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Nous sommes tous des saumons, et autres vérités


Nous sommes tous des saumons, et autres vérités
Saumons, Pixabay
Saumons, Pixabay

La jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse – voire, la mort. Tel est le découpage, attendu, du nouvel essai de Jean-François Duval, genevois, pape européen de la Beat Generation, interviewer de Bukowski et des autres, et éminent amateur de pommes de terre frites, Bref aperçu des âges de la vie.

Je croyais ne rien apprendre. J’y ai découvert ce que je n’attendais pas.

1. Qu’il vaut mieux dire la fin des choses avec poésie que sans poésie, ou de ne pas la dire du tout. Il en va ainsi de l’expression « prendre sa retraite », qui évoque à tort un épisode douloureux de la campagne de Russie, et que l’on devrait rebaptiser « prendre le large », « larguer les amarres » ou encore « envoyer balader la bande d’abrutis avec laquelle je ne partagerai plus la pause café ».

La première chose dont Jean-François Duval acte la fin, la fin définitive, c’est cette période magique de la petite enfance où nous ne pouvons nous déplacer autrement qu’en courant – et en chutant avec panache. Lorsque nous adoptons le pas lent des grandes personnes, c’en est fini. Nous sommes bons pour ne plus courir qu’après les bus et les années.

2. Que l’indépendance est d’abord un goût : framboise, pistache, noisette, citron, dans un cône glacé. Godard affirme que les deux âges les plus réels de la vie sont la jeunesse et la vieillesse. Le reste est superficiel, du temps pressé comme un agrume, gâché.

3. Que nous sommes les semblables des saumons, tout en nous ignorant les uns les autres : nous évoluons par mutations, par ruptures successives, suivant un trajet étrange, incroyablement ardu, pour revenir au point de départ. En y faisant bien attention, il n’est même pas nécessaire de mourir pour se réincarner.

4. Qu’on ne cesse jamais de faire de l’auto-stop, même si l’époque en est révolue, même si l’on n’en a aucune envie. L’auteur s’y est essayé, la soixantaine passée : « J’avais autant de chance qu’une jeune fille en mini short. » Peut-être même plus, parce qu’il est ressorti vivant du charitable véhicule. L’auto-stop, si l’on a de la chance, fait battre le cœur aussi fort que lors d’un slow avec un(e) inconnu(e).

5. Que les chiens ont toujours quelque chose de passionnant à nous apprendre. « Ce qui justifie l’âge adulte, c’est l’esprit d’entreprise ». En l’occurrence, Duval entreprend d’enseigner le français à son chien, pour lui expliquer qu’il n’y a rien à craindre du tonnerre et qu’il faut être poli avec les chats. D’ailleurs, si l’on veut savoir vraiment comment on se porte, il suffit de se demander, avant de s’endormir, si l’on a vraiment hâte d’être au lendemain. D’ouvrir le journal comme le chien renifle la pelouse encore humide de rosée. Bref, si l’on a hâte de mourir. Une attitude très saine.

6. Que « le vertige est ce qu’il y a de plus assuré ». Dans la vie comme dans la pratique de l’escalade.

7. Qu’avoir honte de son attachement aux objets, si celui-ci persiste au-delà de l’âge de quatre ans, est une idée aussi démodée que la philosophie de Sartre.

8. Que piloter une tondeuse ou manier un sécateur électrique n’a aucun rapport avec l’injonction voltairienne de cultiver son jardin.

9. Que lorsqu’un oeuf nous échappe des mains, il est beaucoup plus rassurant de le voir s’écraser au sol que rebondir sous son nez. Les faits, en général, même s’ils nous obligent à passer la serpillère, sont irremplaçables.

10. Que le Madison ne s’est jamais démodé, et ne se démodera jamais. Il est déjà trop vieux pour ça.

11. Que « la mémoire est un plat de spaghettis à démêler tôt et à consommer chaud », d’où l’importance de connaître et reconnaître comme tel le « meilleur chanteur italien de tous les temps », Peppino di Capri.

12. Que les filles au teint de pêche sont une espèce en voie de disparition, dévorées par les filles au teint de peche, de peiche, de paiche, etc.

13. Un avantage de la vieillesse : ne pas envier Alain Delon, ni personne d’autre, lorsqu’il déclare dans les journaux « j’ai tout eu » : on peut toujours lui rétorquer « moi, j’ai tout été ».

14. Que le fin mot de l’histoire nous revient toujours. Mais qu’être réincarné en écureuil peut être une perspective réjouissante.

15. Que ce Bref aperçu contient plus de sagesse et de drôlerie que bien des livres et des discours se voulant sages et drôles.

Jean-François Duval, Bref aperçu des âges de la vie – Michalon, 238 pages. 

Bref aperçu des âges de la vie

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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