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Evergreen: quand l’antiracisme devient fanatique

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Evergreen: quand l’antiracisme devient fanatique
Des policiers de l'Etat de Washington s'interposent entre militants progressistes et conservateurs sur le campus d'Evergreen, 15 juin 2017. © AP Photo/ Ted S. Warren)/AFP

Adepte des queer studies et de l’auto-notation, le campus le plus progressiste des Etats-Unis a instauré une journée sans Blancs. Le professeur juif qui s’y est opposé se voit aujourd’hui accusé de racisme. Bienvenue dans un enfer intersectionnel digne de Philip Roth.


Evergreen State College, État de Washington. À une centaine de kilomètres au sud de Seattle, nichés au cœur d’une nature verdoyante, quelques bâtiments de bonne facture composent son campus. Les événements qui se sont déroulés dans ce cadre bucolique de mars à mai 2017 n’ont nullement défrayé la chronique en dehors des États-Unis. Evergreen et les dérives du progressisme, un web-documentaire en français, heureusement mis en ligne en juillet dernier (voir ci-dessous), permet d’observer in vivo la mise en pratique de concepts sociologiques comme le « racisme systémique » – une dérive qui a mené l’université à l’émeute et son président devant une commission du Sénat de l’État de Washington. Des concepts face auxquels, pour l’essentiel, nous demeurons intellectuellement désarmés.

Militants intersectionnels aux Blancs: « vous êtes priés de rester chez vous »

En 2017, près de 4 000 élèves [tooltips content= »Ils ne sont plus que 3 000 aujourd’hui suite aux émeutes. »](1)[/tooltips] poursuivaient des études dans cette université fondée en 1971 avec la volonté d’offrir à ses étudiants une éducation « alternative ». Difficile effectivement de trouver une communauté plus progressiste que celle d’Evergreen. L’ensemble du projet éducatif met en avant l’inclusion des minorités ethniques et sexuelles, comme en atteste la présence d’une folklorique « Queer Library » [tooltips content= »Une bibliothèque LGBT. »](2)[/tooltips]. L’administration fait de l’équité (et non de l’égalité, pas assez équitable), un mantra omniprésent. Sur une échelle du progressisme multiculturel bienveillant graduée de 1 à 100, Evergreen, où l’auto-évaluation des élèves constitue la règle, mérite un bon 101.

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Ce state college militant a notamment établi de longue date la tradition d’un « jour d’absence », une journée à l’occasion de laquelle les Noirs désertent Evergreen, afin que les porteurs d’une pigmentation différente prennent conscience de l’importance des « PC » (People of Color). En 2017, pour pimenter la chose, l’administration décidait d’en modifier le principe et d’instaurer en lieu et place un « jour de présence », incitant les Blancs à rester chez eux pour ainsi réserver le campus aux « PC ».

Jusque là parfaitement à l’aise dans l’environnement d’Evergreen, Brett Weinstein [tooltips content= »Rien à voir avec le producteur évidemment, mais ce n’est pas de chance pour Brett ! »](3)[/tooltips], professeur de biologie, blanc de peau et accessoirement juif, ressent un malaise à la découverte de ce nouveau modus operandi. Par mail, il fait part à la direction de son désaccord, arguant qu’il y a « une énorme différence entre une population qui s’absente d’elle-même d’un espace public pour mettre en lumière son rôle et une population qui exige d’une autre qu’elle s’en absente ». Cette position de bon sens allait pourtant avoir de funestes conséquences et déclencher une chasse aux sorcières que n’auraient pas désavouée en leur temps, les Gardes rouges ou les SA.

La frange ultra des activistes s’empare promptement de ce « mail raciste » pour soumettre une majorité tétanisée et une administration aphasique à un régime de terreur sectaire et, cette fois, authentiquement raciste. Ces extrémistes et leurs suiveurs n’ont en effet qu’une obsession : la race. Ils ont pour cela une excuse servie sur un plateau par d’habiles sociologues : le racisme systémique qui sévirait aux États-Unis – une sorte de gaz présent partout, y compris sur le campus ultra progressiste d’Evergreen. Le mail de Brett Weinstein s’inscrit bien sûr dans ce continuum, puisque dans leur logique stalinienne, se désolidariser d’une action antiraciste proclamée – fût-elle démente –, c’est du racisme. Pour abattre ce système, tous les moyens sont bons, y compris de piétiner la liberté d’expression de Brett ou son droit à la défense. Entouré d’une horde d’étudiants qui l’accablent et veulent sa démission, le courageux professeur demande : « Puis-je répondre ? » Des voix hurlent : « Non ! Non ! » Et lorsqu’il parvient à exposer en partie son point de vue, on lui assène qu’il doit cesser de recourir au raisonnement, à la logique, bref à la science « des Blancs ». Seules comptent désormais les émotions des offensés ainsi que leur parole sacrée.

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Ces offensés permanents sont à cran et ça se sent. Quelles que soient les circonstances – ici un rassemblement en présence de leur président George Bridges, pourtant totalement acquis à leur cause – ces indignés couvrent les Blancs d’un flot d’injures : « Fuck you, George ! » Guidé par Ar et Lawrence – un couple PC transgenre, lui/elle en robe à fleurs et collier de perles et son/sa partenaire, un nain en fauteuil ceint d’une séduisante nuisette –, on hurle au président que « les Noirs étaient là avant et qu’ils ont construit des villes » quand les ancêtres de George vivaient encore « dans leurs grottes ». Dans une réunion suivante, ils réserveront chaises et nourriture aux Noirs, parachevant la nouvelle ségrégation qu’ils imposent. Ce que ces extrémistes cherchent – et obtiennent sous nos yeux stupéfaits –, c’est le pouvoir, mais aussi une revanche à tout prix. L’enthousiasme de l’une des leaders l’amène à déclarer sur Vice News « J’espère qu’un jour on pourra se débarrasser des mauvaises herbes comme Brett », mais personne ne peut affirmer si c’est au Roundup ou au Zyklon B qu’elle entend recourir. En tout cas, elle ne le croisera plus à Evergreen, puisqu’il en a été (évidemment) licencié.

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Plus qu’un incident, ces événements saisis sur le vif par les protagonistes eux-mêmes provoquent un malaise glaçant. Ils annoncent ce qui infuse en ce moment dans les universités européennes et françaises sous couvert de « luttes intersectionnelles ». Ils révèlent également la complicité des autorités universitaires dans la trahison des idéaux qui fondent leurs institutions : la rationalité alliée à l’humanisme. Il faut voir à Evergreen la « cérémonie du canoë » pour mesurer le degré de lobotomisation de la direction, dont chacun des membres égrène, en début d’année, son sexe, son genre, le pronom avec lequel il souhaite être appelé (he ou she), son orientation sexuelle, ainsi que ses « privilèges » – essentiellement celui d’être blanc.

On aurait tort de mettre ces errements sur le compte de la folie – les leaders savent ce qu’ils font. La diligence du président Bridges à donner crédit aux allégations absurdes portées contre Brett Weinstein inquiète autant que terrifie sa propension à subir sans broncher des humiliations. Plus encore, la tétanie de la majorité des étudiants face aux possibles accusations de racisme en cas de désaccord affiché avec les fanatiques, illustre le piège totalitaire de l’antiracisme. Pour ces zombies blancs, il vaut mieux avoir tort avec des antiracistes déments que raison avec des… ? Faute d’un vocabulaire adéquat opposable aux sociologues, nous sommes perdus. En attendant, grâce au chaos d’Evergreen, nous voilà prévenus.

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Octobre 2019 - Causeur #72

Article extrait du Magazine Causeur




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Diplômé d'HEC, il a travaillé de nombreuses années dans la presse ("Le Figaro", "Le Nouvel Obs", "Libération", "Le Point", etc.). Affectionnant les anarchistes de droite tels Jean Yanne ou Pierre Desproges, il est devenu l'un des meilleurs spécialistes de Michel Audiard. On lui doit deux livres de référence sur le sujet : <em>Le Dico flingueur des Tontons</em> et <em>L'Encyclopédie d'Audiard</em> (Hugo & Cie).

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