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La France a des comptes à régler avec la Ligue islamique mondiale

L'inquiétante organisation tient une conférence à Paris ce mardi


La France a des comptes à régler avec la Ligue islamique mondiale
Mohammed Al-Issa, secrétaire général de l'organisation et ancien ministre de la justice saoudien. Image : Twitter

Conférence de la Ligue islamique mondiale à Paris ce 17 septembre et reportage d’Arte programmé le 24. Deux illustrations de la dangereuse réhabilitation de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis en France, selon notre contributeur


Deux événements se font échos en cette fin de rentrée. Le premier : il s’agit de la conférence à Paris de la Ligue islamique mondiale (LIM), qui se tient aujourd’hui, 17 septembre. Une controverse autour de la participation du Président de la République, Emmanuel Macron, et de son Premier Ministre Edouard Philippe, a mis cet événement, volontairement discret, sur le devant de la scène. Finalement, l’information a été démentie. C’est via la Ligue, basée à Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite, que les autorités de ce pays ont répandu leur idéologie extrémiste aux quatre coins du monde, notamment en dégageant les financements nécessaires à la construction d’immenses lieux de culte musulmans en Europe, placés sous leur souveraineté, comme, par exemple, la Grande Mosquée de Bruxelles. Le deuxième événement en écho à celui-ci est la diffusion, le 24 septembre prochain, d’un reportage controversé sur Arte qui revient sur la guerre d’influence pour l’islam d’Europe. Le documentaire garde un silence effrayant sur les problématiques de l’islam consulaire (Maroc, Algérie, Turquie) et sur les manœuvres saoudo-émiraties dans le champ religieux musulman de l’Hexagone. Il nous revient de faire le rappel nécessaire.

L’Arabie Saoudite : pays d’élection des Frères Musulmans

Si on oublie trop souvent que les Frères Musulmans sont nés en Egypte et que le Président Nasser, très exagérément auréolé de vertus progressistes et laïques, en était membre, il faut surtout rappeler que l’histoire de la confrérie est profondément marquée par son exil en Arabie Saoudite, où, grâce à la bienveillance des autorités, elle a connu un second souffle, sous la sacro-sainte bannière de la lutte contre le socialisme. On appelle ce mouvement la « sahwa », une sorte de syncrétisme entre le wahhabisme et la pensée des Frères-Musulmans: un cocktail explosif!

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Tariq Ramadan est l’héritier de cette pensée hybride, haineuse et prosélyte, née à l’université de Médine, dans les années 60. Outre Tariq Ramadan, on trouve une multitude d’auteurs arabophones traduits en français, par des maisons d’édition basées à Médine ou Riyad, qui inondent, parfois clandestinement, les marchés orientaux de France et les librairies islamistes de nos grandes agglomérations, pour beaucoup, soutenues par la Ligue islamique mondiale. Ces librairies, qui ont par exemple colonisé les rues du 11ème arrondissement à Paris, sont un phénomène largement méconnu des élus et du grand public. C’est pourtant un outil important de l’entreprise de radicalisation du public musulman en France et en Europe.

Le Conseil Mondial des minorités musulmanes: l’agenda caché des Emirats Arabes Unis

Certes la LIM et, d’une manière plus générale, la politique religieuse de l’Arabie Saoudite ont beaucoup changé depuis l’arrivée de Mohammed ben Salmane (MBS). La sahwa est plus que jamais muselée, la mission de la Ligue a changé et son discours religieux s’est considérablement modéré. Non sans la pression des Emirats Arabes Unis et de l’Egypte de Sissi, engagés dans une guerre sans merci contre l’islam politique, et notamment contre les Frères Musulmans. Pour leur sécurité, les pays du Golfe, et l’Arabie Saoudite en premier lieu, ont besoin de l’Egypte, première armée de la région, devant Israël, selon le Military Strength Ranking, qui lui attribue la 12ème place mondiale. La menace iranienne, les troubles à Bahreïn et au Yémen et le spectre de la trahison américaine, observée avec le lâchage spectaculaire et traumatisant de Moubarak, font de l’Egypte l’indispensable allié et le protecteur le plus sûr de l’Arabie Saoudite.

Pour autant, la nouvelle politique religieuse imposée au royaume wahhabite depuis Abou Dabi et Le Caire peut-elle nous rassurer? A l’évidence, elle devrait plutôt nous inquiéter. Dernièrement, les Emirats Arabes Unis ont créé le Conseil Mondial des minorités musulmanes, une organisation surtout à destination de l’Europe, où elle est censée aider les minorités musulmanes à défendre leurs droits culturels (entendez leur droit à s’appliquer un statut musulman spécifique, une aberration juridique dans une démocratie comme la nôtre !) Le responsable de cette organisation, qui a rang de Ministre aux Emirats, a d’ailleurs été invité à donner une conférence dans une communauté musulmane d’Île de France, lors du dernier ramadan.

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Certes, cette forme d’islam est beaucoup moins dangereuse que les idéologies wahhabite, salafiste et frériste, et l’on peut, à juste titre, être reconnaissants au tandem Egypte – Emirats Arabes Unis d’y avoir converti MBS, mais elle reste incompatible avec nos valeurs et avec la démocratie.

On le constate en Egypte où l’agenda législatif contre les homosexuels et contre les athées a sidéré les ONG et les gouvernements occidentaux, qui ont déchanté en prenant connaissance de la nouvelle politique religieuse de ces deux pays. Si la « Sainte Alliance » arabo-conservatrice s’est fixée pour objectif de mettre au ban la charia des Frères et des wahhabites, elle est plus ambiguë quand il s’agit des salafistes égyptiens, mais surtout, c’est pour la remplacer par la charia égypto-ottomane, qui prévalait du temps du Khédive. Une catastrophe!

Adopter la position maronite

Le reportage qu’Arte diffusera ce 24 septembre, combiné à l’actualité de cette conférence hallucinante de la Ligue islamique mondiale à Paris, pose une question extrêmement importante : peut-on se permettre d’être oublieux sur l’histoire contemporaine de la radicalité musulmane, et, au nom de la lutte cruciale contre les Frères Musulmans, ignorer les travers extrêmement dangereux de la politique religieuse du tandem Arabie Saoudite – Emirats Arabes Unis?

En la matière, la France peut trouver une source d’inspiration dans l’attitude de l’Eglise maronite, la chrétienté catholique la plus puissante au Liban et dans le monde arabe.  Lucidité, pragmatisme et distanciation sont les maîtres mots de Sa Béatitude Béchara Al-Raï, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des maronites. Ce dernier a effectué une visite historique en Arabie Saoudite, à l’invitation des autorités, et saisi la main tendue par MBS aux chrétiens de la région, qui ont une importante diaspora dans le pays. A cette occasion, le Patriarche a pu préparer les prémices de la visite du Cardinal Tauran au royaume wahhabite. Une visite qui a déçu Rome, qui s’attendait à l’ouverture prochaine d’une église en Arabie Saoudite.

C’est pourquoi, lucide et expérimenté, l’Eglise a maintenu des relations égales avec le Qatar, et s’est abstenue de stigmatiser l’Émirat plus que les autres pays, se souvenant que, sur son territoire, on trouve des lieux de culte catholique.

Plutôt que de parier sur l’un contre l’autre, l’Eglise maronite et, d’une manière plus générale, Rome ont pris la bonne décision de faire monter les enchères et de profiter des luttes intestines entre les Emirats arabes du Golfe persique, afin de faire avancer le plus loin possible les intérêts des chrétiens dans la région. Résultat des courses : le 3 janvier 2019, le Patriarche maronite inaugurait l’église Saint Jean-le-Bien-Aimé, intégralement financée par l’Émir Tamim Al-Thani.

Ce que Macron pourrait réclamer à la Ligue islamique mondiale et à l’Arabie Saoudite

On espère pareils résultats du gouvernement français. Pour cela, encore faudrait-il qu’en réaction à cette conférence, le Président Macron et ses experts sur le sujet, en particulier le chef du bureau central des cultes, Arnaud Schaumasse, interrogent en détail  les activités de la Ligue islamique mondiale. On imagine bien que le Secrétaire de la LIM, ancien Ministre de la Justice en Arabie Saoudite, pourrait rencontrer des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur et des cultes… Lors d’une conférence franco-allemande, au siège de la fondation Konrad Adenauer à Berlin, Monsieur Schaumasse m’avait exposé son action pour l’indépendance du culte musulman. Qu’en sera-t-il auprès de Muhammad Al-Issa?

Tout d’abord, une clarification sur la plainte déposée contre Charlie Hebdo, à laquelle la LIM s’est associée, mérite d’être demandée. A cet égard, le gouvernement français doit rappeler fermement que le droit au blasphème est un acquis français fondamental, inhérent aux Droits de l’Homme, et avertir la LIM que, pour le maintien de son bureau en France, elle devra le respecter scrupuleusement.

Une autre question cruciale doit être introduite par les autorités françaises : celle du dédommagement de la France par la LIM et l’Arabie Saoudite, pour la radicalisation de nos jeunes depuis des lieux co-gérés par la LIM. Nos programmes de dé-radicalisation coûtent chers à la Nation. Le contribuable français ne doit pas payer, seul, pour déconstruire un discours financé depuis l’étranger, par un Etat avec lequel la France a pourtant des relations privilégiées. Comme Trump, Macron doit faire sortir leur chéquier aux Saoudiens. Dans ces conditions, la tenue à Paris de la conférence de la Ligue islamique mondiale paraîtrait moins inacceptable. Lucidité, pragmatisme et distanciation, voici pour les mots de la fin. Devenons maronites!



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