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On lit quoi cet été?

La sélection de livres de Thomas Morales pour les vacances...


On lit quoi cet été?
Gérald Sibleyras publie "Sex.com" aux éditions Élysande. DR.

Monsieur Nostalgie a choisi quelques livres récents et plus anciens pour s’extraire des foules oppressantes durant la période estivale. Dans cette sélection, il y aura du sexe, des criminels satisfaits d’eux-mêmes, un écrivain nous expliquant la mécanique du roman, des bonnes tables, un Argentin aveugle et même un mémorialiste niçois de haute volée…


Le compte-à-rebours a commencé. Après les barbaresques musicales du 21 juin, l’heure est venue de s’éloigner. D’échapper à l’emprise d’une civilisation qui, chaque jour, nous apporte la preuve de sa décadence – et pas celle chantée par Gainsbourg. Le livre ne nous sauvera pas collectivement. Il n’a jamais sauvé personne. Méfiez-vous de ceux qui l’affirment, derrière leurs bouquins se cache une schlague. Ils veulent vous mater !

Frais et pétillant

La littérature n’est pas une science exacte. Et, comme le disait Audiard, de la posologie au veuvage, il n’y a qu’un pas. Evitons donc la surmédication ! Je ne vous parlerais pas du livre homéopathique, du livre expiatoire, du livre dénonçant les grands maux du siècle ou encore du livre cathédrale censé nous éduquer. Ma sélection ne vous sera d’aucune aide pratique pour remplir une déclaration d’impôts ou conjurer la délinquance juvénile. Elle ne règlera aucun conflit international et n’abrègera pas non plus les quinquennats valétudinaires. Voyez plutôt cette sélection comme une randonnée sans le risque de vous fouler une cheville sur le GR20 entre Acu Stagnu et Tighettu, quelques ouvrages piochés dans l’actualité récente du mois ou sortis de mes caves ligériennes, des livres de garde qui étonneront par leur salinité, ils ont parfois un siècle et se boivent comme un rosé de Provence. Quelque chose de frais et de pétillant.

À lire aussi : Trolls de Pierre Cormary: de la haine et du style

Débutons par un trublion, un ironique rigolard, certainement l’une des plumes les plus brillantes du théâtre français, tout ce qu’il écrit pour la scène se transforme en salles pleines. Son nom sur les colonnes Morris est plus attractif qu’une rente Pinay. Si j’étais boursicoteur, j’achèterais du Sibleyras à la corbeille. Je prends, je prends, je prends à la manière de Karbaoui (Roger Hanin) dans Le Sucre. Le public ne s’y trompe pas et court voir ses pièces ou ses adaptations. Gérald Sibleyras, dramaturge moliérisé, joué dans le monde entier, est également un romancier d’un genre particulier, il est le seul à ma connaissance à marier la farce au pamphlet. Ce blagueur moraliste est à la fois du côté de Cioran et de Robert Lamoureux. Et il vient d’avoir une idée géniale, le meilleur pitch de ces vingt-cinq dernières années. Dans Sex .com aux éditions Élysande, il prend comme point de départ de ce roman sarcastique où les égos se dépouillent, la bataille judiciaire qui eut lieu en Californie au début des années 2000 sur la propriété du site Internet sex .com. Librement inspiré de cette affaire, il en tire une saga déjantée, hallucinante et libidineuse, qui serait une sorte d’épisode déconstruit de « Deux flics à Miami » passé au tamis par James Ellroy. Le nom de domaine le plus convoité de la planète est une machine à faire dérailler les Hommes. L’excès est une bonne matière en littérature. Il y a soixante ans, Jacques Brenner signait La Race des Seigneurs chez Albin Michel, et s’intéressait plus particulièrement aux criminels, notamment à l’affaire Petiot. Brenner styliste pointilleux sait en une phrase faussement désinvolte capter l’attention de son lecteur : « Marcel Petiot est un enfant du Capricorne comme Alexandre VI Borgia et comme Staline, mais aussi comme Molière et Saint-Simon, Bernardin de Saint-Pierre et Matisse ».

Voyage au pays des géants

Ce livre avait pour dédicataire Jean-Louis Curtis dont il est urgent de lire, sous la tonnelle, Une éducation d’écrivain paru chez Flammarion en 1984, cette promenade littéraire faite de souvenirs et de réflexions sur le métier est un voyage au pays des géants. Ses statues qui ont façonné les apprentis-écrivants de l’après-guerre. « Ces écrivains, Barrès, Mauriac, Montherlant, ont en commun deux caractères étroitement liés : une sensualité sous-jacente, suggérée plutôt qu’exprimée, et un style lui-même sensuel riche d’harmoniques, incantatoire ».

Il existe aujourd’hui un esthète « méconnu » du grand public, il s’appelle Michel Orcel, les amateurs connaissent son érudition et la portée de son onde poétique. En 2020, il a été couronné du Grand Prix de poésie de l’Académie française. Insaisissable Marseillais né en 1952, il a été multiple, à la fois maître de conférences à l’Université, écrivain, éditeur, traducteur, exégète de Leopardi et psychanalyste. Il nous propose dans une splendide édition ses Mémoires écrits sur l’eau chez Arcades Ambo. Cette littérature exigeante qui pousse loin l’introspection est l’œuvre d’un honnête homme.

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Au rayon des confiseries, des tapas, des chiffonnades qui régaleront les papivores de notre espèce, les confidences de Maurice Beaudoin (La France à ma table) sur une nappe à carreaux sont délicieusement nostalgiques. On y croise Mitterrand, Duras, la Mercedes de Jean d’O, Robert Hersant, son boss, les michettes de Michou, Florence Arthaud ou Joël Robuchon. Critique gastronomique et surtout fondateur historique du Figaro Magazine, Beaudoin raconte une vie professionnelle sur le marbre des imprimeries avec le goût de la belle maquette. Si la vie des monstres sacrés vous intrigue, il faut lire en juillet ou en août la copieuse biographie qu’Odile Felgine consacre à Jorge Luis Borges aux éditions Plon surtout la période où l’obscur bibliothécaire de troisième zone, myope translucide, métaphysicien de la Pampa fomentait son propre mythe.

Dernier conseil, le livre date de deux ans à peine, il s’agit des chroniques 1925-1975 d’Emmanuel Berl, Quand Bergson me parlait de télépathie, une édition admirablement établie par le spécialiste Olivier Philipponnat. Car un peu d’intelligence, même sur la plage, ne nuit pas au bronzage !


Sex .com de Gérald Sibleyras – Élysande éditions 200 pages

Sex.com

Price: 20,00 €

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La Race des Seigneurs de Jacques Brenner – Albin Michel

La race des seigneurs

Price: 15,00 €

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Une éducation d’écrivain de Jean-Louis Curtis – Flammarion

Une éducation d'écrivain

Price: 2,69 €

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Mémoires écrits sur l’eau de Michel Orcel – Arcades Ambo

La France à ma table de Maurice Beaudoin – Plon

La France à ma table

Price: 13,99 €

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Jorge Luis Borges de Odile Felgine – Plon

Jorge Luis Borges

Price: 26,00 €

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Emmanuel Berl – Quand Bergson me parlait de télépathie – Chroniques 1925-1975 – édition établie par Olivier Philipponnat – Bartillat   

Quand Bergson me parlait de télépathie... - Chroniques 1923-1975

Price: 28,00 €

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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