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La civilisation n’est pas un avantage acquis


Photo : TheAlieness GiselaGiardino²³

Il y a cinq ans, Sarkozy avait emporté ma voix en prononçant le mot « civilisation ». Entre autres. Les promesses alléchantes de « nettoyage au kärcher » et de « débarrassage de racaille » avaient déjà retenu toute mon attention, mon adhésion, mon affection, mais dans le discours du candidat, c’est la « civilisation » qui avait raflé la mise. Il m’avait semblé alors qu’on élevait un peu le débat, qu’on abordait une question sensible, existentielle et même ─ était-ce déjà un gros mot en 2007 ? ─ identitaire. Il est toujours bon d’entendre un homme politique expliquer comment et combien il compte dégraisser le mammouth, affréter des charters ou tenter de réduire le droit de grève absolu de droit divin, mais il ne s’agit là que de redresser des comptes, d’appliquer la loi ou de corriger des abus. Évidemment, nos dirigeants doivent être comptables, mais pas seulement. Après tout, « Qui sommes-nous ? Où allons-nous et quel est le sens de la France ? », sont des questions qui en valent bien d’autres.

Elles m’ont manqué ces derniers mois. Le débat politique a eu tendance à s’enliser fastidieusement dans l’intendance. La crise, l’euro, l’Europe, la dette, la banque, la note, les taux, les déficits, l’emploi et le pouvoir d’achat… Entre ma télé et ma radio, j’ai fini par en avoir la nausée, la même vague envie de vomir que quand j’entre dans un hypermarché. J’en étais même arrivé à souhaiter que, dans son malheur, en devenant un peu plus pauvre, notre pays reste un phare de notre civilisation mais cesse d’être cet Eldorado de consommation et de droits en tous genres que le monde entier, en traversant les frontières, montre qu’il nous envie. Moins riches, moins envahis ? On peut en rêver. Bref, au moment où le consensus sur la nécessité de réindustrialiser le pays atteignait des sommets dans l’assommant (où donc est passée la société de services ? En tout cas pas dans les excuses de Jacques Attali qui nous l’avait promise), Claude Guéant est venu me sortir de mon ennui, créant un clivage dans le monde politique et un malaise dans la nation en déclarant : « Nous devons protéger notre civilisation »« Je ne pense pas que toutes les civilisations se valent. »[access capability= »lire_inedits »]

La première affirmation relève de l’évidence : si nous aimons notre patrimoine et notre mode de vie, ou si nous le préférons à ce qui se fait ailleurs, nous devons le conserver. Les Indiens d’Amérique, les Nippons ou encore Winston Churchill se sont battus pour protéger leur civilisation : les uns ont perdu et disparu, d’autres ont vaincu et survécu mais tous étaient déterminés à protéger ce qu’ils aimaient et ce qu’ils étaient, des valeurs et des codes. Instinct de survie, et pour certains bas instincts mais pas seulement, peut-être aussi exigence du cœur et de l’âme de ne pas voir son monde décliner ou régresser.

D’autres civilisations se sont éteintes de leur belle mort, avec les siècles, délaissées par les hommes. Les croyances ont été abandonnées, les pratiques culturelles transformées. En devenant gallo-romains, les Gaulois ont perdu le tribalisme et beaucoup gagné. Les hommes qui ont fait ces choix de civilisation ont commencé à bâtir un monument dont nous héritons, enrichi depuis lors de lois contre l’arbitraire, affiné de laïcité, de liberté, d’humanisme, d’égalité et de protections pour les plus faibles. Ces fiers guerriers moustachus qui nous servent à tous d’ancêtres ont rompu avec leurs traditions, comme nos parents se sont mis à écouter Elvis Presley, parce qu’ils ont préféré ce qui venait d’ailleurs.

Avant de savoir si nous devons protéger notre civilisation, nous devons donc nous demander si nous ne préférons pas ce qui vient d’ailleurs. Je ne vais pas faire un inventaire comparé, bien que j’aime cet exercice au-delà du raisonnable et du cadre légal, mais quand même. Qui, élevé dans la culture française, a envie de cinéma bollywoodien, de transition démocratique africaine ou de sexualité islamique ? Les adeptes du multiculturalisme ? Je n’en suis même pas sûr.

Alors, devons-nous protéger notre civilisation de ces évolutions possibles ? Pour le monde, je ne dis pas, mais en France nous pouvons encore préférer ce que nous jugeons bon pour nous et refuser les pratiques culturelles contraires à l’idée que nous nous faisons d’un monde civilisé. Reste à définir, par le débat, celles qui peuvent être françaises et celles qui ne le peuvent pas. Pour la burqa, le peuple, par la voix de ses représentants, a dit non. Avec la gauche, nous n’aurions eu ni débat ni interdiction, le vivre-ensemble dans la tolérance ne tolère pas la discussion. Pour les partisans du métissage planétaire, il est interdit de préférer, de choisir, il est interdit d’interdire.

C’est en osant comparer la valeur des civilisations que le ministre de l’Intérieur a affolé le braillomètre (compteur Geiger mesurant l’indignation des antiracistes et droits-de-l’hommistes) et provoqué les réactions de la gauche qui y a vu une provocation électoraliste ─ comme c’est original ! Notons que la polémique porte sur des questions de civilisation, donc de culture, ce qui signifie au moins que les grilles de lecture ethno-racialistes n’ont plus cours en France : n’est-ce pas une victoire de la République ?

Quant au fond du propos de Guéant, on peut se demander longtemps qui a la meilleure civilisation sur Terre, mais une telle compétition tiendra sans doute de l’Eurovision. Chacun portera les couleurs de la sienne contre celle des autres et, après tout, il n’y a pas dans l’espace d’autorité pour décréter que la lapidation vaut mieux que la pension alimentaire ou que le libre choix du conjoint est préférable au mariage arrangé.

Cela dit, s’il paraît naturel que chacun préfère la civilisation, j’observe tout de même que beaucoup semblent préférer la mienne. Le sens des migrations est un bon indice du penchant des peuples. Or, si on compte de nombreux Français d’origine africaine, peu de Parisiens, même parmi les auteurs de Terra Nova, sont partis faire souche à Dakar ou Bamako.

À quoi rêvent les hommes et les femmes qui choisissent la France ? La civilisation du « care » chère à la gauche et encore plus aux finances du pays, faite de droits et d’allocations, de logements et de soins, y est sans doute pour quelque chose – et après tout, pour nombre de « Français de souche », l’État-providence est le cœur du modèle français. Espérons que, pour une partie des arrivants, le désir d’être français s’élève au-dessus de ces contingences. Quoi qu’il en soit, c’est à nous d’exiger, en échange de ce mieux que nous offrons, un engagement de devenir des Français de culture et pas seulement de papier. C’est ainsi que nous protégerons notre civilisation et le rêve de tous ceux qui viennent en France pour y trouver les Lumières. Pour ne froisser personne, le multiculturalisme prétend au contraire que tout se vaut et que la France est un hôtel où tout le monde peut prendre une chambre et vivre comme il l’entend.
C’est le contraire d’une exigence, c’est l’abandon de sa civilisation.

Les derniers arrivés feront-ils de bons Français ? Je n’ai pas de réponse à cette question qui pourrait être un enjeu de civilisation, et j’ai bien peur que Messieurs Guéant et Sarkozy n’en aient pas non plus. Dans une France en difficulté avec l’intégration de ses nouveaux Français, ils ont pourtant octroyé 200 000 titres de séjour l’an dernier. Pendant qu’ils parlent de protéger la civilisation, les Chinois travaillent et le tiers-monde afflue. Alors je suis sensible à leurs lettres, mais beaucoup moins à leurs chiffres. Pour ma voix, cette fois-ci, « ça va pas le faire » comme on dit à Sciences Po. Je veux bien qu’on me prenne par les sentiments, mais pas deux fois.[/access]

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Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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