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Les raisons d’un boycott


Les raisons d’un boycott

A 5 heures de Paris

Quel coup de pub pour le jeune réalisateur Léon Prudovsky ! Premier long-métrage,À 5 heures de Paris, et premières polémiques !

Mais pouvait-il deviner que sa comédie romantique, véritable hymne à Paris et à la culture populaire française dont le conflit israélo-palestinien est totalement absent, allait être victime d’un boycott mené par le réseau de distribution Utopia lors de sa sortie en France le 23 juin dernier ? Certainement pas.

Comment ne pas être surpris face à l’injustice de ce boycott et surtout face aux arguments développés par la fondatrice du réseau de distribution Utopia, Mme Anne-Marie Faucon, dans sa lettre adressée aux professionnels du cinéma[1. Lettre publiée sur le site de Mediapart] ?

Une censure qui ne dit pas son nom

N’osant ni évoquer le mot « boycott », ni encore moins celui de « censure », sans doute à cause de ses connotations despotiques, elle définit le refus de programmer À 5 heures de Paris comme « un geste symbolique » qui répond à l’arraisonnement meurtrier de la flottille pro-palestinienne par Tsahal le 31 mai dernier. La sempiternelle conscience morale est alors invoquée ! Déprogrammer À 5 heures de Paris pour condamner Israël revient à accomplir son devoir de citoyen !

Faut-il rappeler à Mme Faucon que Léon Prudovsky n’est pas responsable de la stratégie des forces armées israélienne qui ont lancé l’opération d’arraisonnement de la flottille désormais mondialement célèbre ?

Mais s’agit-il simplement dans le cas d’À 5 heures de Paris d’une prise d’otage médiatique due à l’actualité d’Israël, pays du jeune réalisateur ? Sans doute, mais pas seulement.

En fait, la coïncidence de calendrier entre l’assaut de la flottille et la date de sortie du film sert plutôt de couverture pour cacher le véritable reproche adressé au cinéaste.

S’il y a une chose à propos de laquelle Léon Prudovsky est bien responsable, c’est le sujet de son film. À 5 heures de Paris n’est pas un film engagé, n’est pas un film pacifiste et encore moins un film antisioniste.

Il a donc peu de chance de plaire au réseau de distribution Utopia, proche des associations anticapitalistes et qui se targue de programmer de nombreux films israéliens et palestiniens engagés.

Pour Mme Faucon, la relation amoureuse qui se noue à travers un jeu de séduction plein de charme et de délicatesse, entre Yigal, le chauffeur de taxi divorcé et Lina, la très séduisante professeur de piano de son fils, est une preuve d’indécence comparée à la souffrance des palestiniens dans la bande de Gaza. A ses yeux, l’inadéquation du film romantique et de la tragique réalité est condamnable.

De quoi Léon Prudovsky est-il donc coupable ?

D’avoir tenté de briser le lien tautologique qui enferme Israël dans le conflit israélo-palestinien. D’avoir fait exister Israël en tant qu’entité séparée, peuplée d’individus qui s’aiment, qui se trompent et qui se séparent. A travers l’histoire de Yigal et Lina, à travers l’amour qui les unit, le réalisateur véhicule une autre facette d’Israël et l’intègre au monde commun.

Ce film n’a pas pris pour sujet des thèmes exclusifs liés au contexte politique ô combien polémique ou bien en rapport avec les rites et les mœurs des communautés religieuses, mais bien des thèmes inclusifs, comme l’amour et la musique, à travers lesquels tout le monde peut se projeter et s’identifier aux personnages qui les incarnent.

Coupable de non-engagement…

Les films non-engagés ne méritent pas d’exister pour Mme Faucon.

A croire que l’art n’acquiert ses lettres de noblesses qu’en traitant le réel, plutôt qu’en le sublimant dans une création où l’artiste expose sa vision subjective d’un monde.

Léon Prudovsky a déserté les lieux des combats pour séjourner dans le monde de l’art. C’est son droit en tant que cinéaste, citoyen et être humain. Mais visiblement, ce n’est pas l’avis de Mme Faucon.

Au-delà de l’instrumentalisation du film pour condamner la politique d’Israël, il y a une volonté indéniable de contester le droit d’appartenir à une même communauté humaine.

Ce n’est ni en raison des évènements, ni à cause de la nationalité du réalisateur, mais bien en raison du thème trop universel, trop humain que ce film a été boycotté.

Si À 5 heures de Paris avait été un film engagé, comme les aime le réseau Utopia, il n’aurait jamais été boycotté, flottille ou pas flottille. Preuve en est, la diffusion de « Rachel », un film documentaire à charge contre Israël, à sa place.

L’enquête menée par la réalisatrice, Simone Bitton, sur les circonstances de la mort d’une jeune militante pacifiste américaine, Rachel Corrie, convient parfaitement au réseau de distribution. Enfin un film engagé qui a le mérité de « participer au débat démocratique » se réjouit la fondatrice d’Utopia. Voilà une drôle conception du débat !

Il faudrait qu’on explique comment ce réquisitoire, sous-tendu par la vision manichéenne entre bourreaux israéliens d’un côté et victimes palestiniennes et humanitaires de l’autre, peut favoriser l’expression de la pluralité de points de vue propre à un débat authentique.

Il faut savoir que la mort de cette militante écrasée en 2003 par un bulldozer israélien, a été instrumentalisée par la propagande antisioniste pour diaboliser Israël. La manipulation des clichés a permis de faire croire que Rachel se tenait devant la maison d’un Palestinien alors qu’elle se tenait dans une tranchée afin de protéger l’un des dizaines de tunnels d’infiltration d’armes, creusés pendant la Deuxième Intifada, qui reliaient l’Egypte à la bande de gaza et par où transitaient armes et militants destinés à la lutte anti-israélienne.

Les films engagés que diffusent le réseau Utopia ne sont donc engagés que dans un seul sens. Ils ne présentent les faits qu’à partir d’un seul angle de vue qui est loin d’être impartial. Ce qui importe à ce réseau de distribution, c’est finalement de renforcer la stigmatisation d’Israël à travers l’adéquation entre une actualité et un cinéma qui présente Israël comme un Etat belliciste et colonialiste, un Etat prêt à violer le droit international, à massacrer des civils palestiniens, à tuer des « humanitaires »… Et cela, dans l’unique but de mettre encore plus à dos l’opinion publique internationale de plus en plus judéophobe.

Mais tout est mal qui finit à peu près bien : le 14 juillet, il semblerait que les salles du réseau Utopia vont lever leur boycott et diffuser enfin le film de Leon Prudovsky.



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