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Laurent Fabius, l’homme qu’on n’aimait pas


Laurent Fabius, l’homme qu’on n’aimait pas

Laurent Fabius

Finalement, George Frêche que l’on présente comme un monstre, un Néron septimanien, un Ceaucescu de l’Hérault, a des opinions très banales. Il n’aime pas les Parisiens, il se méfie des Arabes, des Juifs, des pédés, des cultureux et des gonzesses. Tiens, la preuve : il en a laissé une à la tête de la mairie de Montpellier pour lui garder le conseil municipal au chaud et déjà la vilaine lui mord la main, prête à prendre la tête d’une liste PS concurrente sur les ordres d’une autre gonzesse, Martine Aubry. Frêche a aussi pour ami un grand raffiné, Louis Nicolin , président du club de foot de la capitale de l’Hérault, dont l’esprit sportif est bien connu. Ce sont les Abott et Costello obèses de la vanne grasse : les harkis sont des sous-hommes pour le premier, tel joueur de foot est « une petite tarlouze » pour l’autre.

Parmi les sentiments bien ordinaires de Frêche, ce beauf ex-mao qui ferait passer celui de Cabu pour un esthète wildien, il y a la détestation de Laurent Fabius, l’homme politique le plus brillant de France et , l’un va souvent avec l’autre, le plus suspect et le plus calomnié. Frêche a beau se promener sur toutes les chaines de télé avec le livre de Duneton sur les expressions françaises afin d’expliquer que sa sortie sur « la tête pas bien catholique » de Fabius est une expression vieille comme Hérode (encore un juif, ils sont partout), vous avouerez que c’est ballot que ce soit tombé justement sur l’ « ex-plus jeune premier ministre donné à la France », grand bourgeois cultivé, élégant jusqu’au dandysme et, comme on nous l’indique complaisamment jusqu’à la nausée , » d’origine juive ». On rappellera donc, à tout hasard, que c’est point par point un portrait qui pourrait convenir à Léon Blum.

Frêche, là aussi, se conforme à un vieux fond national d’antisémitisme résiduel et culturel qui a tendance à ressortir en fin de repas dans les blagues vaseuses des convives rôteurs. Faire tomber Frêche là-dessus en plus, ce n’est pas bien malin. On voudrait nous faire croire qu’attaquer les nègres en équipe de France, ça peut encore passer mais que toucher un des rares cheveux de Laurent-Fabius-d’origine-juive, c’est tabou qu’on ne s’y prendrait pas autrement : « Tu vois, Mouloud, ce gars là il peut dire ce qu’il veut sur nous, ça bouge pas, mais dès que c’est un juif… »

Cependant, pas de paranoïa anti antisémite : Frêche, pour dire indirectement ce qu’il pensait du PS socialiste, n’a pas choisi Fabius uniquement en raison de son origine. Elle était même assez secondaire dans son raisonnement, présente mais secondaire. Il a voulu faire croire qu’il répondait à une attaque comme si Fabius était le seul à dénoncer ses abus langagiers et sa mégalomanie urbanistique de Grand Timonier dont le rêve est de transformer Montpellier en port de mer.

Non, plus simplement, Frêche a cru jouer sur du velours en dénonçant le maillon faible du PS, l’homme politique qui n’a jamais réussi à décoller dans les sondages et qui semble avoir déjà renoncé à être un recours, même lointain, pour la gauche.

Et c’est bien le plus injuste dans cette histoire, qu’on ne parle plus de Laurent Fabius que lorsqu’il se fait attaquer.

Moi, je l’aime bien Fabius. Et puisque je fais mon outing, je préciserai que cette sympathie ne date pas d’hier. Je l’ai toujours trouvé courageux et contrairement à ce qu’on dit plutôt cohérent dans son itinéraire, pour autant que peut l’être un homme politique de premier plan obligé aux « corsi i recorsi » de l’Histoire.

Fabius, en 1979, c’est l’homme qui a donné une des définitions les plus intelligentes de ce que pourrait être trente ans après le programme de mes amis du Front de gauche s’ils accédaient par bonheur au pouvoir : « Entre le Plan et le Marché, il y a le socialisme. » Et à l’époque, la novlangue n’étant pas encore totalement victorieuse, socialisme voulait dire socialisme et non social-libéralisme.

Après la victoire de 1981 , Fabius est le ministre du budget des deux seules années de gouvernement de gauche qu’aura connues la France depuis le Front Populaire et on a oublié que lors du grand tournant de 83, qui fut sans doute un des derniers moments historiques où le politique a eu une marge de manœuvre contre les prodromes de ce que l’on n’appelait pas encore la mondialisation, il a été dans le camp des volontaristes.

Avec Chevènement, ce fut lui qui plaida sans succès auprès de Mitterrand, pour la politique du Grand Large, celle qui nous aurait fait sortir du SME pour retrouver un destin et non devenir une entité administrative delorienne à l’existence de plus en plus floue dans le grand marché unique, aussi peu incarnée que les monuments virtuels sur les coupures d’euro.

Le pire, dans tout cela, c’est qu’il a fallu que Fabius dirige cette politique en devenant Premier ministre et, dans le même temps, en assumant le départ des ministres communistes du gouvernement, ce qui fut pour beaucoup la fin d’un rêve car cela marqua une nouvelle rupture symbolique entre gauche de gestion et gauche de transformation, rupture qui dure encore malgré la parenthèse de 1997 où l’identité du PC faillit se diluer dans le Huisme beigbederisé avec défilé Prada (et non Pravda, hélas) place du Colonel Fabien.

Fabius, pourtant, fut un Premier ministre comme on a oublié qu’il a pu en exister depuis que Fillon est à Matignon. On se rappellera le célèbre « Lui c’est lui et moi c’est moi » lancé à la tribune de l’Assemblée nationale à propos de Mitterrand lors d’une visite de Jaruzelski à Paris. Imagine-t-on Fillon, dont la devise est plutôt « lui c’est lui et moi c’est rien », s’opposer de cette manière à Sarkozy lors de la visite de Kadhafi par exemple.

Fabius, c’est aussi évidemment l’affaire du sang contaminé. Pendant des années, on a reproché à un responsable politique qui fut en charge de la politique, toute la politique de la France, de n’être pas agrégé de médecine ou spécialiste d’hématologie à propos d’une maladie, le sida, dont même les spécialistes ne savaient pas grand-chose à l’époque. Peu importe qu’il ait été blanchi, on sait depuis Héraclite que  » le sang qui baigne le cœur est pensée » et que tout ce qui touche à ce domaine est de l’ordre du symbolique donc de l’irrationnel.

On acheva de le haïr en 2005, quand il eut l’insolence d’être le seul responsable politique à se prononcer pour le non au référendum sur le TCE. On parla de positionnement politique artificiel, oubliant évidemment la cohérence qu’il y avait avec le jeune homme de 1984. Et puis dire non à la constitution Giscard, dans le genre opportuniste, ce n’était pas franchement la meilleure idée. On ne rappellera pas l’hystérie généralisée des appareils politiques et médiatiques, toutes tendances confondues contre les nonistes et contre Fabius en particulier puisque lui, un homme si sérieux, un homme du « cercle de la raison » était d’autant plus impardonnable qu’il se commettait avec la racaille trosko-populiste ou national-communiste comme on voudra.

Décidément Fabius demeure, après la mort de Seguin, l’un des rares hommes dont on peut se dire, au sens le plus noble du terme, qu’il est un politique.

Et, non, comme Frêche, un histrion sinistre et un féodal hystérique comme seuls a su en engendrer la décentralisation, ce cheval de Troie de la fausse modernité. Mais ceci est une autre histoire.



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