en détention provisoire un mineur de moins de 16 ans, quelle que soit la gravité des faits commis, mais uniquement de le placer sous contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire ne pourra être révoqué que si le mineur est placé en centre éducatif fermé (encore faut-il trouver une place) ET qu’il ne respecte pas ce placement.

Elle permet en revanche de placer en détention provisoire le mineur âgé de 16 ans révolus pour une durée comprise entre 10 jours et un mois, en attendant son jugement par le tribunal pour enfants. Cependant, il faut que les conditions de l’audience unique soient réunies : une peine minimum de trois ans d’emprisonnement encourue et l’existence d’un antécédent (donc concrètement que l’agresseur ait déjà volé/violenté/détruit quelque chose ou quelqu’un).

→ L’information judiciaire (principalement pour les crimes) : le mineur présenté à un juge d’instruction peut être placé en détention provisoire s’il a commis un crime ou un délit. Cependant, les délais sont plus courts que ceux des majeurs. Pour exemple, un mineur de moins de 16 ans mis en examen pour un viol ou un meurtre ne peut être détenu que pour une durée maximale d’un an.

Exemple : Amine a 15 ans. Sur ordre d’un dealer il abat un concurrent sur un point de deal. Il est mis en examen pour assassinat. Il peut être détenu pendant 12 mois, puis il peut être placé en centre éducatif fermé pendant 12 mois. Si l’instruction n’est pas terminée dans ces délais, notre apprenti tueur à gages sera remis en liberté… Chez lui ou dans un foyer classique.

En conclusion, comme le souligne le syndicat Unité magistrats FO, dont nous saluons la dernière communication sur la réforme de la justice des mineurs : « les conditions d’incarcération des mineurs de moins de 16 ans sont devenues trop restrictives avec le CJPM, et rendent quasiment impossible leur placement en détention provisoire y compris lorsqu’ils sont réitérants et commettent des faits graves. Cela contribue à alimenter chez ces mineurs un sentiment d’impunité voire de toute-puissance, telle que le rapporte le pédopsychiatre Maurice Berger dans son dernier livre »2.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI

Après le jugement : la peine d’emprisonnement ferme

Dans un délai de 6 à 9 mois après la déclaration de culpabilité, le mineur comparaît à nouveau devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants pour recevoir sa sanction.

S’il comparaît devant le juge des enfants, celui-ci ne peut prononcer qu’une mesure éducative, un travail d’intérêt général ou un stage : pas de peine d’emprisonnement possible. Cette règle s’applique quelle que soit la nature des faits commis : Amine peut donc être jugé par un juge des enfants seul et condamné à un stage ou un avertissement pour des faits de trafic de stupéfiants ou d’agression sexuelle. Il n’y a aucune obligation légale de traduire les mineurs ayant commis des faits graves devant le tribunal pour enfants.

S’il comparaît devant le tribunal pour enfants, tous les types de peine peuvent en revanche être prononcés : amende, stage, travail d’intérêt général, emprisonnement avec sursis simple, avec période de probation, bracelet électronique, semi-liberté et même de l’emprisonnement ferme avec une mise en détention immédiate. Il est donc nécessaire pour pouvoir sanctionner un mineur par de l’emprisonnement de l’envoyer devant le tribunal pour enfants.

Le choix d’orienter le mineur vers le juge des enfants ou le tribunal pour enfants est une décision du… juge des enfants. La juridiction de principe désignée par la loi est… le juge des enfants. Dans la majorité des cas, le jugement sur la sanction aura donc lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire devant le juge des enfants seul (encore lui !). La question de l’emprisonnement ne se posera alors même pas. Devant le tribunal pour enfants, en revanche, l’emprisonnement est possible mais… dépend du bon vouloir de la juridiction. Les tribunaux pour enfants sont-ils connus pour sanctionner sévèrement les mineurs ? La réponse au prochain épisode.

On comprend aisément que la question de l’incarcération du mineur dépend avant tout de la volonté du juge des enfants : s’il envoie Amine devant la chambre du conseil, aucun emprisonnement possible. Si par miracle il l’envoie devant le tribunal pour enfants, c’est encore le juge des enfants (bienveillant, empathique et fervent lecteur de Rousseau3), qui décidera de son sort. Vous le devinez, Amine passera loin, très loin, de la case prison.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS

NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :

  • Rendre le placement sous contrôle judiciaire obligatoire si le mineur a déjà été condamné ou est déjà sous mesure éducative judiciaire provisoire
  • Étendre la possibilité de détention provisoire aux mineurs de moins de 16 ans et à toutes les atteintes aux personnes, sans condition de peine encourue ni d’antécédent
  • Allonger les délais de la détention provisoire criminelle à 2 ans pour les mineurs de moins de 16 ans
  • Permettre au parquet de saisir directement le juge des libertés et de la détention pour faire révoquer le contrôle judiciaire d’un mineur, sans passer par le juge des enfants
  • Permettre la révocation du contrôle judiciaire dès qu’il y a une violation, même sans placement en centre éducatif fermé et quel que soit l’âge du mineur
  1. https://www.causeur.fr/la-cesure-du-proces-penal-est-une-mauvaise-reforme-cjpm-305918
    https://www.causeur.fr/il-faut-une-comparution-immediate-pour-les-mineurs-306452 ↩︎
  2. https://unite-magistrats.org/publications/delinquance-des-mineurs-l-urgence-d-une-reforme-a-la-hauteur-des-enjeux ↩︎
  3. Jean-Jacques, pas Sandrine. Quoique, on peut toujours tomber sur un adhérent du SM. ↩︎

De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg

Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d’une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d’imposer sa vision


L’Institut d’études politiques de Strasbourg (Sciences Po Strasbourg) a récemment été le théâtre de vives tensions autour de son partenariat académique avec l’Université Reichman, un établissement privé israélien situé à Herzliya. Cette université jouit d’une réputation internationale dans les domaines des relations internationales, du droit, du commerce et de l’innovation technologique, et accueille chaque année un grand nombre d’étudiants venus du monde entier. Le lien entre les deux institutions remonte à l’année 2015, date à laquelle un accord de coopération a été signé. Ce partenariat prenait la forme d’un programme d’échange, permettant à des étudiants de Sciences Po Strasbourg de poursuivre un semestre ou une année de leur cursus à l’Université Reichman, et offrait en retour à des étudiants israéliens l’opportunité d’étudier à Strasbourg.


En juin 2024, dans un climat international particulièrement tendu à la suite du massacre du 7-octobre et de la guerre qui l’avait suivi, le conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Strasbourg a voté la suspension du partenariat qui le liait à l’Université Reichman. Cette décision ne s’est pas imposée d’elle-même : elle faisait suite à une motion portée par Solidarit’Étudiants, une association étudiante majoritaire au sein du conseil, qui dénonçait le contenu politique implicite d’un tel partenariat. Solidarit’Étudiants est une organisation étudiante active au sein de l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Elle s’est fait connaître notamment par son positionnement engagé sur les enjeux sociaux, internationaux et éthiques. En 2024, elle détenait huit des dix sièges réservés aux étudiants au sein du conseil d’administration de l’établissement, ce qui lui conférait une majorité décisive dans certaines prises de position institutionnelles. L’association se revendique comme « progressiste, solidaire et internationaliste, attachée à la défense des droits humains, à la critique des rapports de domination, et à une approche éthique de la coopération universitaire ».

Mobilisation étudiante et tensions sur le campus

Il est significatif de constater qu’à Sciences Po Strasbourg, la dynamique étudiante autour de la cause palestinienne a trouvé un relais actif dans l’émergence d’un Comité Palestine, dont le rôle s’est affirmé au fil des mois dans les mobilisations liées aux relations entre l’institution strasbourgeoise et l’Université Reichman en Israël. Ce comité a organisé plusieurs manifestations sur le campus et semble avoir joué le rôle de catalyseur. Parmi ces initiatives, on note notamment la tenue d’une soirée de soutien à la cause palestinienne, organisée le 9 avril 2024, qui s’inscrivait dans une logique de sensibilisation mais aussi de contestation des partenariats jugés problématiques. Un étudiant, qui a souhaité rester anonyme, témoigne d’un climat de plus en plus polarisé au sein de l’établissement. Selon lui, « la division à l’intérieur de l’université est palpable. Certains professeurs soutiennent le boycott et exercent une pression sur la direction, tandis que d’autres subissent les blocages et tentent de résister. »

À lire aussi, Gil Mihaely : Nétanyahou : ni juges ni Hamas

La suspension du partenariat a suscité de vives réactions. La Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a exprimé son inquiétude.1 Le 4 décembre, sur le plateau de BFM Alsace, Simon Levan (étudiant et dirigeant de Solidarit’Étudiants) et Vincent Dubois (professeur à Sciences Po Strasbourg et soutien de la suspension du partenariat) expliquaient qu’il ne s’agit pas d’un boycott de Reichman parce qu’université israélienne, mais à cause de son implication spécifique dans la guerre à Gaza, à travers ses liens particulièrement étroits avec les institutions de la défense du pays.2

Coup de théâtre au conseil d’administration

Ces arguments n’ont pas convaincu le conseil d’administration de l’IEP, qui, le 18 décembre 2024, a voté en faveur de la reprise du partenariat avec l’université Reichman. Cette décision a été adoptée à quatorze voix pour, une contre et quatre abstentions, tandis que quatorze membres n’ont pas pris part au vote. À la suite de ce vote, cinq enseignants-chercheurs ont démissionné du conseil d’administration. Vincent Dubois, Michel Fabreguet, Valérie Lozac’h, Jérémy Sinigaglia et Nadine Willmann ont qualifié ce vote de « déni de démocratie » et ont dénoncé les « nombreuses pressions tant internes qu’externes » entourant le scrutin.

À la suite de cette décision, plusieurs collectifs étudiants ont de nouveau exprimé leur opposition au maintien du partenariat avec l’Université Reichman. Cette mobilisation a entraîné des actions concrètes à l’intérieur même de l’établissement. En janvier 2025, des étudiants ont bloqué l’accès à l’IEP pour protester contre la reprise du partenariat. Le 30 janvier, les forces de l’ordre sont intervenues pour évacuer les manifestants, permettant la reprise des activités normales de l’établissement. En mars 2025, un accord a enfin été trouvé pour créer un comité d’examen chargé d’évaluer le partenariat avec l’université Reichman. À la suite de cet accord, les étudiants ont finalement levé le blocage de l’établissement.

Mais, pour certains observateurs, ce comité ne reflèterait pas la diversité des points de vue au sein de l’établissement. L’étudiant anonyme mentionné plus tôt évoque une ambiance pesante où « la difficulté à débattre sereinement » est devenue manifeste : « Beaucoup d’étudiants, bien qu’intéressés par le sujet, évitent les discussions par peur d’être mal perçus ou de s’attirer des ennuis. » Selon lui, la radicalisation des positions entrave le dialogue et marginalise les voix nuancées ou prudentes. Pire encore, il pointe également des conditions inéquitables dans la création du comité étudiant chargé d’examiner le partenariat : « Alors que certains avaient plusieurs semaines pour se préparer, d’autres n’ont eu que deux jours, ce qui posait de sérieuses questions en termes de démocratie et d’équité. » Il ajoute que la composition du comité semblait orientée, en majorité favorable aux militants pro-palestiniens. Sauf surprise, le comité déciderait de suspendre le partenariat avec Reichman dans les prochains jours…


  1. Motion de Sciences Po Strasbourg contre l’université Reichman de Tel Aviv : une source d’aggravation des tensions et de discriminations ↩︎
  2. Sciences Po Strasbourg: les raisons de la suspension du partenariat avec l’université Reichman ↩︎

Peur: le mot de l’année

Récompensé par un prix de la Licra mercredi à l’Elysée, l’animateur télé Arthur a tenu un discours émouvant et bouleversant pendant quatre minutes. « Pendant que la République parfois hésite, la haine avance, elle s’installe », a-t-il notamment affirmé.


Il y a les peurs que distillent plus ou moins à dessein nos gouvernants à bout de souffle, arguant de l’imminence du déferlement de hordes poutinesques dans nos villes et campagnes, de celle, à présent, d’un conflit d’ampleur avec les mollahs de ce qui fut jadis le bel empire Perse. Peur encore devant la guerre économique trumpienne dont l’Europe et singulièrement la France, devraient, à les en croire, sortir en chemise.

Mais il y a une autre peur, hélas bien réelle et concrète celle-ci, et qui nous concerne tous, nous autres citoyens de France, car nous sommes tous autant que nous sommes en capacité de lutter contre. C’est celle que dénonçait Arthur, l’homme de télévision, l’autre soir après que le président de la République lui a remis, ainsi qu’à Sophia Aram, le prix Jean-Pierre Bloch pour son engagement contre l’antisémitisme. Un président de la République – je tiens à le souligner – qui pourtant s’est bien gardé de participer, de se monter ne serait-ce que quelques instants, le 13 novembre 2023 à la grande marche contre cet ignoble fléau.

« Une peur intime qui me réveille la nuit, confesse Arthur. Non pas une peur abstraite, une peur active… » « Je parle,  ajoute-t-il, pour mes parents qui changent leur nom lorsqu’ils commandent un taxi (…) pour les rabbins frappés en pleine rue… » Et d’ajouter : « Quelque chose s’est brisé (…) La haine s’installe. Ça commence par les Juifs et ça emporte tout. » En effet, quelque chose s’est brisé au sein de notre nation ces deux dernières années. Et ce n’est plus aujourd’hui une simple fêlure, c’est d’ores et déjà une plaie dont la béance s’aggrave de jour en jour.

A lire aussi, notre numéro #133: Poutine, Trump, Tebboune, islamistes… Qui est notre ennemi?

Comment peut-on accepter, tolérer que, dans ce pays de France, des femmes, des hommes des enfants mêmes, tant de nos concitoyens, aient à vivre dans la peur ? Comment est-ce seulement possible ? Quel est le nom de cette résignation collective, de cette apathie qui nous empêcherait de faire front, massivement, tous ensemble, unis, déterminés ? Quel est ce nom, sinon lâcheté.

La cause commune qui doit nous rassembler aujourd’hui – et de toute urgence – est bien celle-ci : la croisade contre l’antisémitisme, cette haine irrationnelle, monstrueuse, cette peste qui – Arthur dit vrai – nous emportera tous si nous tardons à nous dresser contre elle. Cela  sans mollesse aucune, sans tergiversation. Pour commencer il est urgent que tous les partis et mouvements politiques – tous ! – s’allient, dès aujourd’hui, pour placer en tête de leur engagement cette lutte-là et en faire très officiellement, très clairement la toute première de nos grandes causes nationales. Oui, combattre sans faiblesse, sans ces pruderies des âmes molles éternellement engluées dans l’artifice foireux du feint souci de ménager la chèvre et le chou.

Je reprendrai donc ici le mot de Voltaire, dont on ne peut pas dire qu’il ait été sa vie durant un boute-feu frénétique, un zélateur de la violence à tout crin : « J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie », écrit-il. Qu’on se le dise !

Rien à gagner non plus à atermoyer. Il est grand temps, si l’on veut pour de bon empêcher que le mot de l’année ne devienne le mal du siècle.

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Affaire Le Pen: le Système? Quel Système?

Depuis la condamnation de Marine Le Pen le 31 mars, les médias français se sont appliqués à dénoncer cette « internationale réactionnaire » qui ose prendre le parti de la chef du groupe des RN à l’Assemblée contre nos juges.


Introduction apéritive. À la recherche des propos les plus ineptes tenus à la suite de la condamnation de Marine Le Pen, il ne m’a pas fallu longtemps pour tomber sur la perle rare, en l’occurence un message de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, sur X : « Je ne vais pas pleurer pour Marine Le Pen. Je réserve mes larmes pour la communauté trans, qui dans le monde entier est en première ligne face aux attaques haineuses de tous.tes les transphobes, qui sont d’ailleurs souvent les ami.es de Madame Le Pen. Pendant le NFP, on a même vu notre président s’en prendre à elle pour marcher dans les pas de l’extrême droite. Je n’oublie pas, et je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui devrait être la journée où on lui donne de la visibilité. Comme l’a dit Pedro Pascal, dont la sœur est une actrice transgenre : “un monde sans personnes trans n’a jamais existé et n’existera jamais.” On pense à vous et on se battra pour vous, tous les jours. Les droits des personnes trans sont des droits humains. » Mme Tondelier n’est pas le prototype d’un abêtissement nouveau mais l’aboutissement d’un long processus d’abaissement de l’intelligence ayant conduit à une idéologie bâtarde, l’écolo-wokisme. Marine Tondelier, Sandrine Rousseau, Éric Piolle – si ces noms doivent figurer un jour dans un livre d’histoire de France, cela ne sera probablement pas au chapitresur les Grands esprits du XXIe siècle.

Holding de l’audiovisuel public : Rachida Dati nous prive de France inter !

Ce mardi 1er avril, France Inter était en grève. Dommage ! Les journalistes de la matinale auraient pourtant aimé pouvoir livrer leurs remarquables analyses sur la condamnation de Marine Le Pen dès le lendemain de cet évènement. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils en ont profité pour fourbir leurs discours et affûter leurs éditos. Le 2 avril, remontés comme des coucous, ils se sont livrés à l’exercice journalistique qu’ils préfèrent, la castorisation dite républicaine, avec l’absence totale de neutralité et de pluralisme qui les caractérise. Patrick Cohen, qui a eu l’occasion de s’entraîner la veille dans l’émission télévisuelle “C à vous” dont nous allons reparler, se distingue une fois de plus : le RN, martèle-t-il, « a épousé le trumpisme ». Marine Le Pen dénonce le Système médiatico-politique ? L’éditorialiste ne voit pas de quel système il s’agit mais… détaille ses méfaits : « Vous savez, ce fameux “système” qui tient secrètement le pays, qui ferme une chaine de télé, réécrit Crépol ou nous fait croire que Poutine est une menace. » France Inter faisant partie dudit système, M. Cohen s’agite et cogite : il devine, derrière cette dénonciation, un « fatras complotiste » et… une trumpisation des esprits – c’est la nouvelle marotte castorisatrice des journalistes de gauche, marotte qu’agitera quelques minutes plus tard, avec sa subtilité coutumière, l’impayable Sonia Devillers lorsqu’elle recevra le vice-président du RN, Sébastien Chenu. Celui-ci ayant eu le mauvais goût de s’esclaffer en entendant l’éditorial de son confrère, Mme Devillers sonne la charge : « Vous avez ri en entendant la chronique de Patrick Cohen. Mais la rhétorique de Marine Le Pen n’est-elle pas celle de Donald Trump qui a donné lieu à un assaut populaire contre le Capitole ? » Le système médiatico-politique qui, rappelons-le, n’existe pas, s’est apparemment passé le mot…

A lire aussi, Elisabeth Lévy: A la déloyale

… la preuve, avec le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a pour habitude de répéter les platitudes les plus plates. Sur RTL, face à Thomas Sotto, il ne déroge pas à cette règle qui a fait de lui l’homme politique de droite le plus transparent et le plus prévisible de sa génération. Écouter M. Bertrand, c’est se laisser bercer par une brise insipide, c’est entendre l’écho souffreteux d’un discours convenu compilant de médiocres clichés : ses « valeurs républicaines », dit-il, l’incitent à « ne pas avoir peur du Rassemblement national ». Mais, ajoute-t-il, il se désole de constater que « l’internationale de l’extrême droite a manifesté son soutien à Marine Le Pen ». Il craint par conséquent que la manifestation de soutien à cette dernière prévue à Paris ne tourne mal : « Je n’ai pas envie qu’on joue un mauvais remake du Capitole. » M. Bertrand aurait aimé raviver le souvenir du fracas que fut, selon lui, cet « assaut contre la démocratie ». Mais c’est le son creux des banalités rabâchées qui envahit le studio de RTL…

… puis s’en va investir celui de BFMTV, où le pendant socialiste de M. Bertrand s’évertue, comme il le fait avec brio depuis des décennies, à ne pas paraître démesurément brillant ni original. François Hollande reprend les éléments de langage de Xavier Bertrand et des journalistes de la radio publique. Il prend son temps pour ne pas choisir ses mots. Il fait semblant de découvrir des phrases toutes faites, qui ne sont pas de lui. Sans doute espère-t-il qu’elles passeront auprès des « sans-dents » pour le summum d’une pensée authentique. Mais les oreilles ne s’y trompent pas : l’éloquence hoqueteuse et laborieuse de celui qui fut, on a peine à le croire, président de la République, martyrise le tympan. Le cerveau, quant à lui, n’a pas beaucoup de travail à effectuer : les propos lénifiants de M. Hollande sont immédiatement analysés, disséqués, digérés, pour finir dans le coin le plus obscur de ce noble organe, une mystérieuse mais efficace cavité dans laquelle sont dissous pour disparaître à tout jamais les propos inutiles, les déchets, les encombrants de la pensée politique.

RN / Journalistes : le choc frontal

Audiovisuel public, encore. France 5, officine de gauche. Sur le plateau de “C à vous”, Anne-Elisabeth Lemoine, l’air toujours aussi inspiré, sourit lorsque le député RN Jean-Philippe Tanguy ose demander que Tristan Berteloot, participant à l’émission, ne soit pas simplement présenté comme un journaliste de Libération, mais aussi comme l’enquêteur de la cellule anti-RN que le quotidien a créée. « Alors, il y a un complot de Libération ? » ironise Mme Lemoine qui ignore de toute évidence qu’il existe effectivement, comme l’indiquait Libé, le 23 août 2023, dans un communiqué annonçant son lancement, une « cellule spécialisée sur l’extrême droite », que cette cellule a été créée pour faire « face à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée », qu’elle publie chaque mardi une newsletter intitulée Frontal et qu’elle est composée de « quatre journalistes qui travaillent à temps plein sur le sujet », dont le journaliste et enquêteur Tristan Berteloot. Sur le plateau, Maître Patrick Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen qui, étrangement, s’étonne que Marine Le Pen se défende en niant la qualification des faits qui lui sont reprochés, ajoute son grain de sel en ricanant : « Et probablement que nous nous réunissons la nuit [avec M. Berteloot], dans une cave. » Inutile, je pense, de préciser que Jean-Philippe Tanguy a été « reçu » avec tous les  honneurs dus à son statut de représentant de « l’extrême droite ». Rappelons quel’émission“C à vous” est produite par la société 3e Œil Productions, laquelle fait partie de Mediawan, entreprise dont l’un des actionnaires est Matthieu Pigasse, le même Matthieu Pigasse qui déclarait dernièrement dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » Arrêtez de voir le mal partout – puisqu’on vous dit qu’il n’y a pas de système…

A lire aussi, du même auteur: Le wokisme n’existe pas. Enfin, ça dépend des jours…

Le Monde confirme pourtant que tout média refusant d’y appartenir doit être puni, voire éliminé : « Le traitement de la condamnation de Marine Le Pen sur CNews et Europe 1 interroge. » Après s’être interrogé, le Monde préconise : « l’Arcom devra évaluer si les médias de Bolloré manquent à leurs obligations de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. » Pas un mot, naturellement, sur le traitement tendancieux de cet évènement par l’audiovisuel public. CNews est maintenant, et de loin, la première chaîne d’info continue, certaines de ses émissions dépassant régulièrement le million de téléspectateurs, tandis qu’Europe 1 poursuit sa reconquête. Aux yeux de la caste médiatique établie, cela est tout bonnement insupportable. Il est donc nécessaire de faire baliser dès à présent, à coups d’avertissements et de mises en garde, le chemin qui mènera, comme pour C8, à des amendes de plus en plus élevées et, finalement, à une remise en cause de l’existence même de ces médias dissidents. Histoire que le Système (qui n’existe pas) puisse enfin dormir sur ses deux oreilles…

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Donald Trump : brise-tout inculte ou stratège hétérodoxe ?

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D’est en ouest, des voix s’élèvent à travers le monde pour dénoncer la politique tarifaire que vient d’annoncer le président américain, politique qualifiée sans hésitation de « violente », « suicidaire », « incohérente », « inepte » ou « contraire aux règles élémentaires du commerce ». Dans Hamlet, le vieux chambellan Polonius commente ainsi le comportement apparemment erratique du personnage central : « Bien que ce soit de la folie, il y a pourtant de la méthode en cela ». Ne devons-nous pas, avant de vouer Donald Trump aux gémonies sur le plan intellectuel, nous demander s’il n’y a pas une certaine méthode derrière ses actions, et si oui, laquelle ? Tentative d’explications.


A 16h00, heure locale, Donald Trump a pris place, debout devant son pupitre dans la roseraie de la Maison Blanche, pour annoncer les nouveaux tarifs que les États-Unis vont imposer à leurs partenaires commerciaux. Vêtu de sa cravate rouge et de son pardessus bleu foncé, sans notes, celui qui est de loin le meilleur comédien en politique de toute la planète, a parlé du 2 avril comme du « jour de Libération » de son pays. Faisant référence au célèbre document de 1776, il a affirmé : « A mon avis, c’est un des jours les plus importants de toute l’histoire américaine. C’est notre Déclaration d’indépendance économique ». Le programme qu’il a présenté ressemblait moins à une forme de libération qu’à un acte de revanche. Selon lui, les États-Unis auraient été « pillés » par les autres nations « pendant des décennies ». Les nations amies auraient participé à ce pillage aussi bien que les nations ennemies – elles auraient même été pires que les ennemies dans la spoliation du géant américain.

Les mesures spécifiques annoncées par Trump afin de remédier à la situation qu’il a évoquée ont attiré immédiatement dénonciations et moqueries de la part de la majorité des politiques et des commentateurs, surtout en Europe. Lors d’un débat sur BFM TV le soir du 3 avril, Thierry Breton, ancien ministre français et ex-commissaire européen, incarnant toute la morgue du vieux continent à l’égard des arrivistes yankee, a tout simplement qualifié le projet trumpien de « véritable absurdité ». Pourtant, des expressions de mépris nous permettront-elles d’éviter les conséquences des tarifs américains ou au moins de pallier leurs effets ? Ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre d’abord ce que veut le président américain et quelles sont ses motivations ?

Les Américains ne s’en balancent pas

Depuis 2017, la balance commerciale américaine affiche un solde négatif d’au moins 500 milliards de dollars. C’est surtout la conséquence des échanges avec la Chine, qui en 2024 avait un excédent commercial de 295,4 milliards de dollars avec les États-Unis, et avec l’Union européenne, qui avait un excédent de 235 milliards.

Le déficit commercial des États-Unis a ses raisons et ses conséquences. D’abord, c’est une fonction de la richesse de ce pays. Les Américains, étant la population la plus riche du monde, peuvent acheter pratiquement ce qu’ils veulent où ils veulent. En même temps, leur déficit commercial permet aux autres pays, surtout aux plus pauvres, qui ont des excédents commerciaux, de participer aux échanges économiques et ainsi d’être moins pauvres. Mais c’est ici qu’arrive un problème. Le déficit américain a permis à un des pays en développement, la Chine, qui jouit toujours du statut de pays en développement, de s’enrichir aux dépens des Américains et de rivaliser avec les États-Unis sur les plans économique et militaire. Afin de préserver l’hégémonie américaine, Trump a décidé de s’attaquer au déficit. Son message est très clair : il faut que la communauté internationale trouve une autre base, un autre lubrifiant, que le déficit américain pour garantir la circulation des biens dans le monde.

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Un autre élément important dans la création du déficit américain est la puissance du dollar, qui permet aux Américains d’acheter à l’étranger (parfois en dépit des tarifs élevés imposés par leur propre gouvernement), mais qui empêche souvent leurs industries d’exporter. Une des raisons de cette puissance est la volonté des autres pays aisés de thésauriser leurs richesses en achetant des obligations du Trésor américain, libellées bien sûr en dollars. Réduire la puissance de sa monnaie fait partie aussi du programme de Trump, à côté des nouveaux tarifs. Il s’agit d’une opération particulièrement délicate, mais pour Trump l’objectif est, non pas de mettre fin à la mondialisation, mais de redessiner le système de fond en comble. D’autres dirigeants et candidats politiques ont parlé de la nécessité de le faire ; seul Trump est passé à l’action.

Le système anti-système

Par une mise en scène théâtrale, Trump a fait de son annonce un défi, une gifle, un ultimatum, lancés au reste du monde. Mais à dire la vérité, ce n’était guère surprenant. Après son premier mandat et ses déclarations au cours de la campagne présidentielle de 2024, nul n’a pu douter que Trump ait recours à des mesures extrêmes. S’il a nommé l’avocat, Robert Lighthizer, comme son expert principal en matière de commerce international en 2017, sa nouvelle équipe de conseillers est encore plus radicale. Les Européens sont partagés entre lamentations et déclarations belliqueuses, mais ils ne peuvent pas prétendre qu’ils n’avaient rien vu venir.

Entre ces lamentations, on entend que Trump est en train de détruire le système des échanges internationaux mis en place il y a quatre-vingts ans, c’est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale. En réalité, le système n’a jamais cessé de muer au cours des décennies. Le choc que Trump s’apprête à faire subir au monde a même un précédent, le « choc Nixon » de 1971. Élu en 1969, ce dernier s’est trouvé face à un désastre économique potentiel. L’inflation montait de manière alarmante dans son pays. Sa balance commerciale affichait un solde négatif et la place des États-Unis dans l’économie mondiale déclinait sans cesse. Sa part de la production économique mondiale était tombée de 35% en 1950 à 27% en 1969. La faute en était en partie au système commercial connu sous le nom de « Bretton Woods ». Les taux de change étaient stables car les devises des différents pays étaient indexées sur le dollar et le dollar était convertible en or. Mais d’autres pays voulant convertir leurs dollars en or, les réserves américaines se fondaient à vue d’œil. Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or et a imposé un tarif de 10% sur toutes les importations. Le monde a en essuyé les répercussions, notamment la combinaison d’inflation et d’absence de croissance – « stagflation » – qui a caractérisé les années 1970.

Le système actuel est en partie la conséquence du choc Nixon, mais aussi de la création en 1994 de l’Organisation mondiale du commerce qui est censée encadrer les échanges commerciaux et veiller au respect des principes. L’accession de la Chine à l’OMC en 2001, lui permettant de participer librement à la mondialisation, a été un autre choc pour l’économie globale. L’OMC dispose d’un Organe d’appel destiné à régler les différends entre les pays. Or, le fonctionnement de cet Organe a été bloqué par les États-Unis qui refuse de nommer des membres du panel de sept arbitres. Ce refus a commencé sous Obama, mais c’est sous Trump en 2019 que l’Organe est devenu totalement inopérant. L’action américaine a pour motif la tendance de cet instance – selon les États-Unis – à aller trop loin dans l’interprétation des règles, en se substituant au législateur. C’est ainsi que l’Organe, en 2013, a rendu un jugement très favorable à la Chine, en acceptant une définition d’une entreprise d’État qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de commercer en toute liberté. C’est aussi l’OMC qui permet à la Chine, deuxième économie mondiale, de jouir du statut de pays en développement.

Les tarifs de Trump sont ainsi destinés d’abord à bafouer les règles de l’OMC, selon lesquelles de telles mesures sont inadmissibles. Le président indique ainsi que ce système a déjà cessé de fonctionner. Un nouveau système doit donc naître des cendres de l’actuel, mais il faut d’abord réduire ce dernier en cendres.

Tableau de chasse

Lors de sa conférence de presse, Trump a brandi un tableau qui listait les principaux partenaires commerciaux des États-Unis en spécifiant les tarifs que, selon lui, ces derniers appliquent aux exportations américaines, suivis des tarifs que Trump va leur imposer. Le président américain a déjà imposé des tarifs de 25% sur les importations d’acier, d’aluminium et de voitures achevées. Maintenant il impose d’autres tarifs adaptés à chaque partenaire. Il a prétendu que son équipe a calculé le niveau des tarifs imposés par les partenaires – par exemple, 67% par la Chine, 39% par l’UE, 46% par le Japon – en prenant en compte les tarifs en tant que tels, la manière dont ces pays auraient « manipulé » leur devise, la TVA et d’autres mesures non-tarifaires comme les normes de sécurité. En réalité, le chiffre n’est que l’excédent commercial de chaque pays avec États-Unis divisé par le volume de ses exportations vers l’Amérique. La riposte trumpienne est le même pourcentage coupé en deux par pure bonté car, dit-il, « nous sommes très gentils ». Il y a un tarif minimum de 10% pour tous les pays, même ceux qui ont un déficit dans le commerce des biens avec les États-Unis, comme le Royaume Uni, ou qui ont déjà un accord commercial avec les Américains, comme l’Australie. La Russie ne figure pas dans le tableau, car les échanges sont très réduits actuellement. Le Canada et le Mexique sont absents car ils sont déjà dans le collimateur de Trump dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1994 et renégocié par Trump en 2020.

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Les pays les plus durement touchés sont la Chine, à 34%, le Japon à 24%, l’Inde à 26%, la Corée du Sud à 25%, le Vietnam à 46%, le Cambodge à 49% et la Thaïlande à 36% L’UE est à 20%. C’est très clairement la rivale chinoise qui est visée le plus ici, car avec des tarifs déjà imposés par Trump, le montant revient à 65%. En mai, le système « de minimis » qui permet actuellement l’entrée sans tarifs aux États-Unis de colis représentant une valeur chacun de moins de 800 dollars sera aboli. Ce système a beaucoup profité à des sites de vente en ligne chinois comme Shein. L’UE est taxée juste au moment où elle commence à se méfier elle-même des importations de la Chine, mais pour Trump elle a besoin de montrer clairement qu’elle est du côté américain dans la lutte commerciale. Mais pourquoi Trump punit-il tellement les alliés des États-Unis que sont l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande ? La raison est l’échec de la politique de friend shoring, c’est-à-dire la tentative de se fournir auprès de pays amis ou de concentrer les maillons des chaînes d’approvisionnement de ses propres entreprises dans ces mêmes pays. C’est l’approche adoptée par les Américains après l’imposition de tarifs à la Chine par Trump dans son premier mandat et par Biden. Le hic, c’est que la Chine a établi des usines dans ces pays amis, pendant que des entreprises dans ces pays ont réemballé des biens ou des pièces importés de Chine pour les exporter vers les États-Unis. La punition commerciale de ces pays par Trump est un signal très clair : pas de collaboration possible avec les Chinois.

On a beaucoup commenté des anomalies apparemment comiques dans le tableau de Trump : des îles inhabitées ont été imposées ou des territoires d’outre-mer ont été taxés plus que la métropole. C’est ainsi que les huit îles françaises de Saint Pierre et Miquelon se trouvent à 50% quand la France elle-même n’est qu’à 20%. Cela a permis aux commentateurs de donner libre cours à leur mépris pour l’amateurisme des Américains, mais il se peut qu’il s’agisse d’un écran de fumée pour détourner l’attention. Ce qui compte, aux yeux de Trump, c’est sûrement les négociations qui vont commencer avec les partenaires, négociations qui auront lieu d’abord dans les coulisses.

Les buts de Trump sont multiples : réduire son déficit, encourager le rapatriement des chaînes de fabrication, attirer des investissements (il prétend avoir déjà attiré 4 000 milliards de la part de grandes entreprises comme Apple, Oracle ou Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), réduire la valeur du dollar et créer des emplois sur son sol. Les Américains parlent aussi de remplacer les revenus en provenance des impôts par d’autres en provenance des tarifs, ce qui correspond à ce qui se passait aux États-Unis dans la dernière partie du XIXe siècle. Pourtant, cela semble très difficile à réaliser.

Retaliate or negotiate

La conséquence immédiate de l’action de Trump, c’est de donner aux partenaires des Américains le choix entre la guerre commerciale ou la négociation d’un accord. Le Canada, est pour l’instant entre les deux. Les Européens se préparent à la guerre. Le Royaume Uni tente de négocier un accord limité. Le président américain veut surtout que les différents pays choisissent entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière doit être isolée sur le plan commercial. Le nouveau système, centré sur une Amérique revigorée, a déjà été baptisé par certains économistes « l’accord Mar-a-Lago ». Verrons-nous ce nouvel âge d’or américain ou une grande récession que d’autres ont surnommée la « Trumpcession » ? En tout cas, Trump a pris un risque énorme en menaçant non seulement de chambouler tout le système mondial mais de le détruire si les autres nations ne collaborent pas avec lui.

Jugée au nom du peuple, vraiment ?

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Marine Le Pen sort de son bureau pour donner un entretien à la télévision TF1 après sa condamnation, Paris, 31 mars 2025 © Thomas Hubert/SIPA

Marine Le Pen aurait pu ne pas être condamnée pour détournement de fonds publics… c’est écrit dans la Constitution ! Mais les juges en ont fait une autre lecture. Les explications de l’avocat Pierre-Henri Bovis.


Il n’est pas ici question de savoir si Marine Le Pen doit être condamnée pénalement des faits reprochés, mais si cette condamnation doit la priver de représenter une partie du peuple à la prochaine élection présidentielle, contre l’extrême réserve du Conseil constitutionnel. N’avons-nous pas porté sur les bancs de l’Assemblée nationale des individus fichés S pour leurs actes de violence, d’anciens dealers revendiqués, ou toléré des candidats visés pour apologie du terrorisme ? Cette réalité est peut-être moralement regrettable mais conforme à l’esprit de la Constitution. Dès lors, il est évident qu’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire aux plus hautes fonctions a un caractère disproportionné et censure la liberté de l’électeur.

Il est toujours utile de se remémorer la Constitution du 4 octobre 1958 et son esprit, laquelle prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par leur représentant ou par la voie du référendum ». Le sens de cette disposition voulue par le général de Gaulle et Michel Debré consiste à affirmer que seul le peuple français décide librement et souverainement du destin de la nation.

D’ailleurs, si un temps la justice fut rendue par délégation du roi qui disposait du pouvoir divin, celle-ci est rendue désormais dans notre République « au nom du peuple français ». Il est donc cocasse que le tribunal correctionnel ait pu considérer que c’est au nom du peuple français qu’il doit être retiré au dit peuple le pouvoir de se prononcer dans les urnes…

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Cette hérésie judiciaire a été malheureusement rendue possible par l’excès de zèle des parlementaires, majoritairement de gauche, qui, soucieux d’être dans l’ère du temps de l’ultra-transparence et de la sacro-sainte probité, ont prévu une peine d’inéligibilité dès 1992 et y ont assorti un caractère « obligatoire » par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, laissant au juge la possibilité d’y déroger par une décision motivée. Un espoir bien ambitieux et éloigné de la réalité judiciaire. Il sera relevé toutefois que les élus LR, UDI et les deux élus FN de l’époque ont voté ou se sont abstenus lors du vote de la loi dite « Sapin 2 ». Les élus socialistes, à l’unisson, ont permis l’adoption de ce texte pour se purifier et faire œuvre de repentance après l’affaire dite « Cahuzac ».

La latitude laissée aux juges pour apprécier de l’application de cette peine complémentaire fait courir le risque inéluctable de sélectionner les candidats à se présenter aux élections et d’écarter les indésirables sur des motifs nécessairement subjectifs et éminemment critiquables. C’est d’ailleurs pour prévenir « un éventuel trouble à l’ordre public constitué par la candidature de Marine Le Pen aux prochaines élections présidentielles » que cette inéligibilité avec exécution provisoire a été prononcée et motivée… Les magistrats deviennent les garants de l’ordre moral et ont ce pouvoir quasi divin de dire qui peut, ou non, se présenter au suffrage universel.

Surtout, le caractère excessif de la peine accessoire tend à faire oublier la raison de la condamnation de Marine Le Pen, de son parti et de plusieurs de ses collègues élus.

Car si le jugement est largement critiquable sur les peines accessoires prononcées, il l’est tout autant sur la peine principale. L’intérêt ici n’est pas de faire de la moraline nietzschéenne, ni de dire si les actes commis, ou non, par le RN et ses membres, sont bien ou mal. La question est de savoir dans quelle mesure des parlementaires, nationaux ou européens, peuvent faire l’objet d’une condamnation pour détournement de fonds publics, nonobstant les interprétations très contestables de la Cour de cassation en cette matière.

Cette infraction est en effet définie à l’article 432-15 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. »

Pour condamner un parlementaire de ce chef, il reviendrait donc à le considérer, soit dépositaire de l’autorité publique, soit chargé d’une mission de service public.

Or, selon l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, votent la loi et contrôlent l’action du gouvernement. Ils ne sont rattachés à aucune administration, ne sont dépositaires d’aucune autorité publique, ne sont dotés d’aucune prérogative de puissance publique et il n’existe aucun contrôle des objectifs atteints ou non de leur mission, par une quelconque autorité, si ce n’est le peuple souverain au moment des élections.

La Cour de cassation a d’ailleurs considéré[1], s’agissant des partis politiques que :

« (…) les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage et jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, le principe de la liberté de formation et d’exercice qui leur est constitutionnellement garanti s’oppose à ce que les objectifs qu’ils poursuivent soient définis par l’administration et à ce que le respect de ces objectifs soit soumis à son contrôle, de sorte qu’ils ne sauraient être regardés comme investis d’une mission de Service public »

Cette définition correspond également à celle des parlementaires dont l’élection est bien le résultat de l’expression du suffrage universel, quand bien même ces parlementaires ne seraient pas issus nécessairement d’un parti politique. Leur candidature « concourt à l’expression du suffrage et joue un rôle essentiel au bon fonctionnement de la démocratie ».

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Pourtant, dans un objectif non dissimulé de moraliser la vie publique, les hauts magistrats ont détorqué les définitions pourtant constantes du Conseil d’État de la notion de service public pour considérer qu’un parlementaire « accompli des actes ayant pour but de satisfaire l’intérêt général, ce qui revient à considérer qu’il remplit une mission de service public »… Or, il y a lieu de souligner là aussi la contradiction flagrante avec la doctrine administrative, laquelle considère que « la mission d’intérêt général n’est pas inéluctablement une mission de service public alors que la mission de Service public est nécessairement une mission d’intérêt général »…

Judiciariser la vie publique en laissant l’institution judiciaire pénétrer l’hémicycle et contrôler l’action politique est dangereux pour notre démocratie et donne la possibilité au juge d’interpréter les textes de loi au détriment de l’esprit du législateur -ce que le professeur de droit Edouard Lambert dénommait « le gouvernement des juges ». Un parlementaire serait donc soumis au contrôle du juge de l’utilisation de son indemnité, des sommes allouées à ses assistants et donc plus globalement à l’effectivité et la réalité de sa mission législative. 

Or, n’est-ce donc pas le rôle des institutions, à travers leurs règlements, de contrôler l’affectation des fonds et leur utilisation ? Que penser d’un magistrat ayant la compétence de solliciter la communication des agendas des élus, de leurs notes écrites et rédigées, des projets de loi en cours de rédaction, des éventuels rendez-vous avec d’autres partis politiques ? Quelle serait la limite et l’échelle de notation pour juger d’un travail effectif ou non d’un parlementaire ? Les dérives judiciaires sont trop importantes et font courir un risque inéluctable de pointer du doigt des décisions davantage politiques que juridiques, dans un temps où certains magistrats s’adonnent à des activités militantes.

S’il n’est pas audible de faire état de ces réflexions, celles-ci sont pourtant saines et nécessaires pour redéfinir le cadre législatif et le statut sui generis du parlementaire, dès lors que nous psalmodions inlassablement que nos élus ne sont ni en dessous, ni au-dessus des lois…


[1] Civ. 1ère chambre, 25 janvier 2017, n° 15-25.561

Jean-Marie Rouart: la justice à l’épreuve des mots

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Jean-Marie Rouart, membre de l'Académie française depuis 1997 © BALTEL/SIPA

Dans son nouveau livre, l’Académicien s’engage pour une justice plus humaine


Depuis quelques livres, que nous avons eu plaisir à lire, comme Mes révoltes (2022), Jean-Marie Rouart, sans renoncer bien sûr au roman, a opté de manière intermittente pour la veine autobiographique, distillant ainsi au fil de la plume les souvenirs d’une carrière d’écrivain qui fut riche et intense. Chemin faisant, le lecteur de Rouart se rend compte que le journalisme a été (il l’est moins aujourd’hui) une activité, et même une passion, très importante pour lui. Avant de diriger, comme on s’en souvient, le Figaro littéraire, Rouart s’occupait de ce qui touchait à la justice. Il repérait déjà les affaires intéressantes, et n’hésitait pas à rédiger des articles quasiment « militants ».  Ainsi, longtemps avant de prendre la défense du jardinier marocain Omar Raddad, il intervenait en juin 1969 pour soutenir Gabrielle Russier, cette enseignante amoureuse d’un de ses élèves. Déjà, Jean-Marie Rouart était révolté contre l’injustice, au point même de heurter la morale rigoriste de ses supérieurs hiérarchiques, et de devoir démissionner du Figaro.

La réflexion de toute une vie

Aujourd’hui, il consacre un livre tout entier, Drôle de justice,à cette question. Il y a rassemblé les réflexions de toute de sa vie : « loin d’avoir, écrit-il, connu la justice sous une forme platonique, je l’avais approchée de près comme journaliste, et même de plus près encore comme inculpé et condamné dans une fameuse affaire judiciaire, celle d’Omar Raddad ». Rouart possède une légitimité indiscutable à entrer dans le vif du sujet. Il raconte brut de décoffrage ce qu’il a observé. Il revient également, ce qui ne manque pas d’intérêt, sur ses rencontres, traçant des portraits piquants et insolites, comme celui de l’avocat Jacques Vergès, dont il écrit : « Anticonformiste, anarchiste, il comprenait que le désordre était une aspiration légitime à bouleverser un ordre toujours, pour lui, fondé sur l’injustice. » Au passage, Rouart nous décrit le Jean d’Ormesson qu’il a connu au Figaro à une époque lointaine, et qui était déjà tel qu’en lui-même, c’est-à-dire sceptique et épicurien : « il m’enviait une liberté vis-à-vis de la société que l’homme du monde en lui, modelé dans une tradition aristocratique de discrétion, ne s’accordait pas ». En une demi-phrase, tout est dit.

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L’apport de la littérature

Point fort de cet essai : Jean-Marie Rouart n’oublie jamais la littérature, où il a puisé la meilleure partie de son savoir. Par conséquent, cet intérêt pour la justice et la manière dont elle est rendue par les hommes lui vient avant tout des livres. Il s’attache, dans Drôle de justice, à creuser cette idée : « Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n’ont cessé de me troubler. » Rouart choisit de nombreux exemples, en particulier celui de Tolstoï, auteur d’un roman essentiel, Résurrection, qu’on lit certes moins que Guerre et Paix. Rouart reprend à son compte la conviction de Tolstoï, qui fut aussi celle de bien des écrivains, à savoir une permanence de « la part de responsabilité de la société dans le crime ». On parle de justice là où, souvent, c’est l’injustice qui se manifeste par des voies tortueuses. Rouart indique donc le rôle de révélateur de la littérature, dans cette prise de conscience : « Ce que montre la littérature, constate Rouart, c’est qu’avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu’elle veut perdre. » Comment ne pas lui donner raison, dans le droit fil d’un chef-d’œuvre comme Résurrection ? Certes, Jean-Marie Rouart, en optant pour cette défense et illustration de la littérature, paraîtra peut-être bien isolé, en des temps où les lecteurs ne se bousculent plus pour lire Résurrection.

Une œuvre dramatique inédite

Dans une deuxième partie de son livre, Jean-Marie Rouart nous présente une pièce de théâtre inédite qu’il a écrite pour conforter sa critique de ce qu’il appelle cette « drôle de justice ». C’est une tragi-comédie en trois actes, écrite avec rigueur et sans effets de style, qui a pour personnage principal un vieux magistrat. L’ambition littéraire de Jean-Marie Rouart, dans cet « apologue », est de montrer, comme il le dit, « la vérité toute nue ». N’est-ce pas ce que l’on poursuit lorsqu’on cherche à rendre la justice ?

On appréciera, dans ce livre de Jean-Marie Rouart sur la justice comme il la voit, la diversité des approches, au service d’un propos jamais dogmatique, mais très convaincant, car très humain. Le bon sens est privilégié, de même que la juste mesure des solutions à apporter. Rouart rappelle que la justice est affaire, non seulement de droit positif, mais aussi de culture. Et donc éventuellement, dans le monde judéo-chrétien, de compassion. Tout ceci se retrouve dans les grands livres que nous avons reçus en héritage, annonce Jean-Marie Rouart. C’est en ce sens que son message mérite d’être entendu à la fois du législateur, du juge et du citoyen, dans le but d’édifier peut-être un jour, grâce à une grande réforme, une justice moins arbitraire.

Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, essai suivi d’une pièce en trois actes. Éd. Albin Michel, 173 pages.

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Causons ! Le podcast de Causeur

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Marie-Charlotte Garin, député écologiste, co-rapporteure de la proposition de loi exigeant un « consentement libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable » aux actes sexuels. La député est ici photographiée à l'assemblée Nationale, le 20 février 2025 © OLIVIER JUSZCZAK/SIPA

Avec Céline Pina, Eliott Mamane, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Vivons-nous sous le gouvernement des juges? Céline Pina et Eliott Mamane reviennent sur le cas de Marine Le Pen. Le jugement prononcé contre elle prétend affirmer un des principes de base de la démocratie et de l’Etat de droit, à savoir l’indépendance de la justice. Pourtant, le jugement sape ce principe par la dimension politique que les juges lui ont donné. Donald Trump vient de tout mettre sens dessus dessous dans l’économie mondiale en annonçant des tarifs sans précédent qui seront imposés aux autres pays. Malgré le fait que l’on avait une bonne idée de ce que le président américain allait faire, l’Union européenne n’avait visiblement pas préparé de plan B et ne semble envisager d’autre recours que des représailles commerciales.

A l’Assemblée nationale, les députés viennent de débattre de la notion de consentement dans les relations sexuelles. Martin Pimentel analyse les préjugés néoféministes derrière l’adoption de ce concept, ainsi que les conséquences juridiques et sociales qu’elle risque d’entraîner. Dans une tribune publiée par nos confrères de Valeurs actuelles, l’avocat Randall Schwerdorffer nous met en garde contre les dérives possibles que cette notion peut inspirer. Mauvaise nouvelle, la rapporteuse spéciale des Nations Unies aux droits de l’homme dans les territoires palestiniens, Francesca Albanese va voir son mandat renouvelé aujourd’hui pour encore trois ans. Jeremy Stubbs nous rappelle que l’ONG genevoise, UN Watch, travaille depuis des années pour attirer l’attention politique sur les agissements de cette juriste italienne qui n’est qu’une militante propalestinienne, pro-Hamas même, dépourvue de la moindre trace d’impartialité ou d’objectivité. Il n’est pas trop tard pour signer la pétition de UN Watch contre le renouvellement de ce mandat. Lisez aussi l’analyse récente de Richard Prasquier dans Causeur.

Jean-Louis Porchet: le producteur et l’injustice

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Roman Polanski et Jean-Louis Porchet © D.R.

Le producteur Jean-Louis Porchet, qui avait soutenu le film « The Palace » de Polanski, s’est donné la mort.


Le producteur Jean-Louis Porchet s’est donné la mort le 31 mars. Il avait eu soixante-seize ans deux jours plus tôt. Basée à Lausanne, son entreprise CAB productions fondée en 1984, a accompagné plus de 90 films, d’Alain Tanner à Kieslowski en passant par Claude Chabrol, Olivier Assayas et bien d’autres encore.

Jean-Louis Porchet avait également, contre vents mauvais et marées toxiques, coproduit le film de Roman Polanski The Palace. Cela restera comme l’ultime honneur de son parcours d’homme de cœur et d’amoureux du cinéma. La tempête empoisonnée déchaînant ses miasmes meurtriers contre l’immense réalisateur devenu paria a fini par le briser.

On touche le fond

La presse suisse a rendu un bel hommage au producteur, autodidacte atypique et imaginatif, doué pour la vie, pour l’art, et suprêmement pour l’amitié. L’on crut bon cependant d’écrire que Jean-Louis Porchet se serait « fourvoyé dans un projet déraisonnable : The Palace tourné à Gstaad par Roman Polanski » (Le Temps), ou ailleurs, que « The Palace lui a été fatal » (La Tribune de Genève) – formule d’une hypocrisie toute victorienne, qui passait pudiquement sous silence l’enchaînement de circonstances ayant entraîné la mise en faillite de sa maison de production, et ainsi la ruine de Jean-Louis Porchet, consécutive en effet à son engagement enthousiaste et déterminé sur ce film auquel il tenait tout particulièrement.

« Déraisonnable », la liberté que s’octroya le producteur de soutenir un projet de Roman Polanski ?  Obéir à la meute lyncheuse passe aujourd’hui pour « raisonnable », il est vrai. Et les mêmes qui rampaient jadis devant Polanski et auraient vendu père et mère pour tourner sous sa direction, lui tournent piteusement le dos aujourd’hui, tel Jean Dujardin, à qui le réalisateur de J’accuse avait offert un rôle – peut-être trop grand pour lui, mais la force du film sauvait le comédien. À une question indécente de la sinistre et tellement grotesque commission d’Inquisition de l’Assemblée nationale sur les VHESS dans le cinéma, présidée par la doucereuse coupeuse de têtes en chef Sandrine Rousseau (commission instaurée comme par un décret souverain de Judith Godrèche, et par conséquent votée à 100%, mieux qu’en Corée du Nord), l’acteur répondit qu’il « ne savait pas s’il ferait le choix aujourd’hui de tourner avec le cinéaste accusé d’agressions sexuelles » (sans « l’exclure » toutefois). Veulerie pathétique, en laquelle pour le coup s’est fourvoyé un homme. Est-il vraiment « raisonnable » – pour soi-même, seul le matin face au miroir – de se salir si honteusement la face ? 

À lire aussi : Dame Sandrine en son tribunal

Apprenant cela, Jean-Louis Porchet commentait : « Effectivement on touche le fond, et l’intérêt est qu’on peut remonter. Remonter pour aller où ? Je ne sais pas. » C’est sans issue, disait-il ainsi à demi-mot, avec une ironie légère et mélancolique, qui masquait, comprend-on, un désespoir sans fond face à un monde « devenu fou », comme il disait aussi. Un monde où l’on se prosterne devant des Judith Godrèche et où l’on crache sur Roman Polanski.

Peu après avoir pu voir The Palace en projection privée, j’ai eu le bonheur et la chance de rencontrer cet homme généreux, enthousiaste, d’une fidélité et d’un honneur sans faille dans la constance de ses choix. « Toute ma vie j’ai voulu construire des ponts, et voilà que je me retrouve maintenant face à des murs », m’avait-il écrit il y a un peu plus d’un an, quelques heures avant le terrible accident qui le dimanche 24 mars 2024, il allait voir un ami, a écrasé sa voiture contre un haut mur bordant la route le long du lac Léman. Prisonnier de son véhicule en feu, côtes et jambes brisées, il finit par être secouru. Après une longue année de bataille pour recouvrer la santé, ponctuée de multiples opérations pour sauver sa jambe aux os réduits en bouillie, endurant de terribles douleurs dues aux graves brûlures subies – jamais une plainte, toujours l’élégance d’une gaieté sincère face aux amis –, voilà qu’enfin il était de retour chez lui, brûlures cicatrisées, mobilité presque entièrement retrouvée à force de courage, d’énergie, de goût de vivre, amis fidèles et cigare quotidien (« thérapeutique » disions-nous en plaisantant) aidant.

Césars de fiel

Remontons le fil de la tragédie de Jean-Louis, mort d’avoir vu se dresser, broyant sauvagement les ponts que le producteur n’avait jamais cessé de construire, les murs de la bêtise, de la haine, de la lâcheté et de la soumission à un mouvement qui avait décrété que Roman Polanski devait être effacé.

La cabale contre le réalisateur s’était décisivement déchaînée en 2019, à la suite des fracassantes allégations de viol de Valentine Monnier[1] au moment de la sortie de J’accuse, puis du non moins fracassant sketch d’Adèle Haenel vociférant à l’annonce du Prix du meilleur réalisateur attribué à Polanski, lors de la dégoûtante cérémonie des César 2020 et de son florilège de saillies antisémites[2]

Dès lors, toute possibilité en France de produire un film dont Polanski pourrait avoir le projet – non mais quelle outrecuidance, mes sœurs ! – avait été barrée. Évaporés (ou plus exactement noyés dans leur couardise) les producteurs français – dont le réalisateur avait contribué largement à faire la fortune. #MeToo dicterait désormais sa loi, médias à l’unisson en bras armé du mouvement de « libération de la parole », avec l’onction de la classe politique – de l’oubliable Marlène Schiappa à Franck Riester « ministre de la censure », ainsi que l’avait rebaptisé Pascal Bruckner, en passant par Valérie Pécresse déclarant vaillamment que bien entendu, si elle avait su, la région Île de France aurait refusé tout financement à J’accuse.

Passons. Ou plutôt ne passons pas.

The Palace a cependant pu être produit, co-production italienne, polonaise et, grâce à Jean-Louis Porchet, suisse – sans aucun financement public – avec Cab production.

Le film, présenté à la Mostra de Venise de 2023, fut, on s’en souvient, passé au lance-flammes par la critique, dans un unanimisme qui trahissait grossièrement le parti pris de régler son compte cette fois à l’artiste Polanski – l’homme ayant déjà été décrété indésirable par les furies #MeToo. Il fallait achever le sale travail : la mise à mort symbolique définitive du cinéaste.

Leur mauvaise (ou pire : leur bonne) conscience soulagée par la misérable curée médiatique, les distributeurs français se couchèrent eux aussi,à l’exception notable d’un franc-tireur, autodidacte passionné lui aussi, Sébastien Tiveyrat. Bien entendu les exploitants de salle firent à leur tour preuve de la pleutrerie de bon ton dans le brave new world de la censure « féministe ».

En Suisse romande, le film devait cependant sortir mi-mars 2024.

Las.

Le 5 mars 2024, avait eu lieu l’audience du procès en diffamation intenté par l’actrice Charlotte Lewis à Roman Polanski. Me Delphine Meillet, avocate de Polanski, avait brillamment, et de la façon la plus implacable, démonté les mensonges grossiers et répétés de la plaignante. Les médias se rendirent parfaitement compte que l’affaire se présentait mal pour Charlotte Lewis[3], et que cette fois-ci le sacro-saint « Victimes, on vous croit », étendard intouchable de #MeToo, avait du plomb dans l’aile. Damned !

À lire aussi : Affaire Depardieu: ce que cette époque fait à la masculinité

Le 13 mars 2024 donc, soit une semaine après cette audience embarrassante pour la Cause, Le Monde, accomplissant, primus inter pares, sa triste besogne d’exécuteur des basses œuvres de #MeToo, publia un article faisant état d’accusations de « viol sur mineur » contre Roman Polanski. Lesdites accusations émanaient d’une Américaine anonyme, les faits allégués ayant prétendument eu lieu cinquante ans auparavant. Ou comment tenter de rattraper une proie qui allait leur échapper. Bien entendu une flopée de médias zélés se jeta sur l’aubaine, emboîtant allègrement le pas à l’auto-réputé « journal de référence ».

Dès le lendemain de cet article, les salles de Suisse romande annulèrent sans autre forme de procès la sortie de The Palace, prévue le mercredi suivant, et la plateforme de la RTS (Radio Télévision Suisse) révoqua séance tenante un important contrat de cession des droits du film. 

Le 24 mars 2024, le loyal Jean-Louis Porchet, désespéré par la monstrueuse lâcheté générale, bien au-delà de l’angoisse de la ruine qui s’annonçait inévitable pour Cab productions, perdait le contrôle de sa voiture et fonçait dans un mur.

Le 31 mars 2025, il mettait fin à ses jours.

Le mystère d’un acte tel que le suicide demeure toujours entier.

Il convient cependant de ne pas masquer la suite de séquences qui a précédé cette rupture tragique avec un monde si laid dans sa cruauté enrobée de poisseuse guimauve victimaire.

Jean-Louis était heureux et fier d’avoir fait The Palace, ce film proche de son cœur, qui par bien des côtés correspondait à son tempérament. Il avait ô combien raison de se féliciter d’avoir contribué à la naissance de cette œuvre. Un film cher également au regretté Michel Ciment, irremplaçable aristocrate de la critique cinématographique.

Un mensch nous a quittés. Il ne reste plus qu’à continuer, nous le lui devons, à contrarier, comme il a su le faire, le vil et vilain cours des choses, désespérant et tellement absurde. À reconstruire des ponts.


[1] Valentine Monnier prétendant pompeusement s’identifier elle-même à Zola, mais… accusant l’accusé calomnié, et point comme l’avait fait Zola les accusateurs faussaires. Involontaire et ridicule aveu de sa propre position de faussaire. Je me permets sur ce point, et sur la fabrication médiatique d’un business de la calomnie autour de Roman Polanski, de renvoyer à mon livre Qui a peur de Roman Polanski ? (Le Cherche-Midi, 2024). Il faut également lire ou relire le livre d’Emmanuelle Seigner, Une vie incendiée (L’Observtoire, 2022).

[2] Voir Transfuge, https://www.transfuge.fr/2020/03/17/polanski-cesars-de-fiel/

[3] Ch. Lewis perdit en première instance, puis à nouveau en appel.

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Les Sœurs musulmanes vous offrent une thérapie divine à l’Institut du Monde Arabe !

Institut du monde arabe à Paris. DR.

Des militants prosélytes l’assurent : du point de vue psychologique, les musulmans (et les musulmanes) ont besoin d’une approche spécifique…


Le 15 décembre 2024, l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris a accueilli un événement intitulé « Mizan (« Équilibre » en arabe) – Explore tes traumas transgénérationnels et transculturels sur une journée immersive à Paris ». Cet évènement a été organisé par Hafsa Kerkri, psychologue diplômée d’un Master 2 en psychologie de l’Université de Caen, et ayant poursuivi une spécialisation en psychologie islamique au Cambridge Muslim College en 2024 – Rien à voir avec l’Université de Cambridge, évidemment NDLR.

Elle revendique une approche thérapeutique basée sur l’intégration des principes islamiques dans la pratique psychologique, comme en témoigne la présentation de son cabinet, qui se veut un espace où « l’islam est intégré à la thérapie »1.

« Mizan » ou l’art de guérir l’âme avec une bonne dose de charia

L’événement « Mizan » a également été marqué par la participation de l’inénarrable Mariem Saghrouni, figure de proue de la psychologie islamique en France et diplômée en 2018 de l’Université Paris 13. La Sœur Mariem Saghrouni est issue d’un milieu familial étroitement lié aux Frères musulmans puisque son père, Mohamed-Taïeb, est un ténor reconnu au sein du mouvement qui a occupé le poste de délégué de la région Nord de l’organisation dès 1990 et a été un administrateur actif de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France). Son inclinaison envers la pensée de Sayyid Qotb, favorable au djihad armé, a été signalée2. Dans sa jeunesse, Mariem Saghrouni a été impliquée dans les mouvements de jeunesse des Frères Musulmans, notamment en tant qu’administratrice de l’EMF (Étudiants Musulmans de France) et conférencière régulière pour l’UOIF. Mariem Saghrouni, s’inscrivant dans la dynamique de la psychologie islamique, a rédigé un travail de recherche intitulé « Decolonizing the Mind: Colonial Legacy, Intergenerational Trauma, and Resilience in the Maghrebi Diaspora in Europe ». Cette étude, axée sur les traumatismes intergénérationnels au sein de la diaspora maghrébine en Europe, lui a valu une invitation à l’International Conference IPCON 2025, un événement dédié à la psychologie islamique, organisé par Shifa Tameer-e-Millat University (STMU), une institution pakistanaise d’Islamabad. Sur son profil LinkedIn, elle exprime sa gratitude et déclare : « J’accepte avec sérénité le décret d’Allah et reste reconnaissante pour cette reconnaissance académique mondiale dans le monde de la psychologie islamique ».


Les points communs entre ces deux psychologues sont nombreux : port revendiqué du hijab, suivi des patients exclusivement en ligne (ce qui permettrait de respecter les normes halal dans le champ de la thérapie), militantisme aligné avec la vision des Frères musulmans, volonté de toucher un public musulman – et essentiellement féminin – en pleine expansion, volonté de diffuser la psychologie islamique en France, dont la discipline a émergé au sein d’universités islamistes pakistanaises.
En marraine de l’évènement, nous retrouvons Zina Hamzaoui, sage-femme de Molenbeek et chroniqueuse pour la station de radio belge AraBel FM, organe de propagande des Frères musulmans tunisiens.

Tout un business séparatiste

Cet événement s’inscrit dans un courant en pleine expansion, car la psychologie islamique connaît une popularité croissante. Cela se reflète notamment par la création d’une plateforme telle que « Ma psy musulmane », un Doctolib exclusivement dédié aux psychologues musulmans ; mais aussi par la création de l’AFPI (Association Francophone de Psychologie Islamique) et la tenue du premier colloque francophone de psychologie islamique en février dernier à Bobigny. Partout, il est répété en boucle que les musulmans auraient des besoins spécifiques dans le domaine de la psychologie…

Enfin, l’événement de l’IMA serait incomplet sans la présence de sponsors de qualité qui ne soient à la hauteur du prestige du lieu. Parmi eux, nous retrouvons l’EMF, l’antenne de la jeunesse frériste en France ; MyZawajmatch, une nouvelle application de rencontres musulmanes validée par le Cheikh Chamsouddin Chamouini, imam de la mosquée de Massy – lieu dénoncé comme une plaque tournante du frérisme en France3 ; nous pouvons également flâner sur le stand de MuscPay, une application de finance islamique qui propose à ses adhérents la création d’un RIB belge conforme aux principes de la charia.
Avec de telles intervenantes et de tels sponsors de qualité, il ne fait plus aucun doute que les visiteurs disposent désormais de tous les outils nécessaires pour prendre en charge leur santé mentale et aborder l’avenir avec sérénité !

Comment l’Institut du Monde Arabe a-t-il pu accepter pareille foire en son sein ?

Rappelons que l’IMA a salarié, à partir de 2001 – et donc payé avec nos impôts – Houria Bouteldja, la sulfureuse indigéniste, et que son patron Jack Lang affirmait à l’époque que l’IMA n’avait « aucun problème avec elle » (​Houria Bouteldja a été employée par l’Institut du Monde Arabe (IMA) depuis au moins 2001, occupant le poste de « chargée de la location des espaces » . Des sources datant de 2021 confirment qu’elle était toujours salariée de l’IMA à cette époque. Cependant, les informations disponibles ne permettent pas de confirmer si elle occupe encore ce poste en avril 2025 NDLR). Auteur de Les Blancs, les Juifs et nous, ouvrage disponible dans la boutique de l’IMA, la militante décolonialiste affirme appartenir « à [sa] famille, à [son] clan, à [son] quartier, à [sa] race, à l’Algérie, à l’islam ». En 2012, elle écrivait carrément que « Mohammed Merah c’est moi et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine et surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république… Je dis ce soir, je suis musulmane fondamentale ». Son livre Les Beaufs et les Barbares, disponible à la bibliothèque de l’IMA, est résumé ainsi sur le site : « L’auteure décrit les diverses manifestations de ce qu’elle appelle l’État racial intégral, comme l’indifférence de la société civile, l’impérialisme ou la fidélité des organisations politiques au pacte national racial. Elle invite ensuite à se servir de ses faiblesses pour construire une politique décoloniale, défendre l’autonomie indigène et concurrencer l’extrême droite ».

Si l’IMA a salarié Mme Bouteldja, il n’y a rien de bien étonnant alors à ce que l’Institut laisse aussi s’exprimer ouvertement des sœurs musulmanes psychologues. Quoi de plus naturel ?

Souvenons-nous également qu’en 2022, à l’occasion de l’exposition « Juifs d’Orient », réalisée grâce aux prêts d’institutions israéliennes dont le musée d’Israël à Jérusalem, l’IMA s’était retrouvé au cœur d’une polémique. Une pétition avait été lancée par le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), mouvement pro-palestinien qui appelle systématiquement au boycott d’Israël, signée par environ 250 personnalités et par une poignée d’intellectuels qui estimaient inacceptable de mettre en avant un régime « colonial » qui pratiquerait la ségrégation envers les Palestiniens. Parmi les signataires, on trouvait le réalisateur palestinien Elia Suleiman, et le diplomate algérien Lakhdar Brahimi. Le texte affirmait « que l’Institut du monde arabe trahit sa mission intellectuelle en adoptant cette approche normalisatrice — une des pires formes d’utilisation coercitive et immorale de l’art comme outil politique pour légitimer le colonialisme et l’oppression ». L’IMA avait répliqué très sobrement : « Le soutien de l’IMA et de son président Jack Lang au peuple palestinien et à la paix est sans faille. »

On comprend peut-être mieux dès lors pourquoi nos « Sœurs musulmanes » se sentent comme chez elles à l’IMA, comme en terre conquise.

Le mélange est subtil : dans ce lieu de haute culture, on soigne l’âme, tout en distillant des notions de lutte contre l’impérialisme et d’émancipation radicale. Bienvenue à l’Institut du Monde Arabe où l’équilibre, le Mizan, entre culture, politique et spiritualité semble avoir trouvé sa propre formule magique… Mais parfois au détriment de l’esprit républicain.


  1. https://www.hafsapsychologue.com/ ↩︎
  2. https://collectiflieuxcommuns.fr/IMG/FM/index.html ↩︎
  3. https://www.islamisation.fr/2019/04/08/la-mosquee-de-massy-inauguree-par-le-maire-et-laval-du-prefet-malgre-son-orientation-freriste/ ↩︎

« Il est impossible de mettre un mineur en prison »

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Détenus dans la cour de la maison d'arrêt de Seine-Saint-Denis, Villepinte, 4 mars 2021 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.


De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.

Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.

épisode 1 épisode 2 épisode 4 épisode 5


Avant le jugement : la détention provisoire

Sous réserve de ce qui a été évoqué dans les épisodes précédents1, l’urgence à ce jour n’est pas uniquement celle de la rapidité voire de l’immédiateté du jugement, régulièrement présentée comme l’antidote ultime au sentiment d’impunité. La question est aussi voire surtout celle du sort du mineur entre le jour de décision de poursuite prise par le procureur (en général à l’issue de la garde à vue) et le jour du jugement. Cette période de latence est en effet à ce jour inévitable compte tenu de l’encombrement de l’appareil judiciaire, rendant impossible la généralisation des procédures de jugement rapide.

Le prononcé de mesures de sûreté permet de compenser l’existence de ce délai de latence : ce sont des mesures de contrôle qui s’imposent aux délinquants dans l’attente de leur jugement. Elles permettent (en théorie) de prévenir la commission de nouvelles infractions, de protéger les victimes et les témoins, d’empêcher des contacts entre les complices et de garantir la présence du suspect le jour du procès. Il s’agit également de répondre, dans les cas les plus graves, au trouble causé à l’ordre public, en apportant une réponse ferme à la fois dissuasive pour les délinquants et les criminels et rassurante pour les honnêtes citoyens.

Concernant les mineurs, le principe est l’absence de mesure de sûreté et le prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire en cas de déferrement (présentation directe au tribunal à l’issue de la garde-à-vue). Concrètement, la violation de cette mesure ne donne lieu à aucune sanction. Le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la mesure éducative est insuffisante. Et la détention provisoire n’est possible que dans le cas de la procédure de l’audience unique.

La détention provisoire d’un mineur dès la commission de l’infraction (sans attendre la violation du contrôle judiciaire) n’est possible que dans deux cas :

→ L’audience unique pour les délits (voir épisode 2) : La procédure d’audience unique ne permet pas de placer en détention provisoire un mineur de moins de 16 ans, quelle que soit la gravité des faits commis, mais uniquement de le placer sous contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire ne pourra être révoqué que si le mineur est placé en centre éducatif fermé (encore faut-il trouver une place) ET qu’il ne respecte pas ce placement.

Elle permet en revanche de placer en détention provisoire le mineur âgé de 16 ans révolus pour une durée comprise entre 10 jours et un mois, en attendant son jugement par le tribunal pour enfants. Cependant, il faut que les conditions de l’audience unique soient réunies : une peine minimum de trois ans d’emprisonnement encourue et l’existence d’un antécédent (donc concrètement que l’agresseur ait déjà volé/violenté/détruit quelque chose ou quelqu’un).

→ L’information judiciaire (principalement pour les crimes) : le mineur présenté à un juge d’instruction peut être placé en détention provisoire s’il a commis un crime ou un délit. Cependant, les délais sont plus courts que ceux des majeurs. Pour exemple, un mineur de moins de 16 ans mis en examen pour un viol ou un meurtre ne peut être détenu que pour une durée maximale d’un an.

Exemple : Amine a 15 ans. Sur ordre d’un dealer il abat un concurrent sur un point de deal. Il est mis en examen pour assassinat. Il peut être détenu pendant 12 mois, puis il peut être placé en centre éducatif fermé pendant 12 mois. Si l’instruction n’est pas terminée dans ces délais, notre apprenti tueur à gages sera remis en liberté… Chez lui ou dans un foyer classique.

En conclusion, comme le souligne le syndicat Unité magistrats FO, dont nous saluons la dernière communication sur la réforme de la justice des mineurs : « les conditions d’incarcération des mineurs de moins de 16 ans sont devenues trop restrictives avec le CJPM, et rendent quasiment impossible leur placement en détention provisoire y compris lorsqu’ils sont réitérants et commettent des faits graves. Cela contribue à alimenter chez ces mineurs un sentiment d’impunité voire de toute-puissance, telle que le rapporte le pédopsychiatre Maurice Berger dans son dernier livre »2.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI

Après le jugement : la peine d’emprisonnement ferme

Dans un délai de 6 à 9 mois après la déclaration de culpabilité, le mineur comparaît à nouveau devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants pour recevoir sa sanction.

S’il comparaît devant le juge des enfants, celui-ci ne peut prononcer qu’une mesure éducative, un travail d’intérêt général ou un stage : pas de peine d’emprisonnement possible. Cette règle s’applique quelle que soit la nature des faits commis : Amine peut donc être jugé par un juge des enfants seul et condamné à un stage ou un avertissement pour des faits de trafic de stupéfiants ou d’agression sexuelle. Il n’y a aucune obligation légale de traduire les mineurs ayant commis des faits graves devant le tribunal pour enfants.

S’il comparaît devant le tribunal pour enfants, tous les types de peine peuvent en revanche être prononcés : amende, stage, travail d’intérêt général, emprisonnement avec sursis simple, avec période de probation, bracelet électronique, semi-liberté et même de l’emprisonnement ferme avec une mise en détention immédiate. Il est donc nécessaire pour pouvoir sanctionner un mineur par de l’emprisonnement de l’envoyer devant le tribunal pour enfants.

Le choix d’orienter le mineur vers le juge des enfants ou le tribunal pour enfants est une décision du… juge des enfants. La juridiction de principe désignée par la loi est… le juge des enfants. Dans la majorité des cas, le jugement sur la sanction aura donc lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire devant le juge des enfants seul (encore lui !). La question de l’emprisonnement ne se posera alors même pas. Devant le tribunal pour enfants, en revanche, l’emprisonnement est possible mais… dépend du bon vouloir de la juridiction. Les tribunaux pour enfants sont-ils connus pour sanctionner sévèrement les mineurs ? La réponse au prochain épisode.

On comprend aisément que la question de l’incarcération du mineur dépend avant tout de la volonté du juge des enfants : s’il envoie Amine devant la chambre du conseil, aucun emprisonnement possible. Si par miracle il l’envoie devant le tribunal pour enfants, c’est encore le juge des enfants (bienveillant, empathique et fervent lecteur de Rousseau3), qui décidera de son sort. Vous le devinez, Amine passera loin, très loin, de la case prison.

RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS

NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :

  • Rendre le placement sous contrôle judiciaire obligatoire si le mineur a déjà été condamné ou est déjà sous mesure éducative judiciaire provisoire
  • Étendre la possibilité de détention provisoire aux mineurs de moins de 16 ans et à toutes les atteintes aux personnes, sans condition de peine encourue ni d’antécédent
  • Allonger les délais de la détention provisoire criminelle à 2 ans pour les mineurs de moins de 16 ans
  • Permettre au parquet de saisir directement le juge des libertés et de la détention pour faire révoquer le contrôle judiciaire d’un mineur, sans passer par le juge des enfants
  • Permettre la révocation du contrôle judiciaire dès qu’il y a une violation, même sans placement en centre éducatif fermé et quel que soit l’âge du mineur
  1. https://www.causeur.fr/la-cesure-du-proces-penal-est-une-mauvaise-reforme-cjpm-305918
    https://www.causeur.fr/il-faut-une-comparution-immediate-pour-les-mineurs-306452 ↩︎
  2. https://unite-magistrats.org/publications/delinquance-des-mineurs-l-urgence-d-une-reforme-a-la-hauteur-des-enjeux ↩︎
  3. Jean-Jacques, pas Sandrine. Quoique, on peut toujours tomber sur un adhérent du SM. ↩︎

De la salle de classe à la rue: le partenariat avec l’université Reichman embrase Sciences Po Strasbourg

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Marche aux flambeaux pour la Palestine, Strasbourg, le 02 février 2024 © Okyanus Kar Sen/SIPA

Climat pesant, pressions internes, divisions profondes: derrière la controverse autour du partenariat entre Sciences Po Strasbourg et l’Université Reichman, un étudiant témoigne d’une institution prise dans la tourmente. Entre mobilisations, accusations de partialité et tensions croissantes, chaque camp continue d’essayer d’imposer sa vision


L’Institut d’études politiques de Strasbourg (Sciences Po Strasbourg) a récemment été le théâtre de vives tensions autour de son partenariat académique avec l’Université Reichman, un établissement privé israélien situé à Herzliya. Cette université jouit d’une réputation internationale dans les domaines des relations internationales, du droit, du commerce et de l’innovation technologique, et accueille chaque année un grand nombre d’étudiants venus du monde entier. Le lien entre les deux institutions remonte à l’année 2015, date à laquelle un accord de coopération a été signé. Ce partenariat prenait la forme d’un programme d’échange, permettant à des étudiants de Sciences Po Strasbourg de poursuivre un semestre ou une année de leur cursus à l’Université Reichman, et offrait en retour à des étudiants israéliens l’opportunité d’étudier à Strasbourg.


En juin 2024, dans un climat international particulièrement tendu à la suite du massacre du 7-octobre et de la guerre qui l’avait suivi, le conseil d’administration de l’Institut d’études politiques de Strasbourg a voté la suspension du partenariat qui le liait à l’Université Reichman. Cette décision ne s’est pas imposée d’elle-même : elle faisait suite à une motion portée par Solidarit’Étudiants, une association étudiante majoritaire au sein du conseil, qui dénonçait le contenu politique implicite d’un tel partenariat. Solidarit’Étudiants est une organisation étudiante active au sein de l’Institut d’études politiques de Strasbourg. Elle s’est fait connaître notamment par son positionnement engagé sur les enjeux sociaux, internationaux et éthiques. En 2024, elle détenait huit des dix sièges réservés aux étudiants au sein du conseil d’administration de l’établissement, ce qui lui conférait une majorité décisive dans certaines prises de position institutionnelles. L’association se revendique comme « progressiste, solidaire et internationaliste, attachée à la défense des droits humains, à la critique des rapports de domination, et à une approche éthique de la coopération universitaire ».

Mobilisation étudiante et tensions sur le campus

Il est significatif de constater qu’à Sciences Po Strasbourg, la dynamique étudiante autour de la cause palestinienne a trouvé un relais actif dans l’émergence d’un Comité Palestine, dont le rôle s’est affirmé au fil des mois dans les mobilisations liées aux relations entre l’institution strasbourgeoise et l’Université Reichman en Israël. Ce comité a organisé plusieurs manifestations sur le campus et semble avoir joué le rôle de catalyseur. Parmi ces initiatives, on note notamment la tenue d’une soirée de soutien à la cause palestinienne, organisée le 9 avril 2024, qui s’inscrivait dans une logique de sensibilisation mais aussi de contestation des partenariats jugés problématiques. Un étudiant, qui a souhaité rester anonyme, témoigne d’un climat de plus en plus polarisé au sein de l’établissement. Selon lui, « la division à l’intérieur de l’université est palpable. Certains professeurs soutiennent le boycott et exercent une pression sur la direction, tandis que d’autres subissent les blocages et tentent de résister. »

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La suspension du partenariat a suscité de vives réactions. La Ligue internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) a exprimé son inquiétude.1 Le 4 décembre, sur le plateau de BFM Alsace, Simon Levan (étudiant et dirigeant de Solidarit’Étudiants) et Vincent Dubois (professeur à Sciences Po Strasbourg et soutien de la suspension du partenariat) expliquaient qu’il ne s’agit pas d’un boycott de Reichman parce qu’université israélienne, mais à cause de son implication spécifique dans la guerre à Gaza, à travers ses liens particulièrement étroits avec les institutions de la défense du pays.2

Coup de théâtre au conseil d’administration

Ces arguments n’ont pas convaincu le conseil d’administration de l’IEP, qui, le 18 décembre 2024, a voté en faveur de la reprise du partenariat avec l’université Reichman. Cette décision a été adoptée à quatorze voix pour, une contre et quatre abstentions, tandis que quatorze membres n’ont pas pris part au vote. À la suite de ce vote, cinq enseignants-chercheurs ont démissionné du conseil d’administration. Vincent Dubois, Michel Fabreguet, Valérie Lozac’h, Jérémy Sinigaglia et Nadine Willmann ont qualifié ce vote de « déni de démocratie » et ont dénoncé les « nombreuses pressions tant internes qu’externes » entourant le scrutin.

À la suite de cette décision, plusieurs collectifs étudiants ont de nouveau exprimé leur opposition au maintien du partenariat avec l’Université Reichman. Cette mobilisation a entraîné des actions concrètes à l’intérieur même de l’établissement. En janvier 2025, des étudiants ont bloqué l’accès à l’IEP pour protester contre la reprise du partenariat. Le 30 janvier, les forces de l’ordre sont intervenues pour évacuer les manifestants, permettant la reprise des activités normales de l’établissement. En mars 2025, un accord a enfin été trouvé pour créer un comité d’examen chargé d’évaluer le partenariat avec l’université Reichman. À la suite de cet accord, les étudiants ont finalement levé le blocage de l’établissement.

Mais, pour certains observateurs, ce comité ne reflèterait pas la diversité des points de vue au sein de l’établissement. L’étudiant anonyme mentionné plus tôt évoque une ambiance pesante où « la difficulté à débattre sereinement » est devenue manifeste : « Beaucoup d’étudiants, bien qu’intéressés par le sujet, évitent les discussions par peur d’être mal perçus ou de s’attirer des ennuis. » Selon lui, la radicalisation des positions entrave le dialogue et marginalise les voix nuancées ou prudentes. Pire encore, il pointe également des conditions inéquitables dans la création du comité étudiant chargé d’examiner le partenariat : « Alors que certains avaient plusieurs semaines pour se préparer, d’autres n’ont eu que deux jours, ce qui posait de sérieuses questions en termes de démocratie et d’équité. » Il ajoute que la composition du comité semblait orientée, en majorité favorable aux militants pro-palestiniens. Sauf surprise, le comité déciderait de suspendre le partenariat avec Reichman dans les prochains jours…


  1. Motion de Sciences Po Strasbourg contre l’université Reichman de Tel Aviv : une source d’aggravation des tensions et de discriminations ↩︎
  2. Sciences Po Strasbourg: les raisons de la suspension du partenariat avec l’université Reichman ↩︎

Peur: le mot de l’année

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Le 2 avril 2025, Emmanuel Macron remet le Prix Jean Pierre-Bloch de la LICRA à Sophia Aram et Arthur, palais de l'Elysée, Paris. DR.

Récompensé par un prix de la Licra mercredi à l’Elysée, l’animateur télé Arthur a tenu un discours émouvant et bouleversant pendant quatre minutes. « Pendant que la République parfois hésite, la haine avance, elle s’installe », a-t-il notamment affirmé.


Il y a les peurs que distillent plus ou moins à dessein nos gouvernants à bout de souffle, arguant de l’imminence du déferlement de hordes poutinesques dans nos villes et campagnes, de celle, à présent, d’un conflit d’ampleur avec les mollahs de ce qui fut jadis le bel empire Perse. Peur encore devant la guerre économique trumpienne dont l’Europe et singulièrement la France, devraient, à les en croire, sortir en chemise.

Mais il y a une autre peur, hélas bien réelle et concrète celle-ci, et qui nous concerne tous, nous autres citoyens de France, car nous sommes tous autant que nous sommes en capacité de lutter contre. C’est celle que dénonçait Arthur, l’homme de télévision, l’autre soir après que le président de la République lui a remis, ainsi qu’à Sophia Aram, le prix Jean-Pierre Bloch pour son engagement contre l’antisémitisme. Un président de la République – je tiens à le souligner – qui pourtant s’est bien gardé de participer, de se monter ne serait-ce que quelques instants, le 13 novembre 2023 à la grande marche contre cet ignoble fléau.

« Une peur intime qui me réveille la nuit, confesse Arthur. Non pas une peur abstraite, une peur active… » « Je parle,  ajoute-t-il, pour mes parents qui changent leur nom lorsqu’ils commandent un taxi (…) pour les rabbins frappés en pleine rue… » Et d’ajouter : « Quelque chose s’est brisé (…) La haine s’installe. Ça commence par les Juifs et ça emporte tout. » En effet, quelque chose s’est brisé au sein de notre nation ces deux dernières années. Et ce n’est plus aujourd’hui une simple fêlure, c’est d’ores et déjà une plaie dont la béance s’aggrave de jour en jour.

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Comment peut-on accepter, tolérer que, dans ce pays de France, des femmes, des hommes des enfants mêmes, tant de nos concitoyens, aient à vivre dans la peur ? Comment est-ce seulement possible ? Quel est le nom de cette résignation collective, de cette apathie qui nous empêcherait de faire front, massivement, tous ensemble, unis, déterminés ? Quel est ce nom, sinon lâcheté.

La cause commune qui doit nous rassembler aujourd’hui – et de toute urgence – est bien celle-ci : la croisade contre l’antisémitisme, cette haine irrationnelle, monstrueuse, cette peste qui – Arthur dit vrai – nous emportera tous si nous tardons à nous dresser contre elle. Cela  sans mollesse aucune, sans tergiversation. Pour commencer il est urgent que tous les partis et mouvements politiques – tous ! – s’allient, dès aujourd’hui, pour placer en tête de leur engagement cette lutte-là et en faire très officiellement, très clairement la toute première de nos grandes causes nationales. Oui, combattre sans faiblesse, sans ces pruderies des âmes molles éternellement engluées dans l’artifice foireux du feint souci de ménager la chèvre et le chou.

Je reprendrai donc ici le mot de Voltaire, dont on ne peut pas dire qu’il ait été sa vie durant un boute-feu frénétique, un zélateur de la violence à tout crin : « J’ai vu qu’il n’y avait rien à gagner à être modéré, et que c’est une duperie », écrit-il. Qu’on se le dise !

Rien à gagner non plus à atermoyer. Il est grand temps, si l’on veut pour de bon empêcher que le mot de l’année ne devienne le mal du siècle.

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Affaire Le Pen: le Système? Quel Système?

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Le député RN Jean-Philippe Tanguy répond aux médias, Assemblée nationale, 1er avril © 2025 LEO VIGNAL/SIPA

Depuis la condamnation de Marine Le Pen le 31 mars, les médias français se sont appliqués à dénoncer cette « internationale réactionnaire » qui ose prendre le parti de la chef du groupe des RN à l’Assemblée contre nos juges.


Introduction apéritive. À la recherche des propos les plus ineptes tenus à la suite de la condamnation de Marine Le Pen, il ne m’a pas fallu longtemps pour tomber sur la perle rare, en l’occurence un message de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, sur X : « Je ne vais pas pleurer pour Marine Le Pen. Je réserve mes larmes pour la communauté trans, qui dans le monde entier est en première ligne face aux attaques haineuses de tous.tes les transphobes, qui sont d’ailleurs souvent les ami.es de Madame Le Pen. Pendant le NFP, on a même vu notre président s’en prendre à elle pour marcher dans les pas de l’extrême droite. Je n’oublie pas, et je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui devrait être la journée où on lui donne de la visibilité. Comme l’a dit Pedro Pascal, dont la sœur est une actrice transgenre : “un monde sans personnes trans n’a jamais existé et n’existera jamais.” On pense à vous et on se battra pour vous, tous les jours. Les droits des personnes trans sont des droits humains. » Mme Tondelier n’est pas le prototype d’un abêtissement nouveau mais l’aboutissement d’un long processus d’abaissement de l’intelligence ayant conduit à une idéologie bâtarde, l’écolo-wokisme. Marine Tondelier, Sandrine Rousseau, Éric Piolle – si ces noms doivent figurer un jour dans un livre d’histoire de France, cela ne sera probablement pas au chapitresur les Grands esprits du XXIe siècle.

Holding de l’audiovisuel public : Rachida Dati nous prive de France inter !

Ce mardi 1er avril, France Inter était en grève. Dommage ! Les journalistes de la matinale auraient pourtant aimé pouvoir livrer leurs remarquables analyses sur la condamnation de Marine Le Pen dès le lendemain de cet évènement. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, ils en ont profité pour fourbir leurs discours et affûter leurs éditos. Le 2 avril, remontés comme des coucous, ils se sont livrés à l’exercice journalistique qu’ils préfèrent, la castorisation dite républicaine, avec l’absence totale de neutralité et de pluralisme qui les caractérise. Patrick Cohen, qui a eu l’occasion de s’entraîner la veille dans l’émission télévisuelle “C à vous” dont nous allons reparler, se distingue une fois de plus : le RN, martèle-t-il, « a épousé le trumpisme ». Marine Le Pen dénonce le Système médiatico-politique ? L’éditorialiste ne voit pas de quel système il s’agit mais… détaille ses méfaits : « Vous savez, ce fameux “système” qui tient secrètement le pays, qui ferme une chaine de télé, réécrit Crépol ou nous fait croire que Poutine est une menace. » France Inter faisant partie dudit système, M. Cohen s’agite et cogite : il devine, derrière cette dénonciation, un « fatras complotiste » et… une trumpisation des esprits – c’est la nouvelle marotte castorisatrice des journalistes de gauche, marotte qu’agitera quelques minutes plus tard, avec sa subtilité coutumière, l’impayable Sonia Devillers lorsqu’elle recevra le vice-président du RN, Sébastien Chenu. Celui-ci ayant eu le mauvais goût de s’esclaffer en entendant l’éditorial de son confrère, Mme Devillers sonne la charge : « Vous avez ri en entendant la chronique de Patrick Cohen. Mais la rhétorique de Marine Le Pen n’est-elle pas celle de Donald Trump qui a donné lieu à un assaut populaire contre le Capitole ? » Le système médiatico-politique qui, rappelons-le, n’existe pas, s’est apparemment passé le mot…

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… la preuve, avec le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a pour habitude de répéter les platitudes les plus plates. Sur RTL, face à Thomas Sotto, il ne déroge pas à cette règle qui a fait de lui l’homme politique de droite le plus transparent et le plus prévisible de sa génération. Écouter M. Bertrand, c’est se laisser bercer par une brise insipide, c’est entendre l’écho souffreteux d’un discours convenu compilant de médiocres clichés : ses « valeurs républicaines », dit-il, l’incitent à « ne pas avoir peur du Rassemblement national ». Mais, ajoute-t-il, il se désole de constater que « l’internationale de l’extrême droite a manifesté son soutien à Marine Le Pen ». Il craint par conséquent que la manifestation de soutien à cette dernière prévue à Paris ne tourne mal : « Je n’ai pas envie qu’on joue un mauvais remake du Capitole. » M. Bertrand aurait aimé raviver le souvenir du fracas que fut, selon lui, cet « assaut contre la démocratie ». Mais c’est le son creux des banalités rabâchées qui envahit le studio de RTL…

… puis s’en va investir celui de BFMTV, où le pendant socialiste de M. Bertrand s’évertue, comme il le fait avec brio depuis des décennies, à ne pas paraître démesurément brillant ni original. François Hollande reprend les éléments de langage de Xavier Bertrand et des journalistes de la radio publique. Il prend son temps pour ne pas choisir ses mots. Il fait semblant de découvrir des phrases toutes faites, qui ne sont pas de lui. Sans doute espère-t-il qu’elles passeront auprès des « sans-dents » pour le summum d’une pensée authentique. Mais les oreilles ne s’y trompent pas : l’éloquence hoqueteuse et laborieuse de celui qui fut, on a peine à le croire, président de la République, martyrise le tympan. Le cerveau, quant à lui, n’a pas beaucoup de travail à effectuer : les propos lénifiants de M. Hollande sont immédiatement analysés, disséqués, digérés, pour finir dans le coin le plus obscur de ce noble organe, une mystérieuse mais efficace cavité dans laquelle sont dissous pour disparaître à tout jamais les propos inutiles, les déchets, les encombrants de la pensée politique.

RN / Journalistes : le choc frontal

Audiovisuel public, encore. France 5, officine de gauche. Sur le plateau de “C à vous”, Anne-Elisabeth Lemoine, l’air toujours aussi inspiré, sourit lorsque le député RN Jean-Philippe Tanguy ose demander que Tristan Berteloot, participant à l’émission, ne soit pas simplement présenté comme un journaliste de Libération, mais aussi comme l’enquêteur de la cellule anti-RN que le quotidien a créée. « Alors, il y a un complot de Libération ? » ironise Mme Lemoine qui ignore de toute évidence qu’il existe effectivement, comme l’indiquait Libé, le 23 août 2023, dans un communiqué annonçant son lancement, une « cellule spécialisée sur l’extrême droite », que cette cellule a été créée pour faire « face à la banalisation d’un Rassemblement national entré en force à l’Assemblée », qu’elle publie chaque mardi une newsletter intitulée Frontal et qu’elle est composée de « quatre journalistes qui travaillent à temps plein sur le sujet », dont le journaliste et enquêteur Tristan Berteloot. Sur le plateau, Maître Patrick Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen qui, étrangement, s’étonne que Marine Le Pen se défende en niant la qualification des faits qui lui sont reprochés, ajoute son grain de sel en ricanant : « Et probablement que nous nous réunissons la nuit [avec M. Berteloot], dans une cave. » Inutile, je pense, de préciser que Jean-Philippe Tanguy a été « reçu » avec tous les  honneurs dus à son statut de représentant de « l’extrême droite ». Rappelons quel’émission“C à vous” est produite par la société 3e Œil Productions, laquelle fait partie de Mediawan, entreprise dont l’un des actionnaires est Matthieu Pigasse, le même Matthieu Pigasse qui déclarait dernièrement dans Libération : « Je veux mettre les médias que je contrôle dans le combat contre la droite radicale. » Arrêtez de voir le mal partout – puisqu’on vous dit qu’il n’y a pas de système…

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Le Monde confirme pourtant que tout média refusant d’y appartenir doit être puni, voire éliminé : « Le traitement de la condamnation de Marine Le Pen sur CNews et Europe 1 interroge. » Après s’être interrogé, le Monde préconise : « l’Arcom devra évaluer si les médias de Bolloré manquent à leurs obligations de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. » Pas un mot, naturellement, sur le traitement tendancieux de cet évènement par l’audiovisuel public. CNews est maintenant, et de loin, la première chaîne d’info continue, certaines de ses émissions dépassant régulièrement le million de téléspectateurs, tandis qu’Europe 1 poursuit sa reconquête. Aux yeux de la caste médiatique établie, cela est tout bonnement insupportable. Il est donc nécessaire de faire baliser dès à présent, à coups d’avertissements et de mises en garde, le chemin qui mènera, comme pour C8, à des amendes de plus en plus élevées et, finalement, à une remise en cause de l’existence même de ces médias dissidents. Histoire que le Système (qui n’existe pas) puisse enfin dormir sur ses deux oreilles…

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Donald Trump : brise-tout inculte ou stratège hétérodoxe ?

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Le président Donald Trump présente de nouveaux tarifs douaniers lors du "Jour de la Libération" dans la roseraie de la Maison-Blanche, le 2 avril 2025, à Washington © Samuel Corum/Sipa USA/SIPA

D’est en ouest, des voix s’élèvent à travers le monde pour dénoncer la politique tarifaire que vient d’annoncer le président américain, politique qualifiée sans hésitation de « violente », « suicidaire », « incohérente », « inepte » ou « contraire aux règles élémentaires du commerce ». Dans Hamlet, le vieux chambellan Polonius commente ainsi le comportement apparemment erratique du personnage central : « Bien que ce soit de la folie, il y a pourtant de la méthode en cela ». Ne devons-nous pas, avant de vouer Donald Trump aux gémonies sur le plan intellectuel, nous demander s’il n’y a pas une certaine méthode derrière ses actions, et si oui, laquelle ? Tentative d’explications.


A 16h00, heure locale, Donald Trump a pris place, debout devant son pupitre dans la roseraie de la Maison Blanche, pour annoncer les nouveaux tarifs que les États-Unis vont imposer à leurs partenaires commerciaux. Vêtu de sa cravate rouge et de son pardessus bleu foncé, sans notes, celui qui est de loin le meilleur comédien en politique de toute la planète, a parlé du 2 avril comme du « jour de Libération » de son pays. Faisant référence au célèbre document de 1776, il a affirmé : « A mon avis, c’est un des jours les plus importants de toute l’histoire américaine. C’est notre Déclaration d’indépendance économique ». Le programme qu’il a présenté ressemblait moins à une forme de libération qu’à un acte de revanche. Selon lui, les États-Unis auraient été « pillés » par les autres nations « pendant des décennies ». Les nations amies auraient participé à ce pillage aussi bien que les nations ennemies – elles auraient même été pires que les ennemies dans la spoliation du géant américain.

Les mesures spécifiques annoncées par Trump afin de remédier à la situation qu’il a évoquée ont attiré immédiatement dénonciations et moqueries de la part de la majorité des politiques et des commentateurs, surtout en Europe. Lors d’un débat sur BFM TV le soir du 3 avril, Thierry Breton, ancien ministre français et ex-commissaire européen, incarnant toute la morgue du vieux continent à l’égard des arrivistes yankee, a tout simplement qualifié le projet trumpien de « véritable absurdité ». Pourtant, des expressions de mépris nous permettront-elles d’éviter les conséquences des tarifs américains ou au moins de pallier leurs effets ? Ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre d’abord ce que veut le président américain et quelles sont ses motivations ?

Les Américains ne s’en balancent pas

Depuis 2017, la balance commerciale américaine affiche un solde négatif d’au moins 500 milliards de dollars. C’est surtout la conséquence des échanges avec la Chine, qui en 2024 avait un excédent commercial de 295,4 milliards de dollars avec les États-Unis, et avec l’Union européenne, qui avait un excédent de 235 milliards.

Le déficit commercial des États-Unis a ses raisons et ses conséquences. D’abord, c’est une fonction de la richesse de ce pays. Les Américains, étant la population la plus riche du monde, peuvent acheter pratiquement ce qu’ils veulent où ils veulent. En même temps, leur déficit commercial permet aux autres pays, surtout aux plus pauvres, qui ont des excédents commerciaux, de participer aux échanges économiques et ainsi d’être moins pauvres. Mais c’est ici qu’arrive un problème. Le déficit américain a permis à un des pays en développement, la Chine, qui jouit toujours du statut de pays en développement, de s’enrichir aux dépens des Américains et de rivaliser avec les États-Unis sur les plans économique et militaire. Afin de préserver l’hégémonie américaine, Trump a décidé de s’attaquer au déficit. Son message est très clair : il faut que la communauté internationale trouve une autre base, un autre lubrifiant, que le déficit américain pour garantir la circulation des biens dans le monde.

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Un autre élément important dans la création du déficit américain est la puissance du dollar, qui permet aux Américains d’acheter à l’étranger (parfois en dépit des tarifs élevés imposés par leur propre gouvernement), mais qui empêche souvent leurs industries d’exporter. Une des raisons de cette puissance est la volonté des autres pays aisés de thésauriser leurs richesses en achetant des obligations du Trésor américain, libellées bien sûr en dollars. Réduire la puissance de sa monnaie fait partie aussi du programme de Trump, à côté des nouveaux tarifs. Il s’agit d’une opération particulièrement délicate, mais pour Trump l’objectif est, non pas de mettre fin à la mondialisation, mais de redessiner le système de fond en comble. D’autres dirigeants et candidats politiques ont parlé de la nécessité de le faire ; seul Trump est passé à l’action.

Le système anti-système

Par une mise en scène théâtrale, Trump a fait de son annonce un défi, une gifle, un ultimatum, lancés au reste du monde. Mais à dire la vérité, ce n’était guère surprenant. Après son premier mandat et ses déclarations au cours de la campagne présidentielle de 2024, nul n’a pu douter que Trump ait recours à des mesures extrêmes. S’il a nommé l’avocat, Robert Lighthizer, comme son expert principal en matière de commerce international en 2017, sa nouvelle équipe de conseillers est encore plus radicale. Les Européens sont partagés entre lamentations et déclarations belliqueuses, mais ils ne peuvent pas prétendre qu’ils n’avaient rien vu venir.

Entre ces lamentations, on entend que Trump est en train de détruire le système des échanges internationaux mis en place il y a quatre-vingts ans, c’est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale. En réalité, le système n’a jamais cessé de muer au cours des décennies. Le choc que Trump s’apprête à faire subir au monde a même un précédent, le « choc Nixon » de 1971. Élu en 1969, ce dernier s’est trouvé face à un désastre économique potentiel. L’inflation montait de manière alarmante dans son pays. Sa balance commerciale affichait un solde négatif et la place des États-Unis dans l’économie mondiale déclinait sans cesse. Sa part de la production économique mondiale était tombée de 35% en 1950 à 27% en 1969. La faute en était en partie au système commercial connu sous le nom de « Bretton Woods ». Les taux de change étaient stables car les devises des différents pays étaient indexées sur le dollar et le dollar était convertible en or. Mais d’autres pays voulant convertir leurs dollars en or, les réserves américaines se fondaient à vue d’œil. Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or et a imposé un tarif de 10% sur toutes les importations. Le monde a en essuyé les répercussions, notamment la combinaison d’inflation et d’absence de croissance – « stagflation » – qui a caractérisé les années 1970.

Le système actuel est en partie la conséquence du choc Nixon, mais aussi de la création en 1994 de l’Organisation mondiale du commerce qui est censée encadrer les échanges commerciaux et veiller au respect des principes. L’accession de la Chine à l’OMC en 2001, lui permettant de participer librement à la mondialisation, a été un autre choc pour l’économie globale. L’OMC dispose d’un Organe d’appel destiné à régler les différends entre les pays. Or, le fonctionnement de cet Organe a été bloqué par les États-Unis qui refuse de nommer des membres du panel de sept arbitres. Ce refus a commencé sous Obama, mais c’est sous Trump en 2019 que l’Organe est devenu totalement inopérant. L’action américaine a pour motif la tendance de cet instance – selon les États-Unis – à aller trop loin dans l’interprétation des règles, en se substituant au législateur. C’est ainsi que l’Organe, en 2013, a rendu un jugement très favorable à la Chine, en acceptant une définition d’une entreprise d’État qui a permis à de nombreuses sociétés chinoises subventionnées par leur gouvernement de commercer en toute liberté. C’est aussi l’OMC qui permet à la Chine, deuxième économie mondiale, de jouir du statut de pays en développement.

Les tarifs de Trump sont ainsi destinés d’abord à bafouer les règles de l’OMC, selon lesquelles de telles mesures sont inadmissibles. Le président indique ainsi que ce système a déjà cessé de fonctionner. Un nouveau système doit donc naître des cendres de l’actuel, mais il faut d’abord réduire ce dernier en cendres.

Tableau de chasse

Lors de sa conférence de presse, Trump a brandi un tableau qui listait les principaux partenaires commerciaux des États-Unis en spécifiant les tarifs que, selon lui, ces derniers appliquent aux exportations américaines, suivis des tarifs que Trump va leur imposer. Le président américain a déjà imposé des tarifs de 25% sur les importations d’acier, d’aluminium et de voitures achevées. Maintenant il impose d’autres tarifs adaptés à chaque partenaire. Il a prétendu que son équipe a calculé le niveau des tarifs imposés par les partenaires – par exemple, 67% par la Chine, 39% par l’UE, 46% par le Japon – en prenant en compte les tarifs en tant que tels, la manière dont ces pays auraient « manipulé » leur devise, la TVA et d’autres mesures non-tarifaires comme les normes de sécurité. En réalité, le chiffre n’est que l’excédent commercial de chaque pays avec États-Unis divisé par le volume de ses exportations vers l’Amérique. La riposte trumpienne est le même pourcentage coupé en deux par pure bonté car, dit-il, « nous sommes très gentils ». Il y a un tarif minimum de 10% pour tous les pays, même ceux qui ont un déficit dans le commerce des biens avec les États-Unis, comme le Royaume Uni, ou qui ont déjà un accord commercial avec les Américains, comme l’Australie. La Russie ne figure pas dans le tableau, car les échanges sont très réduits actuellement. Le Canada et le Mexique sont absents car ils sont déjà dans le collimateur de Trump dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1994 et renégocié par Trump en 2020.

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Les pays les plus durement touchés sont la Chine, à 34%, le Japon à 24%, l’Inde à 26%, la Corée du Sud à 25%, le Vietnam à 46%, le Cambodge à 49% et la Thaïlande à 36% L’UE est à 20%. C’est très clairement la rivale chinoise qui est visée le plus ici, car avec des tarifs déjà imposés par Trump, le montant revient à 65%. En mai, le système « de minimis » qui permet actuellement l’entrée sans tarifs aux États-Unis de colis représentant une valeur chacun de moins de 800 dollars sera aboli. Ce système a beaucoup profité à des sites de vente en ligne chinois comme Shein. L’UE est taxée juste au moment où elle commence à se méfier elle-même des importations de la Chine, mais pour Trump elle a besoin de montrer clairement qu’elle est du côté américain dans la lutte commerciale. Mais pourquoi Trump punit-il tellement les alliés des États-Unis que sont l’Inde, la Corée du Sud, le Vietnam, le Cambodge et la Thaïlande ? La raison est l’échec de la politique de friend shoring, c’est-à-dire la tentative de se fournir auprès de pays amis ou de concentrer les maillons des chaînes d’approvisionnement de ses propres entreprises dans ces mêmes pays. C’est l’approche adoptée par les Américains après l’imposition de tarifs à la Chine par Trump dans son premier mandat et par Biden. Le hic, c’est que la Chine a établi des usines dans ces pays amis, pendant que des entreprises dans ces pays ont réemballé des biens ou des pièces importés de Chine pour les exporter vers les États-Unis. La punition commerciale de ces pays par Trump est un signal très clair : pas de collaboration possible avec les Chinois.

On a beaucoup commenté des anomalies apparemment comiques dans le tableau de Trump : des îles inhabitées ont été imposées ou des territoires d’outre-mer ont été taxés plus que la métropole. C’est ainsi que les huit îles françaises de Saint Pierre et Miquelon se trouvent à 50% quand la France elle-même n’est qu’à 20%. Cela a permis aux commentateurs de donner libre cours à leur mépris pour l’amateurisme des Américains, mais il se peut qu’il s’agisse d’un écran de fumée pour détourner l’attention. Ce qui compte, aux yeux de Trump, c’est sûrement les négociations qui vont commencer avec les partenaires, négociations qui auront lieu d’abord dans les coulisses.

Les buts de Trump sont multiples : réduire son déficit, encourager le rapatriement des chaînes de fabrication, attirer des investissements (il prétend avoir déjà attiré 4 000 milliards de la part de grandes entreprises comme Apple, Oracle ou Taiwan Semiconductor Manufacturing Company), réduire la valeur du dollar et créer des emplois sur son sol. Les Américains parlent aussi de remplacer les revenus en provenance des impôts par d’autres en provenance des tarifs, ce qui correspond à ce qui se passait aux États-Unis dans la dernière partie du XIXe siècle. Pourtant, cela semble très difficile à réaliser.

Retaliate or negotiate

La conséquence immédiate de l’action de Trump, c’est de donner aux partenaires des Américains le choix entre la guerre commerciale ou la négociation d’un accord. Le Canada, est pour l’instant entre les deux. Les Européens se préparent à la guerre. Le Royaume Uni tente de négocier un accord limité. Le président américain veut surtout que les différents pays choisissent entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière doit être isolée sur le plan commercial. Le nouveau système, centré sur une Amérique revigorée, a déjà été baptisé par certains économistes « l’accord Mar-a-Lago ». Verrons-nous ce nouvel âge d’or américain ou une grande récession que d’autres ont surnommée la « Trumpcession » ? En tout cas, Trump a pris un risque énorme en menaçant non seulement de chambouler tout le système mondial mais de le détruire si les autres nations ne collaborent pas avec lui.