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La mort aux trousses

Frédéric Rouvillois et Sophie Vanden Abeele-Marchal, « Je viens mourir chez toi… : de Sappho à Jean d’Ormesson, la mort des écrivains » (Fayard)


La mort aux trousses
Joseph-Denis Odevaere, «Lord Byron sur son lit de mort», vers 1826 © Wikimedia Commons

La mort des écrivains nourrit souvent leur légende. Frédéric Rouvillois et Sophie Vanden Abeele-Marchal relatent 25 disparitions éloquentes.


Beau travail. Vingt-cinq microportraits d’écrivains et poètes pour traverser les âges en quête de vies résumées, éclairées, immortalisées par l’épreuve de la mort. Projet original qui rappelle les Morts imaginaires de Michel Schneider, sauf que les morts ici évoquées furent bien réelles. Qu’on suive ou non l’ordre chronologique des brefs récits qui s’échelonnent de l’Antiquité à la modernité la plus récente, on rafraîchit ce qu’on savait, on s’étonne de ce qu’on ignorait, et, comme la mort nourrit les légendes, le vif l’emporte sur les agonies. Quant au choix des modèles, inutile de le discuter, tous ont leur raison d’être, attestée par ce qui les qualifie : « De mort inconnue : François Villon », « La mort classique : Jean Racine », « La mort enfermée : Sade », « La mort romantique : Lord Byron »

La mort est une chose trop sérieuse pour être laissée aux pompes funèbres. Ces écrivains et poètes qui, par leurs œuvres, enchantent notre mémoire, ont conclu leur destin par les cruelles vocalises de tous les chants du cygne. Les disparitions valent témoignage d’une singularité à chacun reconnue. Ici, le suicide règne en maître, avec la belle Sappho se jetant du haut d’une falaise, Nerval retrouvé pendu à la porte grillagée d’un soupirail, Stefan Zweig installé au Brésil s’administrant une surdose de Véronal, en exil de sa propre langue comme autrefois Ovide dans la solitude de Tomis, Mishima aux entrailles vomies par son sabre sacré, Pasolini assassiné sur une plage et qui, dans un poème, annonçait : « Ma douleur est homicide ou suicidaire. »

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Les morts de maladie apportent logiquement leur écot, cancer du foie chez Racine, délabrement progressif de Voltaire, débâcle d’Alexandre Dumas jusqu’à l’hébétement complet. Toutes les sortes de décès se présentent aux portes du Jugement dernier. Il y a les fièvres dont périt Dante après la traversée de zones marécageuses, le duel où Pouchkine fut tué par l’amant de sa femme, la balle allemande qui faucha Péguy le patriote mystique qu’habitait la figure de Jeanne, appelé le 5 septembre 1914 par la mort au champ d’honneur qu’il glorifiait dans ses vers. Voici Goethe le géant des Lettres aux cent quarante-trois volumes (le double de Voltaire, le triple de Victor Hugo !), qui abhorrait le désordre et s’exclame, face au désordre irrémissible des ténèbres fatales, « Mehr Licht ! » (« Plus de lumière ! »), comme pour ne rien céder au chaos.

Le néant est une page noire où s’inscrit un ultime message sous forme de signature. Mais signature de quoi ? Un simple paraphe pour un adieu sans rapport avec ce qu’on a vécu, ou, inversement, une cérémonie lourde de sens. Car parfois les funérailles expriment de fortes vérités sur l’esprit d’une société. À preuve, celles d’Hugo, prophète dont le cercueil fut suivi par une foule innombrable, génie littéraire et héros politique mêlés. Autre preuve, les obsèques de Johnny quasiment nationales, tout un peuple en deuil, à comparer avec celles de Jean d’Ormesson discrètement célébrées aux Invalides, petite foule d’invités, médias quasi muets. Le rocker populaire et l’écrivain gentilhomme se sont éteints le même jour, le 5 décembre 2017. Triomphale victoire du spectacle sur la plume. L’esprit d’une société, disais-je. Ces vingt-cinq morts rendent brillamment hommage à la littérature tandis que les écrans creusent sa tombe.

Frédéric Rouvillois et Sophie Vanden Abeele-Marchal, « Je viens mourir chez toi… » : de Sappho à Jean d’Ormesson, la mort des écrivains, Fayard, 2024, 272 pages.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Universitaire, romancier et essayiste

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