Prochain gouvernement. Raphaël Glucksmann et Olivier Faure seront-ils prêts à faire passer le réarmement de la France avant la retraite à 62 ans? En son temps, Blum l’a fait!
Nous sommes aujourd’hui à un moment où une crise économique et politique se profile alors que la gauche est aux portes du gouvernement, et que le pays s’apprête à engager un effort sans précédent de réarmement. Cette conjoncture rappelle le contexte des années 1936, du Front populaire à la déclaration de guerre contre l’Allemagne. Si la comparaison n’est pas totalement pertinente, elle éclaire certains parallèles historiques utiles à l’analyse.
Le gouvernement du Front populaire, conduit par Léon Blum de juin 1936 à juin 1937, puis par des personnalités telles que Camille Chautemps et à nouveau Blum en 1938, engage la France dans une série de réformes sociales marquantes. Parmi celles-ci figurent la semaine de 40 heures (votée en juin 1936 et progressivement appliquée à partir de novembre) et les congés payés, qui entrent dans l’imaginaire social et politique français.
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Ces avancées sont imposées par les grèves massives du printemps 1936 et les accords de Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin. Elles visent à réduire le chômage en partageant le travail, à améliorer les conditions ouvrières et à stimuler la consommation, alors que la crise économique née de 1929 perdure. Ces arguments seront d’ailleurs repris à plusieurs reprises, notamment lors des débats sur la semaine de 35 heures.
Cependant, au moment même où survient la montée des menaces internationales (remilitarisation de la Rhénanie par l’Allemagne en mars 1936, annexion de l’Autriche en mars 1938 et guerre civile espagnole dès juillet 1936), les impératifs du réarmement ont rapidement imposé des contraintes qui ont conduit à un assouplissement progressif, puis à un véritable retour en arrière sur cette réforme.
Il faut dire que dès son arrivée au pouvoir, Blum, malgré le slogan « Pain, paix, liberté », reconnaît la nécessité d’agir pour contrer l’expansionnisme nazi. En juin 1936, Blum assure au général Gamelin, chef d’État-major général, qu’il est conscient des dangers, marquant un virage par rapport à l’opposition antérieure à toute politique de réarmement (Là-dessus, lisez la récente biographie du malheureux général par Max Schiavon).
En août 1936, une loi place les industries d’armement et aéronautique sous la tutelle de l’État pour accélérer la production de masse. Édouard Daladier, ministre de la Défense nationale (et vice-président du Conseil), soutient cette politique, avec un budget dépassant les recommandations de l’État-major. Il s’agit notamment de la construction de 1 500 avions de combat et de milliers de chars.
Cependant, ces ambitions se heurtent à des obstacles : un manque de spécialistes et d’ouvriers hautement qualifiés dans les arsenaux, des machines obsolètes et une inflation galopante (25% en 1937), qui érode les budgets réels. De plus, la production reste freinée par les conflits sociaux hérités des grèves de 1936 et par la rigidité de la semaine de 40 heures, perçue comme un « carcan » limitant la flexibilité industrielle.
Dès l’été 1937, la crise économique s’aggrave avec la dévaluation du franc, le creusement du déficit budgétaire et enfin une « pause » dans les réformes, annoncée le 24 février 1937 par Blum, qui abandonne des projets comme les retraites. Sous le gouvernement Chautemps (juin 1937 – mars 1938), les réformes sociales ralentissent, mais c’est avec l’arrivée d’Édouard Daladier comme président du Conseil en avril 1938 que l’assouplissement se concrétise. Daladier, déterminé à « remettre la France au travail », abolit la « semaine des deux dimanches » (le système 5 × 8 heures avec deux jours de repos, ancêtre des RTT), ramenant la durée légale à 48 heures par semaine.
Cet assouplissement vise à baisser le coût du travail et à attirer les capitaux fuyant la France depuis 1936 (les investissements tombent de 36 milliards de francs en 1930 à 8 milliards en 1938). Des décrets-lois de mai–juin 1938, renforcés en novembre par Paul Reynaud (ministre des Finances), autorisent jusqu’à 50 heures de travail hebdomadaire avec simple préavis, rétablissent le salaire aux pièces, les primes au rendement et dérogent à la limitation du travail de nuit. Reynaud annonce explicitement le 14 novembre 1938 la fin de la « semaine des deux dimanches », libérant les prix et le crédit pour relancer l’économie capitaliste. Dans les secteurs stratégiques comme l’armement, les heures supplémentaires sont facilitées, menant à des semaines de 48 à 50 heures dès la fin des années 1930, et jusqu’à 60 heures en 1940 face à l’offensive allemande.
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Ces mesures suscitent une forte opposition ouvrière. La CGT appelle à une grève générale de 24 heures le 30 novembre 1938 pour abroger les décrets, mais elle échoue en raison d’une tactique modérée (sans occupation d’usines, délais de préavis) et d’une répression gouvernementale massive. Réquisitions de cheminots et de fonctionnaires, 1 000 suspensions, 3 000 licenciements et arrestations de militants. Cet épisode marque la rupture entre la CGT et le gouvernement Daladier. Ces tensions sociales sonnent la fin du Front populaire. Cependant, ce retour en arrière sur les « acquis » facilite le réarmement. Dès le lendemain des décrets de novembre 1938, les investissements affluent, accélérant la production industrielle et militaire. Malheureusement, comme on le sait, le réarmement a commencé trop tard.
Le retour en arrière sur la semaine de 40 heures, motivé par les contraintes du réarmement, révèle les limites du projet social du Front populaire. Le Front populaire aura ainsi incarné le dernier grand élan social avant la guerre, mais aussi la démonstration tragique de l’impossibilité d’une politique déconnectée des réalités économiques et géostratégiques.
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