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Le paradoxe de la tolérance


Le paradoxe de la tolérance
© Pascal Fayolle/SIPA

Comment établir une limite claire entre ce qui peut être toléré, et ce qui ne doit pas l’être? Avec la menace de l’islam politique et le débat sur le voile, cette question philosophique est d’actualité.


La tolérance s’entend comme le fait d’accepter ce que l’on réprouve au nom d’une raison supérieure, divine, juridique, morale, politique ou philosophique.

Les limites de la tolérance

Être tolérant ne signifie évidemment pas tout tolérer. Il y a des actes comme le vol ou le crime qu’on ne tolère pas, sinon la paix civile cesserait et la société se dissoudrait. La tolérance a pour limite ce qui aboutit à l’état de guerre de tous contre tous.

La tolérance a également une deuxième limite. Celle de la connaissance. On tolère une croyance ou une opinion dans la mesure où celles-ci ne peuvent ni être prouvées ni être réfutées. Toutefois, il n’y aurait guère de sens à tolérer une erreur.

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Mais peut-on interdire une opinion intolérante ? La tolérer ne favoriserait-il pas l’intolérance? Ou serait-ce de l’intolérance que de ne pas la tolérer ? D’où le paradoxe de la tolérance formulé par le philosophe Karl Popper:

«  (…) la tolérance illimitée doit mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l’impact de l’intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. » La société ouverte et ses ennemis, Seuil, 1979, tome 1, p. 222.

La tolérance illimitée serait contradictoire car autodestructrice. Comment dès lors, sans renoncer à la tolérance, établir une limite claire entre ce qui doit être toléré et ce qui ne doit pas l’être ?

Jusqu’où tolérer les intolérants ?

Dans une république, la tolérance s’étend par principe à tous, y compris à ceux qui prônent d’autres régimes politiques — monarchiques, despotiques, théocratiques et même totalitaires. Toutefois, lorsque des groupes factieux représentent une menace réelle pour la République, il devient, selon Popper, impérieux de ne plus les tolérer :

« Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes. Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple. » (Ibid.)

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Popper ne refuse donc pas a priori le droit de s’exprimer à ceux qui veulent détruire la tolérance. Il considère néanmoins qu’il peut arriver un moment opportun où il devient nécessaire d’empêcher par la loi et par la contrainte ceux qui menacent de la détruire. Cette troisième limite à la tolérance repose sur l’appréciation du risque de destruction de la tolérance. Le seuil tolérable étant défini par la force de l’opinion et l’état de non-violence.

L’application de cette troisième limite à la tolérance à l’offensive islamiste

Sommes-nous arrivés ou non à ce point où il ne faudrait plus tolérer l’intolérance, ou bien pouvons-nous continuer de tolérer ceux qui incitent à l’intolérance ?

Bien que d’aucuns espèrent banaliser les attentats, nous vivons désormais dans un état de violence, sous la menace constante d’assassinats ciblés ou de masse. Une tentative d’attentat est déjouée tous les mois et demi. Certains de nos concitoyens, journalistes ou universitaires, doivent même vivre sous protection judiciaire. De nombreux lieux de cultes en France font également l’objet de protection militaire ; les synagogues et depuis peu certaines églises catholiques comme l’abbatiale de Vézelay.

Mais la menace djihadiste n’est que la face la plus visible d’une violence islamiste diffuse. Toutes les mouvances de l’islam politique partagent en effet l’objectif de fonder un État islamique sur la base d’une intolérance maximale. Pour atteindre ce but, ces groupes avancent selon des stratégies complémentaires : le prosélytisme pour les tablighis, le séparatisme identitaire pour les salafistes, la victimisation et la stratégie de pression, l’infiltration de tous les lieux de pouvoir et de savoir pour les Frères musulmans. Ainsi, les populations soumises aux salafistes ou aux tablighis forment-elle le vivier du djihadisme. Elles ont fourni l’essentiel du bataillon des 1 700 djihadistes français partis pour le « califat ». Dorénavant, les candidats au passage à l’acte, estimé à 4 000, ne quittent plus ces pépinières. Et ce sont plus de 22 000 individus idéologisés qui pourraient basculer demain dans cette catégorie.

Nouvelles menaces

Des chiffres qui ne devraient pas cesser d’augmenter. Car, selon plusieurs enquêtes du CEVIPOF ou de l’Institut Montaigne, des centaines de milliers de « musulmans » regarderaient avec hostilité les principes de la République et nourriraient à l’égard de la France un ressentiment potentiellement explosif. Une part toujours plus large de nos concitoyens évolue sous l’influence islamiste. On dénombre sur notre territoire pas moins de 147 mosquées tablighis, 152 mosquées salafistes (dont plus de la moitié en Île-de-France) et 170 fréristes (chiffres du SRCT). Soit près d’un cinquième des mosquées sous contrôle islamiste. Si l’on ajoute à cela la multiplication des librairies islamistes, des commerces halal, des réunions nationales ou internationales d’islamistes, des figures fréristes plus ou moins affichées ou d’organisations soit-disant antiracistes qui légitiment l’islamisme dans le débat public, on ne voit pas ce qui pourrait endiguer la menace de fracture de notre nation.

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Qu’en est-il maintenant de l’opinion ? Celle-ci paraît plus que divisée, piégée par le chantage à l’islamophobie. Tandis que le débat sur la laïcité à l’école comme dans l’espace public fait rage, dans la plus grande confusion, les différentes sortes de voile, comme le hijab ou le djilbab, sont encore considérées par les uns comme des signes religieux, par nature tolérables, alors que ces tenues constituent aussi des étendards politiques du séparatisme et de l’infériorité de la femme. Le voile n’est pas un simple « attribut rétrograde » de l’intégrisme. Il constitue l’un des vecteurs de la conquête idéologique de l’islamisme. Sa progression marque l’emprise islamiste sur une partie de notre population. Il invisibilise moins les femmes qui le portent qu’il ne rend visible dans l’espace public l’application des supposées lois de la charia contre les lois républicaines et les principes de liberté, d’égalité et de dignité de la personne. Le voile est un drapeau.

Progression des ennemis de la tolérance

L’intolérance islamiste nous paraît loin d’être contenue par l’opinion publique. Celle-ci, d’ailleurs, se cramponne à son déni, bercée par les apôtres de la bonne conscience. Mais est-ce la seule raison qui conduit l’opinion, nos gouvernants et une large partie des intellectuels de notre pays à sous-estimer la menace qui pèse sur la paix civile et nos principes démocratiques ? Il est sidérant de voir qu’en dépit des travaux scientifiques d’un Gilles Kepel ou d’un Georges Bensoussan, de la mise en garde d’un inspecteur général de l’Éducation nationale comme Jean-Pierre Obin en 2004, la menace islamiste ne soit toujours pas correctement appréhendée. Et tandis que les plus engagés dans la lutte pour les libertés s’écharpent pour savoir jusqu’où le voile relève du champ d’application de la laïcité, aucun plan rationnel n’est envisagé pour neutraliser les ennemis de la tolérance. Même ceux qui n’ont de cesse de dénoncer l’islamisme n’y pensent pas !

Il est urgent de construire une stratégie cohérente, conforme à notre État de droit et à nos principes, pour défendre la tolérance. Mais qu’on ne s’y trompe pas. La réponse au paradoxe de la tolérance est elle-même paradoxale : car pour défendre la tolérance, il faut, selon Popper, quand la violence se répand dans la société et que l’opinion n’est plus un rempart, interdire la diffusion des théories intolérantes et traiter ceux qui s’attaquent à la tolérance comme des criminels. Sinon, « le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. »



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Didier Lemaire a enseigné la philosophie à Trappes, dans les Yvelines, pendant près de vingt ans. Après avoir dénoncé l’islamisation de la ville, il a publié aux éditions Robert Laffont "Lettre d’un hussard de la République" et fondé l’association Défense des serviteurs de la République.

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