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Les droits de l’Homme, parfois, ça marche


Les droits de l’Homme, parfois, ça marche

Vendée Reynald Secher massacre

Pierre Joxe, Geneviève Anthonioz de Gaulle, Elie Barnavi ou Jorge Semprun l’ont eu avant lui. Mais lui ne l’a jamais attendu. Aussi lorsqu’un jour Pierre Bercis, le Président du jury du Prix des Nouveaux droits de l’homme, l’appelle pour lui annoncer qu’il a été choisi pour recevoir le sésame 2012, Reynald Secher n’en revient pas. Il faut dire que l’universitaire a le cuir épais. La thèse qu’il a soutenue sur le génocide vendéen de 1793-1794[1. La Vendée-Vengé : le génocide franco-français, Presses universitaires de France, 1986] et qui fut encouragée par des historiens comme Jean Meyer, Pierre Chaunu ou Jean Tulard l’a exclu à jamais des honneurs, mais surtout du système universitaire où il ne fait pas bon refaire l’histoire officielle. Car en démontrant que la Convention avait conçu, organisé et planifié l’anéantissement et l’extermination de la Vendée, Reynald Secher remettait non seulement en question la nature de la Révolution mais il bouleversait toute la recherche historique et son enseignement. Il dérangeait, il fallait donc le faire taire.

Mauvais calcul pour les censeurs : l’historien s’entête. Tandis que de nombreuses publications viennent étayer la véracité d’un génocide de type proto-industriel légal commis par la Convention, Reynal Secher décuple ses recherches. Il découvre alors un dossier original du plan d’extermination et d’anéantissement de la Vendée signé par les membres du Comité de Salut Public, Robespierre et Carnot ne faisant pas défaut. Des projets de gazage des populations sont même envisagés, avec le concours du député chimiste Fourcroy. Tout fait sens, la guerre de Vendée n’existe pas ou alors elle n’aura duré que cinq mois. Le reste n’est que génocide avec ses centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants violés, torturés, dépecés, noyés, brûlés et déportés. Conformément au vœu de Turreau -dont le nom est gravé au fronton de l’Arc de Triomphe-, la Vendée ne doit être qu’un « grand cimetière national ». L’extermination est physique, intentionnelle, systématique elle vise un groupe et sa religion. Un seul homme à l’époque, Gracchus Babeuf, ose évoquer un « populicide » préfigurant ce qu’on appellerait plus tard génocide.

Difficile pour une République qui a fondé sa légitimité sur la libération des peuples d’accepter la tragédie même qui l’a enfantée. Alors on va cacher, déguiser, maquiller. Les bourreaux deviendront les victimes et les victimes des bourreaux. Ceux qui essayeront de dire la vérité seront mis au ban. Reynald Secher est de ceux-là. Cette question du traitement de la mémoire, l’historien l’a longtemps ressassée. Lorsqu’il écrit Juifs et vendéens[2. Juifs et vendéens, d’un génocide à l’autre, Orban, 1991.], sûrement veut-il prévenir ses frères de l’Ancien testament. On peut condamner la mémoire au mensonge et un jour oublier : « les génocides sont au péril de la mémoire, comme on dit « au péril de la mer » : l’océan peut les engloutir dans l’oubli.» C’est le mémoricide.
Dans son dernier ouvrage[3. Vendée : du génocide au mémoricide : Mécanique d’un crime légal contre l’humanité, préface d’Hélène Piralian, Stéphane Courtois et Gilles-William Goldnadel, éditions du Cerf, 2011.], l’historien décrypte la mécanique initiée par les auteurs du génocide reproduite sous la monarchie de Juillet ou la République- pour gommer le génocide. Cet acte consubstantiel au génocide -car le seul moyen d’effacer un peuple, c’est d’effacer sa mémoire-, Reynald Secher espère bien qu’il s’ajoutera un jour aux trois crimes de génocide déjà existants, « le seul moyen de lutter contre le négationnisme ».

Interrogé sur sa lecture de la Révolution, Clémenceau affirmait qu’il fallait la considérer comme un bloc, refusant par là même la possibilité d’un examen de conscience. Entre esprit de géométrie et esprit de finesse, Blaise Pascal affirmait qu’il est « impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties »[4. Blaise Pascal, La pensée 72, Editions Brunschvicg.]. Reynald Secher l’a compris.
S’adressant au poète Jean Antoine Roucher avant de monter sur l’échafaud, André Chénier regrettait de ne rien avoir fait pour la postérité, un grief que l’on ne peut assurément imputer à Reynald Secher. Car malgré les controverses, malgré les injures, malgré les menaces, ce partisan de la vérité continue d’incarner ce que Paul Ricœur appelait « la mémoire de l’histoire » en réconciliant Cronos et Clio.



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