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Peut-être que j’étais une fille bête

Le billet du vaurien


Peut-être que j’étais une fille bête
L'écrivain Richard Millet. Photo: Hannah Assouline

Le billet du vaurien


Rassurons Mariya Rybalchenko : elle est tout sauf une fille bête. Et elle nous offre avec son Éloge érotique de Richard M.  une des plus belles histoires d’amour qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps. La formule, je le conçois, peut sembler convenue : elle vient pourtant du fond du cœur.

Mais vous souhaiteriez peut-être savoir qui est Mariya Rybalchenko : une jeune étudiante ukrainienne, fille de militaire, étudiante en français à Kiev. Elle obtient une bourse pour achever sa thèse à Paris sur Les écrits latins dans la pensée juive de Levinas. C’est d’ailleurs chez Claude Tresmontant, son directeur de thèse, qu’elle rencontrera Richard Millet. Elle avait 22 ans et lui 66. Elle le précise : « Tout aurait été simple, idéal même, si je n’avais pas rencontré R. » Elle ne connaissait pas ses livres, n’avait rien lu de lui. Une amie l’avait prévenue qu’il avait une très mauvaise réputation dans le milieu intellectuel français. Il passait pour réactionnaire et n’avait plus d’éditeur, ce qui faisait de lui un homme seul. La solitude de Mariya à Paris était son seul refuge. On imagine facilement la suite.

Et pourtant, elle le confie, il y avait sans doute très peu d’amour entre R. et elle quand ils devinrent amants. « La première fois, il pénétra mon ventre lentement avec la douceur d’un médecin examinant un blessé ». Elle pleurait en murmurant un impuissant « J’ai besoin d’amour ». Richard sait parler aux femmes : « Tu as le visage d’un ange, quand tu jouis », lui disait-il.

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Richard, lui, a honte de son corps abîmé. Il cache son ventre derrière ses mains. « J’étais plus musclé, il y a une dizaine d’années. Regardez comme je suis vieux maintenant ! » Parfois, il ne parvenait pas à faire l’amour. Il disait à Mariya que son corps semblait celui d’une fille de quinze ans et qu’il était trop beau pour lui. Quand tous les deux, ils se promenaient dans Paris, il aimait s’exclamer : « Extermination ! », imitant Cioran qui disait : « Dès qu’on sort dans la rue, le premier mot qui vient à l’esprit est extermination ». D’ailleurs, il comparaît souvent Mariya à Cioran qui ne s’était inscrit à l’université que pour obtenir une bourse et vivre à Paris. Il avait aussi une arme, un Mauser, caché sous son lit. Il buvait du whisky japonais et avait une passion pour le cinéma.

À Kiev, en se préparant pour l’exil en France, Mariya espérait trouver le pays où Jean Seberg vendait le New York Herald Tribune sur les Champs-Élysées. Mais non, cette période glorieuse était passée depuis longtemps : tout ce qu’elle découvrait de Paris, était une peau morte, des visages illusoires. Richard, lui aussi, était dégoûté par l’Occident. Leur relation devint passionnelle. « Si quelqu’un te touche, je le tuerai ! », criait-il. Mariya aimait cette forme de jalousie, preuve de son désir, si précieux pour elle. La plus belle scène du livre est celle où Richard Millet connaissant les problèmes de digestion de Mariya, lui prépare du poisson grillé et de la purée de carottes. Puis, blottis l’un contre l’autre, ils regardent Ordet  de Dreyer et pleurent ensemble, à la fin du film, lorsque Johannes, l’idiot, ressuscite sa belle-sœur morte. «  La même nuit, R. s’endormit contre la chaleur de mes fesses » écrit-elle.

Elle sait aussi que R. est un homme dangereux pour une Slave aussi désespérée et exaltée qu’elle. Elle perdra son amour, elle se jettera sous un train ou finira dans une profonde mélancolie, songe-t-elle. Elle se montre alors hystérique, ne voulant rien connaître de son passé. Et c’est ainsi qu’elle le perdra. Il s’énerve de plus en plus vite, il drague des femmes plus âgées. Elle remarque ses poils dans ses oreilles. La magie se dissipe.

Passant devant une librairie du quartier latin où figure une grande photo de Le Clézio, il lui fait remarquer qu’il a l’air aussi bête que son style. Elle le taquine. Elle lui dit qu’il est le Clint Eastwood de la littérature française. Est-ce un compliment suffisant pour retenir un homme ? Sans doute non. Mais certainement pour lui permettre de ramasser ses souvenirs – et je passe sur les scènes érotiques – en une lettre d’amour que chaque écrivain souhaiterait recevoir.

Mariya Rybalchenko : Éloge érotique de Richard M.  éd. Pierre-Guillaume de Roux. 94 pages. 14 Euros.

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