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Netflix: pot-pourri de mai

La chronique dominicale de Thomas Morales


Netflix: pot-pourri de mai
Giancarlo Esposito dans le feuilleton "La résidence" © Netflix

Monsieur Nostalgie fait son marché sur la plateforme en sélectionnant les séries ou films les plus stimulants du moment


Une plate-forme, c’est un puits sans fond. On y plonge et on s’y noie. Chaque jour de l’année, on pense être suffisamment fort psychologiquement pour résister à cet appel des grandes profondeurs et on perd pied. Car l’esprit est faible face à cet amoncellement de programmes sans queue ni tête où se côtoie le meilleur du pire ou le pire du meilleur. On est piégé, aspiré, essoré dans cette spirale du « n’importe quoi ».

Une industrie

On se met à regarder, dans une frénésie maladive, en version originale, dans un mouvement perpétuel inarrêtable, l’écran annihilant toute notion de temps, une histoire de scooters trafiqués, d’arnaques à la TVA, de braquages féministes, d’ode à la Renault 21 Turbo, de MMA des quartiers, de stars américaines en psychanalyse ouverte et de héros des circuits à la dérive. On se passionne durant quelques heures pour la vie de Sly, de Pamela, de Fangio, de Fran Lebowitz ou d’Arnold. On est heureux de retrouver Axel Foley et Lionel Richie dans les rues de Beverly Hills et de voir Quincy Jones discuter avec son vieux camarade Herbie Hancock à Montreux. On verse une larme quand Guillermo Vilas apparaît diminué dans les rues de Monte-Carlo sous une météo huileuse. Et on jubile quand Chris Evert tape l’incruste dans « La Meneuse » incarnée par la trop sous-estimée Kate Hudson. Des explosifs, des dérapages, des cailleras sudaméricaines, de l’action carburant à l’adrénaline, des exagérations comiques, des trous dans le scénario, de l’acting chancelant, peu importe ; les défauts d’une fabrication industrielle sont parfois apparents, les coulures bavent de tous les côtés, les finitions grossières ne gâchent pas les illusions. Ce n’est pas un drame car demain matin nous aurons tout oublié et d’autres séries viendront étancher notre soif. Une plate-forme est une source permanente de contenus, elle déverse, dans un flot continu, des séries qui s’auto-annulent entre elles à mesure que d’autres apparaissent ; la qualité esthétique n’est pas au centre des débats, la morale américaine ou les totems gluants de notre époque, un peu trop voyants, un peu trop démagogiques, un peu trop prévisibles ne sont pas non plus un frein au plaisir de l’instant. On les intègre à notre visionnage, ils font partie de l’expérience. Le « fake » est addictif. Le feu d’artifice prime sur la raison. On accepte la manipulation, on s’y prête même de bonne grâce. La débauche visuelle agit comme un accélérateur de particules.

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Le consommateur d’images est aujourd’hui surinformé sur les intentions commerciales de ces entreprises d’Entertainment. Le divertissement est le dieu suprême de la globalisation. On s’y immole. Le public n’est pas pris en traître dans cette opération, il connaît les règles tacites du contrat. Il ne s’offusque pas d’un « placement produit » à l’antenne et d’un discours gnangnan en happy end. Une plate-forme vient combler nos besoins primaires, se goinfrer et s’abandonner résument assez bien l’ambition intime de l’humanité oisive. Oublier l’actualité, se laisser lentement glisser, ne plus penser à rien, les plates-formes sont nos toboggans régressifs ; à profusion, elles nous envoient des signaux de contentement. Partout ailleurs, la cinéphilie nous épie, nous juge, se moque d’Aldo Maccione et de Max Pécas, ne comprend rien au génie de Jean Carmet et de Rémy Julienne.

Demande légitime

Partout ailleurs, les créateurs nous infligent leur noirceur et leur égo frelaté. Netflix répond à une demande légitime : accéder à une jouissance directe, librement consentie, sans hiérarchie de valeurs artistiques, dans la blague et les grenades dégoupillées. Mais Netflix, dans l’overdose de motocross et de trafiquants de drogue nightclubbers laisse aussi entrevoir des fulgurances que le cinéma « traditionnel », financé et nombriliste, n’est plus en mesure de concurrencer. La Main de dieu de Sorrentino et Glass Onion : une histoire à couteaux tirés où là encore Kate Hudson se distingue par son sens de la comédie, sont des grands moments de cinéma. En outre, Netflix a l’immense mérite de (re)mettre en lumière de jeunes comédiens ou de solides piliers d’Hollywood, Giancarlo Esposito présent à la fois dans « La Résidence » et « The Gentlemen » et Kaya Scodelario dans « Senna » et « The Gentlemen » ne nous déçoivent jamais.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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