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Maulin: kidnapping loufoque à Epinal

Syndrome de Stockholm vosgien


Maulin: kidnapping loufoque à Epinal
L'écrivain Olivier Maulin © Louise Maulin

Pour son quatorzième ouvrage, Le temps des loups (Le Cherche Midi), Olivier Maulin nous fait découvrir une nouvelle bande d’abrutis, de sympathiques paumés, de demi-fous, d’écrivains en fin de cycle, tous réfractaires aux abus de la modernité. Le livre a été publié dans une collection dénommée Borderline et qui promet de publier tout ce que l’on ne peut plus publier aujourd’hui.


Après Lisbonne (En attendant le Roi du monde), l’Alsace (les Evangiles du Lac), la Mayenne (le Bocage à la nage) et les Ors de la République (Petit Monarque et catacombes), l’auteur nous entraîne cette fois dans les Vosges, sommet de ce que les géographes aiment à appeler la diagonale du vide, qui va des Pyrénées aux Ardennes ; et plus précisément dans l’un de ces patelins où l’on dégaine la carabine aussi vite que le Picon bière et où les spiritueux font beaucoup d’ombre à l’eau de Vittel pourtant locale.

Les frères Grosdidier

Cette fois, ce sont les trois frères Grosdidier, paysans vosgiens, qui tiennent le haut du pavé. Si Jean-Didier a encore le mérite d’être rude à la tâche, taillant les haies chez M. le maire et chez le colonel (un notable local à la retraite qui, malgré sa vue déclinante, continue de s’exercer au tir à l’arc dans son jardin, aux risques et périls d’éventuels passants), les deux autres sont de véritables abrutis, fainéants comme des poux, en train de laisser l’auberge et la ferme familiales tomber en ruine et ne rêvant que de faire un gros coup pour se tirer, des billets plein les poches, sur une île paradisiaque qui n’attend qu’eux. Ça tombe bien, à Epinal, la grosse ville d’à côté, le Salon du livre s’apprête à accueillir, aux milieux des habituels écrivains parisiens sous Xanax, la starlette Samantha-Sun Lopez, chanteuse américaine qui vient de se faire écrire une autobiographie dans laquelle elle raconte sa jeunesse pas évidente d’émigrée cubaine. Le bouquin cartonne et se vend par millions, de quoi réveiller le bon sens paysan des frères Grosdidier : il n’y a qu’à capturer la jolie brune pendant sa pause pipi et réclamer une rançon. Pas fichus de trouver des cagoules convenables, les voilà, bas en nylon de la défunte mère sur la tête, en train d’attraper la jeune diva latine.

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Pas de chance. Jean-Mo se trompe de fille et kidnappe non pas une brunette avec une robe rouge et des millions de dollars sur son compte en banque, mais une serveuse alsacienne, blonde, nommée Blanche Wagner, qui a sept tickets restaurants dans son sac à main et 20 euros sur son compte en banque. Le delta est un peu trop gros pour rendre l’affaire valable. C’est là que l’invraisemblable se produit (et c’est là qu’intervient la part de réalisme magique qui traverse l’œuvre d’Olivier Maulin) : alors qu’une jeune fille de 2022, séquestrée par trois balourds mal dégrossis, aurait profité de la première occasion pour se faire la malle, la jeune fille est vite, très vite prise par un violent syndrome de Stockholm, inspiré à la fois par l’odeur des lardons préparés en cuisine et la conscience d’avoir à faire à trois sympathiques zozos pas méchants pour un sou. Surtout, pour celle qui a cumulé les bullshit jobs dans les métiers de la restauration au point de finir dans des salons du livre remplis d’écrivains libidineux, l’idée de donner une deuxième jeunesse à cette auberge vient titiller les narines – aussi sûrement que les lardons sur la poêle. Attention. Le temps des loups ne perpétue pas la tradition des Deschiens ou de l’émission culte de France 3 Strip-tease, programmes qui ont humilié pendant dix ou vingt ans la France des ploucs pour le plaisir sadique des gens de la ville. Si les frères Grosdidier n’ont pas inventé l’eau tiède, leur père, Jean, fermier lui aussi, ne se couchait pas le soir sans avoir avancé dans sa lecture des Mémoires du duc de Saint-Simon. Les frères Grosdidier ne sont pas les derniers avatars d’une lignée de débiles mentaux de père en fils depuis deux mille ans, mais plutôt un coup de mou générationnel dans une famille qui a eu ses hauts et ses bas, comme tout le monde. Ils ne sont pas non plus les tarés cannibales et consanguins de Massacre à la tronçonneuse ou de la Colline a des yeux [1].

Une belle blonde pour Olivier

Maulin ne se retourne donc pas contre les niais sylvestres et les simplets mystiques qui ont fait le charme de son œuvre. Pas question non plus pour l’Alsacien Maulin de moquer les Vosges voisines à la manière d’un Rennais snobinard moquant la Mayenne profonde ou d’un Clermontois ricanant de la Creuse péquenaude ! Il remercie au contraire la géographie de les avoir mises là : « les Vosges étaient sacrificielles, conçues pour éponger toute l’eau de l’océan, stopper net la fureur atlantique et permettre à la petite Alsace d’avoir son climat élégant, fabriqué pour la vigne, et sa douceur de vivre. Ô Noble Vosegus et ton grand bouclier vert ! ». Après tout, les Vosges, avant l’ère des friches industrielles, ont eu leurs heures de gloire, leurs usines de dentelles, leurs petits génies locaux (c’est dans les Vosges qu’un géographe a dessiné pour la toute première fois l’Amérique sur une carte ou qu’un autre a inventé un peu par hasard la pisciculture) et comme les frères Grosdidier, elles ne connaissent qu’un coup de mou momentané. Il ne manquait aux Vosges et aux frères Grosdidier qu’une belle blonde aux gros seins pour redonner un coup de fouet, une sorte de libido, ou pour parler comme Johnny, « l’envie d’avoir envie ». Plutôt que d’accueillir des migrants pour redonner vie à nos villages perdus, Olivier Maulin propose en quelque sorte d’y téléporter des blondinettes sexy.

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Avec sa poitrine avantageuse, la jolie Blanche harangue les foules certains soirs à l’auberge avec un discours à l’intersection entre un édito sur CNews et une avalanche de tweets de Renaud Camus. Consciente de la fragilité du long processus de civilisation qui a fait que l’on se serve de fourchettes et de serviettes en Occident (un grand esprit comme Erasme, rappelle-t-elle, pouvait encore trouver convenable de ne pas retenir « un vent produit par la nature »), elle se demande si l’arrivée de hordes barbares du tiers-monde ne va pas d’un coup d’un seul nous faire revenir cinq siècles en arrière. « Les clients n’en revenaient pas ! Tous pensaient évidemment la même chose mais merde, c’était bien dit » ! Eliasienne dans une certaine mesure, elle réveille aussi les instincts ancestraux de ses compagnons en organisant des bourrées dans la neige : subtil équilibre entre apollinisme et dionysisme. Il n’y a que le maire, sorte de vieux chevènementiste attaché à la laïcité comme un pendu à sa corde, pour trouver le discours de l’Alsacienne quelque peu excessif. Il finira un beau jour délogé de son bureau. Autour des frères Grosdidier et de Blanche, viennent se greffer d’autres personnages exotiques. On croise ainsi une aristocrate patagone, revenue du détroit de Magellan et décidée à empêcher le maire de construire une médiathèque, un peu à la manière de Fabrice Lucchini dans le film d’Eric Rohmer (mais en plus casse-couilles). Ou un écrivain parisien, Yvon Pottard, harcelé par des féministes hystériques pendant le salon d’Épinal et qui délaisse peu à peu Montparnasse pour ce trou du cul du monde.

Personnage le plus sympathique du petit monde littéraire parisien évoqué au début du livre, il devient, une fois lâché dans la nature, le plus insupportable de la petite communauté, avec son nombrilisme et sa solide culture littéraire forgée dans des dictionnaires de citations. Heureusement, à la manière d’un Maurice Barrès (autre Lorrain) sorti du « culte du moi » pour devenir le héraut du nationalisme français, Pottard va cesser d’être écrivain égotiste pour devenir le chroniqueur de la nouvelle monarchie sociale qui voit le jour entre Alsace et Lorraine. Car il est rare qu’un livre d’Olivier Maulin ne se termine pas par une restauration monarchique. Le temps des loups n’échappe pas à la règle.


[1] Pour les fans de familles tarées, Un épisode d’X-files, la Meute, vaut aussi le détour.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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