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Insécurité : Le droit contre le bon sens


Insécurité : Le droit contre le bon sens

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Dans les cités de Marseille, le déploiement des Compagnies républicaines de sécurité n’entrave que provisoirement et superficiellement  la bonne marche des affaires, et les stratégies commerciales d’élimination de la concurrence par coups de feu se poursuivent.
Chaque semaine, de jeunes dealers sensibles et défavorisés perdent la vie quand d’autres du même type, mais mieux armés, gagnent des marchés et, si les accidents de travail sont souvent mortels pour ceux qui commercent à la kalachnikov (car il existe ailleurs des gens qui achètent et vendent de la drogue pacifiquement et même amicalement), après tout, c’est le métier qui rentre, aussi vite qu’une balle dans la tête ou de l’argent facile.
On peut regretter que ces territoires soient perdus pour la République mais, perdus pour perdus, je m’habitue assez bien à l’idée que les nuisibles dangereux qui y règnent sans partage s’éliminent les uns les autres et pratiquent une sélection naturelle qui rappelle la guerre du feu, pratiquement en famille, quasiment entre cousins.[access capability= »lire_inedits »] On peut comprendre l’exaspération des voisins, jamais à l’abri d’une balle perdue, et le désarroi des mères de ces victimes tombées sous le coup de la loi du plus fort dans ce Far-West sans shérif où la cavalerie n’a pas le droit de tirer. Voilées et en larmes, elles semblent réaliser que ces « jeunes sans repères » ont désespérément besoin de police et de prison, demandent face caméra au Journal télévisé que l’ordre républicain vienne sauver leurs enfants d’une mort probable et, dans une surenchère sécuritaire qui rappelle les heures les plus sombres du sarkozysme, certaines demandent même que l’on envoie l’armée.
Vu de ma campagne, où même le deal est cordial, je pourrais m’en laver les mains et compter les morts, mais je compatis et me joins à leur requête. Je verrais bien des paras à qui on aurait donné carte blanche pour un remake de la bataille d’Alger dans les cités marseillaises parce que la racaille ultra-violente mérite d’être punie par principe et parce que la violence ne s’arrête pas aux portes de ces cités que l’on appelle encore des ghettos, malgré les milliards déversés dans les ZEP et les ZUP en rénovation urbaine et en subventions aux « grands frères ». Le ré-ensauvagement s’étend partout et, à Marseille comme ailleurs, on tue aussi des commerçants innocents. On peut  rêver d’un bon ménage de printemps au kärcher mais au réveil, dans ce monde où même la droite devient droit-de-l’hommiste et humaniste, on ne répond pas à la violence par la violence. Pour notre ministre de la Justice, qui ne croit pas aux vertus de la répression, on ne doit même plus répondre à la violence par la prison. Du coup, on ne répond plus du tout.
Décidée à revenir sur les progrès pourtant modérés du précédent gouvernement, ou du moins ce qu’il en est resté après leur passage par le Conseil constitutionnel, Christiane Taubira veut remettre en cause les lois sur les peines-plancher, la rétention de sûreté ou les jurés populaires. À l’emprisonnement, elle préfère les peines alternatives qui font rire les racailles et la réinsertion qui prend les voleurs par la main et les violeurs par les bons sentiments. Tout ce qui devait forcer les juges, sourds aux attentes du peuple, à avoir la main un peu moins légère est abandonné, et une mesure qui prévoit de rendre automatique les remises de peines est annoncée. Parce que les prisons sont surpeuplées, depuis le précédent garde des Sceaux, les peines courtes sont rarement effectuées. On peut difficilement imaginer pire réponse pénale que cette absence de punition, que cette montagne de dossiers accumulés lors d’un parcours judiciaire long et coûteux qui accouche d’aussi inoffensives souris. Cette mesure absurde qui a répandu un sentiment d’impunité fait aujourd’hui exploser les chiffres de la délinquance et de la criminalité car l’impunité des uns, c’est l’insécurité des autres. Cette insécurité est partout grandissante et, quand un journaliste sort de l’ombre pour le faire savoir, chiffres à l’appui, les médias mettent leurs œillères et, de Canal+ jusque chez Ruquier, les imbéciles − et les malhonnêtes aussi − ignorent la lune pour regarder le doigt, se demandent de quel droit il se lève et à qui tout cela profite[1. À la matinale de Canal+ où il était question de La France Orange mécanique, en l’absence bien sûr de son auteur, Laurent Obertone, une journaliste a eu cette phrase : « Le problème avec ce livre, c’est que les gens le lisent. »]. Pour ceux qui vivent loin des barbares, un seul danger nous menace : la montée du populisme.
Dans la plupart des faits divers qui remuent et révoltent le pays en profondeur, les auteurs sont « très défavorablement connus des services de police ». Nous finissons donc par comprendre que nous n’avons pas un problème de police, que les malfaiteurs sont identifiés, repérés et souvent arrêtés. S’ils récidivent, c’est bien parce qu’on les relâche. Alors que fait la justice ? Nous sommes nombreux à nous le demander et à n’y rien comprendre. La loi est complexe, les droits s’opposent et les situations sont toujours différentes, mais l’interprétation d’un texte et la sentence d’un juge devraient relever d’un bon sens communément admis, prendre le parti des innocents et rechercher l’intérêt général.
Le droit est censé nous protéger de l’arbitraire, pas de la justice. On a souvent l’impression qu’une corporation dont les décisions sont interdites de commentaires pratique un droit hors-sol, affranchi du réel. Quand les délinquants règnent sur leur quartier, qu’ils soient condamnés ou pas, et que leurs victimes rasent les murs ou déménagent par peur des représailles, il faut bien constater que le droit a interdit ce que commandait le bon sens et que son application produit de l’injustice.
Je propose un exemple parmi les moins dramatiques. La loi est la même pour tous, et celle qui prévoit de sanctionner les mineurs coupables de vol interdit leur maintien en détention. Ainsi, les collégiens qui piquent une fois ou deux dans un supermarché sont, après un passage au commissariat, remis à leurs parents, et la réprimande semble suffire aux enfants bien élevés. Mais pour les enfants roms pickpockets qui agissent quotidiennement dans le métro, la punition est la même. Le sentiment d’impunité qui naît de ces défaillances, à un âge où l’on a tant besoin d’apprécier les limites du monde, mène au crime. Que faut-il faire ? Des lois d’exception pour les Roms, autrement dit des lois raciales ? La fermeture de nos frontières aux populations notoirement délinquantes ? Le droit et la tradition républicaine nous interdisent l’une et l’autre de ces solutions. Ainsi le crime paie et les perdants sont les citoyens honnêtes qui contribuent à financer un système qui ne les protège pas. Tout cela finit par donner envie de jeter le bébé de la « démocratie » avec l’eau de « l’État de droit ».
Il y a une troisième voie : des juges capables d’interpréter la loi (car l’esprit de la loi, c’est toujours la recherche d’un ordre juste), jusqu’à la tordre pour redresser nos opinions à son endroit et satisfaire notre besoin de justice, quitte à faire brailler la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature, la Cour européenne des droits de l’homme et le cortège habituel des indignés.
Sans cela, les plus républicains et les plus démocrates d’entre nous, ceux qui vomissent les fanfarons et les hâbleurs presque autant que les tièdes, finiront par regarder avec complaisance les autocrates les plus mégalomanes, les plus provocateurs, les plus dingues, pourvu qu’ils défendent leur peuple sans crainte de fâcher les belles âmes d’Europe ou d’ailleurs. L’impuissance de notre État à faire régner la justice, entravé par tant de contre-pouvoirs non élus, finira par nous donner des envies de Victor Orban, d’Hugo Chavez ou du premier populiste venu capable d’avancer malgré les obstacles. Que vaut la liberté de la presse quand on n’a plus celle de prendre le RER la nuit tombée ? Que pèsent, dans la balance qui détermine nos choix politiques, des déclarations antisémites pour celui qui voit son monde régresser dans la violence et la sauvagerie ? De moins en moins lourd, j’en ai peur. Et si notre belle démocratie, complexe et raffinée à l’extrême, fruit de tant d’histoire, phare du monde civilisé, se révèle durablement incapable de nous protéger des invasions barbares et des insécurités croissantes, nous finirons par accueillir un populiste aux mains libres. Alors, même ceux qui n’aiment pas ses manières finiront par se demander si Marine Le Pen, qui a longtemps été un problème, n’est pas en train de devenir la solution.[/access]

*Photo : paral_lax <°)><.

Avril 2013 #1

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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