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Fallait-il tuer les langues mortes ?


Fallait-il tuer les langues mortes ?

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À la rentrée 2012, les élèves étaient un peu plus de 500 000 à avoir fait le choix d’une de ces langues dites mortes. Ces derniers temps, les dénominations ont varié : on appréciera le passage des « Langues rares » aux « Langues et cultures de l’Antiquité ». Malgré le sempiternel refrain qui voudrait que ces deux langues anciennes ne servent à rien, il existe encore des familles d’irréductibles. Si les effectifs n’ont cessé de diminuer ces dix dernières années, c’est le résultat d’une sape patiente et non d’une désaffection massive. Etudier ces deux langues semble devenir une anomalie dans le cursus scolaire. Malheureusement, l’on ne considère plus le grec ancien que comme une curiosité tant les collèges où l’on propose cette option sont peu nombreux. Pour ce qui est du latin, dès la cinquième, les collégiens peuvent le prendre en option facultative 2 heures par semaine.

Paru en février 2013, le rapport de Jean-François Pradeau note « une demande sociale d’humanités ». Il s’intéresse notamment aux classes de latin ou de grec qui sont remplies, contrairement aux idées reçues. Il y a une curiosité pour le latin, mais cette émulation est étrangement peu cultivée par l’institution. On constate que les repoussoirs sont nombreux. D’une part, les horaires de cette option sont peu attractifs. D’autre part, en milieu ou en fin de journée, le latin est concurrencé par les activités sportives proposées par les foyers et qui reçoivent un accueil plus favorable de la part des collégiens. Les enseignants de lettres classiques déplorent en outre que lors des dotations horaires, le latin ne soit évidemment pas vécu comme une priorité.

Alors que dans l’enseignement privé, l’option « latin » est systématiquement proposée, l’enseignement public ferme peu à peu des classes pour financer plus d’heures « d’aides personnalisées », « d’aides aux devoirs » et autres soutiens individualisés. Ces deux dimensions ne devraient-elles pas au contraire coexister ? On reproche au latin son caractère désuet, barbant et inutile. C’est l’avènement de l’ère du savoir utilitaire. Pourtant, depuis de nombreuses années, l’on observe une déliquescence croissante de l’expression, de l’orthographe et un affaissement de la syntaxe. Par là, les heures d’aides personnalisées, telles qu’elles sont appliquées actuellement, n’ont-elles pas fait la démonstration de leur inefficacité ? Toutes les classes sociales sauf les plus aisées se trouvent sur cette pente raide. A présent, certaines universités imposent à leurs étudiants de suivre des cours de remise à niveau en orthographe car les acquis fondamentaux n’ont pas été assimilés dans le secondaire. On peut s’en alarmer.

Si l’on considère les Bulletins Officiels de l’Education Nationale de ces trente dernières années, on remarque que l’enseignement du français est passé de 6 heures à 4 heures au collège. Cette perte d’heures explique l’engouement des familles pour les cours particuliers dont la part de marché ne cesse de croître en France. Il y a une véritable angoisse des familles et un désir d’excellence auquel l’école semble de moins en moins pouvoir répondre. Aussi, pour préserver un semblant d’égalité dans l’éducation, chaque collège devrait-il proposer une « option latin ». Cela permettrait notamment de préserver une certaine mixité sociale. Si les meilleurs élèves choisissent le latin, il ne faut pas croire qu’ils ne sont que les héritiers d’une élite. Aussi bien dans les collèges de campagne que dans ceux de banlieue, on retrouve le même désir d’excellence.

Au sein de ce marasme, les marges d’action pour les enseignants de Lettres Classiques restent limitées. Pourtant, en juin dernier, une mobilisation qui se voulait la plus large possible a tenté d’attirer l’attention de Vincent Peillon sur la question. En guise de réponse, un silence assourdissant. Les grandes vacances ont suivi et l’agonie se poursuit dans l’indifférence. Le sursaut se fait attendre. La résignation ne peut être la réponse aux impératifs d’une éducation de qualité pour tous et d’un accès à l’héritage commun. Pourtant, ce silence laisse présager un désinvolte : Requiescant in pace.

La C.N.A.R.E.L.A. (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes) souligne les apports de l’enseignement du latin qui devrait être perçu comme complémentaire à celui du français. À l’heure des enseignements transversaux qui mêlent différentes disciplines, le latin développe la culture générale, permet une découverte des grands historiens et des grands penseurs de l’Antiquité, enrichit le vocabulaire de l’élève et lui permet de s’entraîner à construire ses phrases. Faire du latin, c’est avant tout faire du français.

La difficulté de la phrase latine pourrait devenir une auxiliaire pour réapprendre à apprendre. Si certains élèves font des allergies terribles devant les déclinaisons latines, les grands moments de solitude sont souvent dépassés. Comme en témoignent des enseignants de lettres classiques, les élèves sont extrêmement fiers d’y être parvenus seuls à force de travail. Mais ce goût de l’effort se perd irrémédiablement.

Par ailleurs, les compétences des littéraires sont de plus en plus recherchées par les entreprises, confrontées à la raréfaction des collaborateurs qui savent bien écrire. Désormais, les chefs d’entreprise voient défiler les mêmes lettres de motivation issues de modèles copiés-collés sur internet. Les correcteurs orthographiques tendent à se substituer à la réflexion personnelle. Dès lors, l’orthographe devient parfois même un critère à l’embauche.

Malheureusement, l’avenir qui se profile pour le latin est bien sombre. Le dernier coup de semonce en date a eu lieu en avril dernier. Chaque année, la moitié des postes au Capes de Lettres Classiques ne sont pas pourvus faute de candidats suffisants. Irrémédiablement, sa fusion avec le Capes de Lettres Modernes accroîtra la désaffection. Seuls quelques lycées sanctuarisés proposent encore le grec et le latin.Le désintérêt de l’administration pour les langues anciennes scelle leur destin. Plus généralement, la volonté implicite de solder cet héritage annonce la fin d’une transmission. Dans quelques années, Bailly et Gaffiot évoqueront-ils encore quelque chose aux jeunes générations ?

Dans ce vaste processus d’oubli culturel, les études littéraires sombrent dans la crise. Il fut un temps lointain où la série A (littéraire) de l’ancien baccalauréat rivalisait avec la série C (scientifique). Elle était nimbée d’une aura prestigieuse et être un brillant ingénieur ne signifiait pas pour autant ne rien savoir de l’Histoire Littéraire. Aujourd’hui, les choix d’orientation des meilleurs élèves penchent vers le bac S plutôt que vers le Bac L. Cette dernière filière est désormais celle que l’on choisit par défaut, et pour l’instant, les pistes pour la revaloriser semblent invariablement inefficaces. Cela sent l’abandon.

*Photo : Dimitri Messinis/AP/SIPA . 21233433_000004.



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