Déjà la rentrée littéraire, avec une pluie de publications. Pourquoi choisir Feux sacrés, le livre de Cécile Guilbert, plutôt qu’un autre ? La spiritualité hindoue, comme solution à ses problèmes personnels ? Comme fuite face à l’épuisement occidental ? Peut-être le soleil rouge et dément au-dessus des bûchers de Bénarès offre-t-il la purification salvatrice. Peut-être les bords du Gange permettent-ils de démêler l’essentiel de l’inutile. Cécile Guilbert cite Henri Michaux qui, dans Un barbare en Asie, s’écrie : « Je sors, je vais aux Indes ». Voilà, c’est ce que nous propose Guilbert, essayiste et romancière : la suivre aux Indes, et participer à sa métamorphose qui doit donner un sens à sa vie. Ce n’est pas si simple, il faut du temps, de la curiosité, de nombreux drames à surmonter, accepter de mourir soi-même, après avoir vu ses proches à l’état de cadavre, oser croire qu’il est possible de renaître pour mieux vivre, enfin différemment. Oui, il faut accepter la métamorphose en étant persuadé que l’art, ici la littérature, permet de déjouer le plan immémorial et inéluctable de la mort.
Découvrez la rencontre d’Emmanuel Domont avec Cécile Guilbert dans le magazine
Cécile Guilbert, née le 29 novembre 1963, je le précise car les dates et les chiffres ont une importance capitale dans sa trajectoire, rejette rapidement tout conformisme. Sa grand-mère, Lucie, puis sa tante et marraine, Colette, y sont pour beaucoup. Ces deux figures féminines permettent à la jeune fille de rejeter le matérialisme consumériste. Sa grand-mère lui donne des conseils de première importance. « Si tu ressens quelque chose, apprends tout de suite à l’exprimer. » Parfait pour écrire. Ses compagnons sont surtout des écrivains, et ce n’est pas pour me déplaire, je l’avoue. En lisant Guilbert, l’identification est assez facile. Elle ne boit pas à la source du Lagarde et Michard. Elle découvre le sulfureux Tony Duvert, prix Médicis 73, grâce à Emmanuel, son cousin homosexuel, futur suicidé. Comme l’écrit Alain Robbe-Grillet, « la littérature ignore la morale ». Puis elle se plonge dans Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Artaud, Nietzsche, écrivains majeurs, terroristes dynamiteurs des codes mortifères. Ça permet d’éviter la phrase molle, dégoulinante de bons sentiments, qui a envahi la production romanesque actuelle. Cécile Guibert nous livre un récit autobiographique sans concession, irrigué par l’encre de la subversion – clin d’œil au titre de son remarquable essai sur Saint-Simon. Son style est nerveux, sa puissance sèche. Il a d’ailleurs plu à Philippe Sollers, son premier éditeur. Au passage, elle lui rend hommage avec intelligence. Les pages consacrées à la découverte de Delhi sont grandioses. On y est, et l’on ressent « cette intense sensation de lessivage psychique. » Mais le plus dur reste à venir pour s’ouvrir à cette Vita Nova recherchée avec l’angoisse des sensibles. La mort dramatique de son petit frère est sûrement l’instant poignant du récit. Son corps putréfié, dont le linceul est un costume pied-de-poule, retrouvé dans son appartement, rappelle non seulement l’absurdité de la vie mais aussi la solitude, cette vieille compagne collée à nos basques. Il y a enfin l’agonie de son père, ancien nageur de combat, qu’elle n’a presque pas connu puisqu’il a filé peu après sa naissance. Elle écrit : « Il y a longtemps que j’ai accepté sa mort et ne l’identifie plus à son corps, je suis prête. » Ce livre interroge, bouscule, dérange, émeut. Il permet surtout d’atteindre à l’équanimité, ce qui n’est pas rien. Il permet également de nous faire espérer que les êtres que nous avons aimés, ou révérés, ne sont pas absents. Ils sont là, mais invisibles.
Cécile Guilbert, Feux sacrés, Grasset. 400 pages
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